Le pape noir genèse d'un mythe

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Le pape noir

Genèse d’un mythe

LE PAPE NOIR

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FRANCK DAMOUR

LE PAPE NOIR Genèse d’un mythe

Franck Damour

e ÂŤ pape noir Âť est le dernier avatar du ÂŤ mythe jĂŠsuite Âť ou de l’ anti-jĂŠsuitisme Âť militant. Ce mythe naĂŽt au XVIe siècle avec la Compagnie de JĂŠsus elle-mĂŞme, dont la nouveautĂŠ intrigue d’emblĂŠe. Rapidement, les jĂŠsuites sont soupçonnĂŠs d’exercer un pouvoir d’influence occulte, d’agir dans l’ombre. Croyances, lĂŠgendes, images viennent nourrir le mythe qui prend vite une tournure politique. Au cours du XIXe siècle, se produit une mutation : le mythe verse dans le fantasme du complot. Et c’est dans ce contexte qu’apparaĂŽt la figure du pape noir, manière de qualifier le gĂŠnĂŠral des jĂŠsuites, qui cristalliserait en sa personne un pouvoir absolu. Ă€ partir de la seconde partie du XXe siècle, le mythe perd de sa vigueur, bien qu’il soit toujours prompt Ă ĂŞtre rĂŠactivĂŠ suivant les besoins. Pourquoi s’intĂŠresser Ă ce mythe qui eut la peau dure ? Le rĂŠcit de son ĂŠvolution permet certes de rappeler les ĂŠvĂŠnements auxquels les jĂŠsuites ont ĂŠtĂŠ mĂŞlĂŠs. Il aide surtout Ă comprendre comment et pourquoi des personnes cultivĂŠes comme des gens du peuple ont eu besoin de soupçonner ce groupe de religieux d’être derrière les plus grands complots de l’histoire. Cet ouvrage très documentĂŠ retrace la genèse et les ĂŠtapes de cet interminable procès d’intention.

Franck Damour Historien, essayiste, il co-dirige en France la revue Nunc. ISBN : 978-2-87299-233-1

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Diffusion : cerf www.editionslessius.be

Petite Bibliothèque JÊsuite


Collection « Petite Bibliothèque Jésuite » dirigée par Yves Roullière et Pierre Sauvage s.j. Les jésuites ont participé à la naissance et à l’évolution des Temps modernes. Dès leurs débuts jusqu’à nos jours, il est peu de domaines où ils n’aient laissé leur empreinte. Cette collection se propose de présenter les multiples facettes de cette tradition. Constituée d’une sélection de thèmes reconnus comme étant spécifiques aux jésuites, elle couvre trois champs : la vie spirituelle, la mission, la culture. DANS LA MÊME COLLECTION :

François Euvé, Mathématiques, astronomie, biologie et soin des âmes. Les jésuites et les sciences, 2012 Mark Rotsaert, Les Exercices spirituels. Le secret des jésuites, 2012 Paul Valadier, Rigorisme contre liberté morale. Les Provinciales : actualité d’une polémique antijésuite, 2013 Benoît Vermander, Les jésuites et la Chine. De Matteo Ricci à nos jours, 2012 Du même auteur : Olivier Clément : un itinéraire, Anne Sigier, 2003. Qu’avons-nous fait de l’au-delà? Fragments d’un discours interrompu sur les urnes funéraires, Bayard, 2011. © 2013 Éditions Lessius, 24, boulevard Saint-Michel, 1040 Bruxelles www.editionslessius.be Petite bibliothèque jésuite ISBN : 978-2-87299-233-1 D 2013/4255/7 Diffusion : cerf


TABLE DES MATIÈRES

Introduction ………………………………………

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I. Lorsque les « compagnons » deviennent des « jésuites » (XVIe siècle) …………………………

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II. Quand l’État moderne emboîte le pas des jésuites (XVIIe-XVIIIe siècles) ……………………

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III. Au temps des sociétés secrètes (Fin XVIIIe siècle-début XIXe) ……………………

53

IV. Les jésuites contre la liberté des peuples (1840-1880) ……………………………………

73

V. À l’heure des méta-complots (1850-1940) ……

89

VI. La fin d’un mythe? (Depuis les années 1950) … 115 Conclusion ………………………………………… 123 Index thématique ………………………………… 131 Index des personnes ……………………………… 133 Bibliographie ……………………………………… 139



INTRODUCTION

« Qu’on ne s’imagine pas cependant que les Jésuites n’ont commencé que du temps d’Ignace ; c’est un Jésuite qui présenta à Ève la pomme fatale, [que] son mari ne mangea que par le conseil d’un Jésuite ; c’est un Jésuite qui fournit à Caïn l’épée avec laquelle il tua le pauvre Abel, parce que ce dernier commençait à se méfier des Jésuites ; et je ne sais pas trop si ce Lucifer, qui osa combattre contre Saint Michel, n’était pas un Jésuite travesti◊. » C’est ainsi qu’un libelle anonyme du XVIIIe siècle décrit l’action historique – et même mythologique – des jésuites. Un libelle parmi des milliers : dès la moitié du XIXe siècle, on pouvait en dénombrer plus de 1500 dont l’influence s’est prolongée bien après. Ainsi, dans une chronique du 10 juillet 2012 sur une radio française d’information continue, un journaliste dressant le portrait de Ravaillac, assassin en 1610 d’Henri IV, fait de ce dernier, sans sourciller, un disciple des jésuites, ◊¥Le Jésuite errant, ou Lettre du P. Alphonse, Jésuite Portugais, au Général de son Ordre à Rome avec les Réponses de ce dernier, sur la conspiration de Lisbonne et ses effets. Traduit de l’italien par Ch*** D.E.S.R.T.S., à Rome, aux dépens de la Société s.d. [1761], cité par Christine Vogel dans Les Antijésuites, p 509. [Pour les références complètes ici et plus loin, voir la bibliographie en fin de volume.]


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Introduction

écho assourdi mais tenace d’une accusation vieille de plus de quatre siècles et maintes fois démentie. Assassin d’Abel ou d’Henri IV, usant de ruse et de fourberie, ennemi du genre humain, tel est le « jésuite éternel » accusé de bien des maux, et parfois de tous les maux que subissent les peuples du monde entier. Le mythe jésuite, cet ensemble de légendes, de croyances et d’images véhiculées à travers les siècles sur la Compagnie de Jésus, a surtout été un mythe du « pouvoir d’influence » (ce qu’on appelle aujourd’hui le soft power). En valorisant la trop grande et malsaine intelligence des jésuites, il dénonçait leur art de la ruse, leurs arguties complexes, leur ambition sans fin. Pouvoir d’influence, mais aussi pouvoir occulte, tant les jésuites ont longtemps incarné la capacité à agir dans l’ombre. Le mythe sert à décrire les moyens utilisés par les jésuites pour conquérir et maintenir cette puissance secrète. À quoi ressemblent ces jésuites « mythiques » ? Ils forment un corps organisé comme un système militaire, tenu par une obéissance absolue de ses membres (au nom de la fameuse formule « perinde ac cadaver » : « comme s’ils étaient des cadavres »), lié au pape par un vœu de soumission spécial et dirigé par un personnage qui suscite bien des fantasmes de puissance : le Préposé général, couramment appelé « Général des jésuites » et impudemment taxé de « pape noir ». Attachée à la réputation de ruse et d’habileté qui colle encore à la peau des


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jésuites (mais avec bien plus de bienveillance qu’autrefois), la figure du pape noir est la seule trace du mythe jésuite encore un peu visible de nos jours. S’il est moins connu que le mythe du complot juif ou franc-maçon, le mythe jésuite – en fait le mythe anti-jésuite – fut celui qui mobilisa le plus opinions publiques et élites dès la naissance de la Compagnie de Jésus au XVIe siècle jusqu’à la moitié du XXe siècle, et au-delà dans certains pays. On ne mesure plus l’ampleur de cette phobie et de cette haine, et la lecture des pages innombrables consacrées au sujet, remplies de fantasmagories qui n’ont d’égal que la peur qui les a suscitées, ne manque pas d’étonner. Nous nous efforcerons de montrer qu’il est légitime d’y voir la première théorie moderne du complot qui servit de modèle aux complots judéo-maçonnique ou judéo-bolchevique. Se pencher sur le mythe du complot jésuite ne relève donc pas d’une simple curiosité historique. Il s’agit bien d’essayer de comprendre comment et pourquoi des personnes cultivées, éclairées – ce mythe fut avant tout un mythe « savant » –, ont pu véhiculer des mensonges aussi grossiers sur la supposée puissance politique d’un groupe de religieux. Car ces accusations caricaturales, formulées avec plus ou moins d’esprit (elles en étaient été la plupart du temps dépourvues), ont eu des répercussions concrètes : les jésuites ont été expulsés, jugés, parfois exécutés.


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Introduction

Ce mythe a eu aussi un impact sur la vie politique. Une mentalité complotiste s’en est nourrie qui a imprégné les mœurs politiques pendant plusieurs générations, avec un point culminant au XXe siècle. Autant que l’idéologie, la logique du complot a été un moteur de l’action des régimes totalitaires. En 1844, pour répondre aux diatribes de l’historien Michelet, le P. de Ravignan, jésuite, affirme que, dans ses fameuses Lettres provinciales où se déploie la plus grande critique en règle de la morale jésuite, « Pascal a fixé le dictionnaire de la calomnie ». Ce jugement a souvent été partagé par les historiens du mythe jésuite. En effet, un accablant sentiment de redites et de vacuité ne manque pas de saisir le lecteur qui parcourt les principaux écrits sur la question du XVIe siècle à nos jours ! Et pourtant, si les stéréotypes ont la vie dure, s’ils semblent imperturbablement traverser les siècles, ils naissent et se développent dans des contextes précis. Le mythe jésuite a bel et bien une histoire dont les accents changent selon les lieux et les moments, tout comme l’intensité, la forme, la densité de l’information et, surtout, la qualité de l’information… D’abord très localisé, le mythe jésuite est passé à une échelle mondiale, et c’est pourquoi, tel un miroir inversé, il raconte aussi l’histoire de son temps. Nous allons traverser quatre siècles d’une histoire qui commence avec la naissance de la Compagnie de Jésus en 1540, au moment de la


Introduction

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Réforme protestante, aux débuts de l’expansion européenne dans le monde entier. Les jésuites ont largement accompagné cet essor de la modernité, ils en ont été souvent des artisans, parfois des opposants, jusqu’à la suppression de leur Ordre en 1773 par la papauté, sous la pression des États absolutistes européens. Alors qu’elle survit souterrainement, la Compagnie trouve refuge dans la Russie orthodoxe et la Prusse luthérienne. Rétablie en 1814 par le pape Pie VII, l’Ordre fait un retour chaotique durant le XIXe siècle, ponctué d’expulsions, et parfois de persécutions, les jésuites ayant souvent fait le choix de lutter contre la modernité politique et morale. Au XXe siècle, la Compagnie connaît encore la persécution sous les régimes totalitaires, dictatoriaux, mais aussi une reconnaissance : c’est le siècle du déclin relatif de la légende noire de la Compagnie de Jésus qui ne l’avait pas quittée depuis ses débuts. Notre enquête suit ces trois grands moments. En soulignant les inflexions, et parfois les tournants, de cette histoire, on tentera de comprendre les raisons qui ont suscité la création du mythe du pape noir. Exercice périlleux, où il faudra à chaque fois rappeler la réalité face au mythe, faire la part du vrai et du faux, car, comme tout mythe de ce genre, il n’est pas né de rien. Dans l’histoire de la Compagnie de Jésus, bien des éléments existent pour y greffer de pures spéculations puis des mensonges. En d’autres temps, l’auteur aurait adressé au lecteur une invitation à être particulièrement


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