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L’exil intérieur ������������������������������������������������������������������������������������������������������������
by DouniaNews
Mustapha Bentaleb
En vertu du principe de précaution, je me retrouve éloigné de la Chambre. Je vis mon exil de bonne grâce, même si au-delà de la charge poétique, le terme recouvre souvent une réalité âpre. L’exil intérieur est un repli sur soi, un territoire ambigu où l’on retrouve les sédiments de notre propre histoire et de notre imaginaire. C’est sans grand effort que ma réflexion s’est excentrée pour embrasser un environnement plus large. Pour Albert Jacquard, généticien et philosophe, on n’existe qu’à travers le regard de l’autre... Communauté de destin, chaque élément importe autant que le tout. On prend alors conscience de ce que l’écume que nous sommes doit à la vague, et ce que le temps long doit aux événements et à leurs contingences.
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Partant de cette conscience de soi et des autres, mes engagements prennent forme.
Une pensée aux transmigrants m’est venue tout naturellement, ces frères et sœurs d’un exil encore plus périlleux dont les aspérités sont faites de déchirures, de fractures, de drames, d’isolement, de grands moments de solitude qui surplombent bien des précipices. L’immigration est une action limitée dans le temps et ce mouvement est lié autant aux nécessités de quitter un lieu qu’aux opportunités du lieu d’arrivée, et ces deux pôles seront toujours en tension.
Ces tensions d’abord lointaines et diffuses sont arrivées jusque dans mon quartier de résidence. Suite aux crises successives des migrants qui ont traversé toute l’Europe, la décennie précédente a vu émerger un ensemble d’initiatives citoyennes d’accueil de ceux que certains appellent avec beaucoup de tendresse les amigrants. L’une d’elles, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés gère un centre d’hébergement de nuit, la Porte d’Ulysse qui accueille près de 350 personnes. Ce centre d’hébergement devait quitter ses installations temporaires de Haren et avait négocié une occupation de courte durée dans un bâtiment désaffecté à deux cent mètres de chez moi. L’installation dans leurs nouveaux locaux était prévue en avril 2020 et la réunion d’information organisée à l’attention des habitants fit apparaître des clivages importants au sein des participants. Une partie de la salle justifiait ses réticences aux projets sur la base de ses craintes de voir une croissance de l’insécurité, de l’insalubrité, des nuisances et troubles au voisinage. Certains évoquèrent même le risque de voir dévaluer le patrimoine immobilier du quartier. Cet exercice d’anticipation ne pouvait déboucher que sur un catalogue de préjugés. L’autre partie de l’assistance évoquait les valeurs humanistes et des droits de l’homme affranchis des arguties juridiques au profit d’un devoir moral d’assistance à toute personne en danger ou dans le besoin. Car qu’importe, l’histoire qui a amené ces femmes et ces hommes à nous côtoyer pour que leur réalité s’impose brusquement à nous, nous interpelle, et vient troubler notre confort. En ces lieux de solidarité, l’altérité n’est plus une problématique qui échappe à l’entendement mais un projet de société…
