Magazine Singapour numéro 14 L'education a Singapour

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N°14 | NOVEMBRE 2019 | AVRIL 2020

SINGAPour Le magazine 100% Red Dot du site lepetitjournal.com/singapour



Édito

L’Education à Singapour n’a pas toujours été une matière d’excellence. A la fin des années 70, comme le rappelle Anthony Chaumuzeau, Conseiller de coopération et d’action culturelle à l’Ambassade de France, le constat qu’en avait fait le Ministre de l’Education de l’époque , le Dr Goh Keng Swee, était sans complaisance : faible taux de pas-

Le prix de l’excellence !

sage des éléves du primaire au secondaire, faible taux d’alphabétisation, qualité médiocre et inégale des ressources pédagogiques. Comment la cité-Etat at-elle fait pour combler ses retards de manière aussi magistrale ? En investissant dans les moyens – infrastructures, méthodes d’enseignement ... – et sur la qualité de ses enseignants ; en réformant

l’ensemble de son organisation pour faire émerger des parcours différenciés permettant aux meilleurs de progresser plus rapidement et aux autres d’être mieux accompagnés. En 2015, nous avions déjà consacré un dossier au « prix de l’excellence », manière de souligner les réussites du système éducatif singapourien mais aussi les critiques qui lui sont faites. En 2019, la perspective que nous proposons est un peu différente : perspective multiple au travers de l’analyse de la « Méthode de Singapour » qui a fait école dans le monde au point de nourrir, même en France, une fructueuse activité d’édition d’ouvrages scolaires, de la coopération franco-singapourienne dans le domaine universitaire, des avantages et inconvénients du multilinguisme… et de l’attrait qu’exerce le français auprès des étudiants singapouriens. A découvrir également dans ce numéro, une escapade jusqu’au camp de base de l’Everest, la mise en avant, en deux parties, du travail de la photographe Clotilde Richalet Szuch, en Asie du Sud Est et en Amérique du Sud, le charme discret d’un tailleur nomade, une peinture d’Anne Severyns, l’extrait d’une nouvelle de l’auteure singapourienne Vina Jie-Min Prasad, les saveurs de la cuisine d’Eric Larue, à Singapour, et celles, très parisiennes, de la maison Monville, créée à leur retour d’expatriation par Domitille et François Monville.

Bertrand Fouquoire

Développer la créativité, un enjeu clé pour un pays tourné vers l’innovation. © BF

www.lepetitjournal.com/singapour singapour@lepetitjournal.com

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Sommaire « Il est essentiel d’élever une génération au sommet de la société, qui ait toutes les qualités nécessaires pour diriger, inspirer et permettre au peuple de réussir. En bref, une élite (…) ».

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28 / Echappée belle : Le camp de base de l’Everest

Lee Kuan Yew

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Édito

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Fil Rouge

8 L’Education à Singapour 8 - Les clés de la réussite singapourienne 12 - La coopération universitaire entre la France et Singapour 14 - La méthode de Singapour 16 - Le multiliguisme à l’école 20 - Publi-reportage : Alexis, étudiant à Singapour 22 - Qu’est-ce qui fait aimer le français aux jeunes Singapouriens ? 26 - L’école hôtelière de Lausanne à Singapour 28 - L’Alliance Française de Singapour fête ses 70 ans 30 - Le LFS change de nom

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12 / A gentleman’s tale

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34 / Nouvelle : Steaks en série MCI(P)065/03/2018 Editeur Fil rouge Pte ltd Directeurs de la publication Bertrand Fouquoire, Laurence Huret Rédacteur en chef Bertrand Fouquoire Coordination éditoriale et dossier Catherine Zaccaria Rédaction Patrick Dechesne – Jentayu, Bertrand Fouquoire, Laetitia Dubois Crochemore, Emmanuel-Pierre Hébé, Laurence Huret, Laurence Onfroy, Laetitia Person, Arvil Sakai, Catherine Zaccaria Direction Artistique Atelier Sujet-Objet Publicité et promotion Laurence Huret Impression IPrint Express Photo couverture © Alliance Française de Singapour Tirage à 4000 exemplaires

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Photoreportage

32 - Women by a woman, par Clotilde Richalet Szuch

Singapour autrement

36 - A gentleman’s tale

Echappées Belles

38 - Le camp de base de l’Everest

Culture

42 - Nouvelle : « Steaks en série », suivi d'un entretien avec Vina Jie-Min Prasad (en partenariat avec Jentayu) 45 - Un artiste, une œuvre : A glimpse of hope, par Anne Severyns

Vivre à Singapour

46 - La FCCS a 40 ans

Un chef une recette Eric Larue L’Asie vue de France

54 - Domitille Monville : « maintenant c’est nous qui accueillons » 57 - Clotilde Richalet Szuch, globe trotteuse photographe

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Fil rouge Le « Charles de Gaulle » à Singapour Le porte-avion Charles de Gaulle qui réalisait sa première mission dans cette région du monde après un carénage de 18 mois, était de passage à Singapour fin mai, avant de repartir à destination de son port d’attache à Toulon, via Djibouti, le 3 juin. Il a fait sensation dans le cadre du Forum Shangri-la sur la Défense en Asie qui se déroulait au même moment à Singapour, attirant de très nombreux visiteurs. L’occasion, pour les intéressés

parmi lesquels nombre de résidents français à Singapour, de découvrir le fleuron de la flotte française et la multitude d’activités qu’y exercent les quelque 2000 marins, pilotes et mécaniciens vivant à bord. Il accueille une trentaine d’avions de chasse Rafale et est escorté par 3 autres frégates.

Un bijou pour Changi Ouvert au public le 17 avril, le Jewel Changi Airport, est le nouveau joyau du complexe aéroportuaire de Singapour. L’œuvre de l’architecte Moshe Safdie, la structure de 137000 m2, sur 10 étages, aura coûté plus d’un milliard d’Euros. Le bâtiment se présente sous la forme d’un immense dôme de verre et d'acier. Au centre du dôme, les architectes ont installé une cascade intérieure de 40 mètres

de haut, la plus grande jamais construite, lovée dans un écrin forestier composé de milliers d'arbres, d'arbustes et de plantes à fleurs. L’ensemble comprend services, boutiques, restaurants, hôtels et une variété d’activités destinées à renforcer encore l’attractivité d’un aéroport qui, avec 65 millions de passagers, est déjà l’un des plus fréquentés au monde.

Réouverture du Raffles Repris en 2016 par le groupe Accor, l’hôtel Raffles avait entrepris un vaste programme de rénovation. Il a ré-ouvert ses portes le 1er août 2019, offrant aux visiteurs et clients de l’hôtel l’opportunité de profiter à nouveau des charmes de l’un des rares bâtiment du XIXe siècle subsistant à Singapour. Menée par Alexandra Champalimaud, décoratrice d’intérieur, avec l’appui du cabinet d’architecture Ae-

das, la rénovation avait vocation à moderniser tout en préservant le charme unique du lieu : nouvelles suites, déclinées en 9 catégories, dont le nombre passe de 103 à 115, nouvelles boutiques, nouvelles cartes confiées à AnneSophie Pic, Alain Ducasse, ou encore Jeremy Leung… et toujours le mythique Long Bar, son Singapore Sling et ses cacahuètes dont on jette à terre les épluchures.

Odette, dans le Top 20 En une poignée d'années, le chef Julien Royer s'est façonné une réputation aux petits oignons depuis les cuisines de son établissement Odette, dans le bâtiment de la Singapore National Gallery. Derniers coup d'éclat : une entrée, en juin, dans le Top 20 des meilleurs restaurants du monde, et 3 étoiles (un privilège partagé avec le restaurant Les Amis) dans le dernier classement du guide Michelin. Un succès d’équipe : Julien Royer ne

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manque jamais de partager en ligne, clichés des troupes d'Odette à l’appui, chacune des nombreuses distinctions glanées depuis les débuts. Sur Singapour, Julien Royer, ne tarit pas d’éloges : « C'est désormais une vraie destination foodie : la concentration de restaurants, bars, concepts uniques, pop up est incroyable. Il y a une vraie énergie ! Et nous en avons bénéficié. »


Fil rouge Succulentes sur un toit roulant Envie d’être déposé comme une fleur quelque part ? Il suffit de prendre le bus. Depuis le mois de mai, Singapour teste un nouveau dispositif écologique pour réduire la chaleur dans ses bus. Des bacs de 6 ma ont été installés à titre expérimental sur le toit de plusieurs véhicules. Dans les bacs : des succulentes ; des plantes peu gourmandes en eau pour réduire au maximum le poids de ces jardins suspendus et mobiles. Les spécialistes es-

pèrent que la végétalisation des bus permettra une régulation naturelle de la chaleur à l’intérieur de l’habitacle. Une évaluation précise devait être réalisée à la fin de la période d’expérimentation de 3 mois.

Une Singapourienne à Lausanne Depuis le 1er octobre 2019, c’est une Singapourienne, Angelita Teo, qui dirige la Fondation Olympique pour la Culture et le Patrimoine, basée à Lausanne. A ce titre, elle est en charge du Musée Olympique, du centre d’études olympiques ainsi que des programmes internationaux et du patrimoine. Des domaines que l’intéressée connaît bien. Précédemment Directrice senior des musées et des festivals au sein du Conseil national du patrimoine

de Singapour (National Heritage Board), Angelita Teo a dirigé, pendant 6 ans, le Musée national de Singapour. Elle a aussi été en charge de l'organisation de trois grands évènements singapouriens : le festival du patrimoine, le Singapore Night festival et la Children’s Season.

La FCCS fait plage nette Pour la troisième édition de son CSR Day, la Chambre de Commerce Française à Singapour (FCCS) avait donné rendezvous à ses adhérents sur la plage de Tanah Merah. Objectif, établi en coordination avec l’Association International Coastal Clean Up Singapore (ICCS) : faire plage nette. Résultat : plus de 200 sacs poubelles remplis des déchets de tous types collectés sur la côte (morceaux de polys-

tyrène, tongs, casques, téléphones portables, valises, sous-vêtements… ) ; l’équivalent de 800 kg. Une opération de nettoyage rendue possible par la mobilisation exceptionnelle de plus de 530 participants venant de plus de 40 entreprises.

Les 80 bougies du CNRS On peut avoir 80 ans et poursuivre son développement à l’étranger. Le CNRS, représenté par son Président, Antoine Petit, en visite à Singapour au mois de juin, n’a pas manqué de marquer ce 80e anniversaire du sceau de la coopération. Au programme : l’inauguration de CNRS @CREATE, la première filiale du CNRS à l’étranger, qui travaillera avec les universités et instituts de recherche de Singapour ainsi qu’avec les partenaires in-

ternationaux du programme CREATE, afin de conduire des recherches et mettre au point des technologies dans des domaines en prise avec les enjeux sociaux et économiques de Singapour. Cerise sur le gateau : la présentation dans la CREATE Gallery de l’exposition chronologique du CNRS et d’une autre consacrée aux nouveaux mondes (visible à Montparnasse, dans le métro parisien).

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Dossier – L’éducation à Singapour

Les clés de la réussite singapourienne

Dans les tests internationaux (PISA)* ou les classements des pays en fonction de leur capacité à attirer, développer et retenir les talents, Singapour fait la course en tête. Les résultats sont tels que le « modèle éducatif singapourien » est désormais source d’inspiration pour de nombreux pays. Pour autant, l’obsession de la performance entraine aussi un phénomène d’hyper-compétition qui ne favorise pas l’épanouissement des jeunes singapouriens et le développement d’une culture d’innovation.

Les clés de la réussite Le développement du système éducatif singapourien, dès après l’avènement d’un gouvernement autonome à Singapour en 1959, épouse les étapes de la croissance et les transformations de l’économie. La vision qui l’accompagne met l’accent sur plusieurs éléments qui sont restés des points forts de Singapour : l’importance accordée au recrutement, à la formation, à la rémunération et à la carrière des enseignants ; la méritocratie ; la capacité du système éducatif à s’étalonner en permanence sur les meilleures pratiques à

l’étranger et la coordination des différents ministères pour s’assurer de la cohérence des politiques de l’éducation par rapport aux besoins de l’économie. Dans les premières années, l’urgence est d’abord de développer les infrastructures qui permettront à chaque enfant d’être accueilli à l’école. En l’espace de deux décennies, entre 1959 et 1978, Singapour parvient à scolariser tous les enfants en primaire. La cité-Etat le fait à marche rapide, construisant une nouvelle école chaque mois et augmentant le nombre des enseignants de 10.500 en 1959 à 19.000 en 1968.

À partir de 1978, le pays met en place un système d’orientation des étudiants sur la base de leur résultats académiques, avec la construction de parcours différents pour répondre aux besoins de chaque catégorie, et aider chaque élève à apprendre au rythme qui lui convient le mieux. Au même moment, on crée le « Curriculum Development Institute of Singapore » (CDIS) qui standardise les programmes et forme les enseignants à l’utilisation des matériels pédagogiques. Les résultats ne tardent pas : en 1995, Singapour est classée 1ere aux « Trends in Interna-

Se repérer dans la jungle des JC’s, Polys et ITE

Conçu comme un mécano flexible, le système d’éducation à Singapour multiplie les filières qui permettent à chacun, dès la fin de l’école primaire, d’emprunter un parcours adapté à ses capacités et à ses objectifs. Entre les filières, un système de passerelles permet aux élèves de se réorienter.

Le cycle primaire (primary school) dure 6 ans. Il accueille les enfants entre 7 et 12 ans. L’enseignement y est centré sur l’apprentissage de l’anglais, de la langue maternelle et des mathématiques.

A la fin du cycle primaire intervient le PSLE ( Primary School Leaving Examination) dont les résultats permettent d’orienter les élèves entre les différentes filières du secondaire.

A l’issue du PSLE, les meilleurs élèves empruntent l’Expressway qui leur permettra, en 4 ans de préparer le GC ‘O’ level, puis d’entrer, dans

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le post-secondaire, soit dans un Junior college (2-3 ans), soit dans l’un des 5 instituts Polytechniques (Nanyang, Ngee Ann, Republic, Singapore ou Temasek), passages obligés avant d’éventuellement intégrer une université.

Les autres élèves empruntent la voie normale, elle-même répartie entre un cursus académique et un cursus technique. Dans les deux cas, les élèves préparent en 4 ans le GC ‘N’ level. Les meilleurs élèves du cursus académique peuvent réaliser une 5e année pour préparer le GC ‘O’ level. A l’issue du GC ’N‘ Level, les


Dossier – L’éducation à Singapour tional Mathematics & Science Study » (TIMSS).

Hyper-compétition Mais l’hyper-performance du modèle singapourien suscite aussi des critiques. On lui fait souvent le reproche de trop se concentrer sur l’apprentissage des bonnes réponses et de ne pas laisser suffisamment de place à la créativité, une disposition d’esprit pourtant déterminante pour porter les ambitions de la cité-Etat dans le domaine de l’innovation. Trop focalisé sur les résultats aux examens, le système est aussi accusé d’entretenir une compétition intense qui épuise les élèves et entretient un coûteux dispositif parallèle de soutien scolaire. A Singapour, le terrain de jeu est marqué par la compétition et par les signes extérieurs qui attestent, financièrement, des succès individuels : le fameux 5Cs « Cash, Car, Condominium, Country club membership et Credit card ». Dès le plus jeune âge, les jeunes singapouriens sont engagés dans un parcours très sélectif, nourri d’activités d’éveil, de cours de soutien et d’investissements extrascolaires. A ce jeu, la pression est intense

élèves peuvent intégrer l’un des 3 Institute of Technical Education (ITE East, West ou Central). Enfin, les élèves qui ont un intérêt et des talents particuliers peuvent passer par l’une des quatre écoles indépendantes spécialisées : La School of the Arts, La Singapore Sports School, la NUS high school of Mathematics et la School of science and technology.

L’enseignement post-secondaire : ITE et Polytechniques Dans le post-secondaire, qui dure entre 2 et 3 ans, on retrouve les junior Colleges, pour la filière générale, et les instituts polytechniques. Pour entrer dans un Junior College,

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le score L1R5, basé sur les résultats au ‘O’ level pour l’anglais et 5 sujets spécifiques, ne doit pas excéder 20 points. Plus accessible Les Polytechniques exigent un score L1R4 ( Anglais et 4 sujets) n’excédant pas 26 points. La formation dans les JC’s est sanctionnée, au terme du cursus de 2 ans, par l’examen du GC ’A’ level. les ITE forment des techniciens, parmi lesquels les meilleurs peuvent ensuite rejoindre un Institut polytechnique (IP). Pour les enseignements artistiques, Le Lassalle College of the Arts ou Nanyang Academy of fine Arts offrent l’un et l’autre d’étudier la musique, le théâtre, la danse, la décoration, l’animation, design ou le stylisme.

Le système universitaire : NUS, NTU, SMU… Il est composé des 3 grandes universités singapouriennes, la National University of Singapore (NUS), la Nanyang Technological University (NTU), la Singapore Management University (SMU) et une kyrielle de d’établissements internationaux parmi lesquels de nombreux établissements d’enseignement supérieur français : INSEAD, ESSEC, EDHEC, Grenoble Ecole de Management, STRATE School of Design… lepetitjournal.com/singapour

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Dossier – L’éducation à Singapour

Système simplifié de l’éducation singapourienne

et la culture des intéressés marquée par la peur de l’échec (Kiasu).

Les voies rapides de la méritocratie Le système éducatif singapourien multiplie les parcours rapides à destination des meilleurs. Dès l’âge de 6 ans, le GEP (Gifted Education Program) repère

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les élèves les plus brillants qui, à l’âge de 9 ans, passent un test à l’issue duquel ils ont la possibilité d’intégrer une classe spéciale dont le programme est adapté à leurs aptitudes intellectuelles. A l’issue du primaire, les meilleurs élèves peuvent intégrer l’école secondaire de leur choix via le Direct School Admissions, sans

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passer l’examen national, le PSLE (Primary School Leaving Examination). Dans le secondaire, une vingtaine de lycées (sur un total de 170) monopolise la fabrique des élites. Ces établissements sont pris d’assaut par ceux qui obtiennent les meilleurs résultats au PSLE. A l’issue de leur parcours en primaire et dans le


Dossier – L’éducation à Singapour s’engagent à servir l’Etat pendant un certain nombre d’années. D’autres bourses sont attribuées par le Ministère de l’Education (Overseas Merit), par les Forces Armées ou par les Forces de police singapourienne.

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secondaire, les meilleurs cerveaux se voient attribuer une bourse par la Commission du service public. La bourse la plus prestigieuse est la « President Scholarship », qui permet aux jeunes singapouriens de partir étudier dans des universités étrangères avant de revenir à Singapour. En contrepartie, les étudiants

La folie du soutien scolaire En quelques années, les cours particuliers sont devenus une véritable industrie. Un juteux marché de près de 700 millions d’euros. « Avant, les cours particuliers étaient réservés aux enfants qui avaient des difficultés scolaires », explique un professeur. « Aujourd’hui les parents y ont recours car ils ont peur que leurs enfants soient à la traine, qu’ils ne soient pas numéro 1 ». Une angoisse qui se résume par l’expression locale « kiasu » qui en chinois signifie « avoir peur de perdre » et « peur de ne pas avoir le meilleur ». Le soutien scolaire représente un véritable budget pour les parents. Selon une étude publiée par le Straits

Times, près de 8 enfants sur 10 en primaire suivent des cours de soutien et les dépenses par mois varient de 100 S$ pour des enfants en crèche jusqu’à 200 S$ au lycée. Pour les enfants, cela se traduit par un emploi du temps chargé : en moyenne les Singapouriens prennent 3h de cours de soutien par semaine. Une situation qui désole David Wong, auteur du livre à succès The Happy Student (l’étudiant heureux). « Je travaille avec beaucoup d’enfants qui sont épuisés », explique t-il, « Les parents les ont tellement poussés jusqu’à l’examen d’entrée au lycée qu’à 13 ans, ces adolescents n’ont déjà plus le goût à rien ». Arvil Sakai *PISA (OECD's Programme for International Student Assessment) – Classement 2015 publié en 2016 : 1 - Singapour ; 2 - Japon ; 3 - Estonie (France : 26e sur 70)

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La coopération universitaire entre la France et Singapour Conseiller de coopération et d’action culturelle à l’Ambassade de France à Singapour, Anthony Chaumuzeau revient sur les clés du succès du système éducatif singapourien et sur les grands axes de la coopération universitaire entre la France et la cité Etat.

Quels sont, selon vous, les raisons à la base du succès de Singapour dans le domaine de l’éducation ? Anthony Chaumuzeau - À la fin des années 1970, alors que Singapour était encore en phase de développement, le gouvernement a identifié trois grands défis pour le système éducatif singapourien : le faible taux de passage des élèves du primaire au secondaire, le faible niveau d’alphabétisation et la qualité médiocre et inégale des ressources pédagogiques. Ces conclusions ont été résumées dans le Rapport Goh de 1979, du nom de l’ancien ministre de l’Éducation, le Dr Goh Keng Swee. Ce rapport recommandait de nombreuses réformes pour refaçonner le système éducatif de Singapour, avec notamment une restructuration des programmes scolaires pour les faire passer d’un modèle unique à une approche différenciée plus efficace permettant aux élèves de se développer selon leurs propres rythmes. Aujourd’hui, Singapour a un système éducatif basé sur la sélection et l’excellence. Dès l’école primaire, les élèves doivent donner le meilleur d’eux-mêmes pour accéder aux meilleurs établissements secondaires et à terme aux universités. Ce système montre son efficacité, comme en témoigne la première place de Singapour au classement PISA dans les domaines des mathématiques, des sciences et de la lecture. Mais il n’est pas exempt de critiques. C’est un système extrêmement stressant pour les enfants et leurs familles qui jouent leur orientation dès l’âge de 12 ans avec le Primary School Leaving Examination (PSLE), mais également un système qui favorise les familles les plus

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aisées avec un marché de cours particuliers qui deviennent dans les faits indispensables à la réussite des études. Dans le cadre de l’Année de l’Innovation France-Singapour en 2018, nos ministères de l’Éducation ont organisé deux séminaires dans le domaine de l’enseignement des mathématiques afin de développer les échanges d’expertise entre nos deux pays. Les autres domaines d’intérêt commun sont notamment la formation des enseignants, l’enseignement précoce et la formation professionnelle. En témoignage de ces échanges de qualité, le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer, a invité son homologue singapourien Ong Ye Kung à participer à la réunion ministérielle sur l’éducation organisée en juillet 2019 dans le cadre de la présidence française du G7. Nous travaillons actuellement sur l’élaboration d’une feuille de route dans le domaine de l’éducation entre nos deux pays.

Quels sont les enjeux de la coopération universitaire entre la France et Singapour ? Aujourd’hui, Singapour est devenu un véritable pôle d’attractivité pour les étudiants et les universités du monde entier suite aux initiatives lancées il y a une vingtaine d’années par le gouvernement de Singapour afin d’attirer vers la cité-État les futurs talents. La France s’est positionnée sur ce terrain et a développé de nombreux accords avec les universités singapouriennes. En effet, il existe déjà plus d’une centaine d’accords d’échanges d’étudiants entre des établissements français et singapouriens. Prenons l’exemple du French

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Double Degree Programme entre la National University of Singapore et six prestigieuses écoles d’ingénieurs françaises (CentraleSupelec, Ecole des Ponts ParisTech, Ecole Polytechnique, Ensta Paris, Mines ParisTech et Telecom Paris). Ce programme existe depuis 20 ans et attire chaque année de nombreux étudiants singapouriens tentés par des programmes de formation d’ingénieur d’excellence. Son 20e anniversaire est célébrée le 11 novembre à Singapour dans le cadre du Voilah! France Singapore Festival. Par ailleurs, plusieurs établissements français ont choisi de s’implanter dans la Cité-Etat. L’INSEAD et l’ESSEC, deux prestigieuses écoles de commerce, disposent ainsi de leur propre campus à Singapour. D’autres établissements comme Strate Ecole de Design, l’EDHEC Business School, l’Institut Paul Bocuse ou Vatel développent également leurs formations sur place grâce à des partenaires locaux.

Quelle est la situation actuelle des échanges universitaires entre la France et Singapour ? L’année passée, près de 500 étudiants sont partis de Singapour vers la France. Petite particularité locale, on comptait parmi eux pas moins de 34 nationalités différentes, et les étudiants de nationalité singapourienne ne représentaient que la moitié de ce contingent, ce qui est révélateur de la diversité des étudiants présents à Singapour. La moitié des étudiants en partance pour la France choisissent de s’orienter vers des formations en commerce et management, et un tiers est parti pour une formation universitaire, dans des do-


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© Ambassade de France à Singapour

maines aussi variés que l’informatique, les sciences politiques, le droit ou des études littéraires. Le développement des offres de formation en anglais dans les universités et écoles françaises est un véritable accélérateur de la mobilité étudiante en provenance de Singapour, et de nombreux établissements prestigieux en bénéficient, comme par exemple Sciences Po, qui a ouvert il y a quelques années des programmes de bachelor entièrement en anglais qui attirent de nombreux étudiants singapouriens de niveau licence.

Quels sont les avantages et inconvénients du système français pour les Singapouriens ? Les avantages du système français pour les étudiants singapouriens sont divers. D’abord, c’est l’excellence des formations qui attire les étudiants. La plupart d’entre eux partent en effet dans des écoles de commerce, à Sciences Po ou dans les grandes écoles d’ingénieur. Les études en

France représentent souvent pour eux leur première expérience longue dans un pays européen et l’occasion de découvrir l’Europe grâce au positionnement géographique idéal de la France. Enfin, le coût des études reste nettement moins élevé que dans les universités anglo-saxonnes, ce qui est un point non négligeable pour l’attractivité de nos formations.

Quel est le bilan de la plateforme France Alumni ? Créée il y a cinq ans par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et gérée par Campus France, la plateforme France Alumni a été lancée à Singapour en 2016 et comprend aujourd’hui près de 800 anciens étudiants inscrits. Les alumnis de l’enseignement supérieur français à Singapour ont des parcours très divers, dans des domaines aussi variés que le management, l’informatique, la cuisine. En 2020, l’Ambassade de France a pour projet d’organiser plusieurs événements de

nature professionnelle afin de consolider ce réseau en lien avec les nombreuses associations d’alumni d’universités et d’écoles françaises actives à Singapour (écoles de commerce, Ecole Polytechnique, INALCO, etc.).

L’Ambassade de France à Singapour a lancé, en mars 2019, le programme « France Excellence ». De quoi s’agit-il ? Le programme « France Excellence » vise à proposer aux étudiants inscrits à Singapour des stages dans des entreprises françaises, afin de leur démontrer qu’effectuer un séjour en France ouvre vers des carrières très intéressantes. Ce programme a rencontré un grand succès auprès des entreprises françaises et des universités singapouriennes car il correspond parfaitement au souhait d’internationaliser les futures élites locales.

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Propos recueillis par Laurence Huret

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Dossier – L’éducation à Singapour

La méthode de Singapour

Comment ça marche ?

Depuis 2008, Singapour caracole en première ou en seconde position du classement PISA, le Program for International Student Assessment, programme mené par l’OCDE visant à mesurer les performances des différentes systèmes éducatifs. Créée dans les années 80, « la méthode » est une synthèse des méthodes les plus importantes existantes à l’époque. Après quelques années de gestation et d’essais, elle fait parler d’elle pour la première fois en 1995, lorsque Singapour arrive en tête de l’étude TIMSS, une enquête internationale sur la validation des acquis. Depuis, « la méthode » a été utilisée dans une soixantaine de pays à travers le monde.

L’éducation : priorité du gouvernement de Singapour Lorsqu’il décide de créer cette méthode, le pays est encore en voie de développement, dépend encore beaucoup des aides internationales, et est à la traîne dans les classements éducatifs internationaux. Le premier ministre de l’époque Lee Kuan Yew lance un vaste programme pour remonter la pente. Il met l’accent sur les mathématiques et les sciences, et s’attelle à réformer l’éducation pour arriver à son but. Le succès est arrivé quelques années plus tard et les techniques d’apprentissage des autres matières scolaires se sont vues améliorées pour faciliter l’assimilation, grâce à une approche plus centrée sur le raisonnement des élèves.

Les trois aspects fondamentaux de la méthode de Singapour. Le principe de base est de donner une visualisation imagée des problèmes mathématiques pour mieux en comprendre

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leur principe. L’apprentissage est découpé en trois phases distinctes. La première étape consiste à modéliser le problème. La mémoire humaine est faite de telle

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manière qu’on retient plus facilement les données visuelles. Cette phase consiste donc à remplacer les chiffres par des barres, des boites ou des jetons... et de poser le problème avec ces nouveaux objets. L’élève va pouvoir toucher et manipuler les objets afin de se les approprier. C’est la deuxième phase : la phase imagée. Il va commencer à faire la liaison entre les objets qu’il a entre les mains, et dernière phase : l’abstraction. Lors de celle-ci, l’élève convertira son problème imagé en chiffres et symboles et ne manipulera plus que ça par la suite. Le rôle de l’enseignant à ce moment de la méthode est crucial. Il va aider l’élève à se poser les bonnes questions pour qu’il prenne conscience de ce que l’abstraction signifie concrètement. Il va l’aider à relier les 3 concepts concrets, imagé et abstrait pour que l’élève garde tous ses repères et assimile l’idée. Et sans s’en rendre compte, l’élève a ainsi compris la notion mathématique


Dossier – L’éducation à Singapour enseignée. Un autre principe est qu’on traite moins de sujet, mais on le fait plus en profondeur. Les enseignants prennent du temps et utilisent beaucoup d’exemples, s’assurant par la même occasion que les concepts ont bien été assimilés.

Concrètement, ça donne quoi ? Prenons une addition : 5+2=7. Chaque élève va recevoir 5 jetons rouges et 2 jetons jaunes. Ensuite on va poser tout un tas de questions : combien de jetons rouges ? de jaunes ? combien en tout ?... On va aussi leur expliquer qu’ils ont peutêtre 5 jetons rouges et 2 jetons jaunes, mais que ce serait la même chose que s’ils avaient 7 jetons bleus par exemple. On va aussi introduire le signe + et sa signification (ici, réunir) et aussi leur faire

réaliser que 5 + 2 vaut la même chose que 7. Et on va faire la liaison entre les jetons, les chiffres, leurs unions, la valeur... Il s’agit donc de concepts assez simples, mais c’est ce qui fait toute la force de la « méthode » car les capacités de l’enfant sont prises en compte, la progression est accompagnée, et son implication à appréhender le concept fait le reste du travail. On retrouve donc dans cette méthode des notions mises en avant par Maria Montessori où l’enfant doit manipuler pour mieux apprendre, mais aussi le principe du boulier où les chiffres sont modélisés par des boules.

regardé ce qu’il se faisait de mieux dans ce domaine, ils ont analysé chacune d’entre elles, en ont tiré tous les avantages individuels et combiné le tout. Quoi qu’il en soit, il semble que cette méthode ait fait ses preuves au vu des résultats de la cité-Etat dans les classements internationaux, mais aussi du fait qu’elle soit récupérée par bon nombre de nations à travers le monde. En France aussi, elle a été adoptée depuis une dizaine d’année. A voir maintenant sur le long terme les résultats de cette mise en pratique. Emmanuel-Pierre Hébé

Cette méthode est-elle révolutionnaire ? Pour mettre au point « la méthode », les professeurs en charge du programme ont

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Dossier – L’éducation à Singapour

Le multilinguisme à l’école

Quelles langues les Singapouriens parlent-ils à l’école ?

Avec la Suisse et le Rwanda, Singapour est l'un des trois pays au monde à avoir 4 langues officielles. Les quatre langues coexistent notamment dans le système scolaire : il s'agit de l'anglais, du chinois mandarin, du malais et du tamoul. Mais seules deux sont obligatoires pour les écoliers, à savoir l'anglais et la “langue maternelle”, déterminée par le pays d'origine, par exemple, le tamoul pour les Indiens. Ces langues ont été choisies pour des raisons historiques et politiques lors de l'indépendance de Singapour en 1965. Aujourd'hui, Singapour est un pays de bilingues qui évolue doucement vers le monolinguisme.

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La dynamique des langues à Singapour est complexe : d'un côté, aucune langue n'est majoritaire dans le pays et de l'autre, plusieurs ethnies peuvent parler la même langue ou alors une ethnie peut parler plusieurs langues. La langue la plus parlée, qui représente plus d'un tiers de la population totale, rassemble les locuteurs du min nan ou “chinois taïwanais”. Or, cette langue chinoise ne jouit d'aucun statut officiel à Singapour. En effet, c'est le chinois mandarin qui est la langue officielle, même s'il est deuxième en nombre de locuteurs (un quart de la population). Le malais (langue officielle) et le cantonais sont

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parlés respectivement par 7,6 % de la population. Les Indiens sont en principe le troisième groupe ethnique majeur, mais celui-ci est hétérogène puisqu'on y trouve des Tamouls, des Bengalis, des Panjabis, des Hindis etc. Parmi les autres langues numériquement importantes, il faut citer le filipino (2,6%), l'indonésien (2%), le tamoul (langue officielle, 2%), le javanais (1,5%), le bengali (1,3%). En 2015, l’anglais devient la première langue la plus parlée devant le mandarin. L’anglais superstar Depuis 1987, la langue officielle dans les écoles est l'anglais. Au niveau pri-

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maire, les élèves suivent un cursus en 6 ans qui vise à leur fournir une bonne maîtrise de l’anglais, de leur langue maternelle et des mathématiques. En fonction de leur niveau, les élèves peuvent commencer les sciences dès la 3e année. Les élèves les plus à l'aise dans leur langue maternelle peuvent également choisir de l'approfondir. A l’issue du cycle primaire, à 12 ans, les élèves passent un test, le Primary School Leaving Examination (PSLE), qui va déterminer leurs capacités à suivre des études secondaires et à orienter leurs poursuites d’études. L'anglais demeure la principale langue d'enseignement dans toutes les écoles, tandis que la “langue maternelle” est réservée aux cours de langue maternelle et d'éducation morale. Ce système d'enseignement bilingue est propre à Singapour et se distingue des modèles pédagogiques bilingues typiques dans lesquels le contenu scolaire est enseigné dans les deux langues cibles. En effet, la politique du bilinguisme a institué comme règle de base que l'apprentissage de la langue maternelle dans les écoles primaires et secondaires n'est pas nécessaire à la transmission des connaissances. C'est avant tout un « legs culturel » pour préserver les identités et les valeurs culturelles asiatiques. Selon le ministère de l'Éducation, la maîtrise de l'anglais



Dossier – L’éducation à Singapour

est vitale pour les élèves singapouriens, cette langue étant reconnue comme la langue de l'administration, de l'éducation, du commerce, des sciences, de la technologie et de la communication internationale. Les compétences en anglais sont évaluées au moyen d'examens écrits qui comprennent l'écriture, la compréhension et la rédaction de textes, tandis que pour les examens oraux les élèves sont invités à lire à haute voix des passages et à décrire des images ou des illustrations. L'anglais est cependant dans les faits une langue seconde pour la majorité des enfants, mais enseigné comme langue première, alors que la langue maternelle ou première est enseignée comme langue seconde. Comme l'accent est mis sur l'anglais, les élèves qui réussissent à maîtriser leur langue maternelle à un niveau performant à la fin de leurs

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études primaires peuvent être dispensés des cours de langue maternelle au secondaire. Dans certaines situations, les élèves singapouriens sont autorisés à choisir un «programme simplifié» en langue maternelle, voire obtenir une exemption complète des cours de langue maternelle. Cela vaut pour les cas de difficultés d'apprentissage, comme la dyslexie ou d'élèves nés à l'étranger qui n'ont aucun contact avec les langues maternelles enseignées à Singapour. Un élève peut alors choisir d'étudier une langue non officielle telle que le français, l'allemand ou le japonais « comme langue maternelle ».

« Speak Mandarin » Depuis 1979, le gouvernement a fait la promotion du mandarin par ses campagnes "Speak Mandarin" (« Parlez

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mandarin »). Le premier ministre de l'époque, Lee Kuan Yew, avait déclaré que le mandarin avait été choisi pour unifier la communauté chinoise par une seule langue. Avec la montée du nombre des locuteurs du mandarin à Singapour, les politiciens croyaient que ce nombre pourrait même dépasser celui des usagers de l'anglais. Dans une entrevue accordée à des journalistes français en 1989, l'ancien premier ministre Lee Kuan Yew déclarait que, s'il avait eu la possibilité de revenir à 1965 (déclaration d'indépendance) ou à 1970, il aurait conservé l'école primaire chinoise et encouragé davantage les parents à envoyer leurs enfants à l'école de langue chinoise, quitte à augmenter les heures d'enseignement de l'anglais langue seconde. De plus, il aurait accordé une année supplémen-


Dossier – L’éducation à Singapour taire (au niveau primaire ou secondaire) pour aider les élèves «moyens» à passer du chinois ou de la langue maternelle à l'anglais.

Anglais et identité En résumé, Singapour semble avoir atteint les principaux objectifs fixés par

les autorités en matière de politique linguistique et scolaire. Selon la vision idéologique de Lee Kuan Yew, il fallait adopter à la fois l'anglais pour le commerce et la langue maternelle pour préserver l'identité ethnique. Cependant, la progression de l'anglais aux dépens des autres langues a entraîné la perte

d’une partie de la riche diversité linguistique de Singapour. Le pays a aussi choisi de passer d'une politique de multilinguisme à une politique de bilinguisme qui a entraîné des conséquences imprévues. Karine Lespinasse

Le traitement des troubles de langage dans un environnement multilingue

et bilingues (et entre bilingues euxmêmes) ne peuvent se comparer.

Synthèse de l’article « late talkers » de Mary Pat O’Maley, orthophoniste irlandaise spécialisée dans le développement du language (troubles du langage, bilinguisme...). Traduction en français et adaptation réalisées avec l’aimable autorisation de l’auteure.

Quand on parle de late talker, d'enfant qui parle tard, on se penche sur le contenu de ce qu'il exprime : « maman pa'tie, noiseau... » pas sur sa prononciation, ni sa compréhension. Les late talkers, ce sont des enfants entre 18 et 35 mois, qui comprennent ce que vous leur dites (« prends ta cuiller »), ont développé les autres compétences de leur âge (marche, jeu...), mais qui ont une capacité d'expression limitée (en nombre de mots et de combinaisons qu'ils emploient).

Selon des recherches, à 18-20 mois, un enfant utilise au moins 10 mots (total qui peut être réparti sur plusieurs langues). Environ 15 % des enfants de 2 ans sont des late talkers et la moitié a dépassé ce stade dès 3 ans. Ils sont désignés comme des late bloomers, plantes tardives, s'ils développent leur capacité à s'exprimer entre 3 et 5 ans. Les garçons sont plus à risque, mais les études sont encore au niveau exploratoire pour identifier les causes de ces retards. Le bilinguisme n'est cependant, en aucun cas, un facteur de retard, contrairement aux idées reçues. Le développement du language est lié à la quantité d'exposition que l'enfant reçoit et les occasions qu'il a de le pratiquer. En revanche, la majorité des études est faite sur des enfants monolingues, alors que les situations monolingues

Mary Pat propose des critères pour déterminer quand consulter un.e orthophoniste et les 5 conseils suivants : 1 – Trouver un spécialiste qui connaît la problématique du bilinguisme et ne jamais accepter le conseil d'abandonner une langue. 2 – Faire vérifier l'audition de l'enfant. 3 – Observer son enfant 30 minutes par jour pour voir ce qui l'intéresse. Il développera sa capacité à parler d'autant mieux que vous lui donnez des mots par rapport à ce qu'il aime, pas ce que vous lui montrez (« tu marches jusqu'au canapé et pouf, tu t'es assis ! »). 4 – Tenir un journal de bord tout simple qui retrace comment l'enfant communique (avec le corps : par exemple, s'éloigner pour dire je ne veux pas ; ou un geste, comme secouer la tête ; avec quelle intention de communiquer si le mot n'est pas encore disponible...), pour repérer les nouveaux mots au fil des semaines. 5 – Regarder des livres ensemble (et juste regarder, car c'est la phase qui précède la lecture). *« Late talkers »: https://bilingualkidspot.com/2017/08/29/late-talkers-whatto-do-child-not-talking/ Le site de Mary Pat O’Malley : http://talknua.com/bilingualism/

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Publireportage

Alexis, étudiant à Singapour

« Je pense que de tous les choix que j’aurais pu faire, celui du BBA était le meilleur »

Après l’obtention de son baccalauréat, en 2016, au Lycée Français de Singapour, Alexis avait le choix : rentrer en France, rester à Singapour ou partir aux États-Unis. En intégrant le parcours global Global Business de l’EDHEC International BBA, il s’est donné les moyens de tout faire. Après une première année à l’Edhec et une seconde à UCLA extension, Los Angeles, il étudie depuis le 1er janvier à la Nanyang Technological University (NTU) de Singapour, dernière étape d’un parcours holistique de développement en 4 ans sur 3 continents.

Campus de l’Edhec à Nice DR

Parlez-nous de votre année à UCLA extension. Votre expérience a-t-elle été conforme au « rêve américain » que vous aviez en tête ? Alexis - On était déjà beaucoup plus indépendants qu’en première année. Il y avait moins de cours et beaucoup plus de travail personnel. Pour « faire l’année » il fallait vraiment se bouger. C’était une année où l’on devait murir d’un coup : une première expérience de l’expatriation en mode autonome. Vivre à Los Angeles était une chance formidable. C’était extraordinaire de se dire qu’on vivait vraiment, au quotidien, cette vie d’étudiant américain.

Vous réalisez ensuite un stage de 6 mois, puis arrivez à Singapour où, depuis le 1er janvier, vous étudiez à la Nanyang Technological University. Qu’est-ce qui fait la saveur de cette nouvelle expérience ? En ce qui concerne la manière d’enseigner, Singapour est un peu un mélange entre la France et les Etats-Unis. Il y a plus de travail personnel, mais la pression sur les cours reste aussi très forte. Les professeurs sont d’une qualité exceptionnelle. Plusieurs d’entre eux sont

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des sommités reconnues dans leur domaine. Les cours dont nous bénéficions ont, en grande partie, été customisés pour notre promotion : des cours de « Marketing en Asie » qui complètent bien les approches que nous avions eues « Le parcours Global Business, 100% enseigné en anglais pendant 4 ans, offre aux étudiants une formation à forte dimension internationale les rendant polyvalents et compétitifs sur la scène mondiale. Les étudiants (50% d’entre eux sont internationaux) alternent 14 mois de stages avec trois années d’études dans des institutions du top 20 mondial : EDHEC Business School (Nice), UCLA Extension (Los Angeles) et Nanyang Technological University (Singapour), ou UADE (Buenos Aires), ou HongKong Polytechnic University (Hong Kong) ou Lingnan University (Hong Kong).

aux Etats-Unis et en France ; des cours d’investissement et de gestion de portefeuille… Sur le campus, la sociabilisation est intense, particulièrement avec les autres étudiants étrangers. Plus généralement, la dernière année est assez « sous pression » car il y a une thèse à rendre. Et puis, pour ceux qui veulent

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continuer, il faut très tôt se mobiliser pour les inscriptions en Master of Science (Msc).

Quel bilan faites-vous de votre parcours en BBA ? Je pense que de tous les choix que j’aurais pu faire, celui du BBA était le meilleur. J’ai eu la chance de découvrir beaucoup plus du monde et des cultures. J’ai voyagé sur trois continents. J’aurais aimé être plus mature au début pour profiter encore plus par exemple des Etats-Unis. Le BBA est un formidable tremplin.

Quels sont vos projets pour la suite ? J’ai toujours été plutôt tourné vers l’entrepreneuriat. J’aime créer, innover, chercher des solutions à mes questions. Si j’en ai la chance et les soutiens, j’aimerais entreprendre dans le domaine de la technologie ou de la musique. En termes de localisation, c’est assez ouvert. Je pense continuer et faire un Msc en management ou en finance, aux Etats-Unis ou en France. Je pense que mon statut d’alumni de UCLA Extension, NTU, et EDHEC devrait favoriser ma recherche d’un master à l’international.



Dossier – L’éducation à Singapour

Qu’est-ce qui fait aimer le français aux jeunes Singapouriens ? Le témoignage de quatre étudiants

Chaque année, ils sont plus de 600 à Nanyang Technological University (NTU) et plus de 900 à National University Singapore (NUS) à suivre des cours de français. Pourquoi ont-ils décidé de le faire ? Quels impacts le français a-t-il eu sur leur vie ? Autant de questions auxquelles les témoignages de Shi Min et de Wee Lyn, débutants en français à NTU, et ceux de Sarah et Ern-Min, de niveau avancé en français, qui inaugurent ce semestre le nouveau cours d’études francophones enseigné entièrement en français à NUS, apportent des réponses pleines d’enthousiasme et de fraîcheur. Shi Min est étudiante en 2nde année de linguistique, Wee Lyn, en 2nde année de commerce, Sarah et Ern-Min sont étudiants l’une en études européennes, l’autre en sciences de l'ingénieur. même d’entrer à NTU, j’avais envie d’apprendre le français. Depuis que j’étudie la linguistique, je m’intéresse en plus à l’influence du français sur les autres langues. En regardant les séries françaises, je m’aperçois que l’anglais a emprunté de nombreux termes de vocabulaire au français. Apprendre du français, c’est, d’une certaine façon, apprendre à mieux parler en anglais. C’est vraiment très intéressant et motivant.

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Pourquoi avez-vous choisi le français comme langue étrangère ? Shi Min - Je fais du piano depuis ma plus tendre enfance : j’aime la musique classique française, les compositeurs comme Debussy. Je suis passionnée par l’art de la Renaissance française. Avant

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Shi Min : « Parler français m’a ouvert l’esprit »

Enfin, les classes de français de mon université ont lieu deux fois par semaine et sont en complète immersion linguistique. Je trouve qu’avoir deux sessions hebdomadaires, où les professeurs ne parlent qu’en français, est plus stimulant qu’une seule de 3 heures. Les

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exercices d’auto-apprentissage en ligne me permettent de rester en contact avec la langue : je peux toujours rester en contact avec la langue. C’est super !

Qu’est-ce qui pourrait freiner votre motivation à apprendre le français ? Certains étudiants ne veulent pas s’inscrire dans les niveaux supérieurs de peur d’avoir de mauvais résultats aux examens. Je trouve que c’est dommage. Moi, j’ai envie d’apprendre les langues que je veux !

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le français ? La prononciation, la conjugaison et les règles de tutoiement et de vouvoiement. Au fur et à mesure que je progresse en français, j’essaie de faire le parallèle avec l’anglais ou d’autres langues que je maîtrise comme le chinois.

Selon vous, pourquoi est-ce important d’apprendre le français à Singapour ? Même si à première vue, la communauté francophone ne semble pas la


Dossier – L’éducation à Singapour Pourquoi apprenez-vous le français? Quels sont vos objectifs ? Wee Lynn - Depuis toujours, je souhaitais apprendre une langue étrangère. C’est sans doute cliché, mais je trouve que le français est une langue romantique. Par ailleurs, c’est une langue majeure sur le continent européen et comme je compte aller travailler en

plus importante à Singapour, il y a en réalité de nombreux francophones, dont beaucoup d’étudiants sur mon campus. Dans ma résidence universitaire, ma voisine est française, elle est devenue une amie avec qui je parle en français et j'apprends de nouveaux mots. D’un point de vue professionnel aussi, avoir plusieurs cordes à son arc sur un marché du travail internationalisé est un atout majeur : grâce au français, j’espère travailler pour le ministère des Affaires étrangères ou enseigner dans une école bilingue.

Dans le cadre de vos études, vous avez récemment effectué un stage d’immersion linguistique en France. En quoi cette expérience a-t-elle changé votre vie ? C’était une expérience intense et inestimable pour moi. J’ai fait d’immenses progrès en français, bien sûr. De nombreuses choses apprises à NTU me sont revenues à l’esprit et j’en ai aussi compris la signification. C’était comme un puzzle qui se mettait en place devant mes yeux. Mais ce qui n’a pas de prix pour moi, c’est l’ouverture d’esprit que ce séjour m’a donné. Par mes discussions avec ma famille d’accueil ou avec mes camarades de classe venus du monde entier ou encore au cours des excursions organisées par l’école, j’ai été confrontée à des points de vue différents du mien. J’ai changé d’état d’esprit. J’ai compris qu’il y avait différentes façons de percevoir et de résoudre les problèmes. Par exemple en France, il y a une loi contre les châtiments corporels. Je pense maintenant que cette loi devrait aussi exister à Singapour. Parler français m’a ouvert l’esprit et m’a donné confiance en moi. Avant de partir, j’avais aussi des idées préconçues sur la France et les Français. Mes amis me disaient que les Français n’étaient pas sympas. Mais quand j’ai pris le train, les gens étaient très serviables et m’ont aidée ! Les stéréotypes que l’on a sur la France sont surtout le résultat des experiences vé-

Wee Lyn : « Joie de vivre » est mon expression préférée en français. DR

cues à Paris, car tout le monde va à Paris. Au contraire, Besançon est une ville tranquille et très agréable, loin des clichés de villes agitées véhiculées par certains médias.

D’après vous, le gouvernement singapourien devrait-il plus encourager l’apprentissage d’une langue étrangère avant l’entrée à université ? Tout à fait ! A Singapour l’enseignement des langues étrangères avant l’entrée à l’université est réservé aux étudiants des meilleures écoles. Tous les étudiants, peu importe leurs écoles, devraient avoir cette chance dès le plus jeune âge. L’apprentissage d’une langue ne devrait pas dépendre des aptitudes ou résultats dans les autres matières. Les étudiants américains du CLA avaient déjà appris le français dans leur enfance, ils avaient un peu oublié mais les bases leur sont revenues assez vite. C’était plus facile pour eux.

Inciterez-vous vos enfants à apprendre le français ? Oui, car plus les enfants sont jeunes et plus ils apprennent facilement les langues. Mes enfants pourraient bien être trilingues, ce qui est assez courant de nos jours.

Europe ou faire un stage dans une entreprise francophone grâce aux programmes de l’ambassade de France, j’ai vraiment envie d’apprendre cette langue. A l’issue de mes études, j’espère atteindre le niveau intermédiaire avancé pour pouvoir passer une certification DELF mais aussi ajouter le mineur en langues à mon diplôme. Quels impacts sur votre vie a déjà eu l’apprentissage du français ? À NTU, nous n’apprenons pas seulement la langue, mais nous découvrons aussi la culture francophone avec des chansons, des films, des jeux, etc. Il y a deux chansons françaises que j’aime vraiment beaucoup, « La vie en rose » et « Amour plastique ». C’est grâce à mes études que je peux comprendre ces chansons et m’ouvrir sur une culture différente de la mienne. D’un point de vue social aussi, apprendre le français a changé ma perception du monde. Cet été, par exemple, je suis allée en Croatie où j’ai pu échanger avec beaucoup de francophones. J’ai remarqué que lorsque l’un d’entre eux avait fait une erreur, les autres le pardonnaient facilement. Cette attitude m’incite à être plus tolérante et plus indulgente dans ma vie de tous les jours avec les autres et avec moi-même ! Dans le domaine professionnel aussi,

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Dossier – L’éducation à Singapour

NTU

Nichée au cœur de la forêt tropicale à l’ouest de Singapour, l’Université technologique de Nanyang (NTU), classée première des plus jeunes universités au monde depuis 5 ans, accueille près de 33 500 étudiants dont environ 5 000 choisissent d’apprendre chaque année l’une des 15 langues offertes par le Centre des Langues Modernes (CML). Environ 600 étudiants s'inscrivent pour apprendre le français au niveau élémentaire et intermédiaire essentiellement. Une équipe pédagogique de 6 personnes, dont la coordinatrice de français, Estelle Bech, et le directeur adjoint du Centre des Langues Modernes, Jean-François Ghesquière, enseigne, en présentiel et via des plateformes d’apprentissage en ligne, la troisième langue la plus apprise à NTU. Afin de valider leurs compétences langagières, les étudiants ont l’opportunité de partir en stage d’immersion linguistique au Centre de Linguistique Appliquée de Besançon (CLA), de passer des certifications internationales en français (DELF/DALF) auxquelles ils sont préparés au CML et enfin de décrocher le « mineur » en Langues Modernes qui vient tout juste d’être lancé.

apprendre le français m’aide à mettre en perspective ma propre culture. Par exemple, dans le commerce, un même problème ne sera pas abordé ou résolu de la même façon par un Singapourien et par un Français. C’est très important pour mon futur travail où on me demandera d’avoir une vision des problèmes sur 360 degrés et d’aiguiser mon sens critique.

Qu’est-ce qui pourrait freiner votre motivation à apprendre le français ? Certains étudiants ne veulent pas s’inscrire dans les niveaux supérieurs de peur d’avoir de mauvais résultats aux examens. Je trouve que c’est dommage. Moi, j’ai envie d’apprendre les langues que je veux !

Quelle est votre expression préférée en français ? Pourquoi ? « Joie de vivre ». Cette expression n’est pas exprimée de la même façon dans ma langue maternelle. Elle m’invite à profiter du moment présent et à moins me focaliser sur le passé ou l’avenir.

Qu’est-ce qui pourrait freiner votre motivation à apprendre le français ? Certains étudiants ne veulent pas s’inscrire dans les niveaux supérieurs de peur d’avoir de mauvais résultats aux examens. Je trouve que c’est dommage. Moi, j’ai envie d’apprendre les langues que je veux !

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Pourquoi avez-vous choisi le français comme langue étrangère ? Sarah - J’aime bien apprendre les langues

NUS

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étrangères. En plus du français, je parle couramment anglais, chinois, japonais, espagnol et italien. L’anglais, c’est ma langue maternelle et comme tous les Singapouriens d’origine chinoise, j’ai dû étudier le chinois mandarin pendant 10 ans à l’école. Le japonais était la première langue étrangère par laquelle j’ai été attirée. Je l’ai étudiée pendant 4 ans à l’école secondaire, puis à l’université.

Le français, pourquoi ? Mon apprentissage du français fait partie de ma licence en études européennes qui exigeait que je choisisse entre le français, l’espagnol et l’allemand comme langue étrangère. Étant donné que j’avais déjà maîtrisé l’espagnol, je savais que le français, étant une langue latine, serait facile à apprendre. Mais plus que cela, j’ai toujours eu l’impression que le français était l’une des langues les plus élégantes du monde. Et au fur et à mesure que je renforce ma connaissance du français, mon appréciation pour la culture française s’approfondit – notamment par rapport à l’histoire, l’art et la diversité de la gastronomie – et surtout quand je suis allée en France pour un programme d’immersion.

Sarah : « le français est une des langues les plus

Qu’est-ce que devenir francophone a changé dans votre vie ? Je crois qu’il est incontournable que notre vision du monde soit étendue lorsqu’on

A l’Université Nationale de Singapour, NUS, le français est une des langues étrangères fondatrices du Centre d’Étude des Langues. Établi en 2001, le Centre permet aux étudiants d’opter pour une option de langue, et aux étudiants de licence d’ajouter à leur Licence une mineure en études de langues. NUS offre 13 langues étrangères, parmi lesquelles le français est la troisième langue la plus populaire, avec plus de 900 étudiants par an, et l’une de celle qui offre les niveaux les plus variés, avec 6 niveaux de langues et 2 niveaux d’études francophones.


Dossier – L’éducation à Singapour apprend des langues étrangères. L’apprentissage du français en particulier m’a ouvert les yeux sur la grande diversité de la francophonie : souvent on ne pense qu’à la France quand on entend parler du français, mais il y a aussi plein de cultures francophones en Afrique, en Europe, au Canada, dont on peut apprendre beaucoup. Bien que je ne puisse pas utiliser le français trop fréquemment à Singapour, ma vie aurait sans doute été beaucoup moins abondante si je ne l’avais jamais appris. Pour ma part j’ai toujours valorisé les langues pour leurs fonctions culturelles et sociales, plutôt que leur fonctionnalité. De plus, j’ai constaté qu’en plus de bien faciliter la communication, une langue partagée peut toucher notre sensibilité et ainsi permet de développer de très bonnes relations. C’est donc grâce aux cours de français que j’ai pu me faire pas mal d’amis à l’université, soit d’autres apprenants de français, soit des étudiants qui venaient de pays francophones.

Pratiquer le français à Singapour, c’est un défi ? En général c’est toujours possible de suivre un cours ou d’assister aux évènements organisés par l’Alliance Française pour pouvoir pratiquer le français en temps réel, mais les vidéos des YouTubeurs francophones ou les séries en version française sont aussi une très bonne manière d’avoir des contacts avec la langue.

Un mot préféré ? Mon mot préféré est « pâtisserie » parce qu’il m’apporte de bons souvenirs de la gastronomie française !

Pourquoi le français ? Ern-Min - Je parle le mandarin mais comme la plupart des Singapouriens, l’anglais est ma première langue. J’étais monolingue pendant la majorité de ma vie. À Singapour, on a une politique d’éducation bilingue mais dans ma famille, on ne parle pas souvent le mandarin. Du coup, je cherchais une autre langue pour m’apprendre comment étudier une langue d’une manière efficace. Puisque la mélodie et les sons du français sont très agréa-

bles, j’ai décidé d’apprendre cette langue. Maintenant, je suis accro à découvrir des phrases nouvelles et à avoir la capacité de communiquer en français parce qu’elle est ma première langue étrangère. C’est comme gagner des trophées dans une compétition : La première réussite est toujours la plus mémorable. Maintenant, je suis aussi en train d’apprendre l’indonésien. Parce que c’est utile dans cette région d’Asie du Sud-Est. J’ai aussi appris le coréen, mais pas très longtemps.

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Qu’est-ce que devenir francophone a changé dans votre vie ? En apprenant une nouvelle langue, on s’ouvre à une autre culture. Il y a une citation, par Nelson Mandela « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur ». C’est un fait que j’atteste. En pratiquant le français sur un site d’échange linguistique, j’ai appris des autres des valeurs différentes, leurs vues du monde, la religion, la politique, leur mode de vie. Pour moi, le français est un loisir. Quand mes études d’ingénierie me fatiguent, je regarde une vidéo française. Je doute d’utiliser le français régulièrement pour mon travail dans le futur sauf si je trouvais un boulot dans une entre-

prise française. Maintenant ça reste un bon moyen de relâcher la pression. Je voudrais continuer le français à un niveau assez avancé. Il y a une polyglotte célèbre, Lýdia Machová qui a dit qu’apprendre une langue est semblable à être piégé sur une île. Les vagues vous empêchent de vous enfuir. Il faut ramer sans cesse jusqu’à ce que vous soyez libres des vagues. Quand vous parvenez à un niveau avancé, vous avez un océan à explorer.

Ern-Min : « pour moi, le français est un loisir »

Pratiquer le français à Singapour, c’est un défi ? Je lis. Le premier bouquin que j’ai lu en français s’appelle « c’est un secret entre nous ». C’est le témoignage d’une femme qui était harcelée par son beau-père pendant son enfance et son adolescence. Et ça a été écrit pour encourager les filles ayant été harcelées à ne pas rester silencieuses. Je regarde aussi beaucoup de vidéos françaises sur Youtube et je crée les flashcards moi-même selon la technique que j’ai apprise à partir d’un bouquin, « Fluent Forever » écrit par Gabriel Wyner, un autre célèbre polyglotte. La communauté polyglotte a tant de bonnes techniques pour m’aider à améliorer mon niveau de français !

Un mot préféré ? J’aime les mots « zézayer », « bégayer » et « marmonner ». Parce que ça me décrit en général pendant mon parcours de français. J’espère que ce n’est plus le cas.

Entretiens coordonnés par Karine Lespinasse

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Avec l’aide de Estelle Bech Jean-François Ghesquière. Hélène Girard-Virasolvit

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Dossier – L’éducation à Singapour

L'École hôtelière de Lausanne : ouverture du Campus Singapore

Afin de rester le leader mondial de l’éducation en gestion hôtelière, le Groupe EHL (qui inclut l’Ecole hôtelière de Lausanne) a lancé un projet ambitieux d’ouverture d’un campus EHL à Singapour. Celui-ci ouvrira officiellement en septembre 2021 avec la première cohorte du Bachelor en hôtellerie et professions de l’accueil. Rencontre avec Joshua Gan, directeur régional pour l’Asie Pacifique.

Dans les cuisines de l’Ecole hotelièrede Lausanne DR EHL DR

Quelle est la stratégie de l’EHL au niveau international ? Joshua Gan - L’ambition du groupe EHL est d’être la référence mondiale en matière de formation en management hôtelier. Pour ce faire, nous avons cinq axes stratégiques à l’horizon 2025. Le premier est le développement de notre portefeuille d’éducation, nous avons

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donc le programme Bachelor qui est notre programme principal et nous avons également un Master of Science in Global Hospitality Business, un MBA in Hospitality (80% en ligne), et un Hospitality MBA en collaboration avec CEIBS, entre autres. D’autres programmes suivront. Le deuxième axe est le développement à l’international.

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EHL Advisory Services, branche de conseil du Groupe EHL (propriétaire de l’Ecole hôtelière de Lausanne) a connu une croissance rapide au cours des 10 dernières années. Nous avons un bureau ici à Singapour depuis 4 ans et nous aurons le campus d’ici 2 ans. Nous avons également plusieurs bureaux de conseil à Shanghai, Beijing et Delhi. Nous faisons également des mandats de conseils pour des investisseurs qui souhaitent ouvrir des écoles ailleurs dans le monde. Le troisième axe concerne le développement de nos campus. A Lausanne nous investissons plus de 200 Millions de francs suisses sur le campus. EHL Campus Singapore sera également un campus magnifique. Le quatrième axe est l'innovation, à la fois dans l’éducation et dans le business. Enfin, le cinquième axe est la responsabilité sociale des entreprises. Nous soutenons ainsi l’Ecole d'Hôtellerie et de Tourisme Paul Dubrule à Siem Reap qui a pour objectif de briser le cycle de la pauvreté en offrant aux jeunes des formations courtes qui leur permettent d’être rapidement embauchés. C’est vraiment la stratégie de l’EHL jusqu’en 2025 et bien sûr l’ouverture du campus fait partie du développement international, axe deux de notre stratégie de développement. L’Asie est importante, c’est pourquoi


Dossier – L’éducation à Singapour nous sommes ici pour le premier campus international. C’est aussi la première université Suisse à avoir un programme complet de niveau Bachelor à l’étranger accrédité par la Suisse.

Comment s’inscrit l’ouverture d’un campus à Singapour dans cette perspective ? L’ouverture du campus de Singapour fait partie du deuxième axe du développement international, mais le plus important est de répondre à la demande des élèves et de leurs parents. Nous avons mené une enquête auprès d’eux il y a environ un an et il y avait une forte demande d’expérience internationale. Nous avons 120 nationalités représentées sur le campus de Lausanne. Les étudiants peuvent déjà effectuer 2 stages à l'étranger dans le programme qui dure 4 ans, y compris l’année préparatoire. Ils souhaitent néanmoins de plus en plus de perspectives internationales. L'ASEAN (Association des Nations de l'Asie du Sud-Est) était la première destination demandée par les parents et les étudiants. C’est pourquoi nous avons étudié un peu plus l’Asie et finalement choisi Singapour.

Pourquoi Singapour ? Singapour est à bien des égards une réponse évidente pour un grand nombre de personnes. Singapour est souvent appelée la Suisse de l'Asie et il existe de nombreux parallèles entre la Suisse et Singapour en termes de sécurité, de stabilité et de petite taille. La population en Suisse est d'environ 8M d’habitants, celle de Singapour est de 5.6M. Nous partageons le fait que les personnes représentent notre ressource principale. Dans beaucoup de classements, Singapour et la Suisse sont numéro un ou deux. Dans l'innovation et la facilité de faire des affaires et dans le niveau de l’éducation aussi. Notre direction a visité Singapour à différentes occasions, ils s’y sont sentis très à l’aise. Ils trouvent que les valeurs du pays leur sont très proches et que le groupe EHL peut s’y projeter à long terme.

Qui seront les étudiants visés par cette ouverture ? Aujourd'hui, l'EHL à Lausanne compte environ 75% d'étudiants européens et plus de 120 nationalités différentes. À Singapour, nous nous attendons à peu près au même pourcentage. Beaucoup d’étudiants occidentaux souhaitent vivre et étudier en Asie afin de comprendre une des économies les plus dynamiques du monde, en Asie du Sud-Est et en Chine, juste à côté. C’est la raison pour laquelle nous croyons que l’Ouest fournira la plupart des étudiants. Cependant, nous prévoyons également des étudiants des pays comme l’Indonésie, l’Inde ou la Chine, où la marque «Singapour» est très forte.

Quels niveaux de formation proposez-vous ? Dans la première phase de développement, tous les étudiants feront leur année préparatoire à Lausanne. La première cohorte d’étudiants commencera en septembre 2020, en Suisse. Ils passeront 6 mois sur le Campus de Lausanne et iront faire un stage où ils le veulent dans le monde. Puis ils commenceront la première année du programme de Bachelor of Science in International Hospitality Management à Singapour, en septembre 2021. Il sera également possible pour certains étudiants sélectionnés de faire des échanges durant le 3e et 5e semestre du cursus entre les campus EHL de Lausanne, Passugg et Singapour.

Quelles seront les modalités de recrutement de vos étudiants ? Il s’agit d’un programme de Bachelor of Science in International Hospitality Management. Nous recrutons pour le même programme qu’à Lausanne, nous empruntons les mêmes canaux. Nous visitons des écoles, participons à des Education Fairs, utilisons les médias sociaux, tous les mêmes canaux habituels. Nous organiserons davantage de journées portes ouvertes sur le campus de Singapour, comme à Lausanne. Nous allons organiser des ateliers thématiques, des conférences avec des représentants

de l’industrie et prévoyons de reproduire les mêmes grands évènements qu’à Lausanne comme nos Forums Carrières, etc.

Comment se porte le secteur de l’hôtellerie - restauration en Asie ? Quels débouchés potentiels pour les étudiants ? Le marché se développe très rapidement. L'hôtellerie est en plein essor dans le monde entier, particulièrement en Asie et surtout en Chine. Il y a donc beaucoup de croissance et certains groupes hôteliers déclarent ouvrir un hôtel tous les deux ou trois jours. Chaque jour, un nouvel hôtel ouvre ses portes. Et comme vous le savez l’EHL ne soutient pas seulement la branche hôtelière mais aussi toutes les entreprises de services, toutes les entreprises de restauration, les croisières, les compagnies aériennes, les aéroports, le commerce de détail. Tous ont besoin de diplômés en hospitalité. Les emplois ne sont pas un problème. Il y a un très large choix d’emplois disponibles. Nous avons un taux d'employabilité de 96% au terme des 4 ans d’étude.

Existe-t-il une d’autre formation en management hôtelier à Singapour ? Il y a quelques écoles à Singapour mais si vous prenez les six universités autonomes à Singapour, la seule qui offre un Bachelor en hôtellerie est Singapore Institute of technology (SIT), qui a son propre programme, et quelques autres écoles privées qui offrent divers niveaux de certification et diplômes. Combien d’étudiants attendez-vous ? Nous commencerons avec 60 étudiants lors de la première promotion en septembre 2020, puis 40 étudiants en février 2021. Nous prévoyons d’atteindre 100 élèves en septembre 2021 et 60 en février 2022. Ainsi, nous aurons environ 500 étudiants sur le campus d’ici 2024.

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Propos recueillis par Catherine Zaccaria

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Dossier – L’éducation à Singapour

L’Alliance française de Singapour fête ses 70 ans !

Depuis sa fondation en 1949, l’Alliance française de Singapour contribue aux échanges culturels entre la cité-Etat, la France et le monde francophone. Elle réunit près de 4.000 membres, dont les plus jeunes ont un an « Il n’est jamais trop tôt pour apprendre le Français ! ». Lors de la journée anniversaire le 12 octobre 2019, la Présidente de l’Alliance Jacky Deromedi et l’Ambassadeur de France Marc Abensour ont fait le souhait que les Singapouriens soient encore plus nombreux à l’avenir à fréquenter le “French Hub”. Rencontre avec Cécile Le Breton, Directrice adjointe de l’Alliance française de Singapour. à l’année. Ils représentent 14% du public de l’Alliance française, avec une très forte progression ces 5 dernières années. Le public des moins de 16 ans représente pour sa part 40 % du public de l’Alliance. Il s’agit principalement d’enfants singapouriens.

© Alliance Française de Singapour

Comment expliquez-vous le succès de votre programme Zouzous pour très jeunes enfants ? Cécile Le Breton - Ces dernières années, l'Alliance a développé d'excellentes méthodes d'apprentissage pour les jeunes enfants. Les premiers cours Zouzous pour les enfants de moins de 5 ans ont été mis en place en 2009, suivis par les cours pré Zouzous, c’est-àdire enfants d’un an accompagnés d’un parent, en 2013. On compte actuellement 450 Zouzous (enfants différents)

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L’objectif des cours Zouzous est d’habituer les enfants dès le plus jeune âge à entendre et comprendre du français et faire des activités en français afin de se familiariser avec les sons, les mélodies, les consignes tout en socialisant avec d’autres enfants pour favoriser une ouverture sur le monde. Les enfants développent à la fois des compétences linguistiques, communicationnelles et interculturelles au sein de groupes pluriculturels. L’environnement d’apprentissage et l’approche sont ludiques et adaptés aux besoins des jeunes enfants. A l’Alliance, nous privilégions l’apprentissage non scolaire de la langue. On apprend en jouant, manipulant, chantant. L’immersion est aussi le maître mot. L’Alliance propose tout un écosystème propice à l’apprentissage du français et à la découverte de la culture avec, en plus des cours, des activités à la médiathèque, des lectures de contes, une programmation culturelle familiale avec des films d’animation pour les petits et les grands le dimanche…

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Quels types d’enseignement proposez-vous pour les enfants plus âgés ? Nous avons des cours appelés Franco Kids, destinés aux enfants bilingues, à partir de 6 ans jusqu’à 15 ans. On compte actuellement 180 Franco Kids (enfants différents) à l’année. Ce sont des cours destinés aux enfants s’exprimant déjà en français à la maison ou avec l’un des deux parents. Cela leur permet d’être davantage exposés à la langue (pratique de la langue hors contexte familial ou scolaire) et de développer leurs compétences linguistiques (lecture, écriture, grammaire notamment). L’objectif est de les aider à intégrer plus facilement à terme le système éducatif français et faire de leur maîtrise de la langue française un atout pour leur développement personnel et intellectuel. Propos recueillis par Laurence Huret

© Alliance Française de Singapour


Dossier – L’éducation à Singapour

© Alliance Française de Singapour

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Dossier – L’éducation à Singapour

Le LFS change de nom

Installé à Singapour depuis plus de 50 ans, le Lycée Français de Singapour s’internationalise avec une ouverture aux autres communautés, à l’image du réseau de 522 établissements de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE), auquel il appartient et avec lequel il a renouvelé sa convention fin 2018. Cette internationalisation se concrétisera en janvier 2020 par un changement de nom, le LFS devenant IFS (International French School), et par un changement d’identité visuelle, suite au vote des parents d’élèves lors de l’Assemblée Générale de juin dernier. Entretien avec Christian Soulard, Proviseur du Lycée Français de Singapour et Pierre Chanteclair, Président du Conseil exécutif.

Dans quel contexte s’inscrit l’internationalisation du LFS ? Christian Soulard et Pierre Chanteclair Longtemps, l’image du LFS a été celle d’une bulle franco-française : priorité était donnée aux enfants Français, en raison du manque de place et des listes d’attente. Aujourd’hui, avec plus de 67 nationalités représentées, le Lycée Français de Singapour est une école ouverte sur le monde. L'école compte plus de

2900 élèves, dont 35% d'élèves binationaux et non-français. Cette tendance est de plus en plus marquée ; depuis septembre 2019, 15% des nouveaux élèves ont un profil international (non-français) contre 10% des élèves qui étaient déjà présents à l'école.

Comment cette internationalisation se met-elle en place ? Grâce à la qualité du curriculum fran-

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çais et au professionnalisme des équipes pédagogiques, les diplômés de l’Etablissement obtiennent depuis plusieurs années un taux de réussite de 100% au baccalauréat et accèdent aux meilleurs établissements d’enseignement supérieur à l’international. 50% des diplômés partent étudier en France et 50% dans d’autres pays tels que le Royaume Uni, le Canada, la Suisse ou Singapour. C’est une structure avec un


Dossier – L’éducation à Singapour budget d’environ 65 millions S$ de revenus et près de 400 salariés.

Un accueil spécifique a été mis en place pour les familles internationales. Une personne en charge de l'accueil des familles non-francophones et un dispositif éducatif personnalisé pour les enfants non-francophones jusqu'à l'âge de 12 ans afin de favoriser leur bonne intégration dans le système français.

Les élèves sont exposés au minimum à 3 ou 4 langues: L'anglais, le mandarin et le français pour tous les élèves du primaire et la possibilité de choisir l'espagnol ou l'allemand au secondaire. Un nouveau programme Atelier langue Maternelle lancé en 2019 permet aux élèves de langue maternelle italienne, espagnole et chinoise de pratiquer et développer leurs connaissances dans leurs langues. Et plus de 50% des élèves suivent le curriculum bilingue

anglais - français à parité horaire en primaire ou poursuivent en section Internationale dans le secondaire.

Quels sont les fondamentaux sur lesquels se fonde la stratégie du futur IFS ( International French School) pour les années à venir ? Une réflexion a été menée par le Conseil exécutif et les équipes pédagogiques pour réfléchir à la vision de l’établissement. Ils sont arrivés à 5 piliers forts : 1 – Priorité au curriculum français : Le lycée ne prépare pas à l’IB (International baccalaureate), plus cher et plus concurrentiel. 2 – Diversité : Ouverture sur les autres communautés, plus de mixité culturelle et d’origines dans la cour d’école. 3 – Bilinguisme : 50% des élèves suivent un cursus bilingue, au primaire comme au secondaire. Succès pérenne de l’événement SIMUN. Activités extra scolaires en langues maternelles.

4 – Bon rapport qualité prix : L’école doit rester accessible financièrement, pour les familles c’est un point clé. L’augmentation des frais de scolarité s’aligne sur l’inflation, depuis 3 ans elles sont à 1,5%. 5 – Inclusive : Une école d’excellence, mais pas sélective, ouverte aussi aux enfants en difficulté, que l’établissement se doit d’accompagner.

Ces 5 piliers, cette volonté de s’ouvrir davantage sur l’international, cette nouvelle dénomination de l’établissement répondent par anticipation à l’objectif défini par le Président Macron, de doubler le nombre d’apprenants en français à l’étranger d’ici 2030. Propos recueillis par Laurence Huret

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Photoreportage

Women by a woman

Clotilde Richalet Szuch En 2016, la photographe Clotilde Richalet Szuch* est partie, sac au dos, sillonner neuf pays de l’ASEAN. Elle en a rapporté une série de portraits de femmes qui met en scène le caractère très distinctif de la manière dont les femmes se présentent, agissent, se déplacent, s’habillent, rient et sourient dans chaque pays.

« C’est étonnant tout ce qui passe dans un regard lorsque l’on fait ainsi le por-

trait d’une personne. Dans certains cas, l’échange n’a duré que le temps de la pause, dans d’autres il a été beaucoup plus long, certaines femmes s’interrompant par exemple pour aller chercher leur bébé pour que je les prenne ensemble. Il y a aussi beaucoup de photos de moi qui circulent en Asean. Car cela procédait de l’échange. Les femmes acceptaient de se faire prendre en photo et elles me demandaient une photo de moi. Il y a eu beaucoup de simplicité et

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de spontanéité. A chaque fois, c’était une femme qui en prenait une autre en photo ».

*Lire aussi, dans la rubrique « L’Asie vue de France », le portrait de Clotilde Richalet Szuch et le travail qu’elle a réalisé, après son départ de Singapour, sur les femmes de cinéma en Amérique Latine.

Bertrand Fouquoire


Photoreportage

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Singapour autrement

A gentleman’s tale un tailleur en 3 dimensions

Sans autre forme de publicité que le bouche à oreille, Kenneth Chia et Lyn Chan sont en train de révolutionner la taille de costumes sur mesure : en allant directement à la rencontre des clients sur leur lieu de travail ou bien à leur domicile avec leur van équipé d’un scanner 3D dernier cri.

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Singapour autrement C’est en 2015 que leur aventure a commencé. Kenneth, un ancien soldat de l’armée de l’air ayant passé son enfance dans l’atelier de couture de ses parents à Singapour, décide avec Lyn, une ancienne de chez Lanvin, de monter leur propre affaire. Lui s’occupe de la partie technique : prendre les mesures, couper et assembler le tissu. Elle apporte la touche créative et se charge du design et du marketing. La première année, tout se fait chez les clients : grâce à une

grosse valise contenant les échantillons de tissus et leurs outils de mesure, ils se déplacent en métro ou taxi dans la ville. Ce mode de déplacement montre vite ses limites. L’année suivante ils achètent donc leur premier véhicule équipé leur permettant d’être plus rapide dans leurs déplacements et de pouvoir atteindre facilement des endroits reculés de l’île. En 2017, ils ouvrent leur première boutique physique; un concept store - showroom : ils aménagent un container qu’ils installent au fond d’une ruelle de River Valley. Et c’est l’année dernière qu’ils achètent leur van, et l’équipent de ce fameux scanner 3D. Une mesure traditionnelle prend entre 7 et 10 minutes, le scanner lui a besoin de 2 secondes. Cela leur permet de gagner un temps considérable surtout lorsqu’ils doivent prendre les mesures des 70 employés d'une société pour leur nouveaux uniformes, polos ou t-shirts. Et leurs compétences vont bien au-delà de la chemise et du costume puisque leur portfolio propose des bermudas, des jeans, des chinos… Les femmes ne sont pas en reste : mesdames, ils peuvent s’occuper de vous faire une robe, une jupe ou un petit haut. Et si vos enfants ont besoin d’une pièce ? Pas de soucis : leur plus jeune client a 5 ans et vient de se faire faire son costume sur mesure. Vous êtes en manque d’inspiration ? Ils peuvent créer votre propre coupe. Dernièrement, un client avait envie d’une pièce unique : une veste à mi-chemin entre le costume à l’occidental et la tenue traditionnelle chinoise. Un mariage original et bien réussi grâce à la créativité de Lyn. Afin de réduire les coûts, Kenneth et Lyn réduisent aussi les intermédiaires et se fournissent directement à la source, ce qui leur permet de proposer des marques comme Guabello, Guado ou encore Holland and Sherry à des tarifs abordables. Et toujours dans le but d’offrir un meilleur service, les différentes commandes sont traitées directement dans leur atelier situé à Tiong Bahru. La plupart de leurs concurrents ont fait le choix de délocaliser leur atelier dans des pays tels que le Vietnam ou la Thaïlande. En faisant

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le choix de rester local, ils raccourcissent le temps de disponibilité de la commande et évitent les aller-retours avec l’étranger. L’atout majeur de A Gentleman’s tale, c’est donc leur van équipé de ce scanner 3D. Situé à l’arrière du véhicule et jetées aux 4 coins de la cabine spécialement aménagée, chacune des parties du scanner possède 4 têtes à infra-rouge. Ce sont ces 16 têtes qui, en moins de deux secondes, vont construire un modèle en 3 dimensions du client avec une précision de 98 %. Et c’est une vraie cabine dont il s’agit ; avec rideaux pour l’intimité, une table pour poser ses effets, un miroir… rien n’a été laissé au hasard. La machine se contrôle via une tablette graphique, et les données sont envoyées dans le cloud de manière sécurisée. Grâce à ce modèle 3D, Kenneth va pouvoir tailler la pièce que le client a commandé. Si besoin, il pourra reprendre les mesures à partir de ce modèle virtuel sans faire revenir le client. Si Kenneth et Lyn n’ont pas l’exclusivité à Singapour de l’utilisation d’un scanner 3D et s’ils ne sont pas les seuls à se déplacer, ils ont, en cumulant les deux aspects et grâce à leur personnalité attachante,porté leur métier à un autre niveau.

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Emmanuel-Pierre Hébé

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Échappées belles

Le camp de base de l’Everest A partir de Singapour

Accessible en vol direct depuis Singapour, le Népal est une destination de rêve pour les trekkeurs et les fous de montagne. En effet, ce pays situé entre la Chine et l’Inde compte 8 des 10 plus hauts sommets du monde. La chaîne de l’Himalaya, « demeure des neiges » en népalais, est née d’une secousse considérable due au processus de tectonique des plaques. Le trek jusqu’au camp de base, accessible aux non alpinistes, constitue une très belle option pour les amoureux du massif. De Kathmandu au camp de base Un passage obligé à Kathmandu C’est la capitale du pays avec le seul aéroport international : Tribhuvan situé à 6,5 km. Depuis Singapour, un vol direct est proposé par Singapore Airlines (5h20). D’autres compagnies proposent le voyage avec une escale à Kuala Lumpur. 2 à 4 jours permettent de s’imprégner de cette ville sujette aux em-

bouteillages réguliers mais où les rythmes ancestraux du commerce et de la religion sont très présents au milieu des monuments exceptionnels. Parmi les incontournables visites : Durbar square qui concentre plus de 50 temples et monuments au cœur de la vieille ville dont le Kumari Bahal (un temple stuqué du 18e siècle, signifiant maison de la déesse vivante), le quartier historique de Tha-

Sommets incandescents à Gorak shep. DR

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mel, le jardin des rêves (espace calme aménagé dans les années 1920), les bazars en sortie de Durbar Square…

Pour les trekkeurs et les alpinistes, c’est le moment d’acheter son équipement : il y a le choix et les prix sont beaucoup plus abordables qu’à Singapour. Le choix d’hébergement est très large. La « world food » est bien présente. Pour


Échappées belles

Katmandu. DR

Stupa à Namche. DR

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Échappées belles

La chaine de l’himalayah vue d’avion. DR

ceux qui veulent manger local, la variété n’est pas celle des cuisines indiennes et chinoises mais certaines saveurs sont intéressantes : les « momos » (beignets vapeur fourrés de viande de buffle hachée ou de légumes), les « dal bhat » (riz, lentilles et curry de légumes) ou le « panak paneer curry » (fromage et pois cassés)… Une fois ce passage effectué, l’Everest peut être envisagé. Les agences de voyages locales sont nombreuses et bien représentées à Kathmandu. Il est conseillé de faire appel à leurs services pour organiser votre trek ou votre montée de l’Everest.

Le trekking autour de l’Everest Quinze jours est le temps qu’il est conseillé d’y accorder depuis Singapour (passage à Kathmandu compris). Les saisons à privilégier sont l’automne (octobre-décembre) et le printemps (marsmai). La période de mousson a lieu de fin mai à septembre. Plusieurs itinéraires permettent de sillonner autour de l’Eve-

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rest et d’en apercevoir son sommet. Prendre un guide et un porteur est recommandé. Des treks à cheval sont également possibles. Le point de départ est Lukla, ville située à l’Est de Kathmandu à 2 866 m d’altitude (vol de 40 mn depuis Katmandhu). L’atterrissage dans cet « endroit à moutons », il y a encore 50 ans, procure une belle montée d’adrénaline. En effet, l’avion descend sous les sommets pour plonger dans les gorges de la Dudh Kosi (rivière) et aborder la piste qui se termine face à la montagne !!! A Lukla, les lodges, restaurants et cafés y sont nombreux pour les trekkeurs attendant leur avion.

La première étape est la ville de Namche Bazar (3 446 m). Pendant ce début d’ascension, l’Everest et le Lhotse (la 4e plus haute montagne du monde : 8 501 m) sont visibles. Le corps va commencer à s’acclimater à l’altitude, il est recommandé de ne pas marcher trop vite (pas plus de 5 heures

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par jour) et de ne pas dépasser 500 m de dénivelé par jour à partir de 3 000 m d’altitude. Par ailleurs, il est important de bien s’hydrater. Si cela est possible, il est recommandé de dormir à un niveau plus bas que le point le plus haut atteint dans la journée. Namche présente tout le confort pour les touristes avec ses lodges, « teahouse » et échoppes de matériel d’alpinisme. Le thé national au Népal est le thé masala indien, sous le nom de « chiya » : il est composé d’un mélange d’épices (cannelle, cardamome, clous de girofle, gingembre, anis étoilé, poivre et noix de muscade), de feuilles de thé de lait et de sucre. En haute montage, le thé tibétain au beurre de yak (thé noir salé mélangé au beurre de yak) est plus commun. Le yak est un bovidé totalement habitué à la haute altitude (3 000 à 6 000 m). Cet animal pourvoit aux besoins alimentaires, à l’habillement et au transport. De Namche, des treks sont organisés en direction de la vallée de


Échappées belles

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Gokyo, alimentée par les glaciers qui se fondent dans ses lacs turquoise. D’autres treks prennent la direction du camp de base de l’Everest.

De Namche Bazar au camp de base de l’Everest Ce trek est réalisable avec des adolescents. Les chemins sont assez faciles à emprunter. Comme pour tout séjour en montagne, la déconnexion est totale. Il faut compter 6 jours minimum depuis Namche. Les beautés du khumbu et l’hospitalité des habitants vous donneront peut-être l’envie de rallonger cette balade. C’est l’itinéraire le plus fréquenté de la vallée du Khumbu. Les grandes étapes sont les suivantes : – Tengboche (3 860 m), – Dingboche (4 358 m), – Lobuche (4 928 m), – Gorak Shep (5 180 m), – Kala Patthar (5 550 m), – Camp de base (5 635 m).

La végétation bien présente au début de la marche va commencer à se raréfier à partir de 3 000 m d’altitude mais le paysage montagneux est magnifique.

Par ailleurs, plusieurs sites et monuments peuvent être admirés. Aux alentours de Tengboche à 3 867 m, se trouve le très beau monastère de Thyangboche reconstruit en 1989 suite à un incendie. La forêt autour y est considérée comme sacrée. Ensuite, sur la piste qui serpente dans la forêt, il est possible de traverser les eaux bouillonnantes de l’Imja Khola (un affluent de la Dudh Kosi). L’ascension se poursuit à Pangboche, site du plus vieux monastère de la région. Plus loin, se trouvent les hauts villages de Dingboche (4 410 m) et Chhukung (4 753 m) très peu fréquentés. Le Chhukung Ri (pic rocheux de 5 043 m) réserve une vue imprenable sur la face Sud du massif Lhotse-Nupste. Le Nupste est une montagne à 2 km à l’Ouest de l’Everest (7 861m). A Lobuche

(4 928 m), l’ascension continue jusque Gorak Shep (5 180 m). Depuis cette étape, il est possible de se rendre à Kala Pattar (5 545 m) pour 1 ou 2 heures supplémentaires de marche mais qui valent la peine car chaque minute est l’occasion d’une vue sur le triangle noir de l’Everest. Les trekkeurs découvrent en général l’Everest Base Camp (5 357 m) après une journée de marche depuis Gorak Shep. L’atteinte de l’objectif réjouit les trekkeurs qui ne se rendent pas toujours compte que le paysage a bien changé depuis la commercialisation très poussée de l’ascension de l’Everest. La descente est plus rapide et se fait en 3 jours. Le corps s’est acclimaté et l’oxygène est de plus en plus abondant au fil de la descente. Les vols sont les mêmes en sens inverse. Il est à noter que les vols Kathmandu-Singapour font très souvent l’objet de retards. Prévoir un ou deux jours de marge est conseillé.

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Laetitia Crochemore

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Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu

Steaks en série par Vina Jie-Min Prasad

On appelle les vaches qui souffrent de stress extrême en attendant le moment d’être abattues des « coupes sombres ». Le stress provoque l’épuisement de toutes leurs réserves de glycogène et, lorsqu’on les découpe, on obtient une viande rouge sombre un peu noirâtre. La viande provenant des coupes sombres est généralement de piètre qualité. Comme elle est elle-même une personne de piètre qualité attendant sa mise à mort, Helena sait ce que ressentent les vaches. M. Anonyme, contrarié par les nettoyages qu’organise le parc industriel pour se débarrasser des mouchards et autres caméras venant de l’extérieur, a pris sur lui d’envoyer à Helena des photos aériennes pleines de grain qui la représentent, accompagnées d’exhortations à travailler plus dur. Cela ne la surprend pas vraiment : elle savait qu’il possédait toutes ses infos et les drones ne coûtent pas très cher. Mais quand même... Parfois, elle se réveille en sursaut, paniquée, avant de réaliser que M. Anonyme n’est pas réellement venu pour la chercher. Le fait que, quand Lily toque à la porte, ça ressemble au bruit que font les autres gens quand ils essayent de la défoncer n’arrange rien.

Désormais, Helena a appris à Lily les bases du métier et, étonnamment, celle-ci a vite appris. Cela ne lui a pas pris longtemps avant de comprendre comment

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utiliser Fractalgenr8 pour rendre aléatoires les persillages de la viande et Helena lui a donné la responsabilité d’imprimer les tranches de bœuf destinées à Gyuuzen et à Fatty Chan et de les emballer pour qu’elles puissent ensuite être livrées par drone. Ce n’est pas une situation idéale, mais cela laisse le temps à Helena de se concentrer sur la tâche consistant à élaborer un modèle de base pour une côte à l’os, c e qui est clairement l’imitation la plus complexe à laquelle elle se soit jamais attelée.

Une côte à l’os découpée à l’américaine est un mélange de deux morceaux de découpe : le filet, tendre, et le faux-filet, qui est plus gras, séparés par un solide morceau de colonne vertébrale. Le simple fait de la trancher est une expérience quasiment religieuse : la viande rouge se détache sous le couteau pour révéler la blancheur satinée de l’os tandis que la graisse s’écoule goutte à goutte pour former une mare sur l’assiette. En tout cas, c’est ce que racontent les blogs culinaires à la mode. Pour être plus précis, ce qu’ils disent en réalité c’est : « OMG ! C’est TROP bon !!! », « Cette entrecôte m’a filé la trique lol » ou « haha je vais nettoyer ça jusqu’à l’os et l’ajouter à ma collection !!! » mais Helena fait comme s’ils essayaient de communiquer quelque chose de plus cohérent.

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Le problème, c’est le manque de références. La plupart des photographies ne sont que des vues du dessus et Helena doit extrapoler à partir de vidéos pixellisées ou de vignettes protégées par des mots de passe sorties de banques de données d’instituts de myologie bovine qui ne lui donnent pas la moindre idée de la façon dont la viande peut bien adhérer à l’os. Helena finit par être obligée de fouiller dans d’antiques rapports de recherche bourrés de diagrammes qui expliquent où couper pour rentabiliser au maximum la viande et quantifient la différence entre une découpe à l’américaine et une découpe Porterhouse, plutôt que salut, si vous lisez ceci cinquante ans dans le futur, voici la recette pour fabriquer un parfait facsimilé de steak. Helena est tentée de se ruer hors du bureau et, une fois dehors, de hurler de frustration, mais Lily insisterait sûrement pour l’accompagner et hurler en signe de solidarité et, avec sa chance, M. Anonyme saurait pour Lily à l’instant même où elles sortiraient, même après tous les efforts qu’elle a fait pour cacher toute trace de son existence dans ses fichiers et dans ses rapports et argh elle a besoin de sommeil.

Entre-temps, Lily doit avoir déjà tout programmé pour l’imprimante, à en juger par sa façon de tourner .../...


Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu

Entretien avec l’auteure

Vina Jie-Min Prasad est l’auteure de la nouvelle Steaks en série, traduite de l’anglais (Singapour) par Patrick Dechesne et à découvrir en intégralité dans les pages du numéro 10 de Jentayu.

Pourquoi avoir choisi la science-fiction comme moyen d’expression ? Vina Jie-Min Prasad - L’une des raisons, peut-être, c’est que j’ai commencé à aimer ça dès mon plus jeune âge. Ghost in the Shell était diffusé sur le câble ici quand j’étais enfant. Après cela, j’ai emprunté Neon Genesis Evangelion et Serial Experiments : Lain dans la collection VHS de la bibliothèque. J’ai commencé à écrire de la fanfiction Star Trek quand j’avais dix-neuf ans, puis une chose en a amené une autre et voilà où j’en suis maintenant.

J’écrivais de mes propres mains depuis des années, mais j’ai eu la chance d’assister au Clarion West Writers’ Workshop peu après la publication de « Steaks en série ». Six semaines passées avec une cohorte d’autres auteurs de fiction spéculative m’ont aidé à me perfectionner, m’ont exposée à de nombreuses façons toutes différentes d’aborder le genre et m’ont permis de pousser les choses encore plus loin que je ne l’aurais jamais fait seule.

Grâce aux connaissances que j’y ai acquises (et aux amis qui m’ont beaucoup aidé !), j’ai récemment terminé une histoire difficile à classer. C’est super inspiré par le travail de H.P. Lovecraft et j’y ai incorporé quelques éléments de science-fiction, donc je suppose que la meilleure façon de la décrire, ce serait de dire que c’est de la science-fantasy. Je suis peut-être plus connue en ce moment pour mes nouvelles de science-fiction, mais j’espère continuer à expérimenter avec d’autres genres également.

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Que pensez-vous de la technologie ? Vos travaux mettent souvent en scène la technologie (les imprimantes 3D de « Steaks en série », les robots de « Fandom for Robots »…), mais vous dites aussi que vous « travaillez contre le monde-machine ». Pouvez-vous nous expliquer cela ? La citation elle-même est une référence à une histoire de James Tiptree Jr : « The women men don’t see ». Je ne veux pas gâcher cette excellente histoire pour les lecteurs potentiels, mais, ce qu’elle dit, en gros, c’est que le patriarcat c’est nul. Dans ma fiction, j’aime penser à des façons intéressantes d’exploiter la technologie à des fins pour lesquelles elles n’étaient préalablement pas prévues. En général, je n’ai pas une haute opinion de la technologie si elle est privée d’une supervision et d’une réglementation adéquates, ni des technocrates arrogants souffrant du syndrome des ingénieurs, ni de beaucoup de choses liées aux start-ups.

Vos nouvelles contiennent beaucoup de références aux fandoms, à la scène musicale, à la scène gastronomique… Est-ce que vous vous considérez comme une fan ?

Je me considère comme une fan de bien des choses : j’ai fait de longs voyages juste pour voir des groupes que j’aime bien, j’ai fait la queue pendant des heures pour essayer des restaurants, et une bonne partie de ma vie à l’université a été consacrée à essayer d’équilibrer mon temps entre l’écriture de fanfiction et celle des différents essais que je devais rendre.

J’admire les œuvres qui sont influencées par un tas de concepts variés et qui vont jusqu’à créer quelque chose de nouveau avec eux – l’esthétique du film d’horreur et de la haute couture dans JoJo’s Bizarre Adventure, le serial-killer occidental obsédé par les fraises dans Golden Kamuy, tout ce qui concerne Sense8… Je suppose que tout cela finit par s’infiltrer dans mon écriture. Je trouve cela extrêmement charmant que des créateurs aiment clairement certaines choses bien précises et meurent d’envie de les partager avec d’autres, et si certaines de ces choses sont apparues dans mon propre travail, j’en suis très heureuse.

Propos recueillis et traduits par Patrick Dechesne

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Nouvelle - En partenariat avec les éditions Jentayu sur elle-même sur la chaise pivotante de rechange d’Helena.

« Hé, Lily, dit Helena en réprimant un bâillement. Pourquoi tu ne jouerais pas un peu avec ça ? C’est le modèle de base pour une côte à l’os à l’américaine. Essaye de te familiariser avec la configuration et les extrusions des fibres et regarde si tu peux faire quelque chose qui ressemble aux photos de référence. Ne t’inquiète pas, j’ai une copie sauvegardée ailleurs. » Bonne chance pour réaliser l’impossible, ne dit pas Helena. D’ici à ce que je me réveille, tu auras eu le temps de bien mémoriser le raccourci pour la commande « undo ».

Helena se réveille pour entendre Lily fredonner une mélodie joyeuse et voir une côte à l’os presque

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entièrement modélisée tourner en tous sens sur son écran. Elle cligne des yeux plusieurs fois mais, non, elle est toujours là. Lily a facilement relié la viande, la graisse et le cartilage aux bords de l’os, tout en déformant les fibres des muscles pour tenir compte de la présence de ce dernier. « Qu’est-ce que tu as fait ? » souffle Helena.

Lily se retourne pour lui faire face, tout en continuant à tripoter son bracelet.

« Oh, j’ai mal fait ça ? demande-telle. — Fais-la un peu tourner... Donnemoi une vue du dessus... Comment as-tu fait ça ? — Ça ressemble un peu à une colonne vertébrale humaine, non ? Il y a plein de références pour ça. »

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Elle tapote l’écran deux fois, pour faire apparaître l’image de la coupe transversale d’un être humain.

« Tu vois comment c’est attaché, là et là ? Je me suis servie de ça comme modèle et hop ! »

Aïe, pense Helena. Ça fait tellement longtemps qu’elle a quitté l’université qu’elle en a oublié les principes de base de l’homologie.

« Et donc, c’est bon ? J’ai raté quelque chose ? — Non, non, dit Helena. C’est vraiment bon. Meilleur que... bah, meilleur que ce que j’ai fait moi en tout cas. — Génial ! J’ai droit à une augmentation ? — T’as droit à des crêpes au sésame, répond Helena. C’est moi qui offre. »


Un artiste, une œuvre A glimpse of hope! Ce tableau reflète « un regard d’espoir » une énergie émanant de sa couleur jaune mais pondérée par des avancées de bruns et de noirs mémoires de la vie. L’abstraction des formes pour mettre en valeur des sensations plus que des réalités.

Anne Severyns

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Vivre à Singapour

La FCCS a 40 ans

Entretien avec Carine Lespayandel, Directrice générale

Créée en 1979, la Chambre de Commerce Française à Singapour (FCCS) a pour mission de développer les relations entre ses membres et la communauté d’affaires singapourienne, d’accompagner le développement des entreprises françaises et de favoriser le commerce bilatéral et les investissements entre la France et Singapour. Elle regroupe à ce jour 750 entreprises et est présidée par Pascal Lambert. française se renforçant, l’association a vu ses missions s’accroitre pour véritablement accompagner les sociétés françaises à chaque étape de leur projet, depuis leur première approche du marché jusqu’à l’implantation et au développement commercial sur la zone, Singapour jouant le rôle de point d’entrée sur l’ASEAN et de Hub régional incontournable.

Carine Lespayandel DR

La “French Chamber of Commerce in Singapore” fête ses 40 ans cette année. Racontez-nous ses évolutions ? Carine Lespayandel - A l’origine, elle s’appelait “French Business Associa-

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tion” (FBA) ; c’était un club d'affaires créé en 1979 par les entreprises françaises à Singapour pour animer la communauté d'affaires et la représenter auprès des autorités locales. La présence

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La FBA est ainsi devenue “French Chamber of Commerce in Singapore” (FCCS) en 2003 et ses activités se sont rapidement développées, via tout un ensemble de services d’accompagnement et d’accélération de développement pour les entreprises : missions commerciales, création de structures juridiques, visas, business center, recrutement, etc… A titre d’exemple, notre département Recrutement & Services HR dispose d’une licence d’agence de recrutement octroyée par le Ministère de l’Emploi singapourien (MOM). Très apprécié des entreprises comme des candidats, ce service gère plus de 200 offres d’emploi par an et place aussi bien des profils francophones que locaux. La FCCS fait partie d'un réseau de 124 chambres de commerce à l'international, associations de droit local à but non lucratif, autofinancées par leurs membres et les services qu’elles proposent. C’est un réseau privé tout à fait unique « d’en-


Vivre à Singapour treprises au service des entreprises », avec un ancrage local très important et une connaissance approfondie de leurs marchés. Représentant Team France Export à Singapour depuis janvier 2019, la FCCS bénéficie également d’un partenariat de longue date avec le Singapore Economic Development Board (EDB).

Comment définissez-vous l'attractivité de Singapour pour les entreprises françaises qui souhaitent s'implanter en Asie ? Singapour est tout d’abord “Le” hub régional qui donne accès à l’Asie du Sud-Est, voire à l’ensemble de l’AsiePacifique. La cité-Etat présente également l’énorme atout d’offrir une stabilité politique, économique et juridique et un environnement des affaires exceptionnel. Les entreprises y trouvent une efficacité, une productivité, une protection de la propriété intellectuelle, des talents et un niveau d'éducation élevé, d’excellentes infrastructures, une sécurité et une belle qualité de vie pour leurs salariés et leurs familles. Ceci explique que de nombreuses entreprises françaises, grands groupes ou PMEs, choisissent d’y établir leur siège régional.Par ailleurs, malgré l’exiguïté de son marché intérieur, Singapour est une vitrine commerciale pour les autres pays d’Asie, le pays ayant attiré près de 18.5 millions de visiteurs en 2018 (pour une population de 5.6 millions).

Quels sont les secteurs porteurs et les tendances de l'innovation à Singapour ? Pour soutenir sa croissance, Singapour réalise des investissements massifs dans l’innovation, permettant d’activer de nombreux secteurs porteurs grâce à la transversalité de la tech, comme la Smart City, la cybersécurité, l’énergie, la santé, les Fintech, la Foodtech, l’industrie 4.0 et ce sont autant d’opportunités pour nos entreprises.

Quels conseils donneriez-vous aux

entreprises désireuses de réussir à Singapour ? L’ASEAN est très hétérogène, et les pratiques d'affaires y sont donc également très différentes d'un pays à l'autre. Lorsque l'on vient de France, on n’a pas toujours conscience de ces différences, et c'est la raison pour laquelle les échanges dans des réseaux, comme celui de la FCCS, sont si précieux. En ce qui concerne Singapour, le marché est très mature et compétitif, il faut avoir des offres différenciantes ou innovantes. Le “Made in France”, avec ses valeurs d'excellence, est très apprécié à Singapour, quel que soit le secteur concerné.

Un autre conseil serait de venir à la Chambre de commerce et de participer aux activités ! Il y a une communauté d’affaires très dynamique, composée de PME et de Grands Groupes, avec un ancrage local important. Les formats d'événements sont très variés, comme par exemple des rencontres avec des CEOs de grandes entreprises singapouriennes.

Pour comprendre comment se développer dans la zone Asie-Pacifique, je conseille de ne pas hésiter à échanger avec d'autres entreprises. L’effet réseau est indispensable et notre communauté d’affaires est bienveillante et désireuse d’aider.

Beaucoup d’entrepreneurs tentent leur chance à Singapour. Comment aidez-vous les entrepreneurs français à créer et développer leur entreprise à Singapour. Avez-vous des services spécifiques ? Notre communauté d’affaires francosingapourienne est le réseau indispensable pour le développement des entrepreneurs, qui représentent aujourd’hui près de 25% de nos membres et que nous accompagnons depuis la création de leur structure jusqu’à leur développement commercial. L’entreprenariat français s’est en effet fortement développé à Singapour ces der-

nières années, cette tendance s’accompagnant bien entendu de l'évolution de la “Tech”, secteur clé à Singapour. Nous avons toujours eu à cœur de soutenir tous ces entrepreneurs en mettant en place au fil de l’eau de nombreuses initiatives et programmes d’accélération, pour mieux répondre à leurs besoins. Sans pouvoir les citer tous, je mentionnerais par exemple notre programme de mentorat, « DUO Mentoring », développé en partenariat avec les Conseillers du Commerce Extérieur (CCE). C’est un programme gratuit, s’appuyant sur des mentors bénévoles (chefs d’entreprises, cadres supérieurs expérimentés et connaisseurs de la zone Asie) et qui s’inscrit sur la durée – en général un an - avec des rencontres régulières. Ce programme connait un franc succès et est très utile aux entrepreneurs, comme aux représentants de PMEs françaises récemment implantées à Singapour. Nous avons également créé un « Business Accélérateur Lab » qui se réunit tous les mois avec un groupe d’experts aidant les entrepreneurs à conduire des réflexions stratégiques et à approfondir des problématiques spécifiques. Notre groupe de femmes entrepreneurs, « FCCS Women MasterMind », est lui aussi extrêmement dynamique et comporte aujourd’hui plus de 40 femmes entrepreneurs dans des univers et secteurs très variés.« So Chic », la marque que nous avons créée pour promouvoir les marques et la gastronomie françaises à Singapour, est une magnifique aventure collective qui nous permet de fédérer de nombreux entrepreneurs tout en leur donnant une belle visibilité, que ce soit via les « So Chic experiences », « My Little So Chic Corporate catalogue » ou « Les Galeries So Chic at Boutique Fair » – évènement qui s'est tenu du 15 au 17 novembre 2019 ! Dernière initiative en date : le lancement de notre « French Investors Network », qui vise à aider les entrepreneurs ayant des besoins de financement, via des séances de pitch devant des angels et investisseurs potentiels.

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Vivre à Singapour

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Enfin, nous organisons aussi des évènements de grande envergure, comme l’ « Asean Tech Awards » en juin dernier ou l’ « Asia Startup Summit » le 15 novembre, en partenariat avec la French Tech et dans le cadre du Switch x Fintech Festival, où nous accueillerons de nombreuses startups venues de France. Comme vous le voyez, les initiatives sont nombreuses et variées et l’entrepreneuriat est un axe stratégique pour la Chambre de commerce française de Singapour !

Quels sont les nouveaux projets de la FCCS pour 2020 ? Nous avons repris, au 1er janvier 2019, les activités d’accompagnement des entreprises de Business France à Singa-

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pour, et faisons maintenant partie de Team France Export. Nous continuerons à intensifier notre action d'accompagnement tout au long de 2020.

Notre calendrier 2020 est animé par des grands salons sur lesquels nous accompagnons nos membres et des entreprises françaises venues spécialement de France. Je pense notamment au Singapour Air Show en février, l’Asia Pacific Maritime en mars, le salon Food & Hotels Asia en avril, également des salons dans les secteurs de la santé ou de la tech. Nous organisons également des temps forts ad hoc autour de thématiques fortes telles que le développement durable, la santé, la cybersécurité, l’économie maritime, l’agri-food tech…

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Un mot pour finir ? La Chambre de Commerce est l’association qui regroupe et fédère la communauté d’affaires franco-singapourienne. Nous représentons les intérêts des entreprises françaises, lesquelles nous soutiennent comme nous les soutenons. Le jeu collectif est très important, et ensemble nous sommes beaucoup plus forts pour « chasser en meute ». N’hésitez donc pas à nous rejoindre, toute mon équipe est à votre disposition ! Propos recueillis par Laurence Onfroy


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Un chef, une recette

Eric Larue

Le goût est une mémoire

Paradoxalement, Eric Larue n’est pas tombé dans la cuisine tout petit ! Il a d’abord embrassé une carrière de commercial, puis de manager, dans une société de service informatique, avant de se former aux métiers de la gastronomie à l’occasion d’une expatriation en Argentine. Il est, depuis 2016, chef privé à Singapour. Quel est votre parcours initial ? Eric Larue – Je suis contrôleur de gestion de formation mais j’ai toujours exercé dans le secteur des ventes. En 2007, profitant d’une restructuration interne dans ma société et d’une mobilité de ma femme qui se voyait offrir un poste de directrice financière à Buenos Aires, j’ai décidé de me reconvertir.

La gastronomie s’est imposée naturellement ? Très naturellement, oui, car comme tous les Français, la cuisine fait partie de mon ADN. J’ai toujours cuisiné. À l’origine, en arrivant en Argentine, mon projet était d’ouvrir un restaurant. C’est en prenant des conseils autour de moi que j’ai décidé de professionnaliser mon savoir et de me former aux métiers des arts de la table. J’ai intégré l’Institut argentin de gastronomie (IAG) qui propose une formation intensive globale à la gestion d’un établissement. Pendant un an, j’ai suivi des cours de cuisine, de gestion de restaurant et d’hygiène et sécurité.

© Anne Valluy

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C’est à ce moment-là que vous décidez de vous installer en tant que chef privé ? J’ai effectivement dû repenser mon projet professionnel, au cœur de mes réflexions pendant ma formation. L’opportunité s’est présentée au hasard des rencontres. Mon voisin était alors l’ancien directeur du protocole de l’ambassade du Costa Rica qui, un jour, m’a sollicité pour un dîner chez lui. Après avoir fait les courses ensemble, j’ai pris conscience qu’il était sous-équipé aussi


Un chef, une recette

Lapin au chocolat et polenta recette d’Éric Larue

Pour 6 personnes

Cuisiné sur l’île de Malte, cette recette évoque le Mexique lointain par la présence du chocolat. La polenta est sa garniture idéale pour rester sur les pourtours de la Méditerranée. Recette

1– Découper le lapin et faire mariner 2 jours au frais avec une branche de thym, une gousse d’ail claquée, des feuilles de laurier, 50 cl de vin blanc et un filet d’huile d’olive.

2 – Assaisonner les morceaux de lapin et les faire dorer de tous côtés dans un filet d’huile d’olive. Ajouter un oignon émincé finement, une gousse d’ail claquée, des grains de poivre noir, une feuille de laurier et laisser compoter 10 minutes.

3 – Déglacer la cocotte avec 25 cl de vin blanc et 20 cl de vin rouge. Laisser réduire de moitié. Mouiller à hauteur avec 50 cl de bouillon de volaille puis porter à ébullition. Ecumer la surface et cuire 10 minutes à feu moyen.

4 – Diluer 50 gr de cacao dans 20 cl de glace de viande. L’ajouter dans la cocotte, couvrir et enfourner 45 minutes à 160 °C.

5 – Pour la polenta, verser 1L d’eau dans une cocotte en fonte avec un filet d’huile d’olive, 50 gr de beurre et 5 gr de sel. Porter à ébullition. Retirer ensuite la cocotte du feu et verser la polenta en pluie en remuant au fouet.

6 – Remettre la cocotte sur feu vif et faire bouillir la polenta 2 minutes en remuant bien puis la cuire à couvert pendant 45 minutes à feu très doux (four à 150°C par exemple).

4 – La laisser reposer, sans la cuire, encore 15 minutes avant d’incorporer 50 gr de parmesan râpé, 5 cl d’huile d’olive. Retravailler la polenta, vérifier l’assaisonnement.

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Un chef, une recette Oui, le dîner à domicile par un chef est un concept qui séduit beaucoup les Singapouriens. C’est une formule plus confidentielle qu’un restaurant, permettant une vraie proximité, un échange complice avec le chef et un cadre propice aux négociations d’affaires. J’organise ainsi deux à trois tables d’hôte chez moi chaque mois. Je me déplace également chez mes clients. Dans ce cas-là, je m’adapte aux exigences, aux souhaits et aux contraintes de la cuisine de mes clients. J’impose simplement un menu unique en fonction des lignes directrices communiquées et du budget imparti.

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bien pour cuisiner que pour dresser la table. L’anecdote veut que son dîner a eu lieu finalement chez moi où j’ai fait le service. L’événement s’est reproduit à plusieurs reprises jusqu'au jour où l’un de mes convives m’a fait remarquer que j’étais le meilleur restaurant du quartier. C’est de cette façon que mon activité de chef privé a débuté. Les formalités administratives se sont enchaînées, j’ai ouvert la société Boca a Boca et, très vite, j’ai cuisiné pour divers clients, principalement dans la communauté française. Parallèlement, j’ai collaboré avec le chef doublement étoilé Pierre Marchesseau à l’ouverture du restaurant gastronomique de l’école Vatel. Après cinq ans en Argentine, vous déménagez à Taiwan… En arrivant à Taipei, j’ai eu l’impression de changer d’univers. Il existe une vraie barrière de la langue, car contrairement à Singapour, l’anglais n’est pas utilisé dans la rue. Je suis donc retourné sur

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les bancs de la fac pour apprendre le mandarin. J’y ai rencontré mon futur associé. Ensemble, nous avons créé une société de conseil et de service traiteur. J’ai aussi repris ma casquette de chef privé. La communauté française de Taipei étant profondément différente de celle de Buenos Aires, mes clients étaient surtout des institutionnels : la chambre de commerce française, le Rotary Club, les bureaux de représentation officiels de plusieurs États pour des déjeuners officiels.

Quels types d’évènements organisezvous ? Des soirées privées principalement mais également des événements corporate. J’essaie de garder une taille humaine. Pour les buffets, je n’accepte pas plus de 80 personnes. Pour les cocktails, je peux aller au-delà. Vous animez également des dîners privés chez vous ou chez des clients…

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Comment avez-vous constitué votre clientèle à Singapour ? Mes clients viennent principalement par le « bouche à oreille ». Je rencontre régulièrement les membres de l’AFS, principalement sur Serangoon et Sentosa, et je suis membre d’un club d’affaires, Business Network International (BNI), qui représente environ 30 % de mon activité à ce jour.

Quelle est votre spécialité ? Je n’en ai pas à proprement parler. Ce que j’aime, avant tout, c’est étonner, créer des surprises avec des recettes connues. J’ai, un jour, ébloui mes convives avec un simple bœuf bourguignon dont la recette datait de Louis XIV. J’ai tout de même dû remplacer le Romanée-Conti par un traditionnel Pinot noir ! Mes clients en garde encore le souvenir. C’est ce saisissement que je cherche à atteindre. Il n’est pas nécessaire de réaliser des plats compliqués pour faire une bonne cuisine, il faut une dose de savoir-faire, de la passion, du temps et de la rigueur. Au-delà des tendances actuelles, je préfère me concentrer sur des recettes plus traditionnelles qui parlent à notre mémoire. Car, le goût est une affaire de mémoire. Il naît d’une sensation en bouche toujours associée à un souvenir personnel.

Propos recueillis par Laetitia Person



L’Asie vue de France

Domitille Monville

« Maintenant, c’est nous qui accueillons »

Qui, flânant dans Paris l’été, ne s’est arrêté un moment sur le pont Saint-Louis, saisi par la poésie des lieux, l’esprit en allé avec le flot de la Seine, de la musique plein la tête et l’envie d’une pause à la terrasse d’un café. C’est là, rue du Cloître Notre Dame, à 50 metres du chevet de Notre Dame que l’on retrouve Domitille dans le café-épicerie gourmande Monville - store rouge, décoration élégante-, qu’elle a lancé en mars dernier avec son mari. Depuis, la cathédrale a souffert du terrible incendie que l’on sait. Pour d’autres que Domitille et son mari, le sinistre eut pu sonner prématurément le glas d’un rêve. Est-ce l’effet d’une résilience particulière acquise au contact des autres cultures ? Ils ont saisi l’opportunité dans la crise. Le concept a évolué mais l’essentiel a tenu : la passion d’accueillir et l’offre de produits… « à tomber ».

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Juste retour des choses. Après avoir savouré, pendant 15 ans, le plaisir de la découverte de nouvelles cultures, les rencontres en version originale et les amitiés fidèles tissées ici et là, Domitille et son mari ont fini, une fois rentrés en France, par passer de l’autre côté du comptoir. À la tête de Monville « Epicerie gourmande », ils accueil54

lent désormais le monde qui vient à eux. Une divine providence pour les touristes étrangers et les habitants de l’Ile de la Cité, qui trouvent là des produits « 100% français, bons et sains ». Un point de ralliement pour les expatriés et ex-expatriés qui veulent ré-apprivoiser, en douceur et en saveurs, les charmes de Paris.

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Vous avez vécu de nombreuses années à l’étranger. Dans quelle mesure ces expatriations vous avaient-elles déjà entrainée à vous réinventer sur le plan professionnel ? Domitille Monville – Nous avons vécu 15 ans à l’étranger : 5 ans ½ à Budapest, 4 ans en Indonésie, 4 ans à Singapour et 2 ans à Londres. A l’issue de mes études en histoire de l’Art, j’avais travaillé presque 10 ans à Paris, à l’école du Louvre, puis pour une start-up dans le marche de l’art, m’orientant ensuite vers le domaine de la communication au Centre des Monuments Nationaux. En Hongrie, j’ai travaillé à l’Institut Français ainsi qu’au Musée des Beaux Arts de Budapest. En Indonésie, je me suis reconvertie dans l’enseignement du Français pour enfants et adultes et me suis investie dans les activités de l’Indonesian Heritage Society. A Singapour, j’ai passé le diplôme FLE et travaillé


L’Asie vue de France pour French@work. Enfin, à Londres, j’ai rejoint French Touch Properties, dans l’immobilier.

Et au moment de votre retour en France, vous décidez avec votre mari de vous lancer dans un nouveau projet… Nous souhaitions retrouver une activité qui nous rapproche de l’essentiel. Très gourmands tous les deux, nous nous posons beaucoup de questions sur la qualité de ce que nous mangeons. Notre objectif était de nous installer dans un quartier à la fois cosmopolite, à la rencontre des étrangers et le plus près possible du centre historique de Paris. C’est un ami, marchand de biens, qui a trouvé pour nous cette opportunité de racheter les murs d’une boutique rue du cloître Notre-Dame.

Quel est le concept de Monville ? « 100% français, bon et sain ». Nous misons sur la qualité. Des clients américains nous ont dit qu’ils étaient épatés de trouver cette qualité dans un quartier touristique. Nous avons opté pour le café de spécialité avec la rolls des machines à café, la Marzocco, très prisée des etrangers. En restauration sur place, nous proposons des planches de fromages de la ferme, des assortiments de charcuterie de producteurs français dont le ‘Prince de Paris’, le dernier jambon artisanal de Paris ou encore des assiettes végétariennes… En épicerie, en plus des produits utilisés pour les planches, nous proposons aussi des vins bio ainsi que toute une gamme de produits spécialement destinés aux hôtes de logements AirBnB, à la fois pour le petit déjeuner, et les pique-niques au bord de la Seine. Nous avons aussi la possibilité d’organiser des soirées privées pour des groupes de 15-20 personnes. L’activité de Monville nous permet de garder un lien avec l’expatriation. C’est l’opportunité d’accueillir d’anciens copains de Singapour, de Jakarta, de Budapest, ainsi que notre réseau de l’Hexagone. Le fait d’avoir vécu longtemps à l’étranger entretient une forme de connexion particulière avec la clientèle qui vient d’un

peu partout. La différence est que, maintenant, c’est nous qui accueillons.

Vous avez créé Monville avec votre mari. Qu’est-ce que cela change? Le fait d’entreprendre à deux est une force. Nous sommes très complémentaires. François est le Financier. Il s’occupe également du sourcing des vins, fromages et charcuteries. De mon côté, j’aime le contact. J’aime coordonner les différents corps de métier. Je me suis beaucoup investie dans la décoration, la communication et la conception des salades et desserts maison.

En avril dernier, Notre Dame a été ravagée par les flammes. Quel impact cela a-t-il eu sur l’activité de Monville ? Nous avons ouvert le 15 mars. L’incendie de Notre Dame est intervenu jour pour jour un mois après. Le nuit de l’incendie, après une phase de stupéfaction, nous nous sommes réjouis que Notre Dame soit restée debout : c’est un miracle. Ensuite, les

choses ont été plus compliquées. Notre rue est restée fermée au public pendant 5 semaines et, par rapport au concept de départ (nous étions partis avec 3 employés et une offre de plats cuisinés), nous avons été obligés de réduire la voilure. La boutique a ré-ouvert le 20 mai. Nous sommes encore en négociation avec les assurances qui doivent nous indemniser pour notre perte d’exploitation. Le plus important, avec le changement durable des abords de la cathédrale et de la clientele, plus nombreuse qu’auparavant mais qui ne s’attarde pas, c’est de reinventer notre concept. Nous sommes en train de travailler sur des desserts : tarte fine aux pommes, tarte au citron et gaufres bio, un produit beau et bon, facile à emporter et qui devrait répondre à la nouvelle clientele : elles auront surtout une forme unique pour le bonheur des fans d’instagram !

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire

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Clotilde Richalet Szuch globe trotteuse photographe Des femmes en Asean aux femmes de cinéma en Amérique Latine A chacun son langage. Celui de Clotilde Richalet Szuch, la photographie, fait la part belle à la lumière et aux rencontres humaines. Il lui est aussi un visa, dans la tradition des grandes voyageuses-anthropologues, pour traverser les frontières et rendre compte de la diversité des manières d’être femme, qu’il s’agisse d’anonymes photographiées dans la rue, en Asie du Sud Est, ou de femmes de cinéma, croisées à Cannes, ou dans l’intimité d’un café au Paraguay, en Argentine, ou à Rio…

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Rendez-vous dans un café de Paris. Clotilde Richalet Szuch est toute énergie et sourire, fidèle à l’image qu’on avait gardée d’elle à Singapour, celle d’une jeune photographe, gourmande d’aventure et de projets. A Singapour elle avait présenté, en 2014, une série

de photographies de stars réalisée dans le contexte du festival de Cannes, dont elle est la responsable du service photo. L’année suivante, elle avait exposé un travail très différent : Women by a woman, série de portraits de femmes en Asie du Sud-est.*

Après Singapour, Clotilde s’est installée aux Etats-Unis. Brève pause dans le pays de son mari avant de repartir, à bord d’une 4X4 aménagée en camping-car, sillonner les routes d’Amérique centrale. Au menu : découverte de paysages somptueux, rencontres passionnantes avec les gens du cru, sans préparation ni attente particulière. Le bonheur de voyager à deux, de se lever chaque matin avec la possibilité de rester sur place quelques temps encore ou de poursuivre le voyage. En 2018, elle est au festival de Cannes quand, emmenées par Kate Blanchet et Agnès Varda, 82 femmes se figent sur le tapis rouge. Un geste fort de protestation sur les limites de la parité dans le festival*. Pour Clotilde Richalet Szuch, l’image est inspirante. Elle tient le projet qui l’accompagnera lors de son prochain voyage en Amérique Latine. Un projet qui fait écho à celui qu’elle avait réalisé auprès des femmes en Asean : des femmes photographiées par une femme. Avec cette fois un autre contexte, d’autres femmes et un propos différent. « 82 women by a woman – Portraits of South American Cinema » rendra hommage, en paroles et en images, aux femmes, actrices, réalisatrices, techniciennes… travaillant dans le Cinéma en Amérique Latine. Que s’est-il passé depuis que vous avez quitté Singapour ? J’ai quitté Singapour en 2016. Matt, mon mari, étant américain nous sommes partis nous installer à Seattle. Et puis, en Juin 2017, nous décidons de partir.

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L’Asie vue de France Pourquoi l’Amérique centrale ? Nous souhaitions découvrir un continent nouveau. Pendant un an, nous avons sillonné l’Amérique centrale : Guatemala, Honduras, San Salvador, Panama. En mai 2018, j’ai interrompu le voyage pour couvrir le festival de Cannes. C’est là que m’est venue l’idée d’entreprendre un travail sur les femmes de cinéma en Amérique Latine.

Qu’est-ce qui a changé alors ? Avoir un projet de ce type, cela change complètement le voyage. Personnellement, j’ai besoin d’avoir un projet final. Cela signifiait qu’on passe une semaine chaque mois dans les capitales. On y a rencontré les gens de cinéma. Je me suis plongée dans les films. C’était complètement différent de la première partie du voyage où DR nous étions rarement en ville et rencontrions le plus souvent des habitants des régions rurales.

Pourquoi les femmes ? J’imagine que c’est plus facile pour moi, en tant que femme, d’aller voir des femmes plutôt que d’être intrusive dans un monde d’hommes.

Quelle est la situation des femmes dans le cinéma en Amérique latine ? En Amérique latine, la situation des femmes dans le cinéma n’est pas mauvaise. Les problèmes auxquels sont confrontés les gens du cinéma sont essentiellement liés à l’argent. C’est un cinéma très jeune. Longtemps, les épisodes de dictature qui ont émaillé l’histoire de ces pays ont empêché l’émer-

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tobiographiques. La colombienne Laura Mora parle de l’assassinat de son père par le cartel de la drogue. Il y a aussi le thème de la maternité vue par les femmes.

Comment ces séances photos se sont-elles déroulées en pratique ? Les photos sont prises à la lumière naturelle avec un petit boitier (XT2 de chez Fujifilm). Il y avait un objectif de sobriété. Je commençais par interviewer chacune pendant 20’ une demi-heure, sur la place du cinéma dans leur pays, comment ça se passe pour elles, quelle dynamique du continent. A la fin, on prenait 3’ pour réaliser les photos (50 prises max).

gence de talents. Le festival de cinéma le plus ancien dans la région n’a pas 30 ans. Dans certains pays comme le Paraguay, on sent l’envie de soutenir la création en faisant des lois qui encadrent et protègent le cinéma. Ceci étant, le public latino-américain est souvent plus friand de films américains que des productions nationales. Les marchés nationaux sont très étanches et il est très difficile pour un film d’être distribué avec succès dans le pays voisin.

Y-a-t-il une spécificité du cinéma réalisé par des femmes ? Les films réalisés par des femmes racontent les histoires qu’elles ont envie de raconter. Il y a beaucoup de documentaires. Beaucoup de films sont au-

SINGAPour N°14 – NOVEMBRE 2019 - AVRIL 2020

les femmes que vous avez sollicitées ont-elles réagi ? Tout le monde m’a dit oui. J’ai procédé par le boucheà-oreille. J’ai eu la chance, au début du projet, de rencontrer une productrice colombienne qui m’a mise en contact avec d’autres femmes du secteur. Celles-ci m’ont à leur tour donné les coordonnées d’autres femmes. En Asie, il s’agissait uniquement d’anonymes. En Amérique Latine, il s’agissait essentiellement de personnes connues.

Propos recueillis par Bertrand Fouquoire

https://www.instagram.com/82womenbyawoman/

* Depuis la création du festival jusqu’à cette date, seulement 82 films réalisés par des femmes ont été sélectionnés contre 1565 films faits par des hommes.




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