5 minute read

Nous avons besoin d’Europe

Que reste-t-il à dire des relations entre la Suisse et l’UE si ce n’est que les négociations sont bloquées avec en toile de fond des élections fédérales? Qu’en est-il réellement ? Où se font et se défont les discussions? Quels sont les domaines les plus touchés? Nous avons interrogé deux personnalités romandes pour mieux comprendre ce blocage.

PROPOS RECUEILLIS PAR ROMAINE NIDEGGER ROMAINE.NIDEGGER@CVCI.CH PHOTOS ENZO CAPACCIO, GUILLAUME PERRET & SHUTTERSTOCK

« Se reposer sur le Gouvernement et attendre béatement n’est pas une option ! » CRISTINA GAGGINI, DIRECTRICE ROMANDE D’ECONOMIESUISSE

Comment voyez-vous l’année à venir?

Les élections fédérales ne peuvent être un prétexte d’inaction, d’autant qu’en 2024 ce sera au tour du Parlement européen. L’attentisme ne profite ni à notre pays ni à l’UE. Un effort collectif est indispensable pour trouver un consensus sur les questions institutionnelles. Le Conseil fédéral, les partis et les syndicats doivent assumer leurs responsabilités. L’idéologie, l’intransigeance ou les intérêts particuliers ne doivent pas dicter l’avenir et la prospérité du pays ! Les entreprises ne peuvent se permettre d’attendre éternellement. Elles composent déjà avec assez d’incertitude.

Y a-t-il eu des avancées depuis la décision du Conseil fédéral de mai 2021?

Le Conseil fédéral nous a longtemps donné l’impression de ne pas vouloir d’une avancée significative avant les élections fédérales. Nous sommes montés au créneau, avec nos membres et les faîtières économiques européennes. En février 2022, le Conseil fédéral a, enfin, présenté les grandes lignes de sa nouvelle approche. Depuis, des discussions exploratoires ont lieu. Il s’agit d’une étape préliminaire à toute négociation, qui vise à identifier les positions respectives et les chances d’aboutir à une solution. La dernière rencontre a été décrite comme «constructive» par les deux parties. Parallèlement, les discussions au niveau des experts, notamment sur les questions de la libre circulation des personnes et des aides d’État, se poursuivent.

Que peuvent espérer les milieux économiques du Conseil fédéral?

Nous souhaitons que des négociations avec l’UE soient lancées rapidement. Nous attendons du Conseil fédéral une attitude déterminée et une planification claire des prochaines étapes. C’est indispensable pour rallier une majorité en Suisse et pour regagner la confiance de l’UE. Se reposer sur le Gouvernement et attendre béatement n’est pas une option ! Les cantons doivent s’impliquer davantage, les syndicats cesser de faire preuve d’intransigeance et les partis bourgeois adopter une position claire en année électorale.

Les entreprises ressentent-elles déjà l’érosion de la voie bilatérale?

L’érosion est sournoise mais bien réelle! Nous assistons à une perte progressive de l’accès facilité au marché européen. L’industrie des technologies médicales est la première à y être confrontée : des sociétés ont décidé de se développer dans un État membre de l’UE. Le temps de l’économie n’est pas celui du politique. Un exemple : le leader mondial du cryptage de réseau à sécurité quantique transfère une partie de ces activités à Vienne et pourrait tout délocaliser à terme. Ce sont autant d’investissements et d’emplois qui nous échappent.

Comment economiesuisse va-t-elle continuer à exercer son influence?

En agissant sur le front intérieur et extérieur. Nous continuerons à mobiliser les faîtières économiques des Etats membres de l’UE et BusinessEurope pour faire pression sur la Commission européenne. Nous continuerons à militer pour un compromis sur les questions institutionnelles. N’étant pas des partenaires sociaux, nous comptons sur l’Union patronale suisse et l’USAM pour trouver une solution avec les syndicats pour préserver la protection des salaires. Nous sommes en contact régulier avec les autorités et l’administration fédérale et participons au «sounding board» récemment créé par le Conseil fédéral. Enfin, nous préparons nos concitoyens à se prononcer dans les urnes en toute connaissance de cause. Nous avons intensifié notre campagne de sensibilisation destinée à la population au travers de l’alliance nationale Ouverte+Souveraine créée en 2019 dont la CVCI est membre.

« LA SUISSE SE TROUVE VÉRITABLEMENT À LA CROISÉE DES CHEMINS AVEC L’UE. IL S’AGIRA D’OUVRIR RAPIDEMENT LA PORTE DU BON SENS. »

LUCIANA VACCARO, FUTURE PRÉSIDENTE DE SWISSUNIVERSITIES ET RECTRICE DE LA HES-SO

Comment voyez-vous l’avenir pour les hautes écoles suisses?

La participation de la Suisse au programme de recherche «Horizon Europe» de l’UE doit rester une priorité pour la Suisse. Aujourd’hui, ce dossier est entre les mains des politiques. Le rôle des hautes écoles est de les alerter sur les conséquences de cette non-association aussi bien pour la recherche que pour l’économie et la société dans son ensemble. La formation et la recherche sont parmi les seules « matières premières » de notre pays. La situation actuelle risque de les prétériter sur le long terme.

La recherche suisse court le risque d’être laissée de côté, est-ce bien réel?

La Suisse est déjà sur la touche puisqu’elle a le statut de pays tiers. Concrètement, cela signifie pour les chercheurs et chercheuses l’exclusion de bourses individuelles très prestigieuses (Marie Curie et ERC notamment) et ils ne peuvent plus coordonner des projets collaboratifs. Par conséquent, nous assistons à une perte au niveau des réseaux internationaux et, potentiellement, une perte des financements des projets. C’est une lente érosion de la place scientifique suisse et de son attractivité qui a débuté. Il faut à tout prix l’arrêter.

Que font les hautes écoles pour se faire entendre?

Nous poursuivons notre travail d’explication et de conviction auprès des autorités et du grand public sur l’impact de cette situation.

Quels seront les dommages collatéraux pour l’économie?

L’enjeu n’est pas seulement le financement des projets, mais les liens qui peuvent être tissés avec les instituts de recherche européens. Une solution nationale ne garantit pas du tout cette dimension. De façon générale, l’économie suisse est l’une des principales bénéficiaires de la recherche menée au sein des hautes écoles. Chaque projet de recherche européen génère des emplois ou des start-ups et permet à notre pays de rester à la pointe de l’innovation. Les entreprises et les institutions suisses ont besoin de cette capacité d’innovation, car elle contribue à maintenir leur compétitivité. La non-association de la Suisse au programme Horizon Europe est un frein à l’innovation qui risque de nuire sérieusement à la compétitivité de l’économie suisse dans son ensemble.

« La formation et la recherche sont parmi les seules ‹matières premières› de notre pays. »