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Avec Thibault Derichard
from EQUIN NORMAND 134
Le débourrage du jeune cheval
Dans une récente lettre aux éleveurs, Bérengère Lacroix, directrice du Stud Book Selle Français, rapporte les éléments d’une discussion lors du congrès des stud books à propos du vocabulaire qu’il est aujourd’hui souhaitable d’utiliser concernant précisément le débourrage, dans le cadre plus général de la conception du « bien- être » animal
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Au « bien-être », nous préférons la « bientraitance » animale. En effet, il s’agit d’une éthique qui vise à adopter des comportements propres qui contribuent à apporter du « bien-être » réciproque à celui qui donne comme à celui qui reçoit.
En français, on parle de « débourrage » qui n’a pas de sens réel dans l’action, en anglais on dit « break », littéralement « casser », en allemand c’est la même chose. Alors qu’en réalité, il s’agit purement et simplement d’entamer « l’éducation » du cheval. Le cavalier apprend au cheval à accepter une selle et dans un second temps, le cavalier qui le montera pour prolonger son apprentissage.
Conseillés, nous avons rencontré Thibault Derichard, un cavalier spécialisé dans cette première étape, dont les compétences dans le contexte actuel bienvenu, sont appréciées.
L’homme
Quarante ans, blouson et pantalon de jean, le garçon est courtois mais semble peu dissert. On l’a senti, il le dit : « Je ne comprends pas bien les attentes des humains ».
Il nait à Saint-Lô. En même temps que des études traditionnelles, il monte à cheval chez Alain Hinard. La relation avec le cheval le passionne. Il se dirige vers une formation ad-hoc. De son propre aveu, il ne se sent pas devenir cavalier professionnel de saut d’obstacles, formateur de jeunes chevaux dans une écurie. Il fera ses premières armes chez François Vasche.


Emigré en région parisienne, il sera tour à tour réparateur de machines à sous et convoyeur de fonds.
Puis, passé un certain temps, le virus se réveille : « J’ai répondu à une annonce d’un entraineur de Maison Laffitte qui cherchait un cavalier du matin ». Et c’est reparti. Thibault, au gré des circonstances se limitera au débourrage des chevaux de course, et ce à 18 mois.
Quelques temps plus tard, il s’installera à Pirou ou son établissement n’est plus aujourd’hui très utilisé. Ce sont alors les écuries Chemin et surtout Cherel qui lui confieront leurs chevaux. Aujourd’hui, alors qu’il se déplace chez les professionnels, Thibault débourre une centaine de galopeurs chaque année chez Guy Chérel : « J’y passe 4 mois », précise-t-il.
Au Haras de B’néville

C’est chez Jean-Baptiste Thiébot que s’est déroulée la rencontre avec Thibault Derichard. C’est en effet, le naisseur de Piaf, Amande et bien d’autres qui attentif à la « bientraitance » des chevaux, avec la perspicacité qu’on lui reconnait avait décelé chez ce cavalier une méthode qui rompt avec celles, plus ou moins barbares qu’on nous rapporte.
Il fallait donc voir
La méthode
L’objectif est de faire accepter une selle au cheval, cela sans traumatisme, le monter et parcourir quelques centaines de mètres sur un chemin naturel. Cela se pratique à 3 ans pour les chevaux de sport, à 18 mois pour les chevaux de course, lesquels sont remis au champ quelques mois avant de partir à l’entrainement proprement dit en vue des courses. Ils ont 2 ans
Les chevaux de sport entament leur première saison à 4 ans. Chez Jean-Baptiste Thiébot, ils ne sont débourrés qu’à l’automne des 4 ans. L’éleveur des deux chevaux médaillés d’or olympiques en concours complet se contraint, au nom de la « bien traitance » à des efforts qui ont un retentissement parfois négatif sur l’équilibre financier de son entreprise.
La première étape : déterminante
Elle débute, au box par une désensibilisation en incitant déjà le mouvement en avant du cheval pour lui ôter la peur de l’inconnu. La selle lui est présentée et passée par l’encolure. Pour un cheval dit standard, le sanglage est fait avec délicatesse en position statique puis si nécessaire en marchant.
La deuxième phase se déroule dans le manège. Là le cheval est lâché pour le faire tourner sans chambrière afin, encore une fois qu’il trouve le mouvement en avant. Thibaut choisit ce moment particulier pour communiquer avec l’animal « je porte attention à son œil. Je vois s’il est d’un naturel gentil. Dès qu’il s’arrête, je regarde s’il me comprend bien. Il revient alors naturellement vers moi ».
C’est de nouveau au box dans lequel le cheval doit entrer avec aisance, que le cavalier va le monter. A 40 ans Thibault, habitué aux pur-sang, l’enjambe. Dans cette position, il effectue de nombreux mouvements de jambe et de mains en prenant garde de ne pas tirer sur le mors pour que le cheval ne s’y accroche pas et reste disponible.
Si ces exercices sont satisfaisants, alors après avoir mis pied à terre, le cavalier sort du box et dans le couloir des écuries le monte à nouveau pour ce qui va être la première sortie : « Il s’agit d’une petite promenade sur la route pour qu’il découvre l’environnement sans rien lui demander de particulier » précise Thibault en ajoutant que cette primo éducation est plus facile avec les pur- sang qu’avec les chevaux de sport.
Montre en mains, pour trois chevaux successifs, entre la prise en main et la sortie sur route, chaque séance a duré entre 30 et 45 minutes.
Le lendemain, le cavalier effectue une nouvelle sortie en trotting sur un chemin de terre bien encadré et en montant pour solliciter davantage le mouvement en avant du cheval.
Au cours des deux ou 3 semaines suivantes, à raison d’une séance tous les 3 jours, de nouveaux exercices en carrière et sur chemin sont entrepris.
En résumé, de façon simple et sans chercher midi à quatorze heures, Thibault se borne à dire : « En regardant le cheval dans les yeux, je trouve l’astuce et la complicité. Je le vis comme ça » conclut-il.