Idem - Ivan de Monbrison

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Idem poèmes

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Ivan de Monbrison

Éditions Minces, 2023

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quelque chose de plus lourd la nuit sanglante et toi désagrégé suspendu par le col de ton cri à la déchirure de ta voix

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le monde mue laisse son ancienne peau au détour de ce chemin de papier cicatrice ou trace laissés au revers de la peau le vide et le ciel aussi la main qui colle une étoile au col froissé de ce chemin le paysage exfolié et la nuit qui saigne dessous

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ailleurs le ventre blessé s’ouvre et reste ouvert tu gardes un œil encore fermé quelqu’un tend la main ce n’est pas toi tu dois changer de jambe pour danser ou tomber plus bas

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si ce museau se lèche les babines avant de me dévorer j’ai eu le temps de laisser échapper mon cri sanglant mon cri béant à cet horizon entaillé et le silence qui m’en délivre

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on sort par l’autre bout du tuyau que l’on a coupé par hasard en traversant ce miroir calfeutrant entre ces parois qui nous retiennent en l'air avant de tomber

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voilà la mer ouvre ses bras tu vois le ciel attaché au lit par une laisse tu vois le monde fait de papier qui s’accroche à la pente en sang la main que mord l’animal enseveli sous la surface béante

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le miroir dérobe son reflet et le cache derrière la fenêtre tu l’ouvres et tu y découvres ton cadavre qui s'y tient debout transparent ainsi le reflet voyage d’un bout à l’autre du paysage comme un pantin halluciné

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il faudra bien recoudre la plaie à l’aide du fil du silence si demain n’est plus à personne on abandonnera derrière soi du chemin le maigre ruban

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le paysage découpé aux ciseaux dans du papier on y dessine des animaux et des enfants et des géants et leurs mains pour le déchirer

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la souffrance délivre parfois on pose des mains sur les paupières pour effacer chaque regard les yeux s’extirpent du papier et regardent au travers de trous les morts marcher de côté

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il y a le cadavre nu de cette femme que tu connais il te faut faire un pas de plus mais tu te mets à crier et ta bouche lentement se décolle de ton visage et se met à saigner

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le reflet coule au travers du trou fait dans la vitre sanglant désir

l’appât du rêve est resté dans la main du silence qui le décapite

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on passe au crible chacun des cadavres mais l'animal va dévorer ce qui reste de notre festin charnier sans peau pitance de notre butin qu'affame ma souffrance

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le désir d'être seul la peur aussi quelqu'un à claqué la porte quand tu te retournes tu peux voir s'éloigner au loin cette silhouette qui emporte le chemin de son paysage

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ici ou là la main dessine sans crier gare ce que l’œil n'a pas encore vu ce que la trait dérobe de forme au contenu

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je n'ai jamais été capable de marcher sur le côté comme le font les crabes mais mon ventre est resté ouvert après le coup de feu nous devrons aller chercher des fleurs dans le jardin de l'esprit quelqu'un te regarde de l'autre côté de la pièce demain tout ira beaucoup mieux les étoiles continuent de tomber dans tes yeux et ton cerveau se noie

tu entends frapper à la porte tu vas l'ouvrir et c'est le fantôme de ton père mort ou peut-être c'est un bébé orphelin dont le père a été tué à la guerre

c'est peut-être toi-même en tant que vieil homme essayant de se mettre à l’abri du froid les nuages sont collés à la vitre mais la colle fond et ils glissent le long de la vitre pour se retrouver dans une poubelle tu sors la poubelle dehors il fait beau et tu décides de marcher dans la rue principale jusqu'au port pour regarder les lutteurs les chanteurs les bouffons

tu te souviens de ton ancien amour et tu te demandes si c'était vrai ou si c'était quelqu'un d'autre que toi qui était amoureux jadis il est temps de recommencer ton voyage dans la vallée aux fenêtres cassées et aux toits inclinés où les goélands crient à te tenir éveillé toute la nuit car c’est la saison des amours demain nous irons bien mieux laissez moi vous dire que nous allons voyager à travers l'espace et le temps pour revenir au tout premier jour de notre vie où nous sommes nés de rien d'autre que le ventre d'une femme que l’on nous a dit d'appeler

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notre mère

je me réveille une fois de plus au son d'un goéland qui pleure je sors sur la petite terrasse de l'appartement je peux voir Orion accroché au-dessus de ma tête dans le ciel et tandis que je touche l'une des jambes d'Orion ma main quitte mon bras et commence à dériver sous les vieilles étoiles et les étoiles naissantes et je reste assis là pour voir ma main emportée par les vents qui flottent dans l'espace et bientôt elle disparaît sous la voûte de l'horizon non loin de l'Afrique

je retourne au lit avec mon bras amputé coincé dans ma poche je suis un goéland maintenant ... quand je regarde le miroir je vois le corps d'un homme mais avec la tête d'un goéland devant moi

bientôt je m'envolerai avec eux pour ensuite tomber sans fin pour le reste de ma vie le long des falaises du temps à moins que je finisse enfin par cesser de vieillir enseveli à jamais sous cette mer

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il y a quelque chose comme des vagues mortes et les yeux poussent sous les plis de la peau ce vague à l’âme ces vagues mortes nous montons sur des bateaux

le ciel dérive à la surface du monde et nous passons au travers un homme a malgré tout la tête coupée un homme toi ou autrui c’est sans importance

au coin de la route on a tué un chien il gît là le ventre ouvert et quelqu’un pleure dans un coin et tient sa tête entre ses mains

il se regarde dans les yeux il regarde le cadavre du chien il retourne sa tête à l’envers mais il ne voit presque plus rien

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