MAGAZINE CONGO BUSINESS NUMÉRO 11

Page 5

EDITORIAL

U

ne seule date retenue pour tous les trois scrutins Ă©lectoraux au Congo : 23 dĂ©cembre 2018. A l’instar du sport, en principe les rĂ©sultats attendus devraient ĂȘtre simplement des scores : dĂ©faite, paritĂ© ou victoire. Ou uniquement des records inĂ©galĂ©s, Ă©galĂ©s ou battus. Or, Ă  sa façon, la dĂ©mocratie Ă  la congolaise s’est donnĂ© la particularitĂ© d’ĂȘtre une campagne de chiffres. Beaucoup trop de chiffres, que les compatriotes dĂ©chiffrent trĂšs difficilement.

Par Prof Madeleine MBONGO

La Commission électorale indépendante (Ceni) est la premiÚre à ouvrir le score avec sa série de chiffres. En novembre 2017, son président, Corneille Nangaa, dévoile le budget de son processus électoral : 1,3 milliard Usd, dont 400 millions pour enrÎler les électeurs, 560 millions pour les scrutins présidentiel, législatif national et législatif provincial, 380 millions pour le reste des élections.

Ces chiffres n’ont cependant pas effrayĂ© les parents congolais. Or, presque Ă  la mĂȘme pĂ©riode, Ă©tait votĂ© le budget total, Ă  la hauteur de 4,5 milliards Usd. En termes comparĂ©s, c’est donc une catastrophe : sur une semaine de nourriture Ă  la maison, chacune des familles congolaises devraient donc accepter de ne pas manger 1 jour sur 7. Autrement dit, c’est en jeĂ»nant une fois par semaine, les Ă©lections deviendraient enfin possibles dans ce pays. Faut-il alors plaindre les compatriotes congolais ? Non point. D’une part, leur Gouvernement a une telle foi au miracle qu’il a promis aux yeux du monde entier qu’il n’attendra le moindre sou de personne. Tout sera financĂ© par le TrĂ©sor public congolais, Ă  l’intĂ©rieur des 4,5 millards Usd du budget. D’autre part, une petite analyse pousse Ă  croire Ă  cette gĂ©nĂ©reuse vision de l’Etat, quand on mesure le nombre des candidats qui aspirent Ă  « se sacrifier » pour diriger ce pays. Ouvrons alors les oreilles : la caution pour ĂȘtre candidat PrĂ©sident de la RĂ©publique Ă©quivaut Ă  prĂšs de deux ans de salaire moyen d’un enseignant du CollĂšge ou du LycĂ©e. Et les cautions cumulĂ©es des candidats dĂ©putĂ©s nationaux (15.223 pour 500 siĂšges) et provinciaux (17.355 pour 715 siĂšges) correspondent Ă  la hauteur du salaire de tous les 2.000 professeurs d’universitĂ©s congolaises pour la moitiĂ© d’une annĂ©e acadĂ©mique.

TOUJOURS PLUS HAUT, PLUS LOIN, PLUS FORT.

Les chiffres qui viennent d’ĂȘtre alignĂ©s sont connus de tous. Mais, jusque-lĂ  les compatriotes n’arrivaient pas Ă  dĂ©couvrir la visibilitĂ© de leur malfaisance ou, Ă©ventuellement, la capacitĂ© de leur bienfaisance. La raison en est que, derriĂšre ces chiffres, il n’y a des enjeux seulement politiciens, pas du tout ceux relatifs au profit de la population. En effet, y a-t-il un seul candidat qui se soit donnĂ© la peine d’indiquer comment il a pu rĂ©unir sa caution et, surtout, comment il compte rĂ©cupĂ©rer les dĂ©penses engagĂ©es Ă  cette fin ? Cette attention plutĂŽt lĂąche sur les questions financiĂšres donne assez de libertĂ© Ă  tous les candidats Ă  entretenir avec panache la magie de gros chiffres et de gros

magazinecongobusiness.com

sous. Excellent dans cette logique de rondeur les candidats Chef de l’Etat. Le prĂ©sident de l’Udps, FĂ©lix Antoine Tshisekedi, a annoncĂ© que son mandat fera passer le revenu journalier moyen du Congolais de 458 Us Ă  4.288. Le candidat invalidĂ© du Mlc, Jean-Pierre Bemba avait promis un bond budgĂ©taire dĂ©cennal jusqu’à 86,7 milliards Usd. L’autre recalĂ©, MoĂŻse Katumbi, avait annoncĂ© un budget quinquennal de 100 milliards Usd, avec une capacitĂ© de crĂ©ation de 3,5 millions d’emplois. Le prĂ©sident de l’Unc, Vital Kamerhe, avait avisĂ© une enveloppe budgĂ©taire de 114 milliards Usd. Enfin, le prĂ©sidĂ© de l’EcidĂ©, Martin Fayulu, avait laissĂ© entendre que son budget quinquennal sera de 190 milliards Usd. A ce jour, le candidat dĂ©signĂ© du Fcc, Emmanuel Ramazani, n’a pas encore indiquĂ© ce que sera son altitude budgĂ©taire. Il y a fort Ă  parier que, comme les autres, il respectera lui aussi la devise olympique : « toujours plus haut, plus loin, plus fort ». En fait, comment ne pas admettre ses prĂ©visions, surtout au regard du profil personnel de chacun de ces candidats, rompus dans la gestion des affaires de l’Etat, sans compter les formations acadĂ©miques des uns et des autres ? Soit ! Chacun d’eux sait qu’il peut compter sur une cagnotte Ă©vidente au dĂ©part. Avec tous les chiffres Ă  la disposition de sa fonction de conseiller spĂ©cial du Chef de l’Etat en matiĂšre de rĂ©pression de corruption et de fraude, le professeur Luzolo Bambi, avait indiquĂ© que le TrĂ©sor public se voit dĂ©pouiller chaque annĂ©e de 15 milliards Usd. Ce fameux « coulage de recettes » a ceci de particulier qu’il concerne le « triple » du budget rĂ©ellement mobilisĂ© par l’Etat. En d’autres termes, la compĂ©tition Ă  propos des chiffres cache mal un dĂ©bat plus positif et plus fĂ©cond : comment empĂȘcher le dĂ©tournement des deniers publics et la corruption dans la sociĂ©tĂ© congolaise.

Les chiffres ne sont dĂšs lors qu’un prĂ©texte pour interroger les candidats sur une question plus prĂ©cise : quelle est la qualitĂ© de l’homme congolais susceptible de conduire au progrĂšs ?

5 ‱ Congo Business - DECEMBRE 2018 ‱ #11


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.
MAGAZINE CONGO BUSINESS NUMÉRO 11 by LARRY GLOBAL MEDIA - Issuu