Carnet d'Art n°10 - Le Bonheur

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Le chemin pour y accéder est aux antipodes de ce qu’attend cette société qui nous surplombe. L’art psychédélique devient alors un moyen de montrer et même exhiber cet état de conscience altéré par les drogues, plongé dans les torpeurs de la quiétude et qui n’est que le reflet inconscient de la main qui peint automatiquement, dicté par le Ça libéré. Martin Sharp, Rick Griffin ou encore Stanley Mouse sont tous des artistes de cette époque aux « mœurs droguées ». Ces œuvres bariolées deviennent le miroir intérieur d’un inconscient au premier plan, libre et heureux. Les œuvres de Martin Sharp explosent, résonnent en nous par cette culture commune reprise et détournée – avec la Joconde par exemple. Les couleurs tournoient par ces formes géométriques omniprésentes, presque envahissantes. Rien ne semble ordonné, filtré par le Surmoi qui tempère. Les émotions sont brutes, l’art qui en résulte est vivant. Il danse au rythme de la drogue et des perceptions. Tout comme Rick Griffin ou Stanley Mouse dont les œuvres sans dessus-dessous qui n’hésitent pas à nous bousculer, nous renversant sur leur passage, étaient généralement destinées à devenir des pochettes de CD ou posters. Ce bonheur chimique se distribue alors par fragments individuels, chacun ayant sa dose de couleurs acides et percutantes. Cependant, les traces laissées par ce bonheur chimique et cet art psychédélique ne se retrouvent pas seulement dans les tumultes de la 2D. Tony Cragg, par exemple, par ses sculptures mouvantes semble matérialiser un état d’esprit débridé. La matière paraît répondre aux envies psychédéliques d’un inconscient qui prime sur le conscient, où règles et normes sociétales n’existent pas. Le geste est vif, rapide comme si l’artiste répondait plus à un désir pulsionnel qu’à une réflexion assagie.

vives, avec des personnages comme ceux de la BD, où le trait est vif et dansant. L’artiste devient-il alors « commerçant » de bonheur, diffusant le bien-être par ses toiles ? C’est possible. Cela peut également passer par la mise en forme picturale de ce qu’ils considèrent comme étant le bonheur ; une facette d’un aperçu qui peut nous toucher. Ainsi Matisse avec sa Joie de vivre (1905) nous plonge dans une atmosphère chaleureuse où le bonheur s’échappe par effluves. Les couleurs intenses du fauvisme font écho au titre.

La Joie de vivre, par Henri Matisse, exposée à la Fondation Barnes (1906).

Pourtant certaines toiles qui n’ont aucune intention de prodiguer le bonheur par la simple contemplation réussissent de tels miracles. L’art nous touche, parfois au plus profond de nous-mêmes sans que nous ayons conscience du pourquoi. Cela peut être devant une technicité parfaite, parfois devant une beauté que nous trouvons éblouissante. Le bonheur se niche dans les recoins les plus infimes de la peinture, photographie, sculpture mais surtout de la vie.

L’artiste semble alors devenir proie à son propre inconscient sous drogue qui lui dicte de matérialiser son Ça le plus enfoui ; les couleurs et le mouvement n’étant que les reflets d’un bonheur factice et chimique. Aujourd’hui encore, l’art paraît être pour certains le seul moyen d’échapper aux griffes acérées et sans pitié d’une société oppressante. Le bonheur n’est-ce pas tout simplement s’exprimer sans pression sociétale, sans peur du reproche ou du jugement ; n’est-ce pas tout simplement être soi-même ? La tête se vide, la toile se remplit.

Mais alors, comment atteindre le bonheur ? On court, on court encore et sans cesse, mais où se trouve notre but ? Le bonheur est-il le chaudron rempli d’or posé au pied de l’arc-en-ciel et qui semble nous attendre docilement ? Pourtant on avance, sans relâche mais rien ne se rapproche de nous. Art, musique, littérature, quel chemin emprunter pour empoigner ce Graal, pour ne plus jamais le laisser repartir ?

L’artiste : « distributeur » du bonheur ? Indicibles, l’art et le bonheur se rencontrent au croisement d’une recherche de sens pour l’un comme pour l’autre. Les deux peuvent paraître éloignés mais ils sont plus amis qu’il n’y parait. Le bonheur peut passer par l’art, pour son expression mais également sa quête.

Les livres de conseils pour être heureux se multiplient. Ils nous assènent avis et témoignages, nous commandant d’agir de telle ou telle façon. Mais le fait de suivre « 10 conseils pour être heureux » à la lettre nous permet-il sincèrement de pouvoir respirer le bonheur à plein nez ? C’est pourtant contraire à l’idée générale que l’on se fait d’un bien-être ambiant dans lequel on plonge comme dans un bon bain chaud et moussant. Le bonheur ne se construit pas, il se vit. Le bonheur ce n’est pas atteindre telle occasion dans sa vie pour réaliser quelque chose que l’on désire. À regarder en avant on ne vit pas l’instant présent. Car c’est ça le bonheur : le moment. Que ce soit l’odeur de l’herbe tondue en été, un fou rire complice, la chaleur du soleil sur la peau, la contemplation d’une œuvre, une fierté, le bonheur s’attrape en plein vol. Le bonheur se choisit.

L’artiste est-il celui qui transmet sa propre joie de vivre, comme un « distributeur » de bonheur ? Ou alors, donne-t-il simplement une forme tangible à quelque chose qui n’en a pas ? Donner forme au bonheur tout simplement pour que nous puissions alors le reconnaître quand on le croise sur notre chemin et l’embrasser dans nos vies, le tirant par la main pour le faire devenir nôtre. Guillaume Stortz par exemple dit avoir un regard d’enfant, avec l’innocence et la naïveté qui l’accompagnent, pour donner du bonheur aux gens. Ses œuvres naissent sous les couleurs 34


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