Reportage Exclusif

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rencontre  par Fréderic Corbière  |  photos : Olivier Seignette

Ariane de Rothschild

“Nous défendons l’idée d’une philanthropie engagée” Vice-présidente du Groupe Edmond de Rothschild, Ariane de Rothschild a su marquer de son empreinte et de son charme un univers encore trop masculin. Dans la lignée d’une tradition familiale vouée au monde bancaire depuis plus de 250 ans, elle défend parallèlement les activités vinicoles du Groupe et l’engagement de celui-ci dans des projets philanthropiques bien construits.

À deux pas de l’Élysée, nous entrons dans le somptueux hôtel particulier où se mêlent tapisseries somptueuses, mobilier d’exception et œuvres d’art contemporaines choisies une à une par le baron et la baronne de Rothschild. Bien que notre entretien soit minuté, l’ambassadrice de l’élégance parisienne a ce chic subtil de mettre directement tout le monde sous son charme. La conversation informelle précédant l’interview nous a permis de découvrir une personnalité sympathique qui rend délicieusement humain son caractère très terre à terre, sa maîtrise d’un bout à l’autre des affaires familiales et bancaires, comme son implication auprès de nombreuses fondations caritatives.

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En devenant en 2008 la banquière des principaux conseils du Groupe Edmond de Rothschild, cette maman de quatre filles a apporté une fraîcheur dans la dynastie Rothschild où la tradition imposait un garçon pour incarner la pérennité du nom et de la dynastie. Et ce renouveau s’affirme également dans le contexte familial. En effet, parallèlement à son engagement professionnel très prenant, Mme de Rothschild s’occupe pleinement de ses enfants et aménage ses plages disponibles afin de remplir son rôle de maman à part entière. Si certains considèrent que cette attitude relève du défi quand on connaît l’agenda et les obligations qu’impose une telle responsabilité, Ariane de Rothschild se définit plutôt comme la gardienne proactive

d’une dynastie où les traditions n’ont de valeur que dans leur justesse. L’Eventail – Comment se porte le Groupe Edmond de Rothschild ? Ariane de Rothschild – Il se porte très bien malgré les environnements économiques et financiers actuels extrêmement difficiles. Je considère d’ailleurs qu’il se comporte au-delà de toute espérance, quand on sait la mutation qui s’opère en son sein depuis 2012. Avec le nouveau ceo, Christophe de Backer, nous nous sommes attelés à restructurer notre banque. Nous quittons donc un groupement d’entités indépendantes pour un groupe beaucoup plus cohérent et mieux aligné sur ses métiers. Cela se traduit forcément par des changements complexes dans des environnements extrêmement variables. – Qu’est-ce qui vous différencie de la concurrence des banques privées ? – C’est avant tout l’histoire de cette famille dont la tradition est d’être banquier et financier depuis plus de 250 ans. Toute la qualité d’une culture familiale qui se maintient et se perpétue. Par ailleurs, nous sommes une entreprise familiale à capitaux strictement familiaux détenus par mon mari principalement. Ceci nous différencie énormément de la plupart des banques qui, de plus en plus, sont pour la plupart soit cotées, soit à actionnariat assez large. Notre actionnariat assez concentré reste encore totalement familial. Cette politique permet d’avoir une plus grande responsabilité sur le capital de la Banque Rothschild, comme d’assumer pleinement nos engagements vis-à-vis de nos clients. Dans la période instable que nous traversons actuellement, et considérant le mode de fonctionnement des très grandes banques, notre politique se trouve en parfaite adéquation avec nos clients à la recherche de sens, de valeurs et d’une certaine éthique. Cela nous favorise indéniablement. – Qu’il y a-t-il de commun entre vos diverses activités  ? Notamment entre les vignobles et la finance ? – Je dirais que c’est la recherche de l’excellence. Il est vrai qu’au début j’ai commencé à travailler dans le monde financier, qui, entre nous, mériterait un autre nom. À l’époque, c’était considéré comme un hobby, un passe-temps. Mais la connotation de luxe qui lui a été collée est totalement injustifiée. Parce que c’est un vrai métier, un vrai travail, un vrai investissement insuffisamment valorisé à son juste niveau. Nous avons donc

énormément travaillé pour faire connaître ce pan de nos activités. Tout d’abord en interne à la banque, ensuite en externe. Dès le départ, je me suis rendu compte à quel point il était important que j’assume ces deux facettes de manière équivalente. Il n’y a pas de hiérarchie et cela surprend beaucoup de gens. Je ne hiérarchise pas la finance et la non-finance, je les traite au même niveau car ils sont tout aussi importants l’un que l’autre. Si certains ne voient dans la vigne qu’un signe extérieur de richesse, j’y retrouve l’ancrage les plus évident pour le Groupe à la réalité : celle de la terre. C’est une vraie activité économique qui permet à nos banquiers d’être toujours conscients des vrais enjeux et de notre identité. Qu’après cela devienne une vitrine, très bien ! Mais, c’est celle de notre savoir-faire. Demain, j’inaugure des bureaux à Londres : y servir notre vin et nos fromages est la manière la plus concrète de partager notre identité. En fait, je dirais que la vigne fait partie intégrante de l’adn du Groupe.

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– Dans quel domaine souhaitez-vous investir dans les prochaines années ? – Dans le temps libre… Non, je plaisante ! Je suis focalisée sur le développement du Groupe au niveau international. Mais c’est vrai, mon rôle est de faire combiner simultanément d’un côté la banque, et de l’autre l’art de vivre et la philanthropie… Sans oublier ma passion pour mes quatre enfants et mon mari ! Le plus intéressant dans tout cela, est de trouver mon équilibre (comme tout un chacun d’ailleurs !) pour combiner le tout. Pour ma part, j’ai une attitude assez proactive. Ainsi, par exemple, après cette entrevue avec vous, j’enchaînerai avec un dossier sur l’assurance, ce soir je présiderai un gala à l’Institut Wiezmann pour la recherche médicale et demain je serai à Londres pour les activités bancaires de la City. C’est beaucoup mais cet ensemble revêt un sens quand tout est bien relié ensemble, et bien équilibré. Ce n’est pas toujours simple, j’en conviens, mais quel plaisir de goûter à cette harmonie… – Acceptez-vous de parler de vos engagements philanthropiques et de la manière dont vous les abordez ? – Être banquier sans faire de la philanthropie n’a aucun sens chez nous. Rien ne sert de gagner beaucoup d’argent si ce n’est pas pour le partager et apporter du bien. Cela fait partie intégrante de l’histoire de cette famille. C’est vrai que ces six dernières années, le patron de notre département philanthropique est une personne qui vient du monde bancaire. Son objectif est de restructurer les fondations pour devenir une “philanthropie engagée”. Notre engagement dans ce domaine a beaucoup évolué. Même si nous continuons à agir partiellement de manière traditionnelle, nous choisissons de plus en plus différemment les projets que nous soutenons. En fait, nous les traitons comme un vrai business. C’est du “return on philanthropy” : quels sont vos objectifs à trois ans, qu’est-ce que vous essayez de construire ? Etc. Ceci nous permet d’accompagner ces projets en amont pour les mettre sur de bons rails. Et puis, bien évidemment, nous les finançons. Mais nous élaborons et gérons également les cofinancements pour habituer les initiateurs de ces projets aux multidonations. Nous analysons leurs résultats pour leur montrer comment ils évoluent. C’est très proactif et nous sommes engagés avec eux à 100 %. C’est particulièrement enrichissant et excitant de faire collaborer nos fondations les unes avec

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les autres pour un résultat bien plus magnifique que si chacune avait réalisé son activité dans son coin. Ainsi, par exemple, nous soutenons les Beaux-Arts à Paris. Au lieu de soutenir traditionnellement les bourses pour étudiants de dernière année, nous avons mis au point un programme avec eux. Nous finançons leurs ateliers pour autant qu’ils aillent travailler dans des écoles ou des quartiers défavorisés (en général dans des classes d’enfants entre dix et douze ans) et apportent une approche différente de l’art. Bien que ces écoles aient des professeurs d’art et de dessin, le fait d’avoir des artistes en résidence permet aux enfants d’aborder le monde des arts de manière plus vivifiante. Ces jeunes artistes échangent, expliquent leur travail aux enfants. En retour, ces enseignants d’un jour rapportent souvent que cette expérience a changé leur vision de la vie. C’est instructif de part et d’autre. Les artistes s’engagent aussi à aider les enfants dans leur démarche artistique. Ce qui peut créer des vraies vocations. C’est l’art au service du progrès social. Nous testons aussi de nombreux projets pilotes. Ce qui m’intéresse, c’est de créer de nouvelles façons de fonctionner. Je dirais que je suis plus sur la prise de risque pour après le répliquer dans d’autres pays. Mon équipe et moi-même nous engageons à rester très disponible pour ce genre de projet. C’est cela que j’appelle de la philanthropie engagée. À savoir tester des zones auxquelles on ne pense pas forcément. Nous sommes une banque atypique, qui, quand elle s’engage, ne le fait jamais à moitié, tant dans le temps que dans l’énergie qu’elle accorde ! – Pour vous, quelle serait la banque idéale ? – Il n’y en pas, parce qu’une banque doit se réinventer tous les jours. Plus sérieusement, la banque idéale, c’est une banque engagée. Après, le choix de ses domaines d’engagement dépendra du goût de chacun. Banques, entreprises, êtres humains, nous devrions tous être indifféremment engagés. C’est aussi mon tempérament. C’est cette énergie, cette âme et ce sens du service qui font le succès de la Banque Edmond de Rothschild. On voit par trop souvent des banques qui n’ont pas d’âme, ou qui l’ont perdue.

www.edmond-de-rothschild.eu

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