Mémoire 2e année | Partie 1

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HÉRITAGE, IDENTITÉ ET MODERNITÉ EN AFRIQUE :

ENTRE OUBLI ET REDÉCOUVERTE DU PATRIMOINE

HISTORIQUE.

Études de l'identité, Évolution des Usages et de la gestion du patrimoine : Cas du plateau, Dakar, Sénégal.

Fatimatou Diallo

Sous l’encadrement de : Anne-Sophie GODOT, Docteur es histoire de l'art, spécialité architecture contemporaine

École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles

Remerciements

Ce travail de recherche n’aurait pas été possible sans le soutien et l’accompagnement précieux de nombreuses personnes à qui je souhaite exprimer ma profonde gratitude.

Tout d’abord, mes sincères remerciements à Madame AnneSophie Godot, mon encadrante, pour son écoute, ses conseils avisés et son exigence bienveillante qui m’ont permis d’avancer avec rigueur et persévérance.

Je tiens également à exprimer ma reconnaissance à ma famille, un éternel pilier. À mes parents, qui ont toujours cru en moi et m’ont soutenu sans relâche, à ma famille de Dakar, de Conakry et de Paris, dont l’amour et les encouragements m’ont été d’un grand réconfort. Une pensée particulière pour mes sœurs, mon frère, mes nièces et mes neveux, qui, par leur présence et leur affection, m’ont donné la force de mener ce projet à bien.

Un immense merci à Mariama, Tonton Thierno Mouctar Bah, la koro Nassétou Koné, Kaou Macka Baldé, le Koro FrançoisXavier Ndour pour leur soutien moral, culinaire et leurs précieux échanges. Je n’oublie pas La Safe Fam, L’Atelier 10, Wa Ker Gi pour leur soutien moral, ainsi que toutes les personnes qui ont pris le temps de partager et de répondre à mes formulaires à Dakar. Je souhaite aussi remercier Xavier Ricou et tous ceux qui ont participé à mes recherches à Dakar. Votre aide a été précieuse et a largement contribué à l’enrichissement de cette recherche.

Enfin, à toutes celles et ceux qui, de près ou de loin, ont participé à cette aventure et m’ont offert leur soutien, merci du fond du cœur. Ce mémoire est aussi le fruit de votre générosité et de votre bienveillance.

Avec toute ma gratitude,

Fatimatou DIALLO

Sommaire

Avant-propos ..........................................................................................7

I. État des Lieux du Patrimoine et de Ses Usages 13

1. Origines et naissance du patrimoine de Dakar 13

2. Histoire, Identité et Styles architecturaux des Bâtiments Patrimoniaux de Dakar .......................................................19

3. Évolution et valorisation du Patrimoine 21

II. Évolution des Usages du Patrimoine 22

1. Transformation des Usages à Travers le Temps 24

A. L'hôtel de Ville .............................................................................24

B. La Chambre de commerce .............................................30

2. Transformation des usages à travers l’accessibilité 35

A. Hôpital principal de Dakar 1882,....................................35

B. Gare de Dakar 1914 39

3. Fréquentation et Impact Social 43

A. L’Immeuble Maginot & l’immeuble des allumettes 45

B. L'hôtel des Indépendance 1973 50

4. Impact Économique et Touristique des Usages Actuels 54

A. Cathédrale Souvenir africain ......................................... 54

5. Études de Cas des Bâtiments Patrimoniaux à Dakar 58

A. L’ancien palais de Justice, un patrimoine qui a su s’adapter à son évolution 58

1) Transformation des Usages à Travers le Temps 62

2) Fréquentation, Impact Social et Accessibilité 65 3) Impact Économique et Touristique des Usages Actuels 70

III. Perspectives de Préservation et de Valorisation du Patrimoine ......................................................................................................... 79

1. Enjeux Sociaux, Culturels et Économiques de la Préservation ....................................................................................................... 80

2. Stratégies et Propositions pour une Valorisation Durable 82

Avant-propos

Porteuse d’identités plurielles, écrire sur le patrimoine m’est apparue comme une évidence. Sénégalaise et Guinéenne, étudiante en architecture à Versailles, globe trotteuse, autant de mouvements, autant de questionnements, autant d'itinéraires qui laissent place à la réflexion, à la comparaison et surtout à une prise de conscience.

Pallier l’absence de matière littéraire sur le patrimoine bâti historique en Afrique de l’Ouest, notamment au Sénégal et en Guinée était la seconde motivation qui m’a orientée vers ce sujet. Ce silence se reflète aussi bien dans le quotidien que dans la production architecturale contemporaine.

C’est donc au regard de ce qui précède que ma sensibilité au sujet du patrimoine, aux questions de l’identité architecturale et culturelle, est née.

C’est en prenant conscience de cette réalité que mon intérêt pour le patrimoine, l’identité architecturale et culturelle s’est renforcée. Ce domaine, encore peu exploré, mérite d’être investi par des chercheurs et des auteurs. Ce mémoire s’inscrit dans cette démarche en s’intéressant au patrimoine architectural du Plateau de Dakar, depuis l’arrivée des Européens sur la presqu’île du Cap-Vert jusqu’à leur départ au moment des indépendances.

Avant d’entrer dans cette étude, il me semble essentiel de rappeler la richesse de l’histoire qui précède cette période. Peu documentée ou souvent présentée de manière fragmentaire, l’histoire des empires, des peuples, des ethnies et des figures marquantes de l’Afrique de l’Ouest et du Sénégal en particulier mérite d’être reconnue. Comme l’ont montré des penseurs et historiens tels que Joseph Ki-

Zerbo, Cheikh Anta Diop et Djibril Tamsir Niane, cette histoire est dense et constitue un véritable corpus à explorer, à retranscrire et à redécouvrir.

Ce travail représente ainsi une première étape, une recherche méthodologique qui, au fil du temps, pourra être enrichie et élargie. Il participe aussi à l’effort de vulgarisation du patrimoine, un domaine où il est essentiel de s’engager.

En espérant que cette modeste contribution s’inscrive dans la continuité de la transmission de l’histoire du Sénégal, de son patrimoine, des pays voisins et de toute nation engagée dans la préservation et la valorisation de son héritage pour le transmettre à son peuple et au monde

Dakar, est le théâtre d’importantes opérations immobilières, le constat que l’on fait en se promenant dans la capitale est sans appel : la rénovation, la restauration et la réhabilitation de bon nombre d'édifices. Ces opérations se généralisent et touchent tous les types de bâtiments au point de ne pas épargner le patrimoine historique de cette ville. Ces initiatives s'inscrivent dans des contextes variés.

De profondes transformations du Plateau se laissent voir lorsqu’on se promène dans le centre-ville. L’image familière de cet espace urbain a changé, notamment avec la restructuration du marché Sandaga, dont la silhouette emblématique a disparu. Cette mutation progressive s’accompagne de nombreux chantiers qui illustrent l’ampleur de ces évolutions.

La question de savoir dans quelle mesure les projets de réhabilitation prennent en compte les identités architecturales et les matériaux d’origine des bâtiments historiques s’est naturellement posée. Il s’en est suivi une recherche pour définir la zone géographique qui servira d’échantillon à notre étude du fait de la concentration de bâtiments patrimoniaux. Cette recherche nous a mené vers la zone du plateau de Dakar 1

La zone du Plateau devient ainsi le terrain d’étude de ce mémoire, par sa richesse architecturale et les faits historiques qui l’ont traversé Elle est le réceptacle d’une superposition de récits : première grille d’urbanisation du Sénégal, ancienne capitale de l’AOF 2, centre d’affaire actuel du Sénégal. Témoin de tout ce vécu, la zone du plateau est naturellement traversée par plusieurs courants,

époques et styles architecturaux, et constitue un véritable réservoir d’édifices témoignant de l’histoire du pays.

Dans le cadre d’un travail de mémoire, cette richesse peut rapidement devenir source d’embarras. En effet, l’hétérogénéité du Plateau rend nécessaire une sélection ciblée des architectures à étudier. Cette sélection vise à offrir un aperçu représentatif de la richesse patrimoniale tout en permettant une enquête approfondie et méthodique.

Il était également nécessaire pour les besoins du présent travail de se consacrer à une recherche bibliographique et iconographique sur Dakar et le Plateau. Cette étape, bien que fondamentale, n’a pas été simple : les archives sur le patrimoine bâti sénégalais restent fragmentaires, parfois inaccessibles ou insuffisamment exploitées.

Il est étonnant de constater qu’il existe peu de ressources écrites conceptualisées sur le patrimoine architectural colonial au Sénégal. Alain Sinou souligne que cette absence de production bibliographique pourrait être liée à une proximité temporelle avec la période coloniale elle-même. La colonisation, encore présente dans les mémoires, n’a pas encore donné lieu à une véritable historicisation dans les écrits, laissant un vide dans la documentation et l’analyse. 3

1 Centre-ville de Dakar.

2Afrique Occidentale Française est le territoire administratif qu’occupaient les colonies Ouest africaines de la France

3 SINOU Alain. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal

Cette difficulté se double d’un manque de ressources iconographiques cohérentes et centralisées. La recherche devient alors un exercice de patience et de recoupement, où chaque document, chaque photographie ou témoignage doit être interprété comme une pièce d’un puzzle dans un ensemble plus vaste. Ce constat met en lumière la nécessité urgente de structurer une approche académique et systématique pour explorer, préserver et diffuser la connaissance de ce patrimoine souvent invisibilisé.

Aujourd’hui, la préservation des bâtiments patrimoniaux de Dakar est un enjeu crucial. Si certains lieux, comme l’île de Gorée, sont protégés par leur inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, d’autres, comme le marché Sandaga ou la gare de Dakar, sont menacés par l’urbanisation rapide et les transformations contemporaines. Ce contexte soulève une problématique essentielle :

Comment les bâtiments patrimoniaux de Dakar, témoins de son histoire coloniale, évoluent-ils dans un contexte urbain en mutation, entre préservation de leur identité historique et adaptation aux besoins contemporains ?

Pour répondre à cette question, ce mémoire s’articulera autour de trois axes principaux :

D'abord, un état des lieux du patrimoine et de ses usages, avec une exploration des perceptions locales et des enjeux universels liés à ces édifices.

Ensuite, une analyse de l’évolution des usages à travers une étude de cas sur l’ancien Palais de Justice.

Enfin, une exploration des stratégies de préservation et de valorisation, en proposant des solutions durables et en comparant les expériences locales et internationales.

Une approche méthodologique diversifiée sera mise en œuvre, prenant en compte le fait que la recherche est réalisée depuis la France. Une analyse documentaire

approfondie permettra d’examiner les sources historiques et contemporaines liées au patrimoine bâti de Dakar, en s’appuyant sur l’étude des plans architecturaux, des photographies d’archives et des ressources accessibles en ligne ou via des institutions locales.

Des enquêtes de terrain, appuyées par des collaborations avec des contacts locaux, qui fourniront des observations sur place, des relevés, et des documents visuels. Parallèlement, des sondages et des entretiens à distance avec des acteurs clés (architectes et habitants) permettront de recueillir des données qualitatives sur les perceptions et usages du patrimoine.

Enfin, une analyse comparative avec d’autres villes africaines ou internationales enrichira la réflexion, en identifiant des stratégies de préservation et d’adaptation pertinentes pour Dakar. Cette méthodologie combinera diverses sources et perspectives pour répondre de manière rigoureuse aux objectifs de recherche.

Ce mémoire ambitionne donc non seulement de contribuer à la réflexion sur le patrimoine historique du Plateau de Dakar, mais aussi de proposer un regard nouveau. Il est aussi un exercice de redécouverte personnelle des patrimoines historiques, une contribution à l’élargissement et à la vulgarisation de ce discours.

Destruction du Marché Sandag, Source : Annie Jouga

I. État des Lieux du Patrimoine

et de Ses Usages

Le patrimoine se définit comme un bien hérité des ascendants. Il englobe aussi l'ensemble des biens, publics ou privés, qui présentent un intérêt artistique, esthétique, historique, scientifique ou technique 4. L’idée de patrimoine se vit de plusieurs manières, particulièrement dans les pays qui ont eu à traverser une époque coloniale au cours de leur histoire. On peut citer le patrimoine comme témoin de l’existence d’une première histoire, témoignage de l’histoire coloniale, témoin de la lutte pour l’indépendance et également renouvellement d’une histoire oubliée.

Le patrimoine colonial est souvent perçu comme une simple reproduction des modèles occidentaux. “La proximité de cette colonisation, qui n’a pris fin que vers 1960, est un des éléments qui explique le faible nombre d’études consacrées à cette question…en matière d’architecture et d’urbanisme, les opérations exécutées dans les colonies ont longtemps été considérées comme de simples reproductions de celles réalisées en Occident. Ce caractère supposé leur enlevait souvent tout intérêt…” 5

Celui-ci se voit évoluer et est considéré aujourd’hui comme de la matière qui peut se réinterpréter 6 mais également comme un élément essentiel de la mémoire collective, à la fois matériel et immatériel. Il ne se limite pas aux bâtiments historiques mais inclut également les valeurs et les récits qui leur sont associés. 7

Il est important, pour déceler ce qui précède, de présenter le cadre qui a donné naissance au patrimoine auquel nous faisons référence. En effet, il est important de préciser pourquoi le patrimoine de la zone du plateau est indissociable de la question coloniale. Pour cela il est impératif de replonger aux origines de l’urbanisation et de la naissance du patrimoine coloniale de Dakar.

1. Origines et naissance du patrimoine de Dakar

Dakar, aujourd’hui capitale dynamique du Sénégal, est le fruit d’une histoire complexe où se sont mêlées ambitions politiques, traditions locales et transformations modernes. Cette ville, qui donne sur l’Atlantique, n’a pas toujours été un centre politique, économique et culturel. Son développement est profondément lié aux comptoirs coloniaux, ainsi qu’aux stratégies économiques et militaires, qui ont marqué son urbanisme, ce qui implique que le patrimoine de Dakar soit riche, jeune et métissé. Cela est perceptible car lorsqu’on porte un regard attentif à l’urbanisme de la ville, plusieurs couches se laissent voir. Jean Jaurès dans Dakar, métamorphose d’une capitale, illustre comment la capitale sénégalaise, âgée de seulement 167 ans en 2024, s'est développée en strates. “ Sur chacune d'entre elles on peut lire les différentes composantes de son histoire, depuis les villages traditionnels Lebu 8, toujours résilients, même si leur morphologie a beaucoup évolué, jusqu'aux immeubles contemporains au style international et anonyme, en passant par les bâtisses de l'époque coloniale.”

4 Source : Wikipédia

5 SINOU Alain. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal

6 Lors d’une interview entre Mamy Tall et Nzinga Biegue Mboup, tenue au centre culturel français du Sénégal

7 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar

8 Ethnie sénégalaise

Plus généralement, l’urbanisation du Sénégal trouve ses racines dans l’établissement des comptoirs coloniaux 9 En effet, outre Dakar, d’autres villes ont été le siège de l’établissement des comptoirs. Saint-Louis, fondée en 1659, était un comptoir stratégique pour le commerce, notamment celui de la gomme arabique et des esclaves. Située sur une langue de terre entre le fleuve Sénégal et –l’océan Atlantique, elle illustre l’organisation spatiale des ambitions économiques et stratégiques coloniales. Gorée, en revanche, bien que plus petite et insulaire, joua un rôle essentiel dans le commerce transatlantique. Comme l’explique Alain Sinou, « Gorée, bien que limitée dans son expansion, est restée un symbole du commerce colonial et des mémoires partagées » (Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, p. 83).

"J'ai profité, pour faire acte de prise de possession, du jour du Ramadan qui est pour la population indigène de la presqu'île la plus grande fête de l'année. J'avais donné aux principaux chefs un pavillon qu'ils ont arboré sur leurs cases, de sorte que les coups de fusil, les danses, les habits

Je suis heureux de vous annoncer qu’aujourd’hui, 25 mai 1857, j’ai pris possession au nom de la France, du territoire de Dakar, en abordant le pavillon français sur le fort que nous venons d’y construire et qu’ainsi je dégage notre commerce des droits et péages qui lui étaient imposés par nos traités avec les anciens chefs du pays. Bientôt les alignements ressortant d’un plan de ville à Dakar, préparés par les soins du capitaine du génie en chef seront soumis au conseil d’administration [de Gorée] et à l’approbation de son excellence M. l’Amiral, Ministre de la Marine et des

9 SINOU Alain. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal

10 Discours Capitaine Protet, commandant de Gorée

11 Officier de marine et administrateur colonial français

colonies, et seront tracés, afin de faciliter la régularité des constructions et engager de nouvelles acquisitions de terrains.” 10

Les ambitions coloniales s’étendaient bien au-delà de ces premiers sites. En 1857, sous l’impulsion du général Auguste Protet 11, l’aménagement de la presqu'île de Dakar débuta, marquant une nouvelle étape du processus de colonisation.

Dakar est donc l'héritière d'un développement profondément marqué et impulsé par la colonisation. Comme le souligne Alain Sinou dans Comptoir et villes coloniales du Sénégal, “La fédération de l'Afrique Occidentale Française, l'AOF 12, fondée en 1895, sera dirigée depuis Dakar. Le Sénégal en sera la colonie la plus développée et ses villes bénéficieront d'importants investissements publics mais les investissements privés resteront limités.” Cette réalité a façonné le patrimoine urbain et architectural de la ville. On comprend pourquoi un bâtiment comme la gare de Dakar, dont l’inauguration remonte à 1885 13, renforça son rôle stratégique en facilitant l’exportation de l’arachide, un produit central pour l’économie coloniale. Marquent Dakar Alain Sinou 14, dans Comptoir et villes coloniales du Sénégal à la page 168, explique : “Il faudra attendre la fin des années 1870 pour qu'un projet de colonisation territoriale soit engagé sur l'ensemble de l'Afrique noire. Au Sénégal, le gouverneur Brière de l'Isle 15 en sera un des principaux acteurs.

12 Afrique Occidentale Française est le territoire administratif qu’occupaient les colonies Ouest africaines de la France

13 RICOU Xavier. La Gare de Dakar

15 Gouverneur de Dakar entre 1876 à 1881

Trame Urbaine de Dakar, Xavier Ricou, Carole Diop

Si ce projet reprend les grandes lignes de celui de Faidherbe 16, sa réalisation est due à l'évolution des mentalités coloniales. Au Sénégal, les négociants européens, après avoir longtemps hésité, prennent définitivement parti pour une expansion territoriale. En France, ils sont relayés par les maisons de commerce des ports coloniaux, Bordeaux et Marseille, et par les militaires qui veulent concurrencer l'Angleterre dans ce domaine et qui souhaitent aussi redorer leur blason après les défaites qu'ils viennent de subir (Girardet, 1962).”

Il convient à présent, de préciser notre exposé en parlant du quartier de Dakar sur lequel porte notre recherche : le plateau. 17

La zone du plateau

Le Plateau est un quartier situé en hauteur par rapport au port. Sinou décrit dans le même ouvrage cité précédemment le schéma par lequel l’essentiel des villes coloniales en Afrique de l’ouest se sont urbanisées au début du XXe siècle, “l'administration de l'AOF 18 qui s'installe dans sa nouvelle capitale délaisse le premier lotissement situé en bordure du port et choisit une zone plus élevée dans son prolongement ouest, qu'elle lotit et désigne du nom de plateau, appellation qui qualifiera plus tard ce type de quartier dans toutes les villes coloniales françaises d'Afrique noire.” Ce choix a non seulement des implications urbanistiques mais aussi symboliques, le Plateau devenant un idéal de la pensée coloniale avec une dimension élitiste claire. D’ailleurs en 1902, Dakar devint la capitale de l’AfriqueOccidentale française (AOF), consolidant son rôle de centre administratif et économique. Le quartier du Plateau, réservé

aux Européens, reflétait les ambitions hygiénistes et organisationnelles de l’administration coloniale. « La localisation du quartier européen obéissait à des principes hygiénistes et symboliques, cherchant à marquer la supériorité coloniale » (Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, p. 125). Ce développement historique a laissé une empreinte tangible dans le paysage urbain de Dakar, particulièrement dans les bâtiments du Plateau, qui incarnent les ambitions et les tensions de l’époque coloniale.

L'aménagement du Plateau par la suite a suivi un plan plus élaboré que le premier lotissement de Dakar. Sinou l’explique en ces termes : “Contrairement au premier lotissement de Dakar, organisé selon une trame orthogonale rigoureuse, le nouveau lotissement s'organise à partir d'un plan centré sur plusieurs places rondes d'où partent en étoile des avenues. Les lots y sont de formes et de tailles différentes, et la voirie y est hiérarchisée.” Ces choix reflètent les principes d'urbanisme de l'époque, appliqués aussi bien par les Français dans d'autres métropoles coloniales que par d'autres puissances coloniales en Afrique.

Le Plateau, en tant que zone administrative et économique, continue de refléter cette pensée élitiste, attirant une population instruite et influente. Cette zone est également un lieu où le génie militaire a joué un rôle crucial dans la diffusion des savoirs, selon Sinou, “La diffusion des savoirs, à des époques où l'information emprunte la voie des mers, s'explique par l'existence pendant trois siècles d'acteurs dominants en termes d'aménagement les ingénieurs du Génie militaire.” 19

16 Gouverneur de Dakar entre 1851 à 1865

17 Centre-ville de Dakar

18Afrique Occidentale Française est le territoire administratif qu’occupaient les colonies Ouest africaines de la France

19 SINOU Alain. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal

Dakar Plateau, Vincent Michéa

2. Histoire, Identité et Styles

architecturaux des Bâtiments

Patrimoniaux de Dakar

Le Plateau, comme dit précédemment, incarne les ambitions architecturales et sociales de l’époque coloniale. Ce quartier, conçu pour organiser un espace urbain fonctionnel et ségrégué, abritait des infrastructures administratives, des résidences coloniales et des bâtiments publics emblématiques. Ces bâtiments du fait de leur époque, leurs matériaux et leur destination présentent des styles souvent différents. Les styles architecturaux à Dakar incluent le néoclassique, le néo-régionaliste, le néobasque, et l'orientalisme, né après l'exposition de Paris 20. Après l'indépendance, des styles comme le modernisme africain qui s'inspire des motifs et du climat locaux, le brutalisme, le régionalisme critique, et aujourd'hui le style international prédominent. Ces styles reflètent les réalités contemporaines auxquelles ils s'adaptent, y compris les défis du changement climatique. Les bâtiments du Plateau ne se contentent pas de témoigner d'une époque, ils reflètent aussi un dialogue architectural complexe entre les modèles européens importés et les savoir-faire locaux. Les colons ont introduit des éléments comme les arcades et les balcons en fer forgé, tout en s’appuyant sur des matériaux locaux tels que la pierre de Rufisque et les briques artisanales. La gare de Dakar, avec ses lignes symétriques et ses matériaux solides, en est un exemple frappant. Comme le souligne Alain Sinou, « l’architecture coloniale de Dakar est un exemple fascinant de l’interaction entre les techniques importées et les savoir-faire locaux » (Comptoirs et villes coloniales du Sénégal, p. 173).

La gare de Dakar n’est pas le seul bâtiment que l’on peut citer. Il existe une multitude d’autres édifices que les besoins du présent travail ne nous permettent pas d’exposer de manière exhaustive. Toutefois, nous pouvons citer par exemple l’Hôtel de ville. Inauguré en 1914, l’hôtel de ville illustre la transition entre le pouvoir colonial et l’administration postindépendance. Dans, L’Hôtel de Ville de Dakar, « ce bâtiment conçu pour l’élite coloniale est devenu un espace pour la gouvernance nationale » 21 . Nous pouvons citer aussi le marché Sandaga qui est aussi un exemple emblématique, construit entre 1933 et 1935 dans un style néo-soudanais mélangé à l'art déco. Le marché Sandaga, était à l’origine un lieu de commerce mixte pour les populations locales, européennes et de la sous-région. Après des décennies de dégradation, il est aujourd’hui un symbole des défis liés à la préservation du patrimoine. D’ailleurs “Le marché Sandaga était le marché africain de la ville, par opposition au marché Kermel, qui était le marché européen.” Ce bâtiment, au cœur des échanges économiques, fut détruit en 2021. Cette destruction symbolise les tensions entre conservation et modernisation. Parlant du Marché Kermel, ce dernier témoigne aussi d’une certaine hybridation du fait des composants importés de France et qui ont été adaptés aux réalités climatiques et culturelles locales. Ces bâtiments témoignent d’une identité complexe, marquée par l’histoire et la diversité. Ils soulignent aussi les défis liés à leur préservation dans un contexte où l’urbanisation rapide exerce une pression croissante.

20 SEIGNOT Alexis. Architecture coloniale française : Dakar, capitale de l'A.O.F. (1902-1958). Mémoire de Master

21 RICOU Xavier. L’Hôtel de Ville de Dakar. Dakar : Eiffage-Sénégal, 2021, p. 28. ISBN : 978-2-9579411-0-0

Illustration du Marché Kermel, Guillaume Ramillien

Enfin, des bâtiments comme la Chambre de commerce, en cours de restauration, illustrent la volonté de conserver ce patrimoine tout en l’adaptant aux besoins modernes.

Le métissage architectural de Dakar, enrichi au fil des décennies, témoigne ainsi de son identité complexe et diversifiée. La politique de métissage culturel de Senghor 22 , décrite comme “un idéal de civilisation” dans Dakar, métamorphose d’une capitale par Jean Jaurès, continue d'influencer la perception du patrimoine. Jaurès précise, “Dans ces années foisonnantes, la jeune république du Sénégal avait à peine passé le cap de la décennie. Le président Senghor tenait solidement les rênes du pouvoir et tentait de promouvoir ce qu'il appelait la ‘civilisation de l'universel’ ; une sorte de nouvel ordre mondial auquel il croyait fermement, consistant à considérer le métissage culturel comme un idéal de civilisation.”

3. Évolution et valorisation du Patrimoine

Il est possible de distinguer plusieurs phases dans l’évolution de patrimoine et la gestion qui en est faite. En effet, les dernières décennies du colonialisme ont vu naître une variété de styles architecturaux essayant de s’intégrer tant bien que mal au milieu culturel. Nous pouvons citer par exemple l’architecture qu’on qualifie de néo-soudanaise.

Après l’apparition du style néo-soudanais, et avec l'avènement de l'indépendance en 1960, la pensée senghorienne a eu un écho dans les consciences. Celle-ci portait le nom de “le parallélisme asymétrique,”. Il s’en est

suivi le style communément appelé “modernisme africain”. Les deux styles se matérialisent à travers les hautes tours du plateau.

Ce patrimoine, aujourd'hui menacé et négligé contre tout bon sens, s'oppose à une boulimie foncière qui entraîne sa disparition au motif de la nécessité de construire.

Depuis les années 2000, la spéculation foncière l'emporte sur la conservation de l'âme et de l'esprit patrimonial à tel point qu’il est légitime de se demander si ces patrimoines sont estimés à leur juste valeur ? Dakar, métamorphose d’une capitale, page 229, illustre ce phénomène : “Mais aussi admirable soit-il, tout le patrimoine architectural de la capitale est à présent menacé par la boulimie foncière déployée par les promoteurs immobiliers. Entre 2020 et 2023, sept bâtiments furent déclassés afin d'être ensuite démolis. On se souvient avec tristesse des démolitions de l'immeuble Brière-de-l'Isle en 2020, du marché Sandaga en 2021, de l'ancien bureau d'études de l'architecte Henri Chomette ou de la maternité de l'hôpital Le Dantec en 2022, qui sont des preuves éclatantes de la fragilité du dispositif de protection.”

Il est important de souligner que ces changements et cette négligence ne sont pas le résultat d’une quête de profit simple. Des éléments ont constitué un terreau fertile à ce phénomène. En effet, les mentalités étaient déjà bousculées par les modes de vies ainsi que l’atteste ce passage :

“Les rythmes de développement post-indépendance ont également entraîné une perte mémorielle et architecturale. Le choc entre ces rythmes de développement a souvent conduit à une dégradation ou à une disparition

22 Premier président Sénégalais

pure et simple des patrimoines coloniaux, créant une rupture dans la continuité historique et architecturale de ces villes.” 23

Face à cette riche histoire, les Dakarois d'aujourd'hui sont amenés à réfléchir à leur attachement à ce patrimoine. Les sentiments qu'ils entretiennent peuvent influencer l'usage actuel des bâtiments. Dans une ville en constante évolution et croissance, la conservation de ce patrimoine devient un défi urgent et nécessaire. Cette situation soulève des questions cruciales sur la manière dont le patrimoine est perçu et utilisé, et sur les implications de ces usages pour son avenir.

Quel est l’impact de l’usage sur les décisions prises quant au destin de ces édifices ? Les autorités prennent-elles en considération les réclamations ?

Les populations sont-elles assez sensibilisées à ces questions de conservation patrimoniales ?

Nous essaierons pour la suite de notre travail, d'étudier l’évolution de ces architectures à travers le spectre de l'usage.

II. Évolution des Usages du

Patrimoine

Après avoir défini ce que représente le patrimoine de Dakar, il est essentiel d’en examiner l’évolution afin de mieux comprendre les dynamiques qui ont façonné la ville. Ainsi, l’architecture étudiée couvre une période allant de 1848 à 1960 et illustre la diversité des styles ainsi que les transformations successives du paysage urbain.

Dans un premier temps, Dakar se structure progressivement en tant que ville nouvelle au sein de l’AOF 24

23 Alain Sinou dans Comptoir et villes coloniales du Sénégal

En effet, l’installation coloniale entraîne la construction de forts militaires destinés à sécuriser les infrastructures et à asseoir la domination française. Parallèlement, à mesure que la ville s’étend, une trame urbaine plus organisée se met en place, jetant les bases de la ville moderne et intégrant des influences culturelles diverses.

Dans cette dynamique, plusieurs édifices emblématiques émergent, tels que l’hôtel de ville, l’hôpital principal, la gare de Dakar, la chambre de commerce et la cathédrale du Souvenir africain. Ces bâtiments, construits à différentes époques, témoignent d’une transition progressive du style colonial vers des influences plus locales et modernes. À titre d’exemple, la Chambre de commerce incarne le prestige du pouvoir colonial, tandis que le marché Sandaga traduit une tentative d’intégration de références architecturales africaines.

A partir des années soixante, les revendications d’indépendance entraînent une rupture stylistique avec l’émergence du brutalisme, caractérisé par l’usage du béton et des formes massives. Cette transition est particulièrement visible dans l’immeuble Maginot et l’immeuble des Allumettes. En parallèle, certains bâtiments patrimoniaux connaissent des réhabilitations majeures, comme la gare de Dakar, transformée en espace culturel avant d’être adaptée au projet du Train Express Régional (TER). De même, l’ancien palais de justice, après des années d’abandon, a été reconverti en un lieu accueillant des événements internationaux, illustrant ainsi une approche innovante de la préservation du patrimoine.

Ces transformations ne concernent pas uniquement l’esthétique des édifices, mais aussi leur usage. En effet, les fonctions initiales de nombreux bâtiments ont évolué avec le

24 Afrique Occidentale Française est le territoire administratif qu’occupaient les colonies Ouest africaines de la France

temps, en réponse aux nouvelles exigences économiques, sociales et urbaines. À cet égard, la démolition du marché Sandaga en 2021, malgré son statut patrimonial, illustre les tensions entre conservation et adaptation aux réalités contemporaines.

Dans cette optique, cette recherche analysera l’esthétique et la fonctionnalité de ces édifices ainsi que leur interaction avec les usagers. Il s’en suivra une comparaison avec des bâtiments similaires dans d’autres régions afin d’inscrire le patrimoine architectural de Dakar dans un cadre plus large et d’apprécier ses spécificités.

L’usage d’un bâtiment repose sur plusieurs facteurs, notamment son architecture, son contexte politique, son confort et son accessibilité, qui influencent la manière dont il est perçu et utilisé. Ainsi, l’étude se concentre sur un ensemble de bâtiments situés sur le Plateau de Dakar : l’hôtel de ville, l’hôpital principal, la gare, la chambre de commerce, la cathédrale du Souvenir africain, l’immeuble Maginot, l’immeuble des Allumettes et l’ancien palais de justice. Ces édifices, profondément ancrés dans le contexte historique et culturel de Dakar, témoignent de différentes époques et d’usage qui ont évolué au fil du temps.

Enfin, l’objectif est d’examiner le contexte de leur création, les besoins spécifiques ayant conduit à leur construction et leur impact sur l’environnement urbain. Il s’agit également d’analyser comment leur usage initial a influencé leur conservation et quelles transformations ont été ou seront nécessaires pour les adapter aux réalités contemporaines.

Dans cette perspective, il est pertinent de commencer par l’étude des bâtiments administratifs, en particulier l’hôtel de ville et la chambre de commerce, dont l’évolution des usages reflète les transformations institutionnelles et économiques de Dakar.

1. Transformation des Usages à Travers le

Temps

L’analyse de l’évolution du patrimoine architectural de Dakar ne saurait être complète sans une étude approfondie de la transformation des usages des bâtiments emblématiques de la ville. En effet, au-delà de leur dimension esthétique et historique, comment ces édifices ont-ils vu leurs fonctions évoluer en réponse aux mutations politiques, économiques et sociales ? Parmi eux, les bâtiments administratifs occupent une place centrale, car ils incarnent à la fois le pouvoir colonial et les nouvelles dynamiques de gouvernance post-indépendance.

Pour les besoins de ce travail, nous considérerons la transformation des usages de l’Hôtel de Ville et de la chambre de commerce comme échantillon pour comprendre l’évolution institutionnelle et économique de Dakar ? Ces édifices, initialement conçus pour symboliser l’autorité coloniale et faciliter la gestion des affaires publiques et commerciales, ont-ils été progressivement réinvestis et adaptés aux exigences d’un État indépendant ? À travers leur transformation, que révèle la réappropriation des espaces du pouvoir et quelle place ces bâtiments occupent-ils aujourd’hui dans le paysage urbain et institutionnel de Dakar ?

C’est à ces questions que nous tenterons de répondre à travers l’étude de leur évolution, de leur adaptation aux nouveaux contextes et des enjeux qu’ils soulèvent aujourd’hui.

A. L'hôtel de Ville

À l'origine, l’actuel Hôtel de Ville de Dakar occupait l’emplacement de la maison des Pères de Saint-Pierre, une mission catholique fondée à la fin du XIXe siècle. Ce choix de localisation n’est pas anodin : il témoigne des ambitions urbanistiques et administratives de la ville en pleine expansion.

La nécessité d’un bâtiment administratif se fait sentir à partir de 1887, année où Dakar devient indépendante de Gorée 25 et doit se doter de ses propres services communaux. Comme l’explique Xavier Ricou, la loi de 1884 imposait aux municipalités de disposer d’un bâtiment officiel, rendant l’ancienne mission catholique un site stratégique. « Lorsqu’en 1887 Dakar prit son indépendance par rapport à Gorée, la question de l’hébergement des services de la Commune dut se poser. La loi de 1884 [...] les obligeait à se doter d’un bâtiment spécifique. L’immeuble de la Mission catholique fut ciblé » 26

Cependant, ce premier édifice se révèle rapidement inadapté aux besoins administratifs croissants. En 1910, sous la gouvernance coloniale et l'impulsion du maire M. Marsa 27 , la décision est prise d’ériger un nouvel Hôtel de Ville, mieux adapté aux exigences d’une capitale en plein essor. Ce projet, financé à hauteur de 410 000 francs, ne se limite pas à une simple restructuration : il vise également à asseoir le pouvoir colonial en Afrique de l’Ouest.

Toutefois, ce n’est qu’en 1909, après le déménagement de la gendarmerie, que la construction peut être envisagée sur le site libéré. « Il fallut attendre 1909 et le déménagement de la gendarmerie [...] pour que la décision

25 Île sénégalaise d’où partais les esclaves vers le continent américain

26 RICOU Xavier. L’Hôtel de Ville de Dakar

27 Ancien Maire de Dakar Mr Marsa

soit prise de construire un nouvel hôtel de ville à l’emplacement de l’ancienne mission catholique » 28

Les travaux s’achèvent en 1914 et le bâtiment est inauguré le 18 mai par le maire Emile Masson, marquant une étape clé dans l’administration de Dakar avant la Première Guerre mondiale. Dès lors, il devient un élément central du paysage institutionnel de la ville. Selon Xavier Ricou, « Il représente un symbole de l’autorité et de l’ordre colonial » 29 , tout en incarnant le prestige du pouvoir en place. Bien que son rôle ait évolué avec le temps, il demeure un lieu stratégique dans la gestion de la ville, illustrant l’adaptation des bâtiments historiques aux réalités contemporaines tout en conservant leur importance symbolique.

D’un point de vue architectural, l’Hôtel de Ville reflète les influences de la Troisième République française. Son style néo-classique, inspiré de l’Antiquité gréco-romaine, se caractérise par l’usage de colonnes, de frontons et de proportions harmonieuses, affirmant ainsi l’autorité coloniale. « Ce bâtiment, dont le style Troisième République détonne dans l’environnement dakarois, fut construit en 1914, en même temps que la gare » 30. Cette simultanéité traduit une volonté plus large d’affirmation du pouvoir colonial à travers l’urbanisme, positionnant Dakar comme un centre administratif et logistique de l’Afrique-Occidentale française.

L’Hôtel de Ville s’étend sur 1 135 m², avec une structure rectangulaire de 34,40 m sur 29 m, répartie sur trois niveaux. Chaque étage est conçu pour remplir des fonctions spécifiques adaptées aux besoins administratifs et protocolaires.

Le rez-de-chaussée, dédié aux services municipaux, comprend plusieurs bureaux, une salle de réunion et un bloc sanitaire, ainsi que des vérandas, un vestibule et un couloir central desservant onze pièces destinées à l’état civil, à l’urbanisme et au cadastre.

L’accès au premier étage se fait par un large escalier menant à la salle des délibérations, un espace majestueux chargé d’histoire. Un triptyque d’Henri Félix Caillon 31 représentant des scènes de pêche des Mamelles, confère une dimension artistique à son usage administratif. Outre les réunions officielles, cet étage accueille également des mariages et diverses cérémonies municipales, renforçant son rôle symbolique au sein de la ville.

Enfin, le deuxième étage, souvent désigné comme le « grenier », est consacré à la conservation des documents et du savoir administratif. Il abrite les archives, une bibliothèque et plusieurs bureaux supplémentaires, témoignant de l’importance du classement et de la gestion des ressources municipales.

Pour marquer sa singularité architecturale, une couverture en ardoise grise, surmontée d’un campanile, est installée sur l’édifice, alors que la plupart des bâtiments de Dakar étaient couverts en tuiles rouges de Marseille. « Afin de mieux le distinguer, on posa, par exemple, sur l’édifice une couverture en ardoise grise, surmontée d’un campanile » 32 Ce choix architectural souligne la volonté d’imposer un modèle inspiré des standards européens, tout en conférant au bâtiment un aspect monumental et distinctif.

28 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar

29 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar

30 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar

31 Artiste exposant à la biennale de Dakar

32 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar

Avec l’indépendance du Sénégal en 1960 33, l’Hôtel de Ville conserve son statut de lieu de pouvoir, mais son rôle évolue. Désormais, il devient un symbole de souveraineté nationale et s’adapte aux nouvelles orientations politiques du pays.

Dans cette perspective, deux restaurations majeures sont entreprises dans les années 1960. En 1963, une première modernisation permet de préserver son caractère historique tout en répondant aux exigences administratives d’un État indépendant. Deux ans plus tard, en 1965, une seconde restauration renforce les infrastructures et adapte les espaces aux nouvelles attentes protocolaires, consolidant son statut emblématique.

Plus récemment, en 2020, une rénovation complète menée par Eiffage marque une nouvelle étape dans l’histoire de l’édifice. Cette restauration dépasse la simple préservation matérielle : elle vise à valoriser le patrimoine tout en intégrant des normes contemporaines. Parallèlement, cette même année, l’Hôtel de Ville est officiellement classé au patrimoine historique de Dakar 34 , affirmant ainsi son importance architecturale et administrative.

À travers ces transformations successives, l’Hôtel de Ville illustre sa capacité d’adaptation aux évolutions politiques et sociales tout en conservant son essence. La restauration de 2020 ne se limite pas à une conservation matérielle : elle réaffirme son rôle symbolique dans l’organisation institutionnelle de Dakar et son ancrage dans la mémoire collective de la ville.

Si l’évolution historique et architecturale de l’Hôtel de Ville permet de comprendre son rôle symbolique et institutionnel, il est tout aussi essentiel d’examiner son

intégration actuelle dans le paysage urbain. À travers une étude menée auprès des habitants, des architectes et des urbanistes, nous analyserons la perception contemporaine de ce bâtiment emblématique, ainsi que les adaptations nécessaires pour répondre aux besoins de la ville tout en conservant son identité patrimoniale.

Cette étude de terrain a pour objectif de mieux comprendre la perception et l’impact social des bâtiments architecturaux étudiés. Elle s’est appuyée sur deux échantillons distincts. D’une part, un groupe de 25 habitants âgés de 18 à 35 ans a été interrogé dont la majorité exerce une activité en tant qu’employé de bureau, étudiant, fonctionnaire ou commerçant. Leur regard a permis d’appréhender la manière dont ces bâtiments sont perçus et utilisés au quotidien par les résidents de Dakar.

D’autre part, les témoignages de 16 personnes issues du domaine de l’architecture ont été recueillis, comprenant à la fois des étudiants et des architectes confirmés avec une expérience de 5 à 15 ans dans le secteur. Leur expertise a permis d’approfondir l’analyse en intégrant des considérations techniques et professionnelles sur l’évolution de ces édifices.

Cette double approche, croisant les perceptions des habitants et les analyses des experts, constitue une base essentielle pour comprendre les dynamiques d’usage et d’évolution de ces bâtiments emblématiques.

33 1960 date d’indépendance du Sénégal

34 Xavier Ricou, L’Hôtel de Ville de Dakar
Photographie Hôtel de Ville, Coll .Général Fortier

Ainsi l’Hôtel de Ville de Dakar bénéficie d’une forte reconnaissance visuelle auprès des habitants : 96 % des personnes interrogées déclarent le connaître. Toutefois, cette familiarité ne s’accompagne pas nécessairement d’une appropriation historique, puisque 92 % admettent ignorer son histoire. Paradoxalement, il demeure un référent patrimonial majeur, 32 % des répondants le considérant comme le bâtiment emblématique du patrimoine dakarois. Cette dissociation entre notoriété et connaissance historique traduit une perception symbolique forte, mais un déficit de transmission mémorielle.

L’évaluation de son fonctionnement institutionnel révèle une certaine indécision parmi les habitants. 52 % des répondants n’émettent pas d’avis tranché sur son usage, tandis que 20 % en sont satisfaits et 28 % jugent nécessaire d’en améliorer l’exploitation. L’idée d’une reconversion partielle suscite néanmoins un intérêt manifeste : 67 % des habitants souhaitent voir l’édifice s’ouvrir à d’autres usages, tels que des musées, des visites historiques ou des journées portes ouvertes. À l’inverse, 29 % restent indifférents à cette évolution fonctionnelle.

Bien qu’ancré dans l’identité visuelle de la ville, le bâtiment souffre d’une faible fréquentation. 76 % des habitants ne s’y sont pas rendus au cours de l’année écoulée, tandis que 24 % l’ont visité entre une et trois fois. Aucun répondant ne dépasse ce seuil de fréquentation. Par ailleurs, 64 % des interrogés déclarent n’y être jamais entrés, contre 28 % qui l’ont visité au moins une fois et 8 % qui fréquentent son extension.

La vocation du lieu semble encore cloisonnée à ses attributions administratives : 17 % des visiteurs s’y rendent pour des démarches officielles et 13 % pour des événements, tandis que 65 % des habitants n’y ont jamais trouvé d’utilité directe.

Les professionnels du bâti, notamment les architectes et étudiants en architecture, livrent une analyse plus technique du patrimoine dakarois. 60 % estiment que les édifices historiques sont mal entretenus, tandis que 14 % jugent leur état très dégradé. Toutefois, l’Hôtel de Ville fait exception à cette tendance : 46 % des experts le considèrent comme l’un des bâtiments les mieux préservés de la ville.

L’adéquation entre l’architecture et les usages des édifices patrimoniaux est perçue de manière nuancée. 54 % des architectes estiment que ces bâtiments remplissent partiellement leur fonction originelle, tandis que 33 % considèrent qu’ils n’y répondent plus du tout. Seuls 14 % estiment que leur usage est resté fidèle à leur vocation initiale.

Concernant l’Hôtel de Ville, la perception est plus favorable : 74 % des répondants estiment que sa conception architecturale demeure adaptée à son usage administratif, tandis que 14 % pensent que cette correspondance a disparu. En revanche, l’évolution fonctionnelle du bâtiment est jugée limitée, seuls 16 % des professionnels estiment qu’il a connu un réel changement d’usage. L’un d’eux compare cette stabilité à celle d’un hôtel, dont la vocation demeure identique malgré des évolutions internes.

Enfin, les interventions architecturales récentes suscitent des réactions contrastées parmi les professionnels. 47 % des experts adoptent une position neutre, tandis que 40 % considèrent ces rénovations positivement. En revanche, 14 % expriment une inquiétude quant à une altération de l’authenticité architecturale du bâtiment.

S’agissant du respect des normes de conservation patrimoniale, les avis restent également divisés : 54 % jugent qu’elles sont partiellement respectées, 40 % estiment qu’elles sont rarement appliquées, et 7 % considèrent qu’elles ne sont jamais respectées. Cette disparité dans les perceptions

souligne la tension entre conservation fidèle et adaptation aux nouvelles exigences urbaines.

Synthèse et enjeux futurs

Ces résultats mettent en évidence plusieurs constats majeurs. D’une part, l’Hôtel de Ville bénéficie d’une reconnaissance patrimoniale forte auprès des habitants, mais celle-ci demeure limitée par un manque de transmission historique et une faible fréquentation. D’autre part, bien que son usage actuel ne suscite pas de rejet, une part significative de la population exprime le souhait d’une ouverture à des fonctions culturelles et touristiques, témoignant ainsi d’une volonté d’appropriation plus large.

Du point de vue des professionnels du patrimoine, l’Hôtel de Ville apparaît comme l’un des édifices les mieux préservés de Dakar, avec une adéquation majoritairement reconnue entre son architecture et son usage. Toutefois, les débats autour des rénovations et du respect des normes patrimoniales montrent que cette perception n’est pas unanime, révélant ainsi une tension entre conservation fidèle et adaptation contemporaine.

Alors que plusieurs édifices historiques dakarois ont subi des transformations profondes, l’Hôtel de Ville s'inscrit dans une continuité fonctionnelle, conservant son rôle institutionnel d’origine. Cependant, l’intérêt croissant pour une ouverture culturelle et son intégration dans un projet patrimonial plus large soulignent une évolution potentielle de son rôle. Ainsi, sans altérer sa vocation administrative, son intégration dans un projet patrimonial plus large pourrait renforcer son rôle en tant que lieu de mémoire et d’échanges culturels, favorisant ainsi une appropriation citoyenne plus marquée."

B. La Chambre de commerce

La Chambre de Commerce de Dakar est un édifice emblématique qui témoigne de l’histoire économique et architecturale du Sénégal. Sa construction commence au début du XXe siècle, dans un contexte de structuration administrative et commerciale accrue suivant la consolidation de l’Afrique-Occidentale Française (AOF 35) en 1899. Cette centralisation accroît l’influence du gouverneur général, qui joue un rôle clé dans les décisions économiques et financières de la colonie.

Dans cette dynamique, la Chambre de Commerce joue un rôle clé dans l’organisation et l’encadrement des échanges commerciaux. Son architecture monumentale traduit cette fonction : de style néoclassique, elle s’inspire des grandes civilisations antiques et se distingue par ses colonnades doriques et corinthiennes, conférant à l’édifice une présence imposante dans le tissu urbain. Comme le souligne A. Sinou, « ce style monumental visait à inscrire durablement la présence européenne dans l’aménagement de Dakar ». Ce choix architectural illustre l’importance donnée aux infrastructures commerciales et administratives de l’époque.

Les premières mentions de la Chambre de Commerce situent sa construction entre 1909 et 1914, bien que les archives ne permettent pas d’en préciser la date exacte. Toutefois, cette incertitude ne remet pas en cause son rôle structurant. Dès son achèvement, l’édifice s’impose comme un pilier du développement économique de Dakar, soutenant l’essor des infrastructures portuaires et des réseaux commerciaux.

Avec l’indépendance du Sénégal en 1960, la fonction du bâtiment évolue progressivement. Initialement conçu pour structurer l’activité commerciale sous l’administration coloniale, il perd peu à peu son rôle stratégique avec la réorganisation des institutions locales. Cependant, il demeure un repère dans le tissu urbain, conservant une forte valeur patrimoniale et historique.

Aujourd’hui encore, il constitue une référence architecturale et économique importante à Dakar, témoignant de l’évolution des infrastructures de la ville.

Si la Chambre de Commerce a su conserver une place dans le paysage urbain et institutionnel de Dakar, son inscription dans la mémoire collective demeure plus incertaine. En effet, au-delà de sa présence physique et de son héritage architectural, se pose la question de sa perception par les habitants et de la transmission de son histoire.

Une Perception Limitée et un Patrimoine Méconnu

Si la Chambre de Commerce est largement reconnue comme un édifice historique, sa mémoire reste en grande partie méconnue. En effet, bien que 100 % des répondants déclarent en connaître l’existence, 76 % en ignorent son passé, soulevant ainsi la question d’une préservation patrimoniale dont l’appropriation par la population est insuffisante

L’enquête met en évidence une fréquentation limitée du site. 80 % des répondants déclarent ne l’avoir jamais visité, tandis que 16 % y sont entrés entre une et trois fois, essentiellement pour des démarches administratives.

Son usage est perçu comme restreint, en raison de son fonctionnement exclusivement institutionnel.

35 Afrique Occidentale Française est le territoire administratif qu’occupaient les colonies Ouest africaines de la France

Contrairement à d’autres édifices historiques qui accueillent régulièrement des événements culturels, la Chambre de Commerce reste en marge de cette dynamique, ce qui limite sa visibilité auprès du public. Le débat sur l’avenir du bâtiment révèle une opposition entre préservation et reconversion. Tandis que 36 % des répondants estiment qu’il

Photographie Chambre de Commerce, Wikipédia

pourrait accueillir des fonctions nouvelles, 16 % préfèrent qu’il conserve son usage actuel, et 48 % ne se prononcent pas.

Ce débat reflète une problématique plus large sur la reconversion des bâtiments historiques, entre préservation de leur vocation initiale et adaptation aux attentes contemporaines. L’intégration de nouvelles fonctions, telles que des visites culturelles ou des expositions, pourrait revitaliser le site et renforcer son ancrage dans l’espace public, tout en préservant son rôle institutionnel.

Face à ces constats, une réflexion plus large s’impose sur la valorisation de ce patrimoine architectural et sur les moyens de renforcer son inscription dans la mémoire collective. Si la Chambre de Commerce est identifiée comme un édifice historique, son faible ancrage dans la vie urbaine et son manque de transmission culturelle posent la question de sa réinterprétation à travers de nouveaux usages.

Une Réflexion sur la Valorisation du Patrimoine

Malgré son importance architecturale et historique, la Chambre de Commerce peine à s’imposer comme un espace vivant et intégré au tissu culturel de Dakar. Le fait que 68 % des habitants ne la fréquentent jamais témoigne de son manque d’ancrage dans la mémoire collective. Une réaffectation à des usages culturels ou éducatifs pourrait toutefois renforcer son attractivité et favoriser une plus grande appropriation par la population.

Ce constat soulève une question essentielle : quelle est la valeur d’un édifice patrimonial si son histoire n’est pas transmise et son usage limité ? Malgré son architecture néoclassique et son inscription dans le paysage urbain, la Chambre de Commerce reste perçue avant tout comme un bâtiment administratif, peu intégré dans le quotidien des Dakarois. L’enquête révèle un certain détachement de la

population, qui ne l’identifie pas comme un élément central du patrimoine local.

L’étude des usages des bâtiments administratifs comme l’Hôtel de Ville et la Chambre de Commerce illustre les mutations des dynamiques urbaines et sociales. Ces édifices, initialement conçus pour structurer l’administration coloniale, ont conservé une fonction institutionnelle après l’indépendance, mais avec des trajectoires contrastées en termes d’appropriation par les habitants.

D’un côté, l’Hôtel de Ville a su maintenir une continuité fonctionnelle tout en s’adaptant aux évolutions de la ville. Son ancrage institutionnel et politique, combiné à son rôle municipal, en fait un repère urbain fort et identifiable.

À l’inverse, la Chambre de Commerce peine à renouveler son usage et à créer un lien durable avec la population. Son rôle strictement administratif et l’absence d’initiatives de transmission de son histoire ont limité son intégration dans la vie culturelle locale. Malgré son architecture imposante et son importance économique passée, elle ne s’est pas imposée comme un lieu emblématique du paysage dakarois.

Ces évolutions contrastées mettent en évidence la nécessité pour les bâtiments administratifs de s’adapter aux réalités contemporaines. Leur transformation ne doit pas uniquement répondre à une exigence fonctionnelle, mais elle doit aussi favoriser leur réappropriation par la population. Ainsi, dans un contexte où les enjeux patrimoniaux et urbains se complexifient, il apparaît essentiel de repenser l’évolution de ces édifices pour leur permettre de jouer un rôle actif dans la ville d’aujourd’hui.

Photographie Chambre de Commerce, Wikipédia

2. Transformation des usages à travers l’accessibilité

L’accessibilité des bâtiments patrimoniaux de Dakar, tels que la Gare de Dakar et l’Hôpital Principal, constitue un enjeu central pour comprendre leur évolution. Au-delà de leur fonction première, ces édifices sont des repères historiques et symboliques, témoins des mutations socioéconomiques de la ville. Leur intégration dans le tissu urbain et leur rôle dans la dynamique sociale contemporaine méritent une analyse approfondie, en tenant compte des transformations urbaines et des besoins des usagers.

Inaugurée à l’époque coloniale, la Gare de Dakar a été conçue pour organiser les flux de passagers et de marchandises entre le port et l’intérieur du territoire. Elle s’inscrivait dans un projet global de modernisation du réseau ferroviaire, destiné à répondre aux exigences économiques et administratives de la colonie. Aujourd’hui, son rôle évolue pour concilier sa dimension patrimoniale avec les besoins du transport moderne.

L’accessibilité de la gare pose ainsi plusieurs questions : est-elle en mesure d’accueillir un public varié ? Comment s’adapte-t-elle aux transformations du quartier du Plateau ? Sa réhabilitation soulève également des interrogations sur l’impact du développement urbain sur les infrastructures anciennes et les ajustements nécessaires pour répondre aux exigences contemporaines en matière de mobilité.

À l’origine conçu pour une population restreinte, principalement européenne, l’Hôpital Principal a vu ses fonctions évoluer avec l’accroissement démographique et l’essor des besoins sanitaires. Inspiré des standards coloniaux, il doit relever des défis d’accessibilité physique, sociale et économique.

Son évolution repose sur plusieurs facteurs : l’expansion des services de soins, l’amélioration des infrastructures et l’intégration des nouvelles technologies. L’analyse de son accessibilité permet également d’évaluer l’impact des politiques de santé publique et des initiatives d’inclusion sociale sur l’accès aux soins d’une population de plus en plus diversifiée.

L’accessibilité de ces bâtiments ne se limite pas à leur ouverture au public ; elle s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’organisation urbaine et les mobilités. La structuration de Dakar autour du port a influencé la répartition des infrastructures et les déplacements des habitants, conditionnant l’usage des espaces et l’accès aux services. En tant que pôles structurants, la gare et l’hôpital ont façonné la mobilité urbaine et l’aménagement du Plateau. Il est donc pertinent d’examiner comment l’accessibilité de ces édifices a influencé leur usage et, inversement, comment leur fréquentation a redéfini les flux de mobilité et la dynamique du centre-ville.

A. Hôpital principal de Dakar 1882,

L’Hôpital Principal de Dakar joue un rôle essentiel dans l’histoire sanitaire et urbaine de la capitale. Construit en 1880 pour répondre aux épidémies frappant Gorée et Dakar, il a progressivement évolué pour s’adapter aux besoins croissants de la population. Son implantation, son architecture et son intégration dans le système de santé ont influencé son accessibilité, un enjeu central à la fois sur le plan physique et social.

Dès sa création, il visait à pallier l’insuffisance des infrastructures sanitaires existantes. Son implantation sur le Plateau, à l’écart des zones marécageuses, garantissait des conditions d’hygiène optimales, tout en facilitant son intégration dans le dispositif médical colonial. Cependant, cette localisation a initialement limité son accessibilité pour

une partie de la population. L’urbanisation progressive de Dakar a renforcé son rôle central dans le réseau hospitalier, mais la densification du Plateau a également complexifié l’accès aux soins.

L’Hôpital Principal a connu plusieurs phases d’extension et de modernisation, qui ont progressivement influencé son accessibilité. À l’origine organisé en pavillons distincts autour de cours ouvertes, il s’est structuré au fil du temps avec l’ajout de nouveaux services. L’ouverture de la maternité en 1922 et du pavillon des Dames en 1930 ont renforcé son offre de soins, mais ont aussi posé des défis en matière de circulation interne. À partir des années 1950, l’intégration progressive d’infrastructures modernes, comme la pédiatrie en 1957 et de nouveaux blocs opératoires plus fonctionnels, a permis d’améliorer l’accessibilité des services médicaux.

Depuis son passage sous la tutelle des forces armées sénégalaises en 1971, l’hôpital a bénéficié de nombreuses rénovations, dont la modernisation de la maternité en 2012. Ces aménagements ont permis d’optimiser la circulation interne et d’améliorer l’accès aux personnes à mobilité réduite. Cependant, des défis persistent, notamment en matière de signalétique et d’orientation pour les patients et visiteurs.

Aujourd’hui, l’accessibilité de l’Hôpital Principal est confrontée aux contraintes du Plateau, une zone marquée par une forte densité de circulation. L’encombrement des axes routiers et le manque d’infrastructures de stationnement compliquent l’accès aux urgences. Des améliorations restent nécessaires, notamment avec la mise en place de voies prioritaires pour les ambulances et des infrastructures d’accueil plus adaptées.

L’Hôpital Principal illustre les défis d’accessibilité rencontrés par les infrastructures patrimoniales dans un contexte de transformation urbaine. Son évolution, marquée

par des modernisations successives, met en évidence l’importance d’un équilibre entre adaptation aux besoins contemporains et préservation du patrimoine hospitalier. Dans cette perspective, il apparaît essentiel d’examiner comment ces enjeux sont perçus et vécus par les usagers, afin d’identifier les principaux axes d’amélioration.

L’enquête menée auprès des habitants de Dakar met en lumière plusieurs aspects liés à la perception et à l’accessibilité de l’Hôpital Principal. Ces résultats permettent d’analyser son intégration dans le paysage urbain et les défis associés à sa fréquentation et son aménagement.

L’Hôpital Principal est largement reconnu par la population interrogée, avec 100 % des répondants déclarant le connaître. Toutefois, 60 % admettent ne pas en connaître l’histoire, révélant un manque de transmission de son héritage. Bien que cet établissement soit ancré dans la vie quotidienne, sa dimension patrimoniale reste peu mise en avant. L’absence d’initiatives de médiation culturelle et de supports informatifs pourrait expliquer cette situation. L’installation d’une exposition permanente permettrait d’intégrer davantage son histoire dans l’espace public et d’enrichir sa perception au-delà de son rôle médical.

L’usage de l’Hôpital Principal suscite des perceptions contrastées. Si 48 % des répondants jugent son fonctionnement satisfaisant, 40 % estiment qu’il pourrait être amélioré. La forte fréquentation, perçue par 92 % des répondants, souligne un afflux important de patients et visiteurs, ce qui impacte la qualité des services, les temps d’attente et l’accessibilité.

En termes d’usage personnel, 52 % des participants y ont recours ponctuellement, tandis que 32 % ne s’y rendent jamais. Cette répartition soulève des questions sur l’existence d’alternatives médicales, les contraintes financières ou la réputation de l’établissement.

L’accès à l’Hôpital Principal repose majoritairement sur la voiture (87 %), bien loin devant les transports en commun et les déplacements à pied (4,3 % chacun). Cette situation pourrait être due à la dépendance automobile, le cas échéant, on pourrait s’interroger sur la gestion du stationnement et la fluidité de la circulation.

Si 80 % des répondants jugent l’accessibilité satisfaisante, 12 % la considèrent insuffisante. Concernant l’accès en voiture, 63 % le trouvent satisfaisant, mais 20 % soulignent des difficultés, notamment liées au stationnement. Pour les transports en commun, 62,5 % des répondants ont une perception positive, tandis que 30 % émettent des critiques. L’amélioration des alternatives de transport, telles que des navettes dédiées ou des arrêts de bus mieux adaptés, pourrait constituer une piste d’optimisation.

Les récentes rénovations de l’hôpital ne font pas l’unanimité. 52 % des répondants estiment qu’elles ont amélioré l’expérience, tandis que 40 % ne perçoivent aucun changement, et 8 % considèrent qu’elles ont eu un effet négatif. Une analyse approfondie serait nécessaire pour identifier les aspects perçus comme positifs ou problématiques, et mieux orienter les futurs aménagements afin de répondre aux attentes des usagers.

L’Hôpital Principal de Dakar demeure un élément structurant du paysage hospitalier et urbain. L’enquête met en évidence une reconnaissance unanime de son rôle, mais aussi des attentes en matière d’accessibilité et de mise en valeur de son patrimoine.

La forte dépendance à la voiture questionne la nécessité d’améliorer les infrastructures de transport public et piétonnières afin de mieux adapter l’établissement aux besoins des usagers. De plus, les avis sur les rénovations soulignent l’importance d’un dialogue continu avec les patients et visiteurs pour orienter les projets d’aménagement et améliorer l’expérience hospitalière. Ces questions d’accessibilité et d’aménagement se posent également pour la Gare de Dakar, dont l’étude permettra d’analyser les enjeux liés aux mobilités et aux infrastructures de transport public.

Photographie de l’emplacement de l’hôpital Principal, Coll. Xavier Ricou

B. Gare de Dakar 1914

L’accessibilité de la Gare de Dakar a évolué au fil du temps, témoignant des transformations urbaines et des dynamiques de mobilité de la capitale sénégalaise. Inaugurée en 1885 et reconstruite entre 1912 et 1914, elle a d’abord été conçue pour faciliter les échanges entre Dakar et l’intérieur du territoire. Toutefois, son rôle a connu plusieurs phases, alternant entre essor, déclin et renouveau.

Dès 1878, la construction de la gare s’inscrit dans un projet de désenclavement du Cap-Vert sous la supervision de M. Walter. L’ouverture de la ligne Dakar-Saint-Louis en 1885 marque une avancée majeure, mais son accessibilité demeure limitée. En effet, elle est d’abord réservée aux autorités coloniales et aux grandes entreprises, excluant une grande partie de la population locale. La reconstruction de 1912-1914 modernise l’équipement et adapte son architecture au climat local. Cependant, malgré ces améliorations, la gare reste peu accessible aux habitants de Dakar.

À partir des années 1950-1960, avec l’urbanisation de Dakar et l’essor du transport routier, la gare commence à perdre son rôle central. D’une part, l’accès devient plus complexe pour les habitants des quartiers périphériques, qui doivent désormais s’appuyer sur un réseau croissant de bus et de taxis. D’autre part, le déclin du trafic ferroviaire dans les années 1980, puis la fermeture de la gare en 2006, accentuent cette marginalisation, transformant le site en un espace sous-exploité.

Entre 2006 et 2016, la gare connaît une reconversion temporaire. Utilisée à des fins culturelles, elle accueille des expositions et des événements tels que la Biennale de Dakar. Néanmoins, cette occupation reste intermittente et ne permet pas une réintégration durable du site dans la dynamique urbaine.

Un tournant décisif intervient en 2016 avec l’annonce du Train Express Régional (TER). Sous la direction des agences GA2D et AREP, la réhabilitation vise à moderniser l’infrastructure tout en préservant son patrimoine architectural. Grâce à l’inauguration du TER en 2019, la gare retrouve une place centrale dans les mobilités urbaines, facilitant les déplacements entre Dakar et sa banlieue. De plus, les aménagements permettent une meilleure circulation des voyageurs, y compris pour les personnes à mobilité réduite.

Ainsi, après plus d’un siècle d’histoire, la Gare de Dakar illustre les défis de l’accessibilité urbaine. Passant d’un pôle stratégique du transport ferroviaire à une phase de déclin, puis à une renaissance grâce à la modernisation ferroviaire, elle reflète les tensions entre mobilité et préservation du patrimoine. Son réaménagement récent traduit une volonté d’allier mémoire historique et adaptation aux besoins contemporains, offrant à Dakar une infrastructure à la fois fonctionnelle et emblématique.

Afin de mieux comprendre son impact actuel, il est essentiel d’analyser la perception qu’en ont les habitants, leur usage de la gare et les attentes liées à son accessibilité et à son intégration urbaine.

L’enquête menée auprès de 25 habitants de Dakar met en lumière la perception de l’accessibilité de la Gare de Dakar, sa fréquentation et son intégration dans le quotidien des usagers. Ces résultats permettent d’identifier ses atouts ainsi que les améliorations nécessaires afin de renforcer son rôle dans la mobilité et la valorisation du patrimoine urbain.

La gare bénéficie d’une reconnaissance unanime, puisque 100 % des répondants affirment la connaître. Cependant, 64 % déclarent en connaître l’histoire, tandis que 36 % en ignorent le passé, révélant un enjeu de transmission

patrimoniale. Ce constat met en évidence la nécessité de mieux valoriser son histoire à travers des supports pédagogiques, des visites guidées ou des expositions, afin d’ancrer son héritage dans l’espace public et de renforcer sa fonction patrimoniale.

La Gare de Dakar enregistre une fréquentation élevée. 52 % des habitants l’ont visitée au moins une fois au cours de l’année, et 20 % déclarent s’y rendre plus de 10 fois par an. La perception de l’affluence est également significative, puisque 48 % des répondants la jugent "très élevée" et 52 % la considèrent comme "élevée". Toutefois, l’usage des services de la gare est plus contrasté. Si 68 % des répondants y recourent occasionnellement, seulement 12 % l’utilisent régulièrement. Cette disparité s’explique par la diversification des fonctions de la gare, qui ne se limite plus au transport ferroviaire, mais accueille également des activités commerciales et culturelles.

L’accessibilité de la gare est globalement bien perçue, bien que certains aspects nécessitent des ajustements. 60 % des répondants la jugent "bonne", 16 % "excellente", tandis que 24 % la trouvent "insuffisante". Le mode de transport privilégié reste la voiture (80 %), suivie par la marche à pied (36 %) et les transports en commun (28 %). Cette prédominance de l’automobile pose la question d’une amélioration du réseau de transports collectifs afin de réduire la dépendance aux véhicules individuels et de faciliter l’accès au site pour une plus grande diversité d’usagers.

L’analyse des modes d’accès révèle également des différences dans la perception de l’accessibilité. Pour les usagers se rendant à la gare en voiture, 52 % jugent l’accès "bon", 20 % "excellent", mais 12 % le considèrent "très insuffisant", mettant en avant des difficultés liées au stationnement ou à la circulation autour du site. Concernant les transports en commun, 52 % des répondants trouvent

l’accessibilité "bonne" et 20 % "excellente", tandis que 28 % la jugent insuffisante, ce qui met en évidence le besoin d’une meilleure connexion avec le réseau de bus et de navettes.

Les rénovations récentes de la gare sont globalement bien accueillies. 88 % des répondants estiment qu’elles ont amélioré la qualité d’accueil et la circulation au sein de la gare. Toutefois, 12 % ne perçoivent aucun impact notable, ce qui souligne l’importance d’un suivi des aménagements pour garantir leur efficacité sur le long terme et ajuster les futurs projets en fonction des retours des usagers.

L’accessibilité des bâtiments patrimoniaux tels que l’Hôpital Principal et la Gare de Dakar illustre les défis posés par l’évolution urbaine et la modernisation des infrastructures. Bien que ces édifices conservent un rôle essentiel dans le paysage de Dakar, leur adaptation aux besoins contemporains demeure un enjeu majeur. L’analyse de leur fréquentation et de leur intégration urbaine met en évidence la nécessité d’un équilibre entre préservation patrimoniale et amélioration de l’accessibilité.

Pour renforcer l’accessibilité et l’attractivité de la gare, plusieurs pistes d’amélioration peuvent être envisagées. La transmission de son histoire pourrait être renforcée par des initiatives pédagogiques, permettant de mieux valoriser son rôle patrimonial et d’enrichir l’expérience des usagers. L’amélioration de la connexion aux transports en commun, notamment vers les quartiers périphériques, contribuerait à limiter la dépendance à la voiture et à rendre la gare plus accessible à une population plus large. L’optimisation des infrastructures d’accueil et de circulation, avec des espaces de repos et un meilleur stationnement, faciliterait l’expérience des usagers. Enfin, la pérennisation des usages culturels et sociaux au sein de la gare permettrait

d’élargir sa fonction au-delà du transport et d’en faire un lieu de vie ancré dans le paysage urbain.

En définitive, la Gare de Dakar demeure un élément structurant du patrimoine et de la mobilité urbaine. Bien qu’elle bénéficie d’une forte fréquentation et d’une perception positive, certains défis persistent. L’amélioration de l’accessibilité des transports collectifs, la valorisation de son patrimoine et l’optimisation des infrastructures d’accueil apparaissent comme des priorités pour renforcer son rôle dans la dynamique urbaine de Dakar. Son avenir repose sur sa capacité à conjuguer modernité, fonctionnalité et ancrage patrimonial afin de répondre aux besoins actuels des usagers tout en préservant son identité historique.

Coll. Fatimatou Diallo

3. Fréquentation et Impact Social

L’architecture d’une ville ne se limite pas à ses formes et ses structures ; elle reflète son histoire, ses mutations et ses dynamiques sociales. À Dakar, le XXe siècle a vu l’émergence de bâtiments emblématiques qui ont accompagné la modernisation et l’expansion de la capitale sénégalaise. L’Immeuble Maginot, l’Immeuble des Allumettes et l’Hôtel de l’Indépendance figurent parmi ces édifices marquants. Conçus pour structurer l’activité commerciale et résidentielle, ils ont façonné la vie urbaine et continuent de témoigner des transformations de la ville.

Dès leur construction, ces bâtiments ont redéfini l’organisation du travail et de l’habitat. L’Immeuble Maginot s’est affirmé comme un centre de bureaux, attirant cadres et professions intermédiaires. L’Hôtel de l’Indépendance, inauguré à la veille de l’indépendance, a été conçu comme un lieu de prestige pour les élites locales et internationales. Quant à l’Immeuble des Allumettes, il a incarné la réussite économique et le dynamisme commercial de la ville. Ces édifices ont ainsi porté une vision ambitieuse d’une capitale en pleine mutation.

Toutefois, au fil du temps, ces bâtiments ont connu des transformations significatives. Conçus à l’origine pour le commerce et l’administration, ils ont progressivement intégré des fonctions résidentielles et institutionnelles, modifiant leur usage et leur relation avec les habitants. Ce changement a eu un impact social important : des espaces autrefois ouverts aux échanges et à l’activité économique sont devenus plus spécialisés ou privatifs, limitant leur accessibilité et redéfinissant leur rôle dans la ville.

L’une des évolutions les plus marquantes est la modification de leur place dans la dynamique urbaine. Autrefois lieux de rencontre et de centralité économique, ils se sont progressivement transformés en espaces plus

fermés, accueillant logements, bureaux associatifs ou services spécifiques. Cette évolution a contribué à un certain effacement de leur fonction initiale, influençant la manière dont les Dakarois les perçoivent et les utilisent.

Cette étude vise à analyser la fréquentation et l’impact social de ces bâtiments, en mettant en lumière l’évolution de leurs usages. À travers l’examen de l’Immeuble Maginot, de l’Immeuble des Allumettes et de l’Hôtel de l’Indépendance, il s’agira de comprendre comment ces édifices ont été réappropriés par la population et comment leurs transformations illustrent les mutations économiques et sociales de Dakar.

Le passage d’une fonction commerciale à d’autres formes d’occupation reflète l’évolution des besoins en matière de logement, de services et d’espaces de travail. Cette transition pose également la question de la durabilité des bâtiments patrimoniaux et de leur capacité à s’adapter aux mutations rapides de la ville. Ainsi, la conservation de ces édifices constitue un défi majeur : comment préserver leur héritage tout en répondant aux exigences contemporaines ?

L’analyse s’intéressera aux enjeux de conservation et de réutilisation de ces bâtiments, en interrogeant leur rôle social et culturel dans un environnement urbain en perpétuelle transformation. Il s’agira d’examiner les mécanismes qui permettent de mesurer leur impact social et de comprendre comment ces édifices peuvent continuer à jouer un rôle actif dans la ville tout en répondant aux réalités économiques et sociales actuelles.

Illustration du Marché Sandaga, Guillaume Ramillien

A. L’Immeuble Maginot & l’immeuble des allumettes

L’Immeuble Maginot et l’Immeuble des Allumettes sont deux édifices emblématiques de Dakar dont l’évolution reflète les transformations économiques, sociales et urbaines de la capitale sénégalaise. Construits dans les années 1950, ces bâtiments ont d’abord été des pôles d’activité commerciale et industrielle avant de voir leurs usages évoluer pour répondre aux nouvelles dynamiques de la ville. L’Immeuble Maginot, inauguré en 1951, était l’un des premiers bâtiments modernes du Plateau, conçu pour accueillir des bureaux administratifs, des commerces et quelques logements. Son architecture en béton, avantgardiste pour l’époque, symbolisait la modernité et le dynamisme économique de Dakar. Situé au cœur du centreville, il attirait une population variée composée de cadres, de commerçants et de fonctionnaires. Pendant plusieurs décennies, il a été un carrefour économique et administratif où se concentraient transactions commerciales et décisions politiques. Toutefois, avec l’urbanisation rapide et l’apparition de nouveaux complexes plus modernes, l’Immeuble Maginot a perdu son attrait initial. Les entreprises et institutions publiques ont progressivement délocalisé leurs activités vers des bâtiments mieux adaptés aux nouvelles exigences en matière de confort et de sécurité. Cette transition a conduit à une reconversion du bâtiment : des bureaux ont remplacé les commerces et certains espaces ont été réaménagés en logements. Cette diversification des usages a permis de maintenir une certaine activité dans le bâtiment, bien que sa fréquentation soit devenue plus diffuse.

L’impact social de cette transformation est significatif. Autrefois symbole du dynamisme commercial et

administratif du Plateau, l’Immeuble Maginot est aujourd’hui un espace mixte où coexistent des habitants et des travailleurs de divers secteurs. Cette mutation a contribué à maintenir une certaine vitalité dans le quartier, mais elle a aussi entraîné une dégradation du bâtiment, son entretien n’ayant pas suivi le rythme des évolutions économiques et sociales.

L’Immeuble des Allumettes, construit en 1952, a suivi une trajectoire similaire. À l’origine, il était destiné à des activités industrielles et servait de centre de production et de distribution pour des produits de consommation courante. Son architecture moderniste en béton reflétait l’esprit expansionniste de l’époque, marqué par un urbanisme en plein développement et un secteur industriel florissant. Le bâtiment jouait un rôle central en abritant des activités commerciales et des installations de stockage, attirant ainsi commerçants, travailleurs et acteurs de l’industrie.

Avec l’éloignement des industries vers les zones périphériques, l’Immeuble des Allumettes a dû s’adapter à la transformation du tissu économique de Dakar. Cette reconversion progressive a vu ses espaces industriels réaménagés en bureaux, commerces et espaces de stockage, tandis que certains locaux ont été convertis en logements. Cette diversification a permis à l’immeuble de conserver une activité économique en adéquation avec les nouvelles dynamiques urbaines, où les services et le secteur tertiaire prennent une place croissante.

Cependant, cette transition n’a pas été sans difficulté. Parmi les défis majeurs figurent l’entretien des infrastructures vieillissantes et leur mise aux normes, afin de répondre aux exigences contemporaines en matière d’accessibilité, de sécurité et de confort. Des investissements ont été nécessaires pour moderniser les équipements et rendre l’immeuble plus attractif pour de nouveaux occupants. En parallèle, l’accessibilité a constitué un enjeu

clé, car les infrastructures, initialement conçues pour des usages industriels, ne sont pas toujours adaptées aux besoins actuels des usagers.

Ainsi, bien que l’immeuble conserve une activité commerciale, sa transformation ne se limite pas à une adaptation fonctionnelle, mais reflète également l’évolution des dynamiques économiques et sociales de la ville. Son impact social se manifeste par un changement du profil des usagers : alors qu’il était autrefois un centre pour l’industrie et le commerce de gros, il accueille désormais davantage de travailleurs du secteur tertiaire et des services. Cette évolution a permis de maintenir la vitalité du bâtiment tout en redéfinissant ses usages.

Les Immeubles Maginot et des Allumettes incarnent les mutations urbaines et immobilières de Dakar. Leur transition d’usage, d’espaces initialement dédiés aux activités commerciales et industrielles vers des lieux plus polyvalents, met en lumière les défis auxquels sont confrontés les bâtiments patrimoniaux de la ville.

Cette transformation entraîne des répercussions notables à plusieurs niveaux. D’une part, elle permet de maintenir une activité économique et d’éviter la dégradation de zones urbaines qui auraient pu être laissées à l’abandon.

D’autre part, elle modifie la nature de la fréquentation de ces immeubles : des espaces autrefois ouverts et dynamiques se spécialisent, accueillant de nouveaux types d’usagers, comme des résidents et des travailleurs de divers secteurs.

L’Immeuble Maginot et l’Immeuble des Allumettes symbolisent la transformation de Dakar en une métropole moderne. Leur transition d’usage illustre la manière dont la ville tente de réutiliser son patrimoine tout en répondant aux nouvelles exigences économiques et sociales. Leur fréquentation, autrefois exclusivement commerciale et administrative, reflète désormais la diversification des fonctions urbaines, un phénomène qui continuera de

marquer l’évolution architecturale de Dakar. L’enquête menée auprès de 25 habitants met en évidence une évolution significative du rôle de ces bâtiments, tant en termes de fréquentation que d’impact social.

Autrefois symbole de modernité, l’Immeuble Maginot semble aujourd’hui largement déconnecté des réalités sociales et économiques de Dakar. Seulement 56 % des habitants le connaissent, tandis que 44 % n’en ont jamais entendu parler. Plus frappant encore, 96 % des répondants ignorent son histoire, traduisant une rupture avec le passé où cet immeuble était un centre d’activités commerciales et administratives majeur.

Concernant son usage actuel, 76 % des personnes interrogées ne se prononcent pas, témoignant d’une indifférence générale. Seulement 12 % estiment qu’il devrait être amélioré et 12 % pensent qu’il doit être totalement transformé. La fréquentation de l'immeuble est également faible : 92 % des répondants n’y sont jamais entrés au cours de l’année écoulée et 64 % déclarent ne jamais y être allés. Seuls 4 % l’ont visité plus de 10 fois, principalement pour des raisons administratives.

Son avenir suscite peu d’engagement : 72 % des habitants n'ont pas d’avis, tandis que 20 % estiment qu’il pourrait être réutilisé pour d'autres fonctions. L’absence d’une identité collective forte liée à cet immeuble traduit son déclin en tant qu’espace fonctionnel et symbolique dans la vie des Dakarois.

Comme l’Immeuble Maginot, l’Immeuble des Allumettes a perdu son rôle clé dans le développement économique de Dakar. Bien que 60 % des répondants le connaissent, 96 % en ignorent l’histoire, révélant une perte de

Photographie anonyme du Building Maginot

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