La prophétie de Samuel

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La Prophétie de Samuel

JEAN - MICHEL TOUCHE mame

À Camille et Simon, mes petits-enfants, à Pierre, Anne-Margaux, Marie-Caroline, Marie-Pierre, Geneviève, Enguerran et tous les autres, qui ont voulu savoir ce qui s’est passé après le mont Nébo.

UN BRUIT BIZARRE

C’est au cours d’un dîner que, pour la première fois, je l’entendis. Un bruit bizarre, cristallin, léger, indéfinissable. Le genre de bruit dont vous ne devinerez jamais l’origine, à moins bien sûr que vous ne viviez les mêmes aventures que moi, ce qui serait tout de même très étonnant.

Mais n’anticipons pas.

Marc, mon père, venait de nous décrire avec force détails la nou velle invention à laquelle il réfléchissait depuis plusieurs semaines. Un appareil compliqué destiné à la transmission de pensée. Au fur et à mesure de ses explications, il était devenu quasiment lyrique, décrivant avec une volubilité incroyable les ondes que produit le cerveau lorsque nous pensons. Entre les alpha, les bêta et les thêta, il nous plongea carrément dans la perplexité, ma mère et moi. Seule Caroline, ma sœur, hochait la tête pour faire croire qu’elle comprenait !

Vous vous rendez compte, s’enthousiasmait-il, grâce à mon invention, on pourra communiquer à distance !

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Claire, ma mère, ne parvint pas à saper son enthousiasme quand elle lui rappela l’existence du téléphone portable.

— Ah, je l’attendais, celle-là ! Le portable ! Mais ça n’a rien à voir, ma chérie. Avec mon système, une oreillette suffit. Pas de micro, bien entendu, puisqu’on ne parle pas. On se contente de penser.

On va vraiment entendre toutes les pensées ? demanda Caroline.Oui. Toutes.

C’est à ce moment précis que je l’entendis. À l’exception de son côté cristallin, ce petit bruit ne ressemblait à rien. Comment vous dire ? Imaginez par exemple un verre en cristal qui se mettrait à rire tout seul. Cela aurait presque pu y ressembler. Je tournai la tête à droite puis à gauche, cherchant d’où provenait ce son étrange.

Qu’est-ce que tu as ? Tu as une apparition ?

Il entend une pensée, sans doute ! ricana Caroline qui fut menacée d’un départ séance tenante en direction de sa chambre.

Marc est le père le plus affectueux du monde, mais il déteste que l’on se moque de ses inventions.

Le petit bruit retentit à nouveau, tout près de moi : « Cli-clicli ! » Ça alors ! Qu’est-ce que ça pouvait bien être ?

Je tournai de nouveau la tête à droite puis à gauche. Ma sœur me jouait-elle un tour ? Mes parents me regardèrent sans comprendre et Caroline leva les yeux au ciel en pinçant les lèvres. Elle fait ça chaque fois qu’il m’arrive des choses qui la dépassent.

Qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

Quoi ?

Ce bruit.

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Marc, qui est toujours aux aguets comme tous les inventeurs, fronça les sourcils et voulut savoir de quel bruit il s’agissait.

— Mais… vous n’avez pas entendu ?

Voyant les parents froncer les sourcils, j’en conclus que j’étais doté d’une ouïe particulièrement fine, l’oreille absolue en quelque sorte, puisque je détectais des sons que les autres ne percevaient pas.

La nuit qui suivit me parut interminable. Impossible de m’endormir. Deux fois encore le « cli-cli-cli » se produisit. Existait-il un lien entre ce bruit et l’incroyable voyage dans le temps que je venais de faire avec Frédéric ? J’aurais bien aimé poser la question à Fred…

Sacré Frédéric ! Rapidement je passai en revue l’aventure extraordinaire que nous avions vécue tous les deux. Pour l’instant, ni lui ni moi n’en avions soufflé mot à qui que ce fût. Même pas à nos parents. C’est plus fragile qu’on le croit, les parents. Il n’était pas nécessaire de les alarmer. J’avais eu assez peur en constatant que Frédéric n’était pas revenu du mont Nébo en même temps que moi. Dieu merci, il n’avait cependant pas tardé à me rejoindre.

Le sommeil commençait enfin à me gagner quand il me sembla entendre du bruit dans ma chambre. Je me redressais d’un coup et tendis l’oreille. Pas de doute, quelqu’un marchait à pas de loup. Je distinguais même un chuchotement à peine interrompu par un « cli-cli-cli » encore plus discret que pendant le dîner. Panique à bord ! Je m’enfouis sous les draps. Vous n’allez pas me croire : les voix me suivirent dans mon lit. Inimaginable ! La première dit : Allez, il faut partir.

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La seconde a ajouté : Viens, Nacklas, on s’en va. Et je sentis une main m’attraper par le bras pour me mettre debout. Là, je poussai un cri de terreur en basculant en arrière. Le noir absolu. Puis plus rien.

Mort de peur, je m’affalai de tout mon long contre un rocher et poussai un cri.

— Chut ! fit une voix. Tu vas les réveiller.

J’ai mal Tais-toi,!Nacklas, reprit la voix.

Mais, qui es-tu ? Où sommes-nous ? demandai-je en essayant de retrouver mes esprits.

— Comment, qui je suis ? C’est ton coup sur la tête qui t’a fait perdre la mémoire ? C’est moi, Élidad, voyons. On va à Jéricho. Ma parole, je me demande si Josué a eu raison de t’envoyer avec nous.

Dans l’obscurité quasi totale, je m’efforçai de me lever. Ma tête résonnait comme une énorme cloche en bronze, et la douleur me déchirait le crâne. Qui avait parlé ? Élidad… Élidad ? Oui, cela me disait quelque chose. Fermant les yeux, je cherchai dans ma tête d’où venait ce nom. Mes souvenirs revinrent lentement, à la manière des pièces d’un puzzle qui retrouveraient peu à peu leur place. Je revis les visages d’Élidad et de Yeroham, les deux

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hommes que Josué avait désignés pour espionner Jéricho et voir comment les Israélites pourraient faire le siège de la ville et en prendre possession.

Oui, je me rappelais à présent. Cela s’était passé dans le camp des Israélites. Josué avait donné ses instructions.

Préparez-vous, car dans trois jours nous allons traverser le Jourdain pour conquérir le pays que Yahvé nous donne.

Après avoir choisi Élidad pour son agilité et son courage, et Yeroham pour sa taille et sa force, Josué m’avait convoqué.

— Il faut que tu les accompagnes, Nacklas. Je n’ai pas oublié ce qu’a dit Moïse avant de mourir. Si tu as réellement mission de por ter témoignage, il faut que tu voies les choses de tes propres yeux. Cherche les points faibles de Jéricho. Aide tes compagnons à les découvrir. Mais sois prudent, surtout. Vous ne devez en aucun cas vous faireFrédéricrepérer.vient avec nous ?

— Non, avait répondu Josué. Je peux avoir besoin de lui ici. D’ailleurs, trois, c’est un maximum pour une telle expédition. Mais ne crains rien. Lorsque nous entrerons en Canaan, il te rejoindra et vous serez tous deux auprès de moi.

Nous étions donc partis à la nuit, nous frayant un chemin dans l’obscurité. « Prends garde, m’avait averti Élidad, le sol est jonché de gros cailloux. Ne te tords pas les chevilles, tu nous ralentirais.

Ensuite…» trou noir ! J’étais tombé malgré l’avertissement d’Élidad. Ma tête avait dû heurter un rocher car ma tempe me faisait atrocement mal et j’étais encore étourdi.

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Tu vas nous attendre ici jusqu’à l’aube, dit Yeroham. Si nous revenons au lever du soleil, tout ira bien. Sinon, retourne au camp et préviens Josué. D’accord ?

Non, c’est trop dangereux, objecta Élidad. S’il est découvert, les gens de Jéricho vont le rouer de coups jusqu’à ce qu’il parle. Ensuite, ils se lanceront à notre poursuite et nous tueront. Si nous voulons réussir, il faut qu’il vienne avec nous. Lève-toi à présent, Nacklas, et suis-nous.

Me redressant tant bien que mal, je collai mes pas à ceux de mes compagnons qui s’étaient remis en marche. Le vent balaya quelques instants les nuages, faisant apparaître un bref instant les murailles d’uneJérichoville.

! s’exclama Yeroham.

Chut ! fit de nouveau Élidad, à voix très basse. S’il y a des avant-postes, on pourrait nous entendre. À partir de maintenant, plus aucun bruit. Allons-y. Nous avons perdu assez de temps.

Aussi discrètement que possible, nous reprîmes notre progression. Jéricho se dressait devant nous, immense, apparemment impénétrable. Nous longeâmes les murailles dont le sommet se noyait dans l’obscurité de la nuit. Parvenus devant une gigantesque porte de bois qui semblait commander l’unique entrée dans la cité, Yeroham perdit courage et poussa un soupir :

On ne pourra jamais entrer. Il faut faire demi-tour et infor merÉlidadJosué.soupira à son tour, peut-être découragé lui aussi.

Je venais de reculer de quelques pas pour mieux prendre la mesure de la ville et des remparts qui l’entouraient, quand j’entendis un

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bruit très faible. Pas le bruit cristallin qui m’avait tellement intrigué. Non. Quelque chose d’autre, mais également indéfinissable. Mon Dieu, que se passait-il encore ? Je m’accroupis et m’immobilisai, le cœur battant, cherchant d’où provenait cette sorte de crissement. C’était diffus, presque un frôlement. Guère rassuré, je levai légèrement la tête et dirigeai mon regard vers l’endroit d’où semblait venir le bruit. Par chance le vent repoussa de nouveau les nuages, laissant tomber une lumière blafarde mais suffisante pour faire une surprenante découverte. Un homme se tenait au pied de la muraille et parlait à quelqu’un que je ne voyais pas.

Tout doucement je rejoignis mes compagnons.

Il y a quelqu’un, murmurai-je en leur montrant du doigt la muraille.Où ça ?

Là, Nonregarde.!Iln’y a personne, s’emporta Élidad après avoir longue ment observé les remparts.

Comment ça, personne ? Me redressant à demi, j’examinai atten tivement les remparts à mon tour. C’était renversant ! Je n’avais tout de même pas la berlue ! Quelques secondes plus tôt, un homme se trouvait devant la muraille. Et maintenant, j’avais beau écarquiller les yeux, je ne voyais effectivement personne.

Je n’y comprends rien, avouai-je, honteux. Je t’assure, je l’ai vu, même… Oh ! tiens, regarde !

Il a raison, souffla Yeroham. Je le vois moi aussi. C’est un homme. Ah ça ! comment fait-il pour apparaître et disparaître à volonté ?

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Élidad nous enjoignit de nous taire et tendit l’oreille.

L’homme parlait. Ce que j’avais pris quelques instants auparavant pour un crissement était en réalité un chuchotement à voix basse. Une voix de femme lui répondit. Nous allions de surprise en surprise. Que faisait donc une femme en pleine nuit, au pied des remparts ?

Sans même nous consulter, Yeroham s’élança vers le couple. Dès qu’il l’entendit, l’homme se retourna :

Sauve-toi ! cria-t-il à la femme.

Puis il se mit à courir dans la direction de l’oasis qui bordait Jéricho, et disparut à notre vue. Élidad, de son côté, bondit vers le rempart et saisit la femme par le bras avant qu’elle n’eût réussi à s’enfuir. J’arrivai à mon tour, suivi de Yeroham qui fulminait, vexé d’avoir laissé l’homme lui échapper.

Ne crains rien, fit Élidad en lâchant la femme. Nous ne te voulons pas de mal. Dis-nous qui tu es.

Elle leva les yeux vers nous sans la moindre trace de peur.

Je m’appelle Rahab. Et que fais-tu la nuit hors de la ville, Rahab ? Je raccompagnais un visiteur.

Surpris, Élidad nous regarda puis se retourna vers la femme.

— Un visiteur ? Quand tout le monde dort ?

La femme ne répondit rien. Regardant Élidad droit dans les yeux, elle l’interrogea à son tour.

Et vous, qui êtes-vous ? Faites-vous partie de ces gens qui viennent du désert ? Oui, répondit Yeroham.

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Alors venez. Suivez-moi. Toi, ajouta-t-elle à mon intention, donne-moi la main. Faites attention, le passage est très étroit. Maintenant taisez-vous. On va entrer dans la ville.

Comment ? questionnai-je. On ne peut pas traverser le mur. Tu te trompes, répondit-elle en me tirant par la main.

Rahab contourna un buisson d’épineux.

Par ici, dit-elle.

Le buisson masquait une brèche entre les pierres. Cela expliquait l’apparition et la disparition successives de l’homme, tout à l’heure. Il devait être revenu sur ses pas avant de quitter la ville pour de bon. Nous suivîmes Rahab. Elle avait raison. À certains endroits le passage était si étroit qu’il fallait se mettre de biais pour avancer. Cette voie n’était pas assez large pour que Josué et les siens pussent entrer dans Jéricho.

Une fois de l’autre côté, Rahab fila sur la droite et nous fit signe de la suivre. Tout le monde dormait dans Jéricho. Tout le monde ? Pas sûr. Il me sembla voir sur notre droite une porte s’entrouvrir puis se refermer discrètement.

Parvenue chez elle, Rahab nous fit entrer, barricada sa porte derrière nous et alluma une lampe. Pourquoi nous reçois-tu chez toi ? demanda Élidad.

— Parce que l’histoire de votre peuple est venue jusqu’à nous, répondit la femme. Nous savons comment votre Dieu a asséché devant vous la mer des Roseaux pour vous libérer des Égyptiens. Ici, tout le monde redoute le peuple de Yahvé. Son seul nom suffit à terroriser les plus courageux des hommes de Jéricho. Moi, je crois que votre Dieu est un grand Dieu et qu’il vous a donné ce pays.

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Comme il ne servirait à rien de s’opposer à lui, je préfère vous aider. Mais vous, en échange, sauvez-moi et sauvez ma famille. Le jour où les Israélites entreront dans notre ville, épargnez-nous.

Nous te le jurons, répondirent d’une seule voix mes deux compagnons. Si tu ne révèles rien de notre passage chez toi, tu seras traitée avec bonté lorsque nous aurons pris Jéricho. Rahab ouvrit une porte et nous indiqua un escalier. Montez sur la terrasse, vous serez en sécurité. Mais ne faites pas de bruit et prenez garde à ne pas vous faire repérer.

Peu avant l’aube, un homme franchit la porte que j’avais vu s’entrouvrir à notre arrivée, et se dirigea vers un bâtiment plus vaste que les autres. Je ne m’étais donc pas trompé, on nous avait remarqués. Quand le soleil fut levé, une clameur se répandit dans la ville. Armés de gourdins et de lances, des hommes descendirent dans les ruelles et se dirigèrent vers la maison de notre hôtesse en poussant des crisOù: sont-ils ? Qu’on les tue ! À mort les espions d’Israël ! M’approchant du rebord de la terrasse, je risquai un œil vers l’extérieur et me remis aussitôt à plat ventre.

Ils sont nombreux ? interrogea Yeroham. Une trappe se souleva, laissant apparaître le visage de Rahab. Ne bougez surtout pas. Ne craignez rien, tout va s’arranger. Mais je vous en prie, pas de bruit. Autrement nous y passerions tous. Ils sont rudement remontés. Cette précision était inutile. Il suffisait d’entendre les cris pour s’en rendre compte.

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Rahab disparut dans la maison au moment où des coups retentirent contre sa porte.

— Rahab, ouvre-nous. Nous savons que des hommes d’Israël sont venus nous espionner et qu’ils se cachent chez toi. Livre-les-nous.Oui,deshommes ont voulu venir chez moi, répondit Rahab en se penchant par une fenêtre. Ils ont cherché à forcer ma porte mais j’ai résisté, alors ils sont repartis. Je crois qu’ils sont retournés en direction du Jourdain. Si vous courez vite vous pourrez peutêtre les rattraper.

On entendit des cris, il y eut des menaces proférées contre nous et contre le peuple d’Israël, et les hommes de Jéricho sortirent de la ville pour se lancer à nos trousses. Les gardes refermèrent derrière eux l’immense porte, ne laissant à l’intérieur des remparts que des femmes, des enfants et des vieillards saisis par la crainte.

Rahab nous rejoignit sur la terrasse.

— Vite, il faut partir avant leur retour. Allez dans la montagne et restez-y cachés quelques jours. Dès que les hommes d’ici seront rentrés, vous pourrez regagner votre camp. Mais promettez-moi à nouveau de me laisser la vie sauve, ainsi qu’à toute ma famille. Nous t’en faisons le serment.

La maison de Rahab était accolée aux remparts. L’une de ses fenêtres ouvrait sur l’extérieur, c’est par là que nous allions nous enfuir. Rahab nous remit une corde et nous indiqua comment nous échapper.Çaserait mieux de passer par le même chemin que cette nuit, fit remarquer Élidad.

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Non, répondit Rahab. Ce passage est un secret. Personne ne doit le connaître.

Je la regardai avec surprise. Pourtant nous le connaissons, et l’homme qui était avec toi la nuit dernière le connaît aussi.

Tu es un petit futé, Nacklas. Mais sans moi tu ne le retrouve rais jamais. Ni de l’extérieur, ni depuis l’intérieur. Maintenant hâtez-vous tant que la voie est libre. Tenez, prenez ça. Ce sont des dattes de la palmeraie. Elles vous permettront de tenir une bonne journée. Que votre Dieu vous bénisse et vous aide.

Rahab nous tendit un paquet enveloppé dans un linge.

Suivant ses conseils, nous passâmes par la fenêtre. La corde était trop courte, il fallut sauter dans le vide. Yeroham se blessa en tombant et poussa un cri. Sa jambe droite avait cassé une branche d’épineux : une partie s’était enfoncée dans son mollet. Le sang jaillit aussitôt. Pour éviter de crier à nouveau, Yeroham mordit son avant-bras. Incapable de poser le pied par terre, il tenta d’avancer en sautillant mais il perdit l’équilibre et chuta de nouveau.

Nous ne pouvions nous permettre de perdre trop de temps. Les gens de Jéricho ne tarderaient plus à revenir.

Aide-moi, nous allons le soutenir, dit Élidad.

Mais Yeroham était trop lourd pour nous. Au-dessus de nos têtes, Rahab avait refermé le volet de bois devant la fenêtre. Impossible de l’appeler. Et d’ailleurs, qu’aurait-elle pu faire ? Quant au passage que nous avions emprunté la nuit précédente, j’eus beau tourner et retourner, je ne parvins pas à le retrouver. Laissez-moi et fuyez, supplia Yeroham.

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Pas question, répondis-je sans laisser à Élidad le temps de réagir. Je vais arranger ça. Élidad me lança un drôle de regard, tandis que Yeroham, sous le coup de la souffrance, continuait de mordre son bras sans m’accorder la moindre attention. Je priai Élidad d’allonger son ami et de lui tenir les bras pour qu’il me laisse intervenir. Surpris sans doute par mon assurance, Élidad s’exécuta : Comme ça ? demanda-t-il.

Je fis signe que oui. Puis, me penchant sur Yeroham, je posai les mains sur sa blessure et rapprochai peu à peu les bords déchirés de ses chairs. Tout d’abord haletante, sa respiration devint plus régulière et ses traits se détendirent.

Comment fais-tu ça ? interrogea Élidad visiblement éberlué.

Je ne répondis pas. La douleur avait quitté Yeroham. Peu importait qu’elle remontât le long de mes bras, Yeroham pouvait à présent se lever, nous devions partir sans plus attendre. Chemin faisant, Élidad posa de nouveau sa question. Tout en grimpant à flanc de montagne, j’expliquai que je ne savais pas, que c’était venu tout seul, de longues années auparavant. Me retournant à cet instant, j’aperçus un nuage de poussière qui revenait du Jourdain et s’approchait de Jéricho.

— Vite, ils reviennent. Dépêchons-nous.

Sans doute avais-je parlé avec autorité car mes compagnons accé lérèrent le pas sans protester. Nous grimpâmes longtemps à travers de larges étendues jonchées de pierres de toutes tailles. Je n’en pou vais plus. Le soleil cognait dur et nous n’avions rien pour étancher notre soif.

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Un moment, épuisé, je m’arrêtai pour souffler. Surplombant Jéricho, nous pouvions voir tout ce qui s’y passait. Yeroham s’approcha de moi et posa sa main sur mon épaule. Il ne dit rien, mais la pression de ses doigts suffisait à exprimer sa reconnaissance.

Nous demeurâmes trois jours dans une grotte, à mi-hauteur de la montagne. Élidad n’avait pas son pareil pour dénicher du miel sauvage que nous avalions avec bonheur. Quelques chèvres, égarées peut-être, nous fournirent du lait.

Quand la douleur eut quitté la jambe de Yeroham, nous décidâmes de regagner le camp. Depuis notre repaire nous avions sur veillé Jéricho. De retour de leur vaine expédition, ses habitants s’étaient barricadés derrière leurs remparts dans la crainte d’une attaque. Rahab n’avait pas menti, l’approche des Israélites et la puissance de Yahvé répandaient l’effroi.

Réunis autour de Josué, les chefs écoutèrent notre récit avec attention. La taille de Jéricho les impressionnait, de même que l’enceinte qui la protégeait.

La brèche par laquelle cette femme vous a fait passer, pourrons-nous l’emprunter ? demanda l’un d’eux.

Non. Elle est beaucoup trop étroite. Ça va pour deux ou trois personnes, mais pas davantage.

Dans ce cas, nous ne pourrons jamais entrer ! s’exclama un homme âgé au regard triste. Il faut contourner cette ville. Vouloir la prendre serait aller au-devant des plus graves dangers.

Yeroham, qui s’était tu jusque-là, se leva et prit la parole.

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Hommes incrédules, allez-vous à votre tour manquer de confiance dans le Seigneur ? Allez-vous, comme vos pères, refuser de croire en sa parole ? Oui, cette ville est imposante, oui, elle semble imprenable. Mais ses habitants redoutent notre arrivée. Le seul nom de Yahvé les affole. Rahab, la femme qui nous a abrités, nous l’a dit et nous en avons eu confirmation depuis notre cachette dans la montagne. De là où nous étions, nous avons pu voir avec quelle frénésie ils organisaient leur défense. Ils nous craignent, c’est certain.

— Tu devrais dire qu’ils craignent Yahvé, intervint Josué. Souvenez-vous des paroles de Moïse. Cette terre, le Seigneur nous la donne. Gardez confiance. Hier, Yahvé nous a fait sortir d’Égypte en asséchant la mer des Roseaux. Demain, il nous livrera Jéricho. Alors rien ni personne ne nous résistera. Nacklas et Frédéric seront mes messagers. Ce sont eux qui vous porteront mes instructions. Maintenant, rejoignez vos tribus. Dès l’aube, nous partirons pour le CeJourdain.discours redonna du courage aux chefs du peuple qui accla mèrentToutJosué.ceque tu nous commanderas, nous le ferons. Et là où tu nous enverras, nous irons !

LA DUTRAVERSÉEJOURDAIN

Aux premières lueurs du jour, le peuple s’ébranla dans la plus belle des pagailles en direction du Jourdain. Dans une rumeur for midable, hommes et bêtes mélangés, il se mit en mouvement vers le pays que Dieu avait promis. Nous allions, Frédéric et moi, de famille en famille, pressant certaines, en freinant d’autres. C’était épuisant, mais l’excitation nous donnait des ailes !

Le soir, après une journée éreintante, nous rejoignîmes Josué qui avait établi son camp sur une petite hauteur à proximité de la rive orientale du fleuve. Sa femme venait de cuire la manne ramassée le matin. Elle nous en offrit deux galettes chacun, dont nous ne fîmes qu’une bouchée tant nous étions affamés. Vous allez passer la nuit ici, décida Josué. Demain, j’aurai besoin de vous.

Si les gens de Jéricho nous apercevaient depuis leurs murailles, ils devaient frémir et penser que la terre brûlait, de l’autre côté du

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Jourdain. Avec le soir, les feux s’étaient multipliés dans le camp d’Israël. Chaque famille avait allumé le sien pour cuire la manne et avait ensuite laissé les flammes danser dans la nuit. Cela brillait de partout. Un immense bivouac sur lequel flottait une rumeur : « Demain en Canaan. »

Avant de nous endormir, je décrivis en détail à Frédéric ce que nous avions vu, Yehoram, Élidad et moi, au cours de notre mission. Je m’attardai notamment sur les formidables murailles qui protégeaient Jéricho.

— Si elles ressemblent à ce que tu racontes, fit Frédéric en grimaçant, je ne vois pas comment on pourra s’emparer de cette fichue ville. Pourquoi n’en fait-on pas le tour ? Dis donc, Fred, tu ne vas pas faire comme les Hébreux, toi ? Tu n’as quand même pas oublié tout ce que le Dieu d’Israël peut faire ! Souviens-toi, mon vieux, quand la mer des Roseaux s’est ouverte devant nous. Eh bien, Jéricho, en comparaison, c’est rien ! S’il a décidé de donner ce pays aux Israélites, il va le faire, ne t’inquiète pas.

Ce n’est pas mon argument qui réussit à convaincre Frédéric. Je crois que c’est plutôt une étoile filante qui traversa le ciel en direction de Jéricho. La longue traînée lumineuse qu’elle dessina resta gravée dans la nuit plusieurs secondes avant de s’évanouir lentement.Regarde ! s’écria Frédéric. Après tout, tu as peut-être raison.

La fatigue nous plongea peu après dans un sommeil profond que la main de Josué sur nos épaules vint interrompre le lendemain, quand il fut temps de se lever.

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Autour de nous, les premières familles s’éveillaient. Braiments d’ânes et bêlements de moutons, cris de nourrissons exigeant le sein de leur mère, jurons étouffés. Bien que naissante, l’aube bruissait de la vie d’un peuple.

Après avoir abondamment plongé la tête dans le Jourdain proche afin de bien nous réveiller, nous revînmes en courant auprès de Josué pour nous mettre à sa disposition. Déjà les prêtres se tenaient autour de l’arche d’Alliance, prêts à partir.

Allez avec les scribes, nous dit Josué. Vous donnerez aux pre mières familles le signal du départ dès que vous verrez les prêtres lever le camp avec l’Arche. L’Éternel va marcher en tête du peuple. Il nous montrera la voie. C’est lui qui nous ouvrira le chemin de la Terre Promise. Que chaque tribu choisisse un homme qui ramassera une pierre en traversant le Jourdain. On s’en servira pour dresser ensuite un autel à la gloire de Dieu, lorsque nous aurons pris pied sur l’autre rive.

Le soir venu, et comme la veille, nous ne sentions plus nos jambes tant nous avions couru, Frédéric et moi, tant nous avions sauté par-dessus les pierres qui jonchaient la rive du fleuve, enjambant de temps à autre les rares biens que les femmes empaquetaient pour les charger sur leurs ânes ou à même leurs dos.

Ça ne te rappelle rien ? demanda Frédéric.

Sous nos yeux, les Israélites se mettaient en mouvement. Exactement comme lorsqu’ils avaient quitté l’Égypte sous la conduite de Moïse, précédés par la nuée lumineuse.

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Tu te rappelles lorsque nous avons traversé la mer des Roseaux, reprit-il, cette colonne de feu qui se dressait dans l’obscurité et qui nous montrait le chemin ?

Bien sûr, je me souvenais de cette étrange colonne de lumière surgie de nulle part, qui s’était formée devant Moïse et avançait dans les ténèbres pour nous guider. Aujourd’hui encore Yahvé indiquait la route. Il le faisait cette fois avec l’Arche que portaient les prêtres et où se trouvaient les Tables de la Loi.

Viens, dis-je à Frédéric, retournons auprès de Josué, il peut avoir besoin de nous.

Coupant à plusieurs reprises à travers la longue file des Israélites qui poussaient leurs troupeaux sur un chemin sinueux en direction du Jourdain, nous le rejoignîmes en contrebas dans la palmeraie qui s’étendait au bord du fleuve. Le soleil éclairait à présent la terre que Dieu allait donner à son peuple, et la caressait de ses rayons, jouant avec l’ocre des roches, le vert des pal miers et le bleu profond du ciel. Essoufflés mais portés par une force inouïe, nous ne pouvions détacher nos yeux de l’arche d’Alliance. Au moment précis où les prêtres qui la portaient entrèrent dans le fleuve, il se produisit exactement la même chose que devant la mer des Roseaux. Le Jourdain cessa de couler !

Venez avec moi, nous dit Josué. Nous allons nous poster au bord du fleuve. Dès qu’il sera sec, le peuple tout entier devra passer.

À la fois attentifs et émerveillés, nous observâmes le lit du Jourdain qui apparaissait au fur et à mesure que l’eau se retirait, avec ses petites pierres rondes, ses roches rugueuses que la

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violence du courant n’avait pas encore polies, son gravier et son sable très fin.

À la suite des prêtres, hommes, femmes et enfants s’engagèrent dans le lit asséché pour le traverser. Quelques heures auparavant, le Jourdain coulait avec orgueil et impétuosité. À présent, il s’était littéralement assoupi, tel un lion qui s’endort, repu, les pattes de devant croisées sur son mufle, inoffensif, voire apaisant.

Quand tout Israël fut passé, les prêtres reprirent leur marche et sortirent du Jourdain.

— Regarde ! s’écria Frédéric.

Stupéfaits, nous vîmes les eaux reprendre leur cours. Doucement pour commencer, puis de plus en plus violemment, et bientôt en furie, comme pour essayer de rattraper ces nomades qui venaient de franchir le fleuve sans payer de quelques noyades le tribut qu’il avait coutume d’exiger. Ainsi qu’il l’avait fait à la mer des Roseaux, Yahvé venait de suspendre un moment les eaux pour que son peuple puisse entrer en Terre Promise.

Les Israélites dressèrent leur camp à Guilgal, sur la rive occiden tale du fleuve. Il me semblait que le passage avait à peine duré, mais les familles étaient nombreuses et voici qu’à présent le soir était tout proche. Continuer le chemin n’aurait pas été sage.

Selon ce qu’il avait annoncé, Josué appela les chefs des douze tribus. Ensemble, ils dressèrent un autel pour Yahvé avec les douze pierres ramassées dans le lit du Jourdain. Ce mémorial rappellera à vos enfants et aux enfants de vos enfants que le Seigneur Yahvé a fait passer Israël à pied sec. Quant à vous, ajouta Josué en regardant l’ensemble du peuple que Yahvé

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lui avait confié, n’oubliez jamais combien la main du Seigneur est puissante et combien il vous aime, lui qui a interrompu pour vous le cours du Jourdain. Vivez dans le respect et la crainte de l’Éternel.

TABLE DES MATIÈRES

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I. Un bruit bizarre .................................................................................. 5 II. Jéricho ................................................................................................. 9 III. La traversée du Jourdain ............................................................. 21 IV. La prise de Jéricho ......................................................................... 27 V. La boîte en fer .................................................................................. 36 VI. L’Arche prise en otage ................................................................. 41 VII. Dagôn et le temple d’Ashdod .................................................. 46 VIII. Ourim et toummim .................................................................. 54 IX. Le choix de Yahvé ......................................................................... 59 X. Le souterrain de Guibéa ............................................................... 64 XI. Une folle expédition .................................................................... 74 XII. Nataël et le carnet secret ............................................................ 82 XIII. La ruse de Yabesh ...................................................................... 91 XIV. Un serpent en chemin ............................................................103 XV. Une rencontre inattendue .......................................................109 XVI. La mission de Caroline ..........................................................119 XVII. La cithare de David ...............................................................127 XVIII. David et Goliath ..................................................................132 XIX. Un roi jaloux ............................................................................141 XX. La folie de Saül ..........................................................................148 XXI. Où est Samuel ?........................................................................156

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XXII. La fuite

XXIII. Joab

XXIV. Le carnage

XXV. Éléasa

XXVI. Je ne porterai la le

XXVII. David, roi

XXVIII. Nataël… mais que se passe-t-il

XXIX. La source Guihôn

XXX. Le cyprès la

XXXI. Saül nécromancienne

XXXII. Femme, je dansais

XXXIII. Bethsabée

XXXIV. La faute

XXXV. Ta gloire dépasse l’infini du monde

XXXVI. C’était légal mai d’édition d’imprimer en avril 2022 la SEPEC des Bruyères

de Rama ...................................................................161
et Abishaï .....................................................................168
de Nob ...............................................................174
de Qéïla ........................................................................178
pas
main sur
roi ..................................187
en Juda ..............................................................196
?.....................................203
de
..........................................................207
et
catapulte .......................................................214
et la
.................................................220
pour Yahvé ........................................224
...........................................................................232
de David .............................................................239
...............................245
effectivement bizarre… .....................................249 Dépôt
:
2022 N°
: 22086 Achevé
par
en France Z.A.
01960 Peronnas
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