Under the skin
QU’EST-CE QUI REMUE L’ÂME ARTISTIQUE DE THI-MAI NGUYEN ?
‘Quand on crée, on perd une partie de soi’
BRUZZ | PORTRAIT
FR
Dans le cadre du D Festival, Thi-mai Nguyen présente son spectacle Prémisse, une plongée dans le cerveau post-traumatique d’une femme confrontée à ses souvenirs. Une histoire d’intimité et de transgression dans laquelle la chorégraphe explore les limites de ce qui fait de nous des humains. — GILLES BECHET, PHOTO IVAN PUT Quand elle parle, la chorégraphe Thi-mai Nguyen dégage une simplicité et une douceur naturelle, mais son début est rythmé de pauses fréquentes comme si son esprit vagabondait dans une grande maison où elle cherche le propos à partager avec son interlocuteur. « Je suis gentille avec les gens mais à l’intérieur de moi ça bouillonne », sourit-elle. « La création c’est une combustion assez violente. » Ce bouillonnement, il a jailli avec Etna,
émerge malgré moi. » Thi-mai Nguyen n’aime pas la danse tiède, pour peu que cela existe. Elle a besoin d’incarner des personnages.
ÉLOGE DE LA FOLIE « J’aime bien l’idée de transformation, j’aime bien sur scène être différente de ce que je suis et que ce personnage ait une transgression. Quand on est sur scène et acteur, on est obligé d’être un peu fou. On joue avec les limites. » Dans Prémisse, son
« De cinq à quinze ans, j’ai eu une prof de danse qui était violente et qui était aussi un peu folle » sa première création solo, où vêtue d’oripeaux d’une princesse déchue au milieu de cartons fanés, elle danse entre raison et égarement au son de souvenirs du passé égrenés par un magnétophone à cassettes éraillé. Ce spectacle est né de l’empathie qu’elle a éprouvée en croisant les SDF qui hantent les trottoirs de la ville. « Je voyais des gens, ça me touchait et j’ai eu envie de comprendre, par ce que je sais faire, par la scène, par le corps, par la mise en scène. Je me nourris beaucoup de la vie qui m’entoure, j’observe beaucoup le monde qui m’entoure et l’effet miroir qu’il a sur moi et je développe les choses. C’est très instinctif, je ne suis jamais en train d’analyser. Je pose des choses, des éléments et petit à petit je les développe et finalement, peut-être deux semaines avant le spectacle tout se met en place et il y a un sens qui 46
deuxième spectacle, les limites sont celles d’une femme égarée entre ses souvenirs, le bien et le mal, l’humain et l’animal. Le spectacle est né d’une tête en cire repérée parmi des accessoires de théâtre inutilisés. Au fil d’improvisations avec cet objet magnétique, elle a tiré un fil rouge sang. « On ne sait pas ce qui s’est passé mais cette femme a un mort dans son lit. Chacun se raconte ce qu’il veut. Moi, je n’ai même pas envie de me dire qu’elle a tué quelqu’un. C’est peut-être juste un fantasme de ce qu’elle aurait voulu faire. » Très jeune, Thi-mai Nguyen a été plongée dans la danse. Elle a vu et senti grandir son corps au fil de ses apprentissages chorégraphiques qui n’ont pas été toujours très heureux. « De cinq à quinze ans, j’ai eu une prof de danse qui était violente et qui était aussi un peu folle, d’où
peut-être mon attirance pour les personnages borderline. C’était très intense et c’est devenu ma vie. J’ai pu continuer dans le déni en abordant cette violence et surtout grâce aux belles choses qui se sont produites après et aux belles personnes que j’ai rencontrées avec qui j’ai pu développer cet art. » À 21 ans , elle passe une audition pour la compagnie Ultima Vez de Wim Vandekeybus. À sa grande surprise elle a été prise. Ce fut une expérience exigeante et enrichissante. Ensuite elle collabore avec Michèle Anne De Mey pour la reprise de Sinfonia Eroica. « Après l’univers très masculin de Wim, c’était un univers très léger, très beau et romantique et une façon de bouger qui est plus proche de chez Rosas. »
DANS UN COCON
suis vivante, et je questionne. En créant, je prends toute l’essence de ce que j’ai vécu avec les autres. » Ce qui relie toutes ses créations c’est sans doute l’intimité, le rapport intime d’un personnage soit avec un objet soit avec d’autres gens. « On offre quelque chose de précieux au public, et pour ça, j’essaie d’être au plus vrai de mon sujet. » Parallèlement à la reprise de Prémisse, Thi-mai Nguyen travaille sur son prochain spectacle Stand By. Elle sera sur scène avec le danseur Mehdi Baki et deux enfants. C’est l’histoire d’un couple qui retraverse corporellement sa vie de l’embryon qu’il a été, jusqu’à la poussière qu’il est redevenu. Après la dureté de ses deux premiers spectacles, elle aspire à quelque chose de plus lumineux. « Je veux privilégier les moments intimes et les rapports de douceur entre les gens. Et puis la fusion d’un couple. Je veux parler aussi de vie, de mort, de corps inertes avec ce lit qui représente pour moi l’origine des choses. Ce sera toujours aussi dense et tendu, mais j’ai envie que ça se termine de façon lumineuse, avec l’amour qui rend tout possible. C’est ensemble qu’on peut y arriver. »
Ensuite, elle va collaborer avec James Thierrée avec qui elle va explorer des improvisations chorégraphiques. Elle a attendu assez longtemps pour développer ses propres créations. « J’ai besoin d’être en secret dans un cocon pour sentir le sujet. Quand on crée, on perd une partie de soi, c’est parfois douloureux, mais ça doit naître d’un besoin. Quand je collabore avec quelqu’un, j’aime bien choisir des personnalités complètement différentes. Ça me bouscule en tant qu’artiste et j’aime ça parce que ça me conforte dans l’idée que je
D FESTIVAL : PRÉMISSE 4 & 5/2, 20.00, Théâtre Marni, www.theatremarni.com STAND BY 8 > 12/3, 20.30, Théâtre la Balsamine, www.balsamine.be
DE METAMORFOSES VAN THI-MAI NGUYEN
THE METAMORPHOSES OF THI-MAI NGUYEN
In het kader van het D Festival stelt danseres Thi-mai Nguyen Prémisse voor, een duik in de posttraumatische ziel van een vrouw die geconfronteerd wordt met haar herinneringen. Een verhaal van intimiteit en transgressie waarin ze de grenzen van onze menselijkheid opzoekt. De choreografe houdt niet van dans die de middenweg opzoekt – als je dat al dans kan noemen. Ze wil personages gestalte geven. “Ik sta graag op de scène als iemand anders dan mezelf,” zegt ze. “Wanneer je creëert, raak je een deel van jezelf kwijt. Dat is soms pijnlijk, maar heel noodzakelijk.”
As part of the D Festival, Thi-mai Nguyen presents her show Prémisse, a dive into the post-traumatic brain of a woman who is confronted with her memories. A story of intimacy and transgression in which she explores the limits of our humanity. The choreographer does not like lukewarm dance, if such a thing exists. She needs to embody characters. “I like to be different from that which I am on stage,” she says. “When you create, you lose a part of yourself. That is sometimes painful, but inevitable. Creating has to come from a need.”
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