Rire à pleines dents. Six siècles de satire graphique

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Le rire est une arme qui s’exerce contre toutes les formes de pouvoir. De Weiditz à Ungerer en passant par Goya et Hogarth, cet ouvrage propose une découverte de leurs images de ­critique sociale et politique. Par-delà les siècles, les dessins se confrontent en dialogues, parfois inattendus, toujours percutants, et déroulent une histoire de l’illustration satirique du Moyen Âge à nos jours. Par leur qualité graphique, ils s’inscrivent dans le champ de l’histoire de l’art, par leur audace, ils réaffirment l’importance de la liberté d’expression.

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Rire à pleines Dents

Six siècles de satire graphique

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Prestiges de la satire Martial Guédron

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LA PETITE FABRIQUE DE L’IMAGE SATIRIQUE

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CONTRE-POUVOIRS

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LA FEMME DANS TOUS SES ÉTATS

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LE THÉÂTRE DU MONDE

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RIRE ET FAIRE PEUR

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Tomi Ungerer, un rire de notre temps Thérèse Willer

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Bibliographie

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« Rire à pleines dents. Six siècles de satire graphique » est une exposition précieuse à tous points de vue. Non seulement elle va permettre au public de découvrir l’étendue et la diversité d’un registre graphique insuffisamment reconnu, mais elle lui donnera aussi à voir les multiples formes visuelles que la liberté d’expression a prises au cours des siècles et jusqu’à nos jours. Son origine est à chercher très loin dans le temps, sans doute à l’Antiquité, et peut-être même à des périodes plus reculées. Connu dans l’opinion publique pour sa diffusion dans la presse, le dessin satirique a aussi été diffusé sur bien d’autres supports, qui vont de la feuille volante au livre et à l’estampe. Il a été porté par des artistes anonymes ou célèbres, dont le style graphique est parfois aux antipodes. Au nombre de ceux qui sont emblématiques de ce registre dans la seconde moitié du xxe siècle, il y a bien sûr Tomi Ungerer. En effet ses posters of protest sont devenus des icônes absolues du dessin politique. Il semble évident que le musée éponyme, qui porte aussi le titre de Centre international de l’Illustration, s’attache à présenter une exposition consacrée à ce thème. Outre la raison, évidente pour le musée, de proposer au public un sujet passionnant, encore peu étudié et exposé, il en est une autre, qui relève de l’évidence : sa portée éducative. Une telle présentation est essentielle dans le monde d’aujourd’hui, car elle va éclairer la jeune génération sur l’importance de la liberté d’expression. Dans un parcours qui explore les procédés, les supports et les thématiques du dessin satirique, et dont ce catalogue se fait l’écho, deux cent œuvres originales et documents prêtés par diverses institutions en Europe témoignent de l’enthousiasme que ce projet a soulevé dès son annonce. Je tiens à saluer et remercier toutes celles et tous ceux ayant participé à l’élaboration de cette exposition, et en premier lieu les nombreux prêteurs ainsi que les deux commissaires, Martial Guédron, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Strasbourg, et Thérèse Willer, conservatrice en chef du musée Tomi Ungerer-Centre international de l’Illustration. Jeanne Barshegian Maire de Strasbourg

Si la satire graphique a longtemps intéressé la sociologie, ­l’anthropologie ou l’histoire, elle a mis en revanche du temps à intégrer les champs d’investigation de l’histoire de l’art. Les travaux d’Ernst Gombrich, Ernst Kris, Werner Hofmann ou Michel Melot, qui se sont interrogés sur les liens que ce registre, jusqu’alors jugé mineur, entretient avec l’art, ont ouvert la voie aux chercheurs. De nos jours, un nombre croissant d’universitaires et de conservateurs de musées et de bibliothèques se préoccupe de valoriser le dessin satirique. Les collections des institutions patrimoniales s’ouvrent ainsi progressivement à la satire graphique qui jusqu’alors était l’apanage presque exclusif des départements d’arts graphiques ou des bibliothèques. L’histoire de la satire graphique remonte à l’Antiquité. Elle s’est exercée au cours des siècles sous différentes formes, qui vont du dessin d’humour au pamphlet et au dessin de presse. Entre rire, ricanement, dérision, provocation et farce, elle a exercé son pouvoir expressif avec plus ou moins de violence selon les événements et les époques. Que le musée Tomi Ungerer  – Centre international de l’Illustration se penche sur l’évolution du dessin satirique et tente d’en décrypter les procédés et les thématiques, ne va pas surprendre : Tomi Ungerer s’inscrit en effet dans l’histoire de ce registre des arts graphiques au même titre que d’autres grands dessinateurs. En prenant l’initiative de cette présentation, le musée comble une lacune : plus aucune exposition sur ce thème n’avait été organisée dans une institution publique française depuis celle de Michel Melot, « Le dessin d’humour du XVe siècle à nos jours », à la Bibliothèque nationale de France en 1971. En revanche le sujet a largement été montré dans d’autres pays européens, sans compter le Royaume-Uni et les États-Unis. Des musées comme le Wilhelm Busch Deutsches Museum für Karikatur & Zeichenkunst à Hanovre ou le Cartoon Museum de Bâle y travaillent même de manière constante depuis des décennies et dépassent sans complexes la frontière entre high et low. L’historien Bertrand Tillier souligne que le langage plastique de la satire graphique est « … un jeu perpétuel de glissements et de décalages entre l’objet codifié, ses formes et ses fonctions nouvelles. » La preuve en est désormais faite dans « Rire à pleines dents. Six siècles de satire graphique ». La déformation, l’exagération, la disproportion, la métamorphose sont autant d’éléments constitutifs du dessin satirique. Les œuvres originales, tout comme les documents et ouvrages provenant de nombreuses institutions patrimoniales et de collections privées européennes, présentés dans cette exposition, en dressent une cartographie diversifiée. Des grands noms, entre autres Blechman, Bosc, Callot, D ­ aumier, Doré, François, Gillray, Goya, Granville, Grosz, Hogarth, ­Hoppmann, Rowlandson, Sajtinac, Searle, S ­ teinberg, Ungerer, Vallotton, Weiditz, ainsi que des artistes demeurés anonymes, en illustrent le cheminement à travers six siècles. D’un trait également puissant, ils témoignent avec éclat de la vitalité d’un genre graphique en passe d’acquérir ses lettres de noblesse. Ils témoignent surtout de la liberté d’expression, si souvent menacée au cours du temps, et qui aujourd’hui doit être défendue plus que jamais. Nous tenons ici à exprimer notre plus vive gratitude à Thérèse Willer, conservatrice en chef du musée Tomi Ungerer – Centre international de l’Illustration, et à Martial Guédron, professeur d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg. L’idée de cette exposition leur revient et celle-ci bénéficie dans une large mesure d’une complicité intellectuelle de longue date. Ils en ont assuré le commissariat avec toutes les qualités que nous leur connaissons : la compétence, la détermination et l’enthousiasme. Notre reconnaissance va également à l’ensemble des équipes des Musées de la Ville de Strasbourg, dont nous saluons ici l’implication. Paul Lang Directeur des Musées de la Ville de Strasbourg

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Prestiges de la satire

«Vous voyez donc, mes pères, que la ­moquerie est quelquefois plus propre à faire revenir les hommes de leurs égarements, et qu’elle est alors une action de justice. » Blaise Pascal Les Provinciales 11e lettre, 18 août 1656

parfois la « férocité grossière »2, n’était-il pas, à la fin de sa vie, atteint de troubles mentaux? N’a-t-on pas, au nom de la raison d’État, fait passer Honoré Daumier, dont le père était mort à l’asile de Charenton, pour un fou ? André Gill n’a-t-il pas terminé ses jours dans le même établissement ? Sans toujours aller jusqu’à de telles extrémités, les commentateurs regardent souvent le satiriste comme un individu qui déroge au bon goût et au bon ton, aux conduites mesurées, à la civilité, son « trait » étant assimilé à une forme d’injure, voire, surtout quand il se manifeste à travers l’image, à une agression physique. Il est vrai qu’il est commode, pour échapper aux représailles, de feindre l’égarement, ou, comme l’a fait Érasme, de faire parler la folie à sa place. Un aspect particulier de la satire graphique est qu’elle navigue entre différents registres, tant sur le plan des thèmes que sur celui de ses formes, empruntant certains de ses codes figuratifs à la scène de genre, au portrait, à l’allégorie, voire à la peinture religieuse, allant jusqu’à parodier l’illustration de faits divers, les emblèmes, l’image scientifique et les cartes de géographie. Comme le caractère foncièrement polysémique du langage visuel s’en trouve accru, la satire graphique réclame des clarifications ou des spécifications verbales, recourant pour cela aux titres, aux légendes ou aux phylactères, sans s’interdire, là encore, d’en user avec esprit et fantaisie. De ses origines à ses développements les plus passionnants, l’histoire de la satire est marquée du sceau de l’indignation et de l’agressivité contre ce qui est honni et redouté. Une de ses tactiques consiste à viser au corps avec violence : inversion, démembrement, dépravation, hybridation sont ses procédés habituels, en passant volontiers par la scatologie. Au xvie siècle, les artistes impliqués dans le combat qui oppose les réformateurs aux autorités catholiques emploient fréquemment de tels expédients. Ainsi, en 1545, dans une des gravures illustrant l’opuscule de Luther Abbildung des Papstum, Lucas C ­ ranach l’Ancien montre le pape Paul III à califourchon

L’origine du mot « satire » a été rapportée au latin satura, signifiant « mélangé » ou « composite », puis à un type de poésie apparu à Rome, principalement dans les écrits d’Horace et de Juvénal. Au livre X de son Institution oratoire, Quintilien affirme cette prépondérance des Latins dans ce genre littéraire qui dénonce certains comportements humains et certaines catégories d’individus. Le mot entre ensuite en usage pour désigner des écrits en prose ou en vers destinés à critiquer et à tourner en ridicule, soit directement, soit indirectement, la bêtise, la méchanceté, les passions déréglées, la veulerie, la morgue et l’indécence d’institutions, de groupes sociaux, de collectivités et d’individus aussi redoutés que détestés. À la fin du Xᴠɪɪe siècle, le Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne de Pierre Richelet atteste l’usage de « satirique », « satiriquement » et « satiriser » qu’il associe au «mordant», au «piquant» et à la «médisance»1. Peut-être parce que l’image est perçue comme plus nocive que le texte, les définitions des dictionnaires paraissent n’avoir longtemps reconnu que la forme écrite de la satire. Les notions d’image, de gravure ou d’estampe satirique apparaissent néanmoins dans les écrits sur l’art à partir du xviiie siècle, tant en français qu’en anglais (satirical print), en allemand (satirisches Bild) ou en italien (stampa satirica). Enfin, en 1835, dans sa sixième édition, le Dictionnaire de l’Académie française définit la caricature comme une des formes de l’image satirique, sans toutefois donner de précisions sur ses autres aspects. En contrecoup, le doute est jeté sur le satiriste lui-même, soupçonné, comme paraît le suggérer une étymologie factice qui relie « satire » et « satyre », d’être un individu aux manières rudes, un colérique, un impulsif, un 1 être lubrique aux limites de la folie. Le poncif ne manque pas de cas fameux : James Gillray, 2 dont les admirateurs eux-mêmes déplorent 211021_Rire_BaT_Bonbon.indd 9

Pierre Richelet, Dictionnaire françois : contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, ses expressions propres, figurées et burlesques, la prononciation des mots les plus difficiles, le genre des noms, le régime des verbes, Genève, J.-H. Widerhold, 1680, p. 346. Armand Dayot, « Deux grands humoristes anglais : J. Gillray et Th. Rowlandson », L’Art et les artistes : revue mensuelle d’art ancien et moderne, t. XI, avril-­septembre 1910, p. 155.

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André François

(Timișoara, Roumanie, 1915  – Grisy-les-Plâtres, France, 2005)

In the Ring (Sur le ring) dessin pour Lilliput, 1950 Encre de Chine et aquarelle sur papier beige, 34 × 27 cm Strasbourg, musée Tomi Ungerer  –  Centre international de l’Illustration

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Tomi Ungerer

(Jean Thomas Ungerer, dit) (Strasbourg, France, 1931  – Cork, Irlande, 2019)

Sans titre dessin pour The Underground Sketchbook vers 1960 Encre de Chine, crayon de papier et crayon de couleur sur papier blanc, 25,6 × 29,7 cm Strasbourg, musée Tomi Ungerer  –  Centre international de l’Illustration

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Friedrich Karl Waechter

(Dantzig, Allemagne, 1937  – Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 2005)

Tomi Ungerer

(Jean Thomas Ungerer, dit) (Strasbourg, France, 1931  – Cork, Irlande, 2019)

Sans titre dessin pour Tomi Ungerer’s Compromises vers 1970 Encre de Chine sur papier calque, 35,3 × 27,9 cm Strasbourg, musée Tomi Ungerer  –  Centre international de l’Illustration

Otto Plumpsack und Tante Mili dessin pour Wahrscheinlich guckt wieder kein Schwein, 1978 Encre de Chine, 28 × 26 cm Strasbourg, musée Tomi Ungerer  –  Centre international de l’Illustration (acquisition réalisée avec l’aide du FRAM Grand Est, 2011)

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Roland Topor (Paris, France, 1938−1997)

Sans titre s.d. Encre de Chine et plume sur papier blanc contrecollé sur Canson noir, 27 × 20,5 cm Strasbourg, musée Tomi Ungerer  –  Centre international de l’Illustration (don Galerie Bartsch & Chariau, 2017)

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Le rire est une arme qui s’exerce contre toutes les formes de pouvoir. De Weiditz à Ungerer en passant par Goya et Hogarth, cet ouvrage propose une découverte de leurs images de ­critique sociale et politique. Par-delà les siècles, les dessins se confrontent en dialogues, parfois inattendus, toujours percutants, et déroulent une histoire de l’illustration satirique du Moyen Âge à nos jours. Par leur qualité graphique, ils s’inscrivent dans le champ de l’histoire de l’art, par leur audace, ils réaffirment l’importance de la liberté d’expression.

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