little venice

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little venice

aloïse corbaz, madge gill, leopold strobl, anna zemánková

christian berst avant-propos 5

biographie et œuvres

aloïse corbaz 9

madge gill 13

leopold strobl 35

anna zemánková 55

remerciements acknowledgements 76

aloïse corbaz suisse 1886 1964

Figure majeure de l’art brut, Aloïse Corbaz a réalisé plus de 2 000 dessins, la plupart recto verso, en milieu asilaire. Cette femme qui se rêvait cantatrice, éternelle amoureuse, entretenait un rapport quasi mystique à sa production admirée par Jean Dubuffet.

Son œuvre fait aujourd’hui partie des plus grandes collections comme celles de l’American Folk Art Museum, du musée national d’Art moderne ou de la Collection de l’Art Brut.

Aloïse Corbaz, septième enfant d’un employé des postes, naît à Lausanne en 1886, dans une famille modeste, peu cultivée et marquée par l’alcoolisme. En 1911, elle est envoyée en Allemagne après être tombée follement amoureuse d’un prêtre défroqué, où elle travaille comme institutrice, puis comme gouvernante du chapelain de Guillaume II à Potsdam. Demeurée célibataire, elle conçut alors une passion délirante pour l’empereur, entraperçu un instant. C’est à la veille de la guerre qu’elle manifesta les premiers symptômes de schizophrénie. Elle fut internée cinq ans plus tard, en 1918, d’abord à l’hôpital de Cery, puis en 1920 à l’asile de la Rosière à Gimel où elle resta jusqu’à sa mort.

Toute l’œuvre d’Aloïse est une idéalisation romantique du couple. Réalisée aux crayons de couleur sur de grands papiers de récupération cousus ensemble et souvent utilisés sur les deux faces. On reconnaît facilement ses personnages à leur regard vide, en général dessiné en bleu, comme un masque de théâtre, ou au maquillage sensuel de leurs lèvres épaisses surmontant d’abondantes poitrines figurées comme des bouquets de roses. Après 1949, ses œuvres, d’une composition plus complexe, devinrent des suites de scènes théâtrales. Les plus grandes d’entre elles peuvent atteindre 14 mètres, parfois recto verso.

Il fallut attendre 1936 pour que l’on commençe à considérer la production exceptionnelle de cette malade, à laquelle s’intéressa ensuite Jacqueline Porret-Forel, médecin qui lui consacra sa thèse de fin d’étude. Aloïse ne cessa de créer jusqu’à sa mort en 1964.

En mai 2024, le biopic consacré à Aloïse Corbaz (réalisé en 1975) par Liliane de Kermadec et André Téchiné, avec Isabelle Huppert et Delphine Seyrig dans les rôles d’Aloïse jeune et adulte, Michael Lonsdale dans celui du médecin, est ressorti en salle dans une version restaurée.

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sans titre recto verso c. 1945 crayon de couleur, craie grasse et mine de plomb sur papier

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116.5 x 41.5 cm
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madge gill

grande-bretagne 1882 1961

Collectionnées par Jean Dubuffet, les œuvres de Madge Gill, artiste médiumnique du milieu du XXe siècle, ont été réalisées en état de transe. Guidée par un eprit, elle dessinait à l’encre sur des supports allant du plus petit format au rouleau de plus de 100 mètres. L’ensemble de son œuvre n’a été découvert qu’après sa mort en 1961. Aujourd’hui considérée comme une figure incontournable de l’art brut, on retrouve ses œuvres dans les plus grandes collections : American Folk Art Museum, musée national d’Art moderne, Collection de l’Art Brut, ou encore The Museum of Everything.

Les dessins que Madge Gill imaginent dans la pénombre de sa mansarde représentent inlassablement la même figure féminine. Magnifiée, somptueusement vêtue, elle évolue dans un monde irréel à l’architecture grandiose et labyrinthique. L’espace-temps semble aboli, comme suspendu, et pourtant, une vie insistante anime avec force l’encre noire, transcende le papier ou le tissu. Enfant illégitime, Madge Gill, née à Londres, est d’abord cachée par sa mère et sa tante, puis placée dans un orphelinat à l’âge de neuf ans. Envoyée au Canada pour travailler dans une ferme, elle rentre en Grande-Bretagne à dix-neuf ans, devient infirmière et épouse son cousin dont elle a trois fils. Son deuxième enfant décède et l’année suivante, en 1919, elle accouche d’une petite fille morte-née. Ces épreuves plongent Gill dans une longue maladie qui lui fait perdre l’usage de son œil gauche. Alors que sa tante l’initie au spiritisme, elle s’adonne à la peinture.

Travaillant frénétiquement, des nuits entières, à la bougie, dans un état voisin de la transe, cette femme hypersensible et réservée refuse de vendre ses œuvres qui appartiennent selon elle à son esprit guide Myrninerest (my innerest, “mon plus intime”). Ses dessins vont du calicot pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres à la carte postale en passant par des formats intermédiaires, ils sont travaillés à la plume et à l’encre noire avec quelques rares écarts de couleur.

Ce n’est qu’après sa mort, en 1961, qu’on trouve chez elle des centaines de dessins empilés dans des placards ou sous les lits. Figure incontournable de l’art brut qui fascina Jean Dubuffet, Roger Cardinal, Michel Thévoz et tant d’autres, l’œuvre magistral de Madge Gill est représenté dans les plus importantes collections d’art brut au monde.

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sans titre recto verso c. 1945

encre sur papier 31.7 x 24.8 cm

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verso
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leopold strobl

autriche 1960

Leopold fréquente la maison des artistes de la Clinique psychiatrique de Gugging (Autriche) depuis une dizaine d’années, trouvant dans la création un réconfort et une rédemption, une manière de tenir à distance ses démons mentaux. Ses dessins au crayon de couleur, de petit format, sont autant de portails magnétiques réalisés sur des photographies de paysages tirées de journaux. Le graphite contamine le décor, comme pour en révéler l’étrangeté. Présent dans les collections du MoMA depuis 2018, son travail a été présenté l’année suivante dans l’exposition Photo | Brut aux Rencontres de la Photographie d’Arles.

Despuis qu’il est scolarisé, Leopold Strobl a toujours été un artiste, pendant plus de 35 années, il s’est exclusivement consacré à la création. Il a ensuite rejoint les ateliers ouverts du centre Gugging près de Vienne.

Aujourd’hui, Leopold Strobl est marié et vit en Basse-Autriche. « Je devais le faire le jour et la nuit… peindre le vert du ciel », affirme Leopold Strobl lorsqu’on lui demande ce qu’il ressent lorsqu’il travaille sur ses œuvres.

Son processus de création est immuable : il choisit un motif dans un journal — photo ou image — qu’il recouvre au crayon de couleur, en se consacrant dans un premier temps aux zones de couleur noire. Arrive ensuite le ciel, toujours vert. Pour finir, Leopold Strobl vient marquer la frontière entre le noir et le ciel. Une fois son image retravaillée, il vient délicatement le coller sur un morceau de papier à dessin puis il signe l’œuvre au crayon de papier de son symbole personnel. La signature est formée de son nom et d’un cœur qui renferme une croix avec des rayons. Ce signe est important à ses yeux car c’est un homme très pieux.

Ses œuvres ne comportent pas de titre — une œuvre signifie et parle d’elle-même.

Pour lui, l’art est aussi synonyme de communication, il parvient a y exprimer ce qui est important : la tranquillité, l’intensité et la paix. Leopold Strobl est très reconnaissant du don qu’il a reçu, de son talent ; et est heureux d’être capable de répondre à ses pulsions artistiques et des discussions qui en découlent.

Les œuvres de Leopold Strobl sont captivantes, on peut s’y perdre soi-même, pour finalement mieux se retrouver. Elles reflètent la liberté de l’artiste qui, à travers des lignes et formes épurées, donne au spectateur une part d’orientation qu’il est très difficile de décrire avec précision. « Parfois, je me sens un peu bizarre, comme si quelque part je ne faisais pas partie de ce monde », dit Leopold Strobl.

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sans titre 2022

graphite et crayon de couleur sur papier journal 11.4 x 8.8 cm

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sans titre 2021

graphite et crayon de couleur sur papier journal 13.7 x 11.4 cm

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anna zemánková

autriche-hongrie 1908 tchécoslovaquie 1986

Anna Zemánková est une figure déjà consacrée de l’art brut, au point qu’elle fut honorée dès 2013 à la Biennale de Venise avant qu’un ensemble important de ses œuvres rejoigne les collections du Centre Pompidou, puis celles du Boston Museum of Fine Arts en 2020.

Depuis près de deux décennies, son travail passionne les critiques qui la classent dans la catégorie des artistes visionnaires à l’instar de Georgia O’Keeffe ou Hilma Af Klint.

Dès le début des années 1960, à 50 ans passés, cette humble Tchèque s’est mise à produire un œuvre auquel sa condition ne l’avait pas préparée et qui répondait de façon saisissante à des injonctions venues des tréfonds. C’est à l’heure où les démons de la nuit le disputaient encore aux irisations séminales de l’aube, quasiment en transe, qu’elle cueillait en pensée des fleurs étranges avant de les faire saillir du papier.

Les recousant, les surbrodant, les gaufrant. Toute une magie blanche au service d’un hortus deliciarum dont elle pensait peutêtre tirer des onguents afin de soigner sa dépression et laisser flotter son être. « Je fais pousser des fleurs qui ne poussent nulle part ailleurs », avait-elle coutume de dire.

Cette végétation sans racines ni humus, ces floraisons tantôt mentales, tantôt organiques, de quel herbier des abysses sourdent elles ? À quel règne appartiennent elles ? D’ailleurs, à l’instar de la production de Séraphine de Senlis, s’agit-il encore de fleurs ? Ne sont-ce pas déjà des fruits ? Charnus, emplis de sucs entêtants, gorgés de la pulsion d’une femme qui, s’en remettant au mystère non élucidé, dit simplement « je vis ».

Ces productions, aux détails saisissants, mues d’un rythme singulier entre spirales, arabesques et formes géométriques, font d’Anna Zemánková une figure majeure de l’art brut, la seule aujourd’hui à avoir été montrée à deux reprises à la Biennale de Venise (2013 et 2024). Ces dernières années, ses œuvres ont pu être admirées dans des expositions majeures parmi lesquelles celles du New Museum (NYC), du Hyogo Museum (Kobe), de Lafayette Anticipations (Paris), de la Casa Encendida (Madrid) ou du Rudolfinum (Prague).

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sans titre c. 1980 32 x 23 cm collage en satin, couleur pour tissus, acrylique et stylo à bille sur papier

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remerciements acknowledgements

élisa berst, adriana bustamante, jeanne fournier, antoine frérot, amanda jamme, indya khayat, carmen et daniel klein, alejandro labrador, guillaume oranger, jeanne rouxhet, zoé zachariasen

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christian berst art brut

ce catalogue a été publié à l’occasion de l’exposition little venice, du 18 mai au 15 juin 2024.

this catalog was published on the occasion of the exhibition little venice, from May 18th to June 15th, 2024.

design graphique et réalisation graphic design and production élisa berst et jeanne fournier

3-5 passage des gravilliers paris 03 contact@ christianberst.com

du mercredi au samedi 14h à 19h ou sur rendez-vous

En écho à la 60e Biennale

de Venise sur le thème des « Étrangers partout », nous avons réuni le même quatuor d’artistes bruts exceptionnels que le commissaire général

Adriano Pedrosa : Aloïse

Corbaz, Madge Gill,

Leopold

Strobl et Anna Zemánková.

cbab 3-5 passage des gravilliers 75003 paris france

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