Petites grivoiseries

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Collectif d'auteurs

Petites grivoiseries Attention, les textes et illustrations présents dans ce recueil à caractère érotico-pornographique sont réservés à un public averti (adulte)

Collection Dix de Plume

Editions Maruja Sener


DANS LA COLLECTION DIX DE PLUME : - Mensonges et boniments (janvier 2009) - Psychopathes et Compagnie (avril 2009) - Petites Grivoiseries (avril 2009)

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Image de couverture : création Pascale Risbourg pour K-LOU DESIGN 12 rue Bochart de Saron - 75009 PARIS http://www.k-loudesign.com/ - info@k-loudesign.com

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ISBN : 978-2-917368-17-6 Copyright © Maruja Sener, Collection « Dix de Plume », 2009

http://dixdeplume.free.fr/ Achevé d'imprimer le 10 avril 2009 Dépôt légal : 2e trimestre 2009 Droits réservés Textes sous Licence Creative Commons by-nd


TABLE DES MATIERES

1/ Nouvelles Rumeurs par Macha Sener ................................................9 Soif d'amour par Stéphane Thomas ...............................27 Psychodrame par Jacques Païonni et Macha Sener .........49 Conférence particulière par Monique-Marie Ihry ........71 Rose de Noël par Macha Sener ......................................83 2/ Poèmes Petit soldat par Jean Gualbert ......................................103 Ma gourmandise par Laura Vanel-Coytte ..................105 « I » par Évariste de Saint-Germain ...............................107 Virevolte en corolle par Monique-Marie Ihry .............109 Acrostiches par Laura Vanel-Coytte ...........................111 Abîme musical par Monique-Marie Ihry .....................113 Rime interdite par Stéphane Thomas ...........................115 Petit chaperon rouge par Jacques Païonni ...................117 Champ' par Jacques Païonni ..........................................119 Fille de paille par Jacques Païonni ................................121 Attente délicieuse par Monique-Marie Ihry ................123


Vierge de toi par Monique-Marie Ihry .........................125 Dentelles par Jacques Païonni .......................................127 L'amour en auto par Jacques Païonni ..........................129 Il était une fois par Monique-Marie Ihry .....................131 Éros tique par Jacques Païonni .....................................137 Abel et l'infirmière par Jacques Païonni ......................141 Rapt à la vie par Monique-Marie Ihry ..........................143 LES AUTEURS................................................147


Nouvelles



Rumeurs par Macha Sener

C'est toujours pareil le vendredi ! Il reçoit dix appels de surexcités agressifs, qui insistent pour qu'il passe bien à l'heure... et quand il arrive, ils sont tous en retard ! Johnny fait la tête, son casque de moto sous le bras, en attendant qu'on lui remplisse sa sacoche d'enveloppes et de colis qu'il doit porter au bureau de poste. Tiens, voilà l'hystérique qui lui a hurlé dans les oreilles au téléphone cet après-midi que c'était « hyper urgent », « le pli du siècle » – comme toutes les semaines – et qui arrive avec vingt minutes de retard, échevelée, le rouge au front et entourée d'une âcre odeur de mauvaise sueur et de stress. C'est de la faute de son imprimante, mais oui, bien sûr... mais Johnny n'en a rien à faire de son imprimante, ni de son ordinateur, ni même de son courrier, d'ailleurs. Et puis il y a le grand brun toujours impeccable, avec ses costards hors de prix, Simon. Des gestes lents, une voix posée, une belle gueule de premier de 9


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la classe. Un qui est né dans la soie, celui-là. Johnny préfère l'ignorer, même quand Simon insiste pour lui poser ses enveloppes entre les mains, au lieu de les mettre sur le comptoir de l'accueil. Même quand Simon lui demande, le regard suppliant, de penser à lui... et à son courrier. De toute façon, tout arrivera à temps au guichet, il le sait. Il n'a pas besoin de s'inquiéter pour ça. Il s'inquiète juste de savoir si aujourd'hui la jolie Vanessa viendra, elle aussi, avec un paquet ou une enveloppe à expédier. Elle est si jolie, Vanessa, et elle sent si bon, elle. Le cœur de Johnny bat à tout rompre. La voilà, légère et souriante, aérienne. Vanessa. Si jeune, si fraîche. Johnny la regarde venir, du bout du couloir. Elle ne marche pas, elle danse. Elle ne sourit pas, elle illumine. Elle ne parle pas, elle chante... Et elle le regarde. Johnny ne peut pas soutenir le regard de la jeune femme. Il baisse la tête, fixe la moquette, en espérant ne pas rougir. Mais c'est raté, et plus il sent sa peau le brûler, plus il souhaite mourir de honte. Mais Vanessa ne s'en préoccupe pas, elle dépose juste ses enveloppes, l'ombre de son sourire, et s'en va... Johnny relève la tête pour la regarder partir. De dos aussi, elle est bien jolie... C'est Antoine, le 10


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préposé de l'accueil, brutalement :

qui

brise

ses

rêveries

— Rêve pas ! T'es pas son genre. — Moi ? Attends, je sais bien... Et elle non plus, c'est pas mon genre. — Ouais... À d'autres ! Je te vois changer de couleur tous les vendredis quand elle arrive. — Boh. Pfou. T'façon je lui ai jamais parlé. Et je lui parlerai jamais. — Et tu feras bien, parce qu'elle n'est pas pour toi la Vanessa. Johnny s'assombrit. Il sait bien qu'elle n'est pas pour lui. Depuis quand un ancien taulard comme lui, un paumé balafré, cassé par la vie et tatoué des deux bras, pourrait approcher une fille comme elle ? Si ça ne lui comprimait pas autant le coeur, il en rirait, même, tiens... — Elle n'est pas libre, la Vanessa. Paraît qu'elle a une affaire. Le cœur comprimé de Johnny commence à se fendre. — Paraît qu'elle sort avec le grand Simon, là. Ben tiens, tu l'as vu, il était là juste à l'instant. — ... — En tout cas, il doit pas s'emmerder, le cochon... 11


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Avant qu'Antoine puisse continuer ses commentaires, Johnny ramasse sa sacoche, et s'enfuit plus qu'il ne s'en va. Son cœur n'est plus fendu. Il a explosé maintenant. En milliers d'éclats douloureux. Vanessa. Sa Vanessa. Dans les bras d'un autre. Non jamais, jamais il n'avait imaginé une telle horreur. Et pourtant, c'est logique. Oui, elle a bien le droit de vivre, de s'amuser, de prendre du bon temps... De grandir. D'aimer... Et c'est bien un garçon comme lui qu'elle mérite. Un beau mec, plein de blé, et d'avenir. Oui, c'est bien. C'est normal. C'est juste... Ce n'est plus de l'indifférence, maintenant, que Johnny ressent pour le beau Simon. C'est de la haine. Il dépose les plis, les enveloppes, les colis et la sacoche à la Poste comme dans un brouillard dense de désespoir. Il rentre chez lui complètement au radar. Il n'a pas faim. Pour plusieurs semaines. Il n'a plus de notion du temps, refuse l'idée même de parler à quelqu'un, d'entendre une voix. Il s'assoit sur son canapé, devant son poste de télévision éteint, et ne peut plus réprimer les images, précises, torturantes, qui envahissent son esprit. Les images des mains de Simon sur la peau douce de 12


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Vanessa. Des mains caressantes, entreprenantes, de cet autre homme, qui s'approprie le corps de la jeune femme. De sa Vanessa. Johnny n'a pas besoin d'y être. Il n'a même pas besoin de fermer les yeux, pour imaginer les caresses, les baisers. Cette si jolie bouche qui lui souriait tout à l'heure, écrasée par la bouche de Simon... Ces petits seins dressés sous le chemisier, pétris par les mains de Simon... Ces jambes nerveuses, écartées par le genou de Simon. Johnny lutte contre les cauchemars. Mais c'est plus fort que lui, la jalousie se mêle à ses propres désirs et il passe toute la nuit à imaginer cet autre, ce rival, posséder petit à petit tout le corps, objet de ses fantasmes. Dans l'imagination douloureuse du coursier, Simon lèche et caresse, et profite des mains et de la bouche de la femme, et la possède par ici et par là, et en jouit et la fait crier de jouissance. Sa Vanessa, débordante d'un désir qu'il ne partagera jamais, et ruisselante d'un plaisir qu'il ne lui donnera jamais. C'est injuste, c'est insupportable... Est-ce que ça pleure un mec des rues, tout tatoué et tout cassé ? Un type de trente et un ans, mais qui en paraît presque cinquante pour en avoir passé quelques-uns à l'ombre ? Oui. Ça pleure. * 13


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Au petit matin, Johnny se lève de son canapé. Il a l'âme fripée, les vêtements froissés. Heureusement qu'on est samedi matin, finalement il est content d'aller à l'entraînement de boxe. Ça va lui faire du bien. Arrivé à la salle de sport, Johnny se rend compte que ses mâchoires, crispées pendant toute la nuit, lui font mal. Il ne peut même pas desserrer les dents, et c'est par des hochements de tête qu'il se fait comprendre. Heureusement, ses sparring-partners ne sont pas des gens très bavards, et l'entraînement commence comme d'habitude. Johnny imagine que c'est Simon, là, en face de lui sur le ring... Il frappe, il cogne, et ça lui fait du bien. Un deuxième partenaire se présente, et Johnny l'assomme d'un uppercut du gauche. Trop rapide. Il préfère quand ça craque, il préfère la souffrance. Au troisième massacre, ses compagnons de boxe envoient Johnny se calmer sur un sac de sable, plutôt que de continuer de leur démonter la tête de sa rage et de sa colère. Alors Johnny se défoule sur le sable, et petit à petit, commence à se sentir mieux... * Dans son joli petit appartement propre et coquet, Vanessa attend son amant. 14


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Elle porte des dessous très coquins, sous un déshabillé affriolant. Elle se sent d'humeur polissonne, et s'est enveloppée d'un parfum capiteux. Impatiente et lascive, elle se surprend, dans son attente, à se caresser furtivement. Enfin ! La sonnette de la porte retentit. Vanessa vérifie par l'œilleton l'identité du visiteur avant d'ouvrir la porte et d'exposer son déshabillé vaporeux. Oui, c'est lui, c'est Roland. Roland. Monsieur Dupont-Aignan, le chef du service du personnel. Un homme marié. Et pas à Vanessa. Évidemment. Vanessa se pend à son cou, se presse tout contre lui. Mais Roland n'a pas l'air vraiment d'humeur. Il a l'air sombre des mauvais jours. Comme les jours où il lui explique qu'il ne quittera pas sa femme tout de suite. Seulement quand le bon moment sera venu. Et qu'en attendant, il faut rester discret. Aujourd'hui, il lui demande si la rumeur d'une liaison entre Vanessa et Simon a bien été lancée au bureau, comme il le lui avait demandé. Il ne s'agirait pas que sa femme ait des soupçons, et comme ces derniers temps ils n'ont pas toujours été aussi prudents qu'ils auraient dû... Mais oui, elle est lancée la rumeur. Mais non, Simon n'a pas démenti. D'ailleurs,

c'est

un

peu

surprenant,

mais 15


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probablement qu'il a été plutôt flatté, le joli-cœur, de cette liaison que maintenant tout le monde lui prête avec la plus jolie fille de la boîte. Et Vanessa aimerait bien qu'on parle d'autre chose que de la boîte, justement. Et de quelqu'un d'autre que de Simon. Et si on parlait du divorce ? Mais le mot honni fait blanchir Roland, qui remet sur ses épaules le manteau qu'il avait failli enlever. Aussitôt, Vanessa revient en arrière. Non, non, n'en parlons pas. — Tiens, assieds-toi. Tu veux boire quelque chose ? — Je n'ai pas le temps. — Allons, puisque tu es là.... détends-toi. Attends, je vais t'aider à enlever ton pardessus. — Décidément, quand tu veux quelque chose, toi ! — Oh... Allez... juste un petit câlin... Vanessa glisse sa main sous la ceinture du chef du personnel. Qui s'installe plus confortablement dans le canapé. Vanessa le caresse doucement, tout en le déshabillant. Il a bientôt son pantalon sur les chaussures. Elle se met à genoux devant lui et le prend dans sa bouche. Il se laisse faire, se laisser aller, voluptueusement. Vanessa le connaît par cœur, par mains, par bouche, depuis des mois maintenant, et 16


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elle met toutes ses connaissances à profit pour lui donner un maximum de plaisir. Elle veut qu'il l'aime, qu'il reste, elle veut lui devenir indispensable... Bientôt, il met ses mains sur la tête de Vanessa et l'écarte d'un geste nerveux. Il descend sur la moquette à son tour, tout en la poussant pour la retourner. Sans ménagement, il attrape les fesses de sa maîtresse et la pénètre sans un mot. Les genoux à vif depuis trop longtemps sur la moquette, Vanessa qui n'est pas dans une position très confortable essaie de se dégager, mais c'est trop tard. Ahanant et gémissant, Roland besogne sans se préoccuper du plaisir de sa partenaire. Vanessa, totalement déconcentrée par l'inconfort de sa situation, se résigne. Tant pis pour son plaisir, ce ne sera pas pour cette fois-ci... Dès qu'il a terminé, Roland se relève, légèrement chancelant, et se rhabille rapidement. Il se dirige vers la porte. Vanessa, encore défaite et ruisselante de sperme, s'accroche à sa manche. — Mais où vas-tu ? — Je rentre chez moi. — Tu ne veux pas rester un peu ? — J'étais venu te dire que c'était terminé. Je ne reviendrai pas. — Quoi ? Mais tu as changé d'avis, là, maintenant... non ? 17


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— Pourquoi aurais-je changé d'avis ? Tu n'as eu que ce que tu cherchais. Et moi je ne veux pas d'ennuis. — Mais je t'aime ! — Allez, arrête... Pas d'enfantillages s'il te plaît. Regarde un peu comment tu t'habilles, et tu parles de sentiment ? Si tu veux du respect, conduis-toi autrement. — ... — Il faut que je m'en aille, maintenant. Et ne fais pas de scandale au bureau. Avec les rumeurs qui circulent sur ton compte, de toute façon personne ne te croira. Tu as tout à perdre et rien à gagner. La porte claque sur Roland. Vanessa s'effondre derrière le chambranle. Salie. Humiliée. Après une longue douche, pendant laquelle elle lave minutieusement chaque centimètre de sa peau qui a été ou aurait pu être touché par Roland, elle passe le reste de la soirée un paquet de mouchoirs à la main, à se demander ce qu'elle a fait de mal, ce qu'elle aurait dû dire, ce qu'elle aurait dû taire. Comment aurait-elle dû s'y prendre, et pour obtenir quoi ? Est-ce que Roland aurait pu l'aimer, d'une façon ou d'une autre ? C'est injuste, c'est insupportable... Et une ravissante idiote, naïve et délurée à la fois, 18


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est-ce que ça pleure ? Oh oui, ça pleure. À chaudes larmes, en sanglots, et en silence, de honte, d'humiliation, de solitude et de désillusion... * Le réveil sonne à six heures du matin, le dimanche comme les autres jours, chez Johnny. Il boit un rapide et âcre café, une vieille recette de taulard avec du lyophilisé réchauffé à la bouilloire. Puis, il s'habille et prend son lecteur MP3. La musique de Rocky dans les oreilles, c'est parfait pour se motiver. Il part à petites foulées. Aujourd'hui, il battra son record ! Trois tours complets du parc, et l'aller-retour de chez lui, ça lui fera une bonne trentaine de kilomètres de jogging intensif. Idéal pour se vider la tête et entretenir sa forme physique. Alors qu'il revient chez lui, le cœur dans la gorge et les yeux brouillés par l'effort et la fatigue après un quasi-marathon à un rythme intensif, Vanessa se réveille dans son grand lit aux draps de soie... Elle a le cœur lourd et les yeux encore gonflés. Après un thé, froid d'avoir été trop remué pendant qu'elle avait l'esprit encore embrouillé, elle s'habille et descend de chez elle en traînant les pieds. Pour se vider la tête, elle erre dans les allées du marché découvert qui égaie l'avenue en bas de chez elle. De primeurs en étal de charcuterie odorante, de 19


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sacs d'épices en bouquets de fleurs, petit à petit elle reprend appétit et envie. Envie d'avoir une belle table à midi pour recevoir les copines, de se faire plaisir avec des desserts rigolos, de faire un menu salades, sans effort de cuisine, où chacune pourra grappiller ce qui lui chante par-ci par-là sans complexe et sans remords. Envie de simplicité et de réconfort. Quand ses deux amies arrivent, Vanessa a tout préparé. Sauf une nouvelle tête. Évidemment, les questions fusent aussitôt la porte franchie par les visiteuses. Qu'est-ce qui s'est passé ? Que t'arrive-t-il ? Qu'est-ce qu'il a dit ? Et Vanessa raconte. Oh, au début, pas tout... mais les filles sont bavardes, curieuses, et solidaires. Alors, elles se mettent toutes les trois à casser du Roland, à se moquer de ses mauvaises manières. Et dans quelle position ? Et il ne t'a même pas sucée ? Et cet abruti n'a même pas pris la peine de te caresser ? Vanessa rit, et montre ses genoux brûlés par le frottement sur la moquette. Comment va-t-elle s'habiller demain, avec ça ? Elle a des larmes encore qui lui coulent des yeux et de l'âme. Mais les moqueries, c'est au moins aussi efficace que la boxe pour se débarrasser d'un cauchemar. Au dessert, elles s'installent sur le canapé du péché, et dégustent un thé aromatisé à la bergamote. 20


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Clara sort un petit sac en cuir de son grand sac de toile, avec une mine de conspiratrice... — On n’avait pas dit qu'on se ferait une aprèsmidi sextoys ? — Oh ? Tu n'as pas...? — Et j'ai l'impression que le moment est particulièrement bien choisi pour Vanessa... Clara déballe plusieurs objets colorés, certains sont de tournures nettement phalliques, d'autres ont des formes étranges et tarabiscotées. Elle les pose un à un sur la table du salon. — Mais comment tu as acheté ça ? — Tu as osé aller dans un sex-shop ? — Non, attends, moi comme je connais Clara, elle a tout acheté sur Internet ! — Exact, tout acheté sur le Net. Et livré avec les modes d'emploi... Elles gloussent et rigolent, choisissent leurs jouets « fétiches », s'échangent quelques astuces, essaient de se souvenir des épisodes de Sex and the City qui parlaient de ci ou de ça. Il y a bien un blog, aussi, avec des dessins et des commentaires d'utilisation, comment s'appelle-t-il déjà ? Clara, qui a fait les achats, a aussi fait des recherches, et tente de leur expliquer comment ça marche, mais elle s'embrouille et les trois copines partagent plusieurs séances de fou rire. 21


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Bien entendu, elles n'essaient pas les engins tout de suite. Réservé pour plus tard, chacune chez soi. Quand ses copines repartent, Vanessa se sent presque bien. Tant pis pour cet imbécile de DupontAignan, c'est lui qui est passé à côté du bonheur. C'est lui l'erreur dans l'histoire. Et ce machin, là, comment il marche déjà ? Vanessa prend un godemiché rose fluo, et un tube de gel lubrifiant chauffant. Elle s'installe confortablement sur son grand lit soyeux. Un peu gênée, curieuse et maladroite, elle s'amuse d'ellemême. Elle ne doit pas avoir l'air bien maline ! Un peu de gel chauffant sur le clitoris, elle se caresse d'abord doucement. L'excitation monte, rapidement. Elle sent ses chairs gonfler, de chaleur et de plaisir. Tous ses sens s'affolent. Le godemiché semble trouver tout seul l'entrée humide qui l'attend. Vanessa se caresse de plus en plus vite, submergée de sensations de plus en plus intenses. Son corps se tend tout entier avant de se relâcher dans une décharge de plaisir, qui la surprend et la laisse tout essoufflée et pantelante. Assommée par la jouissance, la surprise et les palpitations de son cœur battant à tout rompre, Vanessa a besoin d'un long moment pour récupérer ses esprits. Quand son corps lui laisse enfin un peu de répit, elle se tourne sur le côté et s'endort aussitôt, un léger sourire aux lèvres. 22


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Quelques heures plus tard, elle se réveille en sursaut. La soirée est déjà bien entamée, elle n'a rien mangé, et rien préparé pour le lendemain. Heureusement, il est encore largement temps d'y remédier. Vanessa dîne d'un sandwich au fromage, prépare rapidement ses vêtements et son réveil. Impatiente de retourner dans son lit et d'y retrouver ses nouveaux amis. Alors, après le gode, si elle essayait ce truc, là, les bidules de Geisha ? Et pourquoi ne pas essayer ce qu'elle n'a jamais osé faire avec un partenaire de chair ? On en parle tellement... Avec beaucoup de gel, en prenant son temps... Et Vanessa passe une des plus délectables et sensuelles nuits de sa vie. * Lundi matin, Vanessa se réveille guillerette et détendue. Elle a envie de conquérir le monde. De trouver l'amour, d'avoir le meilleur job, d'être la plus belle pour aller danser, d'oublier Dupont-Aignan et tous ceux qui lui ressemblent. Toute la journée, elle évite consciencieusement son chef du personnel. Jusqu'au déjeuner au self. Là, impossible de se dérober. Vanessa aperçoit Simon, assis quelques places plus loin. Alors, elle passe 23


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ostensiblement devant Roland, s'arrête quelques secondes pour le regarder droit dans les yeux, avec l'air le plus condescendant dont elle est capable, et va s'asseoir en face de Simon. Puisqu'il y a la rumeur, qu'elle a lancée elle-même, pourquoi ne pas s'en servir ? Puisqu'elle a tout fait pour qu'on lui prête une aventure avec ce grand ténébreux, pourquoi ne pas aller le plus loin possible dans cette direction-là ? Pour reprendre, à l'envers, la dernière phrase de son ancien amant, elle n'a rien à y perdre, et tout à y gagner. Mais Simon ne semble pas très réceptif aux charmes de Vanessa. Souriant et aimable, il ne fait rien non plus pour la dissuader. Il y a juste comme un écran, léger, entre eux. Mais Vanessa est confiante, qui pourrait lui résister aujourd'hui ? L'après-midi se passe, entre travail et questions. Vanessa passe du temps sur quelques dossiers à traiter, qui l'aident bien à se changer les idées. Elle se réserve les pauses café pour reprendre ses réflexions sur la stratégie à adopter, pour faire de l'avenir de sa vie une allée couverte de pétales de roses et résonnante de petits pas d'enfants. Elle apporte en fin d'après-midi quelques enveloppes à expédier au service courrier. Chic, Simon est justement là, avec un paquet mal ficelé. Elle s'adresse à lui avec assurance, lui explique comment il aurait dû s'y prendre pour faire un bon 24


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emballage. Il l'écoute, l'air un peu embarrassé. Le spectacle de leur discussion est insoutenable pour Johnny qui vient d'arriver. La jolie Vanessa qui se penche vers les mains de Simon, lui touche le bras, éclate de rire en renversant la tête en arrière, la gorge offerte aux regards... Vanessa qui minaude, la bouche en coeur, et qui bat des cils pour faire la coquette... Johnny détourne la tête, écœuré, et dans sa rage maladroite fait tomber tous les plis qui l'attendaient sur le comptoir. Tous les regards se tournent vers lui, ajoutant à son malaise. Il s'agenouille pour ramasser les enveloppes, et cacher son embarras. « Ah, ces épaules... Ces bras tatoués, et son air farouche... Comme il est sexy... Oh, comme j'aimerais qu'il me tienne dans ses bras ! Qu'il m'embrasse, et m'enlace... Mmmmh, ces mains puissantes, noueuses, caressant ma peau... Comme j'aimerais qu'il me caresse les fesses, qu'il me désire, qu'il me prenne... Oh, fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny ! » Johnny a senti l'intensité du regard posé sur lui. Il n'y a pas eu un mot, pas un murmure, mais il a senti l'onde de désir le réchauffer. Il se tourne brusquement vers Vanessa, qui regarde Simon. Alors, les yeux de Johnny se portent vers Simon. Qui rougit violemment et tourne les talons... *** 25



Soif d'amour par Stéphane Thomas

— Ces pendentifs sont vraiment d’une beauté exceptionnelle ! s’exclame Béatrice. — Épouse un prince, lui répond son collègue Marc, il t’en offrira d’encore plus somptueux ! Ceuxlà appartiennent à l’Histoire, j’ai peur que tu ne doives t’en passer ! Dommage… François, amusé, ne répond rien et poursuit l’interminable inventaire, plus singulier encore que celui de Prévert. La chaleur accablante ne décourage pas le trio d’archéologues. Avec minutie, méthode et d’infinies précautions, ils répertorient un à un les inestimables trésors d’une oasis touareg, vieille d’au moins deux mille ans, qu’ils ont mise au jour il y a un peu plus d’un mois, au sud-ouest de Fachi, en plein cœur de l’Erg du Ténéré. Outre de nombreuses sépultures contenant des restes humains et animaux, 27


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ils ont découvert des dizaines de poteries en plus ou moins bon état, des tissus, des outils, des bijoux et de splendides objets de culte, véritables œuvres d’art. Après plusieurs heures, tout est enfin noté, listé, classé, et les trésors millénaires sont mis à l’abri. François Brimeux, éminent chercheur du CNRS, est le responsable de l’équipe. Ce long travail terminé, il peut maintenant préparer son départ : il quittera l’expédition demain, à l’aube, pour rallier Agadez, d’où il prendra l’avion pour Paris. Il est en effet attendu au siège de l’UNESCO où il présentera aux journalistes scientifiques la découverte anthropologique majeure de l’expédition : des stèles et des bijoux, gravés de tifinaghs, des inscriptions en alphabet touareg, qui prouvent que des nomades vivaient ici, il y a environ vingt siècles, sédentarisés autour d’un lac salé, désormais asséché.  L’est s’illumine peu à peu, mais le soleil n’est pas encore levé quand Béatrice et Marc souhaitent un bon voyage à François. Il vérifie une dernière fois qu’il n’a rien oublié et que les échantillons qu’il emmène – parmi les plus précieux – sont parfaitement protégés des inévitables chaos. Il met le 4X4 en route. Le moteur vrombit. Il démarre, soulevant un nuage de poussière ocre. Très vite, le véhicule n’est 28


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plus qu’un point qui file plein nord jusqu’à se confondre avec le paysage. Le chemin est long et difficile, risqué. Il lui faut dans un premier temps rouler tout droit et rejoindre la piste des caravanes de l’Azalaï, à hauteur de l’arbre du Ténéré, puis la suivre plein ouest pendant près de trois cents longs kilomètres, jusqu’à la « porte du désert », comme est surnommée la capitale touareg. Il espère l’atteindre en fin d’après-midi, juste avant le coucher du soleil. François roule depuis déjà une heure. Il ne peut s’empêcher de penser avec tristesse à l’incroyable destin de l’arbre du Ténéré, un acacia miraculeux dont le plus proche des congénères était éloigné de quatre cents kilomètres ! Était. En effet, un chauffeur, probablement ivre, l’a hélas renversé il y a une trentaine d’années. Depuis, au grand dam de François, un arbre métallique a incongrûment pris sa place. Soudain, le système de navigation GPS tombe en panne. François tente de le remettre en marche, sans succès. Il insiste, rien n’y fait. François, rompu aux caprices du désert, garde son calme : « Qu’à cela ne tienne, se dit-il en sortant de sa poche une boussole centenaire que lui a offert un de ses maîtres à penser, il suffit de rouler plein nord. » Après deux bonnes heures de volant, bringuebalé par une rocaille épuisante, François s’interroge et commence à s’impatienter. Il devrait avoir rejoint la piste depuis un bon moment. Pire, il ne reconnaît pas le paysage, bien qu’il ait déjà plusieurs fois effectué 29


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cette liaison. Il aperçoit alors, sur la gauche, un défilé de dunes qu’il identifie. Rassuré, il quitte la piste, et, pour gagner du temps, met instinctivement le cap sur ce point de repère, commettant une grave erreur, malgré son expérience du Ténéré et de ses innombrables pièges. Alors qu’il approche du pied de l’erg, son pick-up s’ensable, profondément. « Et merde ! Quel con ! » François coupe le moteur et, pestant contre luimême, sort sa pelle. Après une vingtaine de minutes de vains efforts, transpirant sang et eau sous les rayons ardents d’un soleil impitoyable, François renonce. Le véhicule est bel et bien prisonnier. Seul, il ne pourra jamais le dégager. Comble de malchance, son téléphone satellitaire est tombé dans le sable et, du coup, refuse lui aussi de fonctionner. François se résigne donc à attendre les secours. Il sait qu’il devra faire preuve de patience, car ce n’est qu’au crépuscule, que son ami Philippe, qui l’attend à Agadez, ne le voyant pas arriver, comprendra qu’il lui est arrivé une mésaventure. François est serein, son stock d’eau est suffisant pour tenir trois jours environ. Bien plus qu’il n’en faut. Pour se protéger de la fournaise, il s’assied à l’ombre du pick-up. Mais le soleil monte vers son zénith et la bande d’ombre s’amenuise de minute en minute. François attrape alors un vieux bout de drap blanc à l’arrière du véhicule et le noue en turban pour protéger sa tête de la chaleur. Partout, autour de lui, le désert. À perte de 30


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vue. Du sable. Du sable et du silence. Un silence absolu. Seuls les caravaniers touaregs et les aventuriers qui ont traversé ce désert connaissent cette indescriptible sensation d’immensité et la musique si particulière de son silence. L’après-midi passe ainsi, lentement, sous l’astre brûlant. Pour occuper sa longue attente, François décide d’enregistrer le récit de son aventure. Il allume le dictaphone qui ne le quitte jamais. Celui-là, au moins, n’est pas en panne ! Pour ne pas se déshydrater ni gaspiller ses réserves d’eau, il se contente d’humecter ses lèvres déjà sèches et boit une gorgée à la fois, à intervalles réguliers. Alors que le soleil termine enfin sa descente et disparaît à l’horizon, une très légère brise vient rafraîchir l’archéologue, soulagé. Demain, très tôt, les secours prendront la route. D’après ses calculs, ils seront sur site avant midi. Mais la brise se renforce soudain et, en quelques minutes, se transforme en une terrible tempête de sable. Face à la colère des éléments, François n’a pas le choix : il doit s’abriter dans le véhicule. L’harmattan souffle avec une étonnante violence. Il soulève des tonnes de sable, dressant un voile opaque devant le paysage lunaire. Il fait déjà nuit noire quand le vent se calme enfin. François tente alors de sortir du véhicule pour faire le point à l’aide d’une lampe torche, mais il réalise très vite que ce ne sera pas possible. Il plonge la main dans sa poche et sort son dictaphone. 31


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« Le sable a enseveli le pick-up aux trois quarts, empêchant toute ouverture des portières. Il n’y a que le toit qui émerge, sur environ trente centimètres. C’est trop peu pour que je puisse me glisser à l’extérieur par la vitre. Je suis coincé dans le 4X4. J’espère que Philippe ne tardera pas ! » François repose l’appareil, puis saisit une couverture pour se protéger, du froid cette fois : la température est glaciale, elle avoisine zéro degré. Petit à petit, l’inquiétude envahit le scientifique. Elle l’empêche de trouver le sommeil. Il se surprend alors à penser à Valérie, une jeune et jolie blonde avec qui il a vécu une relation torride mais sans lendemain, il y a quelques années. Il l’avait connue à Montréal, où elle était l’attachée de presse du musée archéologique. Sûre d’elle, elle avait proposé à François de passer la soirée avec elle. Une soirée qui s'était terminée par une folle nuit dans son petit appartement. Malgré les talents certains de la blonde, qui savait comment donner du plaisir à un homme et ne s’en privait pas, il s’est très vite lassé de cette liaison qui ne reposait que sur leur complicité sexuelle. François se demande pourquoi ces vieux souvenirs ressurgissent, lui qui croyait avoir oublié cette fille, beaucoup trop légère à son goût. Il réalise qu’il est, au mieux, parvenu à l’enfermer dans un coin sombre de sa mémoire. Il aurait tant préféré, dans ces moments difficiles, que ce soit Béatrice qui vienne envahir ses pensées. Béatrice, dont il est toujours amoureux fou, bien qu’elle l’ait quitté il y a cinq longues années déjà. 32


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Béatrice avec qui il continue pourtant de travailler. Béatrice, qu’il ne parvient toujours pas à regarder comme une collègue. Béatrice, qu’il désire bien davantage encore que la découverte de la pièce unique qui révolutionnera l’anthropologie. Il ferme les yeux. Béatrice… Il voit très distinctement les traits parfaits de son visage d’ange, ses yeux bleus, vifs, sa petite bouche aux lèvres finement dessinées, ses longs cheveux noirs, ses magnifiques jambes, la perfection de sa silhouette. Il sent son parfum, il sent ses mains si douces qui lui caressent le visage. François se ressaisit : il se remet à calculer une énième fois le temps qui le sépare de l’arrivée de Philippe.  À peine le soleil rougit-il au-dessus des dunes qui s’enchaînent jusqu’à l’horizon que la chaleur envahit l’habitacle du véhicule. François, déjà, suffoque. « Je ne pourrai jamais tenir à l’intérieur. Il faut absolument que je sorte de là ! » Il ouvre la vitre et, après avoir progressivement écarté le sable à la main, il finit, après un long et pénible effort, par se frayer un chemin hors de sa prison : « C’est bon, j’ai réussi, je suis à l’extérieur ! 33


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Victoire ! Enfin, victoire, tout est relatif ! Même dehors, même à l’ombre, je crève de chaud et bientôt cette ombre glissera sous la voiture… » Midi. Le soleil est au zénith. La chaleur est insupportable. Aucun véhicule en vue. Le silence. François, sans s’en rendre compte, boit de plus en plus, car il rapproche imperceptiblement chaque gorgée de la précédente. Il attend. Il sait que seules sa gourde et sa patience lui permettront de se sortir de ce guêpier : « Au bout de la patience, il y a le ciel, comme disent les Kanuris. » Au loin, au très loin, au pied d’un erg, François aperçoit un mouvement. Il se lève. La chaleur trouble l’air et brouille sa vision, mais il identifie un fil sombre qui serpente le long de la dune. Imprudent, il saute de joie, oubliant qu’il doit ménager ses efforts pour transpirer le moins possible : « Une caravane ! Je suis sauvé ! Ah ah ! » François s’élance alors en courant vers le convoi qui étire sa centaine de « chameaux ». Les dromadaires sont chargés chacun de plus de deux cents kilos de mil. Après douze jours de marche, ils l’échangeront à Bilma, où le sol est trop salé pour être cultivé, contre du sel et des dattes. Le sable est si fin que chaque pas est plus difficile que le précédent. La caravane est encore très loin. François est happé par la chaleur qui le projette au sol. Il se relève, 34


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difficilement. Il chancelle mais il repart, cette fois en marchant. Mais le soleil l’assaille à nouveau et a rapidement raison de son courage : quelques mètres plus loin à peine, ses yeux se voilent et il s’effondre à nouveau. D’une voix étrange, il balbutie : « C’est bon, ils m’ont vu. Tout va bien, ils viennent me chercher… » L’instant d’après, les touaregs sont agenouillés auprès de lui. L’un d’eux lui tend une gourde, lui offrant également un chaleureux et rassurant sourire : — Salem alikoum ! Bois doucement, mon frère ! — Alikoum salem ! Merci mon brave… Soudain, son visage se crispe : — Valérie ? Mais que fais-tu ici ? — Tu as besoin de moi, je le sais, je le sens ! Elle se penche alors vers François et l’embrasse à pleine bouche. François, bien que surpris, se laisse faire et lui rend son baiser en fermant les yeux. Immédiatement, le corps dénudé de Valérie lui apparaît, qui le chevauche fougueusement dans son appartement de Montréal. François rouvre les yeux. Une rafale soudaine soulève alors le turban de Valérie et sa tunique de bazin bleu marine, qui se mettent à tourbillonner, puis s’évanouissent dans le feu du ciel, emportant la jeune femme. François, hébété, fixe la dune : plus rien. Plus personne. Il comprend alors qu’il a été victime d’une hallucination, ces fameux 35


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mirages qui nourrissent la légende du désert. Boire. François attrape la gourde et boit une grande rasade. « Béatrice, appelle-t-il, pourquoi laisses-tu cette fille prendre ta place dans mes pensées ? C’est de toi dont j’ai besoin. C’est toi que j’aime ! Tu testes mon amour ? À moins que ce ne soit le diable qui vienne chercher mon âme ? » Il reprend péniblement ses esprits et enclenche le dictaphone : « Je viens de terminer l’avant-dernière gourde. La soif commence à me faire divaguer sérieusement. Philippe, je t’en prie, dépêche-toi ! » Malgré l’eau qu’il vient d’avaler, la gorge de François et ses poumons le brûlent. Ses muqueuses sont douloureuses tant elles sont desséchées. Il souffre de nausées et la fièvre est de plus en plus forte : la soif est là, intransigeante et cruelle, et le délire guette. La nuit tombe, mais le froid n’est d’aucun secours. François doit boire et, surtout, ne pas s’endormir, car alors, il ne se réveillerait pas, il le sait. Aussi, il reste debout, usant de ses dernières forces. Il saisit le dictaphone, sa seule compagnie. Une présence salvatrice dans cet enfer : « La soif devient insupportable. Heureusement, les secours seront là demain. Ils seront là, c’est sûr, sinon je mourrai. » 36


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Cette fois, le moral de François l’abandonne. Au fond de lui-même, il est désormais persuadé qu’il vit ses dernières heures, peut-être ses dernières minutes : « Je voulais juste que tu saches, Béatrice, que bien que la vie nous ait séparés, il y a longtemps déjà, c’est toi que j’ai appelée dans mon délire. Et tu es venue pour me sauver. Tu as chassé mes démons, qui, comme des vautours affamés, tournaient déjà autour de mon corps agonisant. Ce n’est pas un hasard, Béatrice ! » Les jambes de François vacillent. Il perd l’équilibre, mais continue de parler. Il ne serre plus l’appareil, mais la main de Béatrice : « Surtout, ne t’en va pas ! Reste auprès de moi ! Ne me quitte plus jamais ! Je t’en prie ! » Épuisé, l’archéologue, emmitouflé dans sa couverture, s’assoit à même le sable. Des myriades d’étoiles brillent dans le ciel, vierge de tout nuage. François se souvient alors d’un rajaz, ces chansons que chantent les caravaniers, autour du feu, quand vient l’heure du repos, pour remercier les astres qui, du firmament, les guident le long des pistes rocailleuses : « Les âmes du paradis se changent en étoiles et, chaque nuit, à travers le ciel, elles brillent de mille feux ».□ « Béatrice, c’est toi mon étoile ! À jamais tu brilleras dans mon ciel comme dans mon cœur. □ « Rajaz » - Latimer/Hoover - Traduction libre.

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Pourquoi m’as-tu quitté ? Tu sais comme j’ai besoin de toi ! » Une voix l’interrompt : — Tu as aussi besoin de moi, mon chéri ! Valérie est de nouveau là, debout, à quelques pas de lui. Toujours aussi belle, toujours aussi sexy dans son short écru qui souligne la longueur et la finesse de ses jambes, dans son t-shirt blanc trop serré qui moule ses seins généreux. Elle s’approche lentement de François, ôte son t-shirt et se met à lui caresser la poitrine, le ventre, le sexe. — Avoue ! Avoue que tu as besoin de moi ! Avoue mon chéri que tu as envie de moi ! François, sans même s’en rendre compte, oublie Béatrice et se laisse aller au plaisir immédiat que lui procure Valérie qui a libéré le pénis de son amant et l’a déjà englouti dans sa bouche gourmande. Il capitule : — Oui, j’ai besoin de toi Valérie. J’ai besoin de tes bras qui m’enlacent, de la douceur de ta peau, de la chaleur de ton corps. Je veux mourir tout contre toi, comme je suis mort de bonheur la première fois que nous avons fait l’amour. Tu étais si entreprenante ! Te souviens-tu de ma maladresse ? De ma timidité et de mes audaces soudaines ? Te souviens-tu de ces caresses si intimes, de ces instants sublimes où pour la première fois mon désir devenait folie dans ta bouche ? Je n’en revenais pas. Nous 38


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faisions l’amour et j’ai joui en toi, comme jamais je n’avais joui. Te souviens-tu ?  Le jour se lève sur le Ténéré. François a vidé la dernière gourde. Il sait que cette fois sa mort est proche. Soudain, le ciel s’obscurcit étrangement. Pourtant, il n’y a pas un souffle de vent. François perçoit un bruit sourd, au loin. Peut-être est-ce un véhicule qui approche ? Le bourdonnement devient de plus en plus perceptible. Il n’a plus la force de se lever, mais il connaît le désert et s’explique vite ce phénomène : c’est un nuage bien particulier qui masque le soleil : la huitième plaie d’Égypte, une nuée de criquets pèlerins ! Des milliards d’insectes affamés ! Quelques minutes plus tard, les orthoptères ravageurs s’abattent sur la dune. François se cache sous la couverture, puis, plus rien. L’instant d’après, le soleil est là, qui darde ses impitoyables rayons. Les gourdes sont vides, les criquets ont rejoint les hommes bleus aux confins du pays des mirages. « Valérie, je vais mourir. Je ne sais plus si je suis lucide. Mes sens me trahissent, je n’y vois plus. Je suis anéanti par la soif. J’ai soif de toi. Comme avant ! Comme jamais je n’ai cessé d’avoir soif de ton sourire, de ta bouche, de ta langue, de tes jambes qui 39


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lentement s’écartent en une impudique et lascive invitation, de tes yeux qui se ferment, de ton corps qui s’abandonne, puis qui capitule sous les assauts du plaisir… » Il pose le dictaphone, mais l’image obsédante du corps nu de la provocante Valérie, offert à son désir sans la moindre pudeur, ne le quitte plus. Il est seul, vulnérable, perdu au milieu de nulle part, noyé dans le silence. Au prix d’un grand effort de concentration, il parvient à chasser Valérie de son esprit, et repense à Béatrice, se maudissant de l’avoir trompée dans son délire. Il aimerait tant qu’elle soit là, juste à côté de lui, qui lui murmure les plus jolis mots d’amour, qui le berce de ses baisers les plus tendres. Sa main frôlerait la peau douce de ses cuisses, puis les caresserait avec une infinie douceur. Il ferme les yeux. Mais petit à petit, l’image de la tendre et angélique Béatrice devient floue, puis disparaît, vaincue par les assauts de ses impitoyables démons. Les doigts experts de Valérie se promènent lentement sous sa chemise ouverte, ils flattent ses tétons, le chatouillant presque. Ceux de l’autre main déboutonnent son short, puis se promènent le long de son sexe qui frémit, avant de s’unir pour le saisir en un magique va-et-vient. Le plaisir est si intense que son corps se dissout, pour ne plus vivre que dans cette envie qui grandit et grandit encore, au creux de cette main si agile. C'est alors que la langue de Valérie se joint à la caresse et vient nourrir son désir d'une sensation nouvelle. La sensation si désirée de sentir 40


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ce sexe, jusque-là fier et conquérant, devenir la proie de cette bouche si avide. Millimètre par millimètre, il sent ses lèvres qui gagnent du terrain, puis en concèdent, en gagnent davantage, en une incessante et voluptueuse bataille sensuelle. Il y a longtemps qu'il n'a plus ni conscience ni volonté, qu'il n'est plus qu'une victime consentante, livrée au plus irrésistible, au plus délicieux des bourreaux. Le temps s’efface devant la béatitude et, enfin ou déjà, en une salve d’un plaisir inouï, il signe sa reddition et cède à la jouissance. François reprend ses esprits. Il se dit alors que s’il aime Béatrice, il lui préfère cependant les délices diaboliques de Valérie. Alors, dans un dernier sursaut, refusant d’admettre l’évidence, il appelle celle qu’il veut aimer, celle de qui il veut être aimé : — Tu es là ? Tu m’entends, Béatrice ? —… — Tu ne m'entends pas parce que tu es loin, mon amour… —… — Parce que tu es loin… —… — Si loin… —… — Pourtant, je sens qu’à ce moment précis, tu 41


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t’inquiètes pour moi. Je le sais, je le sens. Transmission de pensée, transmission de rêve. Transmission d'amour. Pourquoi ? Pourquoi as-tu choisi la sagesse ? Pourquoi n’as-tu pas écouté ton cœur ? Je ne t'oublierai jamais ! Je serai toujours avec toi, tu seras dans chacune de mes pensées, dans chacun de mes gestes. Tu seras le plus gros échec de ma vie, ma plus grosse déception, mais mon plus beau souvenir. Tu ne me réponds pas, pourtant j’entends ta voix qui glisse le long de mon corps et me donne la chair de poule, j’entends tes mots qui me réconfortent, inlassablement. —… — J’ai soif, mon amour, j’ai tellement soif ! — Veux-tu boire à ma fontaine ? François, déçu du silence de Béatrice se résigne devant cette nouvelle intrusion, et ne tente même pas de résister : — Valérie ! Te revoilà ! Oui ! Laisse-moi boire ton envie, laisse ma langue goûter ton paradis ! J’aimerais être doué de mille sens pour jouir de chacun des secrets de ton corps, de ton âme, de ton amour ! J'ai envie de te faire l'amour comme jamais, j'ai envie que tu aies envie, que ta main, ta bouche et tes yeux viennent me le confier de la plus douce façon qui soit. J’ai envie de pénétrer ton corps et qu’à nouveau nous ne fassions plus qu'un ! —… 42


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— Oui ! Tu me serres très fort, tu me cries ton plaisir, tu murmures que tu m'aimes. Je sens tes mains qui se crispent sur mes épaules, je sens tes cuisses autour de ma taille, je sens ton sexe qui serre le mien comme pour le retenir à l’infini, je sens monter le plaisir, je plonge mes yeux dans les tiens et enfin je capitule, terrassé par une décharge électrique, par une irrépressible onde de plaisir ! Mais quand François ouvre les yeux, c’est Béatrice qu’il serre dans ses bras. Elle le regarde avec tendresse et lui dit : — Aimons-nous François ! Aimons-nous chaque jour qui passe, car demain, à force de nous aimer si fort, nous allons pulvériser le ciel et le soleil, et la vie abandonnera notre paradis. Seul notre amour subsistera ! De l'amour, rien que de l'amour ! Nous fuirons l’absurdité du monde matériel et nous nous envolerons en tourbillonnant dans le bleu du ciel. Tournons François ! Tournons en mesure ! Accompagnons la Terre dans sa ronde autour de l'astre d'amour. Tournons, un temps, deux temps, trois temps. Tournons notre valse enlacés, embrassés, caressés et enfin apaisés, endormis sous le joug du plaisir, sous la bienveillance de milliards d’étoiles ! — Tu as raison mon amour, aimons-nous, jouissons de nos corps ! Mais j’ai peur qu’il ne soit trop tard. Je vais mourir. Pourtant, chacun de mes souffles exhale mille et un baisers qui s’envolent vers leur douce destination : une joue tendue, un cou 43


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soyeux, une bouche entrouverte, une épaule arrondie, un dos cambré, une fesse charnue, un sein érigé, un ventre doré, un sexe impatient, une jambe sculptée, un pied chatouilleux. Chaque souffle est une étreinte, chaque souffle est une salve d’amour, chaque souffle est une jouissance ! Chaque souffle est pour toi. Je vais mourir en jouissant de toi. Déjà je vois ton corps, offert à mon désir. Je ne veux pas mourir, mais j'ai tellement envie de toi ! J'ai tellement envie de te donner du plaisir. Tellement envie de m’abandonner en toi. Une dernière fois ! François comprend alors le sens de son délire : oui, il aime Béatrice. Mais il doit assumer le désir qu’elle lui inspire, ces pulsions sexuelles qui ne sont en rien incompatibles avec le profond amour qu’il éprouve. Malheureusement, il sent que sa mort est imminente. Il veut avoir pleinement conscience de ses derniers instants. Il veut choisir ses derniers mots : — Mon plus grand regret, Béatrice, c’est de ne pas pouvoir te prendre une dernière fois dans mes bras et te dire… —… à quel point je t’aime ! La main de François relâche son étreinte, le dictaphone tombe, sans bruit, dans le sable. Le Ténéré, vainqueur, retrouve son silence.  44


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— J’ai un pouls. Il est vivant ! Hassan, médecin au dispensaire d’Agadez, place immédiatement François sous perfusion, sous le regard rassuré de Philippe. Il est sauvé ! Les recherches ont été longues, mais couronnées de succès grâce à l’immense expérience du médecin touareg qui connaît parfaitement le Ténéré et ses dangers. Tandis qu’il reprend lentement connaissance, les premiers mots de François sont à l’attention de Béatrice : — Philippe, dis à Béatrice… dis-lui… que je l’aime… — Oui, François ! Je te le promets, lui répond son ami.  Quelques mois plus tard, François, accompagné de Béatrice, participe à une conférence sur les peuples primitifs africains au musée des Arts Premiers, devant un parterre de spécialistes, quelques journalistes scientifiques et un public clairsemé d’amateurs. À la fin de son exposé, alors qu’il propose de répondre aux questions de l’assistance, un homme qu’il ne distingue pas dans l’obscurité de la salle, prend la parole, avec hésitation : — Monsieur Brimeux, votre découverte revêt 45


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une importance considérable dans la connaissance des peuples du désert. Cependant, nous savons tous qu’elle a bien failli vous coûter la vie. Puisque vous avez frôlé la mort dans des conditions horribles, avez-vous également appris sur vous-même, sur cette passion qui vous anime au quotidien, sur ce qui vous pousse à persévérer dans vos recherches pour éclairer la science ? Surpris par cette question, François hésite avant de répondre. Il revoit son calvaire, son interminable attente, la soif, les brûlures, son moral qui l’abandonne, le délire qui le gagne, les scènes torrides revécues dans les bras d'une femme et la découverte du véritable visage de son amour pour une autre. Pour Béatrice qui est là, plus belle que jamais, juste à côté de lui, et qui attend sa réponse. Devant son embarras, l’homme poursuit : — En d’autres termes, croyez-vous que l’avancée de la connaissance justifie qu’on lui sacrifie sa vie ? Seriez-vous prêt à renoncer à vos passionnantes expéditions archéologiques pour rejoindre celle qui ne s’est jamais pardonné son erreur, celle qui vous attend, celle qui plus que jamais…. vous aime ? François, malgré la mauvaise qualité du micro, reconnaît maintenant cette voix. C’est celle de Philippe, son sauveur. Il comprend alors que son ami a tenu sa promesse, et que Béatrice lui a confié une 46


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réponse qu’il n’osait pas même espérer. Bouleversé, François se tourne alors vers la jeune femme. Il la prend par la main et répond d’une voix tremblante : — Le feu d’une véritable passion ne s’éteint jamais, quelle que soit la violence de la tempête. J’adore mon métier et il me le rend bien. Il devra pourtant se plier aux exigences de ma nouvelle vie, à partir de cet instant entièrement consacrée à ma seule véritable passion, Béatrice.

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Psychodrame par Jacques Païonni et Macha Sener

Malgré un froid vif, le soleil scintille dans un ciel d’azur sans nuage. Louise et Odette Valois prennent le thé à la terrasse du Grand Hôtel. Elles attendent Colette, leur petite sœur qui doit arriver de Mougins, pour passer deux semaines de cure thermale et de détente avec elles. Emmitouflées dans leurs fourrures, elles se divertissent de l’animation de la station en regardant passer les passants, flâner les flâneurs et promener les promeneurs. À cette époque de l’année, les clients jouent plutôt dans la cour des grands, pour ne pas dire des vieux. Soudainement, Odette se fige dans une pose douloureuse, les yeux écarquillés, les traits tirés. Inquiète, Louise lui saisit la main. — Ça ne va pas Odette ? L’air évaporé, elle reprend lentement ses sens, mais son visage reste crispé. 49


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— Tu vas bien ? — Oui, ce n’est rien, un étourdissement. — Tu devrais te regarder, on dirait que tu as vu le diable ! — Le diable, oui, j’ai eu l’impression de revivre un vieux cauchemar, n’en parlons plus. Là-dessus, un léger coup de klaxon leur fait tourner la tête. Une 807 se gare le long du trottoir. Colette en surgit avec un sourire épanoui. — Salut les frangines ! Elles se lèvent pour l’embrasser : — Quelle grosse voiture ! Tu arrives à conduire ça ? — Si on veut arpenter la région et avoir du confort, il faut au moins cette taille-là. Ça se conduit comme une petite, et ça ne me coûte pas plus cher… En fait, rien. Elle s’installe à leur table et commande un thé citron bien chaud. Puis elle dévisage ses sœurs… — Ben qu’est-ce que tu as Odette, t’en fais une tête ! — Elle vient de voir passer un démon… Elles éclatent de rire, sauf Odette, qui grimace. — Vous ririez moins si vous saviez… Les deux sœurs se dévisagent : 50


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— Si on savait quoi ? — Rien ! — Comment ça rien ? Tu te fiches de nous. — Raconte Odette, on n’a jamais eu de secret entre nous ! Elle hésite, prend une profonde respiration et lâche : — J’avais cru reconnaître quelqu’un. Mais c’est impossible, il doit avoir au moins quatre-vingt-dix ans… s’il n’est pas mort. Celui que j’ai vu n’avait pas cinquante ans. Juste une ressemblance… — Ben dis donc, c’est une ressemblance qui t’a mise dans un drôle d’état. — Un amoureux peut-être ? — Sûrement pas ! réagit-elle vivement. Parlons d’autre chose. Comment vont les petits ? — Bien, à part nos engueulades quotidiennes, tout va bien. — Tu devrais lâcher l’affaire, les laisser voler de leurs propres ailes. — Tu ne te rends pas compte qu’ils ont presque trente ans et que les choses ont changé. — Ho fichez-moi la paix. Du temps de Gérard, j’ai toujours su gérer l’administratif, il s’occupait du garage et des ventes. Il me faisait confiance. 51


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— N’empêche, depuis deux ans qu’il est mort, tu rames. À cinquante-cinq ans, tu ferais mieux de laisser tomber et de venir vivre avec nous. — Les trois folles ? — Oui, toutes les trois. On pourrait voyager ensemble. — Et qu'est-ce qu'on ferait de Lucien ? Tu imagines, trois folles et un mari, c'est n'importe quoi. À moins que Louise ait envie de le partager avec nous, hein Louise ? Louise grommelle, visiblement peu enthousiaste à l'idée de partager son mari avec une veuve et une vieille fille. — Vous allez être satisfaites ! Nous nous sommes fâchés hier soir, il n'accepte toujours pas mon escapade d'une semaine avec vous pour cette cure. Il est tellement jaloux ! Il a même parlé de divorce. — Bravo petite sœur. Ce soir on fête ça au champagne. Bon, je plaisante, hein ! — Mais toi Odette, ce soir tu nous racontes tout de ton mystérieux inconnu ! Il est plus de vingt heures quand Colette fait son apparition dans le restaurant de l’hôtel. Elle s’est pomponnée, mise sur son trente-et-un et quand, passant entre les tables, elle croise le regard d’un homme admiratif, elle sourit intérieurement. Pas mal 52


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de femmes aimeraient avoir son look à son âge. Elle rejoint ses sœurs qui n’ont, elles, pas autant soigné leurs atours. « Celles-là, pense-t-elle, on voit bien qu'elles n'ont pas envie de se recaser. Avec leurs frusques de vieux épouvantails, pas de danger qu’elles se fassent draguer. » Tout heureuses de ces retrouvailles, les sœurs passent une agréable soirée à papoter, puis, quand arrive le dessert, Louise commande du Champagne. — On va fêter ma nouvelle vie… juste au cas où Lucien voudrait vraiment divorcer ! — Hé, auparavant Odette doit nous dire qui est ce mystérieux mâle ! — J’allais oublier ! Allez Odette, raconte. Elle temporise. Son visage détendu jusque-là reprend un rictus douloureux. — Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, je vais réveiller de trop mauvais souvenirs. — Allez, ne te fais pas prier ! — Vous vous rappelez de Léon Maréchal ? — L'escroc qui a ruiné papa ? Évidemment qu'on s'en rappelle. — Enfin, moi je ne me souviens pas de lui, parce que quand il est parti avec la caisse, j'avais à peine un an. — Et papa s'est tiré une balle dans la tête à cause 53


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de ce fumier six mois après. — Moi j'avais onze ans, et je me souviens bien de son visage… Et cet après-midi, j’ai vu venir vers nous le portrait craché du père Maréchal… Tout est remonté en moi subitement. — Le salaud ! Louise est silencieuse. Des larmes coulent sur ses joues… Elle tient son verre en tremblant. — Hé ma puce, ne te mets pas dans cet état, c’était il y a cinquante ans… — Notre pauvre papa… Matinales, les sœurs se retrouvent pour le petit déjeuner. Les souvenirs de la veille ont ébranlé tout le monde. Ce matin, c’est en silence qu’elles croquent dans leurs biscottes. Un silence qui s’appesantit. Car du fond de la salle, vêtu d’un costume gris, le sosie de Léon Maréchal apparaît. Il se dirige vers une table, s’y installe et commande un café noir au garçon accouru vers lui. Il ouvre un journal et s’y plonge. Il n’est pas conscient que six yeux bleus le fixent. Le café arrive avec des croissants. Il replie le journal qu’il pose près de lui, plonge un sucre dans sa tasse et saisit un croissant tout en parcourant la salle d’un regard distrait. 54


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Soudain il voit Odette. La surprise se marque sur son visage. Il se lève et, souriant s’approche d’elle. — Odette ! Quelle surprise ! — Mais.... qui êtes vous ? — Luc Maréchal, tu ne te souviens pas ? Bon c'est vrai que c'était il y a tellement longtemps. Mais nous avons grandi ensemble, enfin... pendant un temps. Sa voix se brise, et il est brusquement gêné. — Oui, jusqu'à ce que ton père parte avec la caisse du magasin, et laisse notre père ruiné ! Et vous êtes partis où ? À Tahiti ? — Ce n'est pas ce que tu crois.... je t'assure. — Et qu'est-ce que tu fais ici, une cure ? — Je suis en déplacement, je descends toujours dans cet hôtel quand je viens dans la région. Le propriétaire est un de mes clients. Sinon, j'habite à Marseille. Et toi ? — Je fais une petite cure, avec mes sœurs. Tu ne les reconnais pas ? — Nous avons changé, dit Louise, et tu n'étais qu'un gosse quand nous avions encore le magasin. — Toi par contre, ajoute Odette, tu es le portrait craché de ton père. — On me le dit souvent. 55


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Luc marque un blanc. Il y a trop d’antipathie dans le regard de ces femmes… — Je vous laisse, je vais me mettre en retard. Il s’éloigne. — Ce type m’insupporte. J’ai eu envie de le gifler. — Moi de le griffer… — De le mordre ! — Quel con ! — Il mérite une leçon. Ha si j’étais un homme, je lui casserais la figure. — Et pourquoi pas ? Ça nous défoulerait et nous vengerait de ce que son père a fait à notre famille. — Qu’il paie pour nos souffrances. Elles terminent leurs biscottes en silence, portées par un rêve. La cure se passe sans qu’elles ne reparlent des Maréchal. Laisser le temps au temps d’effacer les peines. Il est midi quand Colette allume le contact de la 807. Les sœurs ont payé leurs chambres et bouclé leurs valises. Elles rentrent à Mougins, les vacances sont terminées. Elles prennent la route doucement. Le brouillard est dense, le froid pique les yeux. Pas 56


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question d’imprudence. Elles rejoignent l’autoroute. Après une vingtaine de kilomètres, une neige légère commence à tomber, couvrant la route de poudre blanche. Les sœurs décident de s’arrêter pour boire un thé, le temps de laisser passer le mauvais temps. Elles gagnent la première aire de repos. De nombreux autres automobilistes les imitent. Le parking se remplit rapidement. Il y a foule aux distributeurs de boissons chaudes. Parmi tous ces gens, Colette reconnaît une silhouette : Luc Maréchal boit tranquillement un café, en se choisissant un magazine… — Stop ! On n’entre pas ici ! — Pourquoi ? — Il y a ce fils de porc, Luc Maréchal. — Encore lui ? — On fait demi-tour. Elles retournent à la voiture. — On devrait lui crever ses pneus, ça lui ferait les pieds. — Faudrait trouver sa voiture. — Tu connais la marque ? — Non, et avec cette neige. — Et si on se cachait pour lui lancer des boules de neige ? 57


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— Ça ne va pas ma pauvre… — Avec un caillou dedans, je t’assure que ce n’est pas agréable à recevoir ! — Ne dis pas de sottise. Il mérite pire que ça ! Elles rient de leur bêtise. La neige redouble… — Hé ! Regardez là-bas : une plaque du 13… — Ça ressemble à une Mercedes, c’est bien le genre. — Je regarde autour de nous, c’est la seule plaque du département… — On est à cinq cents kilomètres de Marseille, ils ne doivent pas être des masses dans le coin à être de ce patelin ! — Faites-moi le guet les filles, je vais aller lui crever les pneus. Colette court jusqu'à sa voiture, ouvre le coffre et revient avec un couteau de poche. Elle ouvre son Opinel, se baisse et enfonce la lame dans le flanc. Le caoutchouc résiste, elle n’y arrive pas. — Trouvez-moi une pierre ou un truc dur ! — J’ai un bâton là… — Apporte ! En frappant sur le manche, la lame pénètre et soudain dans un soupir, la roue s’affaisse dans la neige. 58


Psychodrame

— Et d’un ! — Pé les filles, voilà quelqu’un. Vite fait, elles s’écartent et se dissimulent derrière les taillis. Un couple passe, la tête enfoncée dans le col de leur pardessus. Elles attendent un peu et s’apprêtent à y retourner quand un groupe sort de la cafette. — On se tire, sinon on va se faire repérer. Elles s’éloignent vers leur voiture. Une fois installées, elles changent de place pour se rapprocher. Moteur tournant pour avoir du chauffage, elles décident d’attendre. — Je veux voir sa tête quand il va trouver sa roue ! Ça ne tarde pas. Une accalmie déclenche le départ général, Luc est de retour. Elles sont à une dizaine de mètres de là. La Mercedes roule un peu, dérape et fait une embardée. Coup de frein, patinage, écart brusque, nouveau dérapage. La voiture stoppe en travers de la voie et Luc descend. Il découvre sa roue à plat. Elles entendent le « merde » sonore qu’il pousse. Il remonte en voiture, tente d’avancer, mais avec la neige, la conduite est trop aléatoire. Il se gare correctement, descend et se dirige vers le bâtiment en composant un numéro sur son mobile. 59


Psychodrame

— Ce con ne sait même pas changer une roue, il va faire appeler une dépanneuse. — Ça va lui coûter bonbon ! — Il a les moyens. Colette enclenche la première et démarre. Elle roule lentement jusqu’à sa hauteur, ouvre sa vitre et l’interpelle. — Tiens, Luc ! Comment vas-tu ? Il sursaute. — Colette ! Tu tombes bien, je viens de crever… — Désolé Luc, mais moi, la mécanique ce n’est pas mon truc, je m’occupe de la caisse. — J’ai juste besoin de ton téléphone portable, le mien est naze. J’ai eu à peine le temps de prévenir chez moi que je serai en retard et pouf, plus de batterie. Coincée, Colette ne peut refuser. Elle lui tend son téléphone. — Je peux me mettre au chaud ? Sans attendre de réponse, il monte à l’arrière, à côté de Louise. Il appelle sa compagnie d’assurance… — Au moins une heure à attendre, avec cette route glissante ils sont débordés. Vous rentrez sur Mougins ? 60


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— Non, mes sœurs n’habitent pas loin d’ici. Je les dépose et je reste quelques jours avec elles. — Dommage, j’aurais profité du taxi pour me rapprocher. Ce type est vraiment infect. En plus, il sort un paquet de cigarettes. — Désolé Luc, on ne fume pas dans ma voiture. — De ce temps-là, ça va réchauffer l’air. Il s’en plante une aux lèvres et sort son briquet. C’est son dernier geste conscient. Louise lui assène un coup de parapluie sur la tempe. Il s’affaisse comme une masse contre la vitre. — Tu es folle ? — Il m’horripile, tu as vu ce sans-gêne ? — Tu l’as assommé ? — Je crois, ou il est mort… — Ne dis pas de bêtise, un coup de parapluie n’a jamais tué quelqu'un… sauf dans les chansons de Brassens. — N’empêche qu’il ne bouge plus. — Qu’est-ce qu’on fait ? — On l’embarque. Ni vu ni connu, on va lui faire sa fête. Elles se regardent, ne sachant si elles sont sérieuses… 61


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— Il doit payer pour sa connerie et les crimes de son père… C’est un petit pavillon sans chichi, entouré d’un jardinet fleuri, à la périphérie d’une petite ville provinciale. Odette y vit depuis trente-cinq ans, époque à laquelle elles se sont toutes les trois installées dans la région avec leur entreprise. Louise à la compta, Odette, secrétaire commerciale, Colette au service technique. Luc ne sait plus trop où il est et ce qui arrive. Quand il a voulu ouvrir les yeux, un bandeau le maintenait dans le noir. Impossible de bouger, il est bâillonné, ligoté mains dans le dos. Le moteur de la voiture s’est tu. Il entend les sœurs chuchoter et remuer autour de lui. Une main agrippe son bras et le tire hors de la voiture… — Viens par là mon mignon. On va t’installer. — Hum eumememe… — C’est ça, raconte ta vie. Ici tu pourras jacasser tant que tu voudras, les murs sont épais. Il marche dans la neige, monte trois marches d’un perron et ressent la chaleur d’un intérieur. Un couloir, les pas résonnent sur du carrelage, une porte s’ouvre : — Attention aux marches, et baisse la tête, ce n’est pas très haut. 62


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Il descend un escalier assez raide. Une odeur de moisi et d’alcool lui pince les narines. — Voilà, tu es arrivé. Je vais t’ouvrir les yeux. Odette lui ôte le bandeau. Il découvre une cave sans fenêtre, sombre. Un pan de mur est équipé de porte-bouteilles en fer. La poussière qui recouvre les flacons laisse penser qu’ils sont plus qu’âgés. La plupart sont vides. À droite, une chaudière à gaz émet un peu de chaleur et surtout du bruit. Il y a aussi des cartons, des valises, une armoire, un vieux vélo et une table. — On va te donner un matelas et des couvertures. Tu verras comme tu seras bien ici. Louise fait son apparition. Elle apporte les couvertures. — Le matelas doit être dans l’armoire, avec le gonfleur. On viendra te voir tout à l’heure. On va s’occuper de toi… Les sœurs se retrouvent dans la cuisine devant un verre de gnôle. Elles ont besoin de se donner du courage pour continuer dans leur folie. L’heure qui suit est chargée d’angoisse pour Luc. Il a froid, il a peur, il ne comprend pas ce que lui veulent ces femmes. Les explications ne tardent pas. Les sœurs reviennent, les bras chargés de « cadeaux ». 63


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— Tu peux te vanter de nous coûter cher, dit Odette. Tu vas voir comme on est bonnes. Regarde ce qu’on t’a acheté : Elle ouvre un grand cabas d’où elle sort une chaîne d’acier. Luc se retrouve lié par un poignet, la chaîne le rattachant à une tuyauterie. Impossible pour lui de s’échapper. Mais le cabas recèle d’autres surprises : — Regarde le beau martinet. Tu vas adorer ! Les yeux d’Odette envoient des lueurs menaçantes. Luc n’échappera pas à son destin. Elles le laissent toutes les trois mariner dans son angoisse, et remontent à l'étage. — Ha, ha ! Tu as vu son regard paniqué ? — Hi, hi ! Il ne faisait plus le fier, hein ? — Et maintenant, on va faire quoi ? — Le fouetter jusqu'au sang... lui mettre des baguettes sous les ongles... — Lui découper la peau en lanière... — Lui faire manger ! Et l'imagination des trois femmes s'échauffe, 64


Psychodrame

jusqu'au moment où Colette brise l'élan des trois sœurs vengeresses : — Bon, ce n’est pas tout ça, mais il faut que je rentre, je dois m'occuper des enfants. — Mais tes fils ont plus de trente ans ! Colette, tu ne peux pas partir comme ça, lance Odette, alarmée. — Désolée, mais c'est ma famille aussi, il faut que je rentre. Tu ne peux pas comprendre, toi tu n'as jamais eu d'enfant. — Et Lucien doit s'inquiéter aussi, j'y vais avant qu'il me fasse une attaque, enchaîne Louise. — Ah non ! Tu ne vas pas me lâcher aussi ! Et je croyais que tu voulais divorcer ? — Après trente-cinq ans de mariage ? Voyons, c'était juste une plaisanterie. Mon Lucien m'attend, j'aurai droit à une scène si je tarde encore, allez à la prochaine. — Mais qu'est-ce que je vais faire de lui, là, en bas ? Vous n'allez pas me laisser ça sur les bras quand même. — Écoute, toi tu n'as jamais eu de vie de famille, pas de mari, pas d'enfant, alors tu peux bien te charger de la besogne, non ? — Et puis, qui sait, tu vas peut-être même y trouver du plaisir ! Après tout, rien de mieux que d'avoir un homme à sa merci, pas vrai ? 65


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— Ça tu l'as dit ! Quand j'arrivais à faire faire à mon Armand tout ce que je voulais... Et les deux sœurs s'en vont, en se racontant à voix basse leurs exploits passés. Odette reste interloquée. Puis elle redescend au sous-sol, le regard mauvais.... Celui-là, il va payer ! Pour la mort de son père ! Pour le déshonneur de la ruine ! Pour la déchéance financière dont elles ont eu tant de mal à se relever !... Et pour la lâcheté de ses sœurs qui la laissent avec son rôle de bourreau. Telle une furie, elle se met à le fouetter. Luc tente de se débattre, de se protéger, mais il n’y a rien qui empêche Odette d’atteindre son but ; le dos, le visage, les jambes. — Mais pourquoi ? s’écrie Luc dans un râle. Pourquoi ? Que vous ai-je fait ? Odette lui arrache sa chemise. Luc se retrouve nu comme un ver. Quelques nouveaux coups de fouet bien appliqués, il se traîne au sol en suppliant. Du cabas, Odette sort un collier pour chien qu’elle lui passe au cou. — Tu vas devenir mon esclave. Tu ramperas à mes pieds… Et elle continue de fouetter les fesses de Luc. — Hé, mais... tu... tu bandes ! 66


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Elle jette le fouet au loin, et regarde Luc, tétanisée. En voyant le phallus érigé, elle ressent une chaleur inconnue la gagner. Une vierge de soixante ans passés, quand ça démarre, ça brûle dans tous les sens, par tous les bouts, même ceux depuis longtemps oubliés. Odette ôte sa culotte et enfourche Luc qui gémit sur le sol glacé. Elle se démène comme un jockey au grand prix de Diane. Elle se trémousse, beugle, saute, et Luc subit en soufflant bruyamment. L’étreinte ne dure pas. Odette pousse soudain un grand cri, alors que Luc s’égosille comme un porc qu’on trucide. En se relevant, elle récupère sa culotte, et remonte les escaliers quatre à quatre, ébouriffée et rouge de honte. Elle se réfugie dans sa cuisine, alors que Luc récupère lentement. Enfin, elle se calme petit à petit, et se décide de lui faire à manger. Elle descend un plateau-repas en tremblant. — Tiens, tu vas pouvoir manger. — Mais qu'est-ce qui t'a pris ? — Ah, si jamais tu reparles de tout ça, tu es mort ! 67


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— Bon, bon... mais tu sais, mon père... — Je ne veux pas entendre parler de ton père non plus ! —... Qu'est-ce que tu vas faire de moi ? — Te tuer, hurle Odette d'une voix hystérique. Au bout d'un moment de silence, elle reprend : — Allez, rhabille-toi. Je t’emmène en balade. Luc dévisage Odette avec terreur, alors qu’elle défait le cadenas qui le relie à la chaîne. — Tu vas me liquider ? — Pauvre cloche. Tu me prends pour qui ? C’est ton père le criminel. Allez, enfile ton froc et suis-moi. Docile, Luc la suit. Odette le dépose à côté de sa voiture. — N’oublie pas, j’ai des photos amusantes à donner à ta femme… Si le cœur t’en dit… Oh, je crois que tu as un pneu de crevé… Dix jours ont passé. Luc a retrouvé sa famille. Il a inventé une histoire pour justifier son retard… La neige, pneu crevé, glissade… Même les traces de coups ont été expliquées…

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Psychodrame

Odette est chez elle en train de feuilleter le catalogue Fram, à la recherche d’une destination vers un pays chaud, quand on sonne. Encore dans ses pensées de plages et de cocotiers, elle ouvre. Luc est là, devant elle. — Que… que veux-tu ? demande-t-elle inquiète. Il la dévore des yeux… — Odette… Je veux être ton esclave !

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Conférence particulière par Monique-Marie Ihry

Sarah pianote depuis près d’une heure sur le clavier de son ordinateur en attendant la venue de son boss. Comment se fait-il qu’il ne soit pas encore passé la saluer depuis tout ce temps ? D’ordinaire il est plus ponctuel. Dans les dix minutes qui suivent son arrivée, il vient frapper discrètement à sa porte et la salue d’une franche et cordiale poignée de main. Elle reste cependant persuadée qu’il est dans les parages, car elle a pu sentir les effluves de son enivrant parfum dans le couloir. Elle essaie de se concentrer, sans grand succès. Les pensées se bousculent dans son esprit, empêchant toute progression dans le dossier qu’elle est en train de gérer. Elle relève une mèche qui s’échappe par mégarde du chignon très serré qu’elle tient à arborer chaque jour avec la plus grande des rigueurs. Assise en face de son écran, le dos bien droit, la pose aussi rigide 71


Conférence particulière

que possible, elle est aux aguets. Son corps aux courbes harmonieuses semble prisonnier dans le carcan de son tailleur noir étriqué. Ses longues jambes fuselées prolongées par de sobres escarpins très chics demeurent croisées sous son bureau. Paul arrive, enfin, et la salue avec sa déférence habituelle. Le cœur de Sarah bat à tout rompre. L’échange est bref, et le directeur repart vaquer à ses occupations coutumières. Elle rêve de cet homme toutes les nuits. Chaque nuit, les fantasmes les plus insensés viennent l’envoûter et son sommeil en devient très perturbé. Cela ne peut pas continuer de la sorte ! Le week-end suivant, elle décide de répondre à l’invitation de sa meilleure amie, Claire. Aussi se rend-elle au domicile de celle-ci pour l’heure du thé. — Et tes amours ? questionne Claire, allant droit au but comme à son habitude. — Toujours au point mort. — Mais quand vas-tu te décider à lui faire du rentre-dedans à ce type ? — Mais Claire, tu te rends compte de ce que tu es en train de me dire ? — Eh bien moi, j’ai déjà vu ton patron à un cocktail. Je peux te dire qu’il est d’un canon ! Si tu ne tentes rien, il va te passer sous le nez… 72


Conférence particulière

— Mais il est marié tout de même ! — On s’en tape ma belle. Y’a pas de mal à se faire du bien. La vie est si courte… Sarah n’en revient pas. Elle est outrée par ces derniers propos. Il faut bien avouer que la sévère éducation qu’elle a reçue a coutume de régenter à son insu la plupart de ses faits et gestes. Jusqu’à présent, jamais elle ne s’est sentie capable de détourner du droit chemin un homme marié, aussi attirant soit-il. En se réveillant le lendemain matin, elle se remémore quelques rêves très sensuels au cours desquels elle a à nouveau partagé de torrides sensations avec son supérieur hiérarchique. Quelques jours passent dans une intense fébrilité. Mais il faut bien avouer que la folle suggestion lancée par son amie Claire fait petit à petit son chemin. De nouvelles effluves d’Azzaro Black la ramènent vers une troublante réalité. On frappe discrètement à la porte de son bureau. Paul est là, en face d’elle, dans un costume gris anthracite à la coupe parfaite. Du haut de son mètre quatre-vingt-trois, il la regarde d’un air aimable, mais ses yeux incandescents semblent briller d’une flamme toute nouvelle. Est-ce un leurre, ou bien rêve-t-elle encore ? Le rythme de son cœur bat la chamade sous le voile de son petit chemisier blanc. 73


Conférence particulière

— Chère amie, nous avons une conférence à Paris ce jeudi sur le thème du développement durable. Je vous emmène. Voyez d’ici ce soir avec ma secrétaire pour les billets de train. Le ton est péremptoire, comme à l’accoutumée. La respiration de Sarah s’accélère davantage. Sa poitrine généreuse se soulève avec empressement. Elle réajuste les petites lunettes à monture fine qu’elle a failli faire tomber par mégarde. Le temps qu’elle réalise l’incroyable opportunité qui s’offre à elle, l’homme est reparti, laissant derrière lui l’irrésistible empreinte de cette fragrance très particulière. Claire, mise dès que possible dans la confidence, lui confirme que le destin semble lui offrir sur un plateau une incroyable opportunité de drague ouverte. Sarah se rebelle quelque peu, par convenance, mais les carences de sa triste vie sexuelle pour le moins inexistante ont tôt fait de mettre à mal et de façon définitive les commandements édictés par sa rigoureuse éducation. * Sur le quai de la gare, Sarah attend en vain l’arrivée de son directeur. Elle a étudié avec soin sa tenue. Comme il fait très froid, elle a décidé de se revêtir d’un manteau de fourrure, ce qui lui a permis 74


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de choisir une tenue chic et légère sans courir le risque de prendre froid. Son chemisier légèrement transparent est entrouvert. Elle semble prête à bafouer tous ses principes antérieurs. Elle n’est cependant pas tout à fait rassurée par les nouvelles décisions qu’elle vient de prendre. Paul n’est pas arrivé. Il vient tout à coup à Sarah l’idée qu’il ait pu avoir un empêchement… Les minutes défilent. Le TGV ne tardera pas à entrer en gare. Une tape amicale sur l’épaule vient la tirer de sa torpeur. Il est là. Contrairement à son ordinaire, il lui fait la bise. Ce contact quasi charnel la ferait pour un peu défaillir. Ils montent ensemble dans le train et s’assoient côte à côte. Elle a conscience que le voyage vers la capitale sera court. Une heure à peine pour mener à bien le programme qu’elle s’est fixé. Cela lui paraît mission impossible. Elle constate avec émotion qu’on lui a réservé une place à côté de son supérieur. Tout paraît s’annoncer sous de bons auspices… Ils parlent avec courtoisie. Petit à petit, Paul en vient à la questionner sur sa soirée de la veille. Puis il essaie sournoisement, par d’habiles et pertinentes questions, de faire intrusion dans sa vie privée. La psychorigidité apparente de la jeune femme se retrouve décidément malmenée. Elle finit cependant par se détendre, croisant malgré tout avec nervosité ses longues jambes. L’homme n’est pas dupe. Ses yeux demeurent rivés sur les détails croustillants de 75


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l’anatomie féminine de sa collègue qu’il semble découvrir pour la première fois. Le décolleté sobre, mais bien échancré met en valeur une poitrine aux rondeurs de charme qui l’attire ostensiblement. Les bas à résille font l’effet attendu. La jeune femme semble plongée avec un plaisir non feint dans les nimbes d’un nuage de délices. Elle paraît flotter de bonheur à mille lieues d’un monde tangible. À un moment, une main se pose sur sa cuisse. Elle se retrouve alors à l’orée d’un vertige envoûtant, dans lequel elle souhaiterait s’immerger et demeurer à jamais. Elle parvient tout de même à percevoir une voix de femme qui vient tout à coup rompre le divin charme ambiant installé. — M. Musso, il faudra que je vous rencontre dès demain pour vous parler de ce bilan catastrophique de fin d’année. — Nous en reparlerons en temps voulu, Madame Moser ! La main posée sur la cuisse s’est retirée à la hâte. Les avait-on surpris dans leurs émois respectifs ? Dans l’état de quasi-ébriété charnelle dans lequel elle se trouve plongée, Sarah n’en a cure. Mais grand Dieu, qu’était-il en train de lui arriver ? Elle ne se reconnaît décidément plus. La voix du haut-parleur leur indique que le train arrive à la gare de l’Est. Le charme de cette matinée 76


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qui avait si bien commencé est rompu. Elle tente avec bien des difficultés de reprendre ses esprits. Il va falloir qu’elle soit très attentive pendant toute la conférence, car elle a été chargée de rédiger un article conséquent qui devrait être publié dans la presse locale dès le surlendemain. * Paul Musso fait comme prévu une très brillante prestation devant plus de cinq cents personnes. Ce séduisant méditerranéen au magnétisme certain est doté d’un charisme confirmé. Ses propos captivent l’assistance. Il est applaudi avec l’enthousiasme attendu. Sarah ne peut s’empêcher de se remémorer cette main racée posée avec ferveur sur sa cuisse. Elle en frémit encore. Elle essaie de retrouver son supérieur au repas de midi. Elle n’a malheureusement pas l’opportunité de s’asseoir à ses côtés. Dans la grande cafétéria du premier étage, elle l’aperçoit présidant une tablée d’admiratrices. Mais il lui semble toutefois ressentir au passage la brûlure d’un regard de braise devenu désormais complice et qui la déshabille… Sarah parvient cependant à se concentrer dans l’après-midi. Absorbée dans sa prise active de notes, 77


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elle ne le voit pas arriver. Il vient signifier à son équipe dévouée que la conférence a pris du retard et qu’il ne faut pas manquer ce train de 17 h 34 qui ne les attendra pas. Tout le monde se rassemble donc au vestiaire. Sarah se blottit avec empressement dans la fourrure que lui tend élégamment Paul. Une fois dans le train, ce dernier laisse sa place à une collègue. La jeune femme se retrouve éloignée de lui. Elle ne s’y attendait pas ! — Je pense que vous avez quelques propos à échanger au sujet de cette journée de travail. Sarah, il serait bon que vous recueilliez l’avis de Mme Moser. — Comme vous voulez, Monsieur Musso ! La corpulente assistante qui ne semble pas s’être remise de cette journée à la capitale, ne tarde pas à s’endormir, bercée sans doute par un roulis imaginé et non perçu dans ce train à grande vitesse tout confort. Sarah se dirige vers l’espace-bar. Sans bien comprendre ce qui lui arrive, elle se retrouve d’emblée projetée contre une paroi dans un endroit exigu. L’homme qui l’a saisie par-derrière fait exploser les boutons de son chemisier en un tour de main. Il retrousse ensuite avec empressement sa jupe et caresse furtivement la partie du haut des cuisses que les bas laissent apparaître. Elle ne porte pas de petite culotte. Il s’empare alors avec facilité de ce 78


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sexe offert que ses mains explorent avec une démente dextérité. Sarah reconnaît ce parfum masculin si subtil qu’elle adore. La jeune femme se retrouve rapidement possédée en bonne et due forme avec une ardeur qui la transcende. L’homme déchaîné l’empale d’un coup, lui arrachant de brefs gémissements suivis par de sonores râles explicites. Quelques phrases gutturales viennent ponctuer ce vigoureux assaut. Prise dans ce tourbillon d’émois aussi espérés qu’inhabituels, Sarah a fermé les yeux dès le premier coup de reins. Et, vu la position dans laquelle elle s’est retrouvée, elle n’a aucun moyen de vérifier l’identité de celui qui vient de prendre possession de son corps passionné. Ce plaisir si soudain, si nouveau, si irréel est un vrai bonheur ! Sarah demeure encore toute tremblante, seule désormais à se demander ce qui vient de lui arriver. L’homme est reparti aussi vite qu’il était apparu. Elle se rajuste à la hâte, essaie tant bien que mal de dissimuler ses seins malgré le problème occasionné par la disparition inopinée de quelques boutons. Fort heureusement, elle a eu l’idée de garder son gilet. Elle décide de fermer celui-ci de son mieux. Comme dans son empressement elle ne retrouve plus sa pince à cheveux, elle recoiffe comme elle peut sa longue 79


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chevelure blonde qui tombe désormais en cascade sur son dos. Elle se remaquille légèrement, puis revient prendre sa place dans son compartiment. * En face d’elle est assis un homme d’une quarantaine d’années qui paraît la regarder avec attention. Elle fait mine de ne pas s’en apercevoir. Le regard qu'il porte sur elle semble cependant se prolonger avec insistance. Elle lève donc les yeux vers ce voisin, et le trouve fort séduisant. L’assistante avec qui elle doit échanger quelques impressions de travail ne s’est toujours pas réveillée. Sarah aperçoit quelques rangées plus loin Paul, qui semble toujours très concentré sur ce qu’affiche l’écran de son ordinateur. Rien ne paraît avoir bougé dans ce cadre depuis son départ. La jeune femme ne peut s’empêcher de se demander si elle n’a pas encore rêvé. Elle éprouve des difficultés à reprendre son souffle. Il lui semble par ailleurs que la température ambiante est excessive. Un écoulement chaud entre ses cuisses vient cependant confirmer qu’elle vient de vivre une expérience bien réelle. — Bonjour Mademoiselle, puis-je me présenter ? — Bonjour. — Henri Von den Swartzberg pour vous servir. 80


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— Enchantée ! — Si je puis me permettre, vous semblez avoir quelque chose de… disons différent, depuis tout à l’heure, répond-il avec un sourire empreint de mystère. Sarah se sent gênée par ce compliment assez inattendu. Elle ne peut s’empêcher de rougir et se garde bien de répondre. Il lui semble avoir déjà entendu cette voix. L’homme insiste : — Vos cheveux, probablement… Plus aucun doute, ce timbre rauque ne lui est pas inconnu. La femme ferme les yeux, envahie à nouveau par l’incontrôlable souvenir de cette courte extase vécue quelques instants auparavant. Elle désire ardemment prolonger cette infinie volupté qui la bouleverse encore. Elle demeure lascive, rêveuse et rayonnante à la fois. Ses longs cheveux vaporeux flottent sur ses épaules et lui confèrent une nouvelle aura. — Si je puis me permettre, vous vous sentez bien ? Ce léger accent germanique commence décidément à l’interpeller. Et puis, il y a ce parfum, si prisé d’elle depuis quelques mois, qui s’exhale à nouveau d’intense façon, cette même fragrance qu’elle a sentie quelques instants plus tôt. Elle se rend 81


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compte avec surprise que ce parfum ne vient pas de ce cher Paul, assis beaucoup trop loin d’elle, mais qu’il émane de ce charmant voisin assis juste en face d’elle… Sarah saisit alors toute l’originalité de cette situation qui est loin de lui déplaire. Quelques places plus loin, Paul Musso paraît toujours imperturbable et étranger à ce qui peut se passer autour de lui.

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Rose de Noël par Macha Sener

Rose a froid. Malgré toutes ces années à arpenter le trottoir en tenue légère, elle ne s'est toujours pas habituée aux rigueurs du climat parisien en cette fin d'automne. Elle rajuste un de ses bas résille, en essayant de se réchauffer au passage par quelques frictions aussi vigoureuses qu'inutiles. Devant elle, le boulevard se dessine au travers d'un léger brouillard. Saleté d'hiver. Saleté de métier. Et si au moins quelques clients venaient lui réchauffer le corps et remplir son porte-monnaie. Mais Rose n'a plus beaucoup de succès. L'âge... et quelques aléas professionnels, comme les dents qui lui manquent, le regard abattu, et une si grande lassitude qu'on en tombe les épaules rien qu'à la regarder. Rose allume une cigarette pour se réchauffer au petit brasier familier. Tant pis pour les dents qui lui restent, qui continueront de jaunir, tant pis pour les doigts engourdis, qui garderont encore longtemps 83


Rose de Noël

des traces de nicotine, tant pis pour l'haleine chargée qui ne fera même pas fuir d'improbables clients. Saleté de mois d'octobre. Rose se demande comment elle pourra tenir jusqu'à la fin de l'hiver qui vient. Descendant la rue en venant du boulevard, une silhouette attire son attention. C'est un tout jeune homme, qui marche avec hésitation, en surveillant les numéros des immeubles. Qu'est-ce qu'il peut bien chercher, celui-là, avec le nez en l'air et les yeux sur les façades d'immeubles ? Ce n'est sûrement pas un client potentiel, ceux-là ont les yeux baissés, et le regard en biais vers les porte-jarretelles des filles. Le jeune homme s'arrête juste en face de Rose. Il lit attentivement le numéro au-dessus de la porte en murmurant : « Ah ! 33, c'est là ! ». Rose abasourdie en oublie sa cigarette, et le temps qu'il redescende les yeux vers elle, elle explose en jurons en jetant le mégot qui vient de lui brûler les doigts. — Madame Rose ? — Dis-donc exactement ?

morveux,

tu

cherches

quoi

— On m'a dit que vous aviez des renseignements qui pourraient m'être utiles pour mon enquête ? — Une enquête de quoi ? Tu t'prends pour Sam Spade ? — Qui ça ? — Cherche pas, t'es trop jeune ! Tu joues au 84


Rose de Noël

détective ou quoi ? — En fait, je suis inspecteur de police et je fais une enquête sur Paulo le Désosseur. On m'a dit que vous aviez bien connu un de ses lieutenants... Rose oublie de fermer la bouche, de surprise. Tant de naïveté ! C'est trop rare. Et tellement mignon. Dans son cerveau de femme délurée et impudique, une petite idée vient de germer. Croquer ce jeune godelureau, et le déniaiser au passage. Une pierre, deux coups, tout le monde est gagnant. Un peu d'argent dans son escarcelle, et un peu de plomb dans cette jeune cervelle... — Et tu t'appelles comment, m'sieur l'inspecteur ? — Oh pardon, j'ai oublié de me présenter : Julien Dorcelle. — Julien Dorcelle ? Ah ah ah ah, elle est bien bonne celle-là ! Le jeune homme rougit et baisse la tête. Ça fait longtemps qu'il n'en rit plus, lui. Mais c'est comme ça, c'est son nom et il n'y peut rien. Rose a pitié du pauvre gamin, mais poursuit son idée... — Ben m'sieur Dorcelle si tu veux m'interroger, il vaudrait mieux qu'on monte, parce que mon maqu' qui boit comme un trou dans le café d'en face, s'il me voit faire la conversation en bas, ça ne lui plaira pas, et j'en f'rai les frais après. T'as vu mes dents ? Enfin 85


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l'peu qui m'en reste... — Euh... monter avec vous ? Euh... bon... d'accord. Elle lui montre le chemin en retenant sa joie. Il est tellement mignon ce jeune crétin. C'est trop facile ! Arrivés dans la chambre exiguë et malodorante, elle lui demande de l'argent, toujours pour son souteneur. Pas de visite gratuite, même si c'est pour parler et pas pour la bagatelle. Julien fouille fébrilement dans son portefeuille. Il ne s'attendait pas à ça, il espère avoir suffisamment d'argent, est-ce que ça ira ? — Bon, je dirai que tu voulais juste une pipe. Au fait, j'te la fais, pendant qu'on y est, hein ? Et Rose commence à déboutonner un Julien rougissant et empoté, qui n'ose pas bouger, ni la toucher. Il voudrait se dégager de ces mains envahissantes, échapper à cette bouche qui le cherche déjà, mais il ne sait où poser les doigts... Avant d'attaquer le vif du sujet, Rose lui demande, juste par acquit de conscience et en connaissant déjà la réponse ! — T'es tout neuf, hein ? T'as jamais servi !? — Ben, c'est à dire que... non, je n'ai jamais eu de relations... Rose prend le sexe de Julien dans sa bouche, et de sa langue elle l'active et le réchauffe. Julien a un peu 86


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de mal à rester debout, il chancelle, et écarte les jambes pour garder son équilibre. Rose en profite pour explorer de sa langue avertie toutes les parties les plus sensibles qui s'offrent à elle, et commence de savants va-et-vient entre le gland gonflé et les testicules qu'elle soulève doucement de sa langue. D'une main qui vient rapidement aider ses lèvres elle poursuit ses caresses, sa bouche ne se consacrant bientôt plus qu'à la tige vibrante qu'elle engloutit. Un petit doigt plus curieux que les autres vient frôler l'anus de Julien, juste avant que le jeune homme rassemble son courage, et écarte doucement le visage de Rose... Mais la main de la prostituée poursuit son désir, et très vite sur le sol il signe sa capitulation. Rose rigole : — T'inquiète pas, c'est toujours assez rapide la première fois. Mais j'ai bien gagné mon argent, allez maintenant il faut que tu t'en ailles... j'ai à faire. Le jeune homme repart, les jambes un peu chancelantes, et ce n'est qu'au boulevard qu'il se rend compte qu'il a complètement oublié ses questions. Il n'ose pas retourner en arrière. Il a l'impression qu'il mourrait de honte de se retrouver à nouveau en face de Rose. Quelle épreuve !... mais quel plaisir, aussi ! *

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Au commissariat, pendant la semaine qui suit, Julien a beaucoup de mal à éviter de se faire railler par ses collègues. Son commissaire lui demande où en est son enquête, il n'ose rien lui dire, mais bredouille en rougissant, et même les plus compatissants de ses collègues le regardent en ricanant. Le vendredi suivant, il retourne voir Rose, bien décidé à lui poser des questions sur l'ancien lieutenant de Paulo le désosseur. En descendant vers le numéro 33, il se surprend à répéter les questions qu'il doit poser, comme un entraînement avant un examen d'oral. Bien sûr, Rose est à sa place. Elle n'a pas eu un seul client depuis le matin, et grille nerveusement sa énième cigarette. Quand elle voit arriver le jeune inspecteur, elle jubile. Chic, voilà le gamin qui revient, un bon moment en perspective !... Comme la fois précédente, ils montent tous les deux, pour donner le change au souteneur de Rose, qui doit la surveiller du bistrot. Une fois là-haut, Julien lui donne l'argent qu'il a préparé pour elle, et insiste pour avoir des réponses à ses questions. D'abord. Ce « d'abord » a un effet magique sur eux deux. Il admet donc qu'« ensuite »... 88


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Rose lui propose un marché : deux questions par semaine. À lui de les choisir au mieux pour faire avancer son enquête. Julien accepte, à la fois paniqué et ravi. Il se lance rapidement : — Dédé le Marseillais, vous le connaissez ? — Oui. Et Rose déboutonne le pantalon de Julien et l'attire vers le lit défait. Julien bredouille : — Ah, mais c'est pas juste, il faut plus de réponses quand même. On ne va pas y arriver comme ça ! — D'accord, mon loulou... J'ai bien connu Dédé, vu qu'c'était l'boss de mon maqu' il y a une paire d'années. Mais je ne l'ai pas vu depuis au moins deux hivers. — Est-ce qu'il faisait du trafic pour Paulo le désosseur ? — Va falloir que tu précises ta question p'tit coeur, un trafic de quoi tu cherches ? Parce qu'ici on peut trafiquer des filles comme de la blanche, alors ? — Ben justement, je voudrais savoir ce que Paulo le désosseur lui faisait faire, hein ? — OK. À ma connaissance, Dédé le Marseillais, il faisait venir des filles des pays de l'Est. Et hop, terminé les questions pour aujourd'hui mon chéri, maintenant c'est l'heure de la récréation. 89


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Julien a déjà le pantalon et le slip sur les talons. Rose le pousse encore jusqu'à le faire tomber sur le lit, et le rejoint. Elle le caresse longuement de ses seins qui débordent d'un corset de cuir noir, l'embrasse de temps en temps, le lèche entre deux caresses, puis dès qu'elle le sent prêt, grimpe sur lui et l'avale de son sexe impatient. Aussi excités l'un que l'autre, ils embarquent tous les deux dans le train du plaisir. Julien découvre, et Rose s'étonne. Il y a si longtemps qu'elle ne pratique qu'en professionnelle que le plaisir l'a depuis belle lurette abandonnée. Et voilà qu'aujourd'hui elle se fait autant plaisir qu'à ce jeune novice, client un peu malgré lui. Julien quitte Rose avec un sourire aux lèvres. Elle est sur un petit nuage aussi. Et ils sont déjà impatients tous les deux d'être à la semaine suivante. Pendant le restant du mois, et le mois de novembre qui suit, tous les vendredis à la même heure, Julien vient voir Rose. Au début il progresse dans son enquête, question par question, puis il oublie d'avoir besoin de prétexte. * Début décembre, des collègues de Nîmes annoncent la mort de Dédé le Marseillais dans un règlement de comptes. Il n'aura pas l'occasion de 90


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balancer Paulo le désosseur. Encore une filière qui disparaît avant d'être remontée. Julien en profite pour essayer de se renseigner sur le souteneur de Rose, discrètement. Il apprend que Rose travaille à son compte depuis bien longtemps, son dernier « protecteur » étant mort d'une cirrhose il y a au moins dix ans... Mais Julien n'est pas rancunier. Il a beau être naïf, il a le sens de l'humour. Et de grandes facultés d'adaptation. Pour Rose, il continue de faire semblant de croire au maquereau qui épie depuis le troquet du trottoir d'en face. Il imagine même quelquefois voir un visage grimaçant qui les surveille, à travers la vitre qui commence parfois à se recouvrir de givre. Rose prend tellement de plaisir à ces visites qu'elle change, petit à petit. La volupté remplit ses formes généreuses d'un désir inattendu. Quand elle pense à Julien, elle n'a presque plus froid, malgré l'hiver qui s'installe et les premières neiges qui s'annoncent. Quand elle sait qu'il va venir, elle retrouve des couleurs, et un sourire charmeur, même s'il est toujours aussi édenté. Oh, elle ne rêve pas d'amour. Ça fait longtemps qu'elle en a perdu l'illusion ! Non, elle ne fait pas de plan d'avenir, ne prévoit rien. Elle sait bien qu'elle n'a pour horizon qu'une fosse commune, chaque jour plus proche. Elle profite juste de ces instants volés à la médiocrité et à la déveine. Julien, lui, devient dépendant. Chaque vendredi, 91


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quand il rentre chez lui, après plusieurs heures passées depuis sa visite chez Rose, il ressent un manque. Un manque de ses caresses qui le détendent, le mettent à l'aise, avant de lui donner du plaisir et de le chavirer dans cette demi-mort dont il revient chaque fois plus fort. Un manque aussi de la voix de Rose, de ses rires. De sa gouaille, et ses taquineries, toujours gentilles. De sa présence tellement réconfortante, même s'ils ne communiquent que par le sexe. Après tout, que ce soit par ce moyen de communication-là ou par un autre, il ne s'était jamais senti aussi proche de quelqu'un avant. Il comprend qu'elle est au seuil du dénuement absolu. Il n'y a pas de caisse de retraite dans ce métier-là, et si peu de soins. Début décembre, il commence à venir aussi le mardi. Il se dit qu'avec le peu d'argent qu'il lui donne, peut-être qu'elle pourra survivre à l'hiver. Peut-être. * Un vendredi, à l'heure où vient Julien d'habitude, un client aborde Rose. Elle est agacée, elle attend son petit inspecteur, cet homme-là ne lui est rien. Mais elle le laisse parler, répond à ses questions du bout des lèvres, en scrutant le coin du boulevard. C'est l'heure maintenant passée, et Julien n'est toujours pas arrivé... alors que la misère, elle, ne la quitte pas. 92


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Alors, Rose monte, accompagnée. Quand elle redescend, Julien est là. Il l'attend, de l'autre côté du trottoir, les bras ballants et les yeux embrumés. Sans un mot, sans un geste, elle remonte et Julien la suit. Quand ils sont seuls dans la chambre crasseuse, il se met à pleurer. Et ce chagrin de gosse, là, mais qu'est-ce qu'elle peut en faire ? Et ce gosse qui a du chagrin... Elle le prend dans ses bras, mais ça n'a rien de maternel. Elle lui caresse les cheveux, mais ça n'a rien d'amical. Elle est juste une femme. Et son homme. Et ils ont de la peine... * Le 15 décembre, Julien est convoqué par son commissaire. Au cours d'un long discours paternaliste et moralisateur, on lui demande de choisir entre sa carrière et sa pute. Comme il se défend et s'emporte, il est mis à pied pour une semaine. — Mais enfin, monsieur le commissaire, en première page des journaux, on voit des ministres qu'on encense, alors qu'elles viennent de mettre au monde des bâta... — Fermez-la ! — Les plus grandes instances de notre État montrent l'exemple de cocufiages publics, de 93


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divorces à répétition et d'enfants illégitimes, et on va me faire chier, moi un petit flic de quartier, à cause du métier de ma copine ? — D'abord, ce n'est pas votre copine. C'est une pute ! Ce n'est pas juste un métier, ça ! Et puis merde, pourquoi je vous réponds, moi, vous êtes mis à pied Dorcelle ! Prenez une semaine pour réfléchir à vos conneries ! * Au bout de cinq jours, Julien va voir Rose. Il est sérieux, et ne se laisse pas détendre par les caresses et les baisers. — L'un de nous deux doit changer de métier, Rose, et malgré ton talent évident, c'est moi qui ai la meilleure situation maintenant. — Mais si je ne travaillais pas, de quoi on vivrait ? Tu ne gagnes pas assez d'argent pour deux. Il faudrait quand même que je travaille, et je ne sais rien faire d'autre ! — Tu feras de la télé. J'ai une amie directrice de casting dans une grande chaîne publique. Elle te fera entrer dans des émissions, tu participeras à des jeux, à des télé-réalités. Tu donneras des interviews, quelqu'un t'aidera à écrire un bouquin... Tu verras, ça marchera très bien. Et tu vas bien t'amuser. 94


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— Mais enfin, gamin, tu ne pourras jamais me présenter à ta famille... et ça fait longtemps que je ne peux plus avoir d'enfants ! — Je suis orphelin. Ma famille, c'est l'Assistance Publique et je ne te la présenterai pas. Et si un jour tu as envie d'aimer un enfant, on en adoptera un. — ... — Allez, viens Rose, ramasse tes affaires et dis adieu à ce cagibi, on va à la mairie chercher les papiers. On va se marier... * Demain, c'est Noël. Rose rêve, allongée sur le canapé convertible du studio de Julien. Le jeune homme est parti à son bureau au petit matin, le sourire aux lèvres, détendu, amoureux. « Un fonctionnaire de police, quand même, quelle drôle d'idée pour faire une fin ! » pense Rose. Les papiers pour le mariage sont sur la table de nuit. Julien lui a demandé de les remplir dans la journée, il voudrait les déposer très vite, pour qu'ils puissent se marier vite, vite, vite. Rose s'étire lentement, elle se lève et va prendre une cigarette dans son vieux sac de cuir avachi. Julien lui a demandé de ne pas fumer chez lui. À cause de l'odeur. Mais Rose n'a pas envie de se priver de ce 95


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plaisir. Pourquoi renoncer à cette habitude qui l'a soutenue pendant tant d'années difficiles ? C'est comme une vieille copine, une confidente avec qui elle a partagé les longues heures d'attente avant les passes, et les minutes précieuses d'un nécessaire oubli après. Rose réfléchit, fait un point sur sa vie. Sur ses choix. Ce petit Julien lui offre une nouvelle vie. Mais qu'est-ce qu'elle a vraiment envie d'en faire ? Et elle ? Qu'est-ce qu'elle lui apporte, en cadeau de Noël ? * Lorsque Julien rentre de sa dernière journée de travail avant le réveillon, il trouve Rose, toute habillée de rubans, qui l'accueille avec des baisers charmants. Sur la table, des chandelles et des plats préparés qu'elle est allée chercher chez un traiteur chinois. Des nems et du riz à la sauce soja, pas la grande classe ni les élégances d'un dîner bourgeois, mais elle ne sait pas mieux faire et Julien est ravi. À la fin du dîner, Rose prend la main de Julien, et l'entraîne vers le lit qu'elle a laissé ouvert. Il se laisse déshabiller, et dénoue un à un les rubans qui couvrent le corps de Rose, son cadeau. Elle le caresse longuement, connaissant par cœur ce corps qu'elle a éveillé à la volupté. Pour qu'il dure plus longtemps, elle alterne caresses et frustrations, interrompant les 96


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baisers à sa verge tendue pour remonter du bout des lèvres vers la poitrine lisse du jeune homme. Elle s'empale sur lui, et le chasse après seulement quelques sursauts. Elle l'essuie de ses mains, le reprend dans sa bouche. Quand, enfin, il ne tient plus, elle se couche sur le ventre près de lui, et lui chuchote : « viens... » Il se couche sur son dos, et laisse les mains de Rose le guider... Elle lui apprend l'entrée d'un autre paradis, un palais de jouissance à la porte étroite dont il ne soupçonnait pas les plaisirs... Il s'emporte, s'emmêle, s'oublie et s'époumone, avant de s'abattre sur Rose, assommé par une chimie qui le dépasse. Ses sens embrouillés l'abandonnent et il s'endort, encore enfoui au plus profond, au plus secret de sa maîtresse. Rose ne tarde pas non plus à s'endormir aussi, avec la satisfaction d'un devoir accompli. * Le lendemain, tard, Julien émerge d'un sommeil lourd, et cherche sa compagne d'un bras encore engourdi. Il trouve sur l'oreiller un petit mot qu'elle a griffonné au crayon d'une écriture malhabile, sur le calepin des commissions : « retrouve-moi ce soir à 20 heures Porte de la Chapelle, sous le boulevard périphérique ». Julien fonce sous la douche, s'habille en 97


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quatrième vitesse, puis passe le reste de la journée assis sur son canapé à se tenir la tête entre les mains, habité d'un sombre pressentiment. À 19 h 45, il sort du métro Porte de la Chapelle, et se dirige vers les arcades du pont aérien qui surplombe l'avenue de la Chapelle. Des véhicules de police et une ambulance entourent une zone protégée. Des collègues à lui sont là, et font respecter un périmètre de sécurité. Il se présente, et demande ce qui se passe, la gorge serrée. — C'est une vieille pute qui a été égorgée. Un règlement de compte, sûrement. — Une idée du mobile ? Elle a été volée ? — Même pas, il y avait toujours son sac à main avec ses papiers et son fric dedans. Mais le plus étrange, c'est ce que le toubib a trouvé dans son soutien-gorge, vient voir... Son collègue l'amène jusqu'au cadavre de Rose, et lui tend une enveloppe, avec son nom dessus : À Julien Dorcelle. — C'est pour toi ? — Oui, c'est pour moi. répond Julien d'une voix blanche. Dans l'enveloppe tachée de sang, il trouve un nouveau petit mot gribouillé à la hâte par Rose, sur lequel est écrit : « Mme Henry à Trouflagan. A des infos sur 98


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Mélanie Chapirot, l'ex-comptable de Paulo le désosseur. Joyeux Noël mon amour, Oublie-moi vite, Ta Rose qui t'aime » — Alors ? Ça veut dire quoi ? — Ça veut dire que mon enquête redémarre. Et Julien repart lentement vers le métro, la tête baissée, et le coeur gros.

***

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Poèmes



Petit soldat par Jean Gualbert

Valse, petit soldat, au son des violons Dont la plainte envoûtante exalte les étoiles, Passe-partout des coeurs aux murmures si longs Et sésames des corps dans leurs écrins de voiles. Tes médailles d’argent dont les feux étincellent, Ton uniforme clair sur ton torse moulé, Font de toi pour un soir aux yeux de ces donzelles Un prince décadent, un poète adulé. Saoul de ces vieux alcools aux reflets mordorés, De suaves fumées, de trop lourdes senteurs, Tu jouis de la nuit, de ses jeux adorés, Voluptueuse extase aux lascives langueurs. Enivré par l’amour que te donnent les belles, Par l’éclat de leur rire et par leurs airs mutins, Tu t’offres à leurs bras, qui ne te sont rebelles, Succombant à l’attrait de plaisirs libertins. 103


Petit soldat

Au soir de tes vingt ans, quand tu le peux encore, Profite de la vie, oublie les bruits du pas. Il te faudra demain, à l’heure de ta mort, Affronter le canon, et l’horreur du trépas.

***

illustration d'après John Austen (1886-1948) "Daphnis & Chloe" édition de 1931, Angleterre

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Ma gourmandise par Laura Vanel-Coytte

Ma gourmandise T’est depuis longtemps acquise Et j’agonise De façon exquise Dès que tu aiguises Mes sens ; conquise Je m’animalise. Pas besoin que je m’alcoolise Pour savourer ta friandise. Aucune analyse À faire ; ta convoitise M’excite, attise Mon corps, m’électrise. Pas besoin que tu me brutalises Pour me faire à ta guise Toutes les bises Qui poétisent Notre vie ; pas d’expertise Pour la paillardise De nos mots, la gaillardise 105


Ma gourmandise

De nos ébats, je vocalise Quand tu précises Tes caresses et pulvérises Mes peurs et hantises Me tranquillise Après la crise De plaisir qui symbolise Et solennise Notre union surprise En attendant Venise ***

illustration d'après John Austen (1886-1948) "Daphnis & Chloe" édition de 1931, Angleterre

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«I» par Évariste de Saint-Germain

Ma lettre préférée c'est l'« i » Oui c'est elle C'est grâce à elle que tu souris, Que j’me promène sur ta prairie Et que je rêve de ton grand lit Demoiselle C'est pas toujours facile un « i » Parfois rebelle, Contre mon peigne dans un épi Dans l'ennui c'est sans répit Ça peut aussi quitter le nid À tire d'ailes Mais c'est bien sûr pour ce cher « i » Que tu es belle Que tu peux crier et gémir En m'arrachant plein de soupirs Et que ton corps est, ma chérie De gazelle 107


«I»

Aussi c'est un peu grâce au « i » Quelle merveille Qu'on peut se retrouver la nuit, Qu'au matin le soleil reluit Et que tu tombes évanouie De sommeil.

***

d'après un alphabet érotique, France, environ 1880.

108


Virevolte en corolle par Monique-Marie Ihry

Je suis cette fleur vibrante Qui rêve de t’accueillir dans son antre. Amante. Seule dans cette vaste prairie Paradoxalement fleurie Et peuplée de prédateurs. Amateurs. Mon frêle pédoncule hésite, Mais résiste. Ostensiblement. Il m’arrive cependant De courber l'échine Tant et si bien que je m’incline Sous la force d’un vent violent. Tourment.

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Virevolte en corolle

Les pétales légers De ma jupe en corolle Virevoltent autour de ma taille Qui se rêve fine et élancée. Obole. Un festin de dentelle Décore ce vêtement Que je voudrais te voir m’enlever lentement. Fleur frêle. Aurai-je assez de ces pétales Pour que tu puisses en enlevant mes voiles Le verbe aimer me conter Et me dire combien tu m’aimes un peu, Beaucoup, à la folie, Ou ne serait-ce encore qu’un peu ? Égérie. Je voudrais en posséder mille et un Afin que tu me les enlèves un à un Faisant ainsi perdurer le plaisir De me voir d’amour rougir. Soupirs.

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Acrostiches par Laura Vanel-Coytte

Wouceur transparente Xt désir opaque aux mots auage de tendresse goile de sensualité ñveillée par le glissement _ascif des bas de soie _ovés sur des jambes Xntrouvertes au plaisir. 111


Acrostiches

Si belle et si réactive À mes caresses et baisers Velours de plaisir ; Excitante et excitée, Résolue à explorer mes Gorges humides et impatientes ; En attente de plaisir partagé.

***

112


Abîme musical par Monique-Marie Ihry

Je suis une petite musique en sourdine Qui ne demande qu’à vibrer coquine Au son de tes caresses En parfaite allégresse. Je suis cette aimante maîtresse Que tu as consacrée Au sein d’une couche violine Sous le charme d’un piano forte Par un beau soir orchestré. Je suis celle que tu aimes croquer Telle une craquante amandine. Celle qui adore vibrer Au son de ces verts grands yeux Qui par une nuit d’adieu Brillaient encore de mille feux.

113


Abîme musical

Je suis celle qui s’enflamme Et s’emporte en crescendo Au rythme de tes caresses habiles, Qui transcendent mon âme Au gré de cette mesure divinement agile, Qui me conduit décidément aux abîmes. Je suis cette délicieuse gourmande Qui sans cesse en redemande Sous l’emprise de ce vibrato Qui immanquablement se mue en un endiablé crescendo. Je suis ce petit violon Dont tu adores jouer à outrance Avec tant d'aisance Dans une infinie passion. Celle qui te voue perpétuelle allégeance Pour savoir l’emmener vers une éternelle délivrance Dans une coda très attendue Qui la porte aux nues. ... et TU ES le divin orchestrateur de mon cœur !





114


Rime interdite par Stéphane Thomas

Tes lèvres vers mon appel se tendent Soudain d’une envie de feu je brûle Ton corps de nymphe le diable habite À toi mon bel ange j’offre mon âme Mon doigt précis déjà te fouille Il sent ton désir frémir et tu pleures Mon cœur s’affole ma vue se brouille Quand ta main gracile frôle mes cuisses Une larme soudain de ce prodige aqueux Gravit les sentiers ardents de ma longue vie Le souffle me fuit quand ta bouche l’agrippe Sulfureux délice d’une sublime douceur D’un élan nouveau je charge les accus Et reviens assoiffé pour honorer tes reins 115


Rime interdite

Rien je promets mon coeur ne sera omis Dans cette audacieuse et folle chevauchée Ma toute douce ô tendre libellule Je tue les tabous je t’aime et je t’enlace Dans le divin secret de l’antre minuscule L’onde inouïe du plaisir hélas j’abandonne.

***

photo Richard Avedon

116


Petit chaperon rouge par Jacques Païonni

Petit chaperon rouge Je suis derrière, derrière toi dans le bois Les buissons qui bougent C'est encore, encore et toujours moi Je suis un grand loup qui vient de recevoir la foudre Je suis un grand loup, et ma carcasse tombe en poudre Tu as la chair de poule Crains-tu le loup, le grand loup sournois ? Mais non tu roucoules Je sens bien que tu es sûre de toi Je suis un grand loup, devenu complètement maboul Je suis un grand loup et à tes pieds je me roule Je sens ta main douce Sur mon poil, mon poil bien rudoie Une grande secousse J'me transforme en Robin des Bois J'étais un grand loup, je suis maintenant ton p'tit loup J'étais un grand loup, je suis un Robin tout doux tout doux

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Petit chaperon rouge

Sur la tendre mousse Il y a toi, il y a toi et moi Ta gentille frimousse M'inspire cette chanson, cette chanson pour toi Y'a plus de grand loup, il y a ton cœur de velours Y'a plus de grand loup, il y a mon cœur d'amadou.

***

illustration d'après F. Christophe "Die Verführung" collection F. Peeters, Allemagne

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Champ' par Jacques Païonni

Champagne, vieux, tu ne m'as pas raté Hier soir tu riais dans ma coupe Tu postillonnais sur mon nez Tu dansais dans ma bouche Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? J'ai compris qu'on était fâchés Quand vers minuit je suis rentré J'parle pas des clefs qu'tu as cachées Ni du roulis qu'j'ai rencontré Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? J'parle pas d'cette drôle de nausée Du tambour qui fait résonner Ni d'l'estomac qui a rien gardé J'parle pas du perron qu'j'ai souillé Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? J'oublie même c' foutu escalier Qu’à moins d'marches que j'en ai montées 119


Champ'

Ainsi qu'la sirène qui a hurlé Quand j'ai poussé la porte d'entrée Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? J'dis rien des voisins qu'ont râlé De cela je suis habitué J'dis pas un mot sur mes souliers Qu'j'arrivais pas à délacer Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? Si j'ai queq'chose à te r'procher C'est de m'avoir précipité Dans le sommeil, comme un bébé Tu imagines comme j'ai ronflé Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ? Tu vois la tête de la poupée ? Celle qui m'a aidé à rentrer C'est pas la nuit dont elle rêvait Sûr que j’la reverrai jamais Pourquoi cette nuit m'avoir trahi ?

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Fille de paille par Jacques Païonni

Elle aime le tonnerre Quand l'été est trop chaud Et c'est le nez en l'air Qu'elle admire les oiseaux Pas de cage de fer Ni cellules, ni barreaux Et je ne sais que faire Pour l'attirer chez moi Elle dit qu'elle me préfère Qu'elle va venir bientôt Qu'elle aime mes yeux verts Et l'odeur de ma peau C'est dans mon atmosphère Que ses jours sont plus beaux Mais je ne sais que faire Pour l'attirer chez moi

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Fille de paille

Quelques pas sur la Terre Mais marcher en duo Au nom du fils, du père Mon esprit est nazbro C'est pas que j'exagère Mais j'en perds mon tempo Et je ne sais que faire Pour l'attirer chez moi Sur cette immense mer Je suis comme un radeau Je dérive, je me perds Emporté sur les flots Mais qu'importe si je serre Sur mon cœur son corps chaud Car je ne sais que faire Pour l'attirer chez moi Je l'ai tirée par terre Au ciné, dans l'métro Les quatre fers en l'air Sur la table, le frigo J'l'ai tirée à l’envers Sur un coin du bureau Mais je ne sais que faire Pour la tirer chez moi. *** 122


Attente délicieuse par Monique-Marie Ihry

Dans la vaine attente qui la laisse vibrante, Toi, belle immolée de la couche délaissée, Le corps abandonné, ô irascible amante Tu te loves, quémandes, soupires, blessée… Comme à l’accoutumée, l’homme se fait attendre ! Désespérée de ne point pouvoir assouvir Les innombrables pulsions qu’elle a à revendre, La belle gourmande se masturbe. Soupirs… Le souffle s’active, son pouls se fait rapide. Son sexe sollicité se met à durcir. Des pensées se bousculent, fantasmes torrides. La belle n’en peut plus d’attendre son messire… Dans cet antre en souffrance, l’engin elle enfile. Le sexe plastifié la transperce d’emblée. Ce substitut de pine s’avérant utile, Notre chère amante s’en retrouve comblée. 123


Attente délicieuse

… L’insouciante dans son insolente indécence Se retrouve à nouveau assaillie par l’envie. Les jambes très ouvertes elle entre en jouissance, Rêvant cette fois à la puissance d’un vit… Mais point de vit il n'y a dans cet entourage. Avec ses douces mains, ses seins elle caresse. Elle baise avec ardeur et crie avec rage. Son corps se tord, le bras elle se mord, la diablesse… Soudain quelques bruits dans cette nuit sans silence. L’homme entre enfin, mais la belle n’a plus guère envie ! Il s’allonge doucement gourmand d’espérances. Le mâle elle repousse, la louve assouvie…

***

d'après Eiri Hosoda, 1801

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Vierge de toi par Monique-Marie Ihry

La lune est là, veillant sur nos ébats futurs. Notre bateau tangue, la mer est notre armure. Tu m’étends sur le pont, caresses mes seins ronds, M’arraches mon voile et je me retrouve nue… Un vent violent se lève, aussi tu t’évertues À vouloir m’emporter au-delà de ces lieux. Plus une barrière ne toise l’absolu. Alors soumise, je m’offre entière aux cieux. Tu me griffes le dos m’arrachant quelques cris Qui déchirent en cœur cette pure nuit sans bruit. Le bateau tangue car la mer semble en colère. Je veux que tu m’emportes avec toi aux enfers ! Une lame fougueuse soudain me renverse Déflorant avec fulgurance cette fleur De rosée à peine éclose offerte au bonheur. Mon bel et fort amant, fais de moi ta prêtresse ! 125


Vierge de toi

Le flux et le reflux par la mer emportés Deviennent plus intenses, le vit est en souffrance. L’assaut fait rage au gré d’une houle perçante. Rose implorante n’est point encore assouvie ! Nos deux êtres enlacés s’accouplent à l’infini, La symphonie de nos cris déchirant la nuit. J’étais vierge de toi, j’ai découvert l’amour. Tu m’as fait naître enfin sous ses plus vifs atours.

***

Le sang du poisson, Gustav Klimt, 1898

126


Dentelles par Jacques Païonni

Mais pourquoi donc demoiselle Prenez-vous ces airs de pucelle Avec vos grands yeux de gazelle Vos seins, vos fesses sous la dentelle C'est pour Jules, Oscar ou Marcel Soudeur de ferraille, de poutrelles Ou maçon roi de la truelle Gros doigts lourds sur manche de pelle Près de lui chère petite oiselle Vous rêvez d'amour passionnel Soirées d'été sous la tonnelle Baisers langoureux, ritournelles Lui vous voit déjà rue Blondel Arrondissant son escarcelle Des bienfaits d'une clientèle Que vous câlinerez au bordel 127


Dentelles

Usant vos cuisses et vos semelles Et pourquoi pas, votre rondelle Escalier, chambre d'hôtel Et cris de la mère maquerelle On vous promet les archipels Départ du port de La Rochelle La croisière s'arrête au Sahel Maharadjahs et citadelles Alors à vous d'choisir Mam'zelle Mais une dernière fois j'vous rappelle Méfiez-vous des loubards sensuels Qui vous promettent la bagatelle Mais pourquoi donc demoiselle Prenez-vous ces airs de pucelle La vérité est trop cruelle Pour vos rêves d'amour éternel...

illustration d'après Gil Elvgren

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L'amour en auto par Jacques Païonni

Par la portière entrouverte Je perçois le bruit des autos Pourtant la rue est bien déserte Tant mieux, j'suis là incognito La voilà qui ôte son manteau Pas de doute c'est une experte Elle pose la main sur mon poteau Souriante, complaisante et offerte Un bruit dehors, pov'Jacotot Je sursaute, je suis en alerte Sa main ne tient plus qu'un flûteau Elle soupire, ses yeux me concertent Dépêche-toi, fais-moi ça presto Aller vite ? Je voudrais bien certes Mais ici c'est pas du gâteau Nous sommes trop à découverte 129


L'amour en auto

Ses doigts font un agitato Moi je surveille et je disserte Et même ses câlins orientaux Laissent ma virilité inerte Elle a boutonné son pal'tot J'l'ai larguée au bus, adieu Berthe Puisqu'il faut que tu rentres tôt J'laisse tomber, c'est pas une grosse perte Moi j'aime l'amour piano-piano.

illustration d'après Gil Elvgren

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Il était une fois par Monique-Marie Ihry

Petite comptine coquine sur l’influence d’un placébo et les pouvoirs supposés d’une ombrelle

Il était une fois Une marchande de fard Qui vendait de l’espoir Tous les soirs très tard Du côté de Tréméloir. Margot, qui ma foi Broyait du noir Et nageait en plein désespoir, Cette dame alla rejoindre Lui demandant de lui oindre Une magique potion coquine Sur son auguste front De délicieuse libertine En robe couleur vermillon. 131


Il était une fois

— Belle marchande lui dit-elle, Aidez-moi à me reprendre Je ne parviens plus à me vendre. Ai perdu ma magique ombrelle De coquine demoiselle Et depuis, plus aucun damoiseau Ne me montre son plumeau. — Cette potion coûte très cher, Mais elle va de pair Avec tous tes désirs Es-tu prête à investir ? Un vieux thon passa Qui prit la marchande par le bras. Il lui demanda : — C’est combien pour la bagatelle ? — Regardez ce chien, lui asséna-t-elle, De femme il se trompe. Barre-toi avant que je te la rompe !!! Abasourdi l’homme d’un certain âge Définitivement marri par cet outrage, S’en retourna avec ombrage Son triste organe entre les jambes. Il se dirigea vers le pont de la Rance. Margot courut alors vers lui en transe Avant que celui-ci ne l’enjambe. Mais elle arriva trop tard. Il avait disparu le gaillard À jamais de sa vue ! 132


Il était une fois

Elle se sentit une nouvelle fois rompue, Ses charmes n’agissaient décidément plus… — Je t’en supplie belle marchande sur la berge, Dépêche-toi de me la vendre cette potion magique ! Y'en a marre d’être angélique, Y'en a marre de la gamberge. Tout ça ne me rapporte pas un sou. En plus je deviens moche comme un pou. Pour un peu on me prendrait pour une vierge. Dis-moi, c’est combien ? Ton prix sera le mien. Ce jour-là Margot s’endetta. De retour chez elle, La belle damoiselle Qui était toujours sans ombrelle, S’enduisit le front avec application De cette étrange décoction Agréablement odorante par ailleurs il est vrai. Très vite, elle s’endormit en paix… Derrière ce front Très mignon Les fantasmes se bousculaient, Ses seins tendus se soulevaient, Des râles s’échappaient De sa gorge épanouie Pour le moins dégarnie. 133


Il était une fois

De l’autre côté de la porte dans le couloir, James était tout ouïe. Il n’avait pas perdu une miette De cette complainte en seulette. Il commençait à chauffer pour sûr. Il en tituba dans le noir, Puis se reprit, Et s’acharna sur la serrure Ajoutant ainsi quelque bruit Dans ce pseudo silence de la nuit. Étendue sur le lit, Margot vivait à gorge déployée Ses fantasmes les plus inouïs En toute impunité. Tant et si bien Qu’elle n’entendit pas Le bruit de certains pas… James d’un coup de reins Empala la dame Sans que celle-ci Toujours endormie En fasse le moindre drame… Dans son sommeil Avec sa potion sur le front, Elle côtoya le soleil. Le bellâtre y allait à fond. En cœur ils délirèrent, Leurs cris se mêlèrent. 134


Il était une fois

Ils s’embrassèrent et baisèrent Conjuguant leurs sexes Sans le moindre complexe. La belle se réveilla seule au petit matin Telle une divine catin, Épanouie et sereine Ragaillardie, souveraine Et persuadée d’avoir rêvé. À ses côtés sur l’oreiller était posée Son ancienne ombrelle… Il lui sembla d’un coup avoir retrouvé des ailes. Sur le trottoir de la rue des Offrandes, Elle alla satisfaire les demandes De tous les beaufs en chaleur. Cette potion décidément avait du bon. Grâce à elle, elle se fit un max de pognon. Et pour comble de bonheur, Avec la plus belle des aisances, Elle vint à faire la connaissance D’un thon pas trop con Qui s’appelait James Le roi des sms. C’était un mac, Un as de la gâchette. Un vrai crac Avec sa quéquette ! Cette habile marchande De la rue des Offrandes 135


Il était une fois

Avait en fait inventé Deux siècles avant l’heure Un placébo du bonheur, Onguent inespéré Capable de vous apporter de belles sueurs Dans des situations les plus désespérées. Saint-Viagra unisexe était apparu. Margot sans le savoir Grâce à un caprice D’un soir En était devenue L’ingénue ambassadrice. James l’usurpateur Tout autant que profiteur, En commanda une tonne Pour ses propres putes bretonnes Afin qu’elles puissent À l’avenir mieux encore jouer de la cuisse. Entre-temps son bel organe Se mit à tomber en panne. Sur le front alors il s’enduisit Une bonne couche de cette potion Et aussitôt son auguste kiki Se remit à tourner rond Tout de bon ! C’était là, il faut bien l’avouer, une divine invention. Vive les potions magiques Qui vous refont aimer la nique !

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Éros tique par Jacques Païonni

M'acharnant du matin au soir À vendre des lingeries fines, Je cours d'escaliers en couloirs Après la gente féminine, Sonnant aux portes, rempli d'espoir, Offrant mes produits aux divines. Quand un jour, tu vas pas me croire, Du côté de la place Dauphine, Je suis entré, sans le savoir, Au domicile d'une coquine. Elle avait de beaux grands yeux noirs Elle s'appelait Léopoldine. Puissante et forte, une vraie armoire, Veuve depuis la guerre d'Indochine. Vêtue d'une sorte de peignoir Cachant à peine sa cantine Elle a ouvert, m'a dit « bonsoir » Avec une voix assassine. 137


Éros tique

M'a agrippé par les nageoires M'envoyant sur la moleskine. Arrachant ses fringues dérisoires, Elle a déballé, sauvagine, Ses mamelles en forme de poires, Ses grosses cuisses dodelines, Ses hanches lourdes, sa Forêt Noire, Et sa croupe quelque peu porcine. Tu n'vas pas gober mon histoire Mais la mémé était câline. À peine tenté-je de m'asseoir Qu'aussi leste qu'une babouine, Elle me désaxe le drageoir, Ses grosses lèvres engloutissent ma pine, Ses cuisses me servent d'accoudoirs, Et son gros barbu me domine, Sorte de profond étouffoir À l'odeur vague de sardine. Chance, il y avait un bougeoir Avec deux bougies d'origine. Et comme c'était mon seul espoir J'ai pas hésité, t'imagines... Une bougie blanche pour l'urinoir L'autre pour le cul, sans margarine. J'ai pas raté les trajectoires La voilà qui rue, qui trépigne 138


Éros tique

Qui serre mon zob dans son crachoir En gémissant comme une divine... J'ai eu aussi mon heure de gloire Et j'ai lâché les vitamines... Elle m'a libéré vers le soir Depuis, je travaille en usine.... ***

Léopoldine (par Macha Sener)

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illustration : auteur inconnu, pour les "Memoirs of Fanny Hill" de John Cleland (1889)


Abel et l'infirmière par Jacques Païonni

Abel a cent ans Il est turbulent, Ne fait que des bêtises... L’infirmière passant Les seins provocants Et le cul qui attise... Simple coup de vent, Pour un gars vaillant, Sûr que sa blouse voltige... Le vieux pas patient Prend le mors aux dents Il a sorti sa tige... C’était pas prudent Pour ses cheveux blancs, De rêver de fornique... 141


Abel et l'infirmière

Abel serre les dents Elle passe en riant Il ne tient plus la trique... Son cœur pas vaillant Flanche maintenant Les vieilles le critiquent... La belle calmement Sur son front bouillant D’un baiser le ranime Le souffle hésitant Il lui dit tremblant : « Dès que j’vais mieux j’te nique ! »

images d'origine : Armando Huerta (infirmière) et Lô

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Rapt à la vie par Monique-Marie Ihry

Je perçois ton regard Captivant Qui semble m’envelopper, brûlant. Je lève alors les yeux vers toi en tremblant, Parée d’espérance sous ce regard de braise sans fard Qui me charme, m’ensorcelle et me comble d’aise, Ne t’en déplaise. Tes lèvres de rapace viril Perdu dans ses insondables désirs S’entrouvrent, faisant place à l’esquisse d’un vil Et très inespéré sourire. Tes yeux me libèrent de mes voiles et je me retrouve dépourvue, Éperdue, Étendue sur le pont de ce navire en délire,

Au centre d’un banc de pétales de roses que tu sembles avoir déposés. Soupirs.

Dépouillée de mes atours, Énamourée sans amour en retour, J’ai progressivement l’impression de naviguer avec un fantôme Au curieux arôme monochrome. 143


Rapt à la vie

Tu sembles si proche et si secret à la fois. Effroi, Nulle trêve.

Nous naviguons sur ce bateau fantôme en partance pour un voyage vers nulle part,

Errant seuls, évoluant au beau milieu d’un vaste hasard blafard Très éloigné de mes premiers rêves.

Tu deviens alors soudain ce magicien aux doigts sorciers qui projette sur moi ses pires

Et éhontés désirs…

Le bateau hésite sous la houle de ton imposant corps agité, dressé, érigé en armure.

Ce cauchemar fantasmé dans mon angoisse éperdue, s’évertue et perdure. Une fois encore, je me raccroche désespérément au mât. Mais, déjà de moi las, Depuis les tréfonds de ta folle démence, Ma souffrance tu ignores et n’entends décidément pas. J’implore En vain ton absente clémence…

J’agrippe cette voile aux couleurs de la nuit et je m’y épuise. J’implore encore et encore,

À nouveau j‘adore Les dieux aveugles du ciel qui paraissent dans un prime abord Vouloir se rallier à ma cause. Pause. Mais il fait si noir. Pas même une étoile filante ne viendrait éclairer D'éventuels espoirs. Seuls tes yeux exacerbés dardent leurs rayons acérés D'acier Sur la pointe de mes seins en trophée érigés. Tu t’allonges. De peur alors je frémis et me ronge.

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Rapt à la vie

La houle ambiante fait bientôt tanguer les vaines espérances Qu’il y a peu j’osais encore caresser à outrance. Songe, Vaines espérances, Nuit si dense. J’essaie de voir clair en toi dans l’obscurité de cette morbide ambiance, Mais n’y parviens pas. Nul égard. Nous voguons de concert dans cet aveugle et furieux nulle part. Ton regard d’encre sombre

S’est éteint soudain, nous plongeant d’emblée dans un intense brouillard pénombre.

Une lame de fond déferle d’un coup dans l’ombre Sur mon corps telle une impitoyable pale, Qui assènerait en rafale Et sans la moindre pitié Toute son impitoyable animosité Dans la plus invraisemblable impunité ! Cette impérieuse et géante déferlante

S’évertue, s’entête à pénétrer inlassablement en mon âme autrefois aimante.

Elle déflore ainsi d'emblée mes dernières résistances latentes, Me clouant à jamais dans cette obscurité projetée Des lugubres et chagrines Profondeurs marines Qui peuplent ton univers Pervers. Je ne ressens bientôt plus mon corps Qui dès lors, Éperdu, hagard par cette diluvienne mer assassine

Me cloue dans les tréfonds de ce remords délétère pour m’être ainsi laissée tour à tour embrasée,

Trompée, abusée, violentée. Il semblerait que par cette nuit dans laquelle plus rien ne luit J’aie perdu toute connexion avec mon âme à jamais en souffrance.

145


Rapt à la vie

Impossible délivrance ! Plus, je ne puis. Je demande grâce, implore ta reddition. Mon corps à ta merci ne se débat plus, Molesté, las, à force de tant d'abus. Un éclair fulgurant m’assène ta semence. Tu t’écroules comme dans un râle immense Pour mieux renaître à cette mort Dont tu sembles décidément être la Mâle incarnation. M’aurais-tu jeté un sort…

Je me réveille en sursaut. Des perles d’effroi parcheminent encore ma peau. Tu t’en es allé fort heureusement. Il paraîtrait que je sois sauvée… pour un temps seulement.

***

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LES AUTEURS Retrouvez-les sur le site : http://dixdeplume.free.fr/ Ont collaboré à ce recueil : Jean GUALBERT Monique-Marie IHRY Jacques PAIONNI Évariste de SAINT-GERMAIN Macha SENER Stéphane THOMAS Laura VANEL-COYTTE

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Les auteurs

Jean Gualbert Déjà paru : ●

Première embauche (publié par l'ARACT Languedoc-Roussillon et la librairie Sauramps dans le recueil "Parler du travail : elles et ils ont pris la plume")

Petit soldat a été primé au concours "L'instant poétique" organisé par la librairie "L'Archipel des Mots" à Gex.

Avec le Dix de Plume : ●

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Le plus doux des hommes (Psychopathes et Compagnie)


Les auteurs

Monique-Marie Ihry http://aujardindesmots.unblog.fr/ À paraître : ●

Mythomania sur le Net

Rue du Maure qui Trompe

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Les auteurs

Jacques Paionni (Jacqk) http://jacqk.magix.net/website/ http://jacqk.unblog.fr/ Déjà paru : ● Les fourmis bleues (SF) ● L'héritage du Danyon (SF) ● L'homme sous la pluie (aventure fantastique) ● Poivre des murailles (roman) ● Le piquant du hérisson (policier) ● Petite Ile (roman) ● Des nouvelles d'ici et d'ailleurs (12 nouvelles de SF) ● Humeurs Vagabondes (poésies) ● Tomsk l'irascible (SF) Avec le GR746 / Babel la Ghilde des mondes : ● Robots et compagnie (Explorateurs et autres découvertes) ● Le secret du Paklin ; La maudite ; Guerrier le hérisson (Légendaire Svetlana) ● Et si Pieck revenait ; Et si c'était lui le prophète (Et si) ● Les rois de la bouteille ; Le marchand de couteaux ; Une échelle pour le père Noël (Contes pour Noël) ● Belair et la chanson triste (Quinze coups de griffes) ● Rêvalités (D'un rêve à l'autre) ● Alice et les couleurs du ciel (Alice au Pays des morts - anthologie Babel la Ghilde des mondes) Avec le Dix de Plume : ● Confession (Mensonges et boniments) ● Léonard (Psychopathes et Compagnie)

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Les auteurs

Évariste de Saint-Germain Textes retrouvés et dûment identifiés à ce jour : ●

Je suis un misérable

«I»

Je voudrais te dire

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Les auteurs

Macha Sener http://www.netvibes.com/machasener http://maruja.sener.free.fr/boutique Déjà paru : ●

Les Aventures du Chevalier Timothée et de la Princesse Jade, tomes 1 à 4 + hors série « l'amyotrophie spinale racontée aux enfants » (livres pour enfants)

Ma Divine Comédie en poésies (recueil de poésies)

Avec le GR746 : ●

Noël gris (Contes pour Noël)

Mission Zibéon (Quinze coups de griffes)

Sentence (D'un rêve à l'autre)

Avec le Dix de Plume :

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Impostures ; Jeanne et Marie (Mensonges et boniments)

Premier jour de soldes (Psychopathes et Compagnie)


Les auteurs

Stéphane Thomas http://camelice.e-monsite.com/ http://stores.lulu.com/stephanethomas Déjà paru : ●

Espère... (roman épistolaire)

Dean, un Géant à l'Est d'Eden (récit)

Boulogne-sur-Mer sous les bombes (récit)

Chanté Nwel (nouvelle)

Avec le GR746 / Babel la Ghilde des mondes : ●

Interview (Contes pour Noël)

Mission Zibéon (Quinze coups de griffes)

L'Homme qui court ; Sentence (D'un rêve à l'autre)

Retrouvailles (Alice au Pays des morts anthologie Babel la Ghilde des mondes)

Avec le Dix de Plume : ●

Investiture ; L'école des (Mensonges et boniments)

Inspiration ; L'instrument (Psychopathes et Compagnie)

Merveilles du

diable

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Les auteurs

Laura Vanel-Coytte http://http://www.lauravanel-coytte.com/ Déjà paru :

154

« Des paysages dans les oeuvres poétiques de Baudelaire et Nerval » (essai)

« Paysages » (poésie et prose)

« Paysages amoureux et érotiques » (poésie et prose)




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