Curiosités géologiques de la baie de Saint-Brieuc au Mont-Saint-Michel

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CURIOSITÉS GÉOLOGIQUES

la baie de Saint-Brieuc Mont-Saint-Michel de

au

Bernard Le Gall Martial Caroff

BRGM Éditions Éditions Apogée



Avant-propos

L

e présent guide est une invitation à découvrir des roches parmi les plus vieilles de France. Bien que le Massif armoricain corresponde pour l’essentiel à une chaîne de montagnes érigée au cours de la deuxième partie de l’ère paléozoïque, entre 360 et 300 millions d’années, il renferme dans sa partie nord-est un vaste ensemble de terrains plus anciens, déformés à la fin du Précambrien, entre 600 et 540 millions d’années. Les vestiges de cette chaîne antépaléozoïque sont magnifiquement exposés le long du littoral qui s’étend de la baie de Saint-Brieuc jusqu’à celle du Mont-Saint-Michel en passant par la Côte d’Émeraude.

La géologie de cette bande côtière se caractérise par sa diversité, ainsi que par la qualité des affleurements. Tous les grands types de roches — sédimentaires, volcaniques, plutoniques, métamorphiques — et de structures géologiques — cisaillements, plis, schistosités — peuvent y être observés dans d’excellentes conditions. On peut citer les laves en coussins des pointes du Roselier à Plérin [voir site n° 3] et de la Heussaye à Erquy [voir site n° 6] ; les Faluns tertiaires riches en fossiles de Tréfumel [voir site n° 11] ; les migmatites de Saint-Malo, utilisées pour les remparts de la ville [voir sites n° 15 et 16] ; et, bien sûr, les petits pointements granitiques du Mont-Dol [voir site n° 18] et du Mont-Saint-Michel [voir site n° 20], qui émergent des spectaculaires empilements sableux de la baie du même nom. Ces différentes formations géologiques ont été largement exploitées au cours du temps, comme en témoigne l’impressionnant patrimoine bâti de la région, dont les monuments préhistoriques, gallo-romains et médiévaux ne sont pas les moindres fleurons. Le littoral de la Côte d’Émeraude a aussi inspiré de nombreux peintres. Les rubriques correspondantes sont regroupées dans le chapitre « Des pierres et des hommes ». Les 22 sites remarquables de cet ouvrage sont autant d’occasions de promenades le long d’un littoral réputé pour ses prestigieux paysages naturels et monuments touristiques. La connaissance géologique de la côte offre une clé d’accès originale, qui permet de mieux apprécier la diversité des panoramas. L’abord des sites est en général aisé, le moins accessible étant la pointe du Roselier [site n° 3]. Il est indispensable de consulter l’annuaire des marées avant de les visiter, et aussi de tenir compte des marées décalées de la Rance pour les sites n° 12, 13 et 14.

* Les termes suivis d’un astérisque sont expliqués dans le lexique p. 102. 7


Sommaire • Avant-propos • Les grandes familles de roches et leur genèse • L’histoire géologique du Massif armoricain • Des pierres et des hommes • Les sites géologiques remarquables Une longue histoire de 400 millions d’années : l’unité de Saint-Brieuc N° 1 • La diorite de Saint-Quay-Portrieux N° 2 • La série sédimentaire de Binic à Plérin N° 3 • Les pillow-lavas de la pointe du Roselier N° 4 • Les conglomérats de Cesson à Langueux N° 5 • Les gneiss de Port-Morvan N° 6 • Les roches volcaniques d’Erquy N° 7 • Les grès rouges et les filons du cap Fréhel N° 8 • La diorite quartzifère de la pointe de la Latte Une croûte continentale en fusion : l’unité de Saint-Malo N° 9 • Plissement et cisaillement à la pointe de la Garde N° 10 • Les gneiss et les pegmatites de Saint-Jacut-de-la-Mer N° 11 • Les Faluns de Tréfumel N° 12 • Les métasédiments de Langrolay-sur-Rance N° 13 • Chantier naval sur socle plissé à La Landriais N° 14 • Les gneiss migmatitiques de La Richardais N° 15 • Les migmatites de Saint-Briac-sur-Mer N° 16 • Les rochers sculptés de Rothéneuf N° 17 • Le cisaillement de Cancale

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Un environnement sédimentaire unique au monde : la baie du Mont-Saint-Michel N° 18 • Le leucogranite du Mont-Dol et sa cornéenne N° 19 • Le massif granodioritique de Saint-Broladre N° 20 • Au Mont-Saint-Michel N° 21 • Les métasédiments plissés de la pointe du Grouin du Sud N° 22 • Les hermelles de Champeaux et la tourbe de Saint-Jean-le-Thomas • Un aperçu de la biodiversité de la côte d’Émeraude et de la baie du mont-saint-michel • Annexes • Lexique • Pour en savoir plus Menhir penché de la Thiemblaye (Saint-Samson-sur-Rance).

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Les grandes familles de roches et leur genèse


Les grandes familles de roches et leur genèse Formées d’un assemblage plus ou moins complexe de minéraux, les roches sont les constituants fondamentaux de l’écorce terrestre. Elles sont classées en trois grandes familles : les roches sédimentaires, magmatiques et métamorphiques.

• Les roches sédimentaires Les roches sédimentaires résultent de l’accumulation, puis de la cimentation de particules d’origine détritique* (galets, graviers, grains de sable), chimique ou biologique. Elles se forment donc à la surface de la Terre, par opposition aux roches profondes, magmatiques ou métamorphiques. Les sédiments transportés par le vent ou les cours d’eau se déposent en couches successives dans un bassin, généra-

lement aquatique (mer ou lac). L’enfouissement progressif des particules jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur transforme la succession sédimentaire en roche indurée par déshydratation, dissolution partielle et recristallisation. Bien qu’elles ne représentent que 5 % en volume de l’écorce terrestre, les roches sédimentaires en recouvrent environ

Falaises de craie du Pays de Caux (Seine-Maritime).

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Fossile d’ammonite, coll. R. Coueffé (Calvados).

75 % de la surface. Parfois riches en fossiles, elles peuvent être faillées* ou plissées* lors des événements tectoniques* postérieurs à leur formation.


Les sites gĂŠologiques remarquables


sites géologiques remarquables

La diorite de SaintQuay-Portrieux

Chaos de blocs de diorite de Saint-Quay-Portrieux (Port-Goret, Tréveneuc).

L

a formation plutonique de Saint-QuayPortrieux est principalement de nature dioritique, avec quelques enclaves de

gabbro. Cette roche, intrusive dans la formation sédimentaire de Binic [voir site n° 2], est Pour s’y rendre Quitter la D 786, entre Plouha et Saint-QuayPortrieux, à la hauteur de Tréveneuc. Prendre la direction de PortGoret. Au bout de la route, se garer sur le parking et descendre sur la grève.

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formée de grands cristaux de plagioclase et d’amphibole parfaitement identifiables à l’œil nu. Son âge est estimé à 575 millions d’années.

Détail de la diorite, montrant les grands cristaux de plagioclase et d’amphibole.


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site n° Diorite à grain grossier et migmatite de contact La grève de Port-Goret à Tréveneuc expose de beaux affleurements de la formation de Saint-Quay-Portrieux. Le chaos qui affleure au pied de la falaise à gauche invite à un premier arrêt minéralogique. On reconnaît aisément les plagioclases blancs et les amphiboles noires de la diorite. En suivant la grève vers l’ouest, on atteint la zone de contact entre le pluton et la formation de Binic. Constituée de grès fins à quartz, plagioclase, mica et chlorite, la série sédimentaire a subi un intense broyage tectonique sur une longueur de coupe d’une quarantaine de mètres. Au-delà, les

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Roche sédimentaire (formation de Binic) près du contact avec le pluton dioritique, traversée par des filonnets indicateurs d’une fusion partielle.

couches sédimentaires, orientées nord-est – sud-ouest, sont très redressées (pendage de 70°) et localement recoupées par des failles décrochantes sénestres. Elles sont traversées par des lentilles et des filonnets blancs de direction variable, parfois plissés. Ces structures à quartz et feldspath évoquent les leucosomes des migmatites, c’est-à-dire

Saint-Quay-Portrieux tient son nom de Saint-Ké, un ermite du vie siècle originaire du Pays de Galles. Un beau jour, son auge de pierre accosta dans une anse de Saint-Quay-Portrieux. Les lavandières qui besognaient à cet endroit, prises de panique, le rouèrent de coups. Heureusement, la Vierge vint en aide au pauvre religieux en faisant jaillir une source qui lui permit de soigner ses blessures. La fontaine miraculeuse est de nos jours abritée par une petite pyramide de pierre, bâtie au xixe siècle. À voir également

la partie d’une roche métamorphique qui a subi une fusion à la suite d’une forte augmentation de température. Celle-ci étant due à l’intrusion de la diorite, nous serions en présence d’une « migmatite de contact ». Ce faciès confère à la coupe de Tréveneuc un caractère tout à fait exceptionnel.

Photographie ancienne de touristes en pèlerinage à la fontaine de Saint-Ké.

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sites géologiques remarquables

Le cisaillement de Cancale

Leucogranite schistosé, en position très redressée, à l’extrémité nord de la pointe du Grouin à Cancale.

C’

est un roc ! C’est un pic ! C’est un cap ! Que dis-je ? C’est une péninsule ! ». De la pointe du Grouin à Cancale —

qui n’aurait pas déplu à Cyrano — on embrasse d’un seul coup d’œil l’ensemble de la baie du Pour s’y rendre À Cancale, prendre l’avenue de la Côte d’Émeraude, puis continuer vers la pointe du Grouin et se garer sur un des nombreux parkings. Pour rejoindre PortBriac, revenir vers Cancale et, au rondpoint du camping Bel-Air, prendre à gauche la rue du stade jusqu’à croiser la rue de Port-Briac.

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Mont-Saint-Michel. Cette morphologie littorale résulte de l’érosion différentielle entre d’une part les roches métamorphiques et granitiques de l’unité de Saint-Malo, particulièrement résistantes, et d’autre part les roches sédimentaires briovériennes de l’unité de Fougères, aux dépens desquelles s’est développée la baie. Intense déformation et étirement selon une direction pentée au nord-est (pointe du Grouin).


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site n°

Fusion crustale et déplacement tectonique vertical

Fines passées granitiques blanchâtres dans les gneiss migmatitiques à l’est de la pointe du Grouin.

L’ossature de la pointe du Grouin à Cancale est dominée par une roche grenue claire à quartz, feldspath, biotite et muscovite. C’est un leucogranite, contenant localement de fins niveaux sombres enrichis en biotite. Ces structures sont interprétées comme des reliques de migmatites. Sur le flanc est de la pointe, affleurent des gneiss migmatitiques. Leur rubannement, très redressé, est parallèle à des plans de foliation

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Anciennes roches sédimentaires briovériennes montrant une alternance très serrée de lamines de grès et de pélites, en position verticale (plage de Port-Briac).

dont la direction N20°E confère à la pointe son orientation générale. Par endroits, la déformation du leucogranite est très intense, marquée par un fort étirement selon un axe penté d’environ 50° vers le nord-est. Cette structuration est le reflet d’un important accident tectonique régional : la branche occidentale du cisaillement PlouerCancale. Une seconde branche de cet accident met en contact vers l’est les unités de Saint-Malo et de Fougères.

À Port-Briac, on retrouve le leucogranite cisaillé. Il montre des structures sigmoïdes traduisant le caractère sénestre de l’accident, auquel on attribue aussi la remontée de l’ensemble du compartiment occidental. L’intrusion est en contact avec une formation métasédimentaire briovériennne. Ses belles alternances de grès et de pélites sont en position verticale et ont une direction N20°E. Bisquine La Cancalaise à Brest 2008 – © Fanny Schertzer (CC-BY 2.5).

À voir également

Draguer des huîtres sur un vieux gréement en bois… Telle était la tradition à la fin du xixe siècle en baie du Mont-Saint-Michel. Voiliers de travail puissants et porteurs d’une insolente surface de toile, les bisquines de Cancale formaient une impressionnante armada – ou « caravane » – de 400 unités. La Cancalaise, mise à l’eau en 1987, en est une réplique récente. Embarquement possible au port en saison d’été.

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Un environnement sédimentaire unique au monde : la baie du Mont-Saint-Michel Quinze mètres de marnage (cinquième rang mondial), 250 km2 d’estran découvert à basse mer, cinq milliards de mètres cubes d’eau transitant à chaque marée de vives eaux, 400 à 700 km3 de sédiments remaniés par an : ces chiffres impressionnants témoignent du caractère exceptionnel de la baie du MontSaint-Michel, l’un des sites de référence pour la sédimentation en contexte estuarien. La configuration actuelle des dépôts sédimentaires accumulés dans la baie est le résultat d’une évolution postglaciaire qui a démarré il y a environ 10 000 ans par une remontée des eaux marines : la transgression* dite flandrienne. À cette époque, la ligne de rivage s’étendait cinq kilomètres plus au sud, le long de la falaise granitique de SaintBroladre. L’île du MontDol était alors ceinturée d’eau ou de marais, au gré des fluctuations du niveau marin.

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Trois cycles successifs de haut et bas niveaux marins sont enregistrés dans les sédiments déposés dans la baie au cours de cette période holocène. L’épaisseur de la pile sédimentaire décroît rapidement vers le large, passant d’une vingtaine de mètres au niveau du marais de Dol à quelques mètres à la latitude de Cancale. L’organisation générale de ces dépôts est sous le double contrôle des courants de marée et de trois petits fleuves côtiers — la Sée, la Sélune et le populaire Couesnon — qui alimentent en matériel détritique le fond de la baie au sudest. Aux premiers, on attribue l’édification de barres sableuses sousmarines, d’orientation nord-ouest – sud-est parallèle au sens des courants. La vitesse décroissante de ces courants vers l’intérieur de la baie, perturbée au nord-ouest par l’éperon rocheux sous-marin de Cancale, entraîne la diminution de la taille des sédiments depuis le large vers le littoral :


Le Mont-Saint-Michel.

Distribution des sédiments superficiels dans la baie du Mont-Saint-Michel, modifié d’après Augris et al. (2008).

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