

Château de Beauregard L’imprenable
Éditions Favre SA
29, rue de Bourg – CH-1003 Lausanne
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Photo de couverture : Ph.F
Photo de la page 1 : J.-C. Moret
Mise en page : Steve Guenat
ISBN : 978-2-8289-2243-6
© 2025, Éditions Favre SA, Lausanne
La maison d ’ édition Favre bénéficie d ’ un soutien structurel de l ’ Office fédéral de la culture pour les années 2021-2025.
Château de Beauregard L’imprenable
Par la Fondation du Château de Beauregard
Textes de :
Jean-Christophe Moret et Alessandra Antonini †
Roberto Biolzi
Chantal Ammann-Doubliez
Pierre Abbet
Philippe Favre
Préface de Gaëtan Cassina
Avec le bureau d’études archéologiques TERA
À Alessandra Antonini et Bernard Donzé

« Nous pouvons trouver dans la nature humaine trois causes principales de querelle : la rivalité, la méfiance, et la fierté. »
Hobbes

L’aventure « Beauregard » a démarré en 2005. Au terme d’une séance de travail aux Arsenaux, ce haut lieu désormais de la culture en Valais, deux amis, membres du « Heimatschutz », société de sauvegarde des biens culturels, estimaient mériter un verre de blanc après avoir étanché leur soif de connaissances à la source que constituent les fonds d’archives.
Très vite, la discussion embraya sur la prochaine célébration du centenaire de Patrimoine Suisse :
– C ’est quand même regrettable que le Valais n’ait toujours rien à proposer pour marquer le coup…
– Il faudrait trouver une idée qui intéresse un large public, tout en évitant les clichés folkloriques qui collent encore au drapeau de notre canton.
C ’est au moment de commander la deuxième tournée que mon ami Bernard de Preux lança :
– Et si on menait une investigation archéologique sur le site de Beauregard ! On saurait enfin quel rôle jouait cette forteresse médiévale, et ce qui s’est passé là-haut ?
L’œil de l’ancien juge cantonal pétillait d’un enthousiasme qu’à défaut de doucher, il me fallait néanmoins modérer :
– Si tu veux jouer les Schliemann, il faudrait d’abord disposer de la fortune colossale qu’il lui a fallu pour mettre au jour la mythique cité de Troie !
– Évidemment, le plus dur à trouver sera le financement, admit Bernard, mais contrairement à la cité de Troie, pour ce qui est de Beauregard on sait exactement où commencer à creuser !
Je tentai une ultime dissuasion :
1
– Tu sais comme moi que l’archéologie cantonale ne peut se permettre qu’exceptionnellement une fouille programmée, l’ensemble du budget étant englouti par les fouilles d’urgence.
– Eh bien, il suffirait qu’on trouve, tout comme ton Schliemann, un mécène pour financer les travaux.
M’observant à travers son verre de Païen, Bernard espérait peut-être qu’en tant que Président de la Section VS romand de Patrimoine Suisse, je lui sorte le nom d’un généreux donateur.
– Désolé, lâchai-je, mais la poule aux œufs d’or, je ne l’ai pas.
– Hm ! Si nous n’avons pas les relations qu’il faudrait, nous connaissons en revanche un ami commun qui les a !
C et ami n’était autre que le dynamique Bernard Donzé1 qui accepta de rejoindre le projet, devenant le premier président du Conseil de Fondation du château de Beauregard.
Un an plus tard, l’assemblée générale tenue à Saint-Luc devait fournir l’occasion idéale de solliciter l’appui des autorités communales et bourgeoisiales du Val d’Anniviers, invitées à cette réunion. L’annonce du projet, répercutée par la presse, ne passa donc pas inaperçue. Le pouvoir de conviction et l’entregent de Bernard Donzé ont fait florès si bien que les premiers objectifs du financement furent atteints. La Loterie Romande, par sa délégation valaisanne, les communes directement impliquées ou voisines ainsi que diverses fondations (notamment UBS Kulturstiftung, Naegeli-Stiftung, Ernst Göhner Stiftung) ont répondu positivement aux appels de la Fondation. Les mêmes communes, soit Chippis, Anniviers
Bernard Donzé est décédé en 2015.
et Sierre ont accepté d’être représentées au sein de cet organisme. L’engagement en faveur de cette initiative du directeur général d’Alcan Aluminium Valais SA, Monsieur Michel Lambert, a valu à la Fondation la cession de la partie indispensable aux fouilles, propriété des usines de Chippis, qui s’étend à tout le versant en dessous et au-dessus de Niouc, ainsi qu’un appui financier.
En 2008, Madame Alessandra Antonini, archéologue médiéviste2 auprès du bureau TERA Sàrl, de Sion, put entreprendre les premiers sondages sur le terrain. Il a fallu ensuite obtenir des autorisations cantonales tant pour le déboisement – en fait un modeste débroussaillage – que pour les travaux d’ordre archéologique, comprenant la sécurisation partielle du site et la consolidation des maçonneries conservées en élévation. La commune de Chippis, sur le territoire de laquelle se trouve Beauregard, donna son accord et le permis de construire fut délivré par le Secrétariat cantonal des constructions. Le Service des bâtiments, monuments et archéologie de l’État du Valais, par le biais de l’archéologue cantonal, Monsieur François Wiblé, a subventionné l’exploration archéologique.
Depuis la publication en 1952, dans Vallesia , d’observations archéologiques et d’un relevé du site, repris dans les éditions successives des Châteaux du Valais de Louis Blondel et André Donnet, en 1963 et 1982, l’histoire et les ruines du château de Beauregard ont encore été évoquées dans la monographie dédiée à Chippis par Michel-André Zufferey en 1972, rééditée en 1982. Mais la connaissance de ces vestiges demeurait embryonnaire. On n’en savait à peine plus que le chroniqueur Sebastian Münster qui, dans son ouvrage édité en 1545, assortissait ses propos d’une représentation schématique de « Périgard » sur une carte du pays. On retrouve la même silhouette chez les dessinateurs du XIXe siècle, comme les frères Raphael et Wilhelm Ritz, et dans les estampes, des lithographies
2 Mme Antonini est décédée en novembre 2016.
principalement, qui en sont issues. Mais qu’en était-il en fait de ce nid d’aigle réputé inexpugnable et pourtant pris une première fois en 1387, une seconde fois en 1417, incendié alors et abandonné définitivement ?
A fin d’apporter cette réponse à un large public, Philippe Favre, enseignant et auteur de romans historiques, fut désigné au sein du Conseil pour mener à bien le présent projet de publication. La commune de Chippis l’avait délégué au Conseil de Fondation, et c’est à lui qu’on doit le site internet de la Fondation, conçu dès 2009. C’est à cette date que les campagnes archéologiques proprement dites se sont échelonnées au cours des étés 2009, 2010 et 2011. D’emblée, l’importance du site a dépassé les simples espérances que permettait d’entrevoir l’étude de Louis Blondel. Collaborateur dès le début d’Alessandra Antonini, Jean-Christophe Moret a pris la succession de cette dernière dès 2017 et il a assumé la rédaction du chapitre traitant de l’archéologie dans la présente publication.
Puis il a fallu mener l’œuvre de réhabilitation du site à son terme, mieux même, à son véritable objectif, induit par les structures mises au jour dont les plus fragiles ont été couvertes par des disques de métal et de verre dessinés par le bureau Papon à Sierre.
Enfin, le secteur a été sécurisé afin de le rendre au moins en partie accessible au public au moyen de panneaux didactiques. De son côté, la commune d’Anniviers, en relation avec Valrando, a aménagé le chemin d’accès à l’éperon rocheux de Beauregard.
Parallèlement aux fouilles, Roberto Biolzi, docteur en histoire médiévale de l’Université de Lausanne, où il est actuellement maître assistant et chargé de cours, a accepté de se pencher sur les sources archivistiques mentionnant les relations conflictuelles entre les comtes de Savoie et le Valais épiscopal des XIIIe et XIVe siècles, où la prise de Beauregard en 1387 apparaît en filigrane dans un contexte plus général. Ces pages d’histoire militaire renouvellent la connaissance de cette période où le pouvoir temporel sur le Valais central de Sion à Viège constituait un enjeu majeur.

Les diverses variantes sous lesquelles le nom du site de Beauregard apparaît dans les sources documentaires dès la fin du XIVe et jusqu’au XVIIe siècle font ensuite l’objet d’une approche toponymique particulièrement fouillée de Pierre Abbet, historien, où la contribution de Madame Chantal Ammann, chartiste de renom, mérite une mention particulière. Pour épauler la Fondation et stimuler la quête des derniers fonds indispensables, l’Association des Amis du château de Beauregard a été créée en 2009. Présidée au départ par Jean Bonnard, alors rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste, elle a aujourd’hui à sa tête Madame Christiane Favre, de Niouc, qui peut compter sur l’appui de 103 membres actifs. Il incombe à cette instance de prendre en quelque sorte le relais de la Fondation en contribuant à une divulgation plus large de la notoriété que méritent les vestiges de « l ’Imprenable ».
Gaëtan Cassina
Professeur honoraire de l’Université de Lausanne
Restitution château de Beauregard
©Ph.F. photo drone Papon

©J.-C. Moret
Château de Beauregard
REGARD ARCHÉOLOGIQUE : LE CHÂTEAU
Jean-Christophe Moret et Alessandra Antonini †
Beauregard « l’Imprenable »
Surnommé « l ’Imprenable », le château de Beauregard est perché à l’entrée du Val d’Anniviers, sur un étroit piton rocheux1 détaché de l’arête dominant Niouc (Fig. 1). Il est bordé sur trois côtés par le précipice ; à l ’est, cette « forteresse du vertige » est naturellement défendue par une arête effilée séparant l’éperon du reste de la crête. Du haut de ce nid d’aigle, la vue porte loin, jusqu’à une trentaine de kilomètres en direction du Bas-Valais. Le regard embrasse non seulement la région sierroise et l’entrée du Val d’Anniviers, mais tout le Valais central jusqu’au bourg médiéval de Saillon vers le couchant. Le site communiquait visuellement avec les châteaux de Valère et de Tourbillon comme avec ceux de Montorge et de La Soie au-dessus de Sion, sans oublier ceux de la région sierroise2 .
C ette situation, exceptionnelle en Valais, faisait de ce lieu un poste sans égal pour surveiller la contrée et un symbole ostentatoire de puissance. C’était également un refuge idéal où se barricader en période de crise, d’autant plus facile à défendre que le château est isolé car coupé de la montagne.
1 Ce piton, culminant à 1012 m d’altitude, est constitué de dolomie et de calcaire marmorisé (Atlas géologique de la Suisse, folio 1287 Sierre).
2 Granges, Chalais, Vieux-Sierre, Planzette, Géronde, Goubing, Venthône, Veyras.

Fig.1 Le piton rocheux de Beauregard. ©J.-C. Moret
ETAPE 1 : XIIe siècle ?
Origine et évolutions du château
On ignore à quelle date Beauregard fut bâti. Les fouilles effectuées de 2008 à 2011 ont révélé que le château a été construit en quatre étapes (Fig. 2) et qu’il a subi des réfections importantes entre le siège de 1387 et l’incendie final de 1417.
miroir : 11 x 18.5 cm
ETAPE 1 : XIIe siècle ?
L’élément le plus ancien est la tour-résidence3 (J), autour de laquelle s’articulent les autres parties du château. Cette tour-beffroi4 devait initialement se dresser seule sur l’éperon, sans enceinte. Il est impossible de la dater avec précision mais sa typologie permet de situer sa construction dans le courant du XIIe siècle ; l ’identité de ses constructeurs demeure inconnue5. Ce type de tour-beffroi, de plan quadrangulaire et aux murs massifs 6 , est en effet courant à l’époque féodale et romane, dans les Alpes occidentales
ETAPE 1 : XIIe siècle ?
ETAPE 2 : XIIIe siècle ?
2 : XIIIe siècle ?
ETAPE 2 : XIIIe siècle ?
et le sud-est de la France7. Elles étaient courantes en Valais mais nombre d’entre elles ont été détruites ou transformées. Seules quelques-unes sont parvenues plus ou moins intactes jusqu’à nous, comme celles de Chalais ou de Goubing dans la région de Sierre.
ETAPE 2 : XIIIe siècle ?
Dans un second temps, probablement dans le courant du XIIIe siècle, la tour forte est transformée en tour-logis et une porte est percée à la base de son angle sud-ouest pour en faciliter l’accès. C’est probablement à cette époque qu’on a taillé dans le roc une première citerne quadrangulaire8 (H) au pied du logis et ajouté une seconde tour défensive (R) sur la crête, pour renforcer la position et prévenir une infiltration par l’arête sud-ouest, certes très difficile mais possible.
ETAPE 3 : XIVe siècle ?
Fig.2 Étapes de construction du château de Beauregard.
ETAPE 3 : XIVe siècle ?
ETAPE 4 : fin XIVe / début XVe siècle
ETAPE 3 : XIVe siècle ?
3 Ce terme de tour-résidence, préconisé par J. Mesqui, est préférable à celui de donjon, dans la mesure où une place peut comporter plusieurs donjons correspondant à des réduits défensifs. Voir à ce propos J. Mesqui, op. cit. pp. 96 et suiv.
4 La tour-beffroi est l’équivalent de l’allemand Bergfried, tour exiguë et haute, destinée avant tout à la défense et à l’observation mais pouvant servir de réduit, qui assume également une fonction ostentatoire pour imposer le contrôle d’un seigneur sur une contrée. Voir à ce propos J. Mesqui, op. cit. pp. 96-105, en particulier p. 104 pour les nombreux parallèles de la région Rhône-Alpes.
5 On sait simplement que les seigneurs de Rarogne, derniers possesseurs de Beauregard, l’ont acquis par mariage avec une descendante de la famille des sires d’Anniviers, qui le tenaient peut-être des sires de La Tour-Châtillon ou des sires de Granges.
6 SPM VII, p. 203 (tour quadrangulaire romane) et SPMVII, p. 207 (tour-beffroi).
ETAPE 3 :
ETAPE 4 : fin XIVe / début XVe siècle
ETAPE 4 : fin XIVe / début XVe siècle
7 J. Mesqui, op. cit. pp. 100-101 pour les tours-beffrois rectangulaires provençales et pp. 104-105 pour celles de la région Rhône-Alpes. Comme le souligne J. Mesqui, p. 185, pour le XIIe siècle, on chercherait en vain des tours à plan circulaire au sud de La Loire : elles sont quasiment toutes de plan quadrangulaire. Le plan circulaire ne se généralise en France méridionale et en Suisse qu’à partir de 1200, sous l’influence des châteaux de Philippe-Auguste (J. Mesqui, op. cit., pp. 168169) et, pour le Valais, sous l’influence savoyarde. Celles de La Bâtiaz (1260-69), de Saillon (vers 1261-62) et de Saxon (1279-80) datent de la seconde moitié du XIIIe siècle. Il en va de même pour celles de la Vallée d’Aoste qui ont été datées par dendrochronologie : Châtel-Argent, 1261-1269 ; Bramafan, 1279-1286 ; Tour Neuve d’Aoste, 1270-1283 ; Montmayeur, 1272 ; Brissogne, 1285.
8 À Niouc, avant la construction de la conduite d’eau en 1908, l’eau de pluie était récoltée grâce à de nombreux puits creusés dans le sol près des habitations (Parcours historiques d’Anniviers, Éditions Monographic Sierre, 2014, p. 26).
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