Crépuscule

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CrĂŠpuscule

CrĂŠpuscule michel lombardo Clair Charpentier

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Crépuscule

```````````````` Tu as souri et j'ai cru naître à nouveau tu as parlé et ma soif s'est apaisée tu as pensé et j'ai eu peur de ne plus exister ```````````````` Penseras-tu encore que vivre est difficile ? des mots jetés au hasard à la tête des mots des mots rouges du coeur dont ceux-là sont pétris des mots déchirés aux quatre coins du vide, des mots de tous jours répétés inutiles... Ces mots tu les entends peut-être ils te font vivre. ```````````````` Je crains de devoir me séparer un jour du volcan de ta peau je redoute l'instant où ton image sur ma rétine ne sera plus que rémanence Et lentement s'estompera et lentement se dissoudra dans l'air brûlant de tuyères hurlantes Un jour de plein été j'aurai le coeur au bord du monde ```````````````` vendredi 30 juin 197. : journée insatisfaisante, enlisée, visqueuse des mots inexprimés des souffles réprimés Du vent chaud et lourd. Une pluie sirupeuse... un adieu sans larmes. ```````````````` Le regard se fait douleur sur le chemin où tu ne viendras pas le regard brûlé par les monstres du crâne ne te pétrira plus mon regard te transperce et ne te verra plus ````````````````` Quel crime avons nous commis rêve d'un vent lointain quelles prisons, quels supplices et pourquoi Un jour tu étais là et le ciel sans orage ````````````````` j'ai décoché des mots comme des harpons pour te retenir j'ai lancé des mots comme des oiseaux pour décrire ton ciel j'ai étendu mes mots comme un parachute pour ne pas sombrer ````````````````` là, le coeur vidé se souvient d'un chant de plénitude là, le vent caresse ; ici, le vent effraie Les falaises brûlées souffrent du plein été la mer semble rêver à des tapis épais où l'on pourrait dormir, enfin ! ````````````````` d'en haut la mer se ride, les herbes entre les rochers nu s'inclinent nerveusement. 1


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Il est temps d'oublier si on le peut. le souvenir est tenace, et le vent devient fort Il est dangereux de rester au bord des falaises vertigineuses et attirantes comme tes bras enivrés de soleil Et volent les oiseaux libres comme des avions ````````````````` quatre cents mètres au-dessus de la petite sirène j'attends comme elle les pieds dans l'air les nuages dans la tête et mes yeux se noient dans le désert puisque tu ne viens pas ````````````````` tu disais : "Je m'ennuie sans toi. Ta pensée occupe mes instants "tant et tant que je t'en veux de me prendre le sommeil. "Et quand parfois je dors, je t'appelle, mais tu ne viens "pas. "Tu ne sais pas. C'est si dur d'être loin, mais si doux "de penser à toi à chacun des moments où tu penses à moi. Moi, je t'écoutais comme on écoute dieu et maintenant je ne t'entends plus ````````````````` Tu as souri et j'ai cru naître à nouveau tu as parlé et je me suis souvenu de la soif tu as pensé et j'ai peur de ne pas exister ````````````````` Penseras-tu encore que vivre est difficile ? Des mots jetés au hasard à la tête des mots des mots rouges du coeur dont ils se sont pétris des mots dont la saveur fait raisonner l'espace des mots bleus du ciel tressé sur l'espérance des mots qui éclaboussent et caressent la gorge des mots comme des prairies où d'immenses troupeaux farouches déchiffrent la paix des mots lâchés au souffle des forêts d'ombre fraîches Ces mots tu les entends peut-être ils te font vivre Ces mots, les entends-tu ? Ces mots déchirés aux quatre coins du vide ces mots de tous jours mille fois répétés mille fois dérisoires ces mots dans tes iris sur tes doigts et ta peau qui te parent Peux-tu ouvrir les yeux et les voir s'animer ? ```````````````` Un jour, le langage a été inventé pour toi. ````````````````` Mon histoire sans toi est un livre fermé le signet égaré 2


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Je crains de le rouvrir sur les pages absurdes où tu étais absente je crains de le rouvrir sur la page insolente où l'on aura écrit : "il ne la revit plus !" Ma vie sans notre histoire est un pont sur rien une porte qui bat au milieu de ruines un chemin qui finit qu'on n'utilise plus..... Les mots pour t'inventer coulent de ma mémoire. Mais à quoi me sert-elle si je n'ai plus l'espoir de sortir du tunnel et revoir la lumière ? ````````````````` Mon histoire, sans toi, n'est qu'un cri de surprise ````````````````` Il y a eu un moment où brillait le soleil, un moment où la nuit le ciel pétillait où la pluie semblait douce et calme et accueillante, le vent riait de nos désirs. Et puis il y a eu ton départ: tout devint sombre et nauséabond comme un taudis. ````````````````` Je suis un couloir qui ne résonne plus de ton pas, un verre où tes lèvres ont laissé leur marque un sombre corridor une coupe vidée. Je reste cette voie ignorée des wagons, envahie par la ronce et rongée par l'orage. Une piste d'envol brûlée de kérosène mille fois désertée. Un animal sans maître lié au bord des autoroutes une maison sans feu un ciel sans horizon peux-tu imaginer mourir de solitude ? Les pierres des châteaux oubliés des bouffons s'effritent au soleil leur ombre n'est douce qu'aux lichens ````````````````` et la cour dévastée se souvient de la fête. ````````````````` Tu étais mon dimanche, une rue de juillet parcourue de rires Tu étais un arc tendu vers demain, une flèche pointée sur le feu des étoiles Une table dressée pour un banquet sublime. Tu étais un fanal une aube inattendue. Tu parlais de rivages et du sable incrusté, tes lèvres appelaient l'effort d'une légende Il n'était pas de jours où mes pas n'espéraient ton chemin L'univers était toi et mes doigts insistants comptaient tes galaxies. ```````````````` J'étais pétri de boue tu me donnas la vie j'étais un pré inculte tu te posas semence Tu devins une tour farouche dressée contre les hordes des pensées un mur pour mon regard. Tu remplaças la mer qui baigne mes pays, ces lagons, ces récifs aux appels insistants. Un soleil qui se lève sur les voiles obliques.

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````````````````` Tu replaças le rêve aux rayons inutile, les fantasmes déçus ne juraient que par toi Tu devins cette histoire que j'écris maintenant Car tout est passé même si l'encre encore imbibe le papier et macule mes doigts. Tu es maintenant ce ciment qui joint le désespoir à l'espérance, un sujet de poème triste et inachevé. La nuit est revenue et quand j'ouvre les yeux je crains de retrouver les étoiles insolentes. Du fond des souvenirs je fixe les envols et quand viendra le tien je n'aurai qu'à me taire. Ce tremplin que tu fus se dérobe à mon élan. Tu restes malgré tout, tu restes, je t'écoute. ````````````````` La parole est née du besoin de t'aimer. ``````````````

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je voudrais qu'elle vienne et que sans dire un mot elle m'embrasse qu'elle prenne ma main la pose sur sa poitrine que je sentirai ferme et douce et juvénile les battements de son coeur oppressé répondraient aux tremblements de cette main indigne de caresses je voudrais qu'elle vienne que son corps se contracte et se confonde au mien alors brûlé de fièvre je déchirerais ses vêtements inutiles je me dépouillerais de mes hontes et de mes fureurs pour me présenter nu à genoux face à son illumination ses mains serrant ma tête jusqu'à la douleur je voudrais qu'elle vienne qu'elle appuie mon visage contre son sexe humide ma bouche assoiffée recueillerait sa sève la viderait de ses sueurs ma langue affolée lustrerait ses lèvres fouillant dans son vagin un clitoris tendu au goût d'amour sauvage je voudrais qu'elle vienne mes doigts crispant ses fesses violeraient son anus elle décolerait alors ma bouche de son sexe relèverait ma face et ses lèvres et sa langue voleraient à ma bouche la saveur de son humidité je voudrais qu'elle vienne je voudrais qu'elle vienne et que sans dire un mot elle m'embrasse que sa bouche mouillée de salives mêlées fouille ma peau brûlante 5


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qu'elle aspire mon sexe érigé battant contre son gosier sa langue se loverait sur ce gland tumescent tandis que ses doigts moites mouleraient mes testicules roides je voudrais qu'elle vienne que le baiser de sa bouche à ma verge dure dure encore jusqu'à la souffrance puis je l'étalerais sur les draps attentifs et sans la pénétrer de ma langue à ses lèvres je savourerais la jouissance âcre de mon pénis qui comme un soc s'incrusterait à son ventre je voudrais qu'elle vienne couchée à mon côté elle modèlerait ce rostre douloureux de ses mains implorantes tandis que mes doigts dix sexes habiles couvriraient ses seins veinés ses mamelons solides de caresses puissantes nous joindrons nos salives dans nos bouches avides je voudrais qu'elle vienne puis comme un gouffre espéré son sexe m'absorberait dans sa moiteur liquoreuse mes reins ses reins comme les vagues d'une tempête par le lien rude de mon pénis feraient battre nos ventre brillants de la sueur d'un accouplement farouche je voudrais qu'elle vienne je voudrais qu'elle vienne et que sans dire un mot elle m'embrasse je voyagerais en elle je me dissolvrais dans son vagin je ne serais plus que mon arbre mobile tout mon sang y porterait une infinie tendresse elle serait un lac un œuf une matrice ses dents sur mes lobes signeraient sa jouissance 6


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nos membres affolés cingleraient comme des câbles rompus je voudrais qu'elle vienne enfin de nos sexes unis lentement monterait notre communion un orgasme insolent que nous aurions bâti à grands coups de nos corps mon sperme longtemps retenu pour son ventre éclaterait comme un rire au fond de son vagin enveloppant ma verge balayant son duvet je voudrais qu'elle vienne rompus essoufflés confiant à nos mains le soin du souvenir allongés parallèles crucifiés au lit nos corps saoulés d'eux-mêmes se colleraient encore ma verge vidée contre ses lèvres molles sa bouche inassouvie irait sur mon pénis y lécher ma semence et ma langue docile parlerait encore à son sexe gonflé je voudrais qu'elle vienne qu'après le dialogue de nos muscles les paroles engrossent le silence et ma tête sur sa poitrine pesant lourdement imaginerait ses yeux gorgés de bonheur alors je pourrais dire le velours de son épiderme alors je pourrais penser que j'ai raison alors elle pourrait parler je voudrais qu'elle vienne

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il y avait les sourires et ton goût de cassis une foule de choses des sensations il y avait tes bras qui surprenaient mon cou ta peau comme une crème et encore ton sourire et ce goût de cassis qui venait à tes lèvres un rêve simplement cet été fut bien court mais il y avait toi qui nous parlais d'espaces tu ne m'appartins jamais et les mots maintenant ne sont que cette déchirure sur la route un sourire et le goût de cassis un effleurement un jour au bord de mes lèvres j'aurais aimé sur ma peau que s'incrustent tes seins j'aurais voulu des caresses mais quoi ce ne fut pas et si je regrette ce n'est pas tant l'acte que te connaître mieux car toute l'histoire que mes doigts ce soir rappellent ne dura que la fin d'un printemps et pourtant dans ma tête affleurent mille projections des rêves que j'ai faits et que je fais encore où ta peau est plus blonde et ta bouche plus souple où es-tu à présent quel cerveau fiévreux se nourrit de toi quel soleil quelles mains accueillent le semis de ta peau à quel chemin tes pas offrent-ils leurs empreintes un brouillard glacé tombe sur ma mémoire mais il y avait les sourires et ton goût de cassis une foule de choses et tes bras sur mon cou un goût de cassis qui reste sur mes lèvres

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Avec un bout de craie grand comme l'univers tu as voulu écrire l'histoire des passions anciennes Il ne reste rien La craie s'efface comme les feuillets jaunis des livres. Tu aurais pu déchiffrer ton propre coeur. Mais qu'importe. La solitude s'effeuille devant toi ; un grand vide. Que faire avec un bout de craie sinon l'enfoncer dans les crânes comme un glaive, sinon maculer les murs de maximes inutiles. Tu as parlé au béton. Que t'a-t-il répondu ? Rugueux, voila la réponse ; tout est rugueux, même une main qui flatte. Tes mains sont meurtries des caresses que tu donnes sur les visages de béton. CRIE ! dans ce désert où tu blesses tes tympans de tes propres hurlements ! Parfois un animal craintif semble t'entendre. Mais que peut-il comprendre ? Le langage de ta gorge n'est pas fait pour ses oreilles qui s'agitent, qui s'agitent en tous sens mais ne captent qu'un insoluble murmure. Pauvre fennec, pauvre animal triste ! où s'en est-il allé ? Dans les sables ignorés de la pluie, il cultive sa soif. Mais toi, ta langue est brûlée de vins âcres et pesants. Ce n'est pas de cette soif dont tu parles. Pourtant, essentielle elle l'est aussi. Et quand finit la page, tu as l'impression que tout se termine. Mais ce n'est qu'illusoire, car demain tout recommence.

D_________, le 19.12.197_

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De l'ennui vaste comme un cerveau un fleuve limoneux dépose sur ma lagune le souvenir de toi ; l'été est passé où tu étendis tes ailes et leur vent me gifla.

Les bavardages m'indiffèrent et pourtant j'y adhère, laissant mon humeur suinter de mes pores, de ma gueule ouverte. Je m'agite comme un forcené ; je t'oublie un peu, de peu en peu. Mais le regard de l'autre est un juge sévère. Et je crains d'y souscrire, de m'y noyer. Tu es là ! Souvenir des sourires et des effleurements. Des caresses esquissées. Toi, tu n'as que toi, que ton importance, que toi à qui penser. Cela me semble peut-être plus facile, plus économique. Tu te suffis à toi ; et je ne suis, pour toi, que le fugitif dialogue d'un printemps. Quel besoin de fuir encore dans un passé furtif me prend le soir et apporte à mes lèvres le goût de tes lèvres, un parfum de cassis ? Il y a ce soir un crépuscule sanglant sous mes paupières crispées. Je pense à peine réfréner le tremblement convulsif de mes doigts. On dirait qu'ils te cherchent, qu'ils quêtent de ta peau l'aumône d'une caresse. Et pourtant, il n'y a rien près de mes doigts tremblants.

Mais reste sur mes lèvres un parfum de cassis qui s'estompe jour après nuit qui s'estompe et que bientôt je ne sentirai plus sur ma bouche invalide.

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Je te pense Amour. Pour une fois, je prononce ton nom. Et les larmes sont là sur mes joues pour signifier ma solitude. Longtemps. combien de temps ? des milliers des dizaines de milliers de secondes, des minutes sans ta présence. combien de jours ? Comment ai-je pu encore avoir l'audace d'exister ? Je ne sais pas pourquoi me vient comme une nausée le désir de te décrire. Tu étais. Tu étais une fête, un bal où les fontaines jaillissaient insolentes dans des jardins de rêves. Tu étais la princesse que ses pas légers conduisaient de l'un à l'autre, attentive à son charme, à ses gestes déliés. Tu étais la fougue que ne retenaient ni la bride brillante ni le collier d'or et de rubis. Tu étais, mon amour, si belle sous la pluie d'étoiles que ma voix n'osait pas te nommer; tu étais loin de tout, des autres et de moi. Tu n'étais que toi. Or un jour, pourtant, tu te penchas sur mon inexistence, et je naquis. Tes lèvres donnèrent à ma peau la gaîté du frisson, tes gestes ne distordaient l'espace que pour moi... du moins je le croyais... Mille caresses toujours identiques m'ont réveillé simplement. Et le jour où tu me quittas, je n'ai pu me rendormir. Car ton regard vidé avait digéré ma présence et je suis mort en restant éveillé.

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Sur le front de enfants coulent des larmes de sang ------------------------Alors les pères pleurent sur leur pénis inutile ------------------------Ô mères! sauvez nous!

Je n'ai plus de craie pour dépeindre l'histoire. Dommage ! _________ Toutes les armoires restent inexorablement fermées. ______________________

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J'ai voulu faire une chanson pour dire aux gens mon abandon pour dire au monde qu'elle manque crier aux fleuves son absence. J'ai voulu faire une chanson pars'que jamais nous ne serons elle et moi réunis dans ce monde parler de ma douleur qui gronde. J'ai voulu faire une chanson pour rappeler la dérision des serments et des caresses le poids des paroles qui blessent J'ai voulu faire une chanson pour rappeler tous ces jours sombres où nous ne sommes plus ensemble pour occuper mes doigts qui tremblent. Et j'ai écrit tous ces couplets le coeur noyé le coeur trop laid par les sanglots et la démence les hurlements et la souffrance. Si j'ai écrit tous ces couplets le coeur brisé désespéré c'est pour chanter dans ma détresse le besoin fou de ses caresses.

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Pour toi, j'aurais pour toi creusé la terre de mes dents malades, laissé le sang de mes gencives comme une signature de ma démence sur le granit brutal. Pour toi j'aurai creusé les fondations profondes d'une muraille défendant notre amour. Mes mains aux doigts usés auraient pétri la glaise, auraient élevé les roches pesantes au-delà des regards pour rayer les envieux ; mes mains brûlées de caresses refusées t'auraient bâti un temple de mur massifs et l'écho de ma tendresse pour toi aurait vibré d'arche en vitrail, de dalle en colonne, d'autel en croix. Toutes les cloches auraient résonné d'espérance et d'amour. Pour toi, j'aurais pour toi creusé la terre de mes dents. Pour toi. J'aurais pour toi inventé les mots que l'on croit, un alphabet construit des miettes de mon coeur pulvérisé, la grammaire d'amour révélée aux incrédules. J'aurais aimé pour toi des êtres haïssables, les imbéciles heureux de leur médiocrité, parce qu'il faut bien vivre et aimer. J'aurais pris dans mes doigts la couleur des papillons, je l'aurais jetée aux étoiles pour leur apprendre la proximité ; j'aurais crevé l'orgueil, baudruche insurmontable, de tes sourires aigus, de tes mots simples et doux. J'aurais lâché au monde telle une envolée à l'aurore la vérité dont il se moque copieusement : je t'aime. Pour toi, j'aurais pour toi creusé la terre de mes dents. Pour toi mes lèvres gercées d'alcool se seraient entr'ouvertes de l'attente ; et mes bras tortueux n'auraient été qu'un nid. Ta tête soucieuse aurait trouvé sur mon épaule un tremplin pour le bonheur. La pointe de tes pieds aurait tendu ton corps vers mon regard avide. Et je t'aurais regardée mon amour, je t'aurais gardée, petite et frileuse, impatiente et téméraire d'un avenir craintif. J'aurais soufflé au soleil le droit de réchauffer ta peau, j'aurais vendu aux puces pour trois bouchées ma vanité macho pour t'offrir mon enfance inaliénable. J'aurais été Judas si mon indignité t'arrachait une larme.

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Pour toi, j'aurais pour toi creusé la terre de mes dents. Pour toi, j'aurais porté l'uniforme des faces blêmes, j'aurais enduré les brodequins de plombs qui parcourent villes ; j'aurais oublié la saveur des vagues et la fuite des horizons, oublié les réveils de l'herbe assoiffée de matin. Pour toi j'aurais été un écran contre la boue des ornières, un bouclier pour parer les morsures du temps. Pour toi, je n'aurais existé que pour toi. Pour toi, je n'aurais eu d'amis que les tiens, je n'aurais eu d'yeux que tes rétines. Je n'aurais été qu'une tartine de miel, un bol de thé sucré, un bonjour matinal, heureux d'avoir veillé ton sommeil, tu le sais mon amour. Pour toi, j'aurais pour toi creusé la terre de mes dents. Pour toi, je crache sur ma vie sans toi, j'écrase de mes pas nerveux les sillons bien tracés, je dédaigne les mains tendues puisque tu retires la tienne. Pour toi j'offre aux fossoyeurs l'aide de ma pelle sur l'oubli de mon corps. Mais pour toi, mon amour que reste toujours la fièvre de l'attente, que demeure indéfiniment le goût de tes baisers, et que ma peau attentive ne se soucie jamais que de tes frissons ; pour toi, mon amour, que n'apparaisse que le bleu du ciel, le bleu de l'espoir, le bleu des caresses. Et nos sourires t'en souviens-tu ? Pour toi mes dents étaient blanches. Pour toi, j'ai pour toi mon amour creusé la terre de mes dents. Pour toi, j'ai trouvé en moi, moi qui ne suis pas beau, la beauté ; et l'amour de toi. J'ai trouvé l'envie de vivre et le désir de durer, j'ai senti sur mon épiderme épais la fragilité des aubes nouvelles ; j'ai attendu, j'ai attendu. Mais personne n'a frappé à la porte, la bouteille s'est couverte de poussière et le lait s'est caillé. Pourtant qu'importe le temps qui court ; si mon regard ne connaît qu'un huis inexorablement fermé, mon coeur sait que tu existes. Pour toi, j'ai mon amour creusé la terre de mes dents. Mais sais-tu, mon amour, l'âpre goût de l'argile ?

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Elle était ma source, je jouais dans son eau à suivre le soleil. Elle était l'espace : de mes bras trop petits j'en cherchais les frontières. Elle était le vent, sa musique insolente inspirait mon ivresse. Elle était l'espoir, je suivais son chemin comme un enfant patient. Elle était ma source. Elle était mon marché. Je faisais provision d'aventure et de vie, je regardais ces fruits tout gorgés de vertiges, mes doigts couraient sur les étals, émerveillés et fiers, surtout d'en être un peu propriétaires. Elle brûlait de rire et j'étais son tison, j'étais son bois craquant. Elle brillait d'amour; je n'étais qu'un miroir poli pour son reflet. Elle buvait la vie, sa joie était un pont sur le gouffre des mots. Elle hurlait l'espoir, j'étais un mur d'écho où résonnait son nom. Elle brûlait de rire. Elle était un noël surgissant tout d'un coup au beau milieu de mai, la promesse attendue de lendemains sucrés, la neige éblouissante et les arbres en fleurs, l'univers qui éclate de bonheur et de joie.

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Elle était l'aurore et mes nuits attendaient sa lumière obsédante. Elle était le bleu dont on peint le bonheur, et le repos des coeurs. Elle était la coupe où ma bouche assoiffée trouvait l'apaisement. Elle était un livre dans lequel je lisais que l'amour n'est pas triste. Elle était l'aurore. Elle creusait mon corps comme on creuse le sable et y trouve richesse ; je sentais sur ma peau ses doigts fouiller mes pores, je savais sur ma joue que sa joue était douce. J'ai connu le propos de l'insecte à la fleur. Elle vivait sans moi. Doucement, lentement, j'agonisais sans elle. Elle portait l'espoir; j'attendais en tremblant qu'elle me l'offre un jour. Elle chantait de joie et sa joie me perçait comme un coup de couteau. Mais Elle est l'amour que je caresse en moi et qui nous réunit. Elle porte l'espoir, Elle est mon aurore.

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Tant que devant mes yeux ouverts sur ton absence comme de la sueur sur l'anxiété d'un front brilleront les étapes du souvenir que l'air que je respire et qui souffre en ma gorge sera cet air léger que ta bouche a un jour confié à ma bouche tant que trembleront mes doigts du dépit de ta peau j'aurai mon tendre amour encore ce goût de vivre que toi même a extrait du fond de mes sourires. ____________________ Tant que tu seras là vivante en ma mémoire à vivre ces instants où le bonheur restreint à nos deux corps blottis effaçait de tes joues les rides d'avant nous que tes yeux allumés de tendresse et d'amour se poseront encore lourds d'espoir attentif sur mon corps renaissant tant que je t'attendrai dans ces nuits furieuses et ces journées languides j'aurai amour inaccessible à te rendre ce goût de vivre et de durer qu'un jour tu m'as offert. ____________________ Tant qu'à mes oreilles sourdes aux autres bruits vibreront les accords sourds eux-mêmes de ta voix souvenue que se rappelleront inexorablement les mots désespérés qui hurlaient l'espérance, ces mots si déchirants et qui étaient d'amour tant que je te saurai vivre et malgré tout donner à un autre qu'à moi ce que tu me refuses j'aurai cruel amour ce goût de vivre et d'exister pour te reconquérir et te prendre à toimême au piège de tes mots ____________________ Tant que cherchant fiévreux dans les coins de mon intelligence à comprendre, dans le dédale de mon coeur à sentir cherchant à savoir ce que je représente j'aurai ce désir pour toi d'être limpide. Tant que puisant encore je ne sais où en moi l'inertie de n'être pas cadavre je chercherai toujours à te connaître puisque tu m'as un instant reconnu tant que face au soleil je ne cherche à dormir du long et grand sommeil tant qu'à chaque réveil ma main frustrée recherche auprès de moi ton corps absent j'aurai ce goût de vivre ô mon amour si même il n'est qu'attente vaine de tes bras pesant à mon cou. ____________________ Tant que sur mes os se tendra encore la voile de ma peau que mes yeux creusés de ton absence riront encore du souvenir de te voir rire tant que je serai moi absurde et imbécile, j'aurai le goût de vivre le désir d'être à toi le besoin de t'aimer.

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Un jour peut-être recevrai-je de toi le don de vivre. Ce jour sera la première nuit où tes bras s'ouvriront à nous. Définitivement. Un jour peut-être recevrai-je de toi le don de voir. Je serai aveugle aux autres. Toi emplissant mes yeux de lumière. Un jour je t'ai aimée, j'ai compris alors que je vivais sans cerveau, sans membres et sans entrailles. Fantôme, je hantais les corridors incertains de l'apparence. Je t'ai aimée j'attends de naître. Un jour je t'ai rencontrée, je traversais spectre désespéré les murs inconsistants ; tu étais sur ma route désespérée aussi, pareille à moi. Je t'ai rencontrée, ta matière s'est imposée. Bien sûr, je n'étais plus seul, nous nous sommes reconnus. Un jour se sont écroulés autours de nous les remparts des certitudes, tu m'as tendu ton amour pour outil, ton amour pour abattre les ruines encore dressées. Mon amour pour toi s'est voulu battement. Il a voulu dans tes artères pétiller, éclater dans ton cerveau comme une aube. Il a creusé pour toi dans les tempêtes un lit d'écume bleue. Il patiente encore sous ton regard mélancolique. Un jour, un jour fut le premier jour.

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Toutes mes dents se sont rompues comm' ça d'un coup sur le chemin Pourtant j'ai fait ce que j'ai pu pour être gai chaque matin Mes incisives s'en allant m'ont dit: grand idiot imbécile t'as encore oublié le vent entre les herbes qui s'enfile Quant à ces deux ou trois molaires qui me servaient encore un peu elles avaient un drôle d'air comm' qui dirait un petit creux Mais ce sont mes sales canines ah les cruelles les méchantes qui m'ont fait mal : On se débine mais qu'est-ce que tu nous chantes tu ne mords plus on sert à rien allez les belles on met les bouts on va chercher un autre chien maintenant ta gueule on s'en fout Toutes mes dents se sont rompues comm' ça d'un coup sur le chemin ma bouche est vide j'en peux plus bordel bordel qu'èske j'ai faim!

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A force de courir sur son incertitude Tes doigts se sont perdus à connaître sa peau. Ils ont erré longtemps sans jamais de repos Entre ses pores nus brûlant leur solitude.

Ils se sont égayés souvent dans l'hébétude D'un soupir fugitif, presque comme un accroc, Que son corps endormi, un moment sans cerveau, Avait égaré là, par son inhabitude.

Mais son corps et sa peau te sont terre étrangère. Tu ne seras jamais qu'un voyageur proscrit Saluant un instant la belle messagère

D'un roman triste et las et à jamais récrit. Tes doigts tremblent encore après sa main ouverte Sur l'oubli de sa peau, son absence ou sa perte.

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Il est des jours comm'ça où le coeur se renverse, des jours pluvieux, des jours haineux, des jours d'averse, des jours visqueux, pourris, où la vie fout le camp. Sait-on vraiment pourquoi ? Enfin, c'est pas marrant ! Hier c'était comm'ça ; t'étais là, ton sourire en bouton de printemps sur tes lèvres de cire, et puis tu t'es barrée... plutôt, j'ai mis les bouts ! Je suis parti tout droit mais je savais pas où ! Dans mes mains, yavait rien que l'envie de t'étreindre. Fallait pourtant jouer le jeu, mentir et feindre. Et puis tu t'es barrée, un salut à la main, au revoir, à bientôt, surtout porte toi bien. Mais t'étais déjà loin, et puis t'étais pas seule. Hier sera demain ma frivole menteuse. J'ai remonté le col sur mon oubli glacial. Yavait toi, yavait nous ! Qu'est-ce qu'il y avait de mal ?

Un sourire, un adieu et le coeur qui se gerce, il est des jours comm'ça où la vie se renverse.

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