Les mineurs isolés vus de Belgique
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Eléments de contexte en Europe et dans le monde
n Europe, l’émergence de la catégorie « mineurs non accompagnés » remonte à la fin des années ‘90. À partir du Traité d’Amsterdam (1999), l’immigration et l’asile deviennent une compétence européenne : la politique commune va consister à verrouiller progressivement les voies d’immigration régulière dans l’UE, à l’exception des demandeurs d’asile et des mineurs non accompagnés, considérés comme particulièrement vulnérables. Cette situation provoque une visibilité de plus en plus grande des mineurs isolés.
fêté ses trente ans d’existence en 2019. Pourtant, ce que nous vivons actuellement dans les centres d’accueil met en lumière une dichotomie entre une conception protectrice du mineur en danger et une représentation problématique de l’étranger mineur. Le premier, comme tout enfant, bénéficie de la protection de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et de la Résolution du Conseil de l’Union européenne du 26 juin 1997 relative aux mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers . Le second, quant à lui, est confronté, comme tout demandeur d’asile adulte, au dispositif légal d’accès au territoire du pays concerné.
L’UE n’ayant pas prévu de statut juridique particulier pour ces mineurs, la plupart des pays européens associent leur prise en charge à la condition préalable d’être demandeur d’asile. Quelques Etats, dont la France, l’Espagne et, dans une moindre mesure, la Belgique et l’Italie, appliquent un autre modèle : le postulat de la Convention internationale des Droits de l’Enfant est qu’en l’absence d’autorité matérielle et morale des parents, c’est l’Etat où le mineur se trouve qui doit assurer sa protection. Cela implique une procédure d’identification et d’évaluation de la minorité. Cela implique aussi la recherche d’une « solution durable » en accord avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela implique enfin une transition progressive vers l’autonomie.
Plusieurs de ces enjeux posent des questions sérieuses en Belgique.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a
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L’évaluation de l’âge
Les méthodes de détermination de l’âge sont problématiques. « Les tests osseux réalisés sur les jeunes migrants sont très imprécis sur la tranche d’âge où ils sont le plus utilisés : les 16-18 ans. Pourtant, les autorités s’appuient largement dessus pour décider de l’avenir de milliers d’entre eux. En l’absence de toute directive européenne, les cas sont très variables. La méthode de détermination de l’âge osseux est pratiquée en Belgique, Finlande, Lituanie, France, Norvège ainsi qu’aux Etats-Unis. Aux Pays-Bas, la radiographie de la main ou du poignet doit toujours être complétée d’une radiographie de la clavicule. En Norvège,
l’examen n’est autorisé que dans certaines circonstances. En Allemagne ou en Grèce, l’estimation de l’âge peut être réduite à l’appréciation visuelle au cours de l’entretien. En Autriche, c’est toute une combinaison d’examens qui sont réalisés depuis 2010. Dans certains pays comme au Royaume-Uni, les tests osseux sont interdits. » •
La procédure de protection
La procédure, initialement basée sur la cohérence du récit, reste subjective et, dans les circonstances actuelles, rend l’accès à la protection de plus en plus difficile. L’interprétation et l’application de l’article 3 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant posent question : dans l’intérêt supérieur de qui ? Depuis la crise de l’accueil de 2015, nous constatons que les procédures de protection sont de plus en plus instruites à charge et visent l’exclusion. « La complexité des parcours et la vulnérabilité des personnes sont reléguées au second plan face à l’établissement d’une vérité fragile. Les procédures tendent à réduire les vies de chacun de ces jeunes à quelques allégations, contradictions et imprécisions. Elles se réduisent souvent, aujourd’hui, à fermer l’accès
16 Magazine mensuel Dounia News - juin 2021
à la protection du plus grand nombre. » La suspicion est la règle, renforçant les troubles anxieux des plus vulnérables et fragilisant leur capacité à s’inscrire sur une ligne du temps cohérente. Or, c’est précisément la (non)cohérence du récit qui permet, dans la plupart des cas, de disqualifier la demande de protection. Cela peut être une scolarisation dans le pays d’origine qui ne correspond pas à l’âge allégué, par exemple, ou un parcours migratoire qui ne répond pas à ce que les évaluateurs savent de ces parcours ; à l’inverse, ce peut être un récit qui semble trop lisse, comme récité sur les conseils de passeurs. Mais ce peut être aussi l’impossibilité pour un jeune de se représenter mentalement les lieux où il a vécu, ou son incapacité à répondre à des questions inattendues sur la récolte des melons, la présence de la rhubarbe dans son environnement, la durée de gestation ou de production laitière des vaches… Si bien sûr, il est indéniable que certains jeunes, très mal conseillés, soient amenés à travestir leur véritable parcours, d’autres sont régulièrement victimes de malentendus linguistiques, culturels et contextuels. L’instruction à charge retiendra ces éléments contre eux. Les recours, surtout dans les chambres néerlandophones, sont tellement réputés voués à l’échec que bon nombre d’avocats renoncent aujourd’hui à les introduire.