Révolte de la Tour de l’INSEE : Découvrir l’Héritage du Béton à l’Heure de l’Obsolescence Programmée

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RÉVOLTE DE LA TOUR DE L’INSEE

Découvrir l’Héritage du Béton à l’Heure de l’Obsolescence Programmée

Notice de PFE de Deniz CENE

École Nationale Supérieure d’Architecture Paris‑Malaquais

PASS ‑ Pratiques Architecturales, Situations et Stratégies 2023‑2024

RÉVOLTE DE LA TOUR DE L’INSEE

Découvrir l’héritage du béton à l’heure de l’obsolescence programmée

Cette notice a été rédigée dans le cadre du R10 « Paris/Séville 50° » dirigé par Maud Levy, Christelle Lecoeur et Ariela Katz en lien avec le projet de fin d’études encadré par Colin Reynier.

MOTS CLES :

‑ anachronie : n.f. / Inadaptation de quelque chose à son époque.

«L’inverseaeulieuetnoussommeslà,àcompterchaquejour les étages qui disparaissent. Observateurs attentifs de l’évi‑ dente anachronie d’une chute. » 1

‑ contre‑projet : n.m. / Projet que l’on oppose à un projet précédent, sur une même question.

« Pour un «oui» ou pour un «non», on s’écharpe en votation. Au‑delà de cette binarité peu constructive, des «contre‑pro‑ jets» s’opposent par l’alternative. Par la critique qu’ils susci‑ tent et incarnent, ils contribuent au débat et font aussi la ville. »2

‑ transgression : n.f. / Action consistant pour quelqu’un à transgresser, c’est-àdire à aller à l’encontre d’une loi ou bien encore d’un ordre. Lors de cette rapport le mot “transgression” est utilisé dans le sens d’une action qui dépasse les limites habituelles ou les normes établies. :

« Ainsi stimulé, l’architecte devient « l’auteur » d’un nouveau scénario où la mutation peut aussi prendre figure de trans‑ gression. »3

‑ ressource: n.f. / Moyen permettant de se tirer d’embarras ou d’améliorer une situation difficile.

« Le matériau est une ressource à exploiter, non à gaspiller.» 4

1 Delon, Nicola. “La tour Insee à Malakoff : anachronie d’une chute.” AOC, 8 avril 2024,

2 Frochaux, Marc. Contre-Projets. TRACÉS Juillet 2023, Paris.

3 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

4 “High praise for “never demolish” approach to sustainable design” , Holcim Foundation, 18 Mars 2021.

Ia Adaptation

Ib Conservation / Patrimoine matériel – immatériel

Ic Transgression

Id Lutte citoyenne

IIa Les enceintes de Paris

IIb L’avenir de ceinture

IIIc Architecture en boucle

IVd Esthétique brutale

IIa In situ

IIb Diagnostic de l’existant

UNE DECISION : La démolition

IV Interroger les critères

IVa Critère Social

IVb Critère Patrimoniale

IVc Critère Economique

IVd Critère Fonctionnel

IVfe Critère Environnemental

IVf L’obsolescence comme justification

VUN CONTRE‑PROJET: Révolte De La Tour L’INSEE

V Public cible

Va Une nuit : Pôle Hôtel

Vb Une année : Pôle Résidence Etudiante

Vc Une Vie: Pôle Résidence Social

Vd Une Machine à habiter autrement

J’ai faim

J’ai soif

BIBLIOGRAPHIE

AVANT‑PROPOS

Mon sujet de Projet de Fin d’Études porte sur la redécouverte d’un héritage iconique mais négligé de l’histoire de l’architecture : la Tour de l’INSEE. Située au sud de Paris, à la lisière du 14e arrondissement, cette tour tripode en béton marque fièrement l’entrée de la ville de Malakoff.

L’étude approfondie des indices techniques et historiques m’a convaincu de la possibilité d’une deuxième vie pour la Tour de l’INSEE. Cette conviction a nourri ma motivation à démontrer comment ce trésor brutaliste, aujourd’hui abandonné, peut accueillir divers usages et susciter des réflexions profondes quant à sa parcelle et à sa hauteur. En partant du principe que les germes des futures mutations d’un bâtiment sont souvent inscrits dans son projet initial, j’avais le désir de montrer comment cette œuvre brutaliste pourrait renaître de son propre cadavre.

En m’engageant dans ce projet, j’ai cherché à explorer et à illustrer les potentiels cachés de ce monument architectural. Mon objectif est de proposer des solutions innovantes pour sa réhabilitation, en respectant son caractère originel tout en l’adaptant aux besoins contemporains. Je crois fermement que la Tour de l’INSEE peut non seulement retrouver sa splendeur passée, mais aussi devenir un exemple inspirant de transformation architecturale.

REMERCIEMENT

Je souhaite exprimer ma reconnaissance à l’Association In C’ Malakoff. Un grand merci à Jean‑Christophe Hanoteau, président exécutif, pour ses conseils avisés et son engagement, ainsi que pour les documents fournis. Je tiens également à remercier toutes les personnes mobilisées autour de l’engagement pour défendre la tour de l’INSEE. Elles m’ont énormément inspiré pour ce Projet de Fin d’Études.

Je remercie également Noé Dijoux pour avoir partagé son mémoire sur ce sujet. Son point de vue et ses réflexions ont profondément enrichi mon travail.

Je remercie sincèrement Asma Snani et Marine Giry de la Maison d’Architecture d’Île‑de‑France pour leur confiance et leur engagement indéfectible à promouvoir l’architecture.

Egalement je souhaite remercier toute l’équipe de PASS, et plus particulièrement Colin Reynier, Christelle Lecoeur et Océane Ragoucy pour leur engagement et leur dévouement envers ce projet.

Enfin, je tiens également à exprimer ma gratitude envers German Gomez Grijalva pour son soutien inconditionnel et constant.

Photographie du chantier Archive de la Ville de Malakoff

5 Olivier, Arthur. “L’énergie dans l’Union européenne.” Toute L’Europe, 3 Octobre 2023.

5 Chadeau, Fabien, Reportage Rédaction de TF1info. “Crise du logement : comment transformer les millions de mètres carrés des bureaux vides en appartements ?” TF1, 27 mars 2024.

6 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

LaTour d’INSEE, en 1974, dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine du secteur nord de Malakoff, elle a été commanditée par L’Institut national de la statistique et des études économiques donc INSEE et réalisée par les architectes Serge Lana et Denis Honegger. Depuis, elle s’élève à 48 mètres en R+13, couvrant une surface de 40 000 m2 hors œuvre nette, mais est sur le point d’être détruite pour céder la place à une nouvelle tour. Ce nouvelle tour offrira approximativement la même superficie, avec quelques mètres de plus en hauteur, afin d’accueillir de nouveau les bureaux des équipes du ministère des affaires sociales.

Aujourd’hui, nous vivons dans une époque d’accélération où les techniques et les sources de construction sont plus accessible que jamais. D’un autre côté, cette accélération est liée d’autres forces qui caractérise le monde contemporain, tels que les changements climatiques. Les exigences écologiques ne cessent de nous contraindre à réduire de manière très significative notre consommation d’énergie fossile, en particulier dans le domaine de la construction, qui représente 40% de l’énergie totale utilisée dans l’Union Européenne.4 Parallèlement, une pandémie de deux ans a entraîné une série de changements, tels que la diminution des besoins en bureaux en raison du télétravail. Aujourd’hui, on estime qu’il y a plus de 4,4 millions de mètres carrés de bureaux vides 5 en Île-de-France.

De cette manière, l’intensification de l’utilisation des lieux et la réévaluation des anciens bâtiments sont devenus des sujets inévitables en architecture. “Passée la Reconstruction de l’après‑guerre guidée par l’urgence, puis la « rénovation‑bulldozer » des années 1960‑1970 animée par l’idéologie de la table rase, l’heure est à la transformation des bâtiments existants et des territoires urbanisés.” 6

Par contre à notre cas, la décision de démolition-reconstruction a été prise dès le part d’INSEE en raison du constat selon lequel « le strict maintien des bâ‑ timents existants ne permettait pas de répondre au programme des besoins des ministères sociaux »7. Rapidement le nouveau projet proposé au avis public, est jugé « 50 000 tonnes de matière promise à la férocité des bulldozers. En guise de remplacement : le même usage, la même surface, la même structure béton. »8

Cependant, avons-nous réellement compris l’ampleur du potentiel de la réhabilitation ? Même si l’option de la réhabilitation de la tour a été étudiée dans un premier temps par une étude comparative multicritères de l’État, rendue publique en 2022 par Alterea, elle n’a pas été retenue car elle ne répondait pas aux besoins de l’État. D’un autre côté, les études multidisciplinaires menées par les associations ont montré une opportunité de reconversion dans le contexte actuel, contrairement aux idées reçues. Même si le bâtiment est en bon état et présente des avantages en tant que ressource existante, il n’a jamais été le sujet principal du débat.

Grace à cette étude de cas, on va recentrer la discussion de la préservation de patrimoine sur la période qualifié de “moderne,” allant de la mi-XIXe siècle à la fin du XXe siècle. On va met particulièrement l’accent sur notamment celui des « trente glorieuses », qui est le moins « considéré », le plus en danger, car souvent jugé plus facilement renouvelable, pour ne pas dire plus aisément « jetable ».9 Au dela cette recherche va questionner la mutabilité du patrimoine moderne en région parisienne.

7 Secrétariat général Direction des finances des achats er des services. “Projet Malakoff. “Construction du nouveau Grand site de l’Administration centrale. Déclaration de projet emportant mise en compatibilité du PLU.” Paris, 6 octobre 2020.

8 Baguelin, Lucie. “32 500 m² détruits, 32 500 m² reconstruits : Nouveau rassemblement contre une absurdité écologique.”, D’architectures,11 Mars 2023.

9 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

En tant qu’architecte de demain, le Projet de Fin d’Études représente un défi unique visant à imaginer l’avenir de la discipline tout en tenant compte de ces exigences par une étude de cas. C’est le cas de la Tour INSEE, un imposant tripode en béton et verre, qui a occupé jusqu’à aujourd’hui une position stratégique à la lisière du 14e arrondissement, signalant fièrement l’entrée de la ville de Malakoff (Hauts-de-Seine). Bien qu’elle soit officiellement située sur le territoire de Malakoff selon le plan parcellaire, les aspirations métropolitaines la placent dans un contexte plus large, incluant le périphérique de Paris.

9 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

Problématique

La mutabilité du patrimoine tertiaire est un processus complexe influencé par des critères économiques, environnementaux, réglementaires et sociaux. Les décisions de démolition ou de rénovation doivent être prises en tenant compte de multiples facteurs et en collaboration avec divers acteurs impliqués dans le processus. L’objectif de cette notice de Projet de Fin d’Études est de questionner ces critères. Nous répondrons aux questions suivantes : Sur quels critères peut-on justifier la démolition de bâtiments ? Quels sont les enjeux et les acteurs impliqués ? Quelle est la durée de vie d’un bâtiment ? Est-elle prédéterminée ou non ?

Comme l’a souligné Francis Rambert dans le cadre de l’exposition ‘Un bâtiment, combien de vie’, organisée par la Cité de l’architecture en 2015 : “À l’heure de l’obsolescence programmée, la question de la reprogram‑ mation se pose avec d’autant plus de force.” 9 Au-delà de cette citation, qui revêt une importance particulière et offre une perspective plus globale en contextualisant l’étude des cas de la tour de l’INSEE, nous allons examiner pourquoi et comment ce patrimoine oublié du XXe siècle peut accueillir différents programmes, ainsi que les conditions nécessaires pour rénover les bâtiments tertiaires.

Cette étude de cas met également en avant un critère peu considére mais essentiel pour la reconnaissance et l’appropriation de l’héritage de ce bâtiment : celui de l’engagement et de la lutte citoyenne. Depuis 2021, autour des différentes associations locales, les Malakoffiots défendent la non-démolition du bâtiment existant en affirmant qu’à côté des exigences écologiques précédemment citées, cette tour représente un site de mémoire, un repère et un symbole pour son territoire. Même si l’État français a abandonné le tripode depuis 2018, la voie publique a réussi à rouvrir le débat sur plusieurs tables, et la lutte citoyenne continue d’être diffusée et discutée sur différentes plateformes.

En tant que futurs architectes, on suppose que notre responsabilité majeure est d’écouter et d’analyser les besoins d’aujourd’hui afin de les projeter vers le futur. Ainsi, qu’est-ce qu’elles défendent ? Quels sont leurs engagements ? Qu’est-ce qui a changé ? Grâce à cette dimension, j’ai découvert cet héritage et donc il est devenu le sujet de cette étude. Cette PFE se développe en tant qu’elle répond à cet appel citoyen.

La problématique de cette PFE est donc formulée ainsi :

Comment ce patrimoine négligé du XXe siècle peut‑il aller au‑ delà de la simple préservation architecturale pour devenir le pilier d’une communauté durable et inclusive ?

Cette problématique met davantage l’accent sur le rôle de l’obsolescence programmée dans le processus de décision, soulignant ainsi son influence sur l’état et l’utilité perçue des bâtiments. Elle invite à explorer comment les dynamiques de réhabilitation urbaine s’entremêlent avec les notions d’obsolescence programmée pour façonner la perception de la tour de l’INSEE et influencer les décisions concernant son avenir architectural.

Méthodologie

Durant toute la phase de recherche documentaire, une enquête approfondie a été menée pour comprendre et dessiner le bâtiment ainsi que son contexte. Étant donné que le sujet était délicat, les services municipaux n’ont pas mis leurs ressources à disposition. Par conséquent, j’ai rencontré de nombreuses difficultés pour obtenir les plans du bâtiment. Finalement, grâce aux archives de l’association INC Malakoff, j’ai pu obtenir les plans de construction dessinés à la main. Ainsi, l’ensemble de l’analyse et du projet a été réalisé à partir de ces documents.

Déroulement

UNE EXIGENCE dont il faut parler.

Dans un premier temps, nous examinerons l’importance croissante de la réhabilitation des bâtiments déjà présents dans le contexte urbain contemporain, mettant en lumière les évolutions des modes de vie et des besoins qui exigent une reprogrammation des structures existantes. Nous détaillerons également les défis, les méthodes et orientations nécessaires pour éviter les faux-espoirs de greenwashing dans cette ouverture. Nous plongerons dans le débat sur la lutte citoyenne pour la préservation des bâtiments existants, en explorant les raisons et les enjeux de cette mobilisation sociale.

UN TERRITOIRE fortement impacté par cette exigence.

Ensuite, Nous allons examiner le territoire autour de la tour de l’INSEE dans son ensemble, en nous concentrant sur le périphérique de Paris, afin de comprendre ses exigences pendant la période des Trente Glorieuses et de voir comment il se présente aujourd’hui. En parallèle, nous explorerons la question de la Tour INSEE en particulière, et pourquoi sa démolition suscite autant d’interrogations. Comment cette décision montre également les implications pour d’autres tours périphériques actuellement en débat.

UNE TOUR en tripode, un symbole important de ce territoire. Dans un troisième temps, nous nous pencherons sur la tour, en observant comment elle a perdu de son importance au fil du temps pour devenir une victime de l’obsolescence programmée. Nous mettrons en lumière les qualités techniques et artistiques de la tour, qui guideront notre analyse tout au long du processus. Cette étape consistera à examiner en détail le bâtiment, ainsi que le plan de concentration de Malakoff conçu par les mêmes architectes, où la tour occupe une place importante. Nous soulignerons donc les caractéristiques et les formes géométriques pures de cette tripode, tout en explorant les avantages et le potentiel de sa rénovation. Ensuite, nous explorerons les différentes méthodes de “revalorisation” de cette architecture moderne.

UNE DECISION pour démolir cette tour.

Nous plongerons au cœur du processus qui a conduit à la décision controversée de démolir la tour de l’INSEE à Malakoff. À travers un examen chronologique complet, depuis l’annonce en 2015 du déménagement du siège de l’INSEE jusqu’à la décision de démolition, ce chapitre explore les différentes étapes de cette décision urbaine majeure. Parallèlement, nous nous intéresserons aux acteurs de cette décision. Nous explorerons en détail le rôle de cette lutte citoyenne et les raisons de leur engagement. Nous analyserons comment, au fil du temps, cette lutte a évolué en réponse aux différentes circonstances temporelles, telles que la période pendant et après la Covid-19.

Et Finallement: UN CONTRE-PROJET: Révolte De La Tour L’INSEE

I

UNE EXIGENCE : Transgression

10 Riaud, Mathilde. “Logement :

Réhabiliter et Transformer Pour Faire Du Neuf Avec Du Vieux.” Les Echos, 8 Dec. 2023.

Adaptation

Après la longue période du Mouvement moderne, la pratique de la transformation est désormais largement acceptée comme une manière légitime de répondre aux besoins évolutifs des villes. Dans le débat sur la ville, l’idée de construire « la ville sur la ville » est aujourd’hui la base de toute intervention urbaine. D’une cote, dans un contexte urbain dense tel que celui de Paris, les municipalités sont confrontées à des défis majeurs, notamment celui de l’étalement urbain, qui menace les espaces naturels environnants. Ainsi les exigences poussent vers l’adoption d’un modèle de ville plus compact et efficient.

Parallèlement, les évolutions des modes de vie et des besoins exigent une révision de l’utilisation des bâtiments existants. Les changements socio-économiques requièrent des adaptations, en particulier dans le domaine des bâtiments de bureaux. Apres les contraintes liées au Covid-19, le passage au télétravail s’est accéléré dans plusieurs domaines professionnels. De cette effet le nombre de mètres carrés de bureau vacants y a explosé, plus précisément 2,6 millions de m² vides avant la crise, plus de 4,4 millions de m² 10 aujourd’hui.

11 Chesneau, Isabelle. "La démolition des bureaux en Île-de-France : renouvellement ou flexibilité ?"

Géocarrefour, vol. 78, no. 4, 2003, pp. 337-348.

Cette dynamique appelle à une flexibilité spatiale, où les espaces de travail s’ajustent en permanence aux évolutions, suscitant ainsi des interrogations sur le cycle de vie des bâtiments. Autrement dit, selon Isabelle Chesneau dans son étude sur le renouvellement des immeubles de bureaux en Île-de-France, Le passage à une société post-fordiste génère une intensifi‑ cation du renouvellement urbain et de destructions que les opérateurs justifient le plus souvent par l’obsolescence du cadre bâti. 11

Dans cet environnement urbain en constante mutation, la réutilisation des structures déjà en place prend une importance capitale. Repenser les espaces disponibles à Paris devient ainsi un enjeu majeur de l’architecture urbaine contemporaine. La reconquête, la réappropriation, la réutilisation et le recyclage émergent comme des impératifs pour relever ces défis et façonner un avenir durable pour la ville.

“Il en est des bâtiments comme des langues vivantes, ils évol‑ uent, se transforment avec le temps, s’adaptant à de nouveaux usages, s’enrichissant de nouveaux apports” 12 dans cette optique, Francis Rambert a exprimé la transformation dans le domaine de l’architecture. Cette vision met à jour le rôle traditionnel de l’architecte , le positionnant non seulement en tant que concepteur d’espace, mais également comme l’auteur d’un nouveau scénario où la mutation peut aussi prendre figure de transgression. Ainsi, la notion de « transgression » est introduite pour décrire une action qui dépasse les limites habituelles ou les normes établies. Elle est associée à l’idée de franchir des frontières ou des règles, notamment dans le contexte de la transformation de l’architecture.

C’est là que nous reposons la question de la réhabilitation, non pas dans une perspective historiciste, mais dans une dynamique de réutilisation. Cela nécessite une approche novatrice et audacieuse lors de la rénovation ou de la réutilisation des structures existantes.

12 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

13 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

Conservation / Démolition

Malgré le fait que la décision de démolition dans plusieurs de ces cas ait été justifiée par les performances médiocres des bâtiments en question, dans la plupart des cas, une stratégie de démolition-reconstruction « idéologique » est dissimulée derrière ces études. L’amortissement, l’obsolescence sont souvent la cause voire la justification du processus de destruction. Le désintérêt, le délaissement, la désaffection font le reste du tra‑ vail de sape. 13 Ainsi la décision de démolition est considérée comme la destruction de la période ou de la pensée idéologique à laquelle le bâtiment fait référence.

Particulièrement lorsque le bâtiment en question date de la fin de l’époque des Trente Glorieuses, période d’abondance suivie d’une pénurie , cette volonté de démolition « idéologique » soulève des questions encore plus profondes.

Pour aborder de la destruction on se réfère à l’architecte de la destruction, Gordon Matta-Clark s’attache à cette volonté de démolition dans une autre sens. Quand il a démolit avec une certaine jouissance deux immeubles du XVIIe siècle à Beaubourg, il visait à critiquer l’approche de démolition-reconstruction de l’époque de la modernité pompidolienne.

14 Clark, Gordon Matta, Exposition “Anarchitecte” Gordon Matta Clark, Du 05 Juin au 23 Septembre 2018, Jeu de Paume, Paris.

« Je n’essaie pas de faire de la destruction une belle expéri‑ ence, je la conçois comme un élément d’un gâchis plus vaste » dira‑t‑il, « Plus qu’un appel à préserver ces bâtiments, mon travail réagit contre l’obsession hygiéniste faite au nom de la rénovation, qui balaie toutes les petites choses qui rappellent le passé… » 14

15 Rambert, Francis, and Martine Colombet. Un Bâtiment, Combien de Vies?: La Transformation Comme Acte de Création. Silvana Editoriale S.p.A, 2015.

Transgression

Étant donné qu’il n’existe pas de date de péremption définie pour les bâtiments, comment déterminer leur durée de vie ? Est-elle prédéterminée ou non ? La réponse à cette question émerge à travers cette approche méthodologique : un bâtiment conserve sa pertinence tant qu’il possède la capacité de répondre aux besoins changeants de la société. Christian de Portzamparc résume cette idée en affirmant que «Le durable, c’est le transformable. »15

16 Robert, Philippe, and Christine Desmoulins. Transcriptions d’architectures: Architecture et Patrimoine: Quels Enjeux Pour Demain? Association Pour La Diffusion de La Pensée Française, 2005. 17 Idem

Aujourd’hui, la réutilisation des bâtiments va au-delà de la réhabilitation technique fidèle au thème et à la structure existante ; elle vise à rétablir le sens et le patrimoine de l’architecture en question. Cela nécessite non seulement une relecture du programme initial du bâtiment, mais aussi une remise en question de tout son patrimoine et de ses capacités techniques afin de valider durablement la démarche. Ainsi, Philippe Robert dans « Transcriptions d’architectures »16 a proposé d’employer le préfixe « trans » ou lieu de « re » afin de justifier son orientation vers le futur tels que, transmettre, transfigurer transcrire etc.

Voire donc cette dimension de transcription revêt une importance cruciale. Ce terme est employé pour décrire la subtilité de la transformation, mettant en avant l’adaptation et la réinterprétation des bâtiments existants. « Il ne pourrait y avoir une seule théorie de de la reconversion. »17 Ainsi les multiples stratégies tels qu’extensions, surélévation, excavation, infiltration entrent dans ce champ de transformation architecturale.

A partir de cette libération d’interprétation, la démarche nécessite d’une clarification. Assurer la continuité et/ou assumer la discontinuité, telle est la question théorique . Doit-on rester fidèle au thème et à la structure existante, ou bien s’en affranchir pour explorer de nouvelles voies ? Cette décision guide la stratégie du projet et influence directement sa réussite. Quelle que soit la méthode choisie, la réflexion sur le programme architectural demeure essentielle pour assurer la viabilité de l’opération. Qu’il s’agisse d’une restructuration radicale ou d’une mutation en douceur, le propos n’est pas ici de « conserver » coûte que coûte, mais bien de « transformer »: «l’évolution créatrice», selon la formule de Bergson. Transformer parce qu’il y a inadaptation à la demande de l’époque, transformer parce qu’il y a parfois urgence à réinventer un nouvel usage.

18 Lenhardt, Marjorie. “Malakoff: les architectes veulent la réhabilitation de la tour Insee, pas sa destruction.” Le Parisien, 19 mai 2022,

19 Gantois, Fabien. “« Tour INSEE » / État : la fin de la schizophrénie, c’est maintenant ? ” L’ordre des Architectes. 30 mai 2022.

20 Gantois, Fabien. “Tour INSEE : Game Over.” Chroniques d’architectures 5 mars 2024.

Lutte Citoyen

En se retournant sur notre cas, à la tour INSEE, l’exigence de transgression abordée dans ce chapitre a trouvé sa voix grâce à un engagement citoyen. Celui est dirigé par les opposants locaux au projet, y compris des élus tels que Jacqueline Belhomme, maire de Malakoff, et Carine Petit, maire du 14ème arrondissement limitrophe.

Dans cet objectif, l’association IN C’ Malakoff a été fondée en novembre 2022 afin de prolonger, structurer et étendre l’action menée par le collectif INSEE PAS FINI depuis 2018. Depuis sa création, elle s’est engagée avec une remarquable maîtrise du sujet dans la lutte contre la démolition de la tour INSEE, en faveur de sa restructuration.

Les alertes citoyennes et les actions collectives, telles que celles menées par l’association IN C’ Malakoff et les oppositions des élus locaux, ont été cruciales pour tenter de stopper la démolition de la tour INSEE. Ces actions incluent des tribunes, des pétitions, des réunions publiques et des avis défavorables lors de l’enquête publique. Plusieurs rassemblements ont été organisés, ainsi qu’une réunion avec les services du Ministère de la Transition Écologique.

Grâce à ces actions, le Conseil régional de l’ordre des architectes d’Île-de-France a annoncé lors de sa réunion officielle le 17 mai 2022 qu’il s’associait « unani‑ mement et pleinement »18 à cette démarche. Fabien Gantois, ancien président de l’Ordre des architectes, avait alerté sur l’urgence de la situation dans son article intitulé « Tour INSEE / État : la fin de la schizophrénie, c’est maintenant ? »19. Après deux ans d’engagement et de nombreux débats, il a repris ces mots dans un autre article intitulé « Tour INSEE : Game over »20.

La méthode de prise de décision basée sur des critères favorisant la démolition a été fortement critiquée. Les citoyens engagés questionnent la pertinence des indicateurs utilisés pour justifier la démolition et soulignent l’importance de réexaminer les postulats et les périmètres des analyses multicritères, qui seront détaillés dans cette notice plus tard. Cet engagement met en lumière la nécessité de transparence et de rigueur dans les processus décisionnels.

Un changement de paradigme se dessine, où les évidences de démolition-reconstruction sont remises en question par une nouvelle perspective de conservation-réhabilitation. Ce renversement est en grande partie alimenté par l’engagement citoyen, qui reflète l’évolution des valeurs sociétales et environnementales. Cela démontre que l’engagement citoyen peut rassembler des voix pour contester des décisions perçues comme anachroniques.

Depuis, la tour de l’INSEE est devenue le symbole d’une lutte environnementale pour la réhabilitation et contre la destruction d’immeubles existants. Cette dimension est également traitée par Nicola Delon dans son article “Anachronie d’une chute”, qui critique la décision de démolition de ce tripode avec ces mots :«À l’heure de la crise climatique et de la défiance grandis‑ sante vis-à-vis des autorités politiques et scientifiques, culti‑ ver les conditions d’une démocratie technique est essentiel, en particulier lorsqu’il s’agit d’architecture et d’urbanisme.

Une démocratie qui ne consiste pas simplement à rendre ac‑ ceptables des projets décidés à huis clos, mais au contraire à rendre discutables leurs aspects les plus techniques, qui sont toujours aussi éminemment politiques.»21

Cela signifie que les aspects techniques des projets d’urbanisme et d’architecture doivent être discutés et accessibles à l’ensemble des citoyens, pas seulement aux experts et aux décideurs. L’engagement citoyen joue donc un rôle clé dans la promotion de cette forme de démocratie.

21 Delon, Nicola. “La tour Insee à Malakoff : anachronie d’une chute.” AOC, 8 avril 2024,
Révolte

Les photos précédentes ont été prises lors d’un moment fort de l’association pendant la fête de la Tour le JEUDI 11 MAI 2023. Cet manifestation est organisé par la Ville de Malakoff, la mairie du 14e arrondissement de Paris et l’association In C’Malakoff.

Photo 1 : Vue d’ensemble.

Photo 2 : Jacqueline Belhomme-Dupont, maire de Malakoff, prend la parole.

Photo 3 : La chaîne humaine autour de la tour.

Photo 4 : Jean-Christophe Hanoteau, président exécutif, prononce un discours.

II

UN TERRITOIRE : Péripherique de Paris

22 Lelièvre, Adrien. “Les Vrais Chiffres Du Périphérique Parisien.” Les Echos, Les Echos, 3 Mar. 2020.

Les enceintes de Paris

La Tour INSEE occupe une position stratégique à la lisière du 14e arrondissement, signalant fièrement l’entrée de la ville de Malakoff (Hauts-de-Seine). Bien qu’elle soit officiellement située sur le territoire de Malakoff selon le plan parcellaire, l’orientation urbaine et les aspirations métropolitaines de cette parcelle la placent dans le contexte du périphérique de Paris.

En remontant dans le temps pour comprendre l’évolution des fortifications à Paris, on constate qu’au fur et à mesure de son expansion, la ville s’est trouvée entourée de sept enceintes successives, qui auraient pu être précédées par un système de protection. Ainsi, Paris tel que nous le connaissons aujourd’hui était à l’origine un plan militaire.

Le périphérique de Paris, un collier d’asphalte de 35 kilomètres de longueur, aujourd’hui marquant la véritable limite de Paris – l’Île-de-France, était initialement défini par la 7ème enceinte, l’enceinte de Thiers, marquant ainsi chronologiquement la limite de Paris. Cette enceinte qui draine en moyenne 1,1 million de déplacements par jour 22,était à l’origine un système de murailles. Mais, en plus de ses performances routières, ce boulevard est un catalyseur de transformation urbaines. Comme toutes les autoroutes, il a induit une nouvelle structuration qui polarise le territoire aux nœuds d’échanges et les inscrits dans un réseau métropolitain.

Jusqu’au règne de Louis XIV, l’abandon de cette doctrine de fortifications fut amorcé, car les guerres mondiales se déroulaient plus par le siège des villes et davantage sur des terrains ouverts. Après cet abandon de la nécessité de murailles, la démolition de cette enceinte, survenue après la Première Guerre mondiale, a initialement soulevé la question de son devenir.

23 Conversation sur le périph' Rencontre en direct le 7 avril à 11h30 2021 sur pavillon-arsenal. com

L’avenir de ceinture

Chacune des enceintes précédentes révèle les risques et les stratégies de son époque, laissant ainsi des empreintes dans la trame urbaine. Pour envisager l’avenir du périphérique, il est essentiel d’explorer les traces laissées par ces limites antérieures qui ont profondément influencé l’urbanisme parisien. Parmi celles-ci, l’enceinte la plus récente, datant du XVIIIe siècle et appelée le mur des Fermiers généraux, mérite une attention particulière en raison de ses implications actuelles. De nos jours, cette enceinte se superpose approximativement au tracé de la ligne 2 du métro au nord, et au tracé de la ligne 6 au sud. En la suivant, on atteint des places emblématiques telles que la Place de Stalingrad, la Place de la Nation et la Place Denfert-Rochereau... Ainsi, autrefois, les portes de Paris sont devenues les places du Grand Paris.

C’est exactement la perspective dans laquelle Paris se situe aujourd’hui : le périphérique ne devient plus une barrière, mais un médium. Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la Maire de Paris en charge de l’urbanisme, résume la volonté politique de Paris en soulignant : « Nous allons le faire disparaître, comme nous l’avons fait avec les barrières des Fermiers généraux, parce que cela ne correspond plus à l’ADN de l’espace métropolitain dans lequel s’inscrit Paris, et dans lequel il n’aurait aucun sens d’imaginer vivre seul. »23

De plus, Il est important de noter que le plan du périphérique est bien plus qu’une simple infrastructure physique ; il est la manifestation de l’état d’esprit et des intentions de l’époque, ainsi que le reflet des rapports de force (force des acteurs) en jeu. Depuis son premier plan d’aménagement, la transformation de cette ceinture a été le sujet de débats, notamment concernant le remplacement de ses fortifications par des immeubles. Ces discussions ont soulevé des questions sur les enjeux politiques de l’époque, qui continuent à se projeter sur le périphérique aujourd’hui.

24 Porte de Bagnolet, TVK TVK, 2008. No Limit, L’Etude prospective de l’insertion urbaine du périphérique de Paris. Paris : Pavillon de l’Arsenal.

Architecture en boucle

Il y a 50 ans, ce collier d’asphalte a été édifié. Nous demeurons immergés dans la même ère, confrontés aux défis hérités des Trente Glorieuses, notamment en ce qui concerne les grandes infrastructures. Ces sont les constructions des grands ensembles, et les tours de bureaux qui a construit le visage de plusieurs morceaux de périphérique qu’on connait. Cette période, marquée par une forte croissance démographique et urbaine, ainsi que par une politique de modernisation et de développement économique, a vu émerger une urbanisation rapide et une demande croissante de logements en région parisienne. La construction du périphérique de Paris et des grands ensembles autour de celui-ci est une manifestation concrète du développement économique qui ont marqué la période des Trente Glorieuses en France.

Certainement, il faut de noter que nous demeurons immergés dans la même ère, confrontés aux défis hérités des Trente Glorieuses, notamment en ce qui concerne les grandes infrastructures telles que le périphérique ou les tours de bureaux. Cette mise en contexte met en lumière l’importance de sujet dans un panorama plus large. Alors que nous célébrons le cinquantième anniversaire du périphérique, la question de son avenir, ainsi que celui des autres grandes structures urbaines, devient essentielle. Nous sommes confrontés à la responsabilité de réévaluer ces héritages cinquantenaires de la modernité dans nos contextes contemporains. Cela soulève la question de la pertinence de ces infrastructures et de leur adaptation aux besoins et aux défis actuels.

« À l’époque, l’arrivée de l’autoroute a été associée à une opéra‑ tion de rénovation urbaine d’envergure : ... d’un urbanisme de faubourg à celui d’un pôle économique d’envergure régional. Comme lieu de contact physique entre l’autoroute et la ville existante, il a fallu inventer un type d’équipement capable de passer d’un mode de transport à l’autre. »24

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