La genèse LUGANO 1956
Vainqueur : Suisse avec la chanteuse Lys Assia
Chanson : « Refrain »
Auteurs-compositeurs :
Emile Gardaz et Géo Voumard
24 mai 1956
Teatro Kursaal, Lugano, Suisse
Diffuseur SSR-RTSI
7 pays participants avec chacun deux chansons
Pays fondateurs : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Suisse
Deux jurys par pays. Chaque jury attribue deux votes à sa chanson préférée
4 millions de téléspectateurs
Livre des records
Qui aurait pu imaginer au mois de mai 1956 que ce petit concours radiophonique immortalisé par trois caméras allait devenir le plus grand show télévisé européen de l’histoire, et surtout allait entrer dans le livre des records comme « la plus longue émission annuelle de compétition musicale » ?!
Pourtant, dès ses premières éditions, les commentateurs et la presse le condamnaient à disparaître rapidement. Les intellectuels de la musique lui prêtaient tous les maux et le disqualifiaient.
Un homme, un Suisse, en est le père fondateur.
Visionnaire
Marcel Bezençon, né au mois de mai 1907 à Orbe, petite ville du canton de Vaud en Suisse dont il était originaire, est le visionnaire à qui nous devons l’Eurosong d’aujourd’hui !
Celui qui deviendra aussi le fondateur de la Rose d’or de Montreux est fils d’agriculteur. Il fait des études de lettres et voyage beaucoup, de l’Allemagne à l’Angleterre, en passant par la Hongrie et les Balkans. Intérêt pour l’Europe qui va largement influencer son idée géniale de créer un programme qui réunit les principaux pays de l’UER (Union européenne de radio-télévision).
Ensemble
Cet homme est en avance sur son temps. Il veut absolument trouver un programme qui permette de réunir les uns et les autres, un programme à concocter ensemble qui dépassera la simple captation ou l’échange d’émissions. Il rêve d’une Europe réunie autour de la culture et du divertissement, ce qui à l’époque pouvait paraître révolutionnaire. On a beaucoup raconté que cette idée de concours de la chanson était une copie du Festival de Sanremo, mais ce n’est que partiellement le cas. Marcel Bezençon va défendre son idée à Monaco fin janvier 1955 en prenant comme exemple parmi d’autres le Festival italien. Finalement, c’est cette dernière option qui est retenue, pour le plus grand plaisir de cet homme exceptionnel qui a toujours cru que la création et la culture étaient le lien essentiel entre les Européens ! Mais revenons à 1956.
Première chanson, composition
Tout commence par un petit radiocrochet auquel Emile Gardaz et Géo Voumard – les deux compositeurs de la première chanson gagnante de l’Eurovision – se prêtent avec plaisir, sans se rendre compte qu’ils allaient écrire une page importante de l’histoire ! Emile Gardaz a même avoué un jour qu’il avait complètement oublié qu’il allait participer à la finale de ce Concours à Lugano et que pour lui c’était anecdotique. Parmi les pionniers de cette aventure fondatrice d’un esprit européen, on se souvient principalement de Lys Assia qui a interprété deux chansons pour la Suisse, son pays. C’était à l’image de ce que le Concours deviendra plus tard : celui des « chanteuses et des chanteurs » alors que l’envie de départ et la base de tout était de valoriser le « compositeur et l’auteur ».
Première finale
Le 24 mai 1956, sept pays participent à la finale du Concours Eurovision de la chanson à Lugano, en Suisse. Seulement sept puisque le Danemark et le Royaume-Uni n’ont pas pu respecter la date limite d’inscription. On décide alors que chaque pays présente deux chansons. Seuls les artistes en solo sont admis et toute chorégraphie est interdite.
Alors que chaque pays doit envoyer deux jurys, le Luxembourg ne peut le faire et ce sont deux Suisses qui vont voter au nom du Luxembourg ! C’est aussi la seule fois où les jurys peuvent voter pour leur propre pays.
Les résultats complets ne seront jamais rendus publics et on détruira immédiatement les bulletins de vote. Il n’y a qu’une première place et c’est la Suisse qui l’emporte avec Lys Assia. Ainsi est né le Grand Prix Eurovision de la chanson européenne.
En 1956, l’Eurovision naît dans l’anonymat… avant de devenir le plus grand show télévisé européen de l’histoire.
Lys Assia dans les années 50
Premier couac
« C’est horrible pour moi de penser que cela fait déjà soixante ans ! On ne savait pas ce que c’était que l’Eurovision. Le fondateur avait simplement dit : “Je veux faire quelque chose qui va réunir les gens, quelque chose pour que les gens puissent découvrir les cultures des différents pays.” Et c’est pour ça que le Concours Eurovision de la chanson dure encore. C’est ça pour moi qui est intéressant, réunir les gens et être amis, on en a besoin. »
Idée
« J’étais en Amérique en tournée quand le compositeur m’a appelée en me disant qu’il avait une très bonne chanson qui reprenait l’idée de réunir les gens. Il m’a demandé si je pouvais la chanter. J’ai d’abord répondu non, que je n’étais pas disponible, car en pleine tournée. Mais finalement, comme mon père qui habitait en Suisse était très malade et que j’avais un concert à Paris, j’ai pu combiner les trois. »
Pour mon papa
« La nuit de mon arrivée à Zurich, un théâtre a su que j’étais là juste pour un jour, car mon papa était mourant, alors ils m’ont demandé de chanter “Oh mein Papa”, une fameuse chanson que j’avais créée. C’est là que mon manager m’a fait entendre le titre “Refrain” pour la première fois. Cette chanson me correspondait parfaitement. Cette même nuit mon papa est décédé et j’ai décidé de défendre la Suisse à l’Eurovision. »
Débuts de danseuse
« Ma mère ne voulait pas que je fasse une carrière d’artiste. Pour elle ce n’était pas sérieux et même dangereux, c’est pour ça que j’ai commencé à être danseuse. Pour pouvoir danser, j’ai dû étudier en même temps. Moi je voulais
Entretien avec Lys Assia, mars 2015 (Rosa Mina Schärer) 1924-2018
faire de la musique. Je la sentais, j’imitais beaucoup Zarah Leander, la Suédoise. Je faisais des spectacles dans des stations d’hiver pour gagner ma vie. Avant l’Eurovision, j’avais déjà mon nom et ma carrière. »
Deux chansons
« Comme je suis Suissesse et que j’étais rarement en Suisse, ça m’a fait plaisir de me retrouver sur la scène à Lugano et je crois (rires) qu’ils n’auraient pas pu trouver mieux… En plus, on a dû chanter deux chansons, la deuxième était “Das alte Karussell”.
Je savais qu’on allait gagner, et depuis ce jour, je ne me suis jamais trompée sur mes pronostics. Je sens toujours quelle chanson va gagner. Chaque année je vais aux répétitions et je sens les réactions des gens. Je me suis trompée une seule fois en soixante ans, c’était en 1958 où on a fini deuxièmes alors qu’on aurait dû gagner ! »
Voix, élégance, éducation
« Chaque année c’est sympa de tous se revoir. Quand Conchita Wurst a chanté en 2014, j’ai tout de suite dit que ce serait elle qui allait gagner ! Certaines personnes se demandaient ce que ça avait à voir avec l’Eurovision, moi j’ai pensé qu’elle avait tout : la voix, l’élégance et l’éducation… »
Langue
« Je dis toujours que chaque pays devrait chanter un petit bout de sa chanson dans sa langue. Au moins, un petit refrain, ça serait déjà bien. »
Évolution
« L’Eurovision a complètement changé en ce qui concerne les langues. Mais ce qui est différent c’est surtout le fait que seuls les chanteurs sont en live mais plus la musique. Vous
savez une chanson c’est mystérieux et rempli d’émotion. Je ne peux pas chanter deux fois de la même manière parce qu’on vit la chanson et on la sent. Avec l’orchestre, c’était mieux parce qu’on peut s’adapter, mais pas avec une bande-son.
À l’Eurovision en 1956, on ne gagnait rien du tout. Ils ne m’ont même pas payé le voyage. Pour les droits non plus, il n’y avait pas de contrôle comme aujourd’hui. »
Santé
« Pour rester jeune et en santé à mon âge, je travaille toute la journée, j’étudie et j’entraîne ma mémoire. Dieu m’a laissé ça… Je n’ai qu’une vie, je ne sais pas combien de temps il me reste, il faut profiter. Mon slogan a toujours été : “ Il ne faut pas se laisser aller. ”»
Souvenirs
« Les plus beaux souvenirs de ma carrière ont été ma rencontre avec Harry Belafonte et aussi quand j’ai chanté devant la reine d’Angleterre.
Si tout était à refaire, je referais la même chose sauf qu’en général on ne peut jamais refaire pareil. Peut-être que je serais moins ouverte envers les autres, je suis trop gentille je crois.
Je ne sais pas où sont passés les soixante ans depuis que j’ai gagné l’Eurovision. C’est comme quand on me parle de mon âge, je ne sais pas comment c’est arrivé. Je n’ai jamais pensé dans ma vie que j’allais être âgée un jour. »
La chance ?
« En 1956 c’était beaucoup de choses. Le moment juste, la chance, la chanson, l’orchestre juste, moi… je ne sais pas… le tout. »
Lys Assia chez elle
Lys Assia rechante après la proclamation des résultats ; elle est totalement émue et oublie une partie des paroles de sa chanson « Refrain » qu’elle remplace par des « lalala ». Cela restera indéniablement la première anecdote de l’histoire de l’Eurovision.
RÉSULTATS
Place
Pays
1 Suisse
- Pays-Bas
Artiste(s)
Chanson
Langue(s) Points
Lys Assia Refrain fra -
Jetty Paerl De vogels van Holland nld -
- Suisse Lys Assia Das alte Karussell ger -
- Belgique Fud Leclerc Messieurs les noyés de la Seine fra -
- Allemagne W. A. Schwarz Im Wartesaal zum großen Glück ger -
- France
- Luxembourg
Mathé Altéry Le temps perdu fra -
Michèle Arnaud Ne crois pas fra -
- Italie Franca Raimondi Aprite le finestre ita -
- Pays-Bas
- Belgique
- Allemagne
- France
- Luxembourg
- Italie
Corry Brokken Voorgoed voorbij nld -
Mony Marc Le plus beau jour de ma vie fra -
Freddy Quinn So geht das jede Nacht ger -
Dany Dauberson Il est là fra -
Michèle Arnaud Les amants de minuit fra -
Tonina Torrielli Amami se vuoi ita -
« Comme un poisson dans l’eau » MALMÖ 2024
Vainqueur : Suisse avec le chanteur Nemo
Chanson : « The Code »
Auteurs-compositeurs :
Nemo Mettler, Benjamin Alasu, Lasse Midtsian Nymann, Linda Dale
7 mai première demi-finale
9 mai deuxième demi-finale
11 mai 2024 finale
Malmö Arena, Suède
Diffuseur SVT
37 pays participants avec 25 pays en finale
Disqualification des Pays-Bas
Retour du Luxembourg
Même système de vote que l’année précédente avec deux demi-finales
On prend les mêmes et on recommence
Rien de nouveau sous le soleil ou presque !
Petra Mede – humoriste et animatrice de la TV suédoise – co-présente le Concours pour la troisième fois (2013 et 2024 à Malmö et 2016 à Stockholm). Malmö accueille l’Eurovision pour la troisième fois également. La chanteuse Loreen est gagnante pour la deuxième fois.
Avec l’Irlande, la Suède est le pays qui a obtenu le plus de victoires, 7 au total sur 63 participations depuis 1958 et sont donc les champions de l’accueil et de l’organisation de l’Eurovision !
Un Concours en danger sur fond de tensions
Le Concours Eurovision de la chanson semblait partir sur de bonnes bases jusqu’au commencement de la guerre au Moyen Orient. C’est la présence ou non d’Israël qui va focaliser l’ensemble des discussions. Plusieurs artistes et délégations menacent de boycotter cette édition. Malgré les appels à l’exclusion d’Israël,
l’UER décide finalement d’accepter la chanson car Israël s’est soumis aux règles du Concours en consentant à plusieurs modifications des paroles (qui originellement se référaient à l’attaque du Hamas et le début du conflit), du titre, de la chorégraphie et même des costumes. Les pressions politiques étaient fortes puisque même le président israélien est intervenu auprès des organisateurs. C’est finalement avec la chanson « Hurricane » que l’artiste Eden Golan va représenter son pays.
Pendant toute cette période, les tensions ont été vives entre la délégation israélienne, une bonne partie du public et certains artistes.
Une ambiance très lourde comme on n’en avait rarement connu par le passé. Par exemple, la délégation israélienne a demandé à changer de loge pour être dans un endroit plus isolé, ses commentateurs ont eu des propos déplacés à l’égard de certains artistes, et dans l’histoire de l’Eurovision, jamais aucune prestation n’a été aussi sifflée et huée dans la salle lors du spectacle. L’artiste a même dû s’entraîner à chanter devant des figurants qui la sifflaient afin de ne pas être trop déstabilisée lors de la prestation.
Eden Golan terminera finalement à une excellente cinquième place grâce au vote du public (deuxième). En réalité, il y a eu une évidente mobilisation calculée et organisée des soutiens d’Israël dans un contexte de menaces et de haines intenses. Cela a entraîné, dans le télévote, la participation de personnes qui n’auraient ni regardé ni voté dans le cadre de l’Eurovision, par exemple les publics italien et suisse qui n’avaient jamais donné douze points à une chanson israélienne auparavant et qui l’ont fait cette année.
Pays-Bas la disqualification
L’autre polémique de ce Concours aura été l’exclusion de l’artiste hollandais Joost Klein, arrivé deuxième de sa demi-finale. L’UER a décidé de le disqualifier à la suite d’une prétendue altercation avec une camerawoman suédoise qui a porté plainte auprès de la police. On ne rigole pas avec
ça en Suède. Joost sera par la suite, mais tardivement, blanchi. La décision de l’UER, qui dans le doute a choisi d’exclure les Pays-Bas du Concours, a été très fortement contestée par les autres artistes, le public et les réseaux sociaux. C’est la
(p.408) La présentatrice Petra Mede (p.409 haut) Eden Golan, Israël (p.409 bas) Joost Klein, Pays-Bas (p.410)
Bambie Thug, Irlande Olly Alexander, Royaume-Uni Nutsa Buzaladze, Géorgie Windows95man, Finlande (p.411 haut) Malmö Arena (p.411 bas) Baby Lasagna, Croatie
première fois dans l’histoire depuis l’arrivée des demi-finales qu’un artiste qualifié pour la finale est exclu. La télévision néerlandaise est repartie extrêmement fâchée en affirmant que cette décision était disproportionnée. Martin Österdahl, producteur exécutif, a été abondamment hué lors de ses interventions pendant le Concours, dans le contexte de cette affaire et celui de la présence ou non d’Israël.
L’ambiance était délétère également hors Concours. Dans la salle de presse, à l’EuroClub et sur les réseaux sociaux, les tensions étaient bien palpables. Elles ont provoqué l’absence de trois pays (Irlande, Suisse et Grèce) lors de la troisième répétition et la cérémonie des drapeaux. Avant le début de la finale, la mauvaise communication de l’UER, ou considérée comme telle, a mis en danger le déroulement de la finale avec des pays qui menaçaient même de se retirer.
Tout cela a fortement ébranlé les organisateurs du Concours qui à ce titre présenteront des changements dans leur organisation pour 2025.
Et si nous parlions enfin de musique
Dès le début, les favoris étaient la Croatie et la Suisse avec en outsider la France et l’Ukraine et également l’Irlande avec une chanson très controversée.
La France étonne tout le monde en annonçant en premier et très tôt la participation de l’artiste-star Slimane. Un choix justifié par l’envie de gagner le Concours et pour l’artiste d’étendre sa notoriété au-delà de la francophonie. Avec sa chanson romantique « Mon amour », très française et à l’interprétation minimaliste, et malgré quelques soucis de voix lors de la finale jury, il atteindra la quatrième place. Une place qui souligne la qualité générale et méritée de sa prestation, mais qui ne lui permettra pas de gagner.
Tout un pays était derrière Baby Lasagna avec un élan phénoménal dans la société croate. Une chorégraphie reprise dans toutes les couches de la société. « Rim Tim Tagi Dim »
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