Rapport d'étonnement Valencia (Esp) 2019-2020 / ENSAG / Fanny Perrot

RAPPORT D’ÉTONNEMENT Fanny PERROT ENSAG 2019/2020 Sous la direction de Julie MARTIN

VALENCIA

Regard sur mon expérience à l’étranger

1. Vivir vivre

2. Estudiar étudier 3. Pensar penser «La huerta valenciana, le monde d’à côté: celui de la lutte»

Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont accompagnée dans l’aventure espagnole et qui ont fait de cette expérience une véritable inspiration.

Je remercie d’abord l’Université Polytechnique de Valence pour son accueil, pour l’attention et la patience qu’elle cultive vis à vis de ses étudiants internationaux, pour son fabuleux campus et son enseignement.

Je remercie le programme Erasmus+ et le Ministère de la Culture, pour les bourses attribuées tout au long de l’année.

Je remercie l’ENSAG, et plus particulièrement Julie Martin, non seulement pour son engagement en tant que directrice de stage, mais pour bien plus que cela, pour ses conseils, son accompagnement depuis la L3, et pour sa présence dans cette belle aventure.

Je remercie enfin, et plus que tout au monde, Louisa, Rémi, Noé, Brune, Lou, Yann, Julien, Maria, Ada, les voisins, Blanca, et tant d’autres, pour avoir croisé ma route. Je remercie enfait tout ceux qui ont permis à Valence d’être, et faibles sont les mots pour l’exprimer.

Une petite chronologie...

2018 1ER OCTOBRE 2018 Début du stage chez Z architecture

2019 22 FÉVRIER 2019 Fin du stage chez Z architecture 6 MARS 2019 Départ en voyage (Amérique Latine) 4 AOÛT 2019 Retour de voyage 28 AOÛT 2019 Départ en Erasmus (Valencia, Espagne)

2020 28 MARS 2020 Retour un peu précipité en France...

29 MAI 2020 Retour en Espagne (enfin!)

29 JUIN 2020 Retour définitif d’Erasmus

Partir

Mon expérience à l’étranger est (un peu) extraordinaire. Elle ne commence pas par l’échange universitaire, bien qu’ancrée par celui-ci, mais par un long voyage des terres Mayas aux paysages Andins, des Caraïbes au Pacifique. « Prendre le temps, prendre le large, me découvrir, fleurir un peu chaque jour, rencontrer des gens avec qui partager mes envies et convictions, être dépaysée, laisser place à l’imprévu, changer de navire, entrevoir d’autres rivages le temps d’une année, le temps d’une pause, c’est là que le vent me mène aujourd’hui ». Sur ces mots se concluait mon rapport d’étude, à la fin de ma licence, en juin 2018.

Après trois ans d’études très théoriques et la rédaction de ce rapport, a surgi en moi un besoin de recul, de maturité, d’expérimentation et de confrontation à la réalité. J’ai eu envie d’une année différente, d’une année qui pour la première fois ne serait pas bercée par le rythme scolaire.

C’est ainsi, guidée par ces envies, que je fais le choix d’une année de césure. Oui, pour la première fois, en septembre, je participais à la production de légumes biologiques, en hiver je travaillais en agence, au printemps à peine arrivé, je m’envolais pour un autre continent, et alors, pour la première fois, j’envisageais les choses différemment. J’ai ressenti le besoin de partir, avec toute la force des émotions que ce simple mot contient en lui. Après un stage de cinq mois au sein de l’agence Z Architecture à Lyon, lui aussi un

peu extra-ordinaire, qui constitue la première partie de cette aventure, je ressors largement inspirée et confortée dans mes compétences et idées. Je m’apprête alors à partir pour cinq autres mois d’expérience inédite, mais cette fois, de l’autre côté de l’Atlantique.

L’Amérique Latine Il ne m’en a pas fallu beaucoup pour choisir comme destination l’Amérique du Sud. Il existe chez moi depuis longtemps une intrigue et un fort intérêt pour ses multiples(sssss) cultures, notamment musicales, dont je n’ai jamais vraiment su expliquer l’origine, et il y a bien longtemps que la décision d’y voyager avait été prise. C’est finalement de cette attirance, motivée par un premier voyage, un peu par coïncidence, au Mexique (2018) et par la présence de nombreux amis en échange universitaire là-bas qu’est finalement né ce projet. Il n’y avait plus qu’à boucler un sac à dos et me voilà partie. Raconter cinq mois de voyage est impossible. Le résumer encore moins. En revanche, le voyage, par sa complexité, sa temporalité et sa diversité, est une véritable matière à penser. Intense et tumultueux, on ne sait d’ailleurs jamais bien si un jour, on aura fini de le comprendre. Le voyage a pour moi été, entre autres choses, une confrontation : au monde actuel, à sa pauvreté, ses inégalités, ses injustices, sa déviance. Mais aussi à sa beauté : j’ai traversé le Mexique, Cuba et la Colombie, trois pays incroyables, j’ai rencontré des gens fabuleux et vu des paysages qu’aucuns mots ne peuvent décrire. Cette année, j’ai découvert le monde dans ses ambivalences et ses contradictions. Je l’ai trouvé à la fois merveilleux et terriblement violent, en ne sachant où

me positionner entre les deux. Ce voyage a aussi été une confrontation avec moi-même, une confrontation à mon statut d’européenne et sa considération dans le monde. Je me suis pris toute la réalité de la colonisation en pleine face, comme si je ne m’étais jamais rendue compte de l’ampleur de ses conséquences. J’entends par colonisation celle des pays d’Europe Occidentale sur la majorité voire totalité des territoires d’Amérique, d’Afrique, des îles d’à peu près tous les océans, du Moyen Orient, de l’Inde, de l’Asie du Sud Est. Se rajoute à cela un néocolonialisme, tout aussi physique qu’idéologique, et un impérialisme des EtatsUnis sur le reste du monde. En résultent aujourd’hui des problèmes et gouffres sociaux, économiques, raciaux et une véritable recherche d’identité due à des années de politiques d’exploitation démesurée, de soumission écrasante et d’aliénation culturelle. J’ai compris, par le regard des gens sur ma condition d’européenne, par la hiérarchie naturelle et insupportable qu’elle semblait imposer, que le monde actuel n’était que le résultat d’une supériorité illégitimement décrétée par une poignée de pays du monde qui ne sont ce qu’ils sont aujourd’hui que pour avoir écrasé tous les autres, tout cela dirigé par un système capitaliste inégalitaire, avide et chaque jour plus violent. En discutant et en écoutant, j’y ai découvert des luttes, complexes et plurielles, écologiques, pacifiques, féministes, LGBT, raciales, politiques, territoriales, et bien d’autres. J’ai compris qu’elles étaient toutes liées, d’une manière ou d’une autre, à des mouvements écologistes et anticapitalistes plus généraux.

Ainsi l’illustre Eduardo Galeano en citant les propos de Karl Marx dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine: «la découverte des gisements d’or et d’argent en Amérique, la croisade d’extermination, d’esclavagisme et d’ensevelissement dans les mines de la population

aborigène, le commencement de la conquête et le pillage des Indes orientales, la transformation du continent africain en terrain de chasse d’esclaves noirs sont autant de faits qui annoncent l’ère de production capitaliste. Ces processus idylliques représentent autant de facteurs fondamentaux dans le mouvement de l’accumulation originaire». Ces luttes sont individuelles ou collectives, mais toujours complexes et semblent toutes tendre, de l’architecture à l’alimentation, de l’agriculture à la santé, de l’ethnie au genre, et bien d’autres domaines, vers une volonté d’émancipation et vers une valorisation des richesses, identités et savoir-faires autochtones, oubliés sous l’omniprésence occidentale.

Cette expérience m’a fatalement amenée à m’interroger sur ma propre position au sein d’un monde hiérarchisé par une double stratégie capitaliste et coloniale intrinsèquement liées, sur mon identité en tant que française, pays à la longue histoire coloniale, et notamment sur la position de ma pratique architecturale dans tout ça.

SOMMAIRE Introduction

p.14

1. Vivir/vivre

p.17

L’arrivée Une cartographie valencienne Une perception du temps qui passe Au-delà des mots

2. Estudiar/étudier

p.27

Penser l’architecture Sur le chemin de l’école

3. Pensar/penser

p.45

Introduction 1. La huerta valenciana: histoire et contexte géopolitique 2. Un paysage culturel en danger: la menace de l’urbanisation 3. La huerta comme zone de résistance: l’occupation comme lutte Bibliographie Conclusion

Conclusion générale

p.143

Introduction

Après cinq mois de voyage en Amérique Latine, je pose mes valises au sud de l’Europe, entre doux soleil méditerranéen et ferveur de vivre: l’Espagne. Partir étudier à Valence m’est apparu comme une continuité, tout d’abord linguistique, car lorsqu’on s’immerge dans l’univers d’une nouvelle langue, il est dur d’en sortir, mais aussi comme une continuité dans l’aventure «hors les murs» que j’avais commencée avec la césure.

Mon arrivée en Espagne est elle aussi un peu hors du commun. Il s’est passé huit mois entre le choix de partir en échange et le départ. Huit mois, dont cinq de voyage qui, dans ma mémoire, semblent être des années. Je débarque alors à Valence en ayant presque oublié pourquoi je partais, comme si quelqu’un avait choisi pour moi. Pourtant, la continuité a été fluide, vivre avec un sac à dos et découvrir un nouvel endroit tous les trois jours était, depuis cinq mois, mon quotidien. Un départ de plus ou de moins...

En revanche, le temps de la décision était tellement loin, tellement décontextualisé ( j’ai effectué toute mon inscription administrative depuis l’autre bout du monde), qu’il me semblait que ce départ n’arriverait jamais.

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C’est ainsi qu’un soir du mois d’août, je me retrouve dans une rue animée de Valence, sans même me souvenir pourquoi j’étais là. Se lancer dans une aventure qu’on a oublié avoir volontairement choisie est finalement encore presque plus palpitant. Aucune attente, aucune information, aucun logement, aucun point d’attache. Cette étape préliminaire à quelconque expérience, cette étape d’imagination propre à l’être humain, tentant ou bien de concrétiser ou de se rassurer avant tout départ, si infime soit-il, n’avait donc pas eu lieu. La tête encore en voyage, je n’avais jamais pensé à Valence. J’avais même presque oublié.

D’ailleurs, si l’omniprésence d’une nouvelle langue perturbe normalement dans les premiers pas à l’étranger, l’espagnol était pourtant bien la seule chose que je contrôlais en me retrouvant là, de nuit, ma valise à la main entre les terrasses illuminées.

La langue était alors mon seul lien avec cette ville tumultueuse dont j’ignorais tout, et qui allait devenir, le temps d’une année, la géographie de mes émotions.

1.Vivre vivre

L’arrivée

Je suis arrivée à Valence sans logement. C’était un choix. Pour l’anecdote, le 28 août à Valence est le jour de la Tomatina, un célèbre lancer de tomates dans un village voisin... Ce n’est que la veille, en voyant le prix des auberges de jeunesse que je m’en rends compte, lançant alors un appel aux âmes charitables des groupes facebook d’Erasmus pour me faire héberger une nuit tout au plus. Dans cette arrivée fracassante, je rencontre ma future colocataire qui répond à mon message, et qui deviendra, mais je ne le saurai que plus tard, mon alliée dans l’aventure. Merci les tomates, sans qui rien n’aurait commencé de la sorte. Naîtront par la suite de longues discussions sur la (non) coïncidence de la rencontre.

Choisir de réserver un logement avant de partir ou non est un choix personnel. Les deux démarches se valent, bien que personnellement, toutes les personnes que je connais ayant auparavant réservé une chambre, ont changé dans les semaines après leur arrivée. Ne pas en choisir, en revanche, permet une plus grande liberté, une plus grande flexibilité. Je débarque donc, dix jours plus tard, dans un vieil appartement du Carmen1. Un appartement d’artistes de 300 m2 aux mille et une plantes et babioles en tout genre, au sol en céramiques valencienne. Juste en face du salon, l’atelier de cuir, à droite, le balcon, las Torres de Quart, les voisins, et là sous la table, la belle Iris aux yeux verrons.

La vie n’a pas toujours été simple dans cet appartement, accueillant autant d’âmes inspirées que tourmentées, mais il

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1 Centre-ville historique de Valence

a été un fabuleux lieu de vie, une porte sur la ville, que nous avons habité sans limites, et qui parfois m’habite encore.

Une cartographie valencienne

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Que dire de Valence en si peu de place.

Valence, c’est un centre-ville vivant, riche de son architecture gothique, de ses peintures murales, de ses ruelles où se faufile le soleil, de ses terrasses animées, de ses dents creuses dont les murs découverts sont systématiquement protégés par cet enduit jaune mystérieux. Valence, c’est un bout de nature en pleine ville, el rio seco, un grand fleuve réaménagé en parc suite à la grande crue de 1957, parcourant la ville de part et d’autre et distinguant ainsi son centre historique des quartiers résidentiels et universitaires. Bien que controversée dans sa démarche, sa transformation possède d’un point de vue urbanistique quelque chose de fabuleux, surtout si l’on prend en compte que le projet de l’autoroute à deux fois six voies a été écarté de peu. Aujourd’hui, les ponts médiévaux en pierre sont toujours là, mais au lieu de surplomber l’eau, ils flottent dans la canopée.

Valence, c’est des kilomètres de pistes cyclables, sur les ponts, dans les parcs, vers la mer... Valence, c’est le Carmen, c’est Ruzafa, c’est Benimaclet, c’est Blasco Ibanez, autant de noms de quartiers qui résonnent dans la mémoire de celui qui les a un jour parcourus. Valence, c’est la Méditerranée, c’est le Cabanyal, son ancien quartier de pêcheurs aux petites maisons en céramiques, encore populaire et malheureusement de plus en plus gentrifié.

Valence, c’est l’activisme à l’espagnol, c’est des dizaines de lieux et associations militantes et alternatives. Valence, c’est deux langues, le castellano et le valenciano, identité de toute

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la communauté. Largement interdit durant la dictature, ce dernier arbore toutes les affiches, panneaux des rues, annonces culturelles, occupe les boutiques, les terrasses des bars, les cours de l’université, obligeant à y prêter oreille et à se questionner sur la raison politique de son utilisation.

Valence, c’est l’une des premières villes artificières au monde (on arrête rapidement d’être surpris au moindre bruit de pétard), c’est la ville des Fallas, grande feria au début du printemps où la ville entière se transforme en fête, annulée à cause de la crise sanitaire pour la première fois depuis la Guerre Civile. Valence c’est cette liberté d’une ville pas trop grande pour y faire tout ce que l’on veut facilement, et juste assez pour être un peu folle. Valence, c’est finalement l’effervescence d’une ville qui contient en elle tout mon imaginaire urbain.

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La perception du temps qui passe Le temps long et tranquille des pays du Sud de l’Europe n’est ni un cliché ni une expression de la paresse. Au contraire, rares sont les peuples aussi dynamiques que les Espagnols. De même, croire que l’Espagne, par sa proximité géographique, ressemble à la France, c’est omettre une différence, peut être la plus grande: la perception du temps qui passe. A partir du moment où on envisage sa journée divisée en cinq pauses repas et non trois, tout est intrinsèquement différent. Mais il est vrai, rien ne semble presser, et les relations humaines en témoignent. Attention: on s’y habitue très vite. Manger à 16h, sortir de cours à 20h, prendre le temps d’un verre en terrasse, puis manger à 22h: lorsqu’il fait chaud, c’est dire de mars à novembre, tout prend son sens. En revanche, quand le temps se refroidit et que les jours se racourcissent, l’organisation

des horaires et très perturbante. A l’heure où les boutiques rouvrent, à 17h, il fait presque déja nuit, donnant l’impression que les journées existent à peine. Des fois, si il n’y avait pas le rappel à l’ordre de l’emploi du temps scolaire, on oublierait presque quel jour on est, l’effet Erasmus en rajoutant évidemment beaucoup. Le temps a une autre valeur, une autre saveur. Très rapidement, les jours s’inversent: les mardis devenaient des dimanches, les dimanches des jeudis, les mercredis des lundis, et les samedis restaient des samedis.

Et tous étaient pourtant si différents.

Au-delà des mots Apprendre une nouvelle langue est un voyage à part entière.

Au delà d’une ouverture à une culture, à des rencontres et à toute une série d’informations et de pensées nouvelles, apprendre une langue, c’est élargir son horizon émotionnel et expressif. On y découvre des mots qui n’existent pas dans sa langue, et qui pourtant sont d’une évidence incroyable, des mots qui nous ressemblent et qui nous libèrent. En espagnol, il y a des verbes, beaucoup, là où le français combine trois mots, comme relacionar (mettre en relation), veranear (passer, vivre l’été), ou encore, l’un des plus beaux, amanecer (en Colombie, plus que se réveiller ou se lever, émerger du sommeil dans un état, une émotion particulière). Et puis il y a les expressions, si propres à chaque pays, à chaque région. Les expressions en disent long sur ceux qui les disent. Apprendre les expressions c’est rentrer dans un monde culturel en deux mots à peine.

Le temps des relations est différent dans une autre langue, il est plus lent, plus timide. Il requestionne tout ce qui fait pourtant la base de notre communication : le tact, l’humour,

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la subtilité. Il donne un coup à l’ego, quand on réalise quand on a dit quelque chose de déplacé, qu’on ne saisit pas une blague. La connaissance d’une langue et d’un pays passe avant tout par l’humour, et ne permettant pas toujours d’être soi même dans les débuts, les relations se forment plus lentement et s’ancrent souvent dans le temps. La communication prend aussi une toute autre allure : celle du geste, celle de l’acceptation, de la tolérance, de la patience, dans une grande leçon d’humilité.

Apprendre l’espagnol m’a à la fois fais perdre totalement le naturel que j’avais avec l’anglais et comprendre certains aspects du français, lorsque les origines latines en permettent le décryptage. En revanche, il m’a aussi fait perdre mon français. Dans un phénomène très étrange, la place qu’occupe petit à petit une nouvelle langue dans le cerveau est capable de vous faire oublier certains mots de votre langue natale, au point où à des moments, cherchant un mot précis, vous ne le trouvez ni en espagnol, ni en français. Souvent aussi, plus la compréhension est limpide, plus elle fait sens et plus il coûte de la traduire. Un jour on réalise qu’on pense dans une autre langue, qu’on rêve dans une autre langue, et la peur de la perdre, avec tout ce qu’elle signifie, nous envahit. Et puis dans tout ça naissent des dialectes fabuleux, dans une francisation des mots qui font sens et qui nous permettent de communiquer avec les personnes qui appartiennent à ce nouveau monde. C’est peut-être comme ça que naissent les langues, après tout.

2.Estudiar étudier

Penser l’architecture

Valence est la troisième destination d’échanges universitaires en Europe. On y trouve plusieurs Universités, réparties sur différents campus, dont les principales sont l’Université de Valence, regroupant les facultés de droit, économie, lettres et sciences humaines, et l’Université Polytechnique, regroupant les facultés d’ingénierie, l’école d’architecture et les Beaux-Arts.

L’enseignement de l’architecture proposé y est passionnant mais très distinct de celui de l’ENSAG. L’Ecole Supérieure Technique d’Architecture propose une conception de l’architecture finalement un peu éloignée de la mienne, car comme son nom l’indique, principalement sous un angle technique et constructif, omettant l’angle sociologique, philosophique, anthropologique ou artistique (aucun cours de sciences humaines et d’arts ne sont possibles à l’ETSA), ce qui m’est apparu, ayant forgé mon regard à l’ENSAG, absolument absurde, voire presque impossible.

De même, le déroulement du cours de projet s’attarde très peu à l’analyse du site, pour passer très rapidement à un stade de conception et de détails constructifs. Il en résulte des projets à l’implantation parfois peu défendable, mais certes, complètement réalisables d’un point de vue technique.

Une amie espagnole qui avait fait un échange en France m’a un jour dit «c’est vrai que vous, en France, vos projets possèdent une analyse de fond et un vrai imaginaire, mais ils ne tiennent pas. En Espagne, c’est juste le contraire». Certes.

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J’ai une fois de plus réalisé ce pourquoi j’aimais l’architecture, comprenant que sans cette vision proprement orientée vers les sciences humaines, apparemment assez française, ou du moins assez grenobloise, je n’aurais certainement jamais choisi ce parcours. Mon année à l’ETSA a en revanche été très formatrice, m’apportant un nouveau regard et complétant mes lacunes. Ayant l’avantage de choisir nos cours en échange, j’y ai reçu une formation passionnante. J’ai notamment suivi un cours de restauration architecturale de cinquième année, particulièrement intense, proposant la constitution d’un vrai dossier de rénovation, de l’analyse au projet, et orienté sur l’architecture vernaculaire valencienne, que je présenterai dans la partie mémoire de ce rapport. J’ai également eu l’opportunité de choisir des cours aux Beaux-Arts (raison entres autres pour laquelle j’avais choisi Valence dans ma liste de vœux). J’y ai suivi un premier cours de scénographie puis un cours intitulé «Pratiques Artistiques de Résistance» au second semestre, tous deux fascinants.

Sur les chemins de l’école PROJET / TALLER A L’exercice du projet s’est déroulé tout au long de l’année dans le village de Gestalgar (Communauté Valencienne).

Directement en lien avec les acteurs (mairie, coopératives, etc.), nous avons abordé, par le biais de trois projets, la thématique du dépeuplement qui touche fortement les campagnes espagnoles du XXIème siècle: • S1 / Ensemble de logements assistés et semi assistés • INTER SEMESTRE / Réhabilitation de la place principale • S2 / Local de la coopérative des femmes

Au coeur de l’ancien jardin de la seigneurerie, le projet de logements assistés pour personnes âgées fait écho à la rénovation de la place publique en réinventant un lieu de vie dynamique au centre même du village. Depuis quelques années, le village voit ses logements se vider et ses habitants rejoindre les villes, laissant derrière eux des aînés attachés au village ne pouvant rester sans assistance.

Dans une réinterprétation du vocabulaire du cloître, l’ensemble des logements et des espaces collectifs (bibliothèque, salle de sport, etc...) vient encercler le jardin par une grande déambulation le long d’une série d’arches, tantôt intérieure tantôt extérieure. Les espaces de vies se placent en retrait de cette déambulation principale, et invitent à la rencontre des habitants du village et ceux des logements indépendants et assistés dans un usage semi-public.

SECCIÓN AA’

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SECCIÓN CC’

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REPARTICIÓN DEL PROGRAMA PLANTA BAJA

PLANTA 1

PLANTA 2

ESPACIOS COLECTIVOS

VIVIENDAS ASISTIDAS

VIVIENDAS INDEPENDIENTES

S1. Habiter le jardin 0 1

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A

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B LV FR

C

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FR

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LV

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Au centre de Gestalgar, le projet de rénovation de la place publique s’inscrit dans une redynamisation globale de la vie du village, fortement touché par le phénomène de dé-population que connaissent les campagnes européennes.

Il cherche ainsi à réunir les habitants dans un lieu ludique et intergénérationnel, en rassemblant tout d’abord trois espaces: le parvis de l’église, la place principale, et l’esplanade d’entrée de l’ancien jardin de la seigneurerie. Il crée ainsi une continuité fluide et accompagne le visiteur dans un parcours doux et ombragé jusqu’au jardin. Le parvis, indispensable à la vie de l’église, est distingué du reste de la place par toute une série de gradins ludiques et colorés se prolongeant jusqu’à l’espace de jeux pour enfants dans une seule et même identité. Ce lieu emblématique propose une réappropriation de l’espace public et une aventure de la rue, délaissée avec l’arrivée massive de la voiture au XXe siècle, dans un espace à la fois de jeu, de repos, et de rencontre.

Castillo de los Murones

Pueblo

Agricultura

Rio la Turia

Agricultura

Montañas

0

1

GRADINS E

SOL EN CAOU

BÉTON

PAVÉS EN

VEGE

FO

DESCENDS LA PLACE DE L’ÉGL JETER DANS LE CANA

IS. La place du village ESPLANADE D’ENTRÉE DU JARDIN

PLACE PRINCIPALE

EN BOIS

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ESCALIER DE L’ÉGLISE

TEINTÉ

1

1/

UTCHOUC

3 E S P A C E S

5 METRES

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Répartir des orangers sur les deux espaces pour unifier, amener de l’ombre et accopagner le parcours.

Convertir l’escalier en gradins en bois, espace agréable pour se reposer

C/ VILLA

PIERRE

LA VILLA

ENCIA

C/ VAL

LISE POUR SE AL DU JARDIN

ETE

ONTAINE

C. ARRA BAL DE

C/ TRINQU

ETATION 0

1

5 METRES

Convertir la partie basse en espace de jeu, loin de la circulation, avec une structure ludique Prolonger les gradins jusqu’à la place, comme création d’une continuité et d’un seul même espace

Inviter les voitures à réduire leur vitesse avec un sol coloré qui appelle l’attention

Créer un espace de parvis, lieu indispensable dans la vie de l’église

Distinguer l’espace de l’église du reste de la place par un escalier

Le chômage touchant dans cette zone rurale majoritairement les femmes, un projet de coopérative est né il y a quelques années. Dans la double optique de pallier au manque de travail et à l’exode rural contemporain, il a permis d’offrir une formation d’aide à domicile aux femmes en recherche d’emploi et ainsi d’offrir une assitance aux personnes dans le besoin. Le local de la coopérative s’implante directement en face des logements, dans une continuité d’usage et de flux urbains, recréant un espace extérieur commun aux deux projets par l’orientation de ses façades principales vers la rue.

Egalement dans une continuité architecturale et constructive, l’espace de la coopérative reprend le vocabulaire du cloître et se déploie autour d’un espace de circulation distribuant de part et d’autre les espaces de travail, structuré tantôt par les arches en béton, tantôt par le mur en pisé. Entourant le bar, il propose un espace extérieur à l’usage semi-public, où se mélent les terrasses dans un véritable lieu de rencontre.

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S2. La coopérative des femmes

LA COOPERATIVA

Sede de la cooperativa de mujeres, Gestalgar

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FR

FR

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LV

LV LV

LV LV LV

FR FR FR

FR

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SECCION CC’

LEYENDA

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CUBIERTA 1. Chapa de remate de acero galavnizado 2. Estructura de acero para refuerzo 3. Chapa de acero 4. Lamina geotextil impermeable 5. Chapa de madera 6. Aislamiento térmico de lana de vidrio 11 cm 7. Lámina geotextil impermeable 8. Revestimiento de madera 9. Viga de acero 36 x 17 cm

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MUROS

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10. Revestimiento de acero inoxidable 12 11. Estructura segundaria metálica 12. Muro de tapia 45 cm 13. Lintel de tapia estabilizada 14. Carpintería de aluminio 15. Alféizar de ventana de acero inoxidable 16. Arco de hormigón préfabricado 13 17. Base de hormigón 14

FORJADOS 18. Baldosas hidráulicas 2 cm 19. Aislamiento térmico de lana de vidrio 11 cm 20. Losa de hormigón 20 cm 21. Perfil de cuelgue del falso techo de yeso 22. Falso techo de yeso 23. Revestimiento de hormigón encerado 24. Pavimiento de granito abujardado 3 cm 25. Grava 7 cm

CIMENTACIÓN 26. Grava suelta para drenaje 27. Tubo de drenaje 10 cm 28. Zapata corrida 18 19 20

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L’enseignement du projet de l’ETSA est très (très) différent de celui proposé à Grenoble. Influencé par une vision très technique, l’analyse est beaucoup moins fondée, beaucoup plus rapide, et surtout moins sensible, ne répertoriant que quelques éléments rapides permettant de passer très vite à l’étape du dessin. Nous l’avons vu, quand tous les élèves espagnols avaient, dès la deuxième semaine, et en étant allé qu’une seule fois sur le site, des plans de rez de chaussée bien avancés, alors que le groupe des dix élèves français en étaient encore à l’analyse topographique, urbaine, historique et sensible. Quand nous avons émis l’idée de ne toucher ni aux acequias* ni au jardin de l’ancienne seigeurerie vieux de plusieurs siècles présent sur le site du projet, chose qui n’avait pas été relevée, la responsable du studio l’a appuyée.

De même, si l’idée d’une intervention non touristique mais plutôt résidentielle et sociale pour redynamiser le village m’a parue très intéressante, proposer un nouveau complexe de logements dans une commune où plus de 50% des maisons sont innocupées paraît complètement hors temps, voire hors sujet. En revanche, quand j’ai posé la question, on m’a répondu qu’évidemment, la réhabilitation serait bien plus appropriée, mais qu’il s’agirait d’une étude de restauration architecturale trop complexe qui n’avait pas tellement sa place dans l’enseignement du projet.

D’ailleurs, la place du projet dans l’emploi du temps est assez significative de l’importance qui lui est accordée. Il en représente que 5h réparties sur deux matinées (contre presque deux jours en L3 en France), et n’est encadré que par un seul et unique prof (contre au moins deux, plus assistants à Grenoble), réduisant nettement le temps de correction et la progression globale: j’ai du, en tout et pour tout, en précisant que les cours en ligne n’ont rien amélioré, avoir entre 5 et 10 corrections individuelles dans toute l’année. Le reste des

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emplois du temps des espagnols est très largement dédié aux cours de structure, construction et autres cours techniques.

En revanche, toute une partie de la conception est dédiée à la formalisation technique du projet. Les détails techniques sont des éléments obligatoires du rendu, et sont considérés avec beaucoup d’exigence. La matérialité en général occupe une place très importante, jusqu’à par exemple la matérialité des sols extérieurs appartenant au projet, qui doivent obligatoirement être décrits et dessinés dans un élément graphique du rendu. Mon regard sur la matérialité et la construction a donc beaucoup évolué.

Ce qui m’a également surpris, c’est qu’il n’y quasiment aucun travail de maquette, et pire: pas d’oral, même final !

Que travailler par le biais de la maquette d’étude ne soit pas considéré comme primordial correspond finalement assez bien à l’approche peu expérimentale et très mathématique dont la vision de l’architecture en Espagne fait preuve, mais que les oraux soient inexistants, même se rapprochant de cette idéologie, reste assez inexplicable. De part ma formation à l’école de Grenoble, j’ai toujours placé en l’oral et l’agumentation une importance non négociable. Ne pas pouvoir commenter le processus de conception d’un projet m’a paru absurde, mais enlève finalement un certain stress à la fin d’un semestre bien chargé, et oblige finalement à travailler ses planches dans une autre mesure.

Le déroulement d’un atelier sur le cours de l’année est une temporalité assez intéressante, d’autant plus que tous les exercices étaient liés par la même thématique et localisation.

L’ETSA fonctionne avec des corrections prolongées des exercices des semestres précédents. Lorsque l’on rend l’exercice du S1, l’enseignant peu décider qu’il est incomplet et nous propose alors de le faire évoluer ensemble, en parallèle du nouveau projet, au S2. S’il l’idée est plutôt bien

fondée et permet une vraie progression, en pratique, elle se traduit néanmoins par une surcharge de travail et une certaine absurdité quand en juin, après deux mois de confinement, on vous fait comprendre que votre projet est «incomplet» et qu’il faut encorepasser quelques heures en plus enfermé sur votre ordinateur pour le rendre une denière fois à la fin du mois.

SCÉNOGRAPHIE Le cours de scénographie délivré par les Beaux-arts s’organise autour de deux projets, permettant d’aborder les différentes étapes du processus de conception scénographique, de la lecture de la pièce au prototype échelle 1, en passant par la maquette. Le premier projet consistait à représenter en maquette le dispositif scénique d’une scène au choix de la pièce El sueño de la razón d’Antonio Buero Vallejo, mettant en scène le rapport de Goya au pouvoir, dans une vive critique du franquisme.

Le projet se présente sous la forme d’une série de pièces métalliques suspendues, de tailles diverses, sous lesquelles se déroulent les différentes scènes. Les pièces métalliques ont deux fonctions, visuelle et acoustique, représentant la surdité/folie de Goya. Le reflet représente la démence, l’environnement des peintures noires de Goya, jouant avec la lumière, les ombres et la présence des personnages. En même temps, le son métallique et strident permet de contrôler l’environnement acoustique. Les scènes inaudibles sont plutôt créées lorsque les acteurs bougent et touchent le métal, cachant ainsi les voix et en en créant d’autres irréelles, celles que Goya entend. L’idée est que tous les personnages agissent dans le monde de Goya sans s’en rendre compte.

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Le deuxième exercice, quant à lui, proposait de choisir une photo de notre enfance et de la réinterpréter dans un espace scénique et un prototype à échelle 1.

L’image choisie représentait une scène de l’enfance, ma soeur, mon cousin et moi dans une baignoire.

Dans la vie, la baignoire a de nombreuses significations, que l’on retrouve par exemple dans les films ou les pièces de théâtre. Elle peut être utilisée seul ou à plusieurs, en silence ou avec beaucoup de bruit, pour un moment de repos ou de stress. Elle symbolise la solitude, la tristesse, la tension, la sensualité, la mort, le sexe, la vulnérabilité, le bonheur... Dans chaque cas, elle illustre un lieu très symbolique d’isolement et d’intimité. On peut donc facilement imaginer une scène avec des gens qui jouent à la fois autour et à l’intérieur d’une baignoire centrale qui serait le seul objet du décor. La baignoire serait un lieu où deux acteurs s’assoient pour un moment de confession ou de dispute, où un autre acteur refait le monde, ou encore où l’on admire un corps en ombres chinoises derrière le rideau bleu.

En y réfléchissant bien, la baignoire et le bain ont aujourd’hui un sens fort lié aux problèmes sociaux et climatiques, car ils représentent un véritable gaspillage d’eau et d’argent appartenant à une certaine classe sociale. Si la baignoire est généralement un symbole de luxe et de confort, les rôles peuvent être inversés : la baignoire devient alors un symbole précaire d’évasion, d’exil. Au lieu de contenir l’eau, la baignoire est vidée et l’eau commence à se disperser sur la scène. Ainsi, flottant au milieu, avec les acteurs à bord, la baignoire devient une allégorie des flux migratoires, quels qu’ils soient. Serait lu en même temps le poème du livre «Como si nunca hubieron sido» de Juan et Javier Gallejo, sur les morts en Méditerranée.

CONCEPTO

Exercice n°1

El aspecto importanc sordera de estando el que percib oír; cuand igualmente Goya, ve p o de su c son emple otra const frecuente e de la realid por medio será de re mundo de raras, y la a las ame el papel d ¿Goya mis

Vista general de la escenograf�a

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Modular el espacio

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Con eso, lo el rey y Ca poder polít contra las Son repres entre el po Es una per a Goya d

Exercice n°2

PRACTICAS ARTISTICAS DE RESISTENCIA Également proposé aux Beaux-Arts, le cours de Pratiques artistiques de résistance a pour moi été une révélation.

Dans une contre pédagogie totale abolissant toute norme et hiérarchie, les cours étaient constitués de débats sur des lectures de textes aux militantismes multiples (discriminations raciales, queer, LGBT, grossophobie, etc... ), où chacun argumentait et amenait son point de vue, dans une intimité parfois surprenante. Nous devions à la fin, rendre un portfolio regroupant des textes personnels à propos de chaque débat. Pendant le confinement, le système était le même, mais plus orienté sur des films et documentaires en tout genre (How to survive a Plague, Aretta, Atame, etc...).

L’autre partie du cours consistait en la réalisation d’une œuvre artistique engagée. Du voyage au voyage sonore, cette exercice à pour moi été l’opportunité de réaliser un montage sonore avec les différents enregistrements de mon voyage, dans une réflexion critique sur « le colonialisme ».

L’œuvre est représentée sous la forme d’un documentaire sonore, parcourant les voix d’Amérique du Sud, à partir de mon expérience au Mexique, à Cuba et en Colombie en 2019.

Il propose un panorama des mouvements de luttes et de dissidences qui animent les pays d’Amérique latine aujourd’hui, contre le système politique et économique mondial, et sur la revalorisation de leur propre culture qui est en cours, la prise de conscience des ressources et de la richesse culturelle. Toutes les voix ne «luttent» pas explicitement lorsqu’elles me parlent, mais elles rentrent dans un mouvement plus global de lutte et d’aspiration au changement. À travers ce travail, je cherche à établir une comparaison entre le colonialisme

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et toute autre forme de domination contemporaine.

Ce que j’appelle «colonialisme» désigne alors l’action d’envahir une personne, un peuple ou un lieu de quelque manière et à quelque niveau que ce soit, physiquement ou idéologiquement, en cherchant à définir et à rassembler «la prétendue pensée unique qui, aujourd’hui, écrase le monde» : capitalisme, pouvoir et oppression, consommation de masse, exploitation, patriarcat, inégalités, racisme, etc.

La pièce dure 31:54 minutes. Le montage sonore est composé de plusieurs enregistrements : la voix d’une amie qui parle d’un mouvement de défense des terres indigènes dans le sud de la Colombie «La liberacion de la Madre Tierra», des voix qui racontent leur point de vue sur la conquête, l’industrialisation, la modernisation, et la tradition, des poèmes, des chansons, etc... que je présente et que je ponctue avec mes propres explications. Les voix et les sons de la rue, la musique en direct, la radio et les sons des bars s’entremêlent, dans un aperçu de la composition de l’identité culturelle de certains pays d’Amérique latine, bien qu’il soit loin d’être exhaustif.

Mon voyage m’a inévitablement conduit à ce sujet. J’ai découvert une réalité qui commence avec la colonisation du continent sud-américain par les Européens, avec tout ce que cela implique, une réalité trop difficile pour que je ne m’y intéresse pas, en tant que personne et en tant que citoyenne d’un pays colonialiste. Cette réalité m’a beaucoup troublée et j’ai ressenti le besoin de mieux comprendre, de clarifier les choses, de les corriger, de me documenter ( j’ai lu Les veines ouvertes de l’Amérique latine d’Eduardo Galeano, entre autres). Car si nous apprenons à l’école que la colonisation et le colonialisme sont des faits du passé, ils sont toujours bien vivants, sous diverses formes, et nombreux sont ceux qui les combattent.

«La huerta valenciana, le monde d’à côté: celui de la lutte»

3. Pensar penser

Introduction

Espace agricole méditerranéen d’origine médiévale, la huerta historica valenciana est reconnue comme un paysage emblématique de la péninsule ibérique. Entourant la ville de Valence par des hectares de champs cultivés, elle constitue en partie l’identité de cette dernière. Caractérisée par son système d’irrigation ingénieux et son agriculture ancestrale, l’identité de sa communauté agricole et son architecture vernaculaire remarquable, la huerta constitue un patrimoine culturel unique. Cependant, comme toute frontière indéfinie entre ville et campagne, elle rentre depuis la moitié du XXème siècle en confrontation avec une urbanisation affamée et une extension de la ville toujours plus forte. Tout autour de Valence, la huerta a été vendue, et ses habitants, majoritairement paysans, expulsés : on compte aujourd’hui 64% de son territoire perdu en cinquante ans1.

Elle a été projetée, réimaginée, petit à petit effacée, mais surtout abandonnée avec la crise de 2008. Pour beaucoup, les projets immobiliers n’ont pas vu le jour, et les anciennes constructions, vieilles de plusieurs siècles et typiques de l’architecture vernaculaire valencienne en adobe et en roseaux, persistent. De nombreuses «okupas» («squat» en espagnol) y ont vu le jour, par simple nécessité de se loger ou par une volonté forte de lutter contre le système. On y trouve des centres sociaux, lieux de rencontres proposant tout une

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1 Exposition Tiempos Convulsos, Mars 2020, IVAM

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liste d’activités culturelles et politiques, des habitations, mais aussi des espaces entièrement dédiés à la fête. En résonance directe avec des questions actuelles d’agriculture urbaine et de défense du territoire, il en résulte aujourd’hui de nombreux mouvements de lutte un peu partout du Nord au Sud, dont le plus important est Per l’horta2.

On trouve dans une ville ce que l’on y cherche. Même inconsciemment. Sans vraiment le rechercher, j’ai été frontalement confrontée à cette thématique de la huerta et plus généralement du squat et de l’occupation illégale.

J’ai en effet et avant tout, autour de moi, un certain nombre d’amis engagés et militants qui évoluent aujourd’hui, notamment à Madrid, dans une mouvance d’occupation de ces lieux intermédiaires, convoités mais abandonnés, dans un but de résistance et de lutte contre le système actuel et les politiques immobilières visant à gentrifier davantage les quartiers populaires, en repoussant toujours plus loin des populations déjà isolées et stigmatisées. Depuis toujours, l’occupation de ces lieux a été un sujet présent dans les villes et les campagnes. Qu’elle soit légale ou non, elle s’apparente directement à des thématiques urbaines et architecturales qui résonnent face aux enjeux actuels de nos sociétés, en commençant par le droit au logement et l’accueil massif de nouvelles populations dans des villes sururbanisées qui sont aujourd’hui plus l’objet de spéculation financière que de réels lieux de vies.

Alors, la huerta, limite géographique et physique, ne représente-t-elle pas également une limite politique et sociale ? Plus généralement, entre lieu de lutte et de renaissance, ne serait-elle pas une véritable limite systémique, dans un moment clé où tout est à réinventer, à commencer par la gestion et la valorisation culturelle de nos territoires et de son patrimoine ?

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La huerta au lever du soleil, ©Fanny Perrot, fig.1

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1. La huerta valenciana Histoire et contexte géopolitique

3 Guédo Marina, Portet Jaume, 2013, «La huerta de Valencia, un paysage culturel historique en danger»

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La huerta, ou l’horta en valencien, traduit littéralement «plaine maraîchère» en français, est un archétype méditéranéen qui se caractérise comme un vaste espace agricole originaire de sociétés médiévales islamiques. Définie en 1993 par le géographe français Roland Courtot, dont les huertas de Valencia et Castellon furent l’objet principal du travail de recherche, comme «modèle d’organisation de l’espace par une société agricole fondée sur l’irrigation par canaux gravitaires et l’horticulture intensive» (Courtot, 1993)3, elle constitue l’un des sols les plus fertiles du monde, et se caractérise principalement par quatre éléments conjoints: • Un système d’irrigation égalitaire unique, une hiérachisation de canaux provenant du rio Turia • Une agriculture ancestrale, un système parcellaire et viaire bien définie • Un patrimoine culturel : villages, habitats traditionnels, moulins, accequias (canaux), etc...

• Une organisation sociale autour de la gestion de l’eau et communauté identitaire

Un peu d’histoire Si la première huerta date de l’époque romaine, ce sont les arabes, après 711, qui apporteront leurs connaissances sur le réseau d’irrigation gravitaire et mettront en place un système auto-organisé de gestion et répartition de l’eau.

Plan de Valence et alentours, 1883, fig.2

La croissance urbaine dans la comarca de la huerta entre 1940 et 1980, d’après Courtot Roland, 1994, La huerta de Valence : la fin d’un mythe ?, fig.3

Avec la conquête chrétienne quelques siècles plus tard, la huerta change légèrement de fonctionnement car beaucoup de ses terres sont attribuées à la royauté, à la noblesse et à la bourgeoisie, mais conserve son sytème ingénieux d’irrigation.

Dans un objectif d’auto-consommation et d’approvisionnement local, jusqu’à la première moitié du XIXème siècle, « la ville et la huerta évoluent au même rythme, c’està-dire lentement» (Courtot, 1993)3. Cependant, dans la deuxième moitié du XIXème, avec la construction du port industriel de Valence et l’arrivée du train, la région voit se développer les réseaux de transports et entame un commerce jusqu’alors peu connu: l’exportation. Tout s’accélère, le cumul de l’export et du climat méditerranéen propice à la culture entraîne un déséquilibre entre le développement de la ville et de sa huerta, car s’enrichissant, la ville connaît sa première grande vague d’extension, ce qui correspond d’ailleurs à la destruction de ses murailles médiévales en 1865.

Au XXème siècle, avec l’explosion de la natalité et l’exode rural, les villes débordent et commencent à s’étendre dans un développement rapide et incontrôlé vers leur périphéries.

La ville de Valence devient, dans la seconde partie du XXème siècle un grand centre industriel et une grande métropole tertiaire, capitale de la 4e communauté autonome espagnole pour le produit régional brut.

Les modifications alors appliquées au paysage atteignent un niveau de transformation jusqu’alors impensable, engendrant avec eux la destruction de l’identité des habitats ruraux.

La huerta, en tant que zone agricole et culturelle propre, a toujours constitué une importance notable et essentielle dans le développement de la ville de Valence. L’entrée dans le XXème siècle, dans l’industrie et le développement sans limite a opposé la modernité à la tradition, reléguant alors l’essence

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Huerta valenciana

Rio seco, ancien lit du fleuve

Fleuve actuel

Huerta valenciana actuelle, fig.4

rurale de la huerta au second plan de la réalité sociale. Les rôles s’inverseront, dans une hégémonie de la ville sur la huerta, de la modernité sur la tradition, et en définitif, le développement anarchique et irréfléchi d’une ville sur sa périphérie rurale.

Nul ne peut remettre en cause la dette historique que possède la ville de Valence avec sa huerta et ses populations originelles qui réussirent à maintenir leur autonomie durant des siècles, et virent la moité de leurs terres absorbées par la ville en quelques cinquante années, emportant avec elles toute la force d’une identité.

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Classée en 1998 par l’Agence Européenne de l’Environnement dans les paysages culturels européens, au côté de la Toundra, la Taiga, les Bocages et les Deltas, on en compte six le long des côtes méditerranéennes, réparties entre la Grèce, l’Italie et l’Espagne. De loin la plus importante, de par sa taille et son ancrage historique, la huerta de Valence constitue en partie l’identité du paysage culturel valencien. Ces paysages à haute valeur culturelle sont reconnues comme « menacés » et susceptibles de protection spéciale.

De toutes les huertas qui forment la Communauté Valencienne, soit 44 communes de l’aire métropolitaine pour un territoire de 63500 hectares et une population de 1,5 millions d’habitants, nous nous centrerons sur la plus significative, du à son ancienneté et son complexe système d’irrigation: la huerta valenciana même [fig.4].

Du nord au sud, la huerta valenciana se divise elle même en plusieurs huertas, pour beaucoup urbanisées et devenues aujourd’hui des noms de quartiers. On y trouve la huerta norte, possédant la plus haute valeur agricole et le patrimoine culturel le plus riche, englobant entre autres le quartier de Benimaclet, la huerta sur, et la huerta ouest, ou nord-ouest,

avec la symbolique zone du Campanar, dont une partie est encore intacte et sur laquelle nous appuierons nos recherches.

Un patrimoine territorial unique: l’irrigation, le viaire et la division parcellaire Le système d’irrigation de la huerta est unique dans sa complexité: il dérive l’eau du fleuve Turia en 8 acequias4 mères (Rovella, Favara, Mislata-Xirivella, Quart-Benàger-Faitanar, Tormos, Rascanya y Mestalla) qui constituent le Tribunal de las Aguas5, irriguant elle-mêmes 31 canaux majeurs et de nombreux canaux secondaires. Ces anciens espaces irrigués ont été parfaitement conçus, ne laissant rien au hasard.

Le développement de ce système et son implantation dans le paysage s’adapte aux courbes de niveaux, dans une approche respectueuse du territoire. Les structures agricoles, résidences et moulins, sont implantées respectivement en partie supérieure des acequias et aux croisements pour ne pas perturber l’irrigation. De plus, la répartition parcellaire oblige les canaux à une distribution épartie entre plusieurs propriétaires, de manière automatique, juste et équitable, amenant à une large résolution des conflits liés à la gestion de l’eau.

A partir du XIIIème siècle, il existe des preuves de l’existence d’un réseau viaire bien défini, constitué de routes principales et radiales s’étendant du centre urbain vers la périphérie. Avec le développement évolutif enregistré à partir du XIXème siècle, le réseau de routes principales et secondaires a commencé à être détruit par la construction de nouvelles infrastructures routières qui ont envahi la huerta et ont fracturé l’ancien

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Canal d’irrigation

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Tribunal des Eaux

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système routier. Ces routes qui étaient restées intactes au fil du temps sont devenues des routes de second niveau.

En plus de son irrigation et de son réseau de chemins, la division parcellaire constitue un autre élément propre à la structure de la huerta. Il existe différents modules de division du territoire, correspondant aux différentes périodes d’occupation, de la division romaine au parcellaire islamique, de l’équidistribution parcellaire au microparcellement de l’époque contemporaine.

Alors que les siècles romains reposaient sur de grandes surfaces de terre parfaitement modulées où l’on cultivait le blé, la vigne et même l’olive, et où le village agricole était situé au centre du domaine agricole, au cours des siècles suivants, les critères étaient complètement différents. La conception du verger andalou a pris en compte les éléments naturels et les contours du terrain lui-même, en organisant un nouveau système de parcelles basé sur ces critères pour construire le territoire et assigner les différents groupes qui s’y sont installés. Le territoire était structuré en parcelles de taille et de forme inégales, dont beaucoup étaient irrégulières car elles devaient s’adapter aux systèmes hydrauliques conçus et aménagés en terrasses s’adaptant aux irrégularités du terrain.

La huerta, qui était traversé par un système d’irrigation planifié et un réseau de routes de base, était organisé en unités agricoles sur lesquelles se trouvait une ferme. La parcelle de terre «contemporaine» qui nous est parvenue aujourd’hui, résultat de la répartition féodale du XIIIème siècle, serait caractérisée par l’homogénéité des parcelles, conséquence de la répartition équitable du territoire. En termes morphologiques, il s’agissait d’une structure rigide par rapport à la parcelle andalouse basée sur la «régularité organique». Les micro-propriétés, archétype actuel, mesurent en moyenne 1 ha et sont une caractéristique de la

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Typologies architecurales de la huerta, fig.5

Mur en adobe, fig.6

Plancher en roseaux, fig.7

Carmen CárcelGarcía, Pedro Verdejo Gimeno y David Clemente Ramírez, «Molino de Llovera, patrimonio de la arquitectura tradicional de la Huerta de Valencia»

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Fermes agricoles

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Roseau

huerta. L’unité de mesure utilisée est l’hanegada (ou fanega) qui correspond à 831 m2 dans la région de Valencia6.

Un patrimoine bâti: l’habitat traditionnel Le patrimoine bâti de la huerta regroupe diverses typologies architecturales, dont les principales sont les alquerias7 [fig.5] et les moulins, mais on retrouve également quelques monastères et autres formes d’habitats, dans un total de 400 éléments patrimoniaux répertoriés comme de “grande valeur”. Sur une bande de deux kilomètres autour de la ville de Valence, des fermes, des maisons et des cabanes étaient éparpillées un peu partout. Plus d’une centaine de moulins hydrauliques, qui ont représenté pendant des siècles la seule industrie existante, ont été construits sur les huit acequias qui irriguaient la huerta de Valencia depuis la fin du Moyen Âge.

Ils ont aujourd’hui presque tous disparu.

L’architecture vernaculaire valencienne, que l’on retrouve aujourd’hui dans les quelques zones de la huerta restées intactes, se caractérise entre autre par l’utilisation de matériaux comme la terre dans des murs en adobe [fig.6], le bois, souvent l’olivier, dans les charpentes, et de plus petits éléments comme la caña8, assemblés à l’aide de cordes et parfois recouvert de plâtre dans un système constructif de plancher: el forjado cañizado o cañizo. [fig.7] Le modèle architectural type de la huerta s’organise lui selon un corps principal, généralement sur deux étages, et un ensemble plus ou moins grand de dépendances et annexes agricoles selon la fonction du lieu (moulin etc...).

Les alquerias encore debout remontent à plusieurs siècles en arrière, et beaucoup d’entre elles, uniques dans leur état de préservation, font l’objet d’études approfondies en matière

de restauration architecturale 9 .

La alqueria Figuerols, dont l’étude, réalisée dans le cadre de mon année d’étude à l’Ecole Technique Supérieure d’Architecture (UPV10), sera présentée plus loin, en fait partie et constitue l’une des deux dernières structure de la huerta à présenter un adobe typique de l’architecture vernaculaire vieille de plusieurs siècles.

9 Fernando Vegas, Camilla Mileto, 2017, «Aprendiendo a restaurar» 10 Université Polytechique de Valence

Un patrimoine vivant, matériel et immatériel: celui d’une communauté et de son agriculture Grâce à la fertilité du sol, au climat méditerranéen, et au travail scrupuleux de la terre par des générations d’agriculteurs, l’agriculture de la huerta témoigne d’une réelle diversité.

Si la conquête de l’Amérique introduit au XVIème siècle de nouvelles cultures (pomme de terre, poivron, tomate), les cultures dominantes restèrent pendant longtemps la vigne, l’olivier, les céréales et la chufa11. Au XVIIème siècle, des mûriers plantés en bordure des champs et chemins de la huerta participeront au développement de l’industrie de la soie qui a fait la richesse de Valencia 12.

Au XXème siècle, les monocultures intensives augmentent l’utilisation de produits chimiques et provoquent la pollution de l’eau et du sol. Sur le plan économique, la rentabilité des exploitations baisse, transformant petit à petit le modèle familial et entraînant le développement de l’agriculture à temps partiel : les cultures maraîchères, gourmandes en main-d’œuvre sont alors remplacées par les plantations d’orangers. Selon Roland Courtot, on disingue aujourd’hui trois typologies d’agriculteurs13 :

60 Tubercule poussant uniquement dans le région de Valence transformé dans la traditionnelle boisson : l’horxata.

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Beaucoup de savoirs faires ancestraux ainsi que des cultures de graines autochtones ont été conservés dont, entre autre, celle de la cacahuète.

«La Huerta a la Vuelta de la Esquina», Documentales Culturales, Youtube 12

13 Courtot Roland, 1994, «La huerta de Valence : la fin d’un mythe ?»

- Les agriculteurs à temps partiels, “possesseurs de quelques parcelles qu’ils cultivent en fin de semaine ou qu’ils font cultiver à façon (surtout lorsqu’il s’agit de retraités) en attendant une éventuelle expropriation (changement d’affectation en sol urbanisable) afin de profiter des plusvalues attachées à ces nouvelles situations, ce sont eux qui s’orientent vers des cultures facilement mécanisables ou plantent des agrumes”

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- Les agriculteurs à temps complet, “qui ne disposent que d’une surface réduite (de l’ordre d’un à deux hectares) et qui conservent des pratiques d’intensification traditionnelles pour un éventail plus large de cultures maraîchères (les « verduras»), qu’ils portent au marché de gros de Valence, ou que leur femme vend directement au marché de détail. La main-d’œuvre est essentiellement familiale mais l’avenir des exploitations est hypothétique.”

- Les agriculteurs professionnels, “qui disposent d’une surface plus conséquente (de trois à sept hectares), sur laquelle ils peuvent obtenir des économies d’échelle grâce aux machines qu’ils rentabilisent aussi en travaillant à façon pour les petits exploitants. Ils peuvent aussi investir dans de nouveaux moyens (serres) en vendant quelques parcelles. Ce sont les plus innovants et ceux dont les exploitations sont les plus à même de perdurer, car ils se situent dans des zones plus marginales et moins directement menacées par la croissance urbaine.”

Mais parler de la huerta, c’est enfin, et surtout parler de son identité: celle d’une société agricole patriarcale et d’une communauté paysanne ancestrale structurée autour d’une agriculture traditionnelle et familiale.

Dans leur documentaire « Entre el dia i la nit, ni hi ha paret », le collectif valencien los Espigolaores met en scène une série

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Scène de vie dans le Campanar, ©Anaïs Florin, fig.8

En valencien :«Entre el dia i la nit, ni ha paret»

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de femmes âgées originaire de la huerta du Campanar, dans la création d’un témoignage du mode de vie - des femmes - représentatif du XXème siècle. Chacune leur tour, elles y racontent en valencien leur enfance et plus largement leur vie, le travail aux champs, l’organisation du commerce entre familles entièrement basé sur l’échange, les relations entre les voisins, la vie principalement familiale ancrée au territoire.

Peu d’entre elles avouent avoir vu la mer, bien que vivant à quelques kilomètres de cette dernière, dans une époque où l’échelle des choses et les distances n’étaient pas dilatées.

Elles décrivent les différentes tâches et étapes des cultures des légumes en tous genres, celle de l’oignon, de la betterave, du chou, dans un rythme de travail effréné où les heures se succèdent : « Entre le jour et la nuit, il n’y a pas de mur »14, explique une des femmes interrogées.

Elles posent un regard de femme sur la situation, de femmes du XXème siècle, dont la principale activité était d’entretenir le foyer, et décrivent, entre regret et mélancolie, le peu de choses qu’elles ont pu s’accorder. Étrangement, malgré leur condition, elles s’accordent pourtant toutes à dire que la vie était plus heureuse en ce temps la, une vie plus simple, plus vraie, plus humaine.

La rupture géographique

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Années 60

C’est un jour de septembre, au détour d’une rue dans le quartier du Campanar, que je découvre la huerta. En un coup de pédales, je passe soudainement de la grande avenue aux immeubles en briques des sesentas15 espagnoles, à un petit chemin de terre qui s’enfile entre les champs qui s’étendent à perte de vue. Le temps est gris, j’arpente la route avec mes compagnons de travail, nous cherchons un site pour une

Piste cyclabe traversant la huerta reliant Valence au quartier de l’Alboraya, fig.9

La faculté des Beaus-Arts vu depuis la huerta, fig. 10

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Pierre Dac, à propos de

la rénovation de la gare du Nord à Paris

étude dans le cadre de notre cours de restauration. De ruine en ruine, le paysage se transforme sans que j’en comprenne la raison. La rupture est nette, le choc, brutal. Je me retourne, une, deux fois, les immeubles, les champs, les ruines, les immeubles, et reste ébahie. Ainsi commence le récit de la huerta. Mes compagnons, pour beaucoup valenciens, m’en expliquent alors l’origine, l’identité, les enjeux, la destruction, la lutte. Le sujet a heurté tout droit ma sensibilité et a résonné dans ma tête. Depuis ce jour là, il fait pour moi sens dans le développement de ma pensée architecturale, et s’est imposé par évidence comme thématique de réflexion.

La limite entre la ville et la huerta appartient à l’absurde, à la démesure. La limite est nette et violente sur les contours, visuellement, culturellement, éthiquement, et pourtant mitigée en son coeur: entre deux immeubles, du haut de ses deux étages, l’on devine encore des bouts d’alquerias typiques de la huerta, perdues dans l’immensité de l’urbanisation.

On est dans la ville, puis dans un champ, en étant en réalité toujours dans la ville. Des hectares séparent deux quartiers, une piste cyclable aux aires de promenade champêtre les relie [fig.9], l’autoroute côtoie le potager et l’université jouxte les moulins traditionnels, mais son apparence non-trompeuse ne laisse pas l’ombre d’un doute sur sa localisation douteuse [fig.10].

La huerta historica valenciana possède des valeurs peu discutables (et pourtant): historique, culturelle et identitaire, paysagère et esthétique, agronomique et agroécologique, etc... Cependant, la huerta et sa richesse, considérée pour son unique aspect économique et non patrimonial, est peut-être condamnée à disparaître. Elle constitue depuis cinquante ans un véritable enjeu politique et territorial, attirant la convoitise de la spéculation immobilière, car «nous le savons bien, le vide coûte alors que le plein rapporte»16.

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Aux portes de la ville, huerta nord, ©Fanny Perrot, fig.11

2. Un paysage culturel en danger La menace de l’urbanisation

De «la huerta autour de la ville à la ville autour de la huerta»17 Au XXème siècle, une succession de facteurs, dont l’explosion démographique reste le principal, amène les grandes villes européennes à s’étendre de manière rapide, incontrôlée et violente vers leur périphérie. Dans un déséquilibre entre l’offre et la demande de logement, l’urbanisation, associée à la financiarisation du marché immobilier, entraîne, dans une recherche de rentabilité pure, le début d’une ère de la frénésie : celle de la construction des années 1960.

Dans le cas de la ville de Valencia, la perspective d’amélioration des ressources fiscales a poussé les élus à favoriser l’urbanisation au détriment de la préservation des espaces agricoles. Parcelle après parcelle, la huerta a commencé à être achetée par des grands groupes de banquiers et autres grands inverstisseurs de ce monde, dans une perspective de spéculation immoblière et de construction de projets immobiliers divers : de la ZAL du port industriel aux complexes de logements, de la Cité des Arts et des Sciences à l’Université, des principales autoroutes au parc aquatique...

En 1998, la loi foncière favorise la requalification du sol rural en urbanisable : tout sol rustique qui n’est pas protégé (réserve naturelle, parc etc.. ) est alors considéré urbanisable par la loi. La croissance urbaine de 80 % entre 1987 et 2008 dans la Communauté Valencienne n’a alors plus rien de surprenant18. La huerta a été littéralement engloutie par la

17 Courtot Roland, 1994, «La huerta de Valence : la fin d’un mythe ?»

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18 Guédo Marina, Portet Jaume, 2013, «La huerta de Valencia, un paysage culturel historique en danger»

vague d’urbanisation, mettant en péril sa communauté, son agriculture, et son patrimoine bâti.

19

« Nous devons définir

notre modernité pour ne pas laisser l’idéologie du moderne nous définir », David Pryterch, 2001, El paisaje ideológico: la huerta, la globalización y la modernidad valenciana. Una mirada norteamericana

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«Debemos definir nuestra modernidad y no dejar que la ideología de lo moderno nos defina»19 Dans son article El paisaje ideológico: la huerta, la globalización y la modernidad valenciana. Una mirada norteamericana, le journaliste David Pryterch met en garde sur la définition et la place que nous attribuons à la modernité. Selon lui, la mondialisation est interprétée par la “littérature géographique” internationale comme un changement d’échelle des espaces politiques et culturels directement en lienaveclatransformationéconomique:«Danscettedynamique, les nouveaux gouvernements régionaux se distinguent comme des agents importants dans la recherche de structures territoriales plus efficaces pour être compétitifs sur le plan économique. En bref, ils agissent comme des entrepreneurs, en essayant d’attirer des capitaux et des personnes avec l’instrument dont ils disposent: la planification de l’espace urbain et des infrastructures».

Ainsi, il n’associe pas la perte de territoire de la huerta à une perte de contrôle urbanistique où à une quelconque opération de spéculation du sol, mais bien à un effort de planification volontaire de l’administration dans l’objectif de restructurer l’espace local pour mieux connecter Valencia avec des flux plus globaux de personnes, de marchandises et de capital. Il pointe cependant du doigt un élément oublié des théories s’attardant sur le sujet : la politique symbolique du paysage. Pour lui, la modernité n’est ni une abstaction ni une fatalité. En se référant à la « pharaonique » Cité des Arts et des Sciences, construite par les architectes Santiago Calatrava et Felix Candela et inaugurée dans sa totalité en 2009, il affirme que «ce genre de projet ne reflète pas nécessairement la modernité

valencienne sinon bien une vision purement administrative, politique et gouvernementale de ce qu’est (et n’est pas) la modernité». Pourtant ce sont bien ces projets qui réussissent à s’inscrire comme symbole du paysage en acquérant un certain protagonisme dans le processus de définition économique et culturel de la ville.

«Nous sommes donc arrivés à un discours polarisé, où il n’y a de place que pour deux choses : le moderne et le non-moderne. Les grands projets publics, comme les ponts à l’échelle de l’économie mondiale, ont eu la vertu de capter, de s’approprier, le rôle symbolique de la modernité. Ce qui reste, la huerta et nombre de ses défenseurs, ont dû se conformer à la politique de la mélancolie et de la tradition. C’est-à-dire à l’échelle locale. Opposé de cette façon, la huerta perdra toujours du terrain. »20

20

David Pryterch, 2001,

«El paisaje ideológico: la huerta, la globalización y la modernidad valenciana. Una mirada norteamericana»

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Une communauté : l’expropriation C’est ainsi toute une population s’est vue, dans la deuxième moitié du XXème siècle, petit à petit expropriée de ses terres.

Les zones comme la huerta, restées isolées et inconsidérées pendant des siècles, ont d’un coup fait l’objet d’un fort intérêt financier et sont devenues menacées. Dans un témoignage artistique, « L’Horta, ni oblit ni perdó »21, l’artiste Anaïs Florin retrace depuis plusieurs années l’avancée progressive de la ville sur la huerta et ses modifications paysagères. « L’Horta, ni oblit ni perdó aborde le sujet de la destruction de la huerta valencienne au nom du progrès et tente de sauver, de manière éphémère, la mémoire des lieux intervenus, celle du lieu, du drame et aussi de la lutte.

Le projet est composé de quatre interventions dans l’espace public, réalisées en 2017 dans la périphérie de la ville de Valence, plus précisément et par ordre chronologique, à Benimaclet,

21

«La huerta, ni oubli ni

pardon», en valencien

traduit de l’espagnol

Castellar-L’Oliveral, La Punta et Campanar. Les interventions consistent à coller des photographies de grand format sur des panneaux d’affichage et des chantiers de construction.

Les interventions ont été réalisées en collaboration avec les communautés locales, avec un degré d’implication de celles-ci dans le processus d’idéation, d’exécution et de diffusion qui change selon chaque contexte.

L’Horta : ni oblit, ni perdó est aussi un hommage à tous ceux qui luttent pour leur droit à l’autodétermination, à la liberté, à l’identité et au territoire. »22

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Elles pose son regard sur quatre des plus grands projets destructeurs du processus d’urbanisation dans une résistance dénonçant à la fois la violence de l’expropriation des différentes communautés et l’éradication du paysage, tentant de recréer la mémoire de ce dernier.

22

Texte d’Anaïs Florin,

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En nom del progrés, la Ronda.

Encolado sobre valla publicitaria.

Benimaclet. ©Anaïs Florin, 2017

BENIMACLET ET L’AUTOROUTE NORD

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23

Traduit de l’espagnol

« Benimaclet est un quartier et un district de la ville de Valence situé au nord-est de la ville. Complètement absorbé par la ville, il jouissait auparavant de sa propre entité. Benimaclet était une municipalité et a eu sa propre mairie autonome du début du XVIe siècle jusqu’en 1878, date à laquelle il a été annexé à la ville de Valence. Il a été une commune rurale de la ville de Valence de 1878 à 1972, date à laquelle il a été intégré à la ville en tant que quartier. Fin mai 2007, le journal ABC a annoncé l’ouverture à la circulation de la Ronda Nord de Valence (ront point nord). La Ronda Nord est alors pour les médias «un projet ambitieux qui parie sur l’amélioration de la circulation de la ville». Le tracé de la Ronda Nord remonte au Plan général de 1989, mais la rumeur des travaux et de ce qu’ils signifieraient pour la huerta de Benimaclet n’arrive réellement qu’en 2001. À ce moment-là, on ne pouvait pas faire grand-chose, les machines étaient sur le point d’entrer et peu de gens parvenaient à s’organiser. Le Centre social Terra est devenu le siège du mouvement Salvem l’Horta de Benimaclet, récemment constitué. Des dépliants et des affiches ont été distribués et des signatures ont été recueillies.

Des manifestations sont organisées, des actions directes sont menées et les militants de Salvem l’Horta de Benimaclet s’enchaînent aux machines dans une dernière tentative pour retarder l’inévitable. En mars 2001, la lutte s’arrête, la police entre pour identifier les militants, arrête trente-deux personnes dont six font l’objet de poursuites judiciaires. Le rapport de police de l’époque criminalise la plateforme et sa lutte, et en 2003, la sentence est rendue publique, 6000 euros d’amende pour les membres de Salvem l’Horta de Benimaclet.

Les travaux se poursuivent, la huerta disparaît et la Ronda Nord s’intègre au nouveau paysage.»23 (Anaïs Florin)

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Fins ací aplegà la riuà Encolado sobre valla publicitaria Castellar-L’Oliveral ©Anaïs Florin, 2017

CASTELLAR-L’OLIVERAL ET LA DEVIATION DU LIT DU FLEUVE TURIA

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24

Traduit de l’espagnol

« Castellar-L’Oliveral est un quartier de la ville de Valence, situé au sud de celle-ci. Il est limitrophe au sud avec le parc naturel de l’Albufera, à l’est avec Pinedo et à l’ouest avec Alfafar et Sedaví. Castellar-L’Oliveral provient de l’union de deux villages qui ont été transformés en conglomérat urbain en 1950. En 1981, Castellar-L’Oliveral a été affecté à la région de Poblados del Sur. Le 14 octobre 1957, se produit un événement tragique qui va marquer la mémoire collective de Valence : la grande inondation. À cette époque, Valence devient le protagoniste des médias au niveau national avec un certain écho également dans la presse internationale. Ainsi, tout au long de l’année suivante, Valence, ou plutôt Ciutat Vella devient la grande victime nationale, les médias parlent de ses dégâts et ignorent subtilement ce qui s’est passé dans les campagnes.

La construction médiatique du drame se développe et, à un moment de pression politique, le gouvernement central propose la mise en œuvre d’un projet pharaonique, la «Solution Sud», qui consiste en la dérivation du fleuve Turia au sud de Valence et la construction de son nouveau cours. Ainsi, l’une des blessures les plus grandes et les plus silencieuses du territoire valencien s’est produite avec l’expropriation et la destruction violente et injuste de deux cent quatre-vingt hectares de huerta productive, de maisons, de patrimoine et de vies [...]»24 (Anaïs Florin)

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Mala Punta nunca muere Encolado sobre valla de obra, La Punta ©Anaïs Florin, 2017

LA HUERTA DE LA PUNTA ET LA CONSTRUCTION DE LA ZAL DU PORT DE VALENCIA

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25

Traduit de l’espagnol

« La Punta est un quartier de la ville de Valence situé au sudest de la municipalité. Traditionnellement, La Punta a été une zone de huerta et de passage entre Nazareth et Monteolivete.

Elle a été annexée à Valence avec toute la municipalité de l’ancienne commune de Russafa en 1877. En 1994, grâce à une modification spécifique du Plan général d’urbanisme de 1988, un protocole a été signé qui a conduit à la mise en place de la Zone d’activités logistiques du port de Valence (ZAL), proposant l’expropriation de soixante-dix hectares de huerta productive, l’expulsion de six cent vingt personnes et la destruction de maisons, de fermes, de parcelles et de maisons centenaires. La récupération urbaine de la zone d’activités logistiques (ZAL) du port de Valence a été vendue comme un projet urgent et nécessaire, comme une infrastructure stratégique qui assure la continuité de la chaîne de transport pour le secteur des entreprises. Pour ce faire, les terres ont été reclassées de la catégorie «terres non aménagées avec huerta de protection spéciale» à la catégorie «terres à aménager». Face à ce projet prédateur, l’association de quartier La Unificadora, créée en 1994, se mobilise et entame une lutte qui durera plus de dix ans, tant sur le plan juridique que social. La lutte de La Punta marque un avant et un après dans les consciences à Valence en termes de lutte pour le territoire. Elle a conduit à la création de la plateforme Salvem La Punta-Salvem L’Horta et toute une série de manifestations (rassemblements, marches à vélo) de toutes sortes ont été organisées pour rendre visible la lutte de La Punta, donnant lieu à divers niveaux de résistance, très différents mais tous intenses. [...]»25 (Anaïs Florin)

CAMPANAR ET LE PROJET DE PARC AQUATIQUE L’ancienne commune de Campanar, ainsi que d’autres zones périphériques, subiront ce même phénomène de transgression urbaine et feront partie, comme un quartier de plus, du tissu urbain de la ville. L’exécution de la planification, dans ce cas, s’est faite lentement et de façon chaotique, sauf dans le cas particulier du Pouet, quartier historique situé au milieu de la huerta de Campanar, dont l’action sera retardée jusqu’à la fin du XXe siècle, mais dont l’intervention sera rapide et dévastatrice. De grandes voies de communication entre la ville et la banlieue furent ouvertes, divisant complètement le territoire. Aujourd’hui, elle est subdivisée en quatre districts : Campanar, Les Tendetes, El Calvari et Sant Pau, une synthèse d’une réalité historique des zones rurales qui constituaient le paysage traditionnel de cette ville : Dalt, Pouet, l’Horta, D’Enmig, le village de Campanar, Sant Pau, Vora Riu, Tendetes ou El Calvari, entre autres. La plupart d’entre eux ont succombé à la construction d’immeubles d’habitations et d’installations hospitalières, commerciales et éducatives, notamment l’hôpital La Fé et le centre commercial Nuevo Centro .

Dans le documentaire «Entre el dia i la nit ni ha paret», se concentrant davantage sur les instants de vies des femmes du Campanar que sur leur tragique expropriation, une des femmes raconte néanmoins, la voix tremblante, le souvenir qui lui reste de ce violent traumatisme : «Puis vint la folie, de nous jeter hors de la ferme, le plus grand meurtre qui puisse arriver à des gens comme nous qui ne méritaient pas cela, et que les crapules de toute la troupe de la mairie de Valence se sont chargées de jeter dehors sans même nous donner une maison, ils nous ont jetés dehors comme si la maison était la leur, c’était la plus grande folie qu’on puisse imaginer dans une vie, je ne peux

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26

Traduit du valencien

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Traduit de l’espagnol

pas vous raconter ce que nous avons pleuré et souffert. Dans cette ferme, nous avons ri et pleuré à propos de tout, et maintenant il est douloureux d’y repenser. […] Ils ont acheté la terre à très bas prix, et l’ont vendue très cher».26 «Entre 1997 et 2000, la huerta de Campanar, plus précisément l’Horta del Pouet, a presque complètement disparu. En 1996, un groupe de grandes entreprises de construction valenciennes a présenté deux plans d’urbanisme pour la zone susmentionnée, Campanar Este et Campanar Oeste, qui forment ensemble ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Nou Campanar. Le conseil municipal a approuvé les deux plans, a approuvé l’achat de terrains et a procédé à l’expropriation et à l’expulsion des résidents, sans aucune alternative de relogement. L’expérience est violente, les voisins sont harcelés par la pression immobilière devant faire face en même temps à l’installation d’un des grands points de vente de drogue de la ville, la zone connue sous le nom de Las Cañas, qui a permis de contribuer à la dégradation rapide de l’environnement. Par coïncidence, en 2002, le marché de la drogue dans la région a été démantelé grâce à une vaste opération de police, au moment où les travaux de Nou Campanar touchaient à leur fin. En 2015, Campanar est l’une des zones touchées par le nouveau PGOU de Ritá Barberá et dans la lutte, une nouvelle plateforme est créée avec les différentes associations et groupes impliqués dans la défense de la huerta de la zone : La Taula per La Partida. L’objectif de cette plateforme est de dynamiser, d’améliorer et de générer de nouvelles pratiques dans le jardin maraîcher de CampanarBenimàmet. En février 2017, une nouvelle est tombée avec violence à Campanar : Rain Forest, l’entreprise qui gère le Bioparc de Valencia, vient de présenter un projet pour le terrain rattaché au zoo, qui était réservé à une extension ou à des activités complémentaires. »27 (Anaïs Florin)

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No al Parc aquàtic, Campanar ©Anaïs Florin, 2017

L’agriculture : la destruction Si l’expropriation de la population de la huerta est une des premières conséquences de l’urbanisation massive contemporaine, la destruction de l’agriculture, du paysage et des écosystèmes en est une autre.

Cependant, l’urbanisation n’est pas le premier facteur de ce déclin. Comme l’explique Roland Courtot, « Cette évolution spatiale s’est accompagnée d’une évolution interne du système de production agricole, confronté à une crise de rentabilité de ses exploitations. La concurrence des nouvelles régions maraîchères du littoral méditerranéen méridional de l’Espagne pénalise les agriculteurs de la huerta sur des marchés de plus en plus saturés, et avec des coûts de production plus élevés, leurs marges bénéficiaires décroissent ou disparaissent.»28 Possédant une des plus importantes productivités du monde au début du XXeme siècle, celle-ci diminue fortement dans les années 1960 en raison des changements de pratiques agricoles.

En parallèle, l’urbanisation ne fait que se rajouter à la chute de productivité de l’agriculture déjà enclenchée. Avec les rachats des terrains et la construction massive, la majorité des acequias indispensable à l’irrgation de la huerta sont détruites, empêchant ainsi l’irrigation de champs qui seront, de toute manière, souvent éradiqués eux aussi. La huerta passe alors de 32 000 hectares a 23 000 dans les 20 dernières années, soit perd plus de 30% de sa surface cultivable29. De plus, n’ayant trouvé aucune information directe reliant la déviation du lit du fleuve Turia et le déclin de l’agriculture, il n’est pas dur de supposer qu’étant irrigués par ce dernier depuis des siècles, de nombreux terrains de la huerta ont du subir l’éloignement de leur principale source d’eau vers le Sud. Dans les marchés de Valence, sous la suprématie de l’agriculture de masse aux provenances variées, l’agriculture de la huerta est toujours

28 Courtot Roland, 1994, «La huerta de Valence : la fin d’un mythe ?»

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29 «La Huerta a la Vuelta de la Esquina», Documentales Culturales, Youtube.

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présente mais peu promue. On retrouve ses produits plus facilement dans de petits marchés tel le Mercat del Cabanyal, et diverses initiatives, telle la mise en place d’un petit marché biologique au sein même de l’Université Polytechnique tous les jeudis, permettent la valorisation de cette agriculture locale. A l’heure où l’agriculture « urbaine » est au cœur de bien des débats, la présence si précieuse de cet écosystème de la huerta proche de la ville pourrait (et devrait) être autrement considéré comme une vraie richesse.

Plusieurs mouvements luttent pour sa revalorisation.

L’association Per l’horta, mouvement social né de la première Initiative Legislative Populaire pour la protection de l’Horta de Valencia et organisation à but non lucratif, collabore avec de nombreux acteurs, se positionnant comme le médiateur dans les actions politiques existantes. Dans sa lutte pour la défense du territoire, l’association promeut entre autre l’agriculture traditionnelle et l’agroécologie pour une durabilité des systèmes agraires et alimentaires, et cherche à collaborer avec des acteurs locaux pour le développement d’un circuit court et solidaire. Son slogan, « l’horta es vida » est devenue un symbole et se retrouve au cœur de toutes les manifesations de défense de la huerta et plus largement dans les mobilisations pour le climat.

Préserver l’horta, c’est en effet d’abord préserver son agriculture. Pourtant, nos différentes sociétés se sont toujours davantage intéressées à la protection paysagère qu’agricole, ce qui explique pourquoi l’Albufera au sud de la ville est depuis plusieurs années un parc naturel protégé pour la richesse des écosysèmes qu’elle abrite, et non la huerta, de loin tout aussi importante.

En revanche, si la huerta a perdu 80% de sa superficie en seulement vingt ans, beaucoup de projets immobiliers sont restés à l’arrêt après la crise de 2008. En effet, dans l’élan de

Agriculteur devant la Cité des Arts et des Sciences, ©Miguel Lorenzo, fig. 12

Activistes luttant contre la destruction du «Forn de la Barrac», 2019, ©Miguel Lorenzo, fig. 13

spéculation immobilière qu’a connu la zone agricole dans la fin du XXeme siècle, un certain nombre de terrains sont aujourd’hui achetés et réservés à une construction au futur plus ou moins proche, laissant à l’abandon de nombreuses maisons traditionnelles en état de dégradation.

Le patrimoine bâti : l’abandon Étude de cas, la alqueria Figuerols

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Dans mon premier semestre au sein de l’Ecole d’Architecture de l’Université Polytechnique de Valence, j’ai suivi un cours intitulé restauration architecturale. Dirigé par Fernando Vegas et Camilla Mileto, ayant entre autre participé à la réhabilitation du palais de l’Alhambra (Granada) et à l’écriture de l’ouvrage Aprendiendo a restaurar, ce cours de cinquième année est en réalité à l’origine de mon intérêt pour la huerta valenciana.

Entre cours théoriques sur l’histoire de la pensée de la restauration et cours pratiques, nous devions, dans un travail de groupe, réaliser un dossier complet de restauration d’un bâtiment de taille moyenne en état de dégradation suffisant, de l’analyse au projet, en passant par les différentes étapes nécessaires: relevés métrés et photogramétrie, analyse des matériaux, études des pathologies, des mécanismes de dégradation et des dommages structurels, datation par stratigraphie et solutions constructives de restauration. Dans une liste de plusieurs maisons abandonnées, notre choix s’oriente rapidement vers l’alqueria Figuerols, pour une raison assez simple : cette maison appartenait à la grand-mère d’un ami du groupe. Nous avions ainsi à disposition des ressources d’une richesse incomparable pour monter un dossier de

actualidad

2000

1991

1945

CE CE

Evolución de la huerta de la partida d'alt

restauration : un témoignage, des photos, des noms, des histoires, des faits. C’est avec surprise que je découvrirai plus tard, lors de mes recherches, que cette zone du Campanar et cette alqueria même apparaisse non seulement dans le documentaire Entre el dia i la nit, ni ha paret, comme lieu symbolique de la huerta, mais également dans le travail artistique de Anaïs Florin dans sa lutte contre la construction du parc aquatique.

Le noyau traditionnel du Campanar a été maintenu grâce à plusieurs lois de protection rendues effectives à partir du PGOUV de 1988 et qui, avec le Plan Especial del Entorno BIC de 2010, maintienent la protection du paysage urbain. (Molino de Llovera, patrimonio de la arquitectura tradicional de la Huerta de Valencia).

Cependant, en 2017 est annoncée la création du parc aquatique dans la prolongation du Bioparc, sur la partida de Dalt et les alquerias existantes.

30

La zone étudiée, nommée « Partidad de Dalt » constitue l’unique partie de la huerta du Campanar restée pratiquement intacte jusqu’à aujourd’hui30. La protection d’une importe partie et la situation actuelle de la crise dans le milieu de la construction a permis à cette zone de la huerta de rester intacte pour quelques années de plus, en dehors de l’avance de l’urbanisation. Plusieurs terrains sont aujourd’hui concernés par de remarquables failles juridiques : beaucoup sont achetés depuis plusieurs années par des institutions ayant fait faillite ou en difficulté financière depuis la crise de 2008, laissant ainsi la majorité des parcelles à l’abandon puisque réservées à une urbanisation future. Bien que le paysage de la huerta soit dans beaucoup d’endroits, en attente, en pause, il est toujours possible de se promener dans les champs cultivés, d’écouter couler l’eau dans les acequias de poser le regard sur les architectures traditionnelles pour tenter de reconstruire le paysage ancien de la huerta du Campanar.

Les aquerias Rey y Figuerols

Plan masse A LQ U E R Í A DEL REI DE

CABECERA

JADA

E PU

CALL

ALT DE D

Avant/Après

ROJA

BIOPARC

BA AV. PÍO

PARQUE

INTRODUCTION DU BATIMENT

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L’alqueria Figuerols constitue une partie de l’histoire de la huerta valenciana, un récit vivant de ce qu’elle était et ce qu’elle est devenue. Aujourd’hui, elle émerge timidement du côté nord du Bioparc, dans un site abandonné où la végétation pousse et s’étend de manière incontrôlée. Mais ça n’a pas toujours été ainsi...

Selon le registre cadastral de 1900, la ferme faisait partie d’un réseau de routes et de rues historiques, qui marquaient le rythme et les formes qui constituaient le tapis de la huerta si typique de la ville. Plus précisément, elle s’appuyait sur l’emblématique rue «Pujada del Pouet», une ligne droite qui reliait ce groupe de fermes avec celles situées plus à l’intérieur des terres, où se trouvait l’Ermita du Santísimo Cristo del Pouet, qui, à son tour, continauit vers la «ville» la plus près, la vieille ville de Campanar.

Le groupe d’alquerias de la Pujada del Pouet se caractérisait par les liens qu’elle entretenait avec la terre. Les habitants de la région travaillaient normalement dans les fermes voisines, et ils profitaient également de la présence du réseau d’acequias provenant du fleuve Turia, qu’ils utilisaient pour l’irrigation.

C’est la situation que l’on retrouvait le plus communément dans la périphérie de la ville de Valence antérieurement.

L’alqueria faisait partie d’un conglomérat de maisons appartenant à différents propriétaires. Il est difficile de savoir laquelle constituait l’habitation d’origine puisqu’aujourd’hui seule l’alqueria figuerols est encore debout, mais ce qui est certain, c’est qu’elles n’ont pas toutes été construites en même temps ou du moins pas de manière planifiée.

Avec l’expansion de la ville, peu à peu, les champs qui l’entouraient ont été envahis et les parcelles furent

RDC

Logement 1 Non accessible

Logement 2

90

R+1

Logement 1 Non accessible

Logement 2

91

31 En vue des dégradations actuelles, notre objet d’étude se limitera à, dans le cas du logement 1, aux façades et à une portion du rez de chaussée étant donné que le plancher repose sur une poutre en bois en très mauvais état ne permettant d’accéder ni à l’entiereté du rez de chaussé ni à l’étage supérieur. Dans le cas du logement 2, l’étude se limitera à la partie du rez de chaussée, la partie supérieure restant inaccesible à cause de l’effondrement du toît. Une partie du rez-de-chaussée reste néanmoins inaccessible car recouvertes de décombres.

requalifiées lors de leur ajout au tissu urbain. Le même sort est arrivé à la huerta de la Partida del Pouet, à côté de Campanar en 2000. Cette alqueria et bien d’autres ont été expropriés par le conseil municipal et ses habitants contraints d’émigrer vers la ville, comme le décrit le documentaire «Entre el dia i la nit no hi ha paret».

Le Bioparc, construit à l’époque, et le projet suivant qui y sera annexé - un parc aquatique - prévoient de procéder à une insertion de ces fermes dans son complexe.

La alquería de figuerols fait partie du patrimoine architectural de la huerta de Valence et a donc une valeur culturelle, car elle est un symbole de l’identité et de l’histoire des Valenciens.

Elle possède une grande valeur historique, en raison de son emplacement et constitue un document vivant de l’évolution de la ville. Elle constitue également un modèle authentique d’un mode d’habitat disparu qui contient un dessin, des matériaux et des techniques de construction qui ne sont plus utilisés aujourd’hui.

Aujourd’hui, la alqueria est composée de trois volumes s’élevant sur deux étages, dont deux sur la façade principale et un autre à l’arrière. L’ensemble de maisons qui existait à l’époque a dû être démoli en raison de la mise en œuvre du projet de parc aquatique. Selon Pau Llorens Aguilar, les deux volumes n’étaient pas reliés en interne puisqu’ils correspondaient à des propriétaires différents et chacun avait sa propre entrée extérieure. Après son abandon, quelqu’un a dû briser les murs intérieurs et a tout relié. Nous ferons donc une distinction entre le logement 1 et le logement 2.

Néanmoins, les deux parties se trouvent dans un état de dégradation avancé en raison de l’abandon et de l’occupation illégale qui a sûrement suivi. Un récent incendie a participé à l’accélération du processus de dégradation intérieure, d’où le détachement d’une partie du plancher du logement 2 31.

Relevés

Façade principale, Nord Est

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Façade Nord Ouest

Façade Sud Ouest

CC'

AA'

DD'

BB'

Coupe CC’

93

Coupe AA’

Coupe BB’

BOIS

BRIQUE

CRÉPIS DE

ADOBE

CIMENT

RUSTINE DE CIMENT

PEINTURE

AGGLOMERANT

PIERRE

MARRON

TÔLE ONDULÉE

ENDUIT DE CIMENT

TUILE EN

PEINTURE

CÉRAMIQUE

BLANCHE

MORTIER DE

PEINTURE

CIMENT

"TROMPEL'OEIL" APPAREILLAGE DE PIERRE

Étude des matériaux

1

E Mur mixte d'adobe et de briques en terre cuite

ste muro de carácter mixto combina dos fábricas constructivas de adobe y de ladrillo.

Tras el paso del tiempo, el adobe se ha ido erosionando pero aún se puede intuir su despiece en bloques modulares aparejados de la misma forma que se colocan los ladrillos. El mortero empleado es el mismo barro y paja de los bloques, de ahí que sea difícil reconocerlo visualmente en el muro.

Sin embargo en aquellas partes del muro en las que el uso del adobe no cubre las necesidades, véase las esquinas -que requieren una geometría mayor- y el zócalo -para proteger el muro frente la humedad del terreno- están ejecutadas con ladrillo de dos tipos.

2

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L Toiture en roseaux

a cubierta a un agua de correas y cañizo de la alquería está compuesta por siete vigas de madera prismática de sección 15 x 6cm. Las cuales están apoyadas en dos zunchos de madera, uno en la cumbrera y otro en el alero. Que a su vez están apoyados en un muro de adobe y anclados a tres pilares de ladrillo manual. En estas vigas se apoya el entramado de cañizo que se cruzan de matera transversal a la estructura. Estas cañas están ceñidas entre si con la ayuda de cuerdas de esparto y cañas maestras de mayor diámetro dispuestas trasversalmente a las cañas y paralelas a las vigas, pero que al tener que cubrir mayor longitud, una sola caña no cubre toda la luz de la cubierta y se ha hecho un empalme de ella para salvar toda la distancia. Para mayor sujeción, se ha colocado un listón en cumbrera y en el alero clavado a los rollizos, y a la vez junto a él, en el borde del alero se han colocado dos tablas calvadas a las vigas que sirve como tope y freno al cañizo de la cubierta que por su inclinación ejerce más presión en esta parte. Sobre la superficie del cañizo se disponen las tejas de cubierta con un mortero de asiento pobre en cal. Las tejas están aparejadas sin mortero excepto las situadas en el alero, los extremos y la cumbrera, aunque en zonas como el alero, los extremos se han colocado rasillas cerámicas por encima del mortero y por debajo de las tejas para mejorar la protección del muro ante la lluvia sirviendo a modo de goterón alegando el agua aún más de la cerramiento.

3

E Plancher en roseaux

l elemento constructivo esta hecho de viguetas escuadradas sobre los cuales se apoya entrecruzado un tablero cañizo fuertemente ceñido entre si con cuerda de esparto con la guía y ayuda de las cañas maestras dispuestas en los espacios entre viguetas. Sobre eso, se extiende una capa de yeso para conferir rigidez y servir como de pavimiento a la planta superior. Debido a las irregularidad de las cañas, se puede ver regularmente el yeso que traspasa en los interticios de la parte inferior.

Voutins ossa briques et en

El forjado de madera con revolton es caso, de unos 65 cm entre ellas y ladrillos, mant escombros para formar una capa horizontal, do viguetas están equipadas con dos aletas latera lateralmente la bóveda de ladrillo. La bóveda g ladrillos, dispuestos en varias capas. En este caso segunda capa en la que los ladrillos están presente guardar el material de relleno. El forjado

Étude des techniques constructives 7

El arco rampante o carpanel, lo forman rasillas que apoyan en un tabique y el tiro de arranque de la escalera intestará en un macizo de fábrica de ladrillo. Curiosamente los ladrillos empleados sobre el arco tendrán la longitud de una rasilla unos 24cm, aunque más gruesos y los del macizo serán irregulares y de otro tono. Desembarca en un muro de adobe al que se adhiere a través de yeso.

Escalier en voûte

6

97

Charpente bois et toiture en tuile

Está constituido por el vuelo de una varias hiladas de ramillas colocadas normalmente a tizón, denticuladas, etc. El vuelo está limitado por las dimensiones de la propia casilla que debe garantizar apoyo suficiente (como máximo la mitad de su longitud). Sobre esta o estas hiladas se disponen las tejas ligeramente voladas o, a lo sumo, una combinación alternada de casillas y tejas canal. Existen variantes correspondientes a cubiertas inclinadas con entabicado de casilla, donde el alero es simplemente una prolongación al exterior de la solución constructiva interna, con sus pares, rastreles y entabicado superior con una tomadura final de madera para evitar el deslizamiento de las casillas en el borde del alero. Las tejas se reciben sobre un mortero de asiento de cal y la hilada del alero se apareja con el mismo mortero para conseguir una mejor fijación.

4

ature bois remplissage nduit plâtre

stá construido con vigas de madera espaciadas, en este tenidas juntas por un relleno de mortero, yeso, arena y onde colocar el pavimento superior. En este caso, las ales de unos pocos centímetros para poder descansar generalmente consta de dos, tres, cuatro, cinco o seis o, hay una primera capa compuesta de 5 ladrillos, y una es solo en las áreas laterales a la altura de los riñones, para o se completa con una fina capa inferior de yeso.

5

Mur mixte maçonnerie briques en terre cuite

Combina dos fábricas de mampostería y ladrillo. Las partes que requieren una mayor geometría están ejecutadas con ladrillos. El resto se construye con fábrica de mampostería con ocasionales verdugadas de ladrillos de varias hiladas. Las piedras se aparejan con mortero de cal en forma de mampostería apenas careada, pensado de forma que agilizara la construcción.

FISSURES

PERTE DE MATIÈRE DES BRIQUES EN TERRE CUITE

ECAILLURE DE L’ENDUIT SUR LE MUR D’ADOBE (INFILTRATION DE L’EAU ET HUMIDITÉ)

EXFOLIATION DE LA PEINTURE (CONDITIONS CLIMATIQUES)

EROSION DE L’ADOBE

COMBUSTION DU BOIS

EROSION DES JOINTS

PERTE DE MATIÈRE DES PIERRES

Dégradation des matériaux

EROSION DES

INFILTRATION D’EAU

JOINTS DE LA

DANS LA TOITURE

MAÇONNERIE

TÂCHE DE CIMENT

DÉPÔT DE SUIE

VÉGÉTATION

Lecture stratigraphique

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LEYENDA

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8 Etapa

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1 Número de hueco

7 Etapa 303

Igual a Se liga a

6 Etapa

Cubre a

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Se adosa/rellena

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4 Etapa

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3 Etapa

3 Etapa

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1 Etapa

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Dommages structurels

Fissures

Affaissement du mur d’adobe

Dommage de la charpente

11ALQUERÍA FIGUEROLS _ Propuesta de intervención Proposition d’intervention

Reconstruction de la

Recontrucción de la cubierta | Se recolocaran que falten además se le dará un tratamiento im los niveles de aislamiento térmico. Tambien se mediante protesis

Renforcement des poutres et poutrelles par des plateaux métalliques

Incorporation de nouvealles menuiseries inox

Remplissage du mur d’adobe

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toiture

n las tejas y se añadiran nuevas las mpermeabilizante para actualizar e restauran las viguetas y correas

Recomposition des murs par remplacement des éléments manquants

Rejointoiement

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Remplissage des fissures (silicone)

Injection de coulis (chaux) entre l’adobe et l’enduit

La alqueria después de la intervención Escala 1:100 0

Planta primera

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Projet

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Nous croyons fidèlement que la préservation de ce type de bâtiment passe par l’attribution d’un usage contemporain afin qu’il ne tombe pas à nouveau dans l’oubli. Notre travail se concentrera sur la consolidation et la récupération afin de le remettre en état de fonctionnement qu’il avait avant sa rétrogradation. L’usage sera donc l’objet principal de notre projet pour sensibiliser aux valeurs de la huerta: la valeur culturelle que représente l’alqueria - au-delà de sa valeur antique -, et son lien avec un style de vie de plus en plus méconnue des nouvelles générations, un mode de vie vernaculaire lié à la nature, à la coexistence avec l’ancien et ses connaissances.

L’idée d’une école d’agriculture qui intègre les jardins environnants dans ses installations se concrétise et cela génère une récupération du sol pour la culture. L’Alqueria sera un espace de formation où les gens pourront recevoir des cours ou des ateliers sur les cultures des peuples autochtones. Il disposera également d’un dortoir commun au premier étage pour accueillir les volontaires qui viennent collaborer en échange d’un logement. L’installation d’une cuisine, d’un salon et d’une terrasse permettra la vente et la préparation de denrées alimentaires à un public potentiel.

De cette façon, il devient également un magasin local dans le quartier de Campanar, où vous pouvez trouver des produits frais de qualité.

Depuis plusieurs années déjà, l’entreprise du Bioparc avait racheté le terrain de la partida de Dalt pour annoncer en 2017, la construction d’un gigantesque parc aquatique, le plus grand d’Europe... En février 2019, elle affirme avec une certaine fierté, et une moins certaine absence de prétention, qu’elle compte réhabiliter le groupe d’alquerias del Rey et Figuerols pour les introduire au projet du parc aquatique plutôt que de les détruire. Par leur conservation, l’entreprise entend « rendre à Valence la mémoire de l’usage traditionnel de la huerta » (rien que ça...) : « L’importance de l’Alqueria del Rey est un prototype des fermes de la région, qui remonte au XVe ou XVIe siècle et se distingue, principalement par sa valeur architecturale, car il est possible de reconnaître et d’étudier les espaces domestiques et de production, entre autres, des vers à soie. En ce qui concerne la maison de Figuerols, son importance est évidente car, bien qu’à l’époque, il s’agissait de cabanes, et ce n’est qu’au début du XXe siècle qu’un étage supérieur a été ajouté et qu’elles ont été transformées en maisons. Ainsi, la Alquería del Rey va devenir le siège de la Fondation Bioparc Valencia où se tiendront, entre autres, des expositions itinérantes. En outre, une ferme de vers sera créée, le lieu où les vers à soie ont été élevés, et sera incluse dans la Route de la soie de Valence. En ce qui concerne Figuerols, un musée sera créé dans lequel le mode de vie de l’époque sera revitalisé. » Comme si Valence avait besoin d’une énième attraction, et l’Espagne d’un enième parc aquatique. Comme si « rendre à Valence la mémoire de sa huerta » résidait dans la création d’un enième complexe touristique à la taille démesurée, aux portes de la ville, dans un gaspillage évident d’eau et la destruction d’écosystèmes fragiles, dans la négation totale de la présence d’un paysage culturel historique, mais qui intégrera, pardon, la préservation de deux groupes d’alquerias typiques de l’architecture valencienne (sur les centaines déjà

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détruites) et où sera généreusement « rendu » aux valenciens le mode de vie de leurs ancêtres, tout en détruisant tout ce qu’il en reste.

Comme si la simple considération de la présence de ces alquerias et leur don au tourisme de masse constituait une « mémoire » de la huerta. Mais une mémoire pour qui? Ne nous voilons pas la face, ce n’est pas tellement les valenciens que l’entreprise du Bioparc cherche à attirer quand elle clame haut et fort qu’il s’agira du plus grand parc aquatique d’Europe. Comme s’il s’agissait d’une mince affaire que de préserver la mémoire de la huerta, une mémoire qui serait d’ailleurs unique et unanime, en la résumant à un simple musée (on voit déjà d’ici les automates en habit d’époque pelant des oignons sur le seuil de la porte) alors que des dizaines d’associations militent depuis des dizaines d’années pour préserver son patrimoine culturel et ses terres pour, en effet, « rendre » à Valence sa huerta, et non pas sa « mémoire ». Car ce que l’entreprise oublie, c’est que, oui, même fortement réduite, la huerta existe encore, et il ne s’agit pas uniquement d’en traiter la « mémoire » mais bien de conserver ce qu’il en reste et de la mettre en valeur dans un espace - loin de la recherche de quelconque profit financier - pouvant en effet chercher à recréer une dynamique passée (nous pouvons l’accorder au Bioparc) tout en s’adaptant aux besoins contemporains: remise en culture des sols et production d’une agriculture bio et locale vendue à l’échelle du quartier et de la ville, création d’un espace pédagogique autour de l’agriculture traditionnelle, d’un espace d’accueil des populations expropriées, d’un espace culturel et de projets ouverts au débat politique sur le schéma de la vie en communauté de l’époque, d’un espace artistique et de transmission d’artisanat ancien... Il y a tant à faire pour rendre à la huerta endormie ce qu’était la huerta d’autrefois, dans

une huerta contemporaine plus éveillée que jamais, et ce n’est certainement pas un parc aquatique qui en préservera le paysage et l’identité centenaire32.

Bioparc rehabilitará

32

las alquerías del Rey y de Figuerols en su aniversario, Radio Valencia

“La huerta historique et son sytsème hydraulique d’irrigation, les artefacts des moulins et constructions, sont des exemples d’un patrimoine, qui à l’opposé des grandes manifestations patrimoniales sont le reflet de la quotidienneté de la société. Il est évident que la grande valeur de ce patrimoine n’est pas tant artistique mais bien historique et culturelle. Pour autant, le sauver aiderait à récupérer la mémoire du paysage historique traditionnelle de la huerta.” 33 (R. Courtot) Ces lieux intermédiaires, tels que l’alqueria Figuerols, convoités mais abandonnés, sont là, intacts pour encore quelques années, qui sait. Face à l’inaction des institutions (la Generalitat mettra plus de sept ans à préparer le PATH34 dont l’objectif était de protéger les zones de grande valeur de l’horta en permettant un développement urbain socioéconomique durable, et l’approuvera finalement en 2018, avec 17 ans de retard... ) depuis les années 1990, la défense du territoire s’est organisée par le biais des agriculteurs, des associations environnementales ou de voisins, dont la principale reste Per l’horta35, et plus récemment, grâce à la dynamique de l’occupation illégale des maisons traditionnelles abandonnées. Au cœur des failles juridiques, ont vu le jour un certain nombres de centre sociaux occupés et autogérés, dans une volonté générale de résistance culturelle et politique avec comme objectif principale la défense de la huerta valenciana.

33 Courtot Roland, 1994, «La huerta de Valence : la fin d’un mythe ?»

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Plan de Acción territorial

de Protección de l’Horta de Valencia

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Page 83

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3. La huerta comme zone de résistance L’occupation comme lutte L’occupation illégale de lieux abandonés, ou « squat », constitue l’une des multiples formes que prend l’habitat informel contemporain. A la croisée des divergences, elle se matérialise au XXème siècle dans un contexte social et politique déséquilibré où l’action pourtant si basique d’« habiter » devient des plus compliquées, quand « se loger » l’est déjà largement. Si des générations d’architectes, anthropologues, sociologues, philosophes et autres penseurs se sont attardés à définir ce qu’ « habiter » signifiait au sein de l’existence humaine, il est assez incroyable de se rendre compte qu’au XXIeme siècle, son importance vitale n’est toujours pas acquise et considérée comme primordiale. Au XXeme siècle, dans une collision entre un besoin conséquent de nouveaux logements, menant directement à un processus d’urbanisation massif, et un système capitaliste prospère, le marché immobilier devient une nouvelle source de profit (et laquelle), et un réel intérêt de spéculation financière, engendrant une hausse des prix perpétuelle. Au cœur du gouffre des inégalités socio-économiques, quand accéder à un logement (digne de ce nom, ou pas) est devenu impossible pour beaucoup, l’essence même de l’« habiter » définie par le philosophe allemand Martin Heidegger comme l’action première « d’être au monde »36, s’égare en chemin, dans une véritable fragilité de l’« habiter » contemporain.

Mais reprenons depuis le début.

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Céline Bonicco Donato, «Heidegger et la question de l’habiter, une philosophie de l’architecture»

36

Les fragilités de l’habiter (contemporain)

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Parler de l’habiter et de la fragilité que véhicule ce terme de nos jours nécessite que l’on revienne une bonne fois pour toute sur sa définition.

Dans son article Il est temps de considérer le logement comme un bien de première nécessité, l’architecte Pascal Rollet affirme: « Il s’agit d’abord d’une fonction vitale non négociable : protection contre les intempéries, maintien des conditions de confort dans une plage adaptée à notre métabolisme, sécurité contre les menaces extérieures. Il s’agit, ensuite, d’une base essentielle pour le développement de la vie sociale : espace d’intimité, espace partagé avec les proches, ouverture vers les espaces communs où rencontrer et échanger avec les autres. C’est, enfin, le support du déploiement de notre imaginaire, de nos désirs, et de nos projections vers l’extérieur. En ce sens, c’est le socle physique de la construction de notre identité. Sans cette matrice, plus ou moins isolante, plus ou moins fermée selon les climats et les cultures, nous sommes incapables de nous élever, au sens propre de l’élevage de notre progéniture, comme au sens figuré de l’élévation de nos âmes. » Largement inspiré de la pensée d’Heidegger sur le sujet, il rétablit une définition qu’il fait bon de rappeler (pour ne pas dire qu’il faudrait la crier sur tous les toits): l’habitat est, au delà de son aspect physique, et par la formalisation de ce dernier, le premier lieu où nous évoluons. Il nous permet, par l’intimité qu’il nous apporte (et bien plus) un épanouissement essentiel, un conditionnement à la vie collective. L’habitat, en tant qu’entité, est par nature le lieu où, dans une relation d’ambivalence, les éléments physiques se matérialisent en un être, et l’être se matérialise dans les éléments physiques.

Le philosophe Thierry Paquot (re)met d’ailleurs en exergue la distinction entre « logement » et « habitat », là où se dernier, dans une globalité, entend réunir bien plus que les

éléments physiques qui le délimitent: «[l’habitat] intègre la cage d’escalier et l’ascenseur, le hall d’entrée, le local à bicyclettes, les abords immédiats de l’immeuble, le cheminement qui mène à la rue, les rues voisines qui desservent la station de RER, l’école, la boulangerie, le jardin public… Mon habitat est extensible au gré de mes humeurs, de mes relations de voisinage, de ma géographie affective, tout comme il peut se rétrécir, si moi-même je me replie sur moi, ne veux rencontrer personne, m’enferme dans mon appartement comme une huître dans sa coquille.

D’où l’importance de la qualité du logement et de son isolation phonique. Une cage d’escalier bruyante, des parois perméables aux bruits gênent le repos, entravent le bien-être et favorisent l’agressivité, la colère, le refus des autres. De même une rue triste, sale, inhospitalière déteint sur votre caractère, vous devenez morose, vulnérable, inquiet et broyez du noir. […] “Habiter”, [c’est] construire votre personnalité, déployer votre être dans le monde qui vous environne et auquel vous apportez votre marque et qui devient vôtre. »37 Finalement, son origine étymologique en dit déjà beaucoup.

Du latin habitatio, « habiter » est directement en relation avec les termes « habituer », « habiller » et « habit », faisant tous référence, d’une manière ou d’une autre, à « la manière d’être » de l’individu, qu’elle soit apparente ou intrinsèque.* D’ailleurs, dans son fabuleux ouvrage « Chez-soi », que je citerai plus d’une fois, la journaliste Mona Chollet elle aussi assimile (entre autre) le logement à une deuxième peau : «on parle souvent de la maison comme un second vêtement: comme lui, quoiqu’à un autre niveau, elle protège, elle dissimule, elle assure le bien être du corps, elle offre un minimum de surface sociale, et permet une forme d’expression. Ne pas pouvoir s’extraire de la multitude, échapper à son harcèlement, se soustraire aux regards, refermer une porte derrière soi, arpenter quelques mètres carrés où l’on est souverain, souffler, reprendre des forces, faire ses

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Thierry Paquot, 2005, « Habitat, habitation, habiter. Ce que parler veut dire... »

Mona Chollet, 2016, « Chez soi», ed. La Découverte poche 38

besoins, se laver, se préparer à manger, entreposer en lieu sur des objets auquel on tient, c’est n’avoir qu’un vêtement sur les deux qui nous sont nécessaires ».38 Habiter, et bien habiter constitue donc l’essence première de l’existence, nous permettant « d’être au monde » et sans laquelle il est pratiquement impossible « d’être en société ». Ainsi, comme l’exprime parfaitement l’architecte Christopher Alexander dans son ouvrage A pattern language: « Si une personne ne dispose pas d’un territoire propre, attendre d’elle qu’elle apporte une contribution à la vie collective revient à « attendre d’un homme qui se noie qu’il en sauve un autre » ».

Et pourtant...

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Dans l’urbanisation massive des années 1960, l’industrialisation et la rapidité de la construction relèguent la qualité architecturale au second rang. La logique s’inverse et le temps se dilate. Selon Thierry Paquot, le temps long, celui de la ville, n’est plus pris en compte par les investisseurs en recherche permanente de profit sur le court terme, créant un déséquilibre intrinsèque dans le développement urbain et territorial.

«Pour le citadin, l’agacement est quotidien devant des trottoirs surchargés de bornes anti-voitures, de panneaux et autres éléments d’un «mobilier urbain» immobile ; l’exaspération est inévitable quand le réaménagement d’une place oblige à marcher davantage pour la traverser. Qui n’a pas jugé absurde, une nuit de forte chaleur, son logement non traversant, et ridicule son balcon décoratif trop exigu pour s’y installer ? Sans parler du scandale que représente un bâtiment récent, et certainement très coûteux, déjà revêtu d’un filet protecteur parce que sa peau eczémateuse perd ses croûtes... Régulièrement, des voix s’élèvent pour dénoncer

les aberrations d’un grand ensemble criminogène, d’un tracé autoroutier qui déchire un quartier, d’une extension d’aéroport qui pollue toute une zone résidentielle, d’un aménagement, parfois banal, qui de fait se retourne contre le citadin. Certes, mais les gens y résident, constate l’expert, rassuré. Résident, peut-être ; habitent, on peut en douter. […] La recherche du profit seraitelle incompatible avec une certaine qualité architecturale et constructive ? » 39 Dans les années 1980, la forte financiarisation de l’économie entraîne à la fois une augmentation des loyers et une baisse générale des revenus. Le calcul est simple. De plus, à cette époque « les pouvoirs publics n’ont anticipé ni l’augmentation de la population, ni l’allongement de l’espérance de vie, ni le divorce d’un couple sur trois. »40 Autrement dit, aucune des données anthropologiques dessinant l’avenir d’une population et son besoin direct en matière de logement.

Quelques chiffres alarmants40: - En France, entre 1998 et 2011, les prix de l’immobilier ont grimpé de... 158%.

- En France, 1/4 des sans abris ont un emploi.

- En 2012, 455000 HLM ont été attribués, mais le nombre de demandeurs s’élève à 1,7 millions.

- Au début des années 1980, les foyers consacraient 25% de leurs revenus à l’alimentation et 13% au logement, trente ans plus tard, le rapport s’est inversé.

- A Paris, 193000 logements, soit 14% du parc immobiliers « correspondent à des résidences secondaires, logements occasionnels ou biens vacants ».

- L’Europe compte onze millions de logements vides, soit deux fois plus que de sans abris.

39 Thierry Paquot, 1999, « L’architecte, l’urbaniste et le citoyen»

Mona Chollet, 2016, « Chez soi», ed. La Découverte poche

40

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«Mais qui, au juste, a encore les moyens d’être de ce monde ? »41 41 Mona Chollet, 2016, « Chez soi», ed. La Découverte poche

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Dans cette optique, le droit au logement, et plus largement le droit à la ville, se voient fortement remis en question.

Favorisant toujours les plus riches, les politiques actuelles poussent une grande partie de la population à vivre loin des centres, subissant des trajets quotidiens usants, à vivre chez ses parents, à vivre dans l’inadéquat, l’inconfortable, l’insalubre, le trop petit, générant ainsi toute une série de conséquences socio-psychologiques alarmantes. Dans leur documentaire Les ghettos du gotha, les sociologues PinçonCharlot évoquent l’impact de la taille de l’espace dans lequel on grandit: « Celui qui a grandi dans un logement ouvrier étriqué encombré sait combien il est difficile de maîtriser son corps dans une situation publique ou l’on se retrouve exposé aux regards. Ces expériences qui peuvent paraître mineures, sont fondatrices de l’aisance ou du malaise en public ».41 En bref, pour reprendre l’expression d’Heidegger, la plupart des gens ne cherche plus aujourd’hui à « être au monde », mais déjà bien à « être » tout court, dans une acceptation forcée de la médiocrité. A travers le monde, au gré de l’imagination, sont apparues de nombreuses alternatives, dans une série de solutions plus ou moins viables.

La tiny house : la non réponse.

Aux Etats-Unis, pays très touché par le mal-logement et largement pris comme exemple par Mona Chollet, naît dans les années 2000 le concept de la tiny house. Dans une architecture du minimalisme, à commencer par sa taille (quelques mètres carrés à peine), elle reprend l’archétype

de la cabane, du refuge, de l’abri, cherchant à privilégier la qualité architecturale à la quantité. Standardisé par Jay Shafer en 2007, elle est envisagée comme une alternative aux logements coûteux et dégradés, son prix ne dépassant pas les 30 000 dollars. Mais une question se pose assez rapidement: le modèle de la tiny house convient-il vraiment à tout le monde et à toute les périodes de l’existence ? Autrement dit, le Living small est il vraiment adapté aux besoins humains, dans une perspective d’habitat alternatif et pérenne ?

Dans une série d’arguments très simples, Mona Chollet démonte le concept de la tiny house : vivre dans un espace aussi restreint limite les relations sociales, ne s’adresse évidemment qu’à une petite partie de la population (les jeunes célibataires en pleine forme physique) et constitue une véritable source de discriminations, engendre une frustration, une fatigue très rapide qui suit l’enthousiasme de posséder si peu, ne permet pas de s’isoler quand on vit à plusieurs, et même basiquement d’étendre son corps. « Pouvoir inviter ses amis, pouvoir donner des dîners, des fêtes, pouvoir pousser les meubles pour danser – ou même, soyons fous, ne pas pousser les meubles pour danser. Pouvoir héberger quelqu’un sans sacrifier l’intimité et le confort de tous. Disposer d’une pièce, au moins, d’un espace dégagé où l’on puisse s’allonger, s’étirer, déplier ses bras et ses jambes, sans heurter les meubles... »42 autant de choses essentielles à revendiquer, quand choisir de vivre dans un 9 mètres carrés serait plutôt y renoncer.

La non réponse de la tiny house réside donc dans le fait qu’elle n’est autre qu’une inclination devant le système, une résignation devant l’orde social: «Ils se contorsionnent pour rentrer dans le placard qu’on veut bien leur laisser et prétendent réaliser par là leurs désirs les plus profonds. […] Quant à l’argument selon lequel les petits espaces seraient écologiques...

On s’illusione gravement si l’on croit pouvoir sauver la biosphère

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42

Mona Chollet, 2016, « Chez soi», ed. La Découverte poche

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en se résignant à sa position de perdant dans la distribution des richesses. » Mais loin des tiny houses, de nombreuses solutions existent.

Dans son article Il est temps de considérer le logement comme bien de première nécessité, Pascal Rollet rappelle, en s’appuyant sur les inégalités socio-spatiales renforcées par la crise sanitaire et le confinement du printemps 2020, que reconsidérer la place de l’habitat, et de l’habitat pour tous, dans nos sociétés devient un besoin plus qu’urgent:« Il est temps de remettre en cause le « dogme dominant » de la concentration urbaine à outrance et de reconsidérer la définition de l’habitat : de l’objet matériel de spéculation financière au besoin vital de se loger. [...] Ne devrions-nous pas imaginer des rééquilibrages territoriaux basés sur une meilleure répartition des ressources et des services publics ?»

Il propose un changement de paradigme complet questionnant la notion de propriété, révisant les modalités d’accès à un logement décent pour chacun, indépendamment de sa situation géographique, et repensant les modes de financement, de conception, de production et de construction des espaces habités. Finalement, pourquoi habiter n’est il pas considérer, au même titre que se nourrir, comme un besoin vital?

Selon lui, “la plupart des activités liées au logement sont assujetties à la TVA au taux de 20%, notamment la promotion et la construction de logements neufs.” Si l’on considérait le logement comme un bien de première nécessité, au même titre que les denrées alimentaires, le taux de TVA descendrait à 5,5%. “S’il était considéré comme les médicaments remboursés, ou comme la presse, le taux descendrait à 2,1%... En s’assurant, par des mécanismes qui restent à déterminer, que l’économie de taxe soit directement transférée aux acheteurs, et qu’aucun processus spéculatif malsain ne vienne absorber l’effort commun,

le prix d’achat d’un logement pourrait automatiquement baisser de 14,5% à 17,9% selon le taux de TVA finalement choisi”*, permettant ainsi une plus grande égalité dans l’accessibilié au logement.

Le logement taxé au prix des denrées alimentaires paraît en effet être une réalité sociale et changement politique encore hors d’atteinte, mais comme l’indique Mona Chollet, il s’agit toujours d’une « série de données conjoncturelles et de décisions ». La considération actuelle du logement prend donc forme dans un contexte ni induit, ni acquis, et reste largement transformable. Il ne reste qu’à lutter pour. (l’occupation illégale?)

En attendant certains grands changements, c’est certainement au squat que revient la véritable alternative. En effet, de l’inefficacité des politiques publiques du logement naissent au XXème siècle diverses formes d’habiter, plus ou moins formelles, cherchant à pallier l’absurdité d’un système entier. L’occupation illégale, largement répandue depuis les années 1960, n’a aujourd’hui perdu ni son entité d’accueil, ni sa diversité sociale, et encore moins la force de sa révolte.

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Le squat, produit de l’exclusion et espace de résistance: une convergence des déroutes sociétales

Florence Bouillon, 2005, «Le squat, un lieu de résistance»

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“Le terme «squatteur» désigne une personne sans logement qui s’installe illégalement dans un local inoccupé. Être squatteur n’est pas un état : c’est une situation. Pour une très grande majorité de personnes, l’occupation illicite s’inscrit dans un parcours résidentiel marqué par la précarité. C’est donc bien, d’abord, dans une problématique de l’exclusion du logement que doit s’inscrire la compréhension du squat”43.

L’évolution du squat dans l’histoire est assez complexe.

Largement abordée dans le mémoire universitaire L’histoire du squat de Thomas Dawance, elle fera pour moi plus l’objet d’une réflexion à long terme que d’une partie de ce mémoire, me trouvant dans l’impossibilité d’en lire, comprendre et réinterpréter l’entièreté dans un simple paragraphe.

En quelques mots, le squat est une pratique ancienne. Elle est en réalité directement reliée à l’organisation de la ville et la hiérarchisation des classes sociales, et s’est donc largement ancrée à l’ère industrielle lors de la création du prolétariat et des rapports de dominations patron/ouvrier (et plus simplement richesse/pauvreté). La critique de la politique immobilère est en fait elle aussi assez ancienne. Il existe, depuis la création des villes, des revendications pour un espace de vie physiquement sain et économiquement viable.

Au cours du XXème siècle, l’entité du squat a beaucoup évolué, impacté par différents événements politiques. La seconde guerre mondiale constitue l’un des premiers facteurs du XXème siècle à l’origine de la généralisation du squat et la lutte pour le droit au logement: « En France, «la Confédération nationale

du logement, le Mouvement populaire des familles ou l’Abbé Pierre feront du squat un moyen de mettre en évidence lacontradiction entre un parc de logements vides et une masse de sans-abri.» Ce sontles éléments déclencheurs de la lutte moderne pour le respect de l’article ? de laDéclaration Universelle des Droits de l’Homme : «Le droit au logement pour tous» .”44 L’Abbé Pierre œuvrera largement dans cette direction tout au long de sa vie. En revanche, s’il donna une vraie impulsion au squat, son idée de logement pour les plus précaires sera vite récupéré par les gouvernements et transformé dans un schéma que nous connaissons biens : les cités de transit.

Le mouvement du squat s’amplifie après mai 68 à la suite des luttes urbaines d’extrême gauche, reliant à ce moment de l’histoire deux types de squatteurs : - les classes ou couches sociales dont les problèmes et les caractéristiques constituent les déterminants structurels qui sous-tendent et motivent l’action des squatters, autrement dit qui rencontrent frontalement des problèmes financiers pour se loger (travailleurs immigrés, ouvriers, salariés en crise, sans abris, etc...)

- les militants révolutionnaires, étudiants intellectuels, souvent de familles bourgeoises, qui articulent leur idéologie révolutionnaire sur la situation critique des couches sociales précédentes.

Dans les années 70, le mouvement du squat connaît une forte répression et une divergence des luttes : les deux types de squatteurs se dissocient peu à peu car les motivations ne sont pas fondamentalement les mêmes, certains se voient satisfaits d’un accès à un logement même illégal et d’autres sont à la recherche d’un activisme encore plus marquant.

Les années 80 connaissent une forte transformation urbaine et industrielle, entraînant à la fois un grand nombre d’expropriations mais aussi d’abandons de friches, renforçant

44 Thomas Dawance, 1999, «L’histoire du squat»

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par conséquences la dynamique du squat. A cette époque plutôt que d’opposer frontalement deux types de squatteurs aux aspirations variés, on retient plutôt deux motifs au squat : améliorer son habitat et son environnement conditions de vie et diminuer les coûts et investir l’architecture et le lieu en correspondance avec des aspirations de vie en lui donnant un sens. C’est à ce moment et dans les années qui suivront que verront le jour beaucoup de squat d’artistes.

Synonyme de crise du logement, le squat « n’a jamais émergé d’une pénurie réelle de logements, mais toujours de son inadéquate répartition »* et évolue conjointement avec les luttes du droit au logement et de la réhabilitation architecturale. Entre exclusion et lutte anti-systémique, le squat comme nous le connaissons aujourd’hui est le résultat direct de la contreculture des années 1970-80. La multiplication de sa pratique, comme celle des bidonvilles au XXème siècle et de nos jours, considérées comme le dernier échelon de l’habitat précaire, révèlent de sérieuses failles au sein du système politique actuel.

Si l’évolution du squat est complexe, sa définition l’est encore plus. L’occupation illégale ne vient donc pas d’un manque de logements, mais bien d’un manque de logements accessibles aux personnes à faible revenu. Il se retrouve au cœur des failles politiques en matière de logement, de travail et de politique migratoire. Le squat est généralement monté par un petit groupe de personnes, repérant plusieurs bâtiments abandonnés dans l’optique d’occuper l’un deux. Comme l’indique Florence Bouillon dans son article Le squat, un lieu de résistance, Le squat est polymorphe : « il peut héberger une personne seule comme plusieurs dizaines, dans un petit appartement du centre-ville comme dans une friche industrielle de banlieue. » La durée de vie d’un squat se compte maximum en années, mais il se voit très souvent fermé au bout de quelques

mois suite à une plainte du propriétaire, une poursuite judiciaire et une intervention des forces de l’ordre. Si le squat est une alternative à la rue pour beaucoup, il constitue tout de même une grande instabilité résidentielle, pouvant être fermé du jour au lendemain, créant chez ses occupants l’angoisse de se (re)trouver à la rue. Les conditions d’habitat y sont très variées, il existe des squats totalement insalubres et des squats rénovés jouissant d’un confort de base (eau, éléctricité, chauffage, etc...). Comme dans les années 70/80, les habitants des squats viennent d’horizons variés : « immigrés sans papiers, jeunes fugueurs refusant d’intégrer un foyer, artistes sans atelier, «routards» de passage, Tsiganes privés d’aires d’accueil, toxicomanes sans domicile fixe, militants de la cause libertaire... [...] une grande partie des squatteurs travaillent, notamment dans les secteurs du bâtiment, de la restauration ou de l’agriculture. » 45 Mais dans tous les cas, le squat ne peut pas être généralisé.

Il dépend amplement de la dynamique des gens qui l’occupent, de leurs aspirations, de leur conditionnement social, etc. La force du squat réside bien dans la mixité sociale qu’elle génère. « En ces lieux se croisent alors des mondes sociaux qui sinon s’ignorent. » Résumer les squatteurs à deux catégories serait aujourd’hui omettre que beaucoup d’entre eux se trouvent dans un intermédiaire tangent entre la précarité et la résistance, penchant tantôt vers l’un tantôt vers l’autre. Si le squat apparaît comme une alternative directe et physique à la rue, le squat est une émancipation. Il attribue, en tant qu’habitat, un certain statut d’autonomie et une place dans la société. « Vivre en squat, c’est aussi échapper à l’assimilation à des individus que l’on tient pour plus dégradés que soi […] comme un espace dans lequel il est possible de dire « je » sans être en permanence rappelé à un statut d’infériorité ». Loin des foyers de migrants ou de la banlieue, l’occupation illégale,

45 Florence Bouillon, 2005, «Le squat, un lieu de résistance»

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46

En Espagne, à l’heure

du développement timide du langage inclusif, dans le milieu de l’occupation tout le monde parle au féminin

qu’elle soit subie ou choisie, manifeste un désaccord avec les solutions de logements souvent hypocrites proposées aux plus précaires, dans une nuance de résistance(s) politique(s).

“Le squat ne peut se comprendre qu’à l’interface de ces deux réalités: il est à la fois produit de l’exclusion et espace de résistance.”

La résistance principale qui rassemble au sein du squat est basiquement dirigée contre le système néolibéraliste en place et contre la spéculation immoblière, dans une lutte pour le droit et l’accessibilité au logement. Mais le squat est par essence un lieu de convergence des luttes : dans une mixité ethnique et sociale, s’y joignent très rapidement des luttes contre les discriminations raciales, luttes féministes46, LGBT queer, écologiques47, etc... surtout dans le cas des Centres Sociaux Autogérés48, dont l’objectif direct n’est autre qu’une résistance culturelle et politique globale.

123 47

Les problématiques

anti spécistes, anti

En Espagne

gaspillage, et autres sont au cœur de l’éthique des squats en Espagne et certainement dans d’autres pays européens 48

Page 126

La thématique de l’occupation s’est faite de plus en plus évidente dans le cheminement de ma pensée architecturale, notamment car j’ai autour de moi un certain nombre d’amis engagés et militants qui évoluent aujourd’hui, entre autres à Madrid, dans une mouvance d’occupation de ces lieux intermédiaires. J’y ai passé une semaine, en janvier lors de mon séjour dans la capitale. Je ne m’étais en réalité jamais questionnée sur ce qu’était le squat, mais je crois qu’il évoquait en moi quelque chose de négatif. En découvrant « l’okupa», j’ai d’abord été surprise par le lieu : très loin de l’insalubrité, les quelques courants d’airs mis à parts, l’ancien hôtel disposait de toutes les commodités de base d’un logement. (Pour la petite anecdote, il y avait d’ailleurs bien plus de chauffage et d’eau chaude que dans mon appartement valencien que

je louais 360€ par mois, ce qui m’a paru assez cocasse.)

La vie s’organise en communauté entre une quinzaine de squatteurs. Disposant chacun d’une chambre, réparties sur trois étages, chacun cuisine une fois par semaine pour tout le monde et suit un tableau de répartition des tâches ménagères.

Les repas s’effectuent sur une base de collecte : plusieurs fois par semaine, des caisses entières de fruits et légumes abîmés sont récupérées au marché et cuisinées dans la foulée dans une multitude de soupes et gâteaux en tous genres. Beaucoup des colocs sont vegan et végétariens, tout le monde y prête attention en cuisinant et tout le monde se respecte. « L’okupa » que j’ai découverte est un lieu dédié au logement, mais il n’est pas rare qu’y soit organisées des activités culturelles, notamment dans le but de financer les procès en cours. Je n’ai aucune idée des origines sociales et des ressources financières des squatteurs, la semaine m’ayant laissé peu de temps pour aborder le sujet, mais ils étaient globalement tous de nationalité espagnole et possédaient pour beaucoup un emploi. Peut-être ont-ils potentiellement les moyens de payer un loyer, peut être pas, mais le squat semblait être un choix de vie et de résistance politique.

Il était en tout cas, et j’en suis sûre, le choix de ne pas faire fonctionner un marché du logement privatisé où les prix sont sans cesse revus à la hausse sans amélioration notable de la condition générale du logement et de son droit.

En Espagne, les squats fonctionnent beaucoup en réseau.

Entre les squats, tout le monde se connaît, et j’ai en une semaine, parcouru plusieurs centres sociaux et rencontré des squatteurs de plusieurs lieux différents, au point où j’ai eu l’impression que tout Madrid était une seule et même grande entité de l’anarchisme izquierdista ne connaissant que la réalité de l’activisme. C’est évidemment loin d’être le cas.

124

125

En Espagne, réunis sous la bannière du « mouvement okupas », la dénomination du lieu « occupé » possède/ dégage/émane un sens tout à fait différent de l’anglicisme français « squat » à résonance directement péjorative dans l’imaginaire collectif (le terme to squat en anglais signifie d’ailleurs s’accroupir, se tapir). Le « squat » ou « squatter » symbolise d’abord l’envahissement, l’auto attribution de certains droits dans un dépassement de limites et de respect, un débordement. Squatter, c’est être là où l’on devrait ne pas être, c’est prendre de la place dans la vie d’un individu ou d’un groupe, en somme. Appliqué au logement, le terme « squat » dégage instinctivement, et par ce qu’il a été construit en tant que tel, un aspect négatif : le squat, en plus du scandale de l’appropriation, évoque directement dans les esprits l’insalubrité, la pauvreté, voire la misère, la drogue, et j’en passe.

Si le terme « squat » m’apparaît alors comme volontairement négatif, le terme « casa okupa » (maison occupée) ne l’est pas, même si dans les faits, nous parlons des mêmes lieux et des mêmes combats. Dans l’idée que chaque mot possède son propre sens et véhicule malgré lui une quantité d’informations subliminales/parallèles créant chez chacun une représentation mentale propre, la manière espagnole de réunir ces lieux parallèles sous le terme «occupés », et non « squattés », m’est apparu significative de sa considération globale par le collectif. Les « okupas » restent néanmoins des lieux illégaux et souvent très engagés politiquement, révoltant toute une partie de la population, du marché de l’immobilier aux institutions d’états, en Espagne comme en France.

Le cas de la huerta Dans cette dynamique de l’occupation, entre nécessité de se loger et volonté de lutte, naissent, entre la fin du XXème siècle et le début du XXIème, les Centro social okupado (CSO), Centro Social Okupado Autogestionado (CSOA), traduit en français Centre Social Occupé Autogéré. CSOA est le nom que reçoivent en Espagne les lieux occupés, ou squats, qui ont pour finalité la réalisation de diverses activités culturelles dans un but premier de résistance politique. A la croisée des luttes et des aspirations, le CSOA est un lieu communautaire inclusif non « monétisé », fonctionnant par le biais d’assemblées hebdomadaires et ouvertes au public.

Dans une démarche égalitaire et démocratique, le CSOA rassemble une véritable diversité sociale, pouvant proposer à la fois un espace de cantine (en général vegan), des débats féministes et des discussions non mixtes, des concerts, des ateliers artistiques gratuits...

Dans la huerta valenciana, la résistance politique du squat prend une toute autre allure pour s’allier à une autre lutte : la défense du territoire. Les CSOA de la huerta prennent forme au cœur des failles territoriales et juridiques de la huerta, choisissant de redonner vie à des anciennes alquerias abandonnées pour y recréer des espaces de vies et d’accueil alternatifs. La résistance politique se transforme en résistance culturelle : la défense de la huerta y est abordée à travers une éthique écologique au sens premier du terme. Elle prend forme sous plusieurs aspects, comme la protection du patrimoine bâti par l’occupation illégale retardant la démolition, la dynamisation de son agriculture dans une proposition de circuit court et de jardins communautaires, la valorisation de son identité par l’utilisation majoritaire du valencien et par la création d’un espace-temps de débat

126

politique. Dans une diversité de projets, il en existe à peu près dans tous les quartiers-huerta, dont les plus actifs se trouvent entre les zones de Benimaclet, au nord, et du Campanar, plus à l’ouest.

49

Voir «L’horta ni oblit ni

perdo», Anaïs Florin, p. 73

50

Traduit du valencien

par Maria Wieden

Le CSOA l’Horta, non loin de la Ronda Norte49, est l’un des plus représentatif du mouvement des CSOA de la huerta.

Il propose divers projets et activités: « cantine les jeudis, qui répresente le principal moteur d’autogestion du CSOA L’Horta (repas vegans), concerts, activités culturelles, exposés-débats, atelier de réparation de vélos, atelier de sérigraphie, salle de musique, la Antitienda (un magasin gratuit), ateliers gratuits (guitare, dolçaina, boxe, pâtisserie végane et yoga), groupe de lecture et plusieurs espaces pour réunions et assemblées de différents collectifs.» 50

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L’exkombrera, de l’autre côté du rond point, côté universités, est elle encore complètement dans la huerta. Sous les palmiers et dans la fraicheur des champs, l’okupa propose elle un espace dédié à la fête, dans un complexe d’alquerias imposant transformé en bar aux allures mi destroy mi scène de festival.

Quant à lui, le CSOA La Gamberra (qui a faillit faire l’objet de notre étude de restauration architecturale) voit le jour dans le quartier du Campanar et juste à côté de l’alqueria Figuerols.

Dans une transition entre l’espace de vie et le centre social, La Gamberra organise régulièrement des journées de défense du territoire, au cour desquelles elle avait entre autre projeté le documentaire Entre el dia hi la nit, ni ha paret. Le terrain de La Gamberra (nom du groupement d’alquerias) avait été racheté par une banque qui a fait faillite lors de la crise économique de 2008. Seulement voilà, si la banque n’est aujourd’hui plus en activité, son nom existe en encore, et les personnes

occupant un lieu illégalement ne peuvent être délogées qu’à condition que le propriétaire lui même se manifeste. Dans cette incroyable faille juridique, aucune institution ni force de l’ordre n’a le droit d’intervenir, du moins pour l’instant, offrant un répit et créant, en plein cœur de la huerta, une zone de non droit (ou de droit, tout dépend du point de vue), une zone de résistance mi-(il)légale qui déjouent les règles juridiques et économiques. Un espace-temps hors du temps : celui de la résistance.

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Conclusion

51 David Pryterch, 2001, El paisaje ideológico: la huerta, la globalización y la modernidad valenciana. Una mirada norteamericana

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52 Nom donné communément aux collectifs d’architectes

Nom donné aux activistes dans le livre Caminar la noche de Radio Malva

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La huerta historica valenciana incarne aujourd’hui la limite: la limite géographique entre la ville et les champs cultivés, la limite historique entre le moderne, ou ce que nous considérons comme tel51, et le vernaculaire, la limite physique, visuelle entre l’immeuble et la plaine, la verticalité et l’horizontalité. Mais plus qu’une rupture matérielle, la huerta représente également une rupture immatérielle: elle incarne une limite écologique, entre la destruction d’un écosystème naturel périurbain et le questionnement actuel sur l’agriculture urbaine, mais aussi, et surtout une limite politique, là où les grands enjeux contemporains rentrent en collision avec une réalité culturelle et économique opposée.

La huerta se trouve aujourd’hui sur la ligne d’une faille systémique, une sorte de climax à la convergence des luttes.

Car au-delà de la rupture tangente, la limite sous entend aussi la renaissance: elle représente la fin de quelque chose et le début d’une autre. Dans un (dés)ordre propre, elle possède des forces et des faiblesses intrinsèques qu’aucun autre espace-temps, aussi philosophique soit-il, n’est capable de procurer. Dans le chaos et par contraste, là où plus aucune règles n’est vraiment valable, la huerta est un lieu de tous les possibles dont le squat, entre agitateur urbain52 et marcheur de nuit53, en est l’incarnation.

S’il n’aborde pas tellement les questions juridiques et

financières, le projet de réhabilitation proposé lors de l’étude de l’alqueria figuerols est loin d’être une utopie. De fait, il se rapproche même largement de la dynamique proposée au sein des CSOA de la huerta actuellement: proposer un espace de résistance politique valorisant l’identité de la huerta en l’adaptant à des problématiques contemporaines dans un programme culturel et solidaire. Finalement, «on assiste peutêtre à la naissance d’une nouvelle forme d’auto-organisation du territoire, similaire à celle qui a existé à son origine ».54 Néanmoins, si le modèle du CSOA et du squat en général inspire, sa pérennité et sa temporalité questionnent. Si l’on considère l’aspect du logement précaire, il est évident que le squat n’est souhaitable qu’en tant que lieu de passage, temporaire. Dans le cas de la lutte, certaines personnes y vivent des années, et affrontent démantèlement et réouvertures régulières de nouveaux lieux. Le problème réside bien dans le fait qu’on ne peut aujourd’hui pas complètement distinguer la nécessité du logement et la recherche de la lutte ; beaucoup trouvent dans le squat un intermédiaire entre les deux. Si habiter nécessite une certaine forme de pérennité, se traduisant par une potentielle légalité, la lutte elle ne recherche-t-elle pas justement , dans sa critique du système, l’illégalité ?

A Paris, la légalisation et « l’officialisation » de plusieurs squats en disent beaucoup sur le sujet. « Rebaptisés « friches », « fabriques », « laboratoires » ou « lieux artistiques indépendants », les squats en tant que tels ont quasiment disparu. [...] [ils sont] peu à peu reconnus par les institutions, qui tendent à dénaturer leur modèle alternatif en leur imposant une logique de projets»55. Le 59 rue de Rivoli, ancien squat des locaux du Crédit Lyonnais laissé à l’abandon pendant plus de huit ans, est racheté par la Mairie de Paris en 2001 et rouvre, après quelques années de travaux, en 2009, dans un

54 Citation de D. Badiella, M.Violeta, M.J. Cascant, D.Sala, G. Palau, J.Benitez, 2011, Manejo del agua depurada en las Comunidades tradicionales de regantes del margen derecho de la Vega del Turia.

132

Les collectionneurs modernes, «Que sont devenus les squats ?»

55

56

www.59rivoli.

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Je n’ai aujourd’hui pas de réponses à ces questions, mon objectif ayant été d’appuyer ce mémoire par des investigations et rencontres concrètes des CSOA de la huerta, qui n’ont malheureusement pas pu se faire en raison de la crise sanitaire du printemps 2020.

Dans la mesure du possible,la thématique de l’occupation illégale sera reprise dans une recherche plus large et dans un premier temps dans le cadre de mon diplôme. Mes recherches s’orienteront cette fois vers la lecture entière de certains ouvrage cités dans ce mémoire et la rencontre du milieu du squat, autant à Grenoble, à Valencia qu’à Bruxelles.

57

lieu conventionné : « l’aftersquat ». Il est aujourd’hui un lieu culturel de rencontres, de résidences et de représentations en tout genre. Mais en étant préservé, il a aussi été récupéré par le système, ce qui, pour un squat, pose grandement question. En revanche, le cas des squats d’artistes n’est pas complètement représentatif. Si l’on considère qu’une des grandes revendication des squats d’artistes est le manque d’ateliers, être reconnu et légalisé n’est autre que la finalité de la lutte : « Le collectif d’artistes qui capte chaque année l’attention de dizaines de milliers de visiteurs a mis en place un nouveau genre d’accès à l’art à la fois plus intimiste, plus démocratique et permettant de pallier en partie la pénurie d’ateliers d’artistes dans Paris.”56 Mais, en reprenant l’exemple des CSOA en Espagne, l’inscription dans le temps est-elle vraiment une visée ?

Si toute forme de développement économique n’est pas souhaité, le CSOA recherche forcément une sorte de pérennité, une constance pour le développement des activités, etc... Dans ce cas, quel est le rapport à l’illégalité ?

La lutte est-elle la même lorsque le bâtiment appartient désormais à une institution publique ? La reconnaissance publique et la légalisation du lieu est-elle une finalité ?57 L’officialisation des squats, si elle permet à l’activité de s’ancrer en ôtant la menace de l’expulsion, en altère profondément les idées. Comme tout concept que le système récupère, on pourrait assister à une sorte de « commercialisation » du squat, voir, soyons fou, à l’émergence d’un « tourisme du squat ». Voyez par vous même, en recherchant « squat Paris » sur Google : « top 10 des squats d’artistes à paris », « ce squat d’artistes est d’enfer »...

Si la légalisation du squat suscite probablement une forme de réticence, la collaboration avec toute forme de pratique

« institutionnalisée» n’en évoque pas moins. Et pourtant, l’architecte, l’urbaniste, entre bien d’autres penseurs de la ville et de l’habitat, ont beaucoup à apprendre du modèle du squat.

L’architecte et l’occupation : quel lien ?

Dans son mémoire L’histoire du squat, Thomas Dawance résume son objectif de recherche sous une phrase très juste : « saisir le lien qu’il peut y avoir entre les idéologies architecturales et urbanistiques et la nature des revendications révolutionnaires des squatters d’aujourd’hui ».

Quel lien existe-il entre l’architecte et le squatteur ?

Si le lien entre l’architecture et le squat, en tant qu’occupation du lieu abandonné, réhabilitation, habitat et transformation significative de la ville, est assez évidente, la relation entre l’architecte et le squatteur l’est beaucoup moins. Le squat évolue en effet dans un mouvement hors système, celui de la lutte, de façon indépendante et loin de l’action légale du projet conventionnel d’architecture. Ainsi, tout rapprochement, qu’il s’agisse parfois simplement de « donner » quelques données propre à la construction du squat à un étudiant en thèse, suscite une réticence franche et directe. Pourtant : « Si “habiter” [...] n’a que faire de l’action de l’urbaniste ou de l’architecte, l’habitat et l’habitation relèvent, pour une grande part, de leur attention et de leur talent»58. Il est en effet difficile d’imaginer, dans ce qui existe autour de nous, quelque chose qui ressemblerait à une collaboration entre une occupation illégale et un collectif d’architectes et urbanistes. Peut être par ce que je n’ai pas connaissance de l’existence d’un tel projet. Peut-être par ce que cette collaboration n’existe pas.

Pas encore.

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58 Thierry Paquot, «l’architecte, l’urbaniste, le citoyen»

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Il existe quelques exemples d’architectes-squatters, répertoriés dans le mémoire L’histoire du squat, mais ils restent rares, et à chaque fois, il s’agit davantage d’une implication personnelle de l’architecte dans le squat, mettant à profit ses compétences, que d’une réelle collaboration architecte/ squatteurs.

Je me questionne. L’architecte doit-il pallier (de manière légale) au mal-logement, dans un but certain d’éviter toute précarité du squat, ou doit-il, dans une véritable résilience, accompagner la dynamique du squat vers sa (non) légalisation ? Ou les deux ? Dans l’exemple du 59 rue de Rivoli, l’accès à la légalisation entame une nouvelle ère : celle de la stabilité. Il est tout à fait imaginable, qu’au côté des squatteurs, en faisant partie du squat ou non, l’architecte accompagne l’ouverture d’un squat, soit jusqu’à sa reconnaissance publique et sa légalisation si elle doit exister, soit dans son aventure éphémère d’occupation illégale, dans une démarche première de sécurité (expertise du lieu), et bien plus. En apportant son soutien militant pour la reconnaissance d’une lutte et d’un lieu occupé, en apportant son regard à la réhabilitation du lieu, en créant autour de cette réhabilitation un chantier participatif, écologique et peu coûteux (recyclages et matériaux biosourcés), en se positionnant comme intermédiaire dans la lutte face aux institutions et au cadre juridique, et en proposant, sur le long terme, des ateliers de construction et de sensibilisation à l’architecture, l’architecte a lui aussi beaucoup à échanger avec le squat, loin de l’élitisme qui caractérise encore la profession.

En s’appuyant sur l’exemple des Grands Voisins à Paris, élaboré entre autre par le collectif d’architecte Yes We Camp, on assiste à un processus assez similaire. Les collectifs proposèrent à la mairie d’occuper légalement et

temporairement l’ancien hôpital et d’y ouvrir, sur le modèle du centre social, un lieu alternatif, d’accueil solidaire et culturel, évitant ainsi l’occupation illégale (c’est d’ailleurs ce dernier argument qui fut certainement le plus convaincant). Évoluant dans un cadre légal sans menace d’expulsion et avec une durée de vie déterminée (2 ans qui se transformeront en 4) entre culture et action sociale, la dynamique proposée est finalement assez similaire à celle d’un CSOA. Mais à la différence du CSOA, et de part sa légalité (en plus de se trouver à Paris), Les Grands Voisins ont très rapidement connu une vague de « boboïsation » affolante, l’inscrivant dans la liste des lieux les plus « hype », et s’éloignant un peu de l’idée d’origine... Je ne connais pas assez bien le sujet, qui mériterait d’ailleurs une véritable étude sociologique, mais à plusieurs reprises, à été remise en question la mixité sociale du lieu : la grande majorité des gens côtoyant de tels endroits, mise à part la partie hébergement social, rentre dans la même catégorie de bourgeois bohèmes parisien pouvant s’offrir une bière à 8€. Très loin de la critique négative et dans une admiration totale de ce projet, je me questionne simplement : où est la faille des Grands Voisins, et comment l’éviter ?

Existerait-il peut être encore un autre intermédiaire entre un projet type Grands Voisins se boboïsant malgré lui et le squat illégal, inspiré du modèle du CSOA ?

Si la relation qui relie l’architecte et le monde du squat est difficile à établir, sa proximité avec la lutte pour le droit au logement et la pensée actuelle sur la réhabilitation du patrimoine s’exprime dans une conjoncture évidente. Dans la convergence des luttes que représente l’occupation illégale, il se pourrait bien qu’il existe une place pour l’architecte, qui partage finalement avec les squatteurs une idéologie de l’urbain et de l’habiter incandescente, entre alternative sociétale et résistance politique commune.

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Sites internets et blogs 140

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DAWANCE Thomas, «L’histoire du squat», Mémoire universitaire, Pour l’Institut Supérieur d’Architecture Saint-Luc, 1999, URL: http://www.habiter-autrement.org/07. squat/03_sq.htm

142

Conclusion générale

143

59

coucher de soleil Années 80

60

J’ai toujours trouvé amusant le terme de «rapport d’étonnement» que l’on nous demande de constituer après une telle expérience. On aurait pu l’appeler «rapport d’échange», «rapport d’expérience à l’étranger». Mais non, c’est «étonnement» qui a été choisi. On nous conseille même de commencer à y réfléchir dès le début de l’expérience (ce qui me paraît en effet évident) car après, on serait moins étonné. Étonnement, nm: Surprise causée par quelque chose de singulier, d’extraordinaire, d’inattendu ; stupéfaction. On dit souvent que l’étonnement survient uniquement au début d’une aventure, pour ensuite s’estomper, laissant place à l’habitude, suivant ainsi le cours des choses. Mais, s’habituet-on vraiment? Ou plutôt, le but est-il de s’habituer? Ai-je vraiment envie de m’habituer?

Peut-on vraiment parler d’habitude quand, dans notre vie, entre chaque jour dans un fracas toujours plus surprenant une nouvelle personne, une nouvelle rue, un nouveau ciel à l’atardecer59, un nouveau lieu, des nouveaux mots, des nouvelles sensations, un nouveau son des ochentas60 espagnoles, un nouveau film d’Almodovar, un nouveau bar alternatif, une nouvelle odeur, celle des fleurs d’orangers et de la poudre des pétards, des nouveaux goûts, celui du

poulpe grillé, de la paella valencienne, des jus d’oranges frais, des grenades, des kakis, de la tortilla d’aubergine, du chorizo flambé, des bravas, del arroz negro, du vermouth, et bien d’autres encore ?

L’année d’échange est une année hors cadre, hors repères, hors temps, qui nous apprend bien plus sur ce que nous sommes que sur ce que nous devons être. Dans un tel univers, aucune règle logique ne parait être alors valable, et encore moins celle de l’habitude. L’étonnement ne disparaît pas, il se transforme, évolue, devient plus profond, plus réel avec l’habitude. Et il est d’autant plus vrai lorsqu’il existe après des mois de vies, lorsqu’il apparaît encore, alors qu’en effet, on pensait avoir absorbé tout ce que la ville nous révèle d’elle.

L’étonnement, c’est sûrement ce que cette année sait nous enseigner de plus fort.

Mais il est vrai que cette année, l’expérience à l’étranger (comme toute autre expérience finalement) n’a pas été tout à fait normale. Ecourtée, limitée, sectionnée, démolie, écrasée, anéantie (on utilisera le mot qu’on veut) par la crise sanitaire du printemps 2020, elle a été, sur sa fin, d’une réelle désillusion. Il n’y avait plus qu’à accepter. Accepter de voir s’effondrer, du moins au plus conséquent, la vie des mois à venir, ses voyages et ses découvertes, de voir s’effondrer la vie tout court, enfermés loin de tous, et puis de voir s’effondrer les autres, et le monde. Les notions si basiques de l’architecture que représente l’intérieur et l’extérieur se sont alors vu fondamentalement remises en question. Et puis notre liberté d’être dans l’espace, de choisir où être, de bouger, de partir, aussi. Mais si l’enfermement, si terrible soit-il, à donner vie à une certaine poésie des intérieurs, une sorte de cartographie émotionelle quotidienne des appartements, ne nous voilons pas la face : « la romantizacion de la cuarentena es un privilegio de clase »61. Si beaucoup ont pu,

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«La romantisation de la quarantaine est un privilège de classe»

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loin de la frénésie, « habiter » pleinement, la majorité de la population mondiale, la mal logée, a énormément souffert physiquement et psychologiquement pendant cette période de confinement.*La crise sanitaire a tout chamboulé, et il serait facile d’en parler des heures. Elle a même réussi à requestionner la notion de frontière à l’intérieur de l’Union Européenne. Faire face à la difficulté de traverser la frontière espagnole, passage normalement des plus anodins qui soit, vous met une sacrée claque. Et quand en plus vous réalisez que vous ne risquez rien (à part éventuellement vous voir refuser la traversée), et surtout pas votre vie, vous préférez oublier que vous faites partie des plus privilégiés de ce monde.

Que vaut le programme et le statut Erasmus, si lors d’une crise internationale, vous n’êtes reconnus ni résident officiel ni étudiant permanent du pays d’accueil, vous empêchant alors de retourner dans la ville où vous vivez, là où vous payez un loyer, là où sont tous vos effets personnels, votre appartement, vos amis... votre vie quoi?

J’ai voyagé pendant cinq mois en Amérique Latine, j’ai vécu et étudié huit mois en Espagne. Beaucoup a changé chez moi. Pas fondamentalement, mais plutôt formellement.

Tout s’est intensifié, mes idées, mes envies se sont ancrées profondément, ont pris racine, en commençant par là-bas, de l’autre côté de l’océan. J’ai vu et compris trop de choses sur le fonctionnement global du monde durant ce voyage pour m’imaginer dans la production d’une architecture qui ne chercherait pas à pallier en profondeur aux problématiques socio-écologico-politiques contemporaines des villes et territoires (ou disons, dont ça n’en serait pas la principale visée) en France et ailleurs, mais qui servirait un système néolibéral normalisé axé sur la croissance, la consommation et l’accumulation de richesses. Encore plus qu’avant, renforcée par la crise sanitaire mondiale que nous traversons,

je suis convaincue que l’architecture est un acte politique et qu’elle doit tendre vers une vraie alternative de vie en société.

Découvrir ces luttes, celles des défenses des territoires, avec tout ce que le mot territoire transporte avec lui de social, physique et politique, qu’elles soient celles des peuples indigènes en Amérique latine ou celle de la huerta valenciana en Espagne, celles qui passe par l’occupation, de la ZAD au squat, m’a donné envie, en tant qu’architecte, d’y réfléchir et d’y participer de verdad*.

* «Pour de vrai»

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