Le retour du refoulé

LE RETOUR DU REFOULÉ

Le refoulement de tels faits nous permet d’oublier ce qui peut être à la base d’un conflit interne, sous couvert de moralité entre ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est perçu comme interdit et pourtant commis par un adulte, détenteur de l’autorité et de la vérité. L’abus sexuel sur des enfants n’est pas le seul événement qui soit refoulé au niveau de l’inconscient : tout ce qui provoque de l’angoisse nous empêche d’être nous-mêmes, entiers. Mais croire que ce qui est refoulé l’est définitivement est un leurre. En effet, ce que l’on oublie ne nous oublie pas, et la vérité ne demandant qu’à émerger, un jour ou l’autre, il y a nécessairement retour du refoulé.

Jacques Lacan, psychiatre et psychanalyste français, exprime que « l’inconscient se déploie dans les effets de langage », même si le rêve demeure la première manière de manifester ce retour du refoulé. Pour Freud, inventeur du terme « psychanalytique », les actes manqués et les lapsus en marquent la dernière manifestation. Si toutefois nous n’écoutons pas ou ne prêtons pas attention à ces signaux de notre inconscient, le retour du refoulé se manifestera par d’autres symptômes.

| Exemple |

Véronique a 38 ans. Séparée de son mari depuis quatre ans, elle me consulte parce qu’elle n’arrive pas à rencontrer un homme avec lequel reconstruire une histoire de couple. Elle a eu des aventures, mais dès qu’il s’agissait d’aller plus loin sur le plan charnel, soit elle se bloquait, soit elle ne se sentait pas respectée. Elle pense que les hommes avec les-

quels elle sort ne se soucient guère de ses désirs à elle. Pire, elle vient à éviter toute rencontre de peur d’être malmenée. Après plusieurs séances, elle évoque un rêve qu’elle a fait quelques jours plus tôt. Elle se voyait enfant, sur une table à langer, son père au-dessus d’elle. Lorsque j’évoque avec bienveillance la possibilité de la présence d’inceste dans la famille, elle fond en larmes. Elle évoquera plus tard qu’une dizaine d’années auparavant, lors d’une pause café avec ses collègues, racontant une histoire, elle avait terminé celle-ci par « J’ai envie d’éjaculer » à la place de « J’ai envie de vomir ». Elle fut troublée et honteuse sur le moment. Lors de cette séance, elle comprit que son inconscient cherchait déjà à lui faire prendre conscience de sa propre histoire.

D’après Gilles Pétel, professeur de philosophie français, nous, peuple de France, avons refoulé nombre de souvenirs ainsi que les affects qui y sont liés. Dans un article1 , il évoque que nous avons oublié notre statut d’ancienne puissance coloniale, la pauvreté en métropole puisque dans les colonies desquelles venait l’argent, nous avions plus de pauvres encore. Dans ce qui a été refoulé au niveau national figure encore l’existence des travailleurs immigrés sous-payés, la misère, la violence… « La révolte récente des “gilets jaunes” est une des expressions de cette résurgence », déclare-t-il. Cette révolte, composée majoritairement d’hommes et de femmes inconnus, pauvres ou issus d’une classe moyenne qui tend à s’appauvrir, fait penser à la Jacquerie. Ce soulèvement des paysans français – chez qui « Jacques » était le prénom le plus donné à l’époque – contre les

1. http://delibere.fr/le-retour-du-refoule/

nobles affecta en 1358 la région parisienne. Ce mouvement fut d’une extrême violence : seigneurs massacrés, châteaux brûlés, récoltes saccagées, cheptels tués. Faisant suite à une crise économique à la fin du siècle précédent, la Jacquerie fut la révolte de la misère et une conséquence de la guerre de Cent Ans et de la peste noire. Or, le mouvement des « gilets jaunes » rappelle la spontanéité, la désorganisation et la violence des soulèvements des paysans, dont la mémoire semble se réactiver régulièrement comme l’atteste le mouvement populaire de révoltes lors de la Grande Peur de 1789, engendré par la peur collective.

Ainsi, les grands événements nationaux ou mondiaux entrent à plus ou moins long terme dans l’inconscient collectif.