Flores dans la presse

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©Marie-Claire et & Régis Buffière

Projet Flores Valoriser durablement la Flore Sauvage en France métropolitaine : Une recherche-action qui accompagne les professionnels de la cueillette de plantes sauvages dans la reconnaissance de leurs savoirs et savoir-faire et la définition de bonnes pratiques.

REVUE DE PRESSE & OUTILS DE COMMUNICATION INSTITUT DE GEOGRAPHIE ET DURABILITE

Université de Lausanne ı Bâtiment Géopolis ı CH-1015 Dorigny Projet-Flores@unil.ch ı wp.unil.ch/flores

Institut de géographie et durabilité


QUELQUES PARUTIONS DANS LA PRESSE & OUTILS DE COMMUNICATION

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Les 4 saison du Jardin Bio, 2014

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L’Uniscope, 2014

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Kaizen, n°22, 2015

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Profession :

cueilleur Les cueilleurs se multiplient en France et professionnalisent peu à peu une pratique jusque-là encore un peu secrète. Mais si les motivations restent pures, n’y a-t-il pas, à terme, de réels risques pour la biodiversité ? Texte : Sandrine Boucher

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Retrouvez un reportage photo sur le travail de Geneviève Bossy et Cécile Aubel sur notre site www.terrevivante.org, rubrique 4 saisons +

’est un métier qui remonte aux origines du monde, attire les vocations par centaines, s’inscrit dans un secteur économique qui ne connaît pas la crise, et dont on ne sait rien ou presque : les cueilleurs du monde végétal sauvage. Non pas ceux de temps révolus ou de latitudes exotiques mais d’aujourd’hui, en France. On ne sait pas ce qu’ils récoltent, où, comment, pour qui. « Il est même difficile de connaître le nombre de professionnels de la cueillette en France », reconnaît Michaël Arnou, jeune président de la non moins jeune association française des cueilleurs de plantes sauvages, créée fin 2011. « C’est un milieu assez secret, un peu sorcier, de micro-niches », ajoute Lulu Torrens, qui travaille plantes et fruits rouges sauvages dans le Jura. RÉSISTANCE C’est que les plantes sauvages ne se laissent pas cerner facilement : alimentaires ?

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médicinales ? cosmétiques ? à parfum ? Les ramasseurs non plus, qui choisissent ce métier par goût de l’indépendance, voire comme un acte de résistance aux cadres habituels et normatifs. Les unes et les autres sont ainsi introuvables dans les données de FranceAgrimer, l’organisme comptable du monde agricole qui renvoie, faute de mieux, à l’association des cueilleurs… Les enjeux ? Il faut les trouver entre les lignes des séries statistiques : + 25 % de croissance annuelle pour les cosmétiques bio entre 2005 et 2009, un marché des compléments alimentaires représentant un milliard d’euros en France ! Les cueilleurs ? On ne peut les évaluer qu’au doigt mouillé : « Plusieurs dizaines ne vivent que de cette activité, et ils sont plusieurs centaines pour qui la cueillette représente une part importante de leur travail et de leurs revenus », estime Thierry Thévenin, porte-parole du syndicat Simples 1 qui fédère une centaine de producteurs


Une première étude sur la cueillette et trois groupements. Les centres de formation font le plein : l’école lyonnaise des plantes médicinales, fondée par l’herboriste de Lyon Patrice de Bonneval, a ainsi multiplié par quatre le nombre de ses élèves en cinq ans. Cathy Skipper, une des enseignantes, remarque que si les élèves bâillent parfois en cours de botanique, « la cueillette “parle” à tout le monde, comme si elle était inscrite dans nos gènes. Et la connaissance des plantes dans leur milieu naturel est la colonne vertébrale du soin par les plantes ». À défaut de vue d’ensemble du métier de cueilleur, il faut réduire la focale, accepter l’impressionnisme. On abordera rapidement la polémique des “hordes” de cueilleurs sauvages, les “pas de chez nous” qui viennent faire des “razzias”, Espagnols, Marocains, Roms, ou tout bêtement ceux venus d’autres départements. « On en parle beaucoup, cela alimente la rubrique des faits divers, mais globalement, ce phénomène reste assez marginal », concèdent la plupart des observateurs de terrain. « LES YEUX TRAVAILLENT, LES MAINS SUIVENT » Pour les cueilleurs professionnels, la diversité est la règle, tant pour la formation (autodidactes, enseignements agricoles), les zones de cueillette (du jardin au territoire français), des modes de transformation (vrac, tisanes en sachet, sirops, macérats, huiles essentielles…), de commercialisation (grossistes, réseaux bio, magasins de pays, vente sur place ou par Internet) que des revenus de complé-

Le Massif central est aujourd’hui, comme hier, LE territoire de la cueillette des plantes sauvages. Économie du secteur, volumes récoltés, fragilité de la ressource, un état des lieux inédit a été présenté début 2013 par le conservatoire botanique national du Massif central. Il a recensé 257 cueilleurs professionnels sur ce territoire, une cinquantaine d’entreprises de transformation et de distribution, et 3 000 à 7 000 emplois indirects pour 370 espèces sauvages récoltées. Les principales : narcisses (200 Tonnes), gentiane (121 T), reine des prés (12 T), et arnica (9 T). Malgré les difficultés du recueil des informations tant auprès des filières que des cueilleurs, l’étude a révélé que certaines espèces rares étaient aussi cueillies, par dizaines de kilos. Le chiffre d’affaires annuel d’un cueilleur, établi à partir d’un échantillon, est en moyenne de 36 000 €.

ment (écriture de livres, formations, accueil à la ferme). « Il existe beaucoup de manières différentes de pratiquer ce métier. Tout dépend de qui on est et sur quel territoire on travaille », observe Thierry Thévenin. Après des études d’histoire, il s’est lancé à la fin des années 80, itinérant et équipé léger (« une faucille, une vieille 204, trois paires de draps et un séchoir dans le grenier ») avant de trouver une ferme dans la Creuse et de diversifier son activité. « La cueillette est un travail magique, dit-il, [qui] donne le sentiment d’appartenir à la nature, dans un lien primitif, primordial et intime au monde ». « Les yeux travaillent les mains suivent. On se sent en relation avec la terre, la plante, dans une harmonie, une paix intérieure », ajoute Marc Joubert, qui a bossé à l’usine, puis comme cueilleur nomade, avant de s’installer à 1200 mètres d’altitude dans le Mezenc, en Auvergne. Devenir cueilleur est ainsi une voie d’ac-

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C’EST UN MÉTIER QUI N’A RIEN DE BUCOLIQUE, IL FAUT SE BOUGER SI ON VEUT EN VIVRE. […] CERTAINES PLANTES NOUS SONT PAYÉES 30 CENTIMES DE L’HEURE cès au monde agricole pour ceux qui démarrent avec pas ou peu de terres, d’argent ou de formation. Pour d’autres, de plus en plus nombreux, la cueillette est le début d’une nouvelle vie. Geneviève Bossy, la « crise de la cinquantaine » venue, a passé un certificat d’herbaliste et lâché 34 ans de carrière de biologiste pour s’installer avec sa compagne sur le plateau du Retord, dans l’Ain, où elles proposent aussi chambres d’hôtes, miel, médecine chinoise… « Un mètre carré de prairie recèle un patrimoine fantastique. Je ne suis pas riche sur mon compte en banque, mais dans ma vie », sourit-elle en ramassant les premières baies d’églantier. « La cueillette est un moment privilégié, une chance que la nature nous donne. C’est la beauté des sites qui nous dirige », confie Fabrice Menc, en HauteProvence, commercial dans une autre vie

36000 euros en moyenne, le CA annuel d’un cueilleur

avant de reprendre, il y a huit ans, la faucille à romarin de son grand-père pour fabriquer des sirops à base d’herbes, fleurs et fruits sauvages de sa région. Quant à Cécile Aubel, près du lac de Paladru, en Isère, elle a orienté ses stages vers les végétaux sauvages dans leur multiples vertus : cuisine, bien-être, soin, cosmétique, décoration, teintures végétales… « Je cherche surtout à montrer comment chacun peut retrouver son autonomie avec une ressource gratuite, disponible à portée de main ». « Il y a beaucoup plus de nutriments dans les plantes sauvages que cultivées. Les connaître permet de ne jamais se retrouver seul ou pris au dépourvu », assure enfin Guy Lalière, cueilleur depuis vingt ans dans le Puy-deDôme, qui considère la flore spontanée comme un produit du terroir et forme des chefs à la cuisine sauvage. HURLUBERLUS Si la cueillette permet de survivre, offret-elle les moyens d’en vivre ? « Modestement, mais sans se priver », répond Pauline Martin. Après avoir débuté comme “gentianaire” sur le massif du Sancy, armée de la fameuse fourche du Diable, la jeune femme qui se rêvait jardinière sillonne désormais la France en couple pour le compte de la Sicarappam, la plus importante coopérative de cueilleurs

450 257 espèces et sous-espèces cueillies en France soit 10 % de la flore

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nombre de cueilleurs professionnels dans le Massif central


professionnels de France. « Au début, nous étions considérés comme des hurluberlus à espérer faire de la cueillette notre gagne-pain. Nous avons montré que c’était possible. Depuis vingt-cinq ans, j’en vis exclusivement et je fais vivre ma famille », affirme en écho Denis Chaud, 52 ans, président de cette coopérative créée en 1987, qui se considère comme un « paysan sans terre ». Il estime qu’une journée de cueillette rapporte environ 300 € pour 120 jours de récolte par an, le reste étant consacré au séchage et à l’activité, chronophage mais cruciale, du repérage des sites de récolte. Et puis, il y a toutes les activités annexes. « Nos producteurs sont plus sereins depuis quelques années. Ils se diversifient autour de la plante alors qu’auparavant, ils devaient se “couper en deux”, travailler dans un tout autre secteur pour s’en sortir », remarque Christophe Peret-Gentil, fondateur de l’herboristerie suisse Ariès en 1979, qui fait appel à une centaine de cueilleurs français et dit assister aujourd’hui au « deuxième ou troisième renouveau » de ce métier. « Mais c’est un métier qui n’a rien de bucolique, il faut se bouger si on veut en vivre. Rapporté au temps de travail, certaines plantes nous sont payées 30 centimes de l’heure. Beaucoup déchantent et abandonnent », tempère Lulu Torrens. DE PLUS EN PLUS DE CUEILLEURS Reste que de l’avis de tous les professionnels, les cueilleurs se multiplient sur le terrain sans arriver à répondre à une demande en forte croissance. « Au-delà de 20 ou 30 kg de plantes, même courantes, nous avons du mal à nous approvision-

Et les champignons ? Nouveau code forestier qui prévoit jusqu’à 45 000 € d’amende, arrêtés préfectoraux, contrôles de gendarmerie… la récolte de champignons sauvages devient une activité à haut risque. En Haute-Loire, la “Mecque du champignon” (marché de la ChaiseDieu, cuisine de Régis Marcon…), Laurent* tirait environ 6 000 € par an de la vente de morilles, cèpes, girolles ou trompettes aux restaurateurs et négociants locaux. Il a décidé d’arrêter. « C’est devenu trop stressant. Sous prétexte que quelques Roumains sont venus ramasser en 2012, on se fait agresser par les propriétaires. La forêt était l’un des derniers espaces de liberté où aller quand on avait besoin d’un petit billet ou envie d’un bon repas. Au delà de l’argent, c’était surtout un art de vivre. » Il a constaté que beaucoup de ramasseurs, jeunes ou retraités, ont aussi raccroché couteaux et paniers. *Prénom d’emprunt

ner dans la qualité que nous cherchons », observe Christophe Peret-Gentil, qui se fournit à 95 % en France. Or ce n’est un secret pour personne, les milieux naturels régressent avec l’urbanisation, la création de prairies artificielles, la suppression des haies, l’assèchement des zones humides, la disparition des “mauvaises herbes” des champs et des vignes. « Il y a de plus en plus de cueilleurs pour moins de plantes », observe Nadine Terpend, de la coopérative Biotope des Montagnes, dans les Cévennes, qui a mis en culture romarin et thym, surexploités dans sa région. Dans les Vosges, avec l’épandage de chaux et de fumiers pour engraisser les prairies de pâture et de fauche, 10 ha de landes ont été perdus pour l’arnica sur le plateau du Markstein. Or ce site fournit 10 des 15 tonnes de la collecte annuelle d’arnica en France, procure du travail à une cinquantaine de cueilleurs et alimente six laboratoires, dont les géants Boiron et Weleda. « On sous-estime encore l’activité que la cueillette génère et son potentiel », constate Fabrice Dupont,

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L’ENGOUEMENT ACTUEL POUR LES PRODUITS NATURELS EST UN NON-SENS S’IL SE TRADUIT PAR UN PÉRIL SUR LA RESSOURCE chargé de mission du parc des Vosges, co-initiateur d’une convention, signée en 2007, qui permet désormais de sauvegarder 150 ha de prairies maigres et acides qu’aime la plante des contusions. « Cette démarche reste ponctuelle et volontaire », regrette cependant Denis Graeffy, responsable process-qualité chez Weleda, qui appelle de ses vœux une règle commune à portée nationale. MENACES À L’HORIZON Les territoires de cueilleurs commencent à se chevaucher, en particulier dans le Massif central. Des plantes pourtant banales viennent à manquer. Au moins 450 espèces et sous-espèces seraient cueillies en France, estime Jean-Paul Lescure, « soit près de 10 % de la flore française, ce qui est énorme ! », souligne cet ethnobotaniste, fraîchement retraité de l’Institut de recherche pour le développement, qui a suivi le syndicat Simples depuis 15 ans. Les commandes augmentent et la gamme s’élargit. « Chaque année, on nous demande des plantes nouvelles », confirme Denis Chaud, dont la coopérative représente plus de 1 M€ de CA et propose six cents références : feuilles, fruits, bourgeons, racines, écorces, branchages, que se soit pour l’herboristerie, la pharmacie, la cosmétique ou même les décorations de Noël. L’intérêt des laboratoires s’ai-

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guise pour des espèces peu connues, susceptibles de receler des molécules nouvelles, quand ce n’est pas pire. « Des cueilleurs ont été approchés pour récolter des plantes protégées », affirme Jean-Paul Lescure. « Peu d’espèces sont directement menacées par la cueillette, mais cette menace s’ajoute aux autres. L’engouement actuel pour les produits naturels est un non-sens s’il se traduit par un péril sur la ressource », observe Stéphane Perera, chargé de mission du conservatoire botanique national du Massif central. Il y a urgence : pour de multiples raisons (aléas géopolitiques dans les pays du Sud, vigilance des ONG, conventions sur la biodiversité), l’industrie se replie vers la flore sauvage européenne. Avec, à la clé, « un risque de pillage si rien n’est fait pour penser la gestion de la ressource sauvage en amont, ce qui se fait pourtant pour la forêt. Malheureusement, la cueillette paraît encore trop anecdotique aux yeux des instances officielles pour les pousser à agir », analyse Claire Julliand, doctorante à l’Institut de Géographie et Durabilité de l’université de Lausanne, qui prépare une thèse sur la valorisation de la biodiversité sauvage en lien avec l’association française des cueilleurs. Celle-ci vient de lancer une réflexion associant coopératives, indépendants, gestionnaires d’espaces naturels, pour conduire à terme à la création d’un statut professionnel et d’un label qui permette aux cueilleurs de vivre de leur métier, à la flore sauvage d’être préservée, et au consommateur d’être mieux informé. 1- Auteur d’un Plaidoyer pour l’herboristerie publié en 2013 chez Actes Sud


14 Savoirs

L’industrie du sauvage D’une pratique traditionnelle, la cueillette de plantes sauvages s’est aujourd’hui muée en véritable activité économique. Le projet FloreS, initié par Claire Julliand, accompagne les cueilleurs dans la professionnalisation de leur métier.

L’ail des ours, que l’on trouve sur le campus est menacée de surexploitation en Europe, explique Claire Julliand. F. Imhof © UNIL

Sophie Badoux

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ne silhouette courbée dans un paysage verdoyant. Génépi, gentiane, arnica ou aubépine : des plantes sauvages qui deviennent bonbons, tisanes, médicaments ou parfums. Dans l’imaginaire commun, le geste ancestral de la cueillette présente une image bucolique forte. Le retour à la nature, aux recettes de grand-mère et aux ingrédients sauvages, qui s’observe autant dans le marketing des industriels que chez les consommateurs friands d’ouvrages de développement personnel, y participe grandement. « La cueillette souffre d’un problème de représentation, car pour ceux qui la pratiquent professionnellement, c’est tout sauf une activité bucolique », explique Claire Julliand, assistante-

doctorante à l’Institut de géographie et de du- et aux modes de vie des producteurs-cueilrabilité de l’UNIL. La cueillette commerciale leurs. Au travers du projet FloreS, réalisé en reste d’ailleurs largement méconnue en Eu- collaboration avec l’Association française des rope. En effet, le Vieux-Continent représente cueilleurs professionnels de plantes sauvages (AFC) et AgroParisTech, seulement depuis peu elle souhaite accompaune opportunité pour Le projet FloreS doit l’industrie, qui s’appro- permettre le dialogue entre gner la corporation dans son parcours vers la revisionnait jusqu’ici princueilleurs et industriels. connaissance de ses sacipalement dans les pays voir-faire professionnels. en développement. Mais leurs cadres juridiques environnementaux de Le projet – lauréat de l’appel à proposition plus en plus sévères, ainsi que les exigences « Biodiversité et savoirs locaux » de la Fonde traçabilité des consommateurs ont changé dation d’entreprise Hermès – doit permettre la donne. aux cueilleurs professionnels ainsi qu’aux autres acteurs de la filière (industriels de la Depuis plus de dix ans, la chercheuse s’inté- cosmétique, de la pharmacie ou de l’agro-aliresse ainsi aux enjeux de la cueillette com- mentaire, et responsables des politiques pumerciale en France, ainsi qu’aux motivations bliques de préservation de l’environnement)

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d’engager le dialogue. « Il est difficile de connaître réellement le nombre de personnes cueillant à des fins commerciales puisque le métier n’existe pas officiellement », précise la chercheuse. Accompagner cette démarche de professionnalisation, en posant un regard scientifique sur les aspects environnementaux et sociologiques, en proposant aux cueilleurs d’établir une charte de cueillette durable, et en identifiant les voies de régulation possibles pour y arriver, sont aussi les principaux aspects au cœur du projet FloreS pour les deux années à venir.

Du familial au commercial Cueillir, une activité d’apparence simple derrière laquelle se cache une pratique complexe recouvrant diverses réalités selon les époques, les territoires, les plantes et l’univers social du cueilleur. Si le recours à l’aliment sauvage survient d’abord dans les contextes de disette au Moyen Age, son commerce fleurit ensuite dans le cadre des marchés locaux puis de la fabrication de remèdes au XVIIe siècle. Au XXe siècle, la cueillette est principalement un moyen pour les agriculteurs d’arrondir leurs fins de mois. Mais on observe aussi un changement d’échelle. « Dès les années 1950, on passe d’une cueillette familiale à une cueillette commerciale, organisée et destinée à fournir le secteur industriel. Les cueilleurs ne sont alors plus strictement issus du milieu agricole mais ce sont des ouvriers, des saisonniers ou des étudiants. Le développement des industries des parfums et des cosmétiques encourage cette transformation », analyse Claire Julliand. Dans les années 1970, le mouvement de retour à la terre favorise des productions alternatives de plantes aromatiques et médicinales. Les producteurs sont alors souvent des néo-ruraux d’origine citadine. Ce sont eux qui vont participer activement aux démarches de reconnaissance de la profession. Un processus qui n’est pas encore achevé aujourd’hui.

sur les pratiques « artisanales » de la cueillette. Mais leurs attentes en termes d’approvisionnement ne sont pas toujours conformes à la disponibilité de la plante, allant parfois à l’encontre de pratiques durables et exerçant une pression sur la ressource comme sur les cueilleurs », explique Claire Julliand. En outre, les politiques agricoles de préservation de la biodiversité deviennent de plus en plus restrictives, forçant les cueilleurs à se déplacer là où les règlements sont plus souples. En France, les interdictions sont régies par département ou par région, mais il n’existe pas de réflexion globale au niveau du gouvernement. « Même si ce sont des espèces communes qui sont généralement récoltées, une surexploitation peut entraîner un risque. L’ail des ours en est un bon exemple. On le retrouve dans beaucoup de produits industriels

Préserver l’exploitation de ressources naturelles dans des pays en voie de développement paraît aujourd’hui une évidence. Bon nombre d’associations et de labels équitables y œuvrent. Le projet FloreS souhaite cependant rappeler qu’en Europe aussi une menace pèse sur la flore sauvage et que l’équilibre fragile entre cueilleurs, propriétaires fonciers, environnement et industriels ne doit en tout cas pas être tenu pour acquis.

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Exigences et marketing contradictoires

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La volonté de se professionnaliser provient beaucoup du fait que les cueilleurs doivent faire face à de nouvelles exigences du secteur industriel. Ces dernières impliquent une standardisation des pratiques, qui va en réalité à l’encontre du discours marketing. « Pour leur image, les entreprises misent autant sur l’aspect local – respect de la nature, qualité et vertu particulières d’un produit naturel – que

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mais il n’est pas cultivé en Europe. Une menace de surexploitation pèse donc sur cette plante. » Pour réguler, il faudrait cependant avoir plus de données chiffrées sur l’activité. Une réf lexion doit aussi être menée sur la manière de légiférer – par plantes, par secteurs d’activité ou par territoires ? – pour ne pas simplement prononcer des interdictions, qui sont alors régulièrement contournées.

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Portfolio

Éléonore Henry de Frahan Dans les pas des cueilleurs professionnels Vice-président de l'Association française des cueilleurs professionnels de plantes sauvages (AFC) et négociant en plantes médicinales issues de l’agriculture biologique, Jean Maison répond aux questions de Kaizen sur ce métier peu commun. La photographe Éléonore Henry de Frahan a accompagné durant plusieurs jours ce passionné et d’autres cueilleurs professionnels sur leur lieu de travail, en Corrèze. Entretien réalisé par Pascal Greboval

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Pascal Greboval Comment définissez-vous un cueilleur ? Jean Maison On peut distinguer la cueillette occasionnelle et récréative de la cueillette commerciale, effectuée par un cueilleur professionnel. Ce dernier peut être un chef d’exploitation ou un travailleur indépendant.

sources de l’humanité, car la récolte des plantes sauvages est l’une des premières activités humaines. Les premiers hommes prélevaient dans la nature de quoi se nourrir, se vêtir et se soigner. Plus tard, la cueillette, dans beaucoup d’exploitations agricoles, devient un revenu d’appoint – les « menus travaux » –, et est souvent confiée aux enfants et aux grands-parents. La cueillette traditionnelle à vocation médicinale était le plus souvent intimement liée à la foi des populations. Par exemple, en Limousin, la récolte des plantes composant le bouquet de la Saint-Jean – parmi lesquelles la digitale pourpre et le millepertuis – était réalisée la veille de la nuit la plus courte de l’année, au solstice d’été. Les plantes étaient considérées plus bénéfiques dans les multiples usages de protection et de soin pour lesquels ce bouquet était réalisé. Chez le chaman et

Intéressons-nous aux cueilleurs professionnels. D’où vient cette tradition ? Avant tout, il est difficile de donner une définition générale du cueilleur professionnel, car il existe une grande diversité de situations. Néanmoins, le cueilleur dispose souvent d’un esprit indépendant, d’une capacité de concentration et de travail soutenue, d’un caractère bien trempé et d’un esprit de suite. Les premières traces de cueillette remontent aux

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« La plante est un vecteur de sacrement et de communication d’énergie qui maintient un équilibre. »

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chez le prêtre, la plante est un vecteur de sacrement et de communication d’énergie qui maintient un équilibre dans lequel la santé psychique, spirituelle et physique sont indissociées. Autrefois, les ramassages relevaient de principes et de pratiques bien définis : horaires, astronomie, maturité de la plante, etc. Est-ce à dire que le geste est plus important que la récolte ? Dans le cadre de certains rituels, le geste, et ce qui va après le geste – c'est-à-dire la récolte, l’arôme dégagé par la plante, son élévation vers le sac – sont en effet plus importants que la récolte en elle-même. Car, dans les traditions populaires, il semble que la part spirituelle et la part matérielle soient intimement liées. Depuis, la « mécanisation » du monde a imposé la séparation des deux. En voulant donner des

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explications rationnelles – utiles par ailleurs – à tout, nous avons éloigné tout ce qui relève de l’incommunicable, de l’indicible. Pierre Reverdy relate, dans Cette émotion appelée poésie [1947], qu’un chirurgien célèbre avait affirmé n’avoir jamais rencontré une âme sous la pointe de son scalpel. Et Reverdy de répondre que « l’âme serait justement une de ces choses qui ont pour propre de ne jamais se laisser surprendre à la pointe du scalpel ». Aujourd’hui, le cueilleur n’est plus tout à fait dans cet état d’esprit : nous sommes dans une démarche économique, quand bien même est-elle écologique. La plupart des cueilleurs sont des entrepreneurs qui agissent afin de gagner leur vie, mais beaucoup conservent une certaine sensibilité qui les distingue dans notre époque.

immense savoir livresque, reprenant en partie les traditions orales transmises depuis des temps immémoriaux. Et, si tous les cueilleurs ne sont pas des scientifiques, la plupart sont sensibles à la vie écologique des territoires sur lesquels ils travaillent. Ils sont les premières vigies attentives à l’espace où ils se déploient. Pour citer Nerval qui paraphrase Pythagore, « tout est sensible ». Le cueilleur est effectivement dans cet état d’esprit : attentif à la disparition des espèces, aux menaces écologiques, et au maintien de la biodiversité. Quels sont les enjeux liés au statut de cueilleur aujourd’hui ? Il n’y a pas, à proprement parler, de statut de cueilleur. L’AFC travaille à la reconnaissance du métier à travers la réalisation d’une charte de qualité. Elle est partenaire, depuis 2013, de FloreS, un projet de recherche-action porté par l’Institut de géographie et durabilité de l’université de Lausanne. FloreS cherche, entre autres, à accompagner et à aider

Les cueilleurs constituent néanmoins un lien entre la société moderne et la nature… Ce sont les héritiers d’une tradition, avec les spécificités de chaque culture. Nous disposons d’un

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l’AFC dans le processus de reconnaissance de la profession de cueilleur, ainsi que dans la définition de bonnes pratiques de récolte. Il y a quelques années, nous avons fait le constat de la disparité des méthodes et des pratiques qui existent entre les professionnels. Nous avons aussi observé que les cueilleurs étaient loin des lieux de décisions administratives et techniques. Nous travaillons à la mise en place d’une structure représentative capable de donner des éléments de référence pour s’installer : pérennité d’une espèce, rémunération correcte, etc., ainsi qu’à la réalisation de fiches techniques validées par un comité scientifique. Les cueilleurs professionnels répondent à une demande croissante de consommation de végétaux dans le domaine de la cosmétique, de la pharmacie et de l’agroalimentaire. Il faut donc se poser des questions : d’où vient la ressource ? Qui ramasse ? Comment ? Quelle traçabilité ? Comment devenir un cueilleur amateur ? Il existe de nombreuses associations qui proposent des randonnées botaniques. Procurez-vous aussi un petit livre de vulgarisation pour apprendre à

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« Tout est sensible. »

reconnaître les arbres, arbustes et fleurs. Commencez à petite échelle, en cueillant quelques plantes, faites‑les sécher pour préparer vos tisanes. Il est possible aussi de mettre en place un herbier photographique afin de découvrir et d’apprendre sans consommer de plantes toxiques ni ramasser celles qui sont en péril. Il faut, je pense, tout simplement chercher le lien avec nos milieux naturels, en mesurer la beauté et la fragilité. Il faut apprécier avec loyauté leur générosité. n

Pour aller plus loin www.cueillettes-pro.org www.collectifargos.com www.unil.ch

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