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2. Ancrer une démarche méthodologique

auraient définie ensemble. Le choix de la seconde commune s’est finalement arrêté le 8 avril 2021 sur la commune de Saint-Jean-le-Vieux.

Ce travail transdisciplinaire entre étude des paysages et ethnologie sollicitera donc le regard endogène comme support d’une connaissance vernaculaire des paysages. L’ethnologie est pertinente à lier à la notion de paysage pour les raisons suivantes. Le concept de paysage renvoie à la notion de perception sensible d’une portion de territoire sous l’effet d’un regard mentalement construit. Il sous-entend la présence d’un regard indigène et d’un regard étranger (Voisenat, 1995). L’étude se focalisera sur les acteurs locaux du territoire, habitants et usagers du quotidien, pour comprendre leur relation à leur cadre de vie. L’ethnologie prend alors toute sa place en interrogeant sur les déterminations en fonction desquelles les personnes étudiées perçoivent, construisent leur regard et établissent des pratiques locales reflétant des modes culturels d’habiter le territoire. Elle soulignera la complexité et diversité des valeurs attribuées au paysage, aux espaces de points de vue et aux pratiques qui s’y établissent par les cheminements en fonction des déterminations sociales des personnes interrogées.

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La démarche développée s’appuie sur une enquête des cheminements comme itinéraire, piste qu’une personne décide d’emprunter soit dans le cadre d’une promenade occasionnelle ou régulière dont le but est l’action même de marcher soit dans le cadre d’un trajet quotidien, voire routinier dont le but est l’arrivée à un lieu précis d’activité (commerce, travail, etc.).

Divisée en deux étapes, la démarche lie quatre outils d’enquête : l’entretien semi-directif couplé avec l’exercice de cartographie sensible et parfois de photographie et la marche exploratoire à travers des transects déterminés par les cartographies sensibles. Si le nombre d’outils mobilisé semble important, la démarche cherche avant tout à passer d’une représentation spatiale horizontale du territoire à une exploration verticale et située du questionnement. La multiplicité des outils permet également à la personne de s’exprimer plus facilement si l’un d’eux lui parle plus. Le protocole établi s’appuie donc essentiellement sur la collecte de témoignage et l’expérience du vécu de la marche. Il privilégiera une approche

63. Parcours réalisé à Bidart lors de la marche-test du 15 janvier 2021. Les lettres correspondent aux points d’arrêts réalisés(à droite, source: Géoportail).

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qualitative plutôt que quantitative. Le protocole prendra un point d’honneur à ne pas expliciter le terme de « paysage » lors des entretiens et échanges. Le paysage relevant d’une construction culturelle du regard étranger, aujourd’hui assujetti à un emploi commun de l’ordre de la description évaluative, il s’agira de collecter des récits et témoignages dont l’analyse permettra de comprendre les relations établies afin de restituer l’expérience paysagère vécue (Lenclud, 1995). De même, le cheminement étant considéré comme une pratique englobante à qualifier, il sera demandé de relater l’expérience même de la marche comme moyen de parcours afin d’analyser la pratique du cheminement qu’elle génère.

Ancrage théorique des outils mobilisés

L’entretien semi directif repose sur une série de question ouvertes, préalablement rédigées ou sous forme de mots clefs, qui orienteront la discussion entre l’enquêté et l’enquêteur. Cette méthode favorise l’instauration d’un climat de confiance qui valorise le modèle de la discussion, plutôt que du questionnaire et laisse place à un échange permettant d’obtenir des informations sur un thème précis. En ethnographie28, cette méthode se développe dans les années 1970-1980 (Schmitt, 2011) mais fait l’objet de nombreuses critiques quant à la trop grande part de subjectivité de l’enquêteur vis-à-vis des réponses de son enquêté. Souvent employé lors des enquêtes en paysage, elle peut aussi s’avérer être un outil difficile à manier à cause des abstractions que posent la question du paysage (Sgard, 2011). Cette méthode d’enquête permet cependant, en paysage comme en ethnographie de placer l’individu au cœur de l’enquête, comme représentant de sa culture par ses histoires personnelles (Schmitt, 2011).

La photoellicitation est une méthode d’enquête qui consiste à mener un entretien sur la base d’un support photographique dans le but de susciter un sentiment, une émotion, une réaction. Georges Lenclud souligne la difficulté que certaines personnes ont à exprimer leur vision du paysage (Lenclud, 1995), à traduire verbalement leur émotions en contemplant « l’étendue d’espace qui s’offre à leur

28 Nous emploierons le terme ethnographielorsqu’il s’agit de décrire le protocole d’enquête et nous utiliserons le terme ethnologielors qu’il s’agit d’aborder le sujet de la recherche. En effet, en sciences humaines et sociales, l’ethnographie renvoie au recueil des données de terrain, au travail d’enquête que l’ethnologie analyse, traite, met en perspective pour révéler une « science des peuples » ou de « races humaines » (Topinard 1876)

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vue » (Bigando, 2013). Dans cette lignée, Yves Michelin (1998) considère alors l’utilisation de la photographie comme « moyen susceptible d’éviter cet écueil » (Bigando, 2013) et ce, afin d’analyser les représentations des paysages par les habitants (Michelin, 1998). Eva Bigando dans le cadre de sa thèse sur la sensibilité des habitants aux paysages ordinaires a mis en place ce dispositif en proposant aux habitants de réaliser « un portrait photographique de leur paysage quotidien » (Bigando, 2013), la photographie constituant la base de l’entretien qui suivait. Ainsi dans le cadre d’un entretien, demander aux enquêtés de réaliser un reportage photographique au préalable, permet d’approfondir la compréhension la perception des paysages par les acteurs locaux ainsi que la place de ces paysages dans leurs pratiques quotidiennes voire de sociabilité. Elle révèle « un système de pratiques et de représentations paysagères qui, inscrites dans un vécu quotidien plus machinal qu’intellectualisé, avaient pu demeurer jusqu’alors de l’ordre du nondit ou du non-conscientisé » (Bigando, 2013).

La cartographie désigne la « représentation spatiale d’une réalité non géographique » (Larousse) et le terme sensiblerenvoie à ce qui « peut être perçu par les sens » (Larousse), « éprouver par des perceptions, des sensations » (Larousse). La cartographie sensible se situe donc dans une approche géographique humaniste de l’analyse du territoire, en s’intéressant non plus aux formes bâties, à la topographie, aux configurations spatiales et géographiques mais à l’expérience même du territoire, des lieux. Quentin Lefevre (64) est une référence dans l’exploitation de cet outil sous diverses typologies (cartes de parcours, touristiques, relationnelles, etc.). Il le définit comme un média d’ analyse urbaine qui permet d’appréhender la charge symbolique portée à l’espace par les individus, l’appréciation du territoire comme « ensemble de relations » porté par l’« être relationnel » qu’est l’être humain, l’importance des « lisières/interfaces » et enfin de comprendre le dialogue entre les « villes fragmentées » et « l’expérience humaine continue » (Guillaumin, 2018).

La marche exploratoire est une méthodologie d’expérimentation et d’analyse in situ avec les acteurs concernés qui invite à parcourir le territoire selon un itinéraire plus ou moins défini, ponctué par des échanges et dialogues sur les ressentis et l’observation. En France cette méthode s’est développée avec Jean Yves Petiteau qui développe la méthode des itinéraires dans les années 1970 (Vacher, 2019). Selon Hélène Douence, la marche par sa lenteur permet en effet de tisser des liens entre les participants et entre le participant et l’environnement en favorisant

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64. Carte sensible réalisée dans le cadre d’un workshop intitulé « Cartographie sensible de l’Ile de Nantes » animé par Quentin Lefevre à l’été 2018. Cette carte révèle des pôles d’intensité d’usages exprimés par un code couleur et des formes dont la légende est commune aux participants sur un fond de carte commun. Il en résulte une pluralité de cartes subjectives avec une charte graphique commune.

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65. Journée participative « Paysage et patrimoine » à Glux en Glenne, le 11 juillet 2017où une vingtaine de participants a pris part dont les habitants de Glux en Glenne ou des villages environnants, deux agriculteurs, la présidente de l’association pour la mise en valeur du paysage de la commune voisine, les organisateurs et le directeur de Bibracte venu aussi en tant qu’habitant de Glux.

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