ODE TO MARY QUANT

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ode to Mary Quant

1930 - 2023

Léa - Juliette - Marie - Denise

Photos de Gérald Chabaud
Texte de Silvère Vincent

À Asia, ma fille

Pour tous les fans du fameux Swinging London des années soixante, 2023 aura été marquée par la disparition de Mary Quant, une de ses plus grandes figures, une de ses actrices majeures. Pour les autres, cela est une triste occasion de découvrir l’importance que cette dame aura eu sur leur vie, même sans le savoir.

Née à Blackheath, près de Londres, de parents enseignants issus de familles de mineurs, la jeune Barbara Mary profite de l’ouverture des écoles d’art aux classes ouvrières pour étudier l’illustration à l’université de Goldsmiths. Elle y rencontrera son futur mari, Alexander Plunket Greene. En octobre 1955, elle s’associe à celui-ci et au comptable Archie McNair pour ouvrir Bazaar, au départ boutique de fripes, sur King’s Road à Londres. En 1961, un second site Bazaar ouvre à Knightsbridge dans le centre de Londres, près de Chelsea. Elle veut définir ses boutiques comme “une sorte de cocktail permanent”. En 1965, à la suite de travaux initiés par le designer Terence Conran, la première boutique devient “le” lieu, qu’on appellerait “hype” aujourd’hui, où se croisent musiciens, designers et autres artistes.

saisi le contexte particulier de ces décennies-là: un besoin de légèreté légitime après des années de souffrance, les droits acquis des femmes au travail durant les deux guerres mondiales (pas question de retourner derrière les fourneaux après avoir tant participé aux efforts de combats), les années de luttes féminines pour l’émancipation (les suffragettes gagnent le droit de vote à 30 ans en 1918, puis à 21 ans en 1938, quand il faudra attendre 1944 en France). S’ajoute à cela le besoin de libération vestimentaire, d’allègement des corsets, gaines et autres instruments de torture du quotidien.

Mary Quant a parfaitement

Ni musicienne ni actrice, tout en ayant positivement pesé sur tout l’entertainment anglais, européen puis mondial, Barbara Mary Quant est la styliste de mode qui aura marqué l’Histoire en créant la mini-jupe, symbole absolu de la féminité et de la libération sexuelle de l’époque. Pourtant, elle dira elle-même qu’elle n’a rien inventé, reprenant simplement l’idée des jeunes Londoniennes qu’elle croisait qui coupaient elles-mêmes leurs jupes. C’est plutôt le Français André Courrèges qui officialisera la longueur dans un défilé en 1964. Madeleine Vionnet et Paul Poiret avaient supprimé le corset, André Courrèges et Mary Quant ont inventé la “mode mini”. Et même si Coco

Chanel l’avait en horreur, Karl Lagerfeld a fini par la défendre et l’adopter. Mais, comme l’écrit Valérie Guédon dans Le Figaro du 13 avril 2023 : “C’est bien Quant qui popularisa la célèbre Chelsea Girl, cette jeune fille dynamique et court-vêtue aux jambes longues comme un jour sans pain, véritable incarnation des sixties et de l’émancipation féminine. Elle avait compris qu’à travers ce vêtement s’articulait un changement majeur de société, ajoutait l’historienne. La mode, ou plutôt la consommation de mode, est devenue dans les années 1960 une activité de loisir, un moyen d’expression. Ses créations reflètent et parlent à cette nouvelle génération de femmes, les baby-boomeuses, libérées, éduquées, au pouvoir d’achat plus important”.

Et dès le milieu des années 1960, Mary Quant s’exporte déjà vers les Etats-Unis, imposant son “London Look”, en commençant par un partenariat avec l’énorme chaîne de grands magasins américaine JCPenney. La demande étant pléthorique, la créatrice s’engage dans la production à grande échelle et met en place le groupe Ginger. Elle est là à l’apogée de sa gloire. C’est à cette période qu’elle produit la “micro-minijupe”, le maquillage “boîte de peinture” et ses imperméables en plastique, autres signatures personnelles. Elle est devenue le symbole de la mode britannique. Et à la fin des années 1960, elle lance le short “Hot Pants”, qui est sa dernière véritable création de mode.

“La barbe doit-elle être au-dessus ou en dessous des couvertures et du drap? La jupe doitelle être au-dessus des genoux ou en dessous? Que vous soyez le Capitaine Haddock ou Mary Quant, il n’y a qu’un moyen de se sortir des injonctions contradictoires: s’en libérer!”. L’émancipation des femmes, attendue, espérée est là, irrémédiable et définitive.

Mary Quant le perçoit et l’anticipe. Comme un symbole de cette émancipation, ses jupes racourcissent à partir de 1958 et la femme décide de montrer les genoux dès 1960. Plus facile pour attraper le bus en allant au travail puisque l’accès au travail est gagné. Puis en 1964, la créatrice londonienne choisit de révolutionner radicalement la ligne, la mode, le monde occidental en créant la mini-jupe (“miniskirt”, en anglais) en empruntant le nom à la Mini 1000, sa voiture préférée.

Et en 1966, la mini-jupe devient “le” look, la “mini” deviendra un des vêtements fétiches du XXème siècle. Mais le travail et le changement de vision de la créatrice pour la femme ne s’arrête pas à des centimètres de tissu gagnés chaque année sur les jambes. Mary Quant proposera de nouvelles lignes de maquillage toujours plus colorées, l’abandon des dessous contraignants. Une femme décide de libérer les autres femmes des obligations vestimentaires et ose, simplement ose autre chose.

En Angleterre, Twiggy, la mannequin star des sixties, sera l’ambassadrice de la miniskirt. En France, c’est la jeune Anglaise Jane Birkin qui apportera l’idée et son affirmation dans le paysage. Avant que Brigitte Bardot et autres icônes mondiales ne s’emparent de la ligne.

La contre-culture est en marche et Mary Quant aura participé à imposer le droit au choix donné aux femmes de se montrer. La styliste dira même “ce n’est ni moi ni Courrèges qui ont inventé la mini-jupe, ce sont les filles dans la rue qui l’ont fait”. Par exemple, chez les Mods, une de ces “tribus”, comme le définira plus tard le sociologue Michel Maffesoli, les filles sont moins strictes que les garçons. Ainsi, aux éléments vestimentaires que ceux-ci empruntent aux Américains -la parka-, aux Français -le costume- et aux Italiens -les chaussures

et, bien sûr, les scooters-, elles adoptent la mini-jupe de Mary Quant, affichant ainsi liberté et émancipation. Avant, aussi, d’en valider les maquillages.

Plus tard, Louise Bourgeois écrira encore ces mots qui résument la lutte féministe au quotidien de Mary Quant : “On sent dans l’œuvre tout entière un désir féroce d’indépendance (...), une détermination à servir au niveau qui est le sien, si fragile soit-il”.

Et Petra Slinkard dans “The Women Who Revolutionized Fashion” écrit “Les vêtements de Mary Quant étaient synonymes d’évolution, de libération, de révolution et d’indépendance féminine”.

Mary Quant a révolutionné la façon des femmes de s’habiller, plus encore par un nouveau “wayoflife” que par la création de la mini-jupe. Elle a commencé dès les années 50 à suggérer, à offrir le choix aux femmes de s’émanciper, de s’afficher comme elles le désirent et non plus comme l’autre décide. “La modéliste britannique du Swinging London a promu sa mini-jupe, la micro-jupe, le short, ouvrant ainsi la voie dans les Etats -Unis des années 80 et 90 aux booty shorts, daisy dukes, hot pants, knockout shorts, minishorts, micro-shorts, shortshorts et autres skimpy shorts. Faute de pouvoir traduire à la lettre cette floraison d’anglicismes, résumons-en l’esprit : jambes longues, liberté de mœurs et émancipation” (Jenny Lister).

Oui, l’émancipation des femmes, attendue et espérée est là, irrémédiable et définitive. Même si l’Histoire nous rappelle chaque jour qu’elle doit être défendue. Bien sûr que cette émancipation ne passe pas par la longueur d’un tissu mais, entre autres, par le choix qui a été donné aux femmes et à elles seules par des gens comme Mary Quant.

Silvère VINCENT

Remerciements à Isabelle Coffin de la Bibliothèque Nationale de France pour la documentation. Remerciements à Sarah Savy pour la première lecture. Merci à Sophie Cypriani pour son inspiration.

Bibliographie sélective :

• “Quant by Quant”, autobiographie (V & A Publishing)

• “Mary Quant” de Jenny Lister (V&A Publishing)

• “Fashion, The Definitive Visual Guide” de Caryn Franklin (DK Edition)

• “Art et Féminisme” de Helena Reckitt et Peggy Phelan (Phaidon Edition)

• “The Women Who Revolutionized Fashion” (Peabody Essex Museum/Kunst Museum Den Haag/Rizzoli Electra New-York)

• “Histoire de la Mode” (Taschen Edition)

• “British Fashion Designers” de Hywel Davies (Laurence King Publishing)

• “Swinging Sixties : Londres-Paris” de Christian-Louis Eclimont (Flammarion)

• “Swinging Sixties : Fashion in London and Beyond, 1955-1970” de Christopher Breward, Jenny Lister et David Gilbert (Victoria and Albert Museum)

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