Bruxelles culture 15 mai 2019

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THÉÂTRE : UN GRAND AMOUR Déni d’amour et génocide nazi sont repris dans cette pièce du Rideau de Bruxelles mise en scène pour la seconde fois au Théâtre des Martyrs. Elle est jouée avec force et talent par Janine Godinas, qui nous entraîne comme une vipère dans sa confession ambiguë. Frau Stangl vient donc s’asseoir dans le fauteuil cossu de son salon à São Paulo, au Brésil, et suite à sa rencontre avec une journaliste anglaise venue l’interroger sur son mari mort en prison, elle se lance dans une longue confession qui tient la salle en haleine. Son monologue la force peu à peu à répondre à ses propres questions. Savait-elle ce que faisait son mari Franz durant les années de guerre ? Savait-elle qu’il était le commandant en chef des camps de Sobibor et de Treblinka en Pologne, où furent gazés près de neuf cent mille Juifs ? Et si elle le savait, pourquoi n’a-t-elle pas rompu avec lui ? Pourquoi ne lui a-t-elle pas demandé de choisir entre Treblinka et leur couple, entre Treblinka et leurs enfants ? La force de ce monologue (et de son actrice Janine Godinas, qui joue comme une vipère dans l’ambiguïté de la confession), c’est de nous laisser dans l’incertitude. Quand on aime, c’est toujours de façon excessive, en laissant le bénéfice du doute à l’autre. En l’acquittant à l’avance du mal qu’il a fait. Pas sûr que le texte de Nicole Malinconi, l’auteur du roman mis en scène, ait été respecté dans son intégralité avec une question cruciale qui apparaît en préambule, ou avec des syncopes dues peut-être à l’actrice qui se lance à corps perdu dans la confession, mais la pièce vaut mille fois la peine qu’on s’en approprie le contenu. Qu’on la digère et qu’on y réfléchisse. Cette vieille femme a été la complice passive d’un génocide abominable. Elle s’est rendue coupable des crimes de son mari, qu’elle n’a pas voulu voir. Qu’elle a feint d’ignorer. Qui la mettaient mal à l’aise. Ses silences la trahissent peu à peu. Ils laissent deviner sa culpabilité qu’elle a avouée à un curé complaisant au début de la guerre. On perçoit ses regrets – mais jusqu’où vont-ils ? – dans la confession qu’elle nous livre. Oui, le temps passant, elle aurait dû s’opposer plus fermement à son mari et lui dire qu’il commettait l’irréparable. Qu’il se transformait en une bête inhumaine, bouffi par l’alcool qu’il devait prendre pour se voiler la face sur les crimes qu’il perpétrait en tortionnaire. Mais elle ne l’a pas fait. Elle s’est cantonnée dans les apparences. Dans sa vie de femme bourgeoise attendant chaque soir le retour de Franz pour l’aimer. Et pour protéger son foyer et ses enfants. Elle s’est construit une bonne conscience. C’est ce déni d’amour qui est au cœur de la pièce de Nicole Malinconi, et qui nous saisit aux tripes. Les criminels sont-ils capables d’exprimer un regret profond et sincère sur leurs actes ? Ont-ils le sens de la responsabilité ? A voir de toute urgence et pour quelques jours encore au Théâtre des Martyrs jusqu’au 12 mai 2019. Voyez tous les détails pratiques sur le site www.theatre-martyrs.be Place des martyrs, 22 à 1000 Bruxelles Michel Lequeux


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