Les Jésuites et la Chine

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Les jĂŠsuites et la Chine

BenoĂŽt Vermander jĂŠsuite français, directeur de l’Institut Ricci Ă TaĂŻwan, est professeur Ă l’UniversitĂŠ d’État Fudan Ă Shanghai. Essayiste, il est par ailleurs poète, calligraphe et peintre.

ISBN : 978-2-87299-225-6

9 782872 992256

12 â‚Ź

Diffusion : cerf www.editionslessius.be

BenoĂŽt Vermander

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epuis leur fondation, les jĂŠsuites entretiennent des rapports privilĂŠgiĂŠs avec la Chine. Unique en son genre, cet ouvrage offre une vue d’ensemble de cette longue histoire. Il met en ĂŠvidence le choc identitaire et culturel que les jĂŠsuites furent les premiers Ă vivre en terre chinoise. En prĂŠsence d’une civilisation raffinĂŠe, ils ont ĂŠtĂŠ amenĂŠs Ă inventer des nouvelles mĂŠthodes d’apostolat : s’adapter aux coutumes locales, maĂŽtriser la langue, gagner les ĂŠlites par leurs compĂŠtences scientifiques. Ces mĂŠthodes d’apostolat indirect, qui firent des jĂŠsuites les premiers diffuseurs de la culture chinoise en Europe, restent d’actualitĂŠ. Sans faire l’impasse sur les ĂŠvĂŠnements tragiques vĂŠcus au XXe siècle par les chrĂŠtiens chinois, l’auteur souligne la chance que constitue le dialogue inĂŠvitable entre l’empire du Milieu et l’Occident.

LES JÉSUITES ET LA CHINE

De Matteo Ricci Ă nos jours

BENOĂŽT VERMANDER

LES JÉSUITES ET LA CHINE De Matteo Ricci à nos jours

ACADÉMIE DES SCIENCES D’OUTRE-MER

PRIX AUGUSTE PAVIE 2013

Petite Bibliothèque JÊsuite


Collection « Petite Bibliothèque Jésuite » dirigée par Yves Roullière et Pierre Sauvage s.j. Les jésuites ont participé à la naissance et à l’évolution des Temps modernes. Dès leurs débuts jusqu’à nos jours, il est peu de domaines où ils n’aient laissé leur empreinte. Cette collection se propose de présenter les multiples facettes de cette tradition. Constituée d’une sélection de thèmes reconnus comme étant spécifiques aux jésuites, elle couvre trois champs : la vie spirituelle, la mission, la culture. DANS LA MÊME COLLECTION :

François Euvé, Mathématiques, astronomie, biologie et soin des âmes. Les jésuites et les sciences Mark Rotsaert, Les Exercices spirituels. Le secret des jésuites

© 2012 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Petite bibliothèque jésuite ISBN : 978-2-87299-225-6 D 2012/4255/11 Diffusion : cerf


TABLE DES MATIÈRES Ouverture ………………………………………… I. Cartographes de mondes nouveaux (1552-1700) …………………………………… Aux portes des « Merveilles » ……………… Les débuts : l’élan de François Xavier …… Matteo Ricci ………………………………… Les successeurs de Ricci …………………… La langue et la pensée ……………………… Des astres et des canons ……………………

II. De la carte au territoire (1700-1775) ………… Retour sur les mathématiciens du Roi …… Les Lettres édifiantes et curieuses et la Description de Du Halde …………… Amiot et la fin de la première mission …

III. La seconde mission (1842-1949) ……………

7 11 14 17 19 30 45 49 57 61 69 71 77

Le partage des territoires …………………… 79 Jiangnan : la pax catholica ………………… 82 Hebei : rebelles et martyrs ………………… 88 La reprise du projet sinologique ………… 90 Études et la Chine …………………………… 93 Teilhard de Chardin ………………………… 96 Jésuites américains en Chine ……………… 101

IV. Après 1949 : un corps démembré …………… 107 Le démembrement ………………………… 107 La Passion des jésuites chinois …………… 114 Le tournant du Concile …………………… 120 Un dialogue (pas encore vraiment) renoué … 125 Finale ?

…………………………………………… 131

Index des personnes ……………………………… 135 Bibliographie ……………………………………… 141



OUVERTURE Tous me disent que de Chine on peut aller jusqu’à Jérusalem. S’il en est comme on me l’a dit, je l’écrirai à votre sainte Charité et je lui indiquerai le nombre de lieues que cela fait, et combien de temps il faut pour les parcourir. François Xavier à Ignace de Loyola Goa, 9 avril 1552. Si je vais en Chine je vais me trouver dans l’un de ces deux lieux : ou je serai captif dans une geôle à Canton, ou je serai à Pékin où, diton, réside le roi. François Xavier aux compagnons jésuites en Europe, Sancian, 12 novembre 1552.

Au moment de s’embarquer pour la Chine depuis les rivages indiens sur lesquels il s’est replié lors de son retour du Japon, ressurgit dans l’esprit de François Xavier le rêve de Jérusalem, si cher aux premiers compagnons jésuites◊. Le lecteur d’aujourd’hui s’étonne un peu de lire que « tous » assurent à Xavier que la route est praticable. En ◊¥J’ai évoqué ce rêve récurrent de François Xavier (1506-1552) dans Le Dieu partagé, pp. 69-71. Le présent ouvrage débute là où ce livre prenait fin.


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1602, on demandera bien à un frère jésuite, Bento de Góis (1562-1607), en mission à la cour de l’empereur moghol Akbar, de tenter le parcours par l’Asie centrale, pour voir si l’on peut faire l’économie du long et périlleux périple maritime. Au prix de peines immenses, il gagnera bien la Chine, mais il aura juste le temps de recommander à l’émissaire de Matteo Ricci qui l’assiste sur son lit de mort de ne pas recommencer l’aventure. La mention de Jérusalem par François Xavier établit Pékin en vis-à-vis de la Cité sainte ; il fait de la capitale chinoise comme un nœud eschatologique de la mission évangélique. Au Japon, il a entendu célébrer la sagesse et la science chinoises, il y a reconnu le point de résistance à surmonter absolument s’il veut convaincre les Japonais de la véracité du message qu’il porte : quelle pourrait être la valeur, lui avait-on dit, de cet Évangile que les Chinois ignorent ? La Chine acquiert ainsi teneur presque mythique. Pékin est la Jérusalem de l’Asie. En même temps, affirmer qu’une route relie l’une et l’autre capitale c’est esquisser déjà une cartographie nouvelle des grands itinéraires spirituels qui traversent et partagent le monde. François Xavier meurt sur l’îlot de Sancian◊ le 3 décembre 1552, sans qu’il ait pu débarquer sur le continent qui l’avoisine. Mais il laisse en héritage un rêve – le rêve double du martyre et d’une ◊¥En romanisation pinyin : Shangchuan. Sauf raisons motivées par l’usage, le pinyin sera le système de romanisation utilisé au cours de l’ouvrage.


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conquête de la Chine sur un modèle « constantinien » par la conversion de l’Empereur. Dans l’écart qui sépare la vision originaire de Xavier des longs détours qui vont la suivre, se donne à lire le rapport passionnel de l’ordre jésuite avec la terre et la culture chinoises : le rêve esquissé par Xavier, poursuivi, élargi, parfois trahi dans les méandres des entreprises qui suivirent, instaure une relation privilégiée entre un « territoire de mission » et la compréhension que la Compagnie de Jésus se forge d’elle-même. La Chine, telle que la vivent et la relatent les missionnaires qui s’y succèdent, parle aux jésuites de ce pour quoi ils furent créés et de ce qu’ils sont appelés à être. L’alliage culturel qui s’est produit entre la spiritualité de l’ordre fondé par Ignace et ses compagnons, et l’esprit de l’Europe moderne, va donner au choc identitaire et culturel expérimenté en terre chinoise par la Compagnie une portée plus universelle. Au travers de la circulation des lettres et Relations émanant des jésuites résidant en Chine, c’est l’Europe entière qui va s’interroger sur les catégories par lesquelles elle se comprenait et dessinait en miroir la figure de l’Autre. Si, vers la fin du XVIIIe siècle, les jésuites commencent à perdre le quasi-monopole qu’ils exerçaient sur la « sinologie » naissante, ils resteront les témoins privilégiés du système d’échange établi entre des modes de pensée et des codes symboliques ancrés dans des mémoires qui, peu à peu, ne pourront plus s’ignorer l’une l’autre.


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Esquisser l’histoire qui a lié et lie encore « les jésuites » et « la Chine », c’est donc explorer deux mémoires : celle d’un ordre religieux qui a fait de la Chine un enjeu central pour son autocompréhension et sa mission, et celle d’une civilisation qui fut amenée à se reconnaître « une parmi d’autres » entre des outils et des cheminements intellectuels proposés par ces hommes venus d’ailleurs. C’est aussi s’arrêter sur une médiation culturelle par laquelle l’Europe comme la Chine ont redéfini leur vision de l’universel et du particulier, et déterminé entre elles et avec le reste du monde des rapports de conflit et de coopération. En retraçant les détours de la présence jésuite en Chine et de ce qu’elle y suscita pour chacun, les pages qui suivent tentent de penser ce qui s’est joué, et peut-être se joue encore aujourd’hui, au fil d’une aventure tout à la fois démesurée et indécise.


I CARTOGRAPHES DE MONDES NOUVEAUX (1552-1700)

« Une carte n’est pas le territoire », écrit en 1933 Alfred Korzybski, fondateur de la sémantique générale. S’il avait été émis au XVIe siècle, cet aphorisme – qui pointe vers l’écart existant entre nos cadres épistémiques et la fluide réalité des phénomènes dont ils ont vocation à rendre compte – n’aurait guère rencontré d’écho. Pour les jésuites d’alors (lesquels étaient formés selon la division aristotélicienne des savoirs, et – qui plus est – se trouvaient être témoins et acteurs d’une aventure maritime par laquelle l’orbe du monde était tracé et ses richesses recensées), la cartographie était science maîtresse. L’art de la perspective comme les instruments d’optique participaient des moyens apostoliques utilisés : « Ils ne peuvent se lasser d’admirer le fait que ces horizons profonds avec routes, porches, cours, colonnes et tant d’autres choses puissent être rendus sur la surface absolument plane d’une toile, et si proches de la réalité que plusieurs, à distance, en sont confondus», écrit


EMPIRE MOGHOL

BIRMANIE

KACHGAR TIBET

TURFAN MONGOLIE

TARTARIE

EMPIRE RUSSE

Macao

Shaozhou Zhaoqing

Nanjing

Nanchang

Beijing

JAPON

Villes de résidence de Matteo Ricci

Grande Muraille de Chine

Dynastie des Ming

CORÉE

TOUNGOUSSES

La Chine des Ming et ses voisins


Cartographes de mondes nouveaux

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Ferdinand Verbiest (1623-1688) à propos des Chinois confrontés aux peintures occidentales◊. Dans le cursus d’études jésuites de l’époque, l’art de la perspective est considéré comme une branche des mathématiques, aux côtés de la géométrie, de la cosmographie ou de la géographie. Tracer une carte, et faire usage à cet effet des ressources combinées de la géométrie et de la perspective, c’était bien faire surgir un territoire nouveau. Et la cartographie de l’Empire constituera le « projet coopératif » par excellence entre missionnaires et Chinois. L’opération cartographique peut servir de métaphore pour celles réalisées en d’autres domaines du savoir : les traités, lettres, Relations alertaient leurs destinataires sur l’existence de continents de pensée qu’ils ignoraient jusqu’alors. De la fin du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les jésuites qui parviennent en Chine jouent le rôle de cartographes : pour ceux d’où ils viennent comme pour ceux vers lesquels ils arrivent, ils tracent les cartes de territoires que les uns et les autres auront à s’approprier. Dès son entrée en Chine, Matteo Ricci (1552-1610) établit avec des lettrés chinois une carte du monde qu’il enrichira et corrigera jusqu’à la fin de sa vie ; ses écrits apologétiques et scientifiques fonctionnent comme des itinéraires choisis dans les « sciences occi◊¥«Astronomia Europaea », dans The Astronomia Europaea of Ferdinand Verbiest, S.J. (Dillingen, 1687), p. 426. Les références bibliographiques sont rassemblées à la fin de l’ouvrage.


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Les jĂŠsuites et la Chine

BenoĂŽt Vermander jĂŠsuite français, directeur de l’Institut Ricci Ă TaĂŻwan, est professeur Ă l’UniversitĂŠ d’État Fudan Ă Shanghai. Essayiste, il est par ailleurs poète, calligraphe et peintre.

ISBN : 978-2-87299-225-6

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BENOĂŽT VERMANDER

LES JÉSUITES ET LA CHINE De Matteo Ricci à nos jours

BenoĂŽt Vermander

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epuis leur fondation, les jĂŠsuites entretiennent des rapports privilĂŠgiĂŠs avec la Chine. Unique en son genre, cet ouvrage offre une vue d’ensemble de cette longue histoire. Il met en ĂŠvidence le choc identitaire et culturel que les jĂŠsuites furent les premiers Ă vivre en terre chinoise. En prĂŠsence d’une civilisation raffinĂŠe, ils ont ĂŠtĂŠ amenĂŠs Ă inventer des nouvelles mĂŠthodes d’apostolat : s’adapter aux coutumes locales, maĂŽtriser la langue, gagner les ĂŠlites par leurs compĂŠtences scientifiques. Ces mĂŠthodes d’apostolat indirect, qui firent des jĂŠsuites les premiers diffuseurs de la culture chinoise en Europe, restent d’actualitĂŠ. Sans faire l’impasse sur les ĂŠvĂŠnements tragiques vĂŠcus au XXe siècle par les chrĂŠtiens chinois, l’auteur souligne la chance que constitue le dialogue inĂŠvitable entre l’empire du Milieu et l’Occident.

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