Bozar Magazine de saison '24-'25 (FR/EN)

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Bozar ’24-’25

Season ’24-’25

Exhibitions

Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp. Friends, Lovers, Partners

Love is Louder Rotor. Entangled matter

Monira Al Qadiri. The Archaelogy of Beasts

When We See Us

Berlinde De Bruyckere

Music

Orchestral

Soloists

Operas & Oratorios

Early

XX -XXI

Staging the Concert

Jazz, Global, Electro Concert Croissant

Family

Films

Art & Film

Premières

Close-up

New Voices in Cinema

Our Burning World

Immersive Cinema

Talks & Debates

Meet the Artist

Meet the Writer

Meet the Architect

Live Magazine

Performances

Bozar All Over the P(a)lace

Bozar Arcade

Discover our extended programme on bozar.be

Bozar ’24-’25

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Le regard polyphonique / The Polyphonic Gaze

Christophe Slagmuylder, directeur artistique de Bozar, considère la polyphonie comme l’antithèse de la polarisation.

Bozar Artistic Director Christophe Slagmuylder sees polyphony as the antithesis of polarisation.

Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp

Sophie Taeuber retrouve sa voix aux côtés de Jean Arp.

Sophie Taeuber rediscovers her voice at the side of Jean Arp.

Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp

Après de longues années, deux artistes retournent chez eux, à Bruxelles. Two artists return home to Brussels after many years.

Pavel Kolesnikov & Samson Tsoy

« Partager un piano à quatre mains suppose de penser ensemble, de respirer ensemble. » ‘Sharing a piano with four hands presupposes thinking together, breathing together.’

Luciano Berio & Cathy Berberian

La collaboration artistique qui a survécu au mariage. The artistic collaboration that even survived a marriage.

schntzl & Carl Stone

Inséparables depuis quinze ans bien qu’encore dans leur vingtaine.

Inseparable for fifteen years, and yet they are only in their late twenties.

Daphnis & Chloé

Lumineuse est la romance de Daphnis & Chloé; mystérieuses sont celles de Maurice Ravel. Daphnis & Chloé’s romance is as colourful as Maurice Ravel’s love life obscure.

Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon & Édouard Louis

Leur amitié déjoue les traditions et rythme leur écriture. Their friendship defies tradition and paces their writing.

Apichatpong Weerasethakul

Le premier film en VR du cinéaste thaïlandais est une expérience troublante. Thai filmmaker Apichatpong Weerasethakul brings his first VR film to Brussels.

Aurore Aubouin & Jeroen Vanacker

Nouveau binôme harmonieux à la tête du département musique de Bozar. Bozar’s brand-new pair of music directors already seem perfectly attuned to each other.

Klaus Mäkelä

Que ne savez-vous pas sur le chef d’orchestre Klaus Mäkelä dont on parle tant ?

Five things to know about the much-discussed Finnish conductor.

Caroline Shaw

La compositrice américaine sculpte la pop, le jazz et le classique dans un langage musical unique. The American composer moulds pop, jazz and classical into a unique, musical language.

Gustavo Dudamel

Enfin, le chef retrouve l’Orchestre Symphonique Simón Bolívar

Finally back together with the Simón Bolívar Symphony Orchestra.

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Discover: Abel Selaocoe & Manchester Collective

Depuis des années, le virtuose sud-africain du violoncelle repousse les frontières. The South African virtuoso has been pushing the boundaries with his cello for years.

Discover: Patricia Kopatchinskaja

Aventureux, ouverts, surprenants. Voilà comment ses concerts sont le mieux décrits. Adventurous, open, surprising. That’s how her concerts are best described.

Discover: Arooj Aftab

« Il y a des vibrations musicales qui nous relient tous. »

‘There are musical vibrations that connect us all’

Discover: Yannick Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin change la donne dans le monde de la musique classique. The Canadian conductor is steering the course of the classical music world.

Discover: Bryce Dessner

Le parolier-guitariste de The National s’immisce de plus en plus dans la musique classique. The National’s songwriter-guitarist is increasingly popping up in classical music circles.

Love is Louder

Une exposition d’art sur l’amour ? À Bozar ?

An art exhibition about love? At Bozar!?

Love is Louder: Omar Mismar

Quand se tenir la main devient un acte de résistance. When walking hand in hand becomes an act of defiance.

Love is Louder: Evelyne Axell

La jubilation libératrice de son œuvre féministe.

Her feminist œuvre is steeped in jubilant freedom.

Love is Louder: Marta Minujín

Toujours désireuse d’expérimenter, elle a créé une œuvre singulière, polymorphe et pertinente. With her urge to experiment, she created a singular, polymorphous and pertinent body of work.

Love is Louder: Joëlle Dubois

Au delà de l’érotisme, une (bonne) dose de solitude. Besides eroticism, there is also loneliness in the Belgian painter’s universe.

Love is Louder: Fernando Marques Penteado

L’amour est... l’évocation ludique d’amitiés masculines. Love is... playful evocations of male friendship.

102 Bozar Arcade

L’amour au temps des jeux video.

Love in times of video games.

108 Ovidie

Jamais seule depuis qu’elle a renoncé à l’hétérosexualité.

Never alone since she renounced heterosexuality.

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Breaching the Wall, Breaking the Codes

Depuis l’inauguration du Palais des Beaux-Arts, la performance a toujours été là. Performance art has been a staple of the Palais des Beaux-Arts since its inauguration.

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When We See Us: Martha Da’ro

L’artiste belge découvre une exposition qui marquera l’histoire de l’art.

The Belgian artist walks through the most talked-about expo in years.

When we see... When We See Us

Trois artistes nous éclairent sur une œuvre de l’exposition.

Three artists shine their light on a work from the exhibition.

Davóne Tines

Quand un baryton-basse américain rend hommage à un autre baryton-basse américain. American bass-baritone pays homage to another American bass-baritone.

146 Bozar All Over the P(a)lace

Le Palais des Beaux-Arts s’anime (davantage).

The Palais des Beaux-Arts comes alive (even more).

148 Let’s Zing Ensemble

À la recherche d’une nouvelle chanson pour Bruxelles.

In search of a new song for Brussels.

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Berlinde De Bruyckere

L’artiste partage son moodboard dédié à l’exposition de grande envergure.

The artist shares her moodboard for the large-scale exhibition.

158 Monira Al Qadiri

L’artiste koweïtienne interroge la relation entre humains et animaux.

The Kuwaiti artist examines the relationship between humans and animals.

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Staging the Concert: Robbrecht en Daem architecten

Les architectes gantois s’attaquent à la musique de Béla Bartók.

The Ghent architects tackle the music of Béla Bartók.

168 Michael Beutler

Chaque été, Bozar invite un artiste à investir le Hall Horta.

Every summer, Bozar invites an artist to create an installation in the Horta Hall.

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Rotor / Bêka & Lemoine

La métaphysique du recyclage à travers le regard de deux vidéastes franco-italiens. The metaphysics of repurposing through the eyes of two French-Italian videographers.

180 Céline Daemen

L’artiste néerlandaise crée un opéra en VR, avec une touche de Tarkovski et d’Akerman.

Dutch artist creates a VR opera with a touch of Tarkovsky and Akerman.

184 Unsound

Le festival polonais d’art et de musique électroniques arrive à Bruxelles.

The Polish electronic arts festival is coming to Brussels.

190 Tickets & Info

Information pratique

Practical information

193 Colophon

Nos collaborateur·ices

Our collaborators

Le regard polyphonique

FR Nous vivons dans une société complexe.

Naviguer dans ce contexte relève souvent du défi et d’aucuns en abusent pour disperser la cohésion. À l’été 2023, j’ai entamé mes fonctions de CEO et directeur artistique de cette maison d’art, guidé par une conviction profonde : la culture doit irriguer la société dans toutes ses dimensions. Elle crée potentiellement de l’espace pour un changement positif, elle ouvre la voie.

J’envisage Bozar comme un lieu polyphonique au sein duquel des voix discordantes peuvent cohabiter, au sein duquel des voix qui ne disent pas toutes la même chose parviennent à le dire ensemble. Pensons à la musique polyphonique du Moyen Âge. Les compositions célestes de Josquin des Prés et ses comparses assemblent harmonieusement différentes voix dont le timbre et le caractère uniques se déploient à valeur égale.

En feuilletant cette brochure, vous pouvez entendre une multitude de voix belles et puissantes. Celles de musicien·ne·s explorant une multitude de genres, d’un chef d’orchestre visionnaire propulsant la musique symphonique au XXIe siècle, d’écrivain·e·s qui célèbrent l’amitié et nourrissent les imaginaires, d’un duo d’architectes interprétant la musique dans l’espace et d’un cinéaste renommé s’immergeant dans la réalité virtuelle, offrant une perspective nouvelle au cinéma. Bozar présente une saison décloisonnée, elle est le fruit de choix collaboratifs et réfléchis selon un ensemble cohérent. Aucune cacophonie ni cri strident dans ces pages mais bien des voix distinctes et affirmées qui se répondent et se complètent. La polyphonie signifie avant tout, comme en musique, réunir plusieurs voix. C’est ce que nous faisons à travers nos nombreux programmes de concerts, expositions et nocturnes mensuelles. Mais la polyphonie peut aussi se nicher dans notre regard ou dans nos interprétations. Il est toujours possible de (re)penser les faits et les œuvres d’art à la lumière de différents prismes et contextes changeants. Pour percevoir plusieurs

EN We live in a complex society. One that can be hard to navigate. Some abuse this to sow dissension. When I joined this arts house last summer as CEO and Artistic Director, it was with a deep conviction: that culture should play a fundamental role in wider society. Culture opens a space for positive change. I see Bozar as a polyphonic space. A place in which contradictory voices can coexist and, on a regular basis, learn to speak together. I am reminded of medieval and Renaissance polyphonic music. Composers such as Josquin des Prez wove independent voices – each with their own range, personality and equivalence – into heavenly compositions, full of harmony.

If you take a quick glance through this brochure, a lot of strong voices ring out. You will hear musicians playing across a broad spectrum of genres, from the conductor steering symphonic music into the twenty-first century to writers celebrating friendship and firing the imagination, not to mention the architect duo that interprets music spatially and a celebrated filmmaker who is diving into virtual reality. Bozar presents a season entirely conceived around considered choices made together. There is no cacophony or yelling on these pages, just distinct and mutually complementary voices.

Polyphony primarily means, as in music, the combination of multiple voices. Which is what we do across numerous concert programmes, exhibitions and during our monthly nocturnes. Yet outlooks and interpretations can also be polyphonic. Changing viewpoints and diverse backgrounds offer new ways of looking at artworks and events. To have a multifaceted perspective, you need to step outside yourself and, more often than not, start moving –sometimes literally. You must leave the single, fixed viewpoint behind, as well as your sense of Absolute Certainty. Polyphony is the antithesis of the tendency towards polarisation, wherein a single, dominant voice endeavours to drown out the counterpoint and all the semitones.

aspects simultanément, il faut se détacher de soi-même et se mettre en mouvement, tant physiquement que mentalement. Il s’agit de s’affranchir d’un angle figé, de la certitude d’une Grande Vérité.

La polyphonie va à l’encontre d’une tendance à la polarisation induite par une voix dominante cherchant à étouffer les extrémités et toutes les nuances intermédiaires. J’envisage Bozar comme un espace où l’on expérimente une richesse de points de vue, où l’accent n’est pas uniquement mis sur un seul individu et sa propre influence, son propre reflet ou sur le selfie qui détourne son regard de ses semblables, du vaste paysage, de tout ce qui est singulier et digne d’être vu.

Les œuvres d’art sollicitent plusieurs sens à la fois. Elles tissent toutes sortes de liens entre le corps et l’esprit. Un son peut modifier une image ; une vision faire entendre un ton ; un mot évoquer une couleur ; un espace physique devenir caisse de résonance ; le mouvement d’une image inciter les corps à danser. J’envisage Bozar comme un lieu où les idées peuvent circuler. Où des connexions inattendues et des échanges sensoriels se créent. Le regard polyphonique est notre unique guide, notre profonde conviction. Les artistes ne tombent pas du ciel. Ils ne travaillent pas dans le vide sidéral. Les cours classiques d’histoire de l’art considèrent un peu vite les grands peintres et compositeurs comme des génies solitaires plutôt que comme faisant partie d’une communauté. Dans le domaine des arts, c’est le collectif qui émerge avant tout. Depuis longtemps, la musique, le théâtre et les performances privilégient le groupe, l’ensemble ou l’orchestre. Les cinéastes sont rarement solitaires. Les bureaux d’architectes sont des lieux de collaboration. De nombreux artistes disposent d’ateliers où ils travaillent avec des assistants spécialisés ou font partie de collectifs. Les duos, trios et groupes sont plus à même de remettre en question les hiérarchies établies sans pour autant sacrifier leur singularité ou leur rigueur.

La saison '24-’25 de Bozar met en lumière plusieurs couples d’artistes dont les œuvres ont marqué des moments déterminants du XXe siècle, favorisant ainsi des changements positifs. Sophie Taeuber-Arp et Jean/Hans Arp se sont rencontrés pendant la Première Guerre mondiale, en terrain neutre à Zurich, au Cabaret Voltaire. C’est là, dans cette zone échappant aux tumultes

I see Bozar as a space in which people can experience a wealth of viewpoints. It is a place that is about more than just you, your influence and status, your reflection or the selfie that distracts you from the wider landscape, your fellow human beings and that unique, unmissable sight.

Artworks are multisensory creations. They spark numerous mental and physical connections. Sounds can alter our visual perception; images can change how we hear. A word can evoke a colour. A physical space can transform into a sound box. A dynamic image can inspire a dance. I see Bozar as a space in which ideas can circulate, and where unexpected connections and sensory exchanges can emerge. The polyphonic view is our only guide, and our deepest conviction. Artists do not come from nowhere. They do not work in a vacuum. In art history lessons, we are quickly taught to see remarkable painters and composers as geniuses rather than as members of a community. Musician and producer Brian Eno has a suggestion, that we replace the word ‘genius’ with ‘scenius’ – meaning the intelligence of a wider scene or movement, of a group of people who influence one another. Shared knowledge, emotions and experiences have unparalleled depth and intensity. Collectives are part for the course in the arts. Groups, ensembles and orchestras have long reigned in music, theatre and performance. Films are rarely made alone. Architects work together in offices. Numerous artists have studios with specialised collaborators or work as part of collectives. Duos, trios and groups of people break down established hierarchies more easily without sacrificing their individuality or distinctness. Bozar’s ‘24-’25 Season is animated by several artist duos who opened up spaces for positive change at critical moments in the twentieth century. Sophie Taeuber and Hans/Jean Arp met during the First World War on neutral territory, Zurich, and performed in the Cabaret Voltaire. From this free zone, insulated from the violence of the warring nation states, Dada emerged as one giant liberation party: an interaction of word, sound, image, dance and the applied arts. After the war, ‘community art’ became the code word for a time, which also meant a community of art forms. Art and style as a way of being collective. Artists set the tone internationally in this area. The

‘I see Bozar as a polyphonic space, in which contradictory voices coexist’

des États-nations en conflit, qu’émergea le mouvement dada comme une grande fête libératrice : une combinaison réjouissante de mots, de sons, d’images, de danse et d’arts appliqués.

Une autre guerre mondiale plus tard, dans les années cinquante, Luciano Berio et Cathy Berberian se sont connus dans une atmosphère d’avant-garde musicale. Cathy Berberian inspirait tous les compositeurs tant elle naviguait avec aisance entre différents styles musicaux. Ce goût de l’éclectisme a poussé la mezzo soprano à collaborer avec des figures majeures de la musique classique, à interpréter les Beatles dans un style baroque puis la musique folklorique et les compositions de Kurt Weill. Toujours dans une optique de dépasser les clivages et les schémas de pensée étroits, l’équipe Bozar Exhibition a élaboré, tel un grand geste collectif, une exposition qui témoigne de la puissance de l’engagement amoureux et de son impact sociétal. Love is louder, l’une des expositions piliers de notre saison, célèbre l’empathie, l’amitié et l’amour comme des forces rassembleuses, capables de résonner fort. Regardez, écoutez, ressentez. Dans les méandres de nos couloirs, les ombres mouvantes de nos salles, la lumière de nos scènes, se déploie un programme riche tissé avec les fils de l’ancien et du nouveau, du populaire et du sophistiqué. Allez partout où vous mène cette joyeuse (con)fusion, c’est là que vous croiserez les regards polyphoniques de Berlinde De Bruyckere, Klaus Mäkelä, Kim Gordon et Peter Sellars ; de Patricia Kopatchinskaja, Gustavo Dudamel, Claudia Rankine et Boris Charmatz ; De Bryce Dessner, Caroline Shaw, Apichatpong Weerasethakul et du trio Édouard Louis, Didier Eribon & Geoffroy De Lagasnerie. Eux, elles et tant d’autres vous ouvrent grand les portes de Bozar lors de la saison 24-25.

Christophe Slagmuylder,

League of Nations was the first attempt to unite the countries of the world.

A world war later, and Luciano Berio and Cathy Berberian found each other in the musical avantgarde of the early 1950s. Countless composers were inspired by the mezzo-soprano. Berberian sang it all, and with universal brilliance: from Baroque interpretations of The Beatles to Kurt Weill and folk music, not to mention Monteverdi directed by Nikolaus Harnoncourt, the pioneer of the authentic performance movement. Historical, popular or contemporary: everything intermingled. Cathy Berberian vaulted the artificial divide between ‘high’ and ‘low’ culture with her Stripsody. She sang a score composed of nonsensical comic-strip speech bubbles: “Arrgrrr! AaahatCHIU!” Dada’s liberating peal of laughter is never far away.

To puncture divisions and narrowmindedness, the entire Bozar exhibition team has collectively devised a programme that starts from the liberating power of living together and acting together, to create an exhibition that celebrates love and empathy in all its many guises. With Love is Louder, one of the season’s four main exhibitions, we evoke the unifying potentional and resounding force that is love.

Come hear, see and taste it. On our stages and in the many nooks and crannies of our halls and corridors, a richly varied programme springs to life in which old and new, and ‘high’ and ‘low’ joyfully comingle. You will cross the polyphonic gazes of Berlinde De Bruyckere, Klaus Mäkelä, Kim Gordon and Peter Sellars. And those of Patricia Kopatchinskaja, Gustavo Dudamel, Claudia Rankine and Boris Charmatz. Not to mention Bryce Dessner, Caroline Shaw, Apichatpong Weerasethakul and a well-known trio, Édouard Louis, Didier Eribon and Geoffroy de Lagasnerie. They, and many others, look forward to welcoming you to Bozar during the 2425 season.

‘La polyphonie va à l’encontre d’une tendance à la polarisation’

Sophie Taeuber, une voix retrouvée aux côtés de Jean Arp

FR Sophie Taeuber-Arp et Hans devenu Jean Arp font figures de personnalités centrales au développement de l’art abstrait du XXe siècle. Sophie Taeuber-Arp est d’ailleurs à l’origine de la Chapelle Sixtine de l’art moderne, l’Aubette de Strasbourg. Ce sont leurs noms conjoints qui sont associés dans une grande exposition à Bozar.

Durant trois décennies, une relation artistique intense ponctuée de projets communs sera bénéfique à ces deux artistes qui se sont rencontrés à Zurich en 1915 et se sont mariés en 1922. Lorsque Taeuber croise pour la première fois Hans/Jean Arp, elle est âgée de 26 ans. Diplômée de l’École des arts appliqués de Munich, l’artiste enseigne à l’École des arts décoratifs de Zurich. Taeuber visite ainsi l’exposition Tapisseries modernes, broderies, peintures et dessins à la Galerie Tanner, dans laquelle Arp expose des œuvres avec Otto van Rees et Adya van Rees-Dutilh. Quelque temps plus tard, probablement au printemps 1917, ils tombent amoureux l’un de l’autre.

Zürich entre-temps, est devenue le repère des esprits libres et rebelles : c’est de là que va rayonner le mouvement Dada. Un courant artistique qui vise à enterrer avec panache la culture bourgeoise. Ils sont quelques-uns réunis en février 1916, des artistes exilés qui scellent un pacte dans un café situé dans une ruelle de la vieille ville, le fameux Cabaret Voltaire. Ces jeunes gens dénoncent le beau, les poètes sirupeux et surtout la guerre qui traverse l’Europe du début du siècle.

Sophie Taeuber-Arp remet, elle aussi, en question les formes traditionnelles de l’art. La rencontre avec Arp l’amène tout naturellement à fréquenter les dadaïstes en 1916 et à participer à leurs activités. Depuis 1915, elle danse et est en contact avec le mouvement de l’école d’art du grand Rudolf von Laban, figure majeure de la danse moderne. À l’occasion de l’ouverture de la Galerie Dada en 1917, elle exécute des danses expressives modernes.

EN Sophie Taeuber-Arp and Hans/Jean Arp, who later became Jean Arp, were pivotal figures in 20th century abstract art. In fact, Sophie Taeuber was the driving force behind Strasbourg’s Aubette, the Sistine Chapel of modern art. Both artists are united in a major Bozar exhibition.

For three decades, the two artists who first met in Zurich in 1915 and later married in 1922, enjoyed a fruitful, intense, artistic relationship marked by several joint projects. Taeuber was 26 when she first crossed paths with Jean/Hans Arp. A graduate of the interdisciplinary Debschitz School in Munich, the artist taught textile design at the Kunstgewerbeschule (school of arts and crafts) in Zurich. She visited the exhibition Modern Tapestries, Embroideries, Paintings and Drawings at the Galerie Tanner, where Arp was presenting pieces alongside Otto van Rees and Adya van Rees-Dutilh. Shortly after, presumably in the spring of 1917, Taeuber and Arp fell in love. By then, Zürich had become a hothouse for freethinking, rebellious spirits and gave birth to a new movement, Dadaism, which sought to banish bourgeois culture in style. In February 1916, a group of exiled artists gathered and took a pledge in a café tucked away in a backstreet of the old town, the mythical Cabaret Voltaire. These young people denounced beauty, sentimental poets and, most importantly, the war sweeping Europe at the turn of the century.

Sophie Taeuber also challenged established art forms. Her 1916 encounter with Arp drew her into the circle of the Dadaists and she eagerly took part in their activities. Having danced since 1915 and been in contact with the great Rudolf von Laban, a prominent dance figure and the founder of European Modern Dance, she executed expressive dances to mark the opening of the Galerie Dada in 1917.

In 1948, Jean Arp reminisced about this period and meeting ‘his’ Sophie: “In December 1915, I met Sophie Taeuber in Zurich. She had freed

En 1948, Hans/Jean Arp revient sur ces années et la rencontre avec « sa » Sophie : « En décembre 1915, j’ai rencontré à Zurich Sophie TaeuberArp qui s’était affranchie de l’art conventionnel. Elle me montra des dessins, des tapisseries et broderies exclusivement composés en verticales et horizontales. ». Entre 1918 et 1920, le couple crée cinq grands collages nommés Duo-Collages, œuvres emblématiques de l’art concret. Ces collages, fondés sur l’utilisation de formes rectangulaires, annoncent l’art minimaliste. « Ces tableaux sont des réalités en soi, sans signification ni intention cérébrale. Nous rejetions tout ce qui était copie ou description, pour laisser l’élémentaire et le spontané réagir en pleine liberté », ajoute Arp.

Une grande œuvre commune

La structure et les couleurs des Duo-Collages vont par ailleurs servir de modèle pour entreprendre le vitrail de la cage de l’Escalier de l’Aubette, une de leurs plus grandes œuvres communes. Monument aujourd’hui classé, il fait partie des musées de la ville de Strasbourg sous le nom d’Aubette 1928

C’est en effet à la fin des années 20, que Sophie Taeuber-Arp reçoit une commande de décoration d’intérieur gigantesque à l’initiative des frères Paul et André Horn. Pour réaliser l’aménagement de cet espace qui va devenir un lieu de loisirs, elle fait appel à Hans/Jean Arp et Theo van Doesburg, peintre, architecte et théoricien de l’art néerlandais, connu pour être le fondateur du mouvement De Stijl. Les trois artistes aménagent donc une dizaine de salles sur quatre niveaux dans une dynamique d’œuvre d’art total. Certains espaces sont réalisés de concert, d’autres sont l’œuvre unique des artistes. Cependant, c’est Théo van Doesburg qui tire les marrons du feu, en invisibilisant le couple Taeuber et Arp en particulier dans la revue De Stijl consacré à l’Aubette. Il y mentionne à peine Hans/Jean Arp et surtout fait référence au « bon goût » de Sophie Taeuber-Arp alors qu’elle était responsable du chantier. Cette manière de caractériser le travail de la Suissesse, fait écho à l’incontournable travail de Linda Nochlin, Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? paru en 1971 dans ARTnews et qui a fait date dans l’histoire de l’art. Nochlin déconstruit la notion de génie artistique codée par les hommes et dévoile les

herself of conventional art. She showed me drawings, tapestries and embroideries that were exclusively made up of vertical and horizontal lines.” Between 1918 and 1920, the couple produced five large collages. Entitled DuoCollages, these pieces incarnate Concrete Art. Built around the concept of rectangular shapes, the collages foreshadowed Minimalist Art. “They were probably the first manifestations of their kind,” added Arp. “Pictures that were their own reality, without meaning or cerebral intention. We rejected everything in the nature of a copy or a description, in order to give free flow to what was elemental and spontaneous.”

A joint masterpiece

The structure and colours of the Duo-Collages also served as a template for the stained-glass window in the stairwell of the Aubette, one of their largest joint works. A listed monument today, it forms part of the museums of the city of Strasbourg under the name Aubette 1928. In the late 1920s, Sophie Taeuber was commissioned by brothers Paul and André Horn to redecorate the vast building. To design the space destined to become a leisure centre, she enlisted the help of Jean Arp and Theo van Doesburg, a Dutch painter, architect, and art theorist well known as the founder of the De Stijl movement. Together, the three artists designed a dozen rooms spanning four floors in the spirit of a Gesamtkunstwerk. While some of these spaces were created collaboratively, others were made individually by each artist. However, Theo van Doesburg reaped the rewards of the project by failing to credit Taeuber and Arp in the magazine De Stijl dedicated to the Aubette. There was hardly any mention of Jean Arp in the magazine, and he only cited Sophie Taeuber’s “good taste”, thereby minimising her role as project manager. This characterisation of the Swiss artist’s work echoes Linda Nochlin’s ground-breaking 1971 essay Why Have There Been No Great Women Artists? - published by ARTnews. In it, Nochlin dismantles the notion of artistic genius codified by men, exposing the institutional structures that contributed – to a large extent – to render women invisible and that eclipsed the importance of networks in the careers of artists. In 1943, following the tragic death of Sophie Taeuber-Arp, who was asphyxiated by emanations

structures institutionnelles qui ont largement contribué à invisibiliser les femmes, et aussi à éclipser l'importance des réseaux dans la carrière des artistes.

Au décès de Sophie Taeuber-Arp, en 1943 dans des circonstances tragiques, intoxiquée au domicile de Max Bill à Zurich par les émanations d’un poêle à charbon à la veille d’un retour forcé en France, Hans/Jean Arp plonge dans une dépression profonde alors que sa santé physique et mentale était instable durant la Seconde

Guerre mondiale. Le mari épleuré a contribué avec les meilleures intentions du monde, à figer l’image de Sophie dans des écrits certes émouvants mais avec une forte tendance « à l’enfermer dans un lieu un peu indéterminé, entre l’élégie, le rêve et la réalité », résume l’historienne de l’art, Cécile Bargues.

Voici ce qu’il écrivait, meurtri, un an après la mort de sa femme :

Tu rêvais d’étoiles ailées, de fleurs qui cajolent les fleurs sur les lèvres de l’infini

Tu rêvais de ce qui repose dans l’immuable demeure de la clarté

Tu peignais une rose dévoilée

Un bouquet d’ondes

Un cristal vivant

Jean Arp, dévasté, et ses amis comme Michel Seuphor, Marcel Janco ou Hans Richter, se sont joints à lui pour chérir le souvenir de Sophie, mue en ange bienveillant. On parla beaucoup d’elle et surtout pour elle.

Sophie sous un autre jour

Pour l’historienne de l’art Isabelle Ewig, le premier catalogue établi par Hans/Jean Arp et Hugo Weber pour la monographie de 1948 avait l’intention de consolider la réputation de Sophie Taeuber-Arp en tant que femme peintre et sculptrice faisant aboutir certaines œuvres ou en donnant de nouvelles versions au projet initial de Sophie. Il nomma plusieurs Duo-Collages alors qu’ils n’avaient probablement pas été réalisés ensemble sur le moment comme l’a montré Walburga Krupp, commissaire de l’exposition à Bozar dans ses travaux. Cette monographie d’ailleurs ne rendait pas compte de ses autres activités comme la création de marionnettes,

from a coal stove at Max Bill’s Zurich home, on the eve of an impending return to France, Jean Arp sank into a severe depression at a time when his physical and mental health was already wavering due to the Second World War. Although the grieving husband had the best intentions, he was instrumental in immortalising Sophie’s image in admittedly poignant texts, which nevertheless tended “to imprison her in a somewhat indeterminate realm, somewhere between elegy, dream, and reality,” as art historian Cécile Bargues described it.

Bruised and heartbroken, Arp penned these lines one year after his wife’s death:

You would always dream of winged stars, of flowers cajoling flowers on the lips of infinity, (...)

You dreamed of things that rest in the immutable home of light.

You painted an unveiled rose, a bouquet of waves, a living crystal.

Distraught, Jean Arp and his friends Michel Seuphor, Marcel Janco and Hans Richter gathered together to cherish the memory of Sophie, who was transformed into a sacrificial angel. They talked a lot about her, mostly in her name.

Sophie under a new light

According to art historian Isabelle Ewig, Sophie Taeuber-Arp’s first catalogue raisonnée, compiled by Jean Arp and Hugo Weber for the 1948 solo exhibition, was mainly intended to cement her reputation as a painter and sculptor by completing unfinished pieces or producing new versions of Taeuber’s original projects. Walburga Krupp, curator of the exhibition at Bozar, demonstrated in her research that Arp referred to several collages as duo works, although they had probably not been produced together at the time. Moreover, the catalogue made no mention of Taeuber’s other activities, such as her marionettes, stage sets, murals and interior designs, including the Aubette.

There was also no mention of the fact that, between 1925 and 1942, Sophie Taeuber-Arp participated in some forty exhibitions in major

décors de scène, décoration murale, architecture, aménagement intérieur comme l’Aubette. On oublia aussi que de 1925 à 1942, Sophie Taeuber-Arp a participé à plus de quarante expositions, dans des musées réputés que ce soit en Europe, aux États-Unis ou au Japon. Les archives privées deviennent alors des sources précieuses pour les historiennes. Ce sont justement les échanges issus de la sphère de l’intime qui nous permettent aujourd’hui de découvrir Sophie Taeuber-Arp sous un autre jour. On découvre qu’elle n’était pas cet ange sacrificiel toujours souriant et spontané.

Grâce à la publication, en 2021, de nombreuses lettres inédites de Sophie Taeuber-Arp, adressées à sa sœur, à Hans/Jean Arp et à d’autres, un regard différent sur sa vie peut prendre forme. Ce corpus réuni dans trois ouvrages imposants édités par Medea Hoch, Walburga Krupp et Sigrid Schade comprend 431 lettres et cartes postales, débutant en 1905, se terminant en décembre 1942, peu avant son décès. On y décèle que Arp amena Taeuber à prendre conscience de l’importance de ses progrès novateurs dans l’art. Mais d’un autre côté, la carrière de Sophie Taeuber-Arp aurait souffert de la concurrence de son mari. Sophie TaeuberArp prenait souvent en charge les travaux préparatoires de Arp, terminait aussi ses œuvres pour qu’il puisse honorer certaines commandes, devait se concentrer ensuite sur son propre travail artistique ainsi que sur les tâches domestiques et administratives qui lui pesaient. Il est aussi possible par exemple de revisiter l’histoire de la réalisation de l’Aubette, surnommée la Chapelle Sixtine de l’art abstrait, pensée sans distinction entre les beaux-arts, les arts décoratifs ou l’architecture d’intérieur. Celle qui avait choisi par exemple, de garder le silence public face aux écrits de Van Doesburg dans la revue De Stijl en 1928, se dévoile dans une lettre à Louise Maass, une ancienne condisciple de l’école Debschitz : « Je me suis donné la peine de comprendre les théories de Van Doesburg. Il prétend que ses compositions n’ont rien à voir avec la décoration, qu’elles sont de pures mises en forme de l’espace. Certaines sont très belles, mais je crois qu’il se fait une théorie personnelle. Je vois comment Van Doesburg se fâche avec tout le monde parce qu’il se surestime tellement qu’il se sent toujours incompris et exploité ». Dans une autre lettre, elle ne cache plus son

museums in Europe, the United States and Japan. Her private archives have thus become valuable sources for historians. Indeed, it is precisely this insight into the intimate sphere of her life that allows us to see Sophie Taeuber under a new light. For she was not at all a sacrificial angel, forever smiling and spontaneous.

In 2021, the publication of several hitherto unpublished letters written by Sophie TaeuberArp to her husband Jean, her sister and other friends shed new light on her life. Compiled in three imposing volumes edited by Medea Hoch, Walburga Krupp, and Sigrid Schade, the collection features 431 letters and postcards, dating from 1905 to December 1942, shortly before her death.

‘Sophie Taeuber could seamlessly switch from one discipline to another, which was perhaps indicative of the multiple roles she fulfilled as a woman’

The book indicates that Arp helped Taeuber-Arp grasp the importance of her pioneering artistic achievements. But, on the other hand, Sophie Taeuber-Arp’s artistic career suffered from the competition with her husband. TaeuberArp often handled Arp’s preliminary drawings and finished his pieces so he could complete commissions. After that, she had to focus on her personal artistic work and the many domestic and administrative chores he could not be bothered with.

We should also (re-)examine the history of the Aubette, nicknamed the ‘Sistine Chapel of abstract art’, which was envisioned without distinction between the fine arts, decorative arts and interior architecture. The artist, who had chosen to remain publicly silent regarding Van Doesburg’s comments in the 1928 edition of the De Stijl magazine opens up about the affair in a letter to Louise Maass, one of her former

droits Fondation Arp

Jean Arp, Constellation de formes blanches sur fond gris, 1941, bois peint.

‘They talked a lot about her, mostly in her name’
Photo JP. Pichon,

courroux : « Il a utilisé son activité journalistique pour présenter l’Aubette comme son travail et omettre nos noms. Je commence à manquer de patience, d’autant plus que c’est à nous que la commande avait été passée et que nous avons fait appel à Van Doesburg uniquement parce que c’était trop important pour nous à côté de nos autres travaux. »

Sophie Taeuber-Arp et d’autres femmes artistes ont été les clés de voûte de changements profonds à l’origine d’une valorisation sans précédent des arts dits mineurs. Elles étaient capables de passer d’une discipline à une autre, symbolisant peut-être les rôles multiples qu’elles occupaient en tant que femmes au sein de leur époque, femmes artistes et femmes d’artistes.

Tous ces rôles renforcent l’idée que pour elles, ces disciplines ne relevaient pas d’une hiérarchie, et appartenaient à la vie quotidienne.

L’exposition Hans/Jean Arp & Sophie TaeuberArp. Friends, Lovers, Partners se déroule du 20 septembre 2024 au 19 janvier 2025. Un catalogue de l’exposition est publié par Bozar Books & Mercatorfonds et est disponible au Bozar Bookshop.

Écoutez l’histoire fascinante de ce couple dans notre podcast, qui rend hommage à Sophie Taeuber-Arp.

classmates at the Debschitz School: “I have tried hard to understand Van Doesburg’s theories. He claims his compositions have nothing to do with decoration at all, that they are purely spatial. Some are very beautiful, but I think he is making up a theory to please himself. I notice how Van Doesburg falls afoul of everyone because he overestimates himself to such an extent that he always feels misunderstood and abused.”

Another letter reveals her wrath: “He used his work as a journalist to promote the Aubette as his own, leaving out our names. I am gradually beginning to lose my patience, especially since the commission was awarded to us and we only engaged Van Doesburg because it was too much work on top of our other activities.”

Like Sophie Taeuber, other female artists were instrumental in introducing paradigm shifts that have led to a historically unprecedented valorisation of so-called minor arts. These women could seamlessly switch from one discipline to another, which was perhaps indicative of the multiple roles they fulfilled as women in their era, as female artists, and as artists’ wives. All of these roles reinforce the idea that, from their perspective, these disciplines were nonhierarchical and were part of the fabric of their everyday lives.

The exhibition Hans/Jean Arp & Sophie TaeuberArp. Friends, Lovers, Partners runs from 20 September 2024 to 19 January 2025. Exhibition catalogue is published by Bozar Books & Mercatorfonds and is available at the Bozar Bookshop

Listen to the fascinating story about this couple via our podcast, which also pays tribute to Sophie Taeuber-Arp.

Jean Arp, Nombril et nombril ailé, 1933, collage. Photo JP Pichon, droits Fondation Arp

E. Linck: Sophie Taeuber and Hans Arp in front of puppets, 1918, Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth

Arp Returns Home to Brussels

FR L’artiste abstrait Hans Arp fut, très tôt, l’un des favoris de la scène artistique bruxelloise. En 1931, les portes en fer forgé du tout jeune Palais des Beaux-Arts s’étaient ouvertes pour accueillir son travail. Un contraste saisissant avec son épouse Sophie Taeuber-Arp, qui n’y exposa qu’en 1953, dix ans après sa mort. Plongeons dans le passé.

Regardez-moi ça ! Dans les archives du Palais des Beaux-Arts, je découvre une lettre manuscrite d’Arp, sans prénom. Elle n’est pas datée, mais elle doit remonter au début de l’année 1931. La lettre a été écrite par Hans Arp au 21 rue des Châtaigniers, dans une maison rectangulaire avec jardin au sud-ouest de Paris, conçue par sa femme, Sophie Taeuber, où le couple vivait et travaillait ensemble depuis 1929. L’atelier de Sophie se trouvait au troisième étage, d’où elle pouvait observer la banlieue parisienne et régner en maître. La vie et l’art s’y confondaient. (La maison d’artistes est d’ailleurs restée intacte. Aujourd’hui, la Fondation Arp y entretient la mémoire du couple dada).

La lettre de Hans est adressée à un certain van Hecke, toujours sans prénom. Il s’agit de PaulGustave, Pégé, Gust ou Tatave pour les intimes. Il était à l’origine des galeries bruxelloises Sélection et L’Époque, mais s’était reconverti dans la mode avec sa femme Norine à la fin des années 1920. En 1931, le couturier-marchand d’art travaillait néanmoins au Palais des Beaux-Arts, siège de l’asbl L’Art vivant. L’association voulait donner un coup de pouce aux artistes dont le prix des œuvres avait chuté suite au krach boursier. Pégé avait monté au Palais des Beaux-Arts l’exposition d’envergure L’Art vivant en Europe, un panorama quasi inédit des mouvements artistiques post-impressionnistes, auquel les artistes s’étaient volontiers prêtés. Le parcours était structuré par pays : France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Pologne, Tchécoslovaquie. Mais une grande salle était également réservée à

EN Abstract artist Hans Arp felt at home in the Brussels art world from the very outset. And the wrought-iron doors of the fledgling Palais des Beaux-Arts swung open for him in 1931. In stark contrast to his wife, Sophie Taeuber-Arp, who did not make her debut here until 1953 –ten years after her death. Let’s rewind for a moment.

Look at this! I’ve found a handwritten letter from Arp – first name omitted – in the archives of the Palais des Beaux-Arts. Undated, but it must be from early 1931. Hans Arp wrote it from 21 Rue des Châtaigniers, in southwest Paris. In a rectangular house with a garden, designed by his wife Sophie Taeuber, where the couple had lived and worked together since 1929. Sophie’s studio was on the third floor, from where she looked out over the Parisian suburbs and ran their entire business. Life and art were indivisible. (Coincidentally, the artists’ house has survived intact. It is now home to the Arp Foundation, who keep the memory of the Dada couple alive.)

Hans’ letter is addressed to one Van Hecke –again, no first name. This is Paul-Gustave, or Pégé, Gust or Tatave to his friends. He was the man behind the Brussels galleries Sélection and L’Époque, but who switched to fashion with his wife Norine. However, the couturier-art dealer still worked for the Palais des Beaux-Arts in 1931 - home of the non-profit association L’art vivant [Living Art]. The organisation wanted to provide a lifeline for artists after the stock market crash, which had sent the prices of their work plummeting.

Pégé mounted the large-scale exhibition L’art vivant en Europe [Living Art in Europe] at the Palais des Beaux-Arts, an almost unprecedented survey of post-Impressionist art movements, in which artists were only too happy to participate. The overview was structured by country: France, Germany, Belgium, the Netherlands, Poland, Czechoslovakia.

« l’École de Paris », car après la Première Guerre mondiale, de nombreux innovateurs artistiques des pays voisins avaient jeté leur dévolu sur la ville lumière.

Dadada

Dans la boîte d’archives « art vivant » se trouvent de nombreuses lettres de pionniers de l’art moderne adressées à van Hecke : elles sont signées Arp, Kurt Schwitters, Piet Mondrian, Georges Vantongerloo ou encore René Magritte… Dans sa lettre, Arp écrit à Pégé avoir reçu, rue des Châtaigniers, la visite de Mondrian et de Vantongerloo, deux précurseurs du mouvement De Stijl. Ils l’avaient encouragé à participer à L’Art vivant en Europe. Hans, donc, et non sa femme Sophie.

Après Mondrian et Vantongerloo, ce fut au tour de Tristan Tzara de frapper à la porte du couple. Tzara, Arp et Taeuber se connaissaient de longue date, depuis le Cabaret Voltaire à Zurich. C’est dans cette boîte de nuit de la Suisse neutre que le mouvement dada avait été bruyamment baptisé en 1916. Le dadaïsme levait un doigt d’honneur à la violence, à l’individualisme et au nationalisme de la Première Guerre mondiale. Les arts s’y entrechoquaient joyeusement. L’ego était mis au placard. Hans y lisait ses poèmes sonores. Sophie se faisait remarquer par une chorégraphie expressionniste dans une tenue cubo-futuriste. Quant au Roumain Tristan Tzara, il encourageait tout ce cirque artistique : « Da, da » (Oui, oui !).

‘Le dadaïsme levait un doigt d’honneur à la violence, à l’individualisme et au nationalisme’

Eh bien, ce Tzara raconta qu’il y aurait de toute façon des œuvres d’Arp dans l’exposition L’Art vivant en Europe. C’était son ami E.L.T. Mesens, l’artiste de collage-poète-homme-à-tout-faire et « secrétaire des ventes » de l’exposition, qui le lui avait dit. « Est-ce que vous incluez certaines de

A large room was also reserved for the ‘school of Paris’, on the grounds that numerous artistic innovators from the surrounding countries had ended up in the City of Light after the First World War.

Dadadada

The ‘art vivant’ archive box contains a clutch of letters to Van Hecke from the pioneers of modern art: Arp, Kurt Schwitters, Piet Mondrian, Georges Vantongerloo, René Magritte, .... In his letter, Arp tells Pégé that Mondrian and Vantongerloo, two early pacesetters of the De Stijl movement, had visited him at Rue des Châtaigniers. They had urged Arp to participate in L’art vivant en Europe Hans, that is, not his wife Sophie. After Mondrian and Vantongerloo parted company with the Arps, Tristan Tzara came knocking on their door. Tzara, Arp and Taeuber had known each other for a long time – since the days of the Cabaret Voltaire in Zurich. This was the nightclub in neutral Switzerland, in which Dada had been boisterously christened in 1916. Dadaism gave a mighty finger to the violent, individualist and nationalist slant of the First World War. Art forms tumbled merrily over each other. The group was more important than the ego. Hans recited his sound-rich poems at the Cabaret. Sophie turned heads with an expressionist dance in a cubist-futuristic outfit. Romanian Tristan Tzara egged the entire creative circus onwards: ‘Da, da!’ (Yes, yes!)

Now, what Tzara had to say to the Arps was this: Hans’ work would be shown in L’art vivant en Europe anyway. Or so he’d been told by his friend E.L.T. Mesens, the poet, collagist, artist, jack-ofall-trades and ‘sales secretary’ to the exhibition. “Are you including works of mine that are in Brussels?”, Arp asks Van Hecke. “Let me know!” Pégé and E.L.T. Mesens had effectively selected La planche à oeufs [Egg Board], a large relief from the collection of Paul-Gustave van Hecke and Norine, and Oiseaux [Birds] from the collection of Pierre Janlet, one of the driving forces behind the Palais des Beaux-Arts. As an aside: the first work was auctioned two years later for a rockbottom price, along with the rest of the Van Hecke collection, including dozens of Magrittes. The second fetched the hammer price of 3.5 million euros at Sotheby’s in 2022. Things certainly change in the art market.

mes œuvres qui se trouvent à Bruxelles ? », demande Arp à van Hecke. « Dites-m’en plus à ce sujet. » Pégé et E.L.T. Mesens avaient effectivement choisi La Planche à œufs, un grand relief de la collection de Paul-Gustave et Norine van Hecke, et Oiseaux de la collection de Pierre Janlet, l’un des inspirateurs du Palais des Beaux-Arts. Pour la petite histoire : la première œuvre a été vendue aux enchères deux ans plus tard à un prix bradé, avec le reste de la collection des van Hecke, dont des dizaines de Magritte.

La seconde a été adjugée à 3,5 millions d’euros chez Sotheby’s en 2022. Le marché de l’art est décidément plein de surprises.

À l’époque

Avec ses reliefs en bois, Arp donnait une lecture enfantine et désarmante du quotidien. Ces œuvres évoquent des éléments de décor agrandis d’une pièce de théâtre scolaire surréaliste. Oiseaux et œufs. Bouteilles et vases. Parties de corps humains : lèvres, nez, moustaches, nombrils. Plastrons. Oiseaux, également appelé L’O et L’U de l’oiseau, date de 1928. Hans et Sophie s’étaient rendus à Bruxelles en mai de cette année-là pour le vernissage d’une exposition personnelle d’Arp à la galerie L’Époque. Le 14 mai 1928, Sophie avait envoyé une carte postale à sa sœur Erika, écrivant que Hans avait peint deux grands reliefs à Bruxelles et qu’elle allait essayer des robes. Il est donc fort probable que Oiseaux ait été réalisé à Bruxelles et vendu immédiatement. Un photographe avait immortalisé l’exposition Arp à L’Époque : nous disposons de plusieurs vues de salles, ainsi que des clichés de cinq messieurs en costume. Joan Miró avec sa canne et Arp sont au centre, entourés par trois poètes-marchands d’art amusants. Outre van Hecke et E.L.T. Mesens, on reconnaît Camille Goemans, l’un des pionniers du surréalisme à Bruxelles et ami proche de René Magritte. En 1927, Arp avait signé un contrat d’exclusivité avec Goemans. Avec Magritte, Goemans s’était réfugié à Paris à la fin de l’année 1927, où ils côtoyaient régulièrement Arp, Miró et Dalí. En mai 1929, Goemans avait ouvert une galerie au 49, rue de Seine et engagé Sophie Taeuber pour aménager les lieux. La première exposition de la Galerie Goemans avait été consacrée à son mari. Cependant, Sophie Taeuber-Arp a longtemps été

À l’époque

Hans Arp gives a disarming, childlike twist to the everyday in his wooden reliefs. They resemble magnified pieces of scenery from a Surrealist school play. Birds and eggs. Bottles and vases. Fragments of people: lips, noses, moustaches, navels. Plastrons.

Oiseaux, also called L’O et L’U de l’oiseau, dates from 1928. In May of that year, Hans and Sophie had travelled to Brussels for the opening of Arp’s solo exhibition at L’Époque gallery. Sophie wrote a postcard to her sister Erika on 14 May 1928: Arp has painted two large reliefs in Brussels, and she is going to try on dresses. It is extremely likely, therefore, that Oiseaux was created in the Belgian capital and immediately sold.

‘Hans Arp gives a disarming, childlike twist to the everyday in his wooden reliefs’

The Arp exhibition at L’Époque was captured for posterity by a photographer: several installations shots survive, as well as pictures of five besuited gentlemen. In the centre: Joan Miró, with a cane, and Arp. Around them: three ostentatious poetartists. Alongside Van Hecke and E.L.T. Mesens, we discern Camille Goemans, one of the pioneers of Surrealism in Brussels and a close friend of Magritte. Arp had signed an exclusive contract with Goemans in 1927.

Both Magritte and Goemans moved to Paris that year, where they regularly dined with Arp, Miró and Dalí. In May 1929, Goemans opened a gallery at 49 Rue de Seine and hired Sophie Taeuber to oversee its interior design. The first exhibition at Galerie Goemans was dedicated to her husband. Yet Sophie Taeuber-Arp had long been the artist couple’s regular breadwinner. She taught at the Zurich School of Arts and Crafts but also made artworks for Hans. For example, she attached the cords that formed the contours of faces in unbroken lines. Georgette Magritte completed the job when Sophie was in Zurich.

‘Avec ses reliefs
bois,

en

Arp donnait une lecture enfantine et désarmante du quotidien’

Group photo at the Arp exhibition at the LÉpoque gallery, 1928, Paul-Gustave Van Hecke, Hans Arp, Joan Miró, E.L.T. Mesens, Camille Goemans..

le principal soutien financier du couple d’artistes. Elle enseignait à l’École des arts appliqués de Zurich et réalisait également des œuvres d’art pour Hans. C’est elle, par exemple, qui fixait les cordes qui formaient les contours des visages en lignes continues. Lorsque Sophie était à Zurich, c’était Georgette Magritte qui se chargeait de ce travail.

Mais en 1928, E.L.T. Mesens et Paul-Gustave van Hecke, respectivement directeur et propriétaire de L’Époque, avaient jeté leur dévolu sur Hans Arp en particulier. Son exposition personnelle y avait été inaugurée le samedi 5 mai, un jour après l’inauguration officielle du Palais des Beaux-Arts par le roi Albert. Je regarde les photos du vernissage et j’imagine que Sophie et Hans étaient là, dans la salle des sculptures noire de monde. C’était l’événement artistique de l’année à Bruxelles.

Pierre Janlet, 29 ans, propriétaire de Oiseaux, était alors le bras droit d’Henry Le Bœuf, la cheville ouvrière du Palais des Beaux-Arts. Il en deviendra plus tard le directeur général. Au cours de sa carrière, Janlet avait constitué une belle collection d’art et, en 1928, il avait également eu le nez fin à la galerie L’Époque. Il y avait notamment acheté les Lèvres écossaises d’Arp. Le relief était accroché dans la salle droite de la galerie, à gauche de la cheminée. De l’autre côté : La Planche à œufs. 96 ans plus tard, les deux reliefs se retrouvent à Bozar. Ils sont de retour chez eux, à Bruxelles..

Kurt De Boodt

L’exposition Hans/Jean Arp & Sophie TaeuberArp. Friends, Lovers, Partners se déroule du 20 septembre 2024 au 19 janvier 2025.

But E.L.T. Mesens and Paul-Gustave van Hecke, the director and owner of L’Époque respectively, set their sights firmly on Hans Arp in 1928. His solo exhibition opened at their gallery on Saturday 5 May – the day after King Albert had officially inaugurated the Palais des Beaux-Arts. I stare at the photos of the opening and imagine that Sophie and Hans were also present, there, in that jam-packed sculpture hall. It was the art event of the year for Brussels.

The twenty-nine-year-old owner of Oiseaux, Pierre Janlet, was then the right-hand man of Henry Le Boeuf, the driving force behind the Palais des Beaux-Arts. Janlet would later become its General Director. He amassed a superb art collection during his career and also struck gold at L’Époque in 1928. He purchased Arp’s Lèvres écossaises [Scottish Lips], amongst other pieces. The relief hung in the gallery’s right-hand room, to the left of the fireplace. On the other side: La planche à oeufs. Ninety-six years later, the two reliefs will be reunited in the Centre for Fine Arts. They are coming home – to Brussels.

The exhibition Hans/Jean Arp & Sophie TaeuberArp. Friends, Lovers, Partners runs from 20 September 2024 to 19 January 2025.

Pavel Kolesnikov & Samson Tsoy

FR En 2007, ils se sont croisés dans les couloirs du Conservatoire de Moscou. Depuis, Pavel Kolesnikov, le poète, et Samson Tsoy, le franctireur, sont inséparables.

Les pianistes russes Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy vivent désormais ensemble à Londres, où ils ont également cofondé le Ragged Music Festival. Le couple de claviéristes partage donc plus qu’un simple amour de la musique, ce qui, selon eux, peut parfois s’avérer complexe. « C’est risqué d’être aussi proches », explique Samson Tsoy, « et c’est aussi très difficile de ne pas se rendre fous mutuellement pendant les répétitions » Le domaine des duos pour piano est d’ailleurs un terrain extrêmement laborieux : les deux musiciens portent sur scène un genre éminemment domestique. De l’intime à l’extraverti, de l’intense à l’extatique, les deux trentenaires suivent les traces de Robert et Clara Schumann, Edvard et Nina Grieg ou Maurice Ravel et Ricardo Viñes. « La nature de l’instrument nous rend vraiment inséparables sur scène », explique Tsoy. « Partager un piano à quatre mains implique de penser ensemble, de respirer ensemble. C’est une forme de complicité d’un niveau exceptionnel. On ne peut pas l’atteindre sans une grande proximité. » Les tournées internationales et l’album récemment sorti chez Harmonia Mundi prouvent que les années d’expérience portent leurs fruits. Cependant, leurs personnalités et styles de jeu sont très différents. Au lieu de se rencontrer à mi-chemin, ils se saluent depuis les extrêmes. Selon Fiona Maddocks du journal The Observer, c’est précisément ce qui les rend si uniques : « Le mélange entre l’exploration poétique et introvertie de Kolesnikov et la tendance plus extravagante de Tsoy fait d’eux des partenaires idéaux. »

Guillaume De Grieve

Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy jouent le 1er novembre 2024 dans la Grande Salle Henry Le Bœuf.

EN They collided in the corridors of the Moscow Conservatory in 2007. Pavel Kolesnikov, the poet, and Samson Tsoy, the maverick, have been inseparable ever since.

The Russian pianists Pavel Kolesnikov and Samson Tsoy share a home in London nowadays, where they also co-founded the Ragged Music Festival. The pianist couple share more than just a love of music, which they say is not without its occasional difficulties. “It’s risky to be so close,” says Tsoy. When it comes to piano duets, things get even trickier as they are bringing an eminently domestic genre to the stage. From intimate to extrovert, from intense to ecstatic, the two thirty-somethings are following in the footsteps of Robert & Clara Schumann, Edvard & Nina Grieg and Maurice Ravel & Ricardo Viñes. “Because of the nature of the instrument, we are truly inseparable on stage,” Tsoy explains. “Sharing a piano with four hands presupposes thinking together, breathing together. It’s a form of closeness, but on an exceptional level. You can’t reach that level without being incredibly close.” That their years of experience are paying off is proven by their international tours and recently their first album as a duo – out on Harmonia Mundi. However, their characters are reportedly very different, while their distinct playing styles are hardly comparable. But instead of meeting in the middle, they greet each other from the extremes. And it is precisely that, according to Fiona Maddocks of the British newspaper The Observer, that makes them so unique: “The mix — to oversimplify — of Kolesnikov’s more inward, poetic exploration and Tsoy’s tendency to more extravagant expressivity makes them ideal duo partners.”

Guillaume De Grieve

Pavel Kolesnikov & Samson Tsoy play the Henry Le Bœuf Hall on 1 November 2024.

Luciano Berio & Cathy Berberian

FR Cathy Berberian a tout chanté : des Beatles dans un arrangement classique à Monteverdi et Cage. Magnificathy, comme l’appelait Umberto Eco, était une icône de l’avant-garde pour qui le compositeur italien Luciano Berio a écrit de nombreuses œuvres adaptées à sa voix et sa personnalité uniques.

Cathy Berberian et Luciano Berio se sont rencontrés en 1949 au conservatoire de Milan. L’Américaine était à la recherche d’un pianiste, et Berio gagnait sa vie en jouant du clavier. Ce fut le début d’une collaboration artistique fructueuse, qui s’est poursuivie après leur mariage en 1950. Berio a fait chanter Berberian d’une façon nouvelle : ses œuvres pour voix sont impensables sans la fantaisie vocale et la virtuosité de son épouse. Le collage joue un rôle clé dans l’œuvre de l’avantgardiste italien. Berio passe en revue l’histoire de la musique occidentale et cite abondamment des sources littéraires et moins littéraires. Il intègre aussi de la musique populaire : avec Folk Songs, il a composé un émouvant cycle de chansons basées entre autres sur de la musique d’Italie et des États-Unis. Sequenza III est un solo virtuose qui explore les possibilités de la voix, tandis que le théâtral Recital I (for Cathy) met en scène une chanteuse qui sombre lentement dans la folie pendant la représentation. Avec sa conception innovante du chant et de la performance, Berberian a influencé plusieurs générations de grandes chanteuses, notamment Meredith Monk et Laurie Anderson. Elle a mis au point des récitals originaux et composé deux pièces, dont Stripsody, un collage d’onomatopées de BD pour voix solo.

Cedric Feys

Le 26 janvier 2025, Hyoid & Joris Lacoste (coprod. Les Halles de Schaerbeek), l’ensemble Nemø et Sarah Aristidou & l’Ensemble Spectra rendent hommage à Berio-Berberian. En février 2025, Alexander Vantournhout traduit dans l’espace les Sequenze de Berio en une danse performative.

EN Cathy Berberian has sung it all: from The Beatles in a classical arrangement to Monteverdi and Cage. Magnificathy, as Umberto Eco called her, was an icon of the avant-garde for whom the Italian composer Luciano Berio wrote an array of work, tailored to her unique voice and personality.

Cathy Berberian and Luciano Berio met at the Milan Conservatory in 1949. The American was looking for a pianist and Berio had a side hustle playing keyboards. This was the beginning of a fruitful artistic collaboration that even survived –they wed in 1950 – the end of their marriage. He enabled her to sing in a new way, and without her vocal versatility and virtuosity, his work for voice is inconceivable. Collage plays a leading role in the oeuvre of the Italian avant-garde. Western musical history is reviewed, and Berio avidly quotes from literary and less literary sources. Folk music is also integrated: with Folk Songs, he composed a poignant song cycle based on music from Italy and the US, among others. Sequenza III is a virtuoso solo that explores the possibilities of the voice, and the theatrical Recital I (for Cathy) is about a singer who slowly sinks into madness during a rendition. With her innovative views on singing and performance, Berberian influenced generations of great vocalists, including Meredith Monk and Laurie Anderson. After her marriage, she developed a number of unique recitals and also composed two pieces herself, including Stripsody, a collage of onomatopoeia from comics for solo voice.

Cedric Feys

On 26 January 2025, Hyoid & Joris Lacoste (coprod. Halls of Schaerbeek), Nemø ensemble and Sarah Aristidou & Spectra Ensemble pay homage to Berio-Berberian. Choreographer Alexander Vantournhout translates Berio’s Sequenze into a spatial dance performance in February 2025.

schntzl & Carl Stone

FR Ils n’ont pas encore atteint la trentaine mais sont inséparables depuis quinze ans. L’aventure musicale d’Hendrik Lasure et de Casper Van De Velde (schntzl) défile comme sur une autoroute : ils prennent parfois une sortie, mais finissent toujours par se retrouver.

Hendrik Lasure (piano) et Casper Van De Velde (batterie) ont fondé le duo schntzl dès leurs études. Le point de départ ? La musique de chambre cinématographique et l’improvisation. Entre trois albums primés, ils ont travaillé sur beaucoup de projets en tandem, notamment avec Warm Bad, An Pierlé Quartet et Bombataz. Ils partagent également une admiration pour la légende vivante Carl Stone, expérimentateur en matière de musique électronique et de platines dans les années 1980. « J’ai découvert la musique de Stone avec l’album Mom’s de 1990 », raconte Lasure. « J’ai été touché par son atmosphère.

Chaque morceau semble avoir été réalisé avec un matériau de base limité, ce qui permet de cerner précisément l’univers musical. » Le travail plus récent de Stone a également influencé schntzl en termes d’échantillonnage en live. « Casper et moi utilisons tous deux une configuration qui nous permet d’enregistrer des sons en direct sur scène et de les utiliser ensuite comme échantillons dans nos improvisations », explique Lasure. Ainsi, le duo crée un espace dédié au hasard, comme s’il se trouvait dans une salle d’attente de l’inattendu.

« Qui ne tente rien n’a rien », ont probablement pensé Lasure et Van De Velde en contactant Carl Stone pour remixer leur EP Amsterdam. Finalement, la réponse était non, mais le contact avait, lui, été établi. Et la collaboration espérée s’est finalement concrétisée, prenant la forme d’un projet intergénérationnel audacieux faisant la part belle aux détails sonores.

Guillaume De Grieve

schntzl & Carl Stone se produiront dans la Salle Terarken le 8 novembre 2024.

EN Inseparable for fifteen years, and yet they are only in their late twenties. The musical adventure of Hendrik Lasure and Casper Van De Velde (schntzl) spins along like on a motorway: occasionally, they take an exit, but they always reconnect.

Hendrik Lasure (piano) and Casper Van De Velde (drums) founded the duo schntzl when they were still students. Their starting point? Cinematographic chamber music with improvisation. Between the creation of three award-winning albums, they also worked on other projects, including Warm Bad, the An Pierlé Quartet and Bombataz, but even these were mostly in tandem.

They are both huge admirers of living legend Carl Stone, who experimented with electronic music and turntables back in the 1980s. “My first introduction to Stone’s music was the 1990 album Mom’s,” Lasure says. “I was immediately moved by its atmosphere. It feels like each track was made with very little raw material, making the musical world very singularly defined.”

Schntzl’s use of live sampling is influenced, in turn, by Stone’s more recent music. “Both Casper and I have a set-up where we record sounds live on stage, which we can then use as samples in the improvised music,” explains Lasure. Thus, the duo creates space for happenstance, as in a waiting room of the unexpected.

“It doesn’t hurt to ask”, Lasure and Van De Velde must have thought when they contacted Carl Stone to remix their EP Amsterdam. The answer was no, but they kept in touch. And now, the longed-for collaboration has finally come to fruition, in a cross-generational project with an ear for sonorous detail and a sense of adventure.

schntzl & Carl Stone play in the Terarken Hall on 8 November 2024.

Daphnis & Chloé

FR Le caractère riche en couleurs de Daphnis et Chloé contraste avec le peu d’informations disponibles sur la vie amoureuse de Maurice Ravel. Heureusement, cela ne l’a pas empêché de transformer la pastorale de Longus en une « grande fresque musicale ».

Nous ne savons presque rien des amours du compositeur français Maurice Ravel. Certaines rumeurs romantiques planent (il entretenait des amitiés « dévouées » avec Ricardo Viñes, Marguerite Long et Hélène Jourdan-Morhange), mais les preuves réelles manquent. Ravel avait d’ailleurs parfois laissé entendre que son unique histoire d’amour... était celle qui l’unissait à sa musique. Dans ce contexte, il est d’autant plus remarquable que la plus grande œuvre orchestrale de Maurice Ravel soit entièrement consacrée à l’amour. À la demande de Sergueï Diaghilev, directeur des Ballets russes, le Français composa le ballet Daphnis et Chloé entre 1909 et 1912. La nouvelle de Longus, point de départ de cette histoire, suit le récit de Daphnis et Chloé, des enfants trouvés et élevés par deux éleveurs de chèvres et de moutons. Ils tombent amoureux mais, naïfs, manquent d’expérience. Leurs tentatives d’amour sont compliquées par des conseils douteux. Cette histoire, enrichie d’une série d’intrigues parallèles, captive l’imagination depuis près de deux millénaires et est l’un des fondements du roman pastoral. Des auteurs tels que Jean-Jacques Rousseau et Yukio Mishima s’en sont inspirés, Marc Chagall en a tiré une série de lithographies, sans oublier le ballet de Ravel, l’une des œuvres les plus colorées et les plus sophistiquées de l’histoire de la musique sur le plan orchestral.

Mien Bogaert

À l’occasion du 150e anniversaire de Ravel, le Belgian National Orchestra interprétera Daphnis et Chloé dans la Salle Henry Le Bœuf le 4 avril 2025.

EN Daphnis & Chloé’s romance is as colourful as Maurice Ravel’s love life was obscure. Fortunately, that did not dissuade him from transforming Longus’ pastoral into a “vast musical fresco”, to quote the composer.

There is frustratingly little to note about the French composer Maurice Ravel’s love life. Romantic rumours abound – he “devotedly” nurtured his friendships with Ricardo Viñes, Marguerite Long and Hélène Jourdan-Morhange – but there is scant evidence. Once, Ravel let slip that his only love affair … was with his music. Which makes it all the more remarkable that his greatest orchestral work is devoted solely to love. Ravel composed the ballet Daphnis et Chloé between 1909 and 1912 for Sergei Diaghilev, the director of the Ballets Russes. The starting point was the novella by the Greek writer Longus. The titular characters, Daphnis and Chloé, are two foundlings raised in rural isolation by a goatherd and shepherd respectively. The protagonists fall passionately in love with each other but are too naïve to consummate their relationship. Daphnis and Chloé cross paths with far greater authorities on the matter (including their sheep and goats), but the innocent, would-be lovers are better off taking their advice with a pinch of salt. Throw an orgy into the mix and a host of intrigues, divine or otherwise, and you end up with a story that has captured the imagination for almost two millennia. It also laid the foundations for the pastoral novel. Authors such as Jean-Jacques Rousseau and Yukio Mishima were inspired by the tale, Marc Chagall used it as the basis for a series of lithographs, and then there is Maurice Ravel’s ballet – one of the most vibrant and orchestrally sophisticated works ever written.

Mien

Bogaert

To mark the 150th anniversary of Ravel’s birth, the Belgian National Orchestra will play Daphnis et Chloé in the Henry Le Bœuf Hall on 4 April 2025.

Friendship at the Heart of Life

FR Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon et Édouard Louis : leur amitié fait fusion avec leur vie, déjoue les traditions, rythme leur écriture. C’est du matin au soir. L’amitié avant tout comme « éthique de la disponibilité ». Leur amitié existe et c’est loin d’être une affaire personnelle.

Si vous allez sur Instagram un 24 décembre – histoire, peut-être, de vous distraire d’une discussion familiale épouvantable – vous verrez que Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon et Édouard Louis passent la soirée ensemble. Il n’est d’ailleurs pas impossible que vous les enviiez. Ils contournent la traditionnelle case famille. Et se réjouissent de leur amitié. Une amitié à trois. Qui dure depuis 2011. Et qui est rythmée par l’écriture. « Nous avons écrit les livres que nous avons écrits parce que cette relation a existé ». C’est ce que confie Geoffroy de Lagasnerie en 2023 dans 3, un texte qui interroge – et fait l’éloge de – l’amitié comme mode d’existence. C’est qu’eux, l’amitié, ils la prennent au sérieux. Du matin au soir, donc. Ou plutôt de la mi-journée au milieu de la nuit (ils ne s’en cachent pas : ils ne sont pas du matin).

L’amitié comme trait d’union

« Il faut considérer le fait de voir l’ami comme une priorité qui passe avant d’autres », explique De Lagasnerie qui parle d’une « éthique de la disponibilité ». Une éthique qui n’est pas qu’un concept théorique mais une pratique permanente. Édouard Louis, le cadet des trois, en témoigne encore dans Monique s’évade, son dernier livre. Quand le jeune écrivain conseille depuis Athènes à sa mère de quitter immédiatement l’homme alcoolique et violent avec lequel elle vit à Paris, Didier est là. Il répond présent (« bien sûr, bien sûr ») pour accompagner l’évasion de Monique. Et il a les mots pour réconforter la mère d’Édouard Louis : « Vous êtes courageuse. Il est toujours difficile de s’enfuir. Je vous admire ».

EN The friendship of Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon and Édouard Louis is intertwined with their lives. It defies tradition and paces their writing. From dawn to dusk. Friendship above all else, as an ‘ethos of availability’. The three’s friendship is real, and anything but a personal affair.

Should you decide to go on Instagram on 24 December – to distract yourself from a gruesome family discussion for example – you will find that Geoffroy de Lagasnerie, Didier Eribon and Édouard Louis spend Christmas Eve together. You may even feel a tinge of jealousy. They dodge the traditional family circle and revel in their three-way friendship. A friendship that dates back to 2011. A friendship paced by writing.

“We wrote the books we wrote because this relationship exists,” confided Geoffroy de Lagasnerie in 2023 in 3 – a book that explores (and celebrates) friendship as a way of life. So yes, they all take friendship extremely seriously. From sunrise to sunset. Or, more precisely, from noon to the middle of the night. (They willingly admit they are not morning people.)

Friendship as a hyphen

“We have to see our friends as priorities that take precedence over all others,” explains De Lagasnerie, using the term ‘ethos of availability’. This ethos is more than a theoretical concept; it is a continuous process. The youngest of the three, Édouard Louis, illustrates this friendship in his latest book, Monique s’évade. When the young writer advises his mother from Athens to immediately leave the violent alcoholic she is living with in Paris, Didier is there. He is there“naturally, of course” - to help Monique escape. He also has the words to comfort Édouard Louis’ mother: “You’re brave. It’s always difficult to escape. I admire you.”

Didier is, in fact, the renowned sociologist and philosopher Didier Eribon, who wrote the

Didier, c’est le grand sociologue et philosophe

Didier Eribon, auteur du célèbre Retour à Reims. Si j’ai écrit Didier sans ajouter son nom, ça n’est pas une forme d’impolitesse ou de familiarité – je ne me permettrais pas – mais le plus juste reflet de leur amitié. Didier, Édouard, Geoffroy : ces trois prénoms circulent dans leurs livres, dans leurs publications sur les réseaux sociaux Ils se nomment. Ils se citent. Leur amitié existe. Non, cette amitié n’est pas de la fiction. Je l’ai vue. Au travers d’un détail. Ou plutôt d’un geste et de quelques mots. Édouard et Geoffroy –vous aurez compris pourquoi je n’ajoute pas les noms – sont mes invités le temps d’une émission à la radio (Dans quel Monde on vit, La Première, RTBF, 2018). Geoffroy parle très vite. C’est difficile de suivre sa pensée. Édouard s’en rend compte. Il lui fait comprendre en agitant délicatement sa main tel un chef d’orchestre. Le tempo ralentit. La pensée s’éclaircit. À la sortie du studio, une photo et déjà, je les vois pianoter sur leurs téléphones. Je les entends prononcer le troisième prénom. Didier devait savoir comment ça c’était passé.

Le « je » collectif

Cette amitié n’est pas de la fiction, donc. C’est d’ailleurs un terrain qu’ils ne fréquentent pas, la fiction. Dans leurs textes, tous les trois, ils s’emparent du réel : pour le dire, le combattre, le mettre en relief ou en concepts. Chacun avec son approche, son style, son vécu, son émotion… mais jamais sans échange avec les deux autres. Entre eux, le « je » devient aussi un « on ». Et dans leurs publications, le « je » mène au pluriel, au collectif. Il se veut au service des autres. Les trois amis veulent aider des individus à sortir de l’impuissance (« S’il fallait caractériser d’un mot la situation politique contemporaine et l’expérience que nous en avons, j’utiliserais le concept d’impuissance », selon De Lagasnerie.) Leur acte d’écriture est un acte politique. Un processus d’élucidation des systèmes de domination.

Tous les trois, ils portent une grande attention à la sociologie. Didier Eribon fut un proche de Pierre Bourdieu. Il qualifie sa rencontre en 1979 avec le sociologue de « coup de foudre amical » (l’amitié n’est décidément jamais loin). Bourdieu qui a, notamment, démontré que nos goûts et nos styles de vie sont déterminés par notre

acclaimed Retour à Reims. The fact that I’ve decided to write ‘Didier’ without adding his surname is by no means a sign of disrespect or familiarity – I wouldn’t dare! It simply echoes their friendship. Didier, Édouard, Geoffroy: three first names that pop up in their books and social media posts. They mention each other by name. They quote each other. Their friendship exists. This friendship is no fabrication. I’ve seen it. In real life. In a gesture. In a few words. Édouard and Geoffroy – you will have understood by now why I don’t add their second names – were my guests on a radio show (Dans quel Monde on vit, La Première, RTBF, 2018). Geoffroy talked quickly, scarcely pausing. He’s not easy to keep up with. Édouard noticed this and gently raised his hand towards Geoffroy, in the same way as an orchestra conductor. The tempo dropped; Geoffroy’s thoughts became clearer. When they left the studio, we took one photo. And before I knew it, they were typing on their phones. I heard them utter the third name. Didier wanted to know how it went.

The collective ‘I’

So, this friendship is not a fiction. Moreover, these three don’t travel in the realm of fiction. They all capture reality in their writings. They express it, fight it, emphasise it or use it as a concept. Each with their individual approach, style, experience, emotion, ... But never without interacting with the other two. Between them, the ‘I’ becomes a ‘we’. In their texts, the ‘I’ becomes plural, collective. It is there to serve others. The three friends want to help people overcome their powerlessness. (“If I had to use one word to characterise the current political situation and our experience of it, I would use the concept of powerlessness”, according to De Lagasnerie.) Their act of writing is a political act. A process of unravelling systems of domination.

All three have a keen interest in sociology. Didier Eribon was even a close friend of Pierre Bourdieu - he described his meeting with the sociologist in 1979 as ‘friendship at first sight’. (Friendship is, clearly, never far away.) Bourdieu, by the way, is the guy who demonstrated that our social position determines our tastes and lifestyles. As such, they are not a matter of personal choice. The first book Édouard Louis published, at

position sociale. Ils ne relèvent donc pas d’un choix personnel.

Le premier ouvrage qu’a dirigé Édouard Louis (à 21 ans) est consacré à… Pierre Bourdieu (Pierre Bourdieu : l’insoumission en héritage). Et tiens, tiens, le titre du premier livre de Geoffroy de Lagasnerie est L’Empire de l’université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme

Les trois écrivains veulent sortir d’une psychologisation permanente des faits et gestes des êtres humains. Ce qui nous arrive est loin d’être une affaire personnelle. « Nous ne devons jamais, comme dit Adorno, confondre ce que nous sommes et ce que la société a fait de nous », précise De Lagasnerie dans 3. Et il faut lire ce que Didier Eribon dit à propos de la psychanalyse qu’il estime triste et arrogante. Ou encore son essai La société comme verdict. La clarté du propos apparaît dès la quatrième de couverture : « La société assigne des places. Elle énonce des verdicts, qui s’emparent de nous et marquent nos vies à tout jamais. Elle installe des frontières et hiérarchise les individus et les groupes ». Bref, selon eux, c’est dans la boîte à outils – et à concepts – de la sociologie qu’il faut puiser pour répondre au mieux à l’intimidante question « Qui suis-je ? ».

L’amitié qui ouvre à la lutte

Et eux, alors, qui sont-ils à côté de – ou plutôt en même temps que – leur amitié ? Si c’est la sociologie qui répond, nous dirons que Didier et Édouard sont des transfuges de classe. C’est-àdire qu’ils se sont écartés des places assignées. Édouard Louis a raconté il y a dix ans dans En finir avec Eddy Bellegueule sa (sur)vie dans le village du nord de la France où il a passé les premières années de son existence. Il était la cible d’une insoutenable violence homophobe. Puis, il a fui. Il n’avait pas le choix. Il était en danger.

« Passer d’une classe à l’autre, ce n’est pas trahir, mais survivre », expliquait-il récemment dans Libération. C’est d’ailleurs en lisant Retour à Reims de Didier Eribon qu’il a compris ce qui se passait en lui – le sentiment de honte, notamment. Le sociologue né en 1953 y raconte le monde ouvrier où il a grandi. Sa famille. Et son propre itinéraire de transfuge de classe. Ce livre est une référence sur le sujet. Comme dans les textes de Louis, l’intime et le sociologique s’entremêlent et révèlent.

the age of 21, was devoted to Pierre Bourdieu: L’insoumission en héritage (A Legacy of Insubordination). Incidentally, the title of Geoffroy de Lagasnerie’s first book is L’Empire de l’université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme (The Empire of the University. On Bourdieu, intellectuals and journalism).

‘Exiting the world to reconstruct it better, bending it, dis-ordering it: in a sense, this could be the political formula of friendship as a fulfilled practical utopia’

The three writers strive to overcome the permanent psychologization of human actions. What we go through is not a personal matter. “We must never, as Adorno says, mistake what we are for what society has made of us,” writes De Lagasnerie in 3. And you should definitely also read Didier Eribon’s thoughts on psychoanalysis, which he dismisses as sad and arrogant. Like in his 2013 essay La société comme verdict (The Verdict of Society). The sheer lucidity of his message transpires from the back cover: “Society allocates positions. It passes verdicts that imprison us and scar our lives forever. Society draws boundaries and hierarchies between individuals and groups.” In short, the three suggest that we should rummage into the toolbox – and concepts – of sociology to find the best answer to that daunting question, “Who am I?”

Political Battle

But so, who are they? Besides (or because of) their friendship? If sociology provides the answer, we could say that Didier and Édouard are class defectors. That they have broken away from their assigned place in society. Ten years ago, in En finir avec Eddy Bellegueule (Away with Eddy Bellegueule), Édouard Louis described his survival in a village in the north of France where

‘Sortir du monde pour mieux le recomposer, le plier, le désordonner : telle pourrait être, en un sens, la formule politique de l’amitié’
Louis,
Eribon, De Lagasnerie
Paul Lehr

Geoffroy de Lagasnerie est né lui en 1981 dans un milieu bien plus privilégié – il ne s’étale d’ailleurs jamais très longuement sur sa vie familiale. Mais il consacre une partie de son travail aux (classes) dominé e s. Il a, par exemple, co-écrit un livre (Le Combat Adama, 2019) avec Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, ce jeune homme de 24 ans mort après son arrestation et l’usage de la force par trois gendarmes. De Lagasnerie sonde la question des violences policières dans les quartiers populaires. Et tente d’expliquer pourquoi les jeunes garçons prennent la fuite face aux forces de l’ordre : « La fuite est la manifestation politique d’un rapport aux institutions et une conséquence de leur fonctionnement menaçant ou perçu comme tel ».

La fuite, les fuites, celles d’Adama, de Monique, d’Édouard, de Didier. Écoutez comme leurs textes entrent en résonance. La fuite et puis l’amitié comme refuge. Un refuge qui se fait, surtout, ouverture aux autres, au-dehors de soi.

L’amitié qui ouvre à la lutte, au combat. Comme l’écrit De Lagasnerie : « Sortir du monde pour mieux le recomposer, le plier, le désordonner : telle pourrait être, en un sens, la formule politique de l’amitié comme utopie pratique réalisée ». Qu’en diraient vos ami e s ?

Le 17 septembre 2024, les trois amis inaugureront la nouvelle saison de Bozar avec une conférence commune inédite qu’ils présenteront dans la Grande Salle Henry Le Boeuf.

he spent the first years of his life, and where he was subjected to terrible homophobic bullying. He ran away. He had no choice. He was in danger. “Shifting from one class to another isn’t about betrayal, it’s about survival,” as he recently explained in Libération. It was when he read Didier Eribon’s Retour à Reims that he realised what was going on inside him – the feeling of shame, in particular. In this book, the sociologist (born in 1953) recounts the working-class world in which he grew up. His family. And his own journey as a class defector. Retour à Reims is a benchmark on the subject. As in Louis’ writings, intimacy and sociology intermingle and unfold. Born in 1981 into a much more privileged background, Geoffroy de Lagasnerie never dwells on his family life, but devotes part of his work to the ruled masses. For instance, he co-wrote Le Combat Adama (The Adama Fight) with Assa Traoré, sister of Adama Traoré, a 24-year-old Frenchman who died after being arrested and beaten by three policemen. In it, De Lagasnerie explores the phenomenon of police violence in working-class neighbourhoods and tries to understand why young boys run away from the police: “Running away is the political expression of a relationship with institutions and a result of the way they work, which is threatening or perceived as such.”

The escape, the flights, those of Adama, Monique, Édouard, Didier. Notice how their texts resonate with each other. The escape, and then finding a haven in friendship. One that is particularly open to others, beyond the self. Friendship that leads to action, to combat. As De Lagasnerie writes: “To leave the world in order to recompose it better, to bend it, to disorganise it: this could be, in a sense, the political formula of friendship as a fulfilled practical utopia.” What would your friends say about this?

On 17 September 2024, at Bozar’s request, the three friends will open the new season with a joint lecture in the Henry Le Bœuf Hall.

Photo by Supatra Srithongkum and Sutiwat Kumpai

Apichatpong Weerasethakul: « La réalité virtuelle est synonyme de liberté »

FR La première œuvre entièrement réalisée en réalité virtuelle (VR) par le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul arrive à Bruxelles. A Conversation with the Sun est une expérience troublante qui explore les profondeurs du rêve et de la mémoire et propose un retour aux origines de la vie.

Apichatpong Weerasethakul est connu pour ses œuvres contemplatives ayant pour toile de fond le nord-est de la Thaïlande. Ses films, renommés dans le monde entier, sont d’une beauté visuelle extraordinaire. Ils sont hantés de présences humaines et non-humaines naviguant dans un espace-temps dilaté. Des légendes anciennes s’y mêlent aux souvenirs personnels et des anecdotes sur des vies antérieures résonnent avec des thèmes d’actualité.

Depuis des années, Weerasethakul marque l’histoire du cinéma avec de nombreux chefsd’œuvre comme Tropical Malady (Prix du Jury à Cannes en 2004), Uncle Boonmee who can recall his past lives (Palme d’Or à Cannes en 2010) et Memoria (Prix du Jury à Cannes en 2021).

À la demande de la Triennale 2022 d’Aichi, il a récemment réalisé A Conversation with the Sun avec des artistes japonais. Une performance expérimentale avec laquelle le réalisateur, pour la première fois, s’est essayé à la technologie VR. « Je suis très content du résultat », déclare Weerasethakul depuis Chiang Mai où il vit depuis quinze ans en compagnie de deux chiens. La Thaïlande est un pays politiquement instable, explique le cinéaste. «Mais je suis attiré par le désordre et le hasard.»

Est-ce pour cela que vous vouliez aussi travailler avec la VR ?

Apichatpong Weerasethakul : « Honnêtement, je pensais que la réalité virtuelle m’amènerait ailleurs, qu’elle me propulserait dans l’avenir du cinéma. C’est ce qui m’a poussé à me lancer dans le projet. Mais je me suis trompé. Il s’avère

EN Thai filmmaker Apichatpong Weerasethakul brings his first VR film to Brussels. A Conversation with the Sun is an unsettling experience that explores the depths of dreams and memories and returns to the origins of life.

Apichatpong Weerasethakul is known for his contemplative films set against the backdrop of Northeast Thailand. His visually stunning and internationally acclaimed work is haunted by both human and non-human beings, which are part of an expanded space-time. His films blend ancient legends with personal memories, and anecdotes about past lives with topical issues.

Weerasethakul has long been making his mark on film history with masterpieces such as Tropical Malady (2004, Jury Prize at Cannes), Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives (2010, Golden Palm at Cannes) and Memoria (2021, Jury Prize at Cannes). Commissioned by the Aichi Triennale 2022, and working with Japanese artists, he created A Conversation with the Sun – an experimental performance that marks the director’s first foray into Virtual Reality (VR).

“I’m thrilled with what we’ve achieved,”

Weerasethakul says from Chiang Mai in Thailand, where he has lived for fifteen years with his two dogs. Thailand is politically unstable, says the film-maker. “But I’m attracted to disorganisation, and chance.”

Is this what prompted you to start working with VR?

Apichatpong Weerasethakul: “Honestly: I thought VR would take cinema to another place, that it would propel its future. That was my motivation for embarking on this project. But I think I was wrong. In the end, it turns out that VR is more of a mixture of theatre and cinema, blurring the lines between reality and illusion. It’s a different animal, another language. Cinema creates something linear. You can use close-ups, panning and all kinds of camera movements to steer the audience’s emotions. But in VR you

‘VR is active, like life, while cinema is physically passive, like dreaming’

que la VR est plutôt un mélange de théâtre et de cinéma, où les frontières entre réalité et illusion s’estompent. C’est autre chose, un autre langage. Le cinéma crée quelque chose de linéaire. Il y a des gros plans, des panoramiques, toutes sortes de mouvements de caméra pour guider les émotions du public. Mais en VR tout est très ouvert, il n’y a pas de cadre. Travailler avec la réalité virtuelle m’a souvent

‘La VR m’a souvent rappelé l’impermanence et l’interconnexion des choses’

rappelé l’impermanence et l’interconnexion des choses. Cela reflète l’idée du bouddhisme, qui m’intéresse évidemment beaucoup. »

La VR ne vous a donc pas ouvert de nouveaux horizons en tant que cinéaste ?

Weerasethakul : « Je ne pense pas, non. Mais elle m’a fait réfléchir davantage à ce qu’est le cinéma. À quel point il est un médium limité et intime. Le cadrage, le mouvement, le son, tout cela est très subjectif, très contrôlé. Quand vous faites des films, vous forcez le public à regarder. Vous installez un cadre à travers lequel les gens doivent regarder. Bien que les gens pensent que la VR est immersive, le cinéma peut vous posséder davantage. »

La VR est donc plutôt…

Weerasethakul : « Comme la vie ! La réalité virtuelle est active, tandis que le cinéma est physiquement passif. Comme les rêves. La VR est synonyme de liberté. Lorsque vous voyez le cadre ouvert de la VR, vous avez la liberté de regarder non seulement les personnages, mais aussi les arbres, les actions. De ce point de vue, la VR ressemble plus au théâtre. Ou à une performance. Dans A Conversation with the Sun, le public peut déambuler comme bon lui semble. Vous pouvez marcher là où vous voulez et les autres spectateurs vous apparaissent comme de petits points lumineux. Votre perspective n’est guidée par personne. Ce qui est en jeu, c’est ce qui se passe dans chaque partie de l’espace. »

are very open, there is no frame. Working with VR, I was often reminded of the impermanence and interconnectedness of things. It mirrors the idea of Buddhism, something that obviously fascinates me.”

So VR didn’t open up any new horizons for you as a film-maker?

Weerasethakul: “I don’t think so, no. But it did make me start thinking more about cinema. About how limited and intimate it is as a medium. Framing, movement, sound, it’s all very subjective, very controlled. When you make films, you’re forcing the audience to watch. You present a frame through which people have to look. While people consider VR to be immersive, cinema can possess you more.

So VR is more ...

Weerasethakul: “Like life! VR is active, whilst cinema is physically passive. Like dreaming. VR is about freedom. When you see the open VR frame, you have the scope to look not only at the characters, but also at the trees, the actions. VR is also more like theatre in that respect. Or like a performance. In A Conversation with the Sun, the

‘VR is a mixture of theatre and cinema, blurring the lines between reality and illusion’

audience can walk around because there are no cables. You can walk wherever you want and will see the other spectators as points of light. Your perspective is not guided by anyone. It’s about what happens in each part of the space.”

Can you tell us more about Ryuichi Sakamoto’s music for the project?

Weerasethakul: “Having grown up with his music, the sound process for this project was a profound experience. I shared my ideas with him, emphasising limitlessness, the joy of emptiness. I was looking for a means to push this project away from the pressure to tell stories. I wanted to say something from the experience of living, seeing and listening.”

Pouvez-vous nous parler de la musique que Ryuichi Sakamoto a composée pour ce projet ? Weerasethakul : « Parce que j’ai grandi avec sa musique, le processus sonore de ce projet a été une expérience intense. J’ai partagé mes idées avec lui, en mettant l’accent sur l’absence de limites, sur la joie du vide. Je cherchais à détourner ce projet de l’obligation de narration. Mon intention était de partager l’expérience de vivre, de voir et d’écouter. »

Votre œuvre est généralement considérée comme spirituelle. Vous abordez plusieurs niveaux de conscience ou incarnations de la vie. Mais récemment, vous vous êtes essayé non seulement à la VR, mais aussi à l’Intelligence Artificielle (IA). Qu’avez-vous appris en travaillant avec une machine ?

Weerasethakul : « Je considère l’IA comme une part de l’être humain et de notre conscience. J’accepte que les machines finissent par remplacer les êtres humains, mais elles sont notre création. Il faut des formes de vie hybrides ou nouvelles pour voyager au-delà de la Terre. Je crois que ce que nous faisons – que ce soit à travers l’art ou dans d’autres domaines – permet à cette vie nouvelle d’éclore. Je suis en tout cas heureux d’être le témoin des progrès de l’IA et de son impact. Si certains éprouvent le besoin de la contrôler, c’est parce qu’ils craignent d’être impuissants, de perdre leur autorité, leur sécurité, etc. Mais cette peur d’une réalité incertaine a toujours été présente dans l’humanité. Notre rapport à la connaissance a toujours été mouvant. »

Du 16 au 29 septembre 2024, nous organisons un Close-up autour de l’artiste pluridisciplinaire Apichatpong Weerasethakul. Le 16 septembre 2024, une rencontre avec l’artiste aura lieu dans la Grande Salle Henry Le Bœuf. A Conversation with the Sun (VR) est à découvrir du 19 au 29 septembre 2024. Vous pouvez regarder ses propres films ainsi que des films d’autres artistes de son choix.

Your work is generally considered spiritual. You’re dealing with different levels of consciousness or incarnations of life. But recently, you’ve not just been experimenting with VR, but also with AI. What insights has working with a machine given you?

Weerasethakul: “I see AI as a part of humanity and our consciousness. I accept that machines will eventually replace humans, but we created them. Hybrid or new life forms are needed to travel beyond Earth. I believe that what we’re doing – whether through art or in other fields – is incubating this new life. In any event, I’m happy to witness the advance of AI and its impact. If some people feel the need to control AI, then it’s because they’re afraid of being powerless, of losing authority, security and so on. But this fear of an uncertain reality has always been present in humanity. Our relationship with knowledge is ever-changing.

Christophe Slagmuylder

From 16 to 29 September 2024, we are organising a Close-up around multidisciplinary artist Apichatpong Weerasethakul. A Meet the Artist takes place at the Henry Le Bœuf Hall on 16 September. A Conversation with the Sun (VR) can be experienced from 19 to 29 September 2024. You can watch a film and film choices by Apichatpong Weerasethakul during that same period.

La force de la collaboration

FR À peine ont-ils été présentés comme le nouveau binôme à la tête du département musique de Bozar qu’Aurore Aubouin et Jeroen Vanacker semblent déjà parfaitement accordés. « Nous voulons rendre compte à travers la programmation musicale de la position polyphonique unique de Bruxelles. »

Aurore Aubouin a passé treize ans à La Monnaie et deux ans à la Philharmonie de Paris. Jeroen Vanacker vient du Concertgebouw Brugge, où il a œuvré pendant près de 21 ans. Autant dire que les tout nouveaux directeurs musicaux de Bozar disposent d’excellentes références et qu’ils ne sont pas du genre à changer d’emploi tous les mois.

S’ils ne se connaissent personnellement que depuis peu – c’est l’intuition du directeur de Bozar Christophe Slagmuylder qui les a réunis –, ils perçoivent dès à présent instinctivement qui peut le mieux répondre à quelle question et quand la réponse de l’un peut compléter celle de l’autre. Tout au long de l’interview, ils ne se coupent jamais la parole, ne se contredisent pas, mais s’expriment invariablement d’une seule voix.

« Nous n’avons effectivement encore jamais travaillé ensemble », reconnaît Aurore Aubouin, « mais grâce à des connaissances communes, j’avais déjà une idée de qui était Jeroen, une image positive de lui. Il m’a toujours été présenté comme quelqu’un d’ouvert et d’intègre, quelqu’un qui a foi en l’intelligence du collectif. J’ai aussi toujours admiré la cohérence et l’élégance des programmes qu’il a concoctés pendant des années pour le Concertgebouw Brugge. »

À votre tour de lancer des compliments, Jeroen. Jeroen Vanacker : (rires) De mon côté, je connaissais la formidable réputation d’Aurore à La Monnaie, où elle passe pour quelqu’un qui a monté des productions énormes, ambitieuses, grâce à une organisation solide, mais aussi ouverte et transparente. À cela s’ajoutait son expérience à la Philharmonie de Paris – une

EN Aurore Aubouin and Jeroen Vanacker have barely got their feet under the desk as the new pair of musical directors at Bozar, but they already seem perfectly attuned. “Within the musical programme, we want to express the unique polyphonic context of Brussels.”

Aurore Aubouin put in thirteen years at La Monnaie and two years at the Philharmonie de Paris. Jeroen Vanacker, in turn, hails from Concertgebouw Brugge, where he spent no less than 21 years. In other words, Bozar’s new music directors have excellent credentials, and they are not the biggest job-hoppers.

Until recently, the two did not know each other personally – it was the gut feeling of Bozar’s director Christophe Slagmuylder that brought them together. But they already instinctively sense who can best answer which questions, and where they can complement each other. For the entire interview, they barely interrupt each other, never speak at cross purposes. They unfailingly come across like a single voice.

“It’s true that we’ve never worked together before,” Aurore Aubouin admits, “but thanks to common acquaintances I did already have an impression of Jeroen. A positive one! He was always presented to me as a man of integrity and openness, someone who believes in the intelligence of the collective. I also admired the coherent and elegant programmes that he had put together at Concertgebouw Brugge for all those years.”

Your turn to shower your colleague with compliments, Jeroen.

Jeroen Vanacker: (laughs) I, in turn, was aware of her fabulous reputation at La Monnaie, as someone who got huge, ambitious productions off the ground by way of a strong but also open and transparent organisation. Add to that her experience at the Philharmonie de Paris – an institution that delivers strong dramaturgical work, and that’s always been a shining example

maison qui produit un travail dramaturgique remarquable et a toujours été un exemple pour moi. Donc, inutile de vous dire pourquoi elle représente une formidable plus-value pour le département musique de Bozar. »

Votre complémentarité est-elle la force de votre duo ?

Vanacker : « En tout cas, elle correspond à la répartition des tâches que nous envisageons : moi qui tire un peu plus la programmation, Aurore qui dirige l’équipe de production. On peut voir ça comme une route à deux embranchements, mais je crois surtout que nous sommes tous les deux convaincus que production et programmation sont indissociables. Il faut dès le départ s’occuper de l’une comme de l’autre – ensemble ! C’est la dynamique que nous voulons mettre en place à Bozar. »

Aubouin : « Bien sûr, il est important que nous soyons fondamentalement d’accord sur la direction que nous voulons donner au programme musical. En fonction de notre expertise, nous mettrons certes chacun des accents un peu différents, et en toute logique Jeroen s’occupera un peu plus de l’aspect dramaturgique et du storytelling. Mais il doit y avoir un dialogue

‘Nous

voulons rendre compte à travers la programmation musicale de la position polyphonique unique de Bruxelles’

artistique, et je pense que c’est dans ce dialogue que réside précisément notre force. »

Comment ce dialogue s’est-il amorcé jusqu’ici ?

Dans quelle direction voulez-vous emmener Bozar ces prochaines années ?

Vanacker : « En résumé, nous voulons développer la transmusicalité et les liens entre divers genres musicaux. Et pas seulement parce que cela rejoint l’ambition transdisciplinaire de Bozar, qui est de faire interagir toutes les formes d’art qui sont abritées ici, notamment la musique. Depuis quelque temps, les jeunes générations semblent manifester un comportement d’écoute hybride – on pourrait les appeler les générations

for me. So you definitely need not tell me why she is a great asset to the music department at Bozar.”

Is your complementarity the strength of this pairing?

Vanacker: “That’s certainly the gameplan we have in mind. The idea is that I will be a little more focused on the programme, and Aurore will lead the production team. You might perceive that as a split road, but I think that we both strongly believe that you can’t see production and programming as separate entities. You have to put everything in place right from the start – together! That’s the dynamic we want to achieve at Bozar.”

Aurore Aubouin: “It’s important that we fundamentally agree on where we want to go with the music programme. Even though that, based on our expertise, we will probably each place slightly different emphases, and Jeroen will logically be more concerned with dramaturgy and storytelling. But there must be an artistic dialogue. And I also think that this is where our strength lies.”

Give us a flavour of this dialogue so far. Where do you want to go with Bozar over the coming years?

Vanacker: “In short, we want to be transmusical and to connect a diverse range of musical genres. And really not just because this chimes with Bozar’s transdisciplinary ambition to integrate all art forms under this one roof. Recently, you can see that a sort of hybrid listening has arisen among young generations – let’s call them the shuffle generations. Pigeonholing is a thing of the past, and we want to tap into this new fluidity. Because I believe that this offers major opportunities for classical music. With a transmusical programme you can appeal to a new audience.”

And for that you had to move to Bozar?

Aubouin: “For me, the Brussels context is an essential component of this story. Contentwise, my job is very similar to what I was doing in Paris. But there are more opportunities for collaborations here. The social fabric is completely different and we really want to convey the richness à la belge in the music programme.”

Vanacker: “Yes! There is the situation in Brussels, the federal aspect, the bicommunal aspect, and

« shuffle ». Elles ne mettent plus les choses dans des cases, et nous voulons en profiter, car selon moi cette tendance offre des occasions énormes à la musique classique. Avec un programme transmusical, on peut s’adresser à un nouveau public. »

Pourquoi avoir choisi Bozar ?

Aubouin : « Le contexte bruxellois est pour moi essentiel dans cette histoire. Sur le plan du contenu, ma fonction est très proche de ce que je faisais à Paris, mais ici il y a davantage de possibilités de développer des collaborations. Le tissu social est totalement différent ici, et nous voulons vraiment faire découvrir la richesse à la belge dans le programme musical. »

Vanacker : « Absolument ! Il y a la situation bruxelloise, l’aspect fédéral, le bicommunautaire, … Mais pour moi, l’historique de Bozar est aussi important. Le rôle de pionnier que cette maison a joué au XXe siècle sur le plan musical est très inspirant. La fusion entre passé, présent et futur doit jouer un rôle de premier plan dans notre programmation. »

Aubouin : « Et puis, il y a ce dont tu viens de parler : les liens entre les différentes disciplines. Ici, on ne crée pas un focus musical dans le vide. Il faut constamment s’interroger sur la façon dont le programme musical peut dialoguer avec les expositions de Bozar, par exemple. Rares sont les maisons d’art en Europe où un tel dialogue est vraiment possible. »

Pouvez-vous donner quelques exemples ?

Vanacker : « Je me permets d’insister d’abord sur le fait que cette saison-ci a encore été élaborée en grande partie par notre prédécesseur et l’équipe programmatique actuelle. Ils ont habilement donné forme à la vision transdisciplinaire de Christophe Slagmuylder. Une des grandes expositions Bozar de cette saison tourne par exemple autour du couple d’artistes Hans/ Jean Arp et Sophie Taeuber-Arp. En musique également, il y a pas mal d’exemples intéressants de couples. Songez à Luciano Berio et Cathy Berberian. Ou au duo de pianistes Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy. Traduire les thèmes des expos en musique et inversement est follement intéressant, mais cela exige une collaboration interdisciplinaire, un véritable challenge.»

Aubouin : « Mais il y a bien sûr encore des modes

so on. But Bozar’s history is also important to me. The pioneering role played by this institution in the 20th century on a musical level is incredibly inspiring. The fusion of past, present and future should also play an important role in our programming.”

Aubouin: “And then there’s what Jeroen has just touched on: the linking of diverse disciplines. You’re not creating a musical focus here in a vacuum. You constantly have to ask yourself how the music programme interacts with Bozar’s exhibitions, for example. Ultimately, there are few if any other art houses in Europe where that is at all possible.”

‘Classical music isn’t often described as socially progressive, but fortunately there is more and more awareness’

Can you give us some examples?

Vanacker: “First of all, I want to emphasise that this season was largely put together by our predecessor and the current programming team. They were already doing a great job shaping Christophe Slagmuylder’s transdisciplinary vision. For example, one of this season’s big Bozar exhibitions is centred on the artist couple Hans/Jean Arp & Sophie Taeuber-Arp, and the music programme also contains several interesting examples of couples. There’s Luciano Berio and Cathy Berberian. Or the piano duo Pavel Kolesnikov and Samson Tsoy. It is fascinating to translate the exhibition themes into music and vice versa. But that also demands a different type of cross-disciplinary collaboration and communication, which can be challenging.”

Aubouin: “But, of course, there are more ways to work transversally, and we also want to question how you experience a concert today. For example, by taking a more relaxed approach to our matinee concerts on Sunday and putting the audience on stage. Or by developing totally new concepts, such as Staging the Concert, a series of concerts that have been tailor-made for Bozar. The idea is to create a mise-en-scène for music. In one

de fonctionnement transversal. Sans compter que, ces prochaines saisons, nous voulons remettre en question la façon dont on vit un concert aujourd’hui. Par exemple en abordant nos concerts en matinée du dimanche avec davantage de décontraction et en mettant le public SUR la scène. Ou en développant de tout nouveaux concepts, comme Staging the Concert – une série de concerts créés sur mesure pour Bozar. L’objectif est en quelque sorte de mettre en scène la musique, car nous ne voulons pas en fixer les contours, de manière à ce que les artistes se sentent tout à fait libres de travailler avec la musique. Et c’est là que transparaît d’ailleurs à nouveau la force de notre collectif, car un tel projet ne peut être réalisé qu’avec un pilier production solide. »

Quels coups de cœur musicaux sont déjà porteurs de votre vision cette saison-ci ?

Vanacker : « Dès qu’il est question de transmusicalité, je pense à Bryce Dessner et Caroline Shaw. Pour moi ce sont vraiment des créateurs protéiformes, qui se laissent inspirer par différents styles musicaux et s’approprient cette matière. Ils contribuent ainsi activement à assouplir le canon – chose que nous devrons encore pousser beaucoup plus loin ces prochaines années. »

Aubouin : « On ne peut pas dire que la musique classique soit toujours progressiste sur le plan des thèmes sociaux, mais il y a heureusement une prise de conscience montante. Quelque chose est en marche dans les grandes maisons et les grands orchestres. Prenez le programme de l’orchestre symphonique de Montréal et l’exemple du programme Eko-Bmijwang (As Long in Time as the River Flows) de la compositrice Barbara Assiginaak. Elle descend des Anichinabés ou Ojibwés – un des premiers peuples du Canada – et son œuvre mérite vraiment d’être portée à l’attention du public. C’est d’ailleurs là un tâche importante dévolue à Bozar à l’échelle internationale. Car ne soyons pas modestes : dans le réseau européen des salles de concerts, nous avons assez de poids pour contribuer à mettre en marche ce changement. »

way or another, because we don’t want to be too prescriptive about the contours of this, to allow artists complete freedom to get their teeth into the music. And once again, you see the strength of our collective coming to the fore here, because you can only achieve something like that with a strong production team.”

Which musical heart-stopper best embodies your vision this season?

Vanacker: “If we’re talking transmusicality, then the first people that spring to mind are Bryce Dessner and Caroline Shaw. They are truly versatile creators who draw inspiration from various musical styles to do their own thing. They are busy elongating the canon – something that we need to take even further in the coming years.”

Aubouin: “Classical music isn’t often described as progressive when it comes to social themes, but fortunately there is more and more awareness. There’s a shift underway at the major houses and orchestras. Take the Montréal Symphony Orchestra’s programme: they are very consciously opting for Eko-Bmijwang (As Long in Time as the River Flows) by composer Barbara Assiginaak. Her heritage lies in the Anishinaabe or Ojibwe tribe - one of Canada’s first peopleand her work really deserves to be spotlighted. In this, by the way, Bozar also has an important role to play internationally, because we shouldn’t be modest about that: within the European network of music halls, we do have some weight to help initiate this change.”

‘We want to be transmusical and connect a diverse range of musical genres’

Klaus Mäkelä : enfant prodige, globe-trotter, photographe amateur

FR Il préfère l’hiver à l’été (il est Finlandais), le café au thé (il fait des heures supplémentaires) et le début de la Cinquième Symphonie de Sibelius comme réveil (toujours aussi Finlandais).

Mais que ne savez-vous pas encore sur le chef d’orchestre Klaus Mäkelä dont on parle tant ?

1. Son année compte treize mois

Klaus Mäkelä est occupé, très occupé. Depuis 2020, il est le chef d’orchestre principal de l’Oslo Philharmonic. En parallèle, il exerce la même fonction à l’Orchestre philharmonique de Paris. Enfin, il est partenaire artistique du Koninklijk Concertgebouworkest d’Amsterdam, dont il deviendra également le chef principal en 2027. « Ces trois orchestres nécessitent chacun une direction totalement différente », explique Klaus Mäkelä au magazine musical Preludium « Je tire une expérience incroyable de cela, car je dois littéralement être trois chefs d’orchestre différents, sans me perdre. »

Mais ce n’est pas tout ! En avril 2024, il a été annoncé que Klaus Mäkelä dirigerait le Chicago Symphony Orchestra, succédant ainsi à Riccardo Muti. Ce Finlandais de 28 ans deviendra le plus jeune chef d’orchestre principal de l’histoire de l’orchestre. Et au cas où ce ne serait pas encore clair : Mäkelä figure sur la liste des souhaits d’un nombre encore plus grand d’orchestres de renommée mondiale. En général, une ou deux apparitions en tant qu’invité lui suffisent à sceller une collaboration à long terme.

2. Enfant, il passait son temps sous le piano

Tout petit, il se glissait sous le piano de ses parents et laissait le son chaleureux l’envelopper comme une couverture. La musique était omniprésente chez les Mäkelä. Son père est violoncelliste, sa mère pianiste, et ensemble, ils jouaient tous les jours la Sonate pour violoncelle et piano de Chostakovitch. Lorsque Klaus, âgé de sept ans, participe en tant que chanteur dans une

EN He prefers winter to summer (he’s a Finn), coffee to tea (he works overtime) and the opening bars of Sibelius’ Fifth Symphony as an alarm clock (forever a Finn). But which five things do you not yet know about the muchdiscussed conductor Klaus Mäkelä?

1. There are thirteen months in his diary

Klaus Mäkelä is busy, extremely busy. He was appointed Chief Conductor of the Oslo Philharmonic Orchestra in 2020. A job he combines with his role as Music Director at the Orchestre philharmonique de Paris. Whilst also being Artistic Partner to the Royal Concertgebouw Orchestra in Amsterdam, of which he will become Chief Conductor in 2027. “The three orchestras require a completely different way of conducting,” Mäkelä told music magazine Preludium “I’m learning an incredible amount from that, because I essentially have to be three different conductors - without losing myself.”

But wait, that’s not all! In April 2024, it was announced that Klaus Mäkelä will lead the Chicago Symphony Orchestra – succeeding Riccardo Muti. The 28-year-old Finn will become the youngest Chief Conductor in the Chicago Symphony’s history. And just in case it still isn’t clear: Mäkelä is on the wish list of even more world-renowned orchestras. Usually, one or two guest appearances are enough to seal a longterm collaboration.

2. As a child, you’d find him under the piano

As a toddler, he crawled under his parents’ piano and let the warm sound envelop him like a blanket. Music was omnipresent in the Mäkelä household. His father is a cellist, his mother a pianist, and they played Shostakovich’s Sonata for Cello and Piano together every day. When seven-year-old Klaus sang in a production of Carmen, he trained his sights – like an Olympic archer – on one person: the conductor.

production de Carmen, il tourne alors toute son attention, tel un archer olympique, vers une seule personne : le chef d’orchestre. Après cette expérience déterminante, il sait ce qu’il veut : « Je voulais faire comme lui ! Mais à l’époque, je n’avais aucune idée des responsabilités qu’il avait. » La direction d’orchestre l’emporte progressivement sur ses études de violoncelle, jusqu’à ce qu’il soit finalement pris sous l’aile, à Helsinki, de Jorma Panula, professeur d’Esa-Pekka Salonen et d’Osmo Vänskä, entre autres. Le reste appartient à l’histoire (récente).

3. Il réunit le paradis et l’enfer

Dans ses choix de programmation, Mäkelä laisse régulièrement s’entrechoquer les œuvres. Il faut que cela vive ! Et au sens propre. Travailler avec des compositeur·rice·s encore en vie permet au chef d’orchestre de garder les idées claires. « On ne sait jamais à quoi s’attendre », dit-il à propos de ses différentes commandes de création. Le Finlandais se met entièrement au service des compositeur·rice·s qu’il aime voir dans la salle pendant les répétitions. Pour les concerts, en revanche, il compte sur un public curieux qui accueille la « musique contemporaine pure et dure », précise Mäkelä. « Par exemple, nous avons fusionné la Deuxième Symphonie de Thomas Larcher avec la Dixième Symphonie de Mahler, qui me rappelle toujours des visions apocalyptiques, à la Hieronymus Bosch. Nous avons ainsi réuni le paradis et l’enfer, le tout d’un point de vue autrichien. »

4. Le côté spirituel de la direction d’orchestre

Lorsque Mäkelä saisit sa baguette de chef, l’orchestre sait à quoi s’en tenir. Et les pendules sont à l’heure. Les musiciens décrivent l’éthique de travail de Mäkelä comme étant « efficace » Il n’en reste pas moins qu’il prend le temps d’écouter les idées de l’orchestre et qu’il tient à ce que tout le monde s’entende. Au milieu d’une répétition du Concertgebouworkest, tout son corps indique aux violoncelles qu’il leur faut ouvrir leurs oreilles aux cors. Selon Mäkelä, le rôle d’un chef d’orchestre n’est pas seulement de donner le rythme, « mais aussi de créer une illusion de liberté pour le musicien. Comme si quelque chose de spirituel ou de magique laissait

After that life-defining experience, he knew what lay in store: “I wanted to do what that conductor did! Notwithstanding the fact that, at the time, I had no idea of his responsibilities.” Orchestra conducting gradually won out over his cello studies, until he was finally taken under the wing of Jorma Panula in Helsinki – the teacher of Esa-Pekka Salonen and Osmo Vänskä, amongst others. And the rest is (recent) history.

3. He combines heaven and hell

Mäkelä often lets one work clash with another in his programme choices. It must (and will) have life. Quite literally. Working with living composers keeps the conductor’s sights sharp. “You never know what to expect,” he says of his various creative commissions. The Finn places himself at the composer’s full disposal and he enjoys them being in the hall during rehearsals. For concerts, in turn, he counts on curious audiences that

‘Mäkelä counts on curious audiences that welcome hardcore contemporary music’

welcome, “hardcore contemporary music,” in Mäkelä’s own words. “For example, we merged Thomas Larcher’s Second Symphony with Mahler’s Tenth, which always reminds me of apocalyptic visions – think Hieronymus Bosch. With that, we united heaven and hell – from an Austrian perspective.”

4. Conducting has a spiritual element

When Mäkelä picks up the conductor’s baton, the orchestra knows what time it is. And that the clock is ticking. “Efficient and effective” is how musicians describe Mäkelä’s work ethic. Which does not alter the fact that he also allows time for ideas from the orchestra and wants everyone to hear one another. In the middle of a rehearsal of the Concertgebouw Orchestra, he gesticulated that the cellos should open their ears to the horns. According to Mäkelä, the role of

la place à des moments imprévus dans la salle ». Dirigeant principalement par cœur, Mäkelä connaît ses interventions sur le bout des doigts et se rend donc totalement disponible à l’ensemble de l’orchestre, même aux percussionnistes au fond. Les détails sont discutés avec peu de mots, les décisions sont prises dans une grande confiance mutuelle et avec une bonne gestion du temps pour assurer un concert sensationnel.

5. La vie à travers une lentille

Voyager, répéter, écumer les réceptions, la vie d’un chef d’orchestre vedette ressemble à une guerre d’usure. Mais Mäkelä voit les choses, et surtout les opportunités qui s’offrent à lui, d’un œil positif.

C’est pourquoi il occupe les rares moments libres de son emploi du temps non pas par la musique, mais par la photographie. Avec son Leica M11 en main, il préfère voir le monde à travers un filtre noir et blanc, de Chicago à Oslo. Pour lui, chaque

‘Car il connaît ses interventions sur le bout des doigts, Mäkelä se rend totalement disponible à l’ensemble de l’orchestre’

ville possède son propre caractère, son propre mode de vie. À propos d’Amsterdam, il plaisante en disant qu’elle est particulièrement atmosphérique et « qu’on peut en faire le tour à vélo si on n’a pas peur de mourir »

« Mes photos sont en fait une sorte de journal intime », confie-t-il dans Preludium « Je voyage constamment et mon appareil photo est une agréable compagnie. J’admire beaucoup les vrais photographes et je ne peux pas du tout me mesurer à eux, mais je suis incroyablement heureux de prendre des photos. C’est ma façon d’immortaliser des souvenirs. »

Guillaume De Grieve

Klaus Mäkelä se produira dans la Grande Salle Henry Le Bœuf le 27 octobre 2024 avec l’Oslo Philharmonic (et la violoniste Vilde Frang), le 3 mars 2025 avec l’Orchestre de Paris et le 8 mai 2025 avec le Koninklijk Concertgebouworkest.

a conductor is not just to indicate the beat, “but to create an illusion of freedom for the musician, something spiritual, something magical, which allows for those unplanned wow moments in the concert hall.”

Conducting mainly by heart, Mäkelä knows the repeat signs inside out and thus has an eye and ear for the entire orchestra – even the percussionists in the back. Details are discussed in few words; decisions are made with immense mutual trust; and a healthy dose of time management is used when working towards a sensational concert.

5. He views life through a lens

Travelling, rehearsing, networking receptions, the life of a star conductor sounds like a war of attrition. But Mäkelä takes a positive view and, above all, sees the opportunities. That is why the rare free moments in the Finnish conductor’s schedule are not filled with music but with photography. With his Leica M11 in hand, he prefers to see the world – from Chicago to Oslo – through a black-and-white filter. To him, every city has its own character, its own way of life. He jokes that Amsterdam is particularly atmospheric and “you can cycle around it, if you aren’t afraid of dying.”

“My photos are actually a kind of diary,” he told Preludium. “I’m constantly travelling, and my camera is a good companion. I have enormous admiration for real photographers, and can’t measure up to them at all, but taking photos makes me incredibly happy. It’s my way of capturing memories.”

Guillaume

De Grieve

Klaus Mäkelä plays the Henry Le Bœuf Hall on 27 October 2024 with Oslo Philharmonic (and violinist Vilde Frang), on 3 March with Orchestre de Paris and on 8 May 2025 with the Royal Concertgebouw Orchestra.

‘The role of a conductor is not just to indicate the beat, but to create an illusion of freedom for the musician’

« Tout m’inspire, je ne manque jamais d’idée »

FR La polyvalence de Caroline Shaw est mise à l’honneur à Bozar avec une anthologie de son répertoire, des quatuors à cordes à la musique vocale en passant par des chansons avec Gabriel Kahane. Rencontre avec une Américaine aux multiples talents !

Bon courage à qui tentera d’enfermer Caroline Shaw dans une catégorie. La compositrice américaine mêle pop, jazz et classique dans un langage musical unique. Sa polyvalence est d’ailleurs largement appréciée, comme en témoignent ses collaborations avec des stars classiques comme Anne Sofie von Otter et des artistes pop comme Rosalía.

Vous êtes active en tant que compositrice, violoniste et chanteuse. Ces univers semblent se confondre en permanence.

Caroline Shaw : « J’ai commencé le violon très jeune et, à l’âge de six ans, je composais déjà des chansons dans ma tête. À onze ans, j’ai reçu un cahier de musique dans lequel j’ai commencé à écrire toutes mes idées minutieusement.

Pourtant, je l’ai longtemps caché, même à mes amis avec qui je jouais de la musique. Je ne connaissais pas de compositrice et je pensais qu’il était impossible de combiner l’interprétation et la composition. Aujourd’hui, bien sûr, je sais que j’avais tort et c’est probablement la raison pour laquelle toutes ces pratiques musicales sont fortement imbriquées en moi : je ne les vois jamais séparément. »

Vous chantez à Bozar dans pas moins de trois projets. Cela représente un certain investissement, n’est-ce pas ?

Shaw : « J’aime être sur scène avec ma propre musique. C’est un contexte dans lequel je peux interagir directement avec les musiciens et apprendre de leurs idées. On peut donc dire que je suis très impliquée, car je suis tout sauf une spectatrice. En outre, je trouve cela vraiment

EN The versatility of Caroline Shaw takes centre stage at Bozar with an anthology of her repertoire – from string quartets and vocal music to songs with Gabriel Kahane. An encounter with an American jack of all trades!

If you want to pigeonhole Caroline Shaw, you are in for a struggle. The American composer kneads pop, jazz and classical into a unique, musical language. Her versatility is widely appreciated, because both classical stars such as Anne Sofie von Otter, and pop artists like Rosalía are queueing up to collaborate with her.

You are active as a composer, violinist and singer. Those worlds seem to constantly intertwine.

Caroline Shaw: “I started playing at a very young age, and I was already creating songs in my head at the age of six. When I turned eleven, I was given a music manuscript notebook in which I began to write down all my ideas in granular detail. But I kept it hidden for a long time, even from my friends with whom I played music. I didn’t know of any female composers, and I also thought that you couldn’t combine performing with composing. Of course, I know better now, and this is probably why all these musical practices are so powerfully interwoven inside me – I never see them as separate entities.”

At Bozar you are singing in at least three projects. Surely that takes considerable effort? Shaw: “I think it’s fantastic that I can perform my own music on stage. I’m able to interact directly with musicians, and I learn from their ideas too. So it’s correct to say that I’m deeply involved –I’m certainly not standing on the sidelines and looking on. What’s more, it’s also truly thrilling to introduce more popular genres into the classical world.”

excitant d’introduire des genres plus populaires dans le monde classique. »

La manière de composer diffère-t-elle pour vous ? Je peux imaginer que l’approche n’est pas du tout la même selon qu’il s’agit d’une œuvre chorale, d’un quatuor à cordes, d’une collaboration avec un quatuor de percussions comme Sō Percussion ou avec le singersongwriter Gabriel Kahane.

Shaw : « C’est vrai. La plupart du temps, je suis seule à mon bureau lorsque j’écris des œuvres pour des ensembles, mais une collaboration avec Sō Percussion exige beaucoup de dialogue avec les musiciens. Sur notre nouvel album Rectangles and Circumstance, il n’y a pas une seule pièce que j’aie composée entièrement seule. Nous avons tout écrit ensemble. Je reste la tête pensante principale, c’est sûr, mais les mélodies, les rythmes et les harmonies proviennent de tous les musiciens qui ont collaboré à l’album. »

Une collaboration avec le phénomène espagnol de la pop Rosalía se déroule-t-elle de la même manière ?

Shaw : « Rosalía possède une personnalité fantastique. Elle ne se considère pas comme une compositrice, mais pour moi, elle en est une. De haut niveau, d’ailleurs. Lorsque nous travaillons ensemble, c’est elle qui décide des mélodies et des structures, et je me charge ensuite d’y intégrer les extraits choraux. C’est une collaboration équilibrée, d’égale à égale. »

Où puisez-vous le plus d’inspiration pour composer ?

Shaw : « Je dois dire que tout m’inspire, donc je ne manque jamais d’idées. (rires) Pour mon quatuor à cordes The Evergreen, par exemple, je me suis inspirée d’un arbre dans une forêt canadienne. En regardant l’arbre, différentes idées mélodiques et sons me sont venus à l’esprit. La musique classique est également une grande source d’inspiration. J’ai une playlist particulièrement longue, composée essentiellement de musique ancienne. En ce moment, je suis à nouveau obsédée par Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach. Le moindre changement harmonique dans l’une des miniatures peut déjà former l’élément de base d’une nouvelle composition.

Does the way that you compose vary? I imagine that a choral work or string quartet requires a very different approach to a collaboration with the percussion quartet Sō Percussion, or the singer-songwriter Gabriel Kahane.

Shaw: “That’s right. I mainly compose works for ensembles in isolation at my desk, but a collaboration with Sō Percussion demands a huge amount of dialogue with the musicians. Our new album Rectangles and Circumstance does not contain a single piece that I have composed entirely by myself. We wrote everything together. It’s true that I’m the songwriting lead, but the melodies, rhythms and harmonies come from all the musicians who have collaborated on the album.”

Does a collaboration with the Spanish pop phenomenon Rosalía work in a similar way?

Shaw: “Rosalía is a fantastic character. She doesn’t see herself as a composer, but I certainly regard her as such. And as an extremely good one at that. In our collaboration, she decides on the melodies and structures, and I then weave in the choral fragments. It is a balanced collaboration, without either of us having overall control.”

Where do you get your most inspiration from as a composer?

Shaw: “I can literally get inspiration from anywhere, so I’m never short of it. (laughs) For my string quartet The Evergreen, my inspiration came from a tree in a Canadian forest, for example. As I was looking at the tree, a whole host of melodic ideas and sounds came to me. Classical music is also a huge source of inspiration. I have an exceptionally long playlist, above all of early music. At the moment I’m having another one of my obsessions, this time with Das Wohltemperierte Klavier [The Well-Tempered Clavier] by Johann Sebastian Bach. The tiniest harmonic shift in one of the miniatures can already serve as the foundational element for a new composition.”

Do you have a favourite piece of classical music?

Shaw: “That changes constantly, to be honest. Last year, An die Musik [To Music] by Schubert was probably my favourite. The final track on Rectangles and Circumstance is an arrangement of that song. Schubert’s chord progressions are

Avez-vous un morceau de musique classique préféré ?

Shaw : « Pour être honnête, cela change constamment. L’année dernière, c’était sans doute An die Musik de Schubert. Le dernier morceau de Rectangles and Circumstance est d’ailleurs un arrangement de cette pièce. Les progressions d’accords de Schubert sont si particulières, si magiques, on dirait qu’elles contiennent un monde d’émotions. Longtemps, je n’ai juré que par La Flûte enchantée de Mozart, mais aujourd’hui, je n’arrive même plus à l’écouter. (rires) Elle a trop tourné en boucle. » Vous écrivez beaucoup pour la voix et les cordes.

Est-ce que ce sont les instruments qui vous tiennent le plus à cœur ?

Shaw : « Je me sens très proche des instruments à cordes et j’aime donc beaucoup écrire pour quatuor. C’est une formation pour laquelle il existe un répertoire incroyable. Cela m’enrichit beaucoup lorsque j’écris pour un ensemble capable d’une grande écoute mutuelle.

so exceptional, so magical, as if they contain a world of emotion. Mozart’s The Magic Flute was also a long-term obsession, but at the moment I can’t even bear to listen to it anymore. (laughs) It was on repeat for just a little too long.”

You write a great deal for voice and strings. Are those the instruments that lie closest to your heart?

Shaw: “I have a close bond with string instruments and so I absolutely love writing for string quartet. There is a wonderful repertoire for this line-up. It is also exceptionally enriching to write for four string players who are well attuned to one another. With an orchestra, you do of course have more options when it comes to instrument combinations and sound colours, but I find the construction process, in which every element must be fitted with great precision into the structure, less sincere as a result. But the most personal instrument is probably the voice, because my expressive possibilities with that are endless.”

L’écriture orchestrale offre bien sûr plus de possibilités en termes de combinaisons d’instruments et de timbres, mais je trouve parfois que le processus de construction, où chaque élément doit être parfaitement adapté à la structure, y est moins sincère. Selon moi, l’instrument le plus personnel est peut-être la voix, parce qu’elle me permet de m’exprimer à l’infini.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ?

Shaw : « Je suis impliquée dans beaucoup trop de projets ! Parfois, j’ai déjà hâte d’être à la retraite. L’un de mes plus grands défis pour les années à venir est l’écriture d’un opéra pour le Deutsche Oper à Berlin, alors que j’avais pourtant dit que je ne ferais plus d’opéra. J’ai également plusieurs commandes de composition et je continue à travailler sur notre groupe pop Ringdown avec ma partenaire Danni Lee. Mon plus grand rêve serait de réaliser un autre projet avec Rosalía. Et si, pour une fois, on met la musique de côté, j’aimerais consacrer plus de temps aux fleurs de mon jardin. »

C’est la première fois que vous vous produirez à Bruxelles. Connaissez-vous un peu la ville ?

Shaw : « Lorsque j’avais 22 ans, j’ai passé quelques mois à Bruxelles et je suis tombée amoureuse de la ville. Je suis venue plusieurs fois à Bozar à l’époque, bien sûr, c’est vraiment un endroit spécial. J’ai hâte que ma musique résonne dans ce bâtiment emblématique. »

Maarten Sterckx

Caroline Shaw joue à Bozar avec le Kamus Quartet le 30 septembre 2024, avec Sō Percussion le 26 novembre 2024, et avec Gabriel Kahane le 12 mars 2025. De plus, Roomful of Teeth interprète son travail le 21 novembre 2024 et Il Gardellino & le Chœur de la Radio Flamande le 29 mai 2025. Le 25 novembre 2024, nous invitons Caroline Shaw pour un Meet the Artist.

What projects are you working on at the moment?

Shaw: “I’m working on far too many projects! Sometimes I find myself eagerly looking forward to my retirement. One of my biggest challenges for the coming years is an opera for the Deutsche Oper in Berlin, despite my having said that I’d never write an opera again. In addition, I have several composition commissions, and I’m constantly working with my partner Danni Lee on our pop band Ringdown. More than anything, I’d love to do another project with Rosalía. And if I’m allowed to put music to one side for a moment, I’d also like to spend more time on the flowers in my garden.”

This is the first time that you will be performing in Brussels. Are you familiar with the city at all?

Shaw: “When I was 22, I stayed in Brussels for a few months, and I fell in love with the city. Naturally, I visited Bozar a few times then, and it’s a truly special place. I’m greatly looking forward to the day that my music will resonate through this iconic building.”

Caroline Shaw plays at Bozar with Kamus Quartet on 30 September 2024, Sō Percussion on 26 November 2024 and Gabriel Kahane on 12 March 2025. Furthermore, Roomful of Teeth will play works by Shaw on 21 November 2024 and Il Gardellino & Flemish Radio Choir on 29 May 2025. Caroline Shaw is invited on 25 November 2024 for a Meet the Artist.

‘I can literally get inspiration from anywhere, so I’m never short of it’
c. Anja Schütz.

La révolution (musicale) de Gustavo Dudamel

FR Gustavo Dudamel et le Simón Bolívar Symphony Orchestra ont été indissociables pendant des années. Jusqu’à ce que les changements politiques au Venezuela les séparent en 2017. Leur avenir a été compromis, mais pas anéanti.

Tout d’abord, revenons au tout début de l’histoire ! Le chef d’orchestre vénézuélien Gustavo Dudamel et le Simón Bolívar Symphony Orchestra, un orchestre de jeunes musicien·nes de renommée mondiale, doivent leur succès à El Sistema, un programme d’éducation musicale pour les enfants défavorisés fondé en 1975 par José Antonio Abreu. À l’origine, il s’agissait d’une initiative subventionnée consistant en des cours de musique gratuits après les heures de classe, et puis des orchestres de jeunes ont rapidement vu le jour dans tout le Venezuela. Dudamel lui-même commence à suivre des cours de violon en 1986 et prend la direction artistique du Simón Bolívar Youth Orchestra en 1999. Sous son impulsion, l’orchestre continue de se faire un nom : des tournées le mènent au Carnegie Hall et même à un contrat avec Deutsche Grammophon. En 2011, l’orchestre abandonne son visage juvénile et poursuit son parcours sous le nom de Simón Bolívar Symphony Orchestra.

Même après la nomination de Dudamel en tant que chef d’orchestre principal du Los Angeles Philharmonic, le chef conserve des liens cordiaux avec l’orchestre vénézuélien. Mais lorsque les troubles sociaux et politiques atteignent leur paroxysme en 2017, Dudamel est confronté à un choix difficile. Lors de manifestations contre le pouvoir du président Nicolás Maduro, le violoniste Armando Cañizales, 18 ans, également issu du programme El Sistema, est abattu par les forces de sécurité. D’autres musicien·nes sont arrêté·es. Pour Gustavo Dudamel, cela suffit. Il s’exprime dans un communiqué : « Trop c’est trop. Les gens n’ont pas besoin d’armes, mais d’outils pour forger leur avenir : des livres, des pinceaux, des

EN Gustavo Dudamel and the Simón Bolívar Symphony Orchestra were inseparable for years. Until political shifts in Venezuela drove them apart in 2017. Their future was boycotted, but not cancelled.

First, back to the very beginning! The Venezuelan conductor Gustavo Dudamel and the worldrenowned youth ensemble, the Simón Bolívar Symphony Orchestra, both owe their success to El Sistema, a musical education programme for underprivileged children founded by José Antonio Abreu in 1975. Originally a subsidised initiative consisting of free after-school music lessons, youth orchestras soon sprung up all over Venezuela.

‘Finally making music together again, in the flesh, it allowed me to reconnect with my soul, my spirit’

Dudamel himself started taking violin lessons in 1986, becoming the artistic director of the Simón Bolívar Youth Orchestra in 1999. Under his impetus, its reputation soared: tours took the orchestra to Carnegie Hall and a contract with Deutsche Grammophon also materialised. The ensemble dropped its youthful countenance and became the Simón Bolívar Symphony Orchestra in 2011.

Dudamel was still on good terms with the Venezuelan orchestra when he was appointed Chief Conductor at the Los Angeles Philharmonic. But when social and political unrest in his homeland reached a pinnacle in 2017, Dudamel was faced with a difficult choice. Eighteen-year-old violinist Armando Cañizales – also a child of El Sistema – was shot dead by

instruments de musique. Pour qu’ils puissent propager les valeurs les plus élevées : la bonté, la vérité et la beauté. » Il prône également la démocratie et demande au président d’écouter le peuple vénézuélien. Maduro n’écoute pas. En revanche, le président réagit en ordonnant l’annulation des tournées de l’orchestre symphonique Simón Bolívar. Comme d’autres musicien·nes de l’orchestre et quelque huit millions de compatriotes, Dudamel quitte ensuite son pays. Il s’installe définitivement aux ÉtatsUnis et continue de suivre de près la situation à Caracas.

Dans un article d’opinion paru dans le New York Times, il revient sur sa décision et sur ses déclarations antérieures : « Mon pays traverse une période sombre et complexe et suit une voie dangereuse qui conduit presque inévitablement à la négation de nos traditions ». Son expérience de chef d’orchestre lui a appris que la société, à l’instar d’un orchestre, est composée d’individus uniques ayant leur propre volonté et leur propre vision. « Cette merveilleuse diversité signifie qu’en politique, comme en musique, il n’y a pas de vérités absolues. » C’est pourquoi, selon Dudamel, il faut un cadre dans lequel tous les individus se sentent inclus, en dépit de leurs différences.

Retrouvailles émouvantes

Ce n’est qu’en 2022 que Gustavo Dudamel retourne au Venezuela pour assurer quelques répétitions avec le Simón Bolívar Symphony Orchestra. Les retrouvailles publiques suivent à Édimbourg en 2023. Six ans après leur séparation tumultueuse, elles ne sont pas seulement synonymes de résurrection artistique, mais aussi d’un grand moment d’émotion. « Revoir tout le monde, faire enfin de la musique ensemble, en chair et en os, m’a permis de renouer avec mon âme, mon esprit », déclare le chef d’orchestre. L’extraordinaire parcours de Gustavo Dudamel et du Simón Bolívar Symphony Orchestra est loin d’être terminé, mais il nous apprend déjà deux choses : écrire une histoire à succès ne dépend pas d’une origine, et faire de la musique ne relève pas de l’évidence pour tout le monde. Cette prise de conscience nous permet aujourd’hui d’apprécier encore plus leurs concerts. En 2025, Dudamel partira en tournée avec son orchestre, et il mettra également deux autres

security forces during demonstrations against President Nicolás Maduro’s rule. Other musicians were arrested.

For Gustavo Dudamel, enough was enough. He issued a statement: “The only weapons that can be given to people are the necessary tools to forge their future: books, brushes, musical instruments; in short, those that embody the highest values of the human spirit: good, truth and beauty.” He advocated for democracy and called on the president to listen to the Venezuelan people. Unsurprisingly, Maduro did not listen. The president’s response, in contrast, was to cancel the Simón Bolívar Symphony Orchestra’s tours. Like other musicians in the orchestra and some eight million compatriots, Dudamel quit his homeland. He settled permanently in the US but continued to monitor the situation in Caracas closely.

He reflected on his decision and earlier statements in an opinion piece for The New York Times: “My country is living through dark and complicated times, following a dangerous path that may lead us inevitably to the betrayal of our deepest national traditions.” From his experience as a conductor, he has learned that society, like an orchestra, is composed of unique individuals, all with their personal wills and visions. “This wonderful diversity means that in politics, as in music, no absolute truths exist.” Therefore, according to Dudamel, a framework is needed in which all people feel included, despite their differences.

Emotional Reunion

Gustavo Dudamel did not return to Venezuela until 2022, for a handful of rehearsals with the Simón Bolívar Symphony Orchestra. A public reunion followed in Edinburgh in 2023. Six years after their tumultuous separation, this not only meant an artistic resurrection, but also a very emotional reconnection. “Seeing everyone again, finally making music together again, in the flesh, it allowed me to reconnect with my soul, my spirit,” said the conductor.

Gustavo Dudamel’s and the Simón Bolívar Symphony Orchestra’s extraordinary trajectory is far from over, but it already teaches us two things: writing a success story does not depend on your origins, and making music is not something that everyone takes for granted. Today, this realisation

Bozar

compatriotes au programme : Ricardo Lorenz et Gonzalo Grau. Car malgré l’intransigeance du régime actuel, Dudamel continue à jouer son rôle d’ambassadeur.

Ce qui n’a pas disparu non plus, c’est l’enthousiasme juvénile qu’El Sistema nourrissait dans les années 1980. Récemment, lors d’une répétition, Dudamel a demandé aux musiciens du Los Angeles Philharmonic de jouer avec la même énergie qu’à l’âge de 16 ans et de refaire les mêmes erreurs. « Soyez sauvages ! Ne vous retenez pas ! » Un retour à des temps meilleurs. Ou le meilleur est-il encore à venir ?

Guillaume De Grieve

Gustavo Dudamel et le Simón Bolívar Symphony Orchestra se produiront dans la Grande Salle Henry Le Bœuf le 23 janvier 2025.

can only triple our enjoyment of their concerts. Dudamel will tour with his orchestra in 2025 and is also placing two of his compatriots on the programme: Ricardo Lorenz and Gonzalo Grau. Despite the intransigence of the current regime, Dudamel continues to play his ambassadorial role.

Nor has the youthful enthusiasm that El Sistema nurtured in the 1980s dissipated. In a recent rehearsal, he exhorted the musicians of the Los Angeles Philharmonic to play with the same gusto as when they were sixteen and to make all the same mistakes. “Be wild! Don’t hold back!” A throwback to better times. Or is the best still to come?

Guillaume De Grieve

Gustavo Dudamel and the Simón Bolívar Symphony Orchestra play the Henry Le Bœuf Hall on 23 January 2025

‘Dudamel

a appris que la société, comme un orchestre, est composée d’individus uniques avec leur propres volonté

et vision’
‘Il est temps pour la musique classique de tisser des liens avec d’autres mondes’

Abel Selaocoe & Manchester Collective

FR Le virtuose sud-africain Abel Selaocoe n’en finit pas de nous surprendre avec son violoncelle. Il navigue allègrement à travers tous les genres et tous les styles, resserrant toujours plus les liens entre traditions occidentales et non occidentales.

À dix-sept ans, Abel Selaocoe a obtenu une bourse pour le conservatoire de Manchester, explorant le répertoire classique tout en se questionnant sur son identité. « À l’école, tout le monde jouait bien du violoncelle », dit-il, « quelle valeur pouvais-je donc ajouter dans cette cacophonie de violoncellistes incroyables ? » Le violoncelliste et compositeur Giovanni Sollima lui a alors fait découvrir l’importance de l’improvisation et l’a encouragé à tirer parti de ses racines africaines. Abel Selaocoe a trouvé des âmes sœurs en la personne du violoniste Rakhi Singh et en celle d’Adam Szabo – depuis peu directeur du BBC Philharmonic Orchestra. Frustrés par le manque de diversité, Singh et Szabo ont fondé le Manchester Collective en 2016, insufflant un vent nouveau à la musique classique en créant des liens entre les cultures. Un programme comme Sirocco (avec Stravinski, Haydn, de la musique traditionnelle africaine et du vieux folk danois) ne fait plus figure d’exception, mais devient la règle. « Pendant longtemps, les gens n’ont pas vu le lien entre la musique classique et les autres mondes », déclare Selaocoe. « Quand on écoute du jazz, on entend pourtant qu’une jonction entre les cultures a toujours existé. les musicien·nes traditionnel·les indigènes d’Amérique du Sud franchissent aisément le pont qui mène au jazz. En Afrique du Sud, on observe la même chose. Le moment est venu pour la musique classique de chercher elle aussi cette connexion. »

Cedric Feys

Abel Selaocoe et le Manchester Collective sont en concert le 9 novembre 2024 dans la Grande Salle Henry Le Bœuf.

EN For years, Abel Selaocoe has charted new territory with his cello. The South African virtuoso moves seamlessly through the most diverse genres and styles, thereby creating ever-stronger ties between Western and nonWestern traditions.

Abel Selaocoe travelled to Manchester at the age of seventeen to study at the Royal Northern College of Music, for which he’d received a scholarship. He immersed himself in the classical repertoire during this time, but also began to question who he truly was. “At school, everyone played the cello brilliantly,” says Selaocoe, “so what purpose could I have in that cacophony of incredible cellists?” Composer and cellist Giovanni Sollima showed him the importance of improvisation and encouraged him to tap into his African background. In violinist Rakhi Singh and Adam Szabo – the latter is the newly appointed Director of the BBC Philharmonic Orchestra – the South African cellist found kindred spirits. Singh and Szabo were frustrated by the lack of diversity in classical music, and they wanted to expand the repertoire. The Manchester Collective was born. Since 2016, the ensemble has been blowing a fresh breeze through classical music by connecting cultures. A programme such as Sirocco (featuring Stravinsky, Haydn, African traditionals and historic Danish folk) is not the exception, but the rule. “I think that for a long time, people failed to find a link between classical music and other worlds”, says Selaocoe. “When you listen to jazz, you hear that this kind of link – a connection between cultures – has existed forever. Indigenous peoples from South America who play traditional music quickly bridge the gap to jazz. You see the same thing happening in South Africa. It’s high time classical music finds that connection too.”

Abel Selaocoe & Manchester Collective will play the Henry Le Bœuf Hall on 9 November 2024.

Patricia Kopatchinskaja

FR Aventureux, franc et surprenant sont les qualificatifs qui caractérisent le mieux un concert de Patricia Kopatchinskaja. Avec une énergie indomptable, la violoniste se tient sur scène, prête à créer un évènement unique. « Il faut que quelque chose se passe. Un miracle. Je sais, la modestie n’est pas mon fort. »

Kopatchinskaja a grandi dans la musique. Ses parents jouaient dans l’ensemble folklorique national de Moldavie – son père du cymbalum, sa mère du violon. La jeune Patricia, qui avait reçu son premier violon à six ans, a très tôt donné des concerts. Insatiable curieuse, elle insuffle une vie nouvelle à des œuvres connues et se fait l’avocate de la musique contemporaine. Au cours de sa carrière, la violoniste a travaillé avec des chefs d’orchestre renommés comme Currentzis, Petrenko, Rattle et Herreweghe, et se produit régulièrement avec des musiciens réputés tels que la violoncelliste Sol Gabetta et le pianiste Fazil Say. Kopatchinskaja choisit ses pièces avec soin : « Il faut qu’il y ait un lien avec l’actualité. Jouer cent fois la même pièce de la même manière, c’est comme tenir une boutique de souvenirs. Cela n’a aucune valeur. » Son Dies irae (jour de la colère), un programme que la violoniste décrit comme « une pièce de théâtre sans intrigue, qui vise à toucher les sens », est une puissante diatribe contre le bellicisme et une mise en garde contre le dérèglement climatique. Kopatchinskaja emmène le public de l’évocation baroque de la guerre dans la Battalia à 10 en ré majeur d’Heinrich Biber à Black Angels de George Crumb, une composition emblématique contre la guerre du Viêtnam. Kopatchinskaja termine par l’accablant Dies irae de Galina Ustvolskaya, où elle assure la partie percussive.

Cedric Feys

Patricia Kopatchinskaja est en concert dans la Grande Salle Henry Le Bœuf le 21 mars 2025 avec Fazil Say et le 30 mars 2025 avec l’Aurora Orchestra (Dies irae).

EN Adventurous, open, surprising. That’s the best way to describe a concert by Patricia Kopatchinskaja. The violinist has boundless onstage energy and always wants you to discover something new. “Something needs to happen during a concert. A miracle. No, I’m not modest about that.”

Kopatchinskaja grew up in a musical family. Both parents played with the Moldovan State Folklore Ensemble – her father on the cimbalom, her mother a violinist. The young Patricia received her first violin at the age of six and was soon giving concerts. She’s still going strong. With an unquenchable curiosity, she breathes new life into well-known work and is considered a champion of contemporary music. In her impressive career, the violinist has collaborated with top conductors such as Currentzis, Petrenko, Rattle and Herreweghe. And she regularly performs with renowned musicians such as cellist Sol Gabetta and pianist Fazil Say. Kopatchinskaja never picks the pieces she performs lightly. “It has to have an echo in what is happening today. Otherwise I’m a product of a museum. Playing the same piece hundreds of times the same way, it’s like buying a souvenir from a museum shop. It doesn’t really have any value to me.” Her Dies irae (day of wrath), a programme that the violinist describes as “a play without a plot, intended as an assault on the senses,” is a caustic indictment of bellicosity and the ongoing climate crisis. Kopatchinskaja transports you from Battalia à 10 in D, Heinrich Biber’s baroque evocation of war, to Black Angels by George Crumb – an iconic composition criticising the Vietnam War. She concludes with Galina Ustvolskaya’s devastating Dies irae, in which Kopatchinskaja herself plays percussion.

Cedric Feys

Patricia Kopatchinskaja plays the Henry Le Bœuf Hall on 21 March 2025 with Fazil Say, and on 30 March 2025 with Aurora Orchestra (Dies irae) in collaboration with Klarafestival.

‘There are musical vibrations that connect us all’

Arooj Aftab

FR Jouer Wonderwall sur une guitare à l’école n’a rien d’exceptionnel. Surprendre en devenant la première femme pakistanaise à remporter un Grammy, seule Arooj Aftab peut s’en vanter.

Il est rare que le jazz électro, le folk américain et les mélodies hindoues constituent ensemble la réussite d’une carrière musicale. C’est pourtant ce qui est arrivé à Arooj Aftab après la sortie de l’album Vulture Prince en 2021. Son album Night Reign est dans la même veine. Mais elle ne plonge pas seule dans la nuit : l’album inclut des collaborations avec James Francies, Moor Mother, Cautious Clay et Vijay Iyer. C’est d’ailleurs avec ce dernier, le pianiste américain Vijay Iyer, qu’Aftab avait déjà réalisé l’album Love in Exile en 2023. « Le fait que nous communiquions exclusivement par le biais de la musique est insensé », avait-elle déclaré à l’époque. « Il y a des vibrations musicales qui nous relient tous. » Ses collaborateur·ices travaillent dans un cadre assez abstrait. « Ce n’est pas toujours bien écrit et je ne suis pas toujours bien préparée. Sur scène non plus. Le début d’un concert est généralement assez déterminé, la fin un peu moins. Mais c’est comme ça que j’aime faire les choses ! Je ne pourrais jamais travailler seule. J’ai besoin d’entendre et de ressentir la musique, l’énergie, la bonne humeur d’autres musicien·nes. » Sans passer par la parole, mais en y apportant beaucoup de sens, les autres membres de Night Reign ajoutent des personnages au récit poétique d’Aftab. Pour elle, la nuit est un moment de réflexion qui lui permet d’accéder à l’essence de la vie. Et lorsque le soir tombe, les instruments font de même. Ils jouent jusqu’à l’aurore, Arooj Aftab se traduisant librement par « le premier rayon de soleil à la surface de l’eau »

EN Learning to play ‘Wonderwall’ on the guitar in high school, that’s common enough. But stunning the music world and becoming the first Pakistani woman to win a Grammy – that’s something only Arooj Aftab could do.

It is not often that electronica-driven jazz, American folk and South Asian melodies form the building blocks of a successful music career. But that is exactly what Arooj Aftab has forged since the release of her album Vulture Prince in 2021. With her new album Night Reign, the Pakistani singer continues along the same lines. But this is no solitary dive into the night: the record features collaborations with James Francies, Moor Mother, Cautious Clay and Vijay Iyer.

Aftab also made the album Love in Exile with the American pianist Vijay Iyer in 2023. “The fact that we communicate solely through music is crazy,” she said at the time. “There are musical vibrations that connect us all.” Her musician companions usually work within a quite abstract framework. “It’s not always prepared or written. Nor when we play live, for that matter. The beginning of a concert is usually somewhat fixed, the end a little less so. But that’s how I like it! I don’t think I can work alone at all. I need to workshop stuff, I need to hear the parts played to me by the person, their energy, their own personal taste or swag.”

Without words, but full of meaning, the other musicians on Night Reign add the characters to Aftab’s poetic story. For her, the night is a moment of reflection in which she reaches the essence of life. And when night falls, the music begins. And continues until sunrise, because Arooj Aftab’s name, freely translated, means the first ray of sunlight on the water’s surface.

Guillaume De Grieve

Arooj Aftab sera en concert le 16 octobre 2025 dans la Grande Salle Henry Le Bœuf, coproduction avec l’Ancienne Belgique.

Arooj Aftab plays the Henry Le Bœuf Hall on 16 October 2024, co-production with Ancienne Belgique.

Guillaume De Grieve

Yannick Nézet-Séguin

FR Le célèbre chef d’orchestre canadien au look particulier (cheveux teints et ongles vernis), Yannick Nézet-Séguin, change la donne dans le milieu classique.

Depuis 2000, Yannick Nézet-Séguin est à la tête de l’Orchestre Métropolitain, l’orchestre montréalais auquel il a donné une résonance internationale. Il peut également se targuer d’être le directeur musical du Metropolitan Opera de New York et d’avoir coaché Bradley Cooper pour le rôle de Leonard Bernstein dans Maestro (2023). Avec Bernstein comme d modèle, Nézet-Séguin a une mission claire : faire tomber les barrières et débarrasser la musique classique de son image… classique. « Nous avons trop longtemps cultivé l’idée selon laquelle la musique classique était exclusive et incompréhensible sans avoir étudié les notes », a récemment déclaré le chef d’orchestre au service de streaming Qobuz. « C’est faux. Il n’est pas nécessaire de savoir cuisiner pour apprécier la bonne cuisine. » Mais pour qu’un public plus large trouve son compte dans l’univers de la musique classique, il faut davantage de diversité, tant au niveau des musiciens sur scène que dans le choix des compositions. Cette prise de conscience est manifestement bien vivante chez Nézet-Séguin qui, par le passé, a accordé une attention particulière à la compositrice afroaméricaine Florence Price et a interprété l’opéra Florencia en el Amazonas de Daniel Catán avec une distribution inclusive. En outre, en 2021 (!), il a été le premier chef d’orchestre à interpréter des œuvres d’un compositeur noir, Terence Blanchard, au Metropolitan Opera de New York ! « Plus la musique classique se sent menacée, plus je sens que nous allons dans la bonne direction. », déclare NézetSéguin dans un clin d’œil rebelle.

Guillaume De Grieve

Yannick Nézet-Séguin se produira avec l’Orchestre Métropolitain de Montréal (et le pianiste Alexandre Kantorow) dans la Grande Salle Henry Le Bœuf le 23 juin 2025.

EN With his distinct appearance (including blonde hair and painted nails), the celebrated Canadian conductor Yannick Nézet-Séguin is steering the course of the classical music world.

Nézet-Séguin has been holding the baton at the Orchestre Métropolitain since 2000, the Montreal-based orchestra that he put on the international map. He is also musical director of the Metropolitan Opera in New York and coached Bradley Cooper in the role of Leonard Bernstein for the 2023 Netflix film Maestro. With Bernstein as his great role model, Nézet-Séguin is on a clear mission: to break down barriers and rid classical music of its, ahem, classical image. “We have projected for so long the image of classical music being very exclusive. And that if you haven’t studied music, you won’t know what we’re talking about,” the conductor recently told the streaming service Qobuz. “That’s wrong. You don’t need to be able to cook to appreciate a good meal.” But to ensure that a wider public can enjoy classical music, more diversity is needed – both in the musicians on stage and in the choice of compositions. Nézet-Séguin understands this all too well: he has previously focused on AfricanAmerican composer Florence Price and staged Daniel Catán’s opera Florencia en el Amazonas with an inclusive cast. Moreover, he was the first conductor to perform work by a black composer at the Metropolitan Opera in New York – more specifically by Terence Blanchard – in ... 2021! “The more the classical music world feels threatened, the more I feel we’re doing the right thing,” says Nézet-Séguin with a rebellious wink.

Guillaume De Grieve

Yannick Nézet-Séguin conducts the Orchestre Métropolitain de Montréal (and pianist Alexandre Kantorow) in the Henry Le Bœuf Hall on 23 June 2025.

Bryce Dessner

FR Musicien inclassable qui transcende les genres, Bryce Dessner est d’abord connu comme auteurcompositeur-guitariste du groupe rock américain The National, mais il a aussi écrit la musique de films comme The Revenant et C’mon C’mon. Depuis quelque temps, il fait des incursions de plus en plus fréquentes dans la musique « classique » – pour autant qu’il faille lui coller une étiquette.

Bryce Dessner a écrit ses premières compositions de musique de chambre à Yale et a aussi composé pour des spectacles de danse. Son œuvre montre l’influence de Steve Reich, ainsi que d’Henri Dutilleux, Igor Stravinski et Béla Bartók, dont il admire les variations rythmiques et l’énergie extatique. Ces éléments sont devenus les fondements de sa musique. La distinction entre ses compositions pour The National et sa musique contemporaine réside dans le processus créatif : collaboratif pour The National, autonome et improvisé pour ses œuvres personnelles. Bryce Dessner aime en effet les collaborations : son récent Concerto pour piano, écrit pour la pianiste nippo-allemande Alice Sara Ott, est une œuvre virtuose avec des contrastes extrêmes. Il continue à jouer sur scène, pas seulement avec The National, et échafaude aussi des programmes musicaux. Dans An Evening with Bryce Dessner, il trace par exemple les lignes musicales de la soirée et demande ensuite à des amis musiciens de les remplir, en débordant parfois de celles-ci. Et le public se tient debout. Comme dans un club. Tout près du musicien, mais aussi au plus près du compositeur.

Roel Vanhoeck

Bryce Dessner est en concert le 23 novembre 2024 (Dream House Quartet) et le 24 novembre 2024 (Brussels Philharmonic + Alice Sara Ott) dans la Grande Salle Henry Le Bœuf ainsi que le 30 novembre 2024 dans la Salle Terarken (An Evening with Bryce Dessner).

EN Bryce Dessner is one of those genretranscending musicians who is impossible to pigeonhole. He is best known as the songwriterguitarist of US rock band The National but has also composed music for films like The Revenant and C’mon C’mon. In recent years, he has increasingly been involved in the – if pigeonholing him proves impossible to resist – ‘classical’ music scene.

It was at Yale University that Bryce Dessner penned his first chamber music compositions while also composing music for dance productions. In his work, we discern the clear influence of his mentor Steve Reich, although Dessner also mentions Henri Dutilleux, Igor Stravinsky and Béla Bartók as sources of inspiration. By his own account, he is attracted to their rhythmic variations and ecstatic energy. What’s more, these ultimately became his own building blocks. The distinction between his work for The National and his own contemporary music lies in the creative process. With The National, everything stems from a collaborative approach, while in his own work he improvises freely, and autonomously creates a musical identity. Still, Bryce Dessner also seeks out collaborations: his recent Piano Concerto was written for the German-Japanese pianist Alice Sara Ott, who described it as a virtuoso work. He also still performs on stage himself, and not just with The National. And he curates music programmes. During An Evening with Bryce Dessner, he sketches out the musical lines before asking his musician friends to colour inside them, and ideally outside them too. And the audience always stands. Like in a club. Close to the musicians. And closer to the composer too.

Roel Vanhoeck

Bryce Dessner plays on 23 November (Dream House Quartet) and 24 November (Brussels Philharmonic + Alice Sara Ott), and on 30 November 2024 (An Evening with Bryce Dessner) in collaboration with Ars Musica.

Why Love? And Why Is It Louder?

FR Vous dites ? Une exposition d’art sur l’amour ? En ces temps de polarisation croissante ? À Bozar ? Comment ? Pourquoi ? Zoë Gray, directrice des expositions à Bozar, nous éclaire sur le cheminement qui la menée à choisir ce thème. De plus, découvrez le travail de cinq artistes de l’exposition Love is Louder.

Lorsque j’ai posé ma candidature à Bozar, le directeur artistique fraîchement désigné, Christophe Slagmuylder, m’a demandé de lancer une idée pour la première exposition du nouveau programme. Un projet qui correspondrait à son désir d’instaurer davantage de transdisciplinarité à Bozar, qui donnerait un avant-goût de l’avenir. J’ai alors pensé à une exposition thématique collective – notamment parce qu’il n’était pas juste de confier à un seul artiste le soin de représenter la nouvelle approche artistique de Bozar. Un thème peut offrir au public différentes voies d’accès à une idée – et à une institution. Vu l’état de désolation du monde actuel – où nous continuons à observer les séquelles de la pandémie de Covid 19, où des guerres sauvages font rage et où l’avenir est tellement incertain – j’ai voulu envoyer un message positif, en choisissant un thème qui a toujours inspiré les gens, en particulier les artistes. Car, comme Matisse le déclarait en 1954, « l’amour n’est-il pas à l’origine de toute création ? » Je crois que Bozar est un lieu auquel énormément de gens sont attachés, comme en témoigne la réaction du public lors de l’incendie de 2021, et comme l’illustre l’engagement de toutes les personnes qui y travaillent, en ce compris les guides des expositions. À un moment où certaines forces politiques remettent en question la nécessité de la culture, il est important de souligner combien les gens aiment l’art. Et pour Bozar, il est nécessaire d’insister sur le fait que nous sommes une institution publique, que nous existons pour le public. La relation entre Bozar et son public doit être une relation réciproque d’amour et d’affection.

EN An art exhibition about love, you say? In times of increasing polarization? At Bozar!? How did that come about? Allow Zoë Gray, Bozar’s director of exhibitions, to explain. Plus, discover the work of five artists featured in the Love is Louder exhibition.

When applying for this job, I was asked by the newly appointed artistic director, Christophe Slagmuylder, to pitch an idea for the first exhibition of what would be our new programme. Something that would fit his desire for Bozar to work in a more cross-disciplinary fashion. Something that would give a taste of what was to come. I realised that it would need to be a thematic group exhibition – not least because it would not be fair to ask a single artist to stand for a new artistic approach in Bozar. A theme can offer audiences various ways into an idea and, indeed, into an institution.

Given the bleak state of the world at present – as we continue to count the after-effects of the Covid-19 pandemic, as so many brutal wars rage around the world, as the future looks so uncertain – I thought we needed to send a positive signal, to choose a theme that has always motivated people, not least artists. For, as Matisse asked in 1954, “is not love the origin of all creation?” I was also thinking about Bozar as a place that inspires strong feelings of attachment in so many people. This was tangible in public reactions to the fire that took place in 2021, but is also expressed by so many of the people who work at Bozar, including the exhibition tour guides. At a time when certain political forces question the need for culture, it is important to highlight how much people love the arts. And for Bozar, it is important to underscore that we are a public institution, that we exist for the public. So the relationship between Bozar and its audience should be a reciprocal one of love and affection.

Summer of Love

Une fois le thème choisi – et moi engagée –, la question qui s’est posée était de savoir où mettre les limites. J’ai décidé que nous nous concentrerions sur l’amour entre les gens et que nous présenterions des œuvres d’art réalisées entre le Summer of Love – l’été 1967 – et aujourd’hui. Ce qui nous permettrait d’observer, sur près de 60 ans, l’évolution des débats sur l’amour.

Choisir la naissance du mouvement hippie comme point de départ de l’exposition était une manière de mettre l’accent sur le potentiel révolutionnaire de l’amour – puisque le Summer of Love était une réaction directe contre la guerre du Viêtnam et qu’il était étroitement lié à la lutte pour les droits civiques. Le titre de l’exposition, Love is Louder, est tiré d’une œuvre de Sam Durant – montrée dans l’exposition – qui s’approprie le slogan repéré sur un calicot. Il pose la question suivante : l’amour crie plus fort que quoi ? La réponse peut être différente pour chacun. Plus fort que la guerre ? Plus fort que la perte ? À vous de décider !

Le dur labeur de l’amour

Dès le départ, il m’est apparu clairement que je ne pouvais pas être seule commissaire de l’exposition. Parce que celle-ci ne devait pas être montée uniquement en fonction de mes propres idées sur l’amour, mais devait être le fruit d’un travail en commun. J’ai donc invité l’ensemble de l’équipe de Bozar Exhibitions à participer au projet, et chacun y est allé de ses suggestions pour peaufiner la structure, le cadre que j’avais esquissé. Nous avons finalement formé une équipe de cinq personnes travaillant en étroite collaboration sur l’exposition : Christel Tsilibaris, Maïté Smeyers, Anamaría Pazmiño, Emma Dumartheray et moi-même. Nous nous sommes demandé quels artistes devaient être absolument inclus dans une telle réflexion sur l’amour. Certains noms se sont rapidement imposés, comme Tracey Emin, Louise Bourgeois et Félix González-Torres. Puis nous avons fait des recherches, lu des articles, discuté avec des artistes et des organisateurs d’expositions, en veillant à éviter les choix trop évidents.

Tout en recueillant des idées sur les œuvres

Summer of love

After picking the theme – and being picked for the job! – the next question was: where to set the limits? I decided that we would focus only on love between people and that we would include artworks made since the Summer of Love in 1967, up until today. This would allow us to look at how discussions about love have shifted over almost 60 years.

The decision to begin the scope of the exhibition with the birth of the hippie movement was also to underscore the revolutionary potential of love – as the Summer of Love was a direct reaction against the Vietnam war and closely connected to the battle for civil rights.

The exhibition’s title, Love is Louder, is taken from a work by Sam Durant – featured in the exhibition – which itself appropriates this phrase spotted on a demonstration placard. It asks the question: louder than what? The answer can be different for everybody. Louder than war. Louder than loss. You decide!

Labour of Love

From the get-go, it was clear to me that this was not an exhibition I could curate alone. Because it should not be shaped only by my ideas about love, and because it should be a shared labour of love. I invited the whole team of Bozar Exhibitions to get involved, and everyone came up with suggestions to help sharpen the structure, the

‘Louder than war? Louder than loss? You decide!’

framework I had sketched out. In the end, we became a team of five people working closely on the exhibition: Christel Tsilibaris, Maïté Smeyers, Anamaria Pazmiño, Emma Dumartheray and myself.

We started by considering who were the artists who needed to be included in such a reflection on love. Certain names quickly emerged, such as Tracey Emin, Louise Bourgeois and Félix Gonzàles-Torres. Then, we started doing research, reading articles, talking with artists and

à reprendre dans l’exposition, nous avons développé une structure permettant d’explorer trois dimensions de l’amour : l’amour romantique, l’amour au sein des familles, sans oublier l’affinité et l’amitié. Ainsi que, plus largement, la place qui est accordée à l’amour dans la société. Nous espérons que les visiteurs découvriront des histoires d’amour qui évoquent les leurs, tout en explorant de nouvelles perspectives sur l’émotion la plus essentielle à l’expression humaine.

Zoë Gray

L’exposition Love is Louder a lieu du 12 octobre 2024 au 5 janvier 2025.

other curators, making sure that we avoided the obvious choices.

While gathering ideas of works to include, we developed a structure for the exhibition that would explore three ‘degrees’ of love: romantic love, love within families, but also kinship and friendship. And, more broadly, the place that love is afforded by society.

Hopefully, visitors will find love stories that remind them of their own, but also discover others that will open up new ways of considering the most important emotion that humans can express.

The Love is Louder exhibition runs from 12 October 2024 to 5 January 2025.

Sam Durant, Love Is Louder, 2023, Electric sign with vinyl text, Courtesy Praz-Delavallade Paris, Los Angeles.
Zoë Gray

Omar Mismar

A Hands Routine, 2012

FR Si certains marchent main dans la main sans hésiter une seconde, d’autres n’ont pas cette chance. Pour eux, se donner la main représente un risque. Ou une provocation.

J’ai découvert le travail d’Omar Mismar l’année dernière, à l’occasion de l’exposition Habibi. Les Révolutions de l’ amour à l’Institut du monde arabe à Paris, dans le cadre de mes recherches pour Love is Louder. D’emblée, mon attention a été attirée par son œuvre en néon The Path of Love, qui explore la manière dont nos corps errent dans l’espace (urbain) lorsqu’ils sont poussés par l’amour. L’œuvre est un dessin minimaliste au néon des voyages de l’artiste à travers la ville de San Francisco lorsqu’il suivait ses matchs sur une application de rencontres homosexuelles. Et moi, quel type de carte pourrais-je dessiner à partir de mes rencontres ? Jusqu’où irais-je, à la recherche de l’amour ? Qu’il s’agisse de l’urgence du désir, de la curiosité de rencontrer un étranger dans une nouvelle ville ou de la quête d’une connexion humaine, cette œuvre de Mismar en particulier résume les complexités de l’amour dans un environnement urbain.

L’amour, la politique et les espaces publics sont des thèmes récurrents dans la pratique d’Omar Mismar. A Hands Routine, présentée dans le cadre de l’exposition Love is Louder, n’y fait pas exception. L’artiste libanais invite le spectateur à plonger dans l’intimité des trajets en voiture de deux hommes à travers Beyrouth. L’œuvre est centrée sur le geste simple mais profondément significatif de se tenir la main. Malgré son apparente innocence pour l’hétérosexuel moyen vivant en Occident, ce geste est souvent perturbé dans ce contexte particulier. Les lignes rouges tracées sur la carte représentent des moments de liberté et d’affection : elles indiquent que les deux hommes se tiennent la main. Les lignes vertes et bleues indiquent des moments de retenue, symbolisant respectivement le désir et la nécessité de lâcher prise.

EN While some people won’t ever think twice about holding hands, others do not have that luxury. For them, holding hands poses a risk. Though it can also be an act of defiance.

I discovered the work of Omar Mismar as part of the exhibition Habibi. Les révolutions de l’amour last year at the Institut du Monde Arabe in Paris, during my research for Love is Louder. His neon piece The Path of Love immediately captured my attention with its minimalist exploration of how our bodies wander through (urban) space when driven by love. The work is a neon drawing of the artist’s travels through the city of San Francisco when following his matches on a gay meeting app. I asked myself: what kind of map could I draw from my encounters? How far would I travel in pursuit of love? Whether it’s because of the urgent drive for desire, the curiosity of meeting a stranger in a new city or the quest for human connection, this specific work by Mismar encapsulated the complexities of love’s journey in a city.

Love, politics and public spaces are recurring themes in Omar Mismar’s practice. A Hands Routine, presented in the Love is Louder exhibition, is no exception. The Lebanese artist invites the viewer to delve into the intimacy of two men’s car journeys through Beirut. The work centres around the simple yet profoundly significant gesture of holding hands. Despite its apparent innocent quality for the average heterosexual person living in the West, the gesture is often disrupted in this particular context. The red lines drawn on the map depict moments of freedom and affection – they indicate that the two men are holding hands. The green and blue lines indicate moments of restraint, symbolising the desire and the necessity to let go. “He is driving and I am sitting next to him,” says Mismar – one of the two men. “Sometimes I reach to his side and put my hand in his, other times he reaches to my side and puts his hand in mine. We roam, we talk and we look. Holding hands

‘Et vous, quelle est votre routine amoureuse ?
qu’est-ce qui pourrait
?’

« Il conduit et je suis assis à côté de lui », explique Mismar, l’un des deux hommes. « Parfois, je m’approche de lui et je mets ma main dans la sienne, d’autres fois, c’est lui qui s’approche et met sa main dans la mienne. On va d’un endroit à l’autre, on se parle et on observe. Se tenir la main devient un risque, un acte secret. C’est amusant parce que c’est dangereux. On se tient et on se lâche, en fonction de l’endroit où l’on se trouve, de la personne qui se trouve à proximité, de ce qui se trouve à proximité. »

A Hands Routine nous incite à réfléchir à la place que l’on accorde aux gestes d’amour dans la vie publique quotidienne, en fonction de la ville dans laquelle on vit et de l’image de l’amour que l’on représente. Dans une ville marquée par son mélange de tradition et de modernisme, Mismar réfléchit à la médiation des espaces publics et privés, et à la manière dont l’amour, sous toutes ses formes, a sa place dans ces paysages.

Lorsque les normes sociétales déterminent ce qui constitue un comportement acceptable, en particulier pour les communautés marginalisées, l’acte de se tenir la main acquiert une résonance supplémentaire. Dans l’enceinte de la voiture, un sanctuaire privé au milieu du chaos de la ville, Mismar et son partenaire trouvent réconfort et connexion, tout en restant conscients des réalités qui les attendent au coin de la rue, lorsque le simple passage du feu au rouge les oblige à interrompre leur lien physique. La carte de Mismar ressemble à une routine de danse : une chorégraphie de ce qui est acceptable et de ce qui ne l’est pas. En explorant l’intimité, la visibilité et l’espace public, Mismar nous invite à reconsidérer notre propre conception des gestes amoureux, à apprécier la liberté que nous avons de les exprimer là où nous vivons et à sonder la myriade de formes qu’ils peuvent prendre à travers le monde. Et vous, quelle est votre routine amoureuse ? Et qu’est-ce qui pourrait l’interrompre ?

becomes a risk, a secret act. It’s fun because it’s dangerous. We hold and un-hold, depending on where we are, on who is near, on what is near.”

A Hands Routine incites us to think about the space one has for gestures of love in public daily life, depending on which city you are living in and what image of love you represent. In a city marked by its blend of tradition and modernism, Mismar reflects on the mediation of public and private spaces, and the ways in which love, in all its forms, has a place in these landscapes. When societal norms determine what is acceptable behaviour, particularly for marginalized communities, the act of holding

‘Love, politics and public spaces are recurring themes in Omar Mismar’s practice’

hands takes on added resonance. Within the confines of the car – a private sanctuary amidst the chaos of the city – Mismar and his partner find comfort and connection. Even as they remain aware of the realities that await them around the corner, as the simple change of a traffic light from green to red forces them to interrupt their physical connection.

Mismar’s map is like a dance routine: a onetwo-three-one-two-three, stop-and-stay choreography of what is acceptable, and what is not. Through the exploration of intimacy, visibility and public space, Mismar invites us to reconsider our own understanding of love gestures, to value the freedom we have to express them where we live, and to fathom the myriad forms they can take around the world.

And you, what is your love routine? And what could interrupt it?

Emma Dumartheray

Evelyne Axell, Joli mois de mai, 1970

FR Que penserait Evelyne Axell de l’ère #MeToo ?

Cinquante ans après sa disparition, les mœurs ont évolué mais la lutte pour plus d’égalité et d’amour dans notre société reste plus que jamais nécessaire. Son œuvre féministe et empreinte d’une jubilation libératrice garde toute son actualité.

Chevelures flamboyantes, jeunes gens à la nudité décomplexée assis dans l’herbe, aplats de couleurs vives peints à l’émail sur plexiglas : par sa forme et son contenu, Le joli mois de mai (1970) d’Evelyne Axell nous plonge dans la fin des années soixante. Le titre fait bien sûr allusion à Mai 68 et à l’engouement pour ce vent nouveau qui a soufflé d’abord à San Francisco lors du Summer of Love de 1967. En protestation à l’impérialisme américain et la guerre au Vietnam, le mouvement hippie prône l’amour libre, l’amour avant tout. À l’heure d’écrire cet article, impossible de ne pas faire le rapprochement avec les brûlantes contestations qui embrasent les campus en réaction à la guerre à Gaza. « Make love, not war » conserve toute sa pertinence … Cet « été de l’amour » de 1967 – qui ouvre la période couverte par l’exposition Love is Louder – amorce une accélération dans l’évolution des rapports amoureux. Faire couple, faire communauté et plus globalement faire société : c’est sous ces prismes que nous avons voulu aborder l’amour au travers des œuvres sélectionnées.

Sa carrière de peintre n’a duré que sept ans – Axell meurt tragiquement en 1972 dans un accident de voiture – mais l’artiste namuroise laisse une œuvre foisonnante, engagée et novatrice, dans le style du Pop Art florissant. Souvent éclipsée par ses contemporains masculins, elle a été une pionnière dans l’exploration de la sexualité féminine, dépeignant le désir et le plaisir féminins avec audace. Le joli mois de mai est un triptyque dont le panneau central est une ode à la libération sexuelle et à l’amour, aux couleurs éclatantes

EN What would Evelyne Axell think of the #MeToo era? While fifty years after her death, sexual and social mores have changed, the fight for greater equality and love in society is more critical than ever. Her feminist œuvre steeped in jubilant freedom remains as topical today as it was when she was alive.

Flamboyant hair, uninhibited naked young people sitting on fresh grass, brightly coloured solid colours painted in enamel on Plexiglas… In its form and its content, Evelyne Axell’s Le joli mois de mai (1970) transports us back to the late sixties. The title alludes to May’68 and the enthusiasm for the fresh wind that swept through San Francisco during the 1967 ‘Summer of Love’. Protesting

‘More than a political engagement, the revolution is also personal and intimate, suggests the artist’

American imperialism and the Vietnam War, hippies advocated free love and love per se. At the time of writing (May 2024), these sentiments inevitably echo the heated protests igniting university campuses in response to the war in Gaza. ‘Make love, not war’ holds true today. The 1967 ‘Summer of Love’ – which opens the epoch explored in this exhibition – heralds the dawn of a new era in relationships between people. The works on display broach themes of couplehood, community and more broadly, society.

Although her career as a painter only spanned seven years – Axell tragically died in a car crash in 1972 – the Namur-born artist left behind a prolific, politically committed, and innovative œuvre rooted in the spirit of the burgeoning

culminant dans le rouge révolutionnaire du drapeau qui est aussi celui de l’amour. Ce drapeau aux contours ondulants et libres, Axell le fait volontairement déborder du cadre pour éclater le carcan du triptyque classique, à l’instar des jeunes soixante-huitards ruant dans les brancards, brisant les conventions sociales et l’ordre établi.

Axell n’est pas étrangère ni insensible à ce mouvement contestataire. Car la révolte estudiantine enflamme aussi Bruxelles, et notamment les milieux culturels. On pense à Marcel Broodthaers qui occupe le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en mai ‘68, et y organise des assemblées libres auxquelles assiste Axell. À Paris, elle rencontre Pierre Restany, critique d’art influent et défenseur des arts les plus novateurs, dont celui d’Axell, de Niki de Saint Phalle et de Marta Minujín – toutes les trois dans l’exposition. C’est Restany qu’Axell représente en « gourou » sur le volet gauche, prêchant la libération des arts. Sa main levée fait écho à la figure centrale brandissant, les seins à l’air, l’étendard de la libération (sexuelle), à l’image de La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (1830). Dans le volet de droite, Axell se représente comme souvent nue, reconnaissable à ses « lunettes John Lennon » et munie de ses attributs de peintre. Elle revendique avec fierté qu’elle dispose de son corps et de son pinceau en toute liberté.

Dans cette œuvre maîtresse, Evelyne Axell embrasse l’esprit contestataire de l’époque, incarnant l’éveil de la révolution sexuelle et suggère aussi qu’au-delà d’un engagement politique, la révolution est également personnelle et intime.

Maïté Smeyers

Pop Art movement of her day. While her male counterparts often eclipsed her, she pioneered the exploration of female sexuality, daringly depicting female desire and pleasure.

The central panel of the triptych Le joli mois de mai sings a hymn to sexual freedom and love in dazzling colours dominated by the revolutionary red of the flag, which also symbolises love. The artist has deliberately placed the undulating, free-flowing flag outside the frame, thereby breaking the constraints of traditional triptychs, in the same way as the young protesters of the Sixties stormed the streets, destroying social conventions and fighting the establishment. Axell was no stranger to this rebellious spirit, nor was she insensitive to it. Indeed, the student protests also ignited Brussels, particularly in cultural circles. In May ‘68, Marcel Broodthaers occupied the Palais des Beaux-Arts in Brussels, where he held free assemblies, which Axell attended. While in Paris, she met Pierre Restany, the influential art critic who supported groundbreaking art, including the work of Axell, Niki de Saint Phalle, and Marta Minujin (all three featured in the exhibition). On the left-hand panel, Axell has depicted Restany as a ‘guru’ preaching the liberation of the arts. His raised hand parallels the central bare-breasted figure flying the banner of (sexual) liberation, following in the footsteps of Eugène Delacroix’s Liberty Leading the People (1830).

In the right-hand panel, Axell is depicted – as she often is – naked, wearing John Lennon glasses. Donning the attributes of a painter, she proudly proclaims her freedom to use her body and paintbrush as she sees fit.

Evelyne Axell’s masterpiece encapsulates the anti-establishment spirit of the time, personifies the sexual liberation of the era, and suggests that the revolution is not only political but also personal and intimate.

‘Axell pioneered the exploration of female sexuality, daringly depicting female desire and pleasure’
‘Je crois en l’amour comme je crois en l’art’

Marta Minujín,

Amor a primera vista, 2007

NL Toujours désireuse d’expérimenter,

Marta Minujín a créé une œuvre singulière, polymorphe et pertinente. Elle est ainsi devenue l’une des artistes latino-américaines les plus importantes de sa génération.

Vous est-il déjà arrivé de vous sentir soudainement et irrépressiblement attiré, comme aimanté par une personne que vous venez tout juste de rencontrer ? De vivre ce moment magique où vos regards se croisent et le temps semble suspendu pour donner naissance à l’amour ? De ressentir ce besoin intense et impérieux de connexion émotionnelle et de fusion physique, tellement irrationnel qu’on le croirait prédestiné ?

Telle est la sensation puissante et mystérieuse du coup de foudre amoureux que l’artiste argentine Marta Minujín, née 1943 à Buenos Aires, a voulu représenter dans Amor a primera vista (2007).

À mi-chemin entre la peinture et la sculpture, l’œuvre est composée de matelas et de morceaux de mousse recouverts de coutil, que l’artiste assemble et peint avec des rayures aux couleurs vives. Cet amas de formes molles et organiques qui s’interpénètrent, offre une représentation abstraite et sensuelle de l’amour au premier regard. On imagine des corps qui s’enlacent, des bras et des jambes qui s’entremêlent et se fondent dans le désordre effréné de la passion. À propos de cette œuvre, Marta Minujín déclare : « Je crois en l’amour comme je crois en l’art. Je crois au coup de foudre. Certains n’en font jamais l’expérience. Mais je me suis mariée à l’âge de 16 ans et je suis restée avec lui toute ma vie. Maintenant, il est parti. Mais je crois en l’amour ». L’amour est un sujet récurrent dans l’œuvre de cette pionnière du pop art et quoi de mieux que le matelas, avec sa consistance moelleuse et sa présence muette dans notre intimité, pour en parler ?

Déjà en 1963, immergée dans la révolution sexuelle et inspirée – dit-elle – par une minijupe à rayures colorées, Marta Minujín a abandonné

EN With her penchant for experimentation, Marta Minujín produced a singular, polymorphous and pertinent œuvre. In so doing, she became one of the most prominent Latin American artists of her generation.

Have you ever felt a sudden, irrepressible attraction, as though you were drawn to someone you’d only just met? Have you experienced a magical spark when you lock eyes with someone, when time stands still to give birth to love? Have you ever had an intense, compelling craving for emotional connection and physical fusion so irrational that it seems inexorable?

Such is the powerful, eerie sensation of love at first sight that artist Marta Minujín (b. 1943, Buenos Aires, Argentina) sought to portray

‘Minujín’s pursuit of a radically dynamic art form has established her as a precursor of performances and mass media art’

in Amor a primera vista (2007). Part painting, part sculpture, Amor a primera vista features mattresses and pieces of foam rubber covered in Coutille ticking-woven cloth assembled by the artist and painted with brightly coloured stripes. This bundle of interpenetrating, soft, organic forms, gives an abstract, sensual representation of love at first sight. It conjures up images of bodies embracing, arms and legs intertwining as they merge in the frantic turmoil of passion. Speaking about this piece, Marta Minujín declared: ‘I believe in love as I believe in art. I believe in love at first sight. Some people never find it. But I married him when I was 16 and I’ve been with him all my life. Now he’s gone. But I

les « colchones blandos » (matelas mous) usagés et a commencé à fabriquer ses propres matelas. Elle crée des sculptures molles et habitables, dans lesquelles on peut entrer, comme La chambre d’amour (1963), qui était un espace recouvert de matelas colorés où les participants étaient invités à dormir, penser, rêver et aimer. ¡Revuélquese y viva! (1964), une deuxième structure participative, n’est plus une invitation mais un impératif : « envoyez-vous en l’air et vivez ! » Elle incarne le début de l’art politique au féminin dans une Argentine conservatrice.

Marta Minujín, cheveux blond platine et lunettes de soleil, n’est pas seulement une artiste brillante, mais aussi un personnage impertinent et charismatique. Au cours d’une carrière longue de plus de six décennies, Minujín répond aux préoccupations de différents mouvements artistiques d’avant-garde ainsi qu’à la politique argentine et internationale avec liberté et lucidité. La quête d’un art radicalement dynamique et à vivre – « vivir en arte » est sa devise – fait de Marta Minujín une pionnière des happenings, des performances, des environnements participatifs et de l’art des médias de masse. Des années soixante à nos jours, la diversité de ses œuvres, surprenantes et délurées, témoigne de son inépuisable créativité, mais aussi d’une foi à toute épreuve dans l’art, dans l’amour, dans la vie. Guerres, dictatures, crises économiques, qu’à cela ne tienne, l’amour, la joie et la couleur sont un parti pris, parfois pour se rejouir, parfois pour subvertir.

Anamaría Pazmiño

believe in love.’ Since love is a recurrent theme in the work of this pioneer of Pop Art, is there a better material to evoke it than a mattress, with its plush consistency and silent presence in our intimate lives?

Already in 1963, caught up in the sexual revolution and inspired – she says – by a colourful striped miniskirt, Marta Minujín abandoned the used mattresses of her very first ‘colchones blandos’ (soft mattresses) and started producing her own. She designed soft, habitable sculptures that could be explored, such as The Love Room (1963) – a colourful mattress-covered chamber where participants were invited to sleep, think, dream, and love. Her second participatory structure, entitled Revuélquese y Viva! (1964), was no longer an invitation but an injunction: ‘have sex and live!’. It incarnated the emergence of feminist political art in the conservative Argentina of that time. With her platinum blonde hair, eyes hidden by sunglasses, Marta Minujín is a brilliant artist and an impertinent, charismatic figure. Throughout a career spanning more than six decades, Marta Minujín has tackled the preoccupations of numerous avant-garde artistic movements and Argentinian and international politics with abundant freedom and clarity. Marta Minujín’s pursuit of a radically dynamic art form – ‘Vivir en arte’ (Live in Art) is her motto – has established her as a precursor of happenings, performances, participatory environments, and mass media art. The sheer breadth and diversity of her astonishing and unbridled work from the 1960s to today testify to her boundless creativity and her unfailing faith in art, love, and life. Wars, dictatorships, financial crashes – never mind, there will always be love, joy and colour… sometimes to rejoice, sometimes to provoke.

‘Et quoi de mieux que le matelas, avec sa consistance moelleuse et sa présence muette dans notre intimité, pour en parler ?’
Galerie Rehbein
Galerie

Joëlle Dubois, According to Lulu He Has the Smallest Dick Ever, 2018

FR Oui, il y a de l’amour dans les tableaux de Joëlle Dubois. Mais ne vous fiez pas à l’érotisme qui s’en dégage. Dans l’univers de la peintre belge se trouve aussi une (bonne) dose de solitude.

« Joëlle Dubois, elle peint des gens en train de faire l’amour, non ? » D’une oreille, j’entends la question d’un couple assis en face de moi alors que je pianote sur mon téléphone. La réponse m’échappe car un groupe d’adolescents, avec l’assurance et un style que j’aurais aimé avoir à leur âge, monte bruyamment dans le bus. Toute l’attention se porte sur eux, et je rate l’occasion d’interrompre la conversation pour lancer « Oui, mais non : elle peint les archétypes de notre époque, et le résultat est plutôt sombre ! ». Au lieu de cela, je reste tranquillement assise sur mon siège.

L’artiste belge Joëlle Dubois est célèbre pour ses peintures éclatantes et colorées représentant des rapports sexuels explicites, des femmes intimidantes et des individus fragiles et solitaires absorbés par leur ordinateur, leur tablette ou leur téléphone portable. Derrière l’ambiance Miami Beach des années 80 et l’érotisme formel, Dubois dépeint des symptômes de la vie contemporaine, notamment notre dépendance aux médias sociaux et à la technologie, et la manière dont ces deux éléments ont façonné nos relations intimes, nos pratiques amoureuses, nos critères de beauté et notre confiance en soi.

Dubois est une conteuse qui transforme ses expériences personnelles en peintures, sans honte et sans crainte. Vous remarquerez rapidement qu’il est facile de s’identifier à ses histoires (et ses tableaux). Dans According to Lulu He Has the Smallest Dick Ever, un couple se repose sur un lit dans un moment qui semble avoir été précédé par des ébats. La lingerie rouge sexy et révélatrice, les bougies à moitié consumées, les canettes de bière vides et l’herbe sur la table suggèrent que nous assistons aux reliques d’une nuit d’amour torride. Mais à y regarder de plus près, la scène érotique de Dubois dégage peu d’intimité. La femme est

EN Yes, there’s love-making going on in the paintings of Joëlle Dubois. But don’t be fooled by the eroticism they exude. There’s also loneliness to be detected in the Belgian painter’s universe.

“Doesn’t Joëlle Dubois paint people having sex?” My ear catches the question coming from a couple sitting in front of me whilst I am tapping on my phone. I don’t hear the answer as a group of teenagers, with a self-confidence and sense of style I wished I had at their age, loudly gets on the bus. Everyone’s attention shifts towards them, and I miss my opportunity to crash the conversation and say “Yes, but actually no, because she paints the archetypes of our times and it’s dark!” Instead, I sit quietly in my seat. Belgian artist Joëlle Dubois is known for her vibrant and colourful paintings depicting explicit sexual intercourse, intimidating women, and fragile and lonely individuals who are absorbed by their computer, tablet or smartphone. Behind the candy-coloured 80s Miami Beach vibe and explicit erotica, Dubois portrays symptoms of contemporary life, including our dependence on social media and technology, and how both have shaped our intimate relationships and love practices, beauty standards and self-confidence. Dubois is a storyteller who turns her personal experiences into paintings, shamelessly and fearlessly. Though you’ll soon notice that her stories (and paintings) are easily relatable. In According to Lulu He Has the Smallest Dick Ever, a couple is seen resting on a bed in what we assume is a post-coital moment. The sexy and revealing red lingerie, the half-consumed candles, the empty cans of beer and the weed on the table suggest we are witnessing the aftermath of a steamy night of love-making. But upon closer inspection, Dubois’ erotic scene exudes little intimacy. The woman is absorbed by the content on her phone, while the man is observing her with a worried look. As the title suggests, she is probably discussing the size of

absorbée par le contenu de son téléphone, tandis que l’homme l’observe d’un air inquiet. Comme le suggère le titre, serait-elle en train de discuter de la taille de son pénis avec ses copines ? Ou consulte-t-elle une application pour trouver son prochain partenaire ? Une froideur s’installe, la proximité physique des personnages contrastant fortement avec leur indisponibilité émotionnelle. Joëlle Dubois explore le personnel pour parler de l’universel. À travers ses peintures, nous devenons les témoins des nouvelles formes relationnelles d’une génération ultra-connectée, assurée de son corps et de sa personne. L’amour et la sexualité semblent devenir une autre transaction où le partenaire sexuel devient un objet jetable, à remplacer par un glissement vers la gauche ou la droite sur un écran si les critères souhaités ne sont pas entièrement satisfaits. Témoin des difficultés rencontrées par mes amis célibataires dans la quarantaine, il me semble que naviguer dans les rencontres et les relations est devenu de plus en plus incompréhensible depuis l’avènement des médias sociaux, des sites et des applications de rencontre. La perplexité du visage de l’homme dans le tableau de Dubois et l’apathie de la femme à ses côtés sont des représentations d’un type de relation que les sociologues contemporains appellent des « situationships ». Il ne s’agit ni d’une rencontre romantique clairement définie comme telle, ni d’une relation suivie dans le temps : une « situationship » est une interaction émotionnellement détachée entre adultes consentants ayant des relations sexuelles occasionnelles. La non-relation peut prendre fin à n’importe quel moment, sans requérir aucune explication.

Le sexe sans attaches procure une certaine libération, surtout pour les femmes d’aujourd’hui. Mais il n’évite pas une certaine mélancolie. L’expérience érotique et sexuelle contemporaine, telle qu’elle est façonnée (et documentée) par les médias sociaux, peut être amusante, rapide, satisfaisante pour l’ego et dénuée de responsabilités. Mais bien souvent, sous sa surface brillante, la solitude persiste. Et c’est cette solitude que le travail de Dubois met en évidence à l’ère de l’amour-consommation instantané.

his penis with her girlfriends. Or is checking an app for her next mate? A coldness sets in, the characters’ physical proximity in sharp contrast to their emotional unavailability.

‘Here is a certain liberation in no-strings-attached sex, especially for women’

Joëlle Dubois explores the personal to talk about the universal. Through her paintings, we become witness to new forms of relationship-making of an ultra-digitally connected generation. Assured in body and self, love and sexuality seem to become another transaction where the sexual partner becomes a disposable item – to be replaced with a left or right swipe on the phone if the desired criteria are not fully met. Witnessing the struggles of my single friends in their forties, it seems to me that to navigate dating and relationships has become increasingly incomprehensible since the dawn of social media, dating sites and apps. The puzzlement on the man’s face in Dubois’ painting and the apathy of the woman next to him are depictions of a type of relationship that contemporary sociologists call ‘situationships.’ Neither a romantic relationship with a clear courtship, nor one with a duration in time, a situationship is an emotionally detached interaction between consenting adults who engage in casual sex. No explanation needed. There is a certain liberation in no-stringsattached sex, especially for women nowadays. But that is not to say that it doesn’t also come with a certain melancholia. The contemporary erotic and sexual experience as shaped (and documented) by social media might be fun, quick, ego-satisfying and responsibility-free. But quite often, under its shiny surface, loneliness lingers. And it is that loneliness that Dubois’ work pinpoints in this era of fast love and consumption.

Christel Tsilibaris
Christel Tsilibaris
‘Dubois is a storyteller who turns her personal experiences into paintings, shamelessly and fearlessly’
Joëlle Dubois
Alexander Popelier

Fernando Marques Penteado, Meet Me at the Finger Buffet, 2020

NL Quand on parle d’amour, le romantisme est généralement la première chose qui nous vient à l’esprit. Mais l’amour est bien plus que cela et cette prise de conscience, précisément, caractérise l’œuvre de Fernando Marques Penteado et ses évocations ludiques de l’amitié masculine.

Ce que j’aime dans l’art, c’est qu’il nous permet de voir le monde différemment, de regarder d’un autre point de vue, à travers les yeux de quelqu’un d’autre par exemple. C’est ce qui s’opère dans l’œuvre de Fernando Marques Penteado : elle nous invite à entrer dans son univers, à plonger dans la vie (et les amours) de ses personnages, sans jamais vraiment distinguer le réel du fictif. Né au Brésil en 1955, Penteado s’est installé à Bruxelles il y a quelques années. Un artiste brésilien m’ayant signalé sa présence ici, je lui ai rendu visite dans son atelier/appartement. (Les meilleurs conseils ne viennent-ils pas toujours des artistes ?) Accueillie par une forte odeur de café et un homme charmant en tongs, je ne me doutais pas du nombre de personnes qui habitent cet espace mansardé. Rapidement, j’ai fait la connaissance d’un large éventail de personnages, tous créés par Penteado, qui l’accompagnent dans sa vie.

L’artiste réalise différents portraits, généralement masculins, qu’il brode sur des tissus trouvés. Pour lui, la broderie est une forme de dessin possédant une grande qualité expressive. Il encadre certains textiles en les étirant sur d’anciennes raquettes de tennis ou en les attachant à des objets trouvés. D’autres sont rassemblés et cousus pour former des livres. À la manière d’un romancier, il tisse l’histoire de chaque personnage en y ajoutant des éléments de sa propre biographie.

Penteado crée également des collages à l’aide d’épingles, à l’instar des story-boards cinématographiques, donnant des indications sur les goûts ou les antécédents de ses personnages.

EN When mentioning love, romance is usually the first thing that pops up in people’s minds. But love is so much more, so much broader. And it’s precisely that realisation that makes the work of Fernando Marques Penteado with its playful evocations of male friendship stand out.

What I love about art is how it enables us to see the world differently, to look at things from another perspective, through the eyes of someone else. The work of Fernando Marques Penteado does exactly that: it invites us to step into his universe, to dive into the lives (and loves) of his characters, without ever quite knowing what is real and what is fictional.

Penteado was born in Brazil in 1955 but settled in Brussels a few years ago. Having been alerted to his presence here by a fellow Brazilian artist, I visited his studio/apartment. The best recommendations always come from artists. Welcomed by a charming man in flipflops and the odour of strong coffee, I had little idea how many people inhabited this attic space. Quickly though, I was introduced to a broad range of characters, all of Penteado’s creation, who accompany him through life.

The artist makes portraits of different characters – usually male – that he embroiders onto found fabrics. For him, embroidery is a form of drawing and his stitches have an expressive quality. He frames some textiles by stretching them on vintage tennis rackets or attaching them to found objects. Others are sewn together into book forms. Like a novelist, he weaves a whole backstory to each character, intertwining them with elements of his own autobiography. Penteado also creates pinboard collages like filmic storyboards, giving hints of the tastes or backgrounds of his characters. They evoke the pinboards that so many of us have at home, featuring postcards, love notes, theatre tickets, … The traces of everyday interactions that we keep as mementoes.

Ils évoquent ces cadres à épingles que nous sommes nombreux à posséder et sur lesquels nous fixons des cartes postales, des mots d’amour, des tickets de théâtre... Autant de traces de nos interactions quotidiennes gardées en souvenir.

Pour donner vie à ses protagonistes imaginaires, Penteado réalise des installations ludiques qui associent ses broderies et collages à des objets ou meubles réels. Le résultat s’apparente à un autel domestique ou à une collection d’ex-votos.

Elles me rappellent le plaisir voyeuriste que j’éprouve lorsque j’entre dans une maison pour la première fois et que j’enquête sur l’habitant à travers la collection de bibelots exposés sur sa cheminée.

Meet Me at the Finger Buffet, présenté dans l’exposition Love is Louder, raconte l’histoire d’un Belge, Xavier, qui organise des retrouvailles pour un groupe d’amis rencontrés lors d’un échange Erasmus en Angleterre. Il est aidé par un ami proche, Jean-Claude. La table, dans l’installation, révèle des images évoquées par leur conversation portant sur le buffet, tandis que Penteado montre des exemples d’en-cas, soulignant l’importance de la nourriture lorsqu’on reçoit des amis.

Dans cette œuvre, comme dans plusieurs autres, l’artiste brésilien s’attache à créer des évocations nuancées et ludiques de l’amitié masculine. Car l’amour platonique est beaucoup moins souvent abordé que l’amour romantique. Et pourtant, les amitiés sont d’une importance vitale dans nos vies, elles survivent d’ailleurs souvent aux relations romantiques. C’est pourquoi j’estime que cette œuvre ajoute une dimension fantaisiste mais sincère à l’exposition, qui vise à offrir un éventail diversifié d’histoires d’amour.

He makes playful installations that combine his embroideries and collages with real items or pieces of furniture, to bring his imaginary protagonists to life. The result can resemble a domestic altar or a collection of ex-votos. They remind me of the voyeuristic pleasure that I have when visiting someone’s house for the first time, trying to piece together information about the inhabitant though the collection of trinkets they display on their mantlepiece.

‘Friendships are of vital importance in our lives – often outliving romantic relationships’

Meet Me at the Finger Buffet, which is presented in the Love is Louder exhibition, tells the story of a Belgian man, called Xavier, who organises a reunion for a group of friends he met while on an Erasmus exchange programme in England as a young man. He is helped by his close friend Jean-Claude. The table in the installation reveals images evoked by their conversation about what will be offered during the finger buffet, while Penteado also depicts examples of the possible snacks that they will propose – highlighting the importance of food when entertaining friends. In this work, as in several others, the Brazilian artist is interested in creating nuanced and playful evocations of male friendship. Platonic love is a lot less often discussed than romantic love and yet, friendships are of vital importance in our lives – often outliving romantic relationships. For that reason, I feel that this work adds a whimsical yet sincere element to the exhibition, which aims to offer a diverse range of love stories.

Zoë Gray
Fernando Marques Penteado © Mendes Wood DM

L’amour à l’heure des jeux vidéo

FR Les concepteur·ices de jeux vidéo tentent, eux aussi, de capturer l’amour dans leur travail, aussi irrésistible, insaisissable et indéfinissable soit-il. Et nous assistons même à une évolution remarquable dans ce domaine.

Walter, le personnage principal du jeu vidéo The Journey Home, se fraye un chemin dans le tissu de la réalité. Parmi une foule de décors surréalistes, certaines scènes lui rappellent sa vie sur terre : une balançoire (d’une enfance qui laisse peutêtre à désirer), le lieu d’un accident de la route (peut-être lié à un traumatisme) et un œil qui voit tout (métaphoriquement ou non). Le studio belge Joey’s Entertainment, composé de deux personnes, développe encore The Journey Home, mais une première version sera bientôt présentée à Bozar Arcade, un espace dédié aux jeux vidéo inspirants. L’inclusion était le thème du précédent « espace de jeu », dans le cadre du festival

Afropolitan. « La nouvelle édition de Bozar Arcade est placée sous le signe de l’exposition Love is Louder », explique le dramaturge numérique Jafar Hejazi. « J’ai commencé à chercher des jeux sur l’amour au sens large. The Journey Home est une méditation sur les émotions, il s’inscrit donc parfaitement dans ce contexte. »

Faire la cour avec brio

Chaque nouvelle décennie permet à ce thème d’être exploré avec un peu plus de nuance et de complexité dans le monde des jeux vidéo. Tout a commencé en 1987 avec le jeu humoristique Leisure Suit Larry in the Land of the Lounge Lizards, dans lequel un incel (ou célibataire involontaire) multipliant les doubles sens était la cible de nombreuses blagues. Un an plus tard, le simulateur de rencontres Romantic Encounters at the Dome mettait en scène un « steward » exhortant les joueurs trop enthousiastes, à calmer leurs ardeurs. Et en 1997, le jeu de rôle Final Fantasy VII présentait la toute première romance aux aspirations hollywoodiennes. Les

Video game designers too strive to capture love in their work – in all its overwhelming, elusive and indefinable nuances. Moreover, the genre has undergone a remarkable evolution in that department.

Walter the protagonist in the video game The Journey Home, trudges through the fabric of reality. Amidst a range of surreal settings, he also encounters scenes that remind him of his earthly life: a swing (from a childhood that may have left something to be desired), the site of a traffic accident (resulting in intense trauma) and an allseeing eye (metaphorical or otherwise).

Belgian studio Joey’s Entertainment – a doubleact – is still developing The Journey Home, but an early version is about to be shown in the Bozar Arcade: a place for inspiring and artistic video games. Inclusion and decolonisation were the themes of the previous ‘play space’, in the context of the Afropolitan Festival. “The new Bozar Arcade is linked to the exhibition Love is Louder,” says digital dramaturge Jafar Hejazi. “I went looking for games about love in the broadest sense. The Journey Home is a meditation on emotions, so it fits in perfectly.”

Brilliant Courtship

Love has evolved considerably as a theme within video games – and it is explored with a little more nuance and complexity every decade. It all began in 1987, with the comedy game Leisure Suit Larry in the Land of the Lounge Lizards, in which a double entendre spewing incel was the butt of multiple jokes. A year later, the dating simulator Romantic Encounters at the Dome featured a ‘steward’ who exhorted over-enthusiastic players to shut it. And in 1997, the role-playing game Final Fantasy VII presented the very first video game romance with Hollywood aspirations. The flirtation between the main characters Cloud and Aerith (and the tragic conclusion) coloured the teenage years of millions of millennials.

‘Can anyone attending the next Bozar Arcade be trained to become ‘better’ at love? In a way, yes’

ébats amoureux entre les personnages principaux Cloud et Aerith (et leur fin tragique) ont marqué l’adolescence de millions de milléniaux. En 2003, Max Payne 2 : The Fall of Max Payne proposait une romance complexe entre deux amants en deuil. Et en 2010, Mass Effect 2 se distinguait avec une approche de la drague assez brillante : à travers des scènes de dialogue, le joueur devait attirer d’autres personnages (m/f/x/ alien) dans ses filets. Sans parler du mouvement du jeu vidéo indé, dans lequel le thème de l’amour a été exploré sous des angles encore plus divers. L’engouement obsessionnel dans Braid (2008), le roman de gare comme plaisir coupable dans Everlove (2014), les homosexuels découvrant leur sexualité en même temps qu’une parentalité précoce dans Dream Daddy (2017), le comportement amoureux toxique dans Boyfriend Dungeon (2021) ... La liste est longue. Mais tous les jeux liés à l’amour ne répondent bien sûr pas aux critères de choix de Jafar Hejazi. « Je ne nie pas l’exploitation de l’amour par le circuit commercial », explique le « curateur de jeux ». « Mais l’angle d’approche y est limité. L’amour y est généralement exploré par le biais du texte, et c’est quelque chose que j’essaie d’éviter. Je cherche des jeux qui franchissent les barrières de la langue, mais aussi de l’âge. Les jeux commerciaux portent presque exclusivement sur l’amour romantique. Où sont les jeux vidéo sur l’amour de soi ? Sur l’amour social ? Sur l’amour de la famille et des amis ? »

Selon Hejazi, Queer Man Peering Into a Rock Pool.jpg est un bel exemple de profondeur et complexité. Dans cette œuvre, le protagoniste, un homosexuel d’âge moyen, meuble sa maison initialement vide. À partir de cet acte, une méditation sur l’identité sexuelle fermente dans l’esprit du joueur. « Dans la prochaine édition de Bozar Arcade, je veux faire en sorte que les gens réfléchissent vraiment à l’amour », explique Hejazi.

« Aux façons dont nous pouvons nous aimer nousmêmes et aimer les autres. »

Expression artistique

Jafar Hejazi est un dramaturge numérique qui s’intéresse à l’intersection entre la technologie numérique et l’expression artistique. Par sa formation, il est souvent impliqué dans les « moteurs de jeu », c’est-à-dire les logiciels qui font tourner l’univers d’un jeu vidéo. « Ce

Then in 2003, Max Payne 2: The Fall of Max Payne served up a complex romance between two grieving lovers. And Mass Effect 2 picked up the theme in 2010 with a near brilliant courtship: in playable dialogue scenes, the player had to put real effort into making sure their protagonist could hook up with one of the other characters (m/f/x/alien). Nor should one forget the indie video game movement, which explored the theme of love from even more diverse perspectives. Obsessive infatuation in Braid (2008); the airport novel as guilty pleasure in Everlove (2014); gay men discovering their sexuality and, in a pioneering move, becoming parents in Dream Daddy (2017); toxic amorous behaviour in Boyfriend Dungeon (2021), ... The list is relatively long.

‘Video games are successful at triggering emotions’

But not every title meets the criteria that Jafar Hejazi uses to select the games for Bozar Arcade. “I won’t deny that the commercial circuit has also embraced the theme in the meantime,” says the ‘games curator’. “But only in a limited way. Love is usually explored through text, which is something we try to avoid. We look for games that transcend language, but also age barriers.” Hejazi adds that commercial games are almost exclusively about romantic love. “Where are the video games about self-love? About social love? About love of family and friends?”

Queer Man Peering Into a Rock Pool.jpg is, for the curator, an example of something deeper. In the game, the protagonist, a middle-aged gay man, furnishes his empty house. Through this act, a reverie about sexual identity ferments in the player’s mind. “With the next Bozar Arcade, we want to make people really think about love,” says Hejazi. “About how we can love ourselves as well as each other.”

Artistic expression

Jafar Hejazi is a digital dramaturge – concerned with the intersection between digital technology and artistic expression. His background often

qui m’intéresse le plus, c’est la ludification des idées et des concepts. Il est possible de rendre des choses très abstraites tangibles grâce à la mécanique des jeux. » Pour donner vie à Bozar Arcade, Hejazi a défini un certain nombre de critères. Par exemple, il doit s’agir d’expériences, et non de compétition. Les jeux doivent être créés par des artistes indépendants et constituer une toile d’expression artistique, être pertinents d’un point de vue thématique. Inspirer en plus de divertir. Ne pas contenir de violence extrême ou de discrimination. Ne pas imiter la réalité, mais plutôt essayer de la faire évoluer à partir d’un concept artistique. Être de nature artistique, tout simplement.

« Il est vrai que les personnes qui travaillent sur des jeux commerciaux considèrent également leur travail comme de l’art », explique Hejazi. « Les concepteurs de jeux construisent un monde et conçoivent une expérience. Mais Bozar veut aller plus loin. Quelles que soient ces entreprises, elles pourraient faire mieux, au lieu de se contenter de servir leur public de base. À Bozar, nous aimerions combler le fossé entre les arts dits supérieurs et les arts plus populaires. » Un jeu vidéo est avant tout une simulation potentiellement très puissante et convaincante, explique le dramaturge numérique. « Les entreprises technologiques utilisent les jeux vidéo pour former des robots d’intelligence artificielle. Il me semble que cela pourrait aussi fonctionner avec les humains. »

Un participant à la prochaine Bozar Arcade peutil donc être formé pour devenir « meilleur » en amour ? « D’une certaine manière, oui », estime Hejazi. « Ce que les jeux font déjà très bien, c’est créer des liens. Je cherche des jeux où les personnages se relient les uns aux autres, où ils construisent ensemble une communauté, où ils essaient donc de se comprendre. Les jeux vidéo sont également très efficaces pour déclencher des émotions. Jouer à un jeu de football FIFA, c’est s’impliquer émotionnellement. Dans la prochaine édition de Bozar Arcade, je souhaite présenter des jeux vidéo qui associent ce type d’engagement émotionnel à des idées significatives sur l’amour et les sentiments. »

Ronald Meeus

Bozar Arcade est accessible aux visiteurs pendant toute la durée de l’exposition Love is Louder, du 12 octobre 2024 au 5 janvier 2025.

brings him into contact with ‘game engines’, which is the software that makes the world of a video game spin. “What interests me most is the gamification of ideas and concepts,” says the curator. “You can make very abstract things tangible with game mechanics.”

For the curation of Bozar Arcade, Hejazi defined several criteria. That it should be about experiences, for example, and not competition. That the games are devised by independent creators and form a canvas for artistic expression. That they be thematically relevant. That they are not merely entertaining, but inspiring. That they do not contain extreme violence or discrimination. They do not have to imitate reality, but rather try to change it through an artistic concept. That they are, in short, art. “Admittedly, people working on commercial games also consider their work as art,” Hejazi says. “Game designers build worlds and design experiences. But Bozar wants to go a step further. Which is what game companies would be wise to do as well, instead of just serving their core audience. At Bozar, we want to bridge the gap between – how shall I say it – the high arts and the more popular ones.”

A video game is first and foremost a simulation. And these can be very powerful and persuasive, says the digital dramaturge. “Technology companies use video games to train AI bots. That’s how it can work with humans too, or so it seems to me.”

So, can anyone attending the next Bozar Arcade be trained to become ‘better’ at love? “In a way, yes,” believes Hejazi. “What games already do very well is connect. I look for titles in which the characters connect with each other, where they collectively build a community, and thus try to understand one another. Video games are also successful at triggering emotions. Play a FIFA football game and you can’t help but get emotionally involved. With the next Bozar Arcade, I want to present video games that link that kind of emotional engagement with meaningful ideas about love and feelings.”

Bozar Arcade can be visited during Love is Louder from 12 October 2024 to 5 January 2025.

Ovidie, jamais seule depuis son renoncement à l’hétérosexualité

FR Ovidie est une réalisatrice et autrice prolifique. Docteure en Lettres et Études filmiques, elle est spécialisée dans les questions de l’intime. « On voit que le couple tel qu’on le connaît ne marche pas. »

Après avoir exploré la pornographie féministe dans les années 2000, Ovidie (née Eloïse Delsart) réalise plusieurs documentaires et fictions TV et radios dont Là où les putains n’existent pas en 2018 (prix Amnesty International du meilleur documentaire) ou Des gens bien ordinaires en 2023 (International Emmy de la meilleure minisérie). Dans son essai La chair est triste hélas (2023), Ovidie expose son renoncement au sexe, par fatigue et déception, puis par conviction. Elle dit : « Il est une violence qu’on finit par regretter, mais par laquelle il faut passer pour trouver l’apaisement. Ce texte est la fureur qui m’embrase et me consume. » On y découvre un désenchantement tendu comme la corde d’un arc, porté par une honnêteté salvatrice et une colère presque froide.

Vous travaillez sur l’intimité et la sexualité, depuis longtemps, quel est votre fil rouge ?

Ovidie : « Depuis vingt-cinq ans maintenant, c’est la question de la politisation de l’intime. Comment fait-on de l’intime une question politique, ce qui est aujourd’hui un peu plus accepté dans les débats surtout en cette phase post #MeToo. Quand je parle d’intime, ce n’est pas forcément de la sexualité. Cela peut être la question du couple, de l’amour, de la parentalité, de l’accouchement. Politiser ce qui se passe dans la chambre à coucher mais aussi ce qui se passe dans tout le foyer. »

Quelles sont vos influences ?

Ovidie : « J’ai été très influencée par le mouvement féministe pro-sexe, un mouvement de la fin des années 1970, début 1980, où des artistes avaient œuvré pour faire entrer les

EN Ovidie is not just a prolific filmmaker and author. She also holds a PhD in literature and film, and specialises all things intimacy. “We have come to realise that the couple as we know it doesn’t work.”

After exploring feminist pornography in the 2000s, Ovidie (born Eloïse Delsart) went on to direct several television and radio documentaries and dramas, including Là où les putains n’existent pas [Everything’s Better Than a Hooker] in 2018 (Amnesty International Award for Best Documentary) and Des gens bien ordinaires [A Very Ordinary World] in 2023 (International Emmy for Best Miniseries). In her 2023 essay entitled La chair est triste hélas, Ovidie bares her decision to give up sex, initially out of sheer weariness and disappointment, and subsequently by conviction. “There is a kind of violence that you end up regretting,” she writes, “but which you have to go through to find peace. This text is the fury that inflames and consumes me.” It reveals a spirit of disenchantment as taut as a bow, buoyed by a salutary frankness and near-cold anger.

You’ve been working on issues of intimacy and sexuality for a long time. Is that also the common thread throughout your work?

Ovidie: “I’ve been exploring the political dimension of intimacy for the past 25 years. How can intimacy be made into a political issue, which is becoming increasingly commonplace in today’s debates – particularly in the post-MeToo climate? I don’t necessarily refer to sex when I use the term intimacy, by the way. To me, the word intimacy covers relationships, love, parenthood, even childbirth. I try to give a political dimension to anything that takes place in the bedroom and the home in general.”

What are some of your influences?

Ovidie: “I was strongly influenced by the feminist pro-sex movement of the late 70s and early 80s

femmes dans les musées, mêlé à d’autres mouvements pour une meilleure éducation sexuelle. Je suis très admirative du travail de certaines performeuses aussi. Je pense à Cosey Fanni Tutti et ses tampons usagés exposés au Musée d’Art Moderne de Londres. C’était en 1976. J’ai été imprégnée de toutes ces femmes qui travaillaient avec leur corps. »

Avec La chair est triste hélas, vous avez écrit sur la violence subie dans l’intimité tout en réfléchissant à la violence que votre propos pouvait susciter à la sortie du livre... Vous écrivez : « Je pressens aussi que ce texte me coûtera violences et menaces, parce que les hommes ont horreur des femmes qui se refusent à eux. »

Ovidie : « Pour la promotion du livre, j’ai refusé toutes les interviews filmées, les émissions télé, car je sais comment ça fonctionne. C’est l’apparence qu’on regarde en premier, on le fait toutes et tous. Au lieu de me préoccuper de ce qu’une femme va dire, je vais d’abord regarder à quoi elle ressemble. La chair est triste hélas parle quand même d’un retrait de la sexualité, d’un retrait de l’hétérosexualité. Il y aura forcément deux camps, ceux qui vont dire « Dommage, elle a de beaux restes » et d’autres qui diront « Elle est tellement moche que je ne la toucherais même pas avec un bâton ». De toute façon, cela donnerait une mauvaise indication. Je me suis concentrée sur la radio et la presse écrite. Parce que ce retrait de l’hétérosexualité ne va pas sans casse, ça provoque des réactions viscérales chez certains hommes. Ils ont ce désir, un peu comme les enfants capricieux, de posséder toutes les femmes. À partir du moment où une femme dit « je ne suis pas accessible », qu’elle se retire de ce désir-là, de cette disponibilité-là, les hommes vrillent complètement et deviennent super agressifs. C’est comme ça notamment que j’explique la lesbophobie ou la haine du voile. »

Par rapport à la question du couple aujourd’hui, dans quoi vous inscrivez-vous après ce retrait de la sexualité ?

Ovidie : « On est toutes là en train de tâtonner en se demandant si l’amour n’est pas le lieu de toutes les inégalités et aussi de toutes les violences. On n’a jamais autant réfléchi qu’en ce moment à détruire le couple et essayer de reconstruire quelque chose de plus égalitaire.

when artists worked to introduce women into museums, as well as other campaigns for a better sex education. I also admired the work of some female performers, such as Cosey Fanni Tutti and her 1976 performance with used tampons at London’s Institute of Contemporary Arts. I’m captivated by all these women who used their bodies as a medium.”

The essay La chair est triste hélas broaches the subject of violence in the private sphere. Did you anticipate the violence your words might provoke? You wrote, “I also suspect that this story will incite violence and threats because men loathe women who reject them.”

Ovidie: “When I was out promoting the book, I declined all video interviews and TV show; I know how the media operates. Instead of focusing on hearing what a woman has to say, [people think] I’ll check her out first. We’re all guilty of that. La chair est triste speaks of giving up on sex, of a departure from heterosexuality. Inevitably, there will be two opposing sides. Some will say ‘what a

‘Once we break free of this pressure to be in a relationship, we realise that we have much more mental space’

shame, she’s still fit’, whilst others will say ‘she’s so ugly I wouldn’t even touch her with a barge pole.’ Either way, it sends the wrong message. So I focused on radio and print. Because the withdrawal from heterosexuality is not without consequences. It triggers visceral reactions in some men. These men have a capricious, childlike urge to possess all women. They go ballistic and become incredibly aggressive the minute a woman says, ‘I’m not accessible’, shutting the door on desire and approachability. That’s also how I explain lesbophobia and people’s aversion to the hijab.”

C’est dans l’air du temps. Il y a un truc qui déconne alors il faut réinventer l’amour. On ne sait pas exactement comment reconstruire. Je suis dans cette déconstruction depuis des années mais je n’entrevois pas le bout des reconstructions. Pour moi, on est sur un champ de ruines. J’ai l’impression qu’il faudra des années pour arriver à reconstruire des modèles qui nous conviennent. Ou alors on va revenir au couple tel qu’il était avant et rien n’aura changé. En ce moment, on ouvre une parenthèse expérimentale. »

C’est la notion de famille qui est remise en question aussi ?

Ovidie: « Comment faire une famille aujourd’hui autrement ? Autour de moi, il y a quand même pas mal de gens qui proposent une autre forme de parentalité. Toustes les potes gouines et pédés autour de moi réfléchissent beaucoup. Avant, c’était l’enfant le fruit de l’amour. Désormais, on se demande comment on fait un enfant, comment on l’élève, indépendamment des querelles de la question amoureuse. On voit que le couple tel qu’on le connaît - et la parentalité liée à ce couple - ne marche pas puisque l’on se sépare à coups d’avocats dans les trois premières années de l’enfant et, finalement, on est malheureux. Cela veut dire que quelque chose ne fonctionne pas très bien et je n’ai pas la solution. »

Expérimentez-vous de nouvelles relations ou de nouvelles manières de vous investir ?

Ovidie : « Moi, je fais ceinture pour tout ce qui touche à l’amour, au désir. Je préfère la désertion, je ne cherche pas à reconstruire quoi que ce soit. En revanche, l’amitié est sous-cotée. Il y a un truc qui est flagrant lorsqu’on se libère de la question sexuelle et de l’hétérosexualité en général. Tout à coup on perd un certain nombre de relations, c’est la première gifle. À partir du moment où on affiche une indisponibilité, il y a un paquet de gens autour de nous - qui ne voulaient pas spécialement nous sauter - qui ne nous parlent plus de la même façon. Sans que l’on s’en rende compte, il pouvait y avoir dans nos interactions un petit fond de séduction, un petit peu de minauderie. Ne pas être dispo parce que l’on a un mec, les gars s’en foutent, ce n’est pas cela qui les arrête et les empêche de fantasmer. Là, il y a déjà un premier écrémage. »

When considering today’s issues around relationships, where do you stand after giving up sex?

Ovidie: “We’re all scrabbling around, wondering if love isn’t at the root of all forms of discrimination and violence. Never before have we given so much time and thought to destroying the couple and attempting to rebuild something more egalitarian. It’s very much the zeitgeist. There’s something wrong, so we have to reinvent love. But we don’t exactly know how to reconstruct. I’ve spent years deconstructing, but I still can’t see the end of the reconstruction process. I feel we’re in a minefield. I have a feeling that it will take years to reconstruct models that work for us. Or, otherwise, we’ll go back to the couple as it was before. Absolutely nothing will have changed. We’re currently entering an experimental stage.”

Do you think that the notion of family is also being reassessed?

Ovidie: “How can we create a different type of family today? Lots of people around me propose an alternative parental structure. All my dyke and gay friends have given this a lot of thought. There was a time when children were the fruit of love. Nowadays, we have to think about how to conceive a child and how to raise it, irrespective of any disagreement over the issues around love. We have come to realise that the couple as we know it – and the parenthood associated with that couple – doesn’t work. Within a child’s first three years, the couple breaks up, lawyers are called in and, eventually, everyone is unhappy. This demonstrates that something isn’t working properly, but I don’t have a solution.”

Are you exploring new relationships or new avenues of commitment?

Ovidie: “As far as I’m concerned, I prefer to shut myself away completely from everything involving love and desire. I’ve chosen desertion. I’m not trying to rebuild anything. But you know what: friendship is underrated. Once you break away from issues around sex and, more generally, heterosexuality, something becomes blatantly obvious. You suddenly start losing contact with some of the people around you. It feels like a slap in the face. The first one. When you start showing signs that you’re inaccessible, many people around you – even those who didn’t especially want to fuck you – start behaving differently.

Vous ne proposez aucun modèle, aucune voix à tracer pour vous ou pour les autres. Vous sentez-vous seule ?

Ovidie : « Non, je ne suis pas seule. Déjà parce que j’ai une fille. Je ne vis pas seule, j’ai trois chiens. Il y a un lien particulier fondé sur l’empathie qui s’est créé entre les femmes et les chiens. Ces derniers étaient assignés à la domesticité et aux basses besognes, donc avec les femmes. Le fait d’être assigné·es de la sorte au foyer crée un lien particulier. Plus qu’un « outil de chasse », le chien est devenu un partenaire social assez tôt et surtout avec les femmes. On a tout de suite l’image de la pauvre ou de la vieille fille qui va crever toute seule. Or, je ne suis jamais seule. Je suis toujours accompagnée d’une façon ou d’une autre. Jamais avec quelqu’un en permanence à côté de moi mais, depuis toujours, je suis accompagnée en permanence. Je ne me sens pas seule. On nous a toujours dit qu’il fallait d’abord se concentrer sur l’amour. Les copines, ça vient après. Quand on se libère de cette injonction à faire couple, cela nous laisse beaucoup plus d’espace mental, beaucoup plus de temps à consacrer à nos amitiés. »

Safia Kessas

Le 25 novembre 2024, lors d’un Meet the Writer dans la Grande Salle Henry Le Bœuf, Ovidie poursuivra sa conversation avec Safia Kessas.

Unbeknownst to us, there was probably a hint of flirtation in those interactions, a bit of affectation. People don’t give a shit that you have a boyfriend, it seems – it won’t stop them from fantasising. But not wanting sex!? So that’s the first phase of the skimming process.”

You don’t provide alternative models or paths to follow – for yourself or others. Do you feel lonely?

Ovidie: “No, I’m not lonely. For a start, I have a daughter. And I don’t live on my own, I have three dogs. Dogs and women have forged a unique bond founded on empathy. Historically, dogs were assigned to domesticity and menial tasks, which meant working with women in the home. This form of household duty led to a unique relationship. More than just a ‘hunting tool’, dogs became social partners very early on, especially with women. The image of the crazy cat lady dying all alone immediately springs to mind, but I’m never alone. I’m always with someone – one way or another. I’ve never had somebody by my side 24/7 but I’ve always had someone by my side. I don’t feel alone. We’ve constantly been told that we should always put love first and that girlfriends come second. Once we break free of this pressure to be in a relationship, we realise that we have much more mental space, and consequently more time to dedicate to our friends.”

On 25 November 2024, as part of Meet the Writer, Ovidie will continue this conversation with Safia Kessas in the Henry Le Bœuf Hall.

Safia Kessas
‘There’s something wrong, so we have to reinvent love’

Breaching the Walls, Breaking the Codes

FR Présente en pointillé dès l’inauguration du Palais des Beaux-Arts, la performance s’est invitée de manière plus prononcée à Bozar lors des soirées All Over the P(a)lace la saison dernière et voit sa place d’autant plus renforcée dans la programmation à venir.

Depuis la saison passée déjà, les nocturnes

Bozar All Over the P(a)lace, organisées chaque dernier jeudi du mois, ont relevé avec succès le défi de proposer des événements festifs, pluridisciplinaires et rassembleurs, à la fois éclatés dans les différents espaces de Bozar mais centrés autour d’une même dramaturgie. « L’idée est que chaque recoin du bâtiment, véritable labyrinthe, vibre ou vive de quelque chose, soit mis en mouvement », explique Paul Briottet qui est désormais associé artistique du CEO Christophe Slagmuylder, après avoir travaillé dans le milieu de l’opéra pendant plus de dix ans. « À l’inverse d’un théâtre qui réunit dans une même salle, ici le public peut déambuler partout assez librement : visiter les expositions, assister à une projection ou une lecture, prendre un verre dans le Hall Horta,… Jusqu’à ce que les propositions de performances et de DJ sets, disséminées en différents endroits du Palais, l’invitent à se rassembler. La saison dernière a été un formidable terrain d’expérimentation, chaque nocturne prenant une teinte particulière, souvent liée à une des expositions en cours. »

La réalisatrice et danseuse française d’origine capverdienne Deicy Sanches a vécu une de ces soirées All Over the P(a)lace de l’intérieur lors de l’ouverture du festival Afropolitan. Avec Les Envahisseurs, le collectif qui puise dans la danse hip-hop et qu’elle porte avec son frère Teddy, danseur et designer, elle était invitée à imaginer avec Paul Briottet une soirée pluridisciplinaire dans différents espaces de Bozar : débats, projections, performances et DJ sets. « Ce que j’en retiens, c’est la présence forte du public. Les gens étaient avec nous, ils participaient. Le public n’était pas dans la posture que le cadre de

EN Performance art has been a staple of the Palais des Beaux-Arts since its inauguration. But last season it manifested itself more clearly during the All Over the P(a)lace nocturnes. And this year, programmer Paul Briottet goes even one step further.

Since last season, the All Over the P(a)lace nocturnes – held every last Thursday of the month – have been synonymous with festive, multidisciplinary and connecting happenings. They are spread across Bozar’s various spaces, always with a central theme. “The idea is that every corner of the building – a veritable maze – vibrates and comes alive”, explains Paul Briottet, the new artistic right-hand man of CEO Christophe Slagmuylder who spent more than ten years in the opera world. “Everything needs to be set in motion, so to speak.”

‘Performance lies at the intersection of dance, theatre and visual arts’

“In contrast to a theatre, which brings together people in the same room, the audience can roam around the building relatively freely,” continues Briottet. “The public visits the exhibitions, participates in a talk, attends a screening or a reading, enjoys a drink in the Horta Hall, etc. That is, until the performances and DJ sets, which take place across the Palace, bring everyone together. Last season proved a fantastic opportunity for experimentation. Each nocturne basked in its own unique atmosphere, often linked to one of the ongoing exhibitions.”

Deicy Sanches, the French director and dancer with Cape Verdean roots, experienced one of these All Over the P(a)lace evenings first-hand during the opening of the Afropolitan festival. With Les Envahisseurs – a hip-hop dance

‘Nous avons utilisé la performance, l’improvisation, la musique aussi, de sorte que le public se sente invité à danser avec nous’
© Marin
Driguez

l’institution peut parfois imposer : observer dans le calme et le silence. Très souvent l’institution et son architecture créent une frontière, imposent des codes aux différents corps présents. Or j’ai l’impression que nous avons réussi à casser cette barrière-là. Nous avons utilisé la performance, l’improvisation, la musique aussi, de sorte que le public se sente invité à danser avec nous. À la fin, nous étions tous et toutes ensemble, à danser collectivement ! »

Cycle de performances

Dans ce même élan, une nouvelle ligne de programmation à Bozar vient renforcer la place de la performance dans la maison et rythmer les activités du Palais en occupant une place centrale au cœur du Hall Horta. À l’instar des soirées All Over the P(a)lace, ce cycle de performances redonne du mouvement à Bozar et complète l’offre artistique. L’abolition de la frontière entre « performeurs » et « spectateurs », cette manière de faire s’écrouler le « quatrième mur » typique de la représentation théâtrale, caractérise, selon Paul Briottet, l’art de la performance. La performance se situe à la croisée de la danse, du théâtre et des arts plastiques.

« Nous ne sommes pas dans une proposition artistique qui se façonne dans le cadre strict du plateau, cerné par le cadre de scène, par des moyens techniques importants, par une certaine machinerie qui crée une distance entre le spectateur et ce qui se passe sur scène. C’est un rapport plus intime qui se joue, presque charnel, où la proximité entre public et artistes est privilégiée. » Autre aspect caractéristique de la performance : le fait qu’il s’agit souvent d’une création in-situ, spécifique pour un espace et un rapport au public particulier. « Ce qui en fait un objet assez exceptionnel dans le présent », poursuit Briottet. Là aussi, à l’inverse de l’expérience au théâtre, la performance a un caractère unique, presque exclusif, sans être excluant, qui se vit dans l’instant et ne se reproduit jamais de la même façon.

Investir le Hall Horta avec de la performance constitue aussi une manière de renouer avec l’histoire d’un bâtiment conçu avec l’ambition de réunir de nombreuses formes d’art, dont le spectacle vivant. « En creusant l’histoire du lieu, j’ai constaté que la performance était présente

collective she runs with her dancer and designer brother Teddy – she was asked to conjure up a multi-disciplinary evening of debates, screenings and performances in the various areas of Bozar. The evening ended with a DJ set. She remembers, “one of the highlights of this performance was the feeling that the audience was very much present. The spectators were with us. They were actively present. The public was not in the posture often dictated by the institutional setting: quiet, silently observing. The institution and its architecture often impose codes and boundaries on everyone present. I got the impression that we had broken down that barrier. We used performance, improvisation and music in such a way that the audience felt compelled to dance with us. By the end of the evening, we were all dancing together!”

Cycle of performances

In the same vein, Bozar has now launched a new series of events to reinforce the role of performance art in the institution and introduce a dynamic dimension to the activities of the Palais by occupying a prominent position at the heart of the Horta Hall. Much like the Bozar All Over the P(a)lace events, this series of performances introduces movement back into Bozar and completes the artistic offering.

‘We used performance, improvisation, and music in such a way that the audience felt compelled to dance with us’

In the words of Paul Briottet, performance art is defined by the removal of boundaries between ‘performers’ and ‘spectators’, and by the demolition of the ‘fourth wall’ characteristic of theatre. Performance lies at the intersection of dance, theatre and visual arts. He explains that “with performance art, we’re not trapped in an artistic approach based on

dès les premières années, souligne Briottet : en 1929, Serge de Diaghilev a inauguré le Hall Horta avec ses Ballets Russes. À l’occasion de cette nouvelle saison, la programmation renoue avec cette intention historique du Palais et invite des artistes à reprendre des créations ou à en imaginer de nouvelles pour le si caractéristique

‘C’est un rapport plus intime qui se joue, presque charnel, où la proximité entre public et artistes est privilégiée’

Hall Horta. Une manière de rassembler autrement les publics et les artistes, et d’inviter à voir le monde différemment. »

Ce sera donc le cas tout au long de la saison 24-25, pour laquelle on peut déjà citer des noms comme ceux d’Eszter Salamon, Boris Charmatz et Maria Hassabi.

Estelle Spoto

Les 11 et 12 octobre 2024, Boris Charmatz présente les performances Aatt enen tionon et herses, duo dans le Hall Horta. Les 10 et 11 novembre 2024, Eszter Salamon jouera Mothers & daughters. Les 9 et 10 décembre 2024, la performance Together de Maria Hassabi aura lieu.

the strict confines of the stage, bounded by a backdrop and supported with substantial technical resources. There are no mechanics that create a distance between the spectator and the action unfolding on stage. A performance establishes a more intimate – almost carnal – relationship between the spectators and performers, whereby they are drawn closer together.”

Another distinctive quality of performance art is that it is often created in situ, tailored to a given space and a privileged relationship with the public. “This makes it a unique experience in today’s world,” Briottet continues. “Here too, contrary to the theatrical experience, performance boasts a unique, almost exclusive –although not exclusionary – character that is lived in the present moment and never repeated in quite the same way.”

Additionally, the decision to use the Horta Hall for performances serves as a reminder of the history of a building conceived to bring many different art forms together, including performing arts. As Briottet explains, ‘as I was delving into the history of the building, I discovered that performance has been present from the outset. In 1929, Sergei Diaghilev inaugurated the Horta Hall with his Ballets Russes. To mark the opening of this season, the programme revives this historic tradition at the Palais des Beaux-Arts by inviting today’s artists to revisit existing creations or devise new works for the iconic Horta Hall. This innovative approach of uniting audiences and artists encourages visitors to examine the world differently.”

Estelle Spoto

On 11 and 12 October 2024, Boris Charmatz brings the performances Aatt enen tionon and herses, duo in the Horta Hall. On 10 and 11 November 2024, Eszter Salamon will perform Mothers & daughters. On 9 and 10 December 2024, Maria Hassabi’s performance Together will take place.

«

Il n’y a rien de plus sensuel qu’ une personne bien dans sa peau »

FR Il y a de ces expositions dont les gens ne cessent de parler, qui vont droit au cœur et qui peuvent même provoquer un basculement de conscience. When We See Us est de celles-là, estime Martha Da’ro. « Comme si la lune et les étoiles étaient parfaitement alignées. »

Va naviguer sur le Rhin ! Le Musée du design

Vitra ! Le Musée Tinguely ! Désactive l’itinérance des données ! Les conseils ont fusé dès le moment où mes amis, sur les réseaux sociaux, se sont rendu compte que j’avais atterri à Bâle. Mais il ne s’agissait pas d’une simple visite de courtoisie : Martha Da’ro était également de passage dans cette ville suisse au charme fou pour une visite éclair de l’exposition When We See Us, vue d’ensemble impressionnante de cent ans de peinture figurative noire d’Afrique et de la diaspora africaine.

L’exposition est au programme du Kunstmuseum Basel pendant cinq mois, après le Zeitz MOCAA au Cap et avant Bozar. On peut le dire : When We See Us écrira une page importante de l’histoire encore principalement blanche du temple de l’art bruxellois. On pourrait même dire que When We See Us sera une page importante de l’histoire de l’art tout court, car cette exposition est non seulement unique en son genre mais aussi d’un niveau si exceptionnel qu’on en parlera encore dans dix, vingt ou trente ans.

Pour reprendre les mots de Martha Da’ro, encore visiblement émue le lendemain de sa visite : « C’était incroyablement rafraîchissant et puissant pour moi en tant qu’artiste, mais aussi en tant que personne ! Je ne pense pas avoir déjà commencé à suivre autant d’artistes sur Instagram en un après-midi. » Elle rit.

« C’était comme si la lune et les étoiles étaient parfaitement alignées, car j’avais vraiment besoin de découvrir toutes ces œuvres et tous ces artistes.

»

Pour ceux qui ne connaissent pas Martha Da’ro (née Martha da Rosa Canga Antonio) : en

EN There are those exhibitions that people can’t stop talking about, that go straight to the heart and may even cause a turnaround. When We See Us is one of them, believes Martha Da’ro. “It felt like the moon and stars were aligned.”

Vitra Design Museum! Tinguely Museum! Float down the Rhine! Switch off your data roaming! Once my friends on social media realise that I’ve landed in Basel, there’s no shortage of tips. Only this isn’t a social call, because along with me, Martha Da’ro has also arrived in the Swiss and damn charming city. We’re here for a whistlestop tour of the exhibition When We See Us – an impressive hundred-year survey of black figuration in painting from Africa and the African diaspora. The exhibition is enjoying a five-month run at the Kunstmuseum Basel, after making its debut at Zeitz MOCAA in Cape Town. Next stop: Bozar.

‘Small everyday things are easy to overlook because we see them as mundane, but they are the source of untold pleasure’

To describe When We See Us as an important page in the still rather white history of the Brussels art temple would be an understatement. Nor is it an exaggeration to call it a seminal moment in art history, because the exhibition is as unique as it is magnificent. Trust me, it will still be discussed in ten, twenty, even thirty years’ time. Or, as Martha Da’ro stated the day after her visit, still visibly moved: “This was incredibly invigorating and powerful! And I don’t just mean as an artist, but also on a personal level. I don’t think I’ve ever looked up and followed so many

2015, elle a percé à l’âge de 20 ans dans le rôle principal de Black d’Adil El Arbi et Bilall Fallah. Depuis, des rôles plus notables ont suivi dans des films comme Cleo d’Eva Cools ou des séries télévisées comme Roomies ainsi que le succès Netflix Lupin. Mais surtout, la Bruxelloise a sorti l’excellent EP Cheap Wine & Paris en 2020, puis l’album Philophobia en 2023, aussi expressif que passionné et exaltant.

Mais revenons à Bâle et son exposition sur la peinture figurative, et dans ce domaine, elle est à priori un peu moins calée. Il faut croire que je me trompe : « De la peinture, j’en ai fait », admet-elle d’abord à contrecœur. « Attends. » Elle plonge dans son téléphone portable pour en ressortir, quelques minutes plus tard, des photos de tableaux merveilleusement colorés et déjantés qui n’ont rien d’une première tentative. « Elles ont déjà quelques années, mais peut-être que je m’y remettrai un jour. En tout cas, When We See Us m’en a vraiment donné envie. »

Secrets de cuisine

When We See Us est le fruit du travail de Tandazani Dhlakama et de Koyo Kouoh, avec qui Martha a rendez-vous à Bâle. Quelques instants auparavant, à deux, nous avions discuté du titre de l’exposition, qui relève d’une déclaration pour moi, et d’une invitation pour Martha. « Le titre s’inspire de When They See Us d’Ava DuVernay », explique Koyo Kouoh. Cette série Netflix de haut vol porte sur les Central Park Five, cinq hommes de couleur identifiés et condamnés à tort comme les violeurs d’une femme à Central Park dans les années 1980. Car c’est ainsi qu’« ils » étaient perçus par les médias américains et la police new-yorkaise.

« La série et tant d’autres histoires noires sont axées sur le traumatisme », poursuit Koyo, « et nous voulions nous en éloigner. En remplaçant «ils» par «nous», nous avons constaté que nous pouvions inverser le discours et nous l’approprier d’une manière relativement simple. D’une certaine manière, il s’agit donc d’une déclaration, mais aussi d’une invitation, car nous nous éloignons délibérément d’un discours «nous contre eux» qui, à juste titre, met mal à l’aise de nombreuses personnes. »

En même temps, l’exposition dégage un pouvoir noir collectif, ajoute la curatrice. Et de la joie. Beaucoup de joie. « On le ressent aussi », dit

artists on Instagram in a single afternoon.” She laughs. “It felt like the moon and the stars were aligned, because I absolutely needed to discover all these works and artists.”

For those who don’t yet know Martha Da’ro (born Martha da Rosa Canga Antonio): she broke through in 2015, at the age of twenty, when she played the lead in Adil El Arbi and Bilall Fallah’s indie darling Black. She then landed notable roles in films such as Eva Cools’ Cleo and the TV series Roomies. The Netflix hit Lupin soon followed. But just as importantly, the Brussels-based artist released the exceptional EP Cheap Wine & Paris in 2020, followed by the equally soulful, passionate and rousing album Philophobia in 2023.

But now we’re in Basel for an exhibition of figurative painting, which is surely less familiar territory. Right? “I’ve already done some painting too,” she admits, reluctantly at first. “Hold on.” She dives into her mobile phone to pull up, minutes later, pictures of some wonderfully colourful and wacky paintings that don’t look anything like first attempts. “They’re already a few years old, but I might pick it up again one day. When We See Us has left me itching to get back to it.”

Kitchen secrets

When We See Us is the brainchild of Tandazani Dhlakama and Koyo Kouoh, whom Martha also met up with in Basel. Moments before, we’d been discussing the title of the exhibition – a title that feels like a statement to me, but an invitation to Martha. “The title puts a spin on When They See Us by Ava DuVernay,” explains Koyo Kouoh. It’s the title of a compelling Netflix series on the Central Park Five, five young black guys who were wrongly identified and convicted of raping a woman in Central Park in the 1980s. Because that was how ‘they’ were seen by the US media and New York police.

“The series focused, like so many other black stories, on trauma,” Koyo continues, “and that’s something we wanted to avoid. By changing ‘they’ to ‘we’, we realised that we could flip the discourse and appropriate it in a relatively simple way. On the one hand, it’s a statement, but on the other, it’s a genuine invitation. Because we’re deliberately moving away from the ‘usagainst-them’ discourse that many people, understandably, are uncomfortable with.”

Martha, née à Mons mais d’origine angolaise.

« Il y a tellement de joie dans toutes ces œuvres. Elles émanent tellement d’un sentiment joyeux que cela me rend heureuse. » Elle s’attarde sur une œuvre de la Brito-Nigériane Joy Labinjo, Fermenting in the Kitchen « Les couleurs sont magnifiques, mais ce qui m’attire le plus dans cette œuvre, c’est qu’elle semble y montrer trois générations de femmes qui discutent dans la cuisine. Et cela me rappelle tellement ces conversations interminables sur tout et rien que j’ai déjà eues avec ma mère et ma tante… dans la cuisine, justement. »

Un peu plus loin dans l’exposition, Martha tombe sur des œuvres de l’artiste afro-américain Jacob Lawrence, aujourd’hui décédé, représentant un prêtre prêchant avec exubérance. « Quand j’étais plus jeune, j’allais souvent à l’église avec mes parents », se souvient-elle, « et les mouvements et l’expression intense de ce prêtre ont fait remonter ces souvenirs. La prédication, c’est vraiment tout un art, une vraie performance.

At the same time, collective black power does also emanate from the exhibition, adds the curator. And joy. An abundance of joy. “You really feel that,” says Martha, who was born in Mons, Belgium but has Angolan roots. “The works are filled with joy. It’s such a powerful sensation that you can’t help but feel happy too.” She lingers before a work by the British-Nigerian artist Joy Labinjo: Gisting in the Kitchen. “The colours alone are beautiful, but what I love the most is that the work seems to depict three generations of women. They’re just chatting in the kitchen. It’s such a poignant reminder of those endless conversations, about everything and nothing, that I had with my own mother and aunt – in the kitchen, of course.”

Slightly further on, Martha encounters several works by the late African-American artist Jacob Lawrence, depicting an impassioned priest in the midst of a sermon. “At a young age, I often went to church with my parents,” she recalls, “and the priest’s gestures and expression catapulted

Roméo Mivekannin, Le modèle noir, d’après Félix Vallotton, 2019, Courtesy of the artist and Galerie Cécile Fakhoury © Sabam2024

On part d’un livre que tout le monde peut lire, mais là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est la façon dont sont racontées les histoires qu’il contient. Un prêtre passe par toutes les émotions. Comme dans cette œuvre. Et ces couleurs, oui. J’adore les couleurs ! » Je lui demande si sa fréquentation de l’église n’a pas contribué à faire germer sa carrière de chanteuse et d’actrice. Elle hésite. « Qui sait, peut-être. La musique fait également partie intégrante de ce genre de service religieux. Que l’on fasse partie de la chorale ou non, on fait partie de l’événement. En chantant, en dansant, on se donne vraiment à fond. »

Nous n’aurons pas l’occasion de chanter en visitant l’exposition. Danser, en revanche : « Oh, cette chanson est géniale », dit Martha en se déhanchant. L’application musicale Shazam m’apprend qu’il s’agit de Voodoo Woman de Bill Fleming. Elle fait partie de la bande-son officielle de l’exposition, élaborée par le musicien sudafricain Neo Muyanga.

« La musique joue un rôle important dans la vie de chaque artiste », explique Koyo, « mais si vous observez le travail de peintres congolais comme Moké et Chéri Samba, on y trouve vraiment beaucoup de rythme ». La curatrice avait une autre raison de faire entrer la musique dans les espaces d’exposition : « La musique a également joué un rôle important dans le mouvement des droits civiques, dans les mouvements de libération et dans toutes les formes de conscience noire. C’était vraiment une évidence de travailler avec la musique pour cette exposition. » De plus, Muyanga n’a pas choisi n’importe quelle mélodie entraînante, comme l’explique Tandazani Dhlakama, co-curatrice de l’exposition : « Il a déniché des musiques tombées dans l’oubli ou même interdites à un moment ou à un autre. De plus, les chansons sont étroitement liées aux différents thèmes de l’exposition, qui sont tous des manifestations de la «joie noire». Il ne s’agit donc pas d’une sélection aléatoire. »

Nu allongé

Pour ceux qui, entre-temps, se posent la question, les thèmes de When We See Us sont The Everyday, Joy and Revelry, Repose, Spirituality, Triumph and Emancipation, et Sensuality, le thème préféré de Martha Da’ro.

me straight back to that time. Preaching is truly an art, you know, a performance. You work with a book that anyone can read, but that’s not the point. It’s all about how you tell the stories within. A good priest can convey the entire gamut of human emotion. As in this work. Not to mention those colours, yes. I love colour!”

I can’t help but wonder whether the origins of Martha’s singing and acting career lie in her early church-going. She hesitates. “M-a-a-ay-be. Music is a fundamental part of a church service. It doesn’t matter whether you’re in the choir or not: you’re still part of the event. Singing, dancing, you really give your all.”

There’s no singing in the exhibition. Dancing, though, that’s another story. “Oh, this is such a great song,” says Martha, sashaying past. It turns out to be ‘Voodoo Woman’ by Bill Fleming, as the music app Shazam tells me. And it’s part of the official exhibition soundtrack, which was curated by the South African musician Neo Muyanga.

“Music is central to every artist’s life,” Koyo explains. “Just look at the work of Congolese painters such as Moké and Chéri Samba, and you can’t help but notice the rhythm.” But this isn’t the only reason why the curator pursued music in the exhibition spaces: “Music also played an important role in the civil rights movement, in the struggle for liberation and in all forms of black consciousness. Working with music for this exhibition was a real no-brainer.” Moreover, Muyanga didn’t just select any old catchy tunes, as co-curator Tandazani Dhlakama explains. “He dug deep to find music that had fallen into oblivion or was even banned at a certain point. Moreover, the songs correspond to the various themes of the exhibition, all of which are manifestations of ‘black joy’. It’s anything but a random selection.”

Reclining nude

In case you were wondering, the themes in When We See Us are: The Everyday, Joy and Revelry, Repose, Spirituality, Triumph and Emancipation and – Martha Da’ro’s favourite – Sensuality. “I’m particularly fascinated by the latter theme because there are so many bodies at rest in this exhibition,” says the Brussels-based artist. “It’s a rare sight. And there is nothing more sensual than people feeling comfortable in their skin.” She lingers, for what seems like an age, before

« Je suis particulièrement fascinée par ce dernier thème parce qu’il y a un grand nombre de corps au repos dans cette exposition », explique l’artiste bruxelloise. « Ce n’est pas quelque chose que l’on voit très souvent. Alors que des gens bien dans leur peau, c’est justement beau et sensuel. »

Le tableau devant lequel elle s’arrête le plus longtemps est Espero que ya le dijiste a tu madre de nosotras de Tiffany Alfonseca. « J’espère que tu as déjà parlé de nous à ta mère », traduit Martha avec détermination. Elle sourit, voyant mon visage perplexe. « Je parle cinq langues : le néerlandais, le français, l’anglais, l’espagnol et la langue officielle de l’Angola, le portugais »

Cette œuvre représente également deux corps enlacés au repos. « Deux femmes », explique Martha, « parce que c’est «nosotras». Il y a plein de choses dans ce tableau. L’intensité du moment, un moment dans le temps, juste elles deux, avant qu’elles ne doivent affronter le monde à nouveau. Même sans son titre, on sent déjà toute l’histoire que raconte l’œuvre, une histoire vraie, peut-être ? Mais bien sûr, le titre vient compléter le tout. »

Sans oublier Le Modèle noir, d’après Félix

Vallotton de Roméo Mivekannin, une toile gigantesque qui donne le coup d’envoi du thème

Sensuality. « J’adore les toiles géantes », dit Martha. Plus d’une fois. « Mais ici, c’est surtout le regard de cet homme qui m’a immédiatement interpellée. Je viens de lire qu’il s’agit d’un portrait de l’artiste. Et cela rend l’ensemble encore plus fascinant. Qu’est-ce qu’il fait là ? »

Koyo Kouoh répond volontiers à cette question, car il s’’agit effectivement d’une œuvre qui provoque (un homme noir est assis à l’extrémité d’un lit sur lequel se trouve un modèle incolore) et, manifestement, d’une critique de l’histoire de l’art occidental. « Il s’agit d’un motif bien connu en peinture », explique la curatrice, « le nu allongé. Ou du moins dans le monde de l’art occidental ». On pourrait même dire qu’il s’agit d’un fantasme d’homme blanc. Comme Olympia d’Édouard Manet de 1863, qui montre non seulement une femme blanche et nue, mais aussi une servante noire. Cette dernière est tellement reléguée à l’arrière-plan que les critiques d’art n’y ont longtemps guère prêté attention.

Jusqu’à ce que Félix Vallotton réinterprète le tableau en 1913, transformant la servante en une femme noire sûre d’elle, étonnamment

Espero que ya le dijiste a tu madre de nosotras by Tiffany Alfonseca. “I hope you’ve told your mother about us,” says Martha, translating the title with assurance. Upon noticing my puzzled look, she smiles. “I speak five languages: Dutch, French, English, Spanish and – the official language of Angola – Portuguese.”

The work depicts two reclining bodies, entwined in each other’s arms. “Two women,” Martha asserts, “because the title says ‘nosotras’. This work is so rich. The intensity of that moment, a moment in time, just the two of them, before they have to face the world again. You don’t even need to know the painting’s title to feel that it captures an entire story – a true story, who knows? But of course, the title makes it complete.”

‘The works are filled with joy. It’s such a powerful sensation that you can’t help but feel happy too’

The exhibition also includes Le modèle noir, d’après Félix Vallotton by Roméo Mivekannin – a monumental canvas that ushers in the Sensuality theme. “I love huge canvases,” Martha admits. Several times. “But here, what really catches my eye, more than anything else, is the man’s gaze. I just read that it’s a portrait of the artist. Which makes the entire work even more fascinating. What is he doing, sitting there?”

Koyo Kouoh is only too happy to answer the question, because it’s both a tantalising image –a black man sitting at the end of a bed, on which a colourless woman reclines – and clearly also an overt criticism of Western art history. “It’s a wellknown motif in painting,” explains the curator, “the reclining nude. Or at least in the Western art world.” To take it further: a white male fantasy. Like Édouard Manet’s Olympia from 1863, which not only depicts a white, female nude, but also a black maid. However, the latter is so deep in the background that, for a long time, she was barely mentioned by art critics.

Until Félix Vallotton made his own interpretation of the painting in 1913 and transformed the maid into a self-confident black woman. She sits at the end of the bed, completely chill, gazing at the

by Ben Van Alboom

détendue, qui regarde le corps nu allongé. Roméo Mivekannin a ensuite à son tour réorienté cette œuvre dans une nouvelle direction en effaçant carrément le corps nu, en se mettant dans la peau de la femme noire sûre d’elle et en regardant le spectateur droit dans les yeux. « Son assurance, la façon dont il se donne sans crainte une place dans l’histoire de l’art, ont vraiment déterminé les choix que nous avons faits en organisant cette exposition », ajoute Koyo. Cette intrépidité, d’ailleurs, se retrouve en partie dans la manière dont Mivekannin joue avec la notion de genre dans cette œuvre. Remarquez qu’il est loin d’être le seul artiste à le faire dans cette exposition. « J’ai aussi l’impression qu’il s’agit de quelque chose qui a toujours existé », dit Martha. « Un troisième genre, l’absence de genre... Aujourd’hui, nous disposons de toutes sortes de noms et d’étiquettes pour y faire référence, de sorte que ces concepts ont une place officielle dans le monde et que nous en parlons davantage. Mais je crois vraiment que cela existe depuis toujours.

Une véritable révélation

Après avoir parcouru l’exposition pendant plus de trois heures, nous nous réfugions sur le toit du Kunstmuseum Basel pour reprendre notre souffle. Et profiter, au moins, de la vue sur le Rhin. (Naviguer, ce sera pour une prochaine fois.)

« C’était intense, mais j’ai hâte de visiter l’exposition à Bruxelles une deuxième fois et de la faire découvrir à tous mes amis », s’enthousiasme Martha. « Ils vont tous adorer ça ! » J’ai du mal à imaginer qu’on puisse ne pas aimer When We See Us. Cette exposition impressionnante, qui rassemble plus de 200 œuvres de plus d’une centaine d’artistes, est une vraie révélation.

« L’une des choses que nous avons essayé de faire », conclut Tandazani, « c’est de montrer qu’au cours des cent dernières années, de nombreux artistes ont créé des œuvres incroyables en dehors du courant dominant, en dehors du monde de l’art occidental. Mais aussi qu’il y a eu beaucoup d’artistes africains et panafricains qui ne s’inspiraient pas seulement des mouvements de libération. Ils n’ont pas vécu qu’à travers cela et l’essence de leur art se trouvait parfois ailleurs. Tout au long de l’histoire, les gens ont utilisé la peinture pour exprimer leurs émotions, pour réfléchir sur eux-mêmes,

naked woman in repose. Roméo Mivekannin, in turn, steered that work in yet another direction by virtually erasing the naked woman, casting himself as the assured black woman, and looking the viewer straight in the eye. “His assertiveness, the fearlessness with which he claims a place in art history, it really determined the choices we made in curating this exhibition,” Koyo says. That fearlessness, by the way, also informs Mivekannin’s play on gender in this painting. And he is – remarkably – far from the only artist to tread this path in the exhibition. “I’m also convinced that it’s something that’s been around forever,” says Martha. “A third gender, genderlessness, ... Nowadays, we’ve invented all kinds of names and labels for it, which means that it’s officially found a place in the world and is also discussed a lot more. But I genuinely believe it’s of all times.”

Eye-opener

After our three-hour tour of the exhibition, we escape to the roof of the Kunstmuseum Basel to catch our breath. And to enjoy a view of the Rhine, at least. (Floating down the river will be for another day.) “It was a lot, but I can’t wait to see the show in Brussels for a second time AND to bring all my friends along,” Martha says excitedly. “They’re going to love this too!” Truth be told, it’s hard to imagine anyone not being blown away by When We See Us. This jaw-dropping exhibition – with over 200 works by more than a hundred artists – is a real eye-opener.

“One of the things we’ve tried to do,” concludes Tandazani, “is to demonstrate that countless artists over the past one hundred years have done extraordinary and unexpected things beyond the mainstream, outside the Western art world. And to simultaneously show that African and pan-African artists are not exclusively inspired by the liberation movements. That it hasn’t been their only raison d’être. Nor has it necessarily been the essence of their art. People have used painting to express emotion, to reflect upon themselves and to tell their truth since time immemorial. And that’s no different in Africa and the African diaspora.”

Martha adds that this is also what she loves the most about the exhibition: “I adore snapshots. Small, everyday things that are easy to overlook because we see them as ‘mundane’ rather than

pour dire leur vérité. Ce n’était pas différent en Afrique et dans la diaspora africaine. » Martha ajoute que c’est aussi ce qui l’a le plus marquée : « J’aime les instantanés de petites choses quotidiennes qui sont trop facilement négligées parce que nous ne les considérons pas comme de la «joie», mais comme la «vie». Pourtant, si nous nous arrêtons cinq secondes pour y réfléchir, elles nous apportent énormément de joie. » Et c’est peut-être aussi ce qui rend cette exposition si intemporelle, et surtout si universelle, estime Tandazani. « Il s’agit d’une célébration de la vie », déclare-t-elle encore, « et tout le monde est invité à célébrer avec nous. »

Ben Van Alboom

L’exposition When We See Us se déroule du 7 février au 17 août 2025.

‘joyful’. But if we stop to think about it, for just five seconds, we’d see that they are the source of untold pleasure.” Tandazani believes that this might be why the exhibition feels so timeless and – above all else – universal. “It’s a celebration of life,” says the curator, “and everyone is invited to come and celebrate with us.”

Ben Van Alboom

The exhibition When We See Us runs from 7 February to 17 August 2025.

by
van Alboom
Mulanga, Cinthia Sifa, W, 2021, Courtesy of Serge Tiroche and the Africa First Collection
Adeniyi-Jones, Tunji, Turbulent Youth, 2021, Courtesy of the artist and White Cube

When We See When We See Us

FR L’exposition When We See Us se concentre sur la manière dont les artistes d’Afrique et de sa diaspora ont représenté leur quotidien au cours des cent dernières années. D’un point de vue qui est – malheureusement – assez rare dans l’histoire de l’art occidental.

« Dès le départ, il était clair que nous ne voulions pas créer une exposition centrée sur la violence et le trauma », déclare la commissaire d'exposition Koyo Kouoh, « mais plutôt sur l'aspect esthétique, l'aspect formaliste de la figuration noire, de la représentation noire dans la peinture figurative par des artistes d'Afrique et de la diaspora. » Pour la directrice du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa au Cap, il était tout aussi important que l’exposition « soit basée sur la Black Joy et son potentiel à exprimer l’expérience noire. »

Nous avons demandé à trois artistes belges - Alphonse Eklou Uwantege, Inès Eshun, Lou Cocody-Valentino - de choisir chacun·e une œuvre de l’exposition et de nous partager leur point de vue.

EN The exhibition When We See Us focuses on how leading artists from Africa and its diaspora have depicted their social environment over the past hundred years. From a point of view that is – unfortunately – quite unique in Western art history.

“It was clear from the outset that we didn’t want to make an exhibition centred on violence and trauma,” says curator Koyo Kouoh, “as opposed to the aesthetic, the formalist aspect of black figuration, of black representation in figurative painting by artists from Africa and the diaspora.” For the director of the Zeitz Museum of Contemporary Art Africa in Cape Town it was just as important that the exhibition be “based on black joy and its potential to express the black experience.”

We invited three Belgian artists - Alphonse Eklou Uwantege, Inès Eshun, Lou Cocody-Valentino - to choose a work in the exhibition and to shine a light on it from their perspective.

Alphonse Eklou Uwantege

Zandile Tshabalala, The Conversation, 2020

FR « Un corps. Deux paires de chaussures. Du lierre. Deux chaises ». C’est ce que voit l’artisteperformeur Alphonse Eklou Uwantege dans The Conversation. Pourtant, selon sa lecture, ce tableau de Zandile Tshabalala aurait aussi pu s’appeler Traces : « Il manque quelqu’un. C’est comme si l’autre personnage attendait encore quelqu’un. »

Ce n’est pas forcément une source de tristesse. « Le manque fait réfléchir à la manière dont on peut rendre hommage aux êtres qui nous sont chers », explique Uwantege. Comme son défunt oncle, dont l’artiste porte le prénom et prolonge ainsi son existence. « J’ai dû attendre longtemps pour connaître toute l’histoire. Le fait d’en parler continue à le faire vivre, en quelque sorte. De toute façon, je ne crois pas à la stricte séparation occidentale entre la vie et la mort ». Il s’agit d’un fil conducteur dans les performances artistiques d’Eklou Uwantege : réunir le passé et le présent par une pratique rituelle du souvenir. « Selon moi, la vie ne s’évapore pas », déclare l’artiste. « Elle glisse tout au plus d’une forme humaine à une forme non humaine ». Tout comme le lierre dans le tableau, qui s’enroule autour de la chaise de jardin. Lentement. Sans être dérangé. En passant presque inaperçu. « C’est une liberté rarement accordée aux corps de couleur », estime Eklou. « Lorsque j'ai regardé cette peinture pour la première fois, j'ai essayé de déterminer l’identité de genre du personnage. Jusqu’à ce que je réalise que c’est exactement ce qui m’arrive si souvent. Mais qu’importent ces classifications C’est juste un corps noir. Si extraordinaire dans sa banalité, parce que les corps noirs dans la culture visuelle sont encore trop souvent l’objet d’un regard blanc exotique. Notre présence n’est jamais neutre, même si nous essayons de l’être. En fin de compte, ce sont les spectateurs qui donnent un sens au corps noir. Mais The Conversation est une tentative précieuse d’ajuster ces interprétations classiques. De nous faire passer du statut d’objet à celui de protagoniste. »

EN “A body. Two pairs of shoes. An ivy plant. Two chairs.” This is what performing artist Alphonse Eklou Uwantege sees in The Conversation Although in their reading, Zandile Tshabalala’s canvas might just as well have been called Traces “Someone is missing. As though the other figure is waiting for someone.”

But this doesn’t have to be a sad thing: “Absence makes you think about how you can pay tribute to your loved ones.” Like their late uncle, who lives on in the artist’s first name. “I had to wait a long time for the whole story. But by talking about it, he still exists. Anyway, I don’t believe in the strict Western separation between life and death.” It is a common thread in Eklou Uwantege’s performance art: bringing past and present together through a ritualistic practice of remembrance.

“Life doesn’t dissipate, in my view,” says the artist. “At most, it slips from human to non-human form.” Like the ivy plant in the painting, wrapping itself around the garden chair. Slowly. Undisturbed. Almost unnoticed. It is a freedom rarely granted to bodies of colour, Eklou believes.

“When first looking at this painting,” they say, “I tried to figure out the gender identity of the character. Until I realised that’s exactly what happens to me, quite regularly. But what do these pigeonholes matter? It’s just a black body. So extraordinary in its banality, because black bodies in visual culture are still too often the object of an exoticizing white gaze. Our presence is never neutral, even if we try to be. Ultimately, it is bystanders who give meaning to the black body. But The Conversation is a valuable attempt to adjust those classical interpretations. To lift us from subject to protagonist.”

‘Black bodies in visual culture are still too often the object of an exoticizing white gaze’
Zandile Tshabalala, The Conversation, 2020, Courtesy of the Ditau Collection
Aaron Douglas, Boy with a Toy Plane, 1938, Courtesy of SCAD Museum of Art, gift of Dr. Walter O. Evans and Mrs. Linda J. Evans © Sabam2024

Inès Eshun

Aaron Douglas, Boy with a Toy Plane, 1938

FR Interrogée sur ce qui l’attire dans Boy with a Toy Plane, la scénariste et réalisatrice Inès Eshun parle de son style impressionniste et de ses tons austères.

« Nous avons été si longtemps sous-représentés dans l'histoire de l'art », explique l’autrice et cinéaste, « mais quel regard portons-nous sur nous-mêmes ? À mon avis, la représentation figurative des corps noirs a tendance à être très explicite. La nudité, ou du moins le désir de nudité, domine souvent. Les créateurs ont également souvent recours à des couleurs vives ou à des techniques qui mettent en valeur la couleur de la peau ». Comme si les représentations de personnages noirs ne pouvaient pas se passer de ces artifices.

Ici, l’artiste américain Aaron Douglas ne fait rien de tout cela, et pourtant cette toile stimule l’imagination. « En fait, elle raconte deux choses à la fois », explique Eshun. « Au premier coup d’œil, on voit un jeune homme tenant un avion miniature. Une scène qui pourrait être pleine d’espoir, celle d’un enfant qui a encore tout l’avenir devant lui. Mais l’expression de son visage trahit une certaine résignation ». « Il s’agit peut-être d’un reflet de l’esprit de l’époque », se dit Eshun en voyant la date qui borde l’œuvre : Douglas a peint cette toile à la fin des années 1930, une période marquée par le malaise économique et la ségrégation raciale. « Dans ce contexte historique, le garçon semble se demander ce que demain lui réserve. Mais bien sûr, ce que je lis là-dedans en dit long sur ma propre vision des choses. » Les rêves prudents de jeunes gens vulnérables sont un thème récurrent dans l’œuvre d’Eshun, notamment dans son court métrage acclamé La Vie d’Esteban. Le personnage principal y poursuit un avenir de nageur olympique en dépit des obstacles sociaux. « Dans ce film aussi, il est question d’un jeune enfant qui, en dépit des circonstances, s’interroge sur ses chances », explique la réalisatrice. « Quelles sont les possibilités qui s’offrent à moi ? Qui puis-je devenir ? »

EN Asked about the appeal of Boy with a Toy Plane, Inès Eshun cites the impressionistic style and austere tones.

“We’ve been underrepresented in art history for so long,” attests the author and filmmaker, “but how do we see ourselves? In my opinion, the figurative depiction of black bodies tends to be very explicit. Nudity, or at least a desire for nudity, often dominates. Creators are also inclined to use striking colours or techniques that emphasise skin colour.” As if images of black people couldn’t do without those trappings.

American artist Aaron Douglas does none of that here, and yet this canvas stimulates the imagination. “Actually, it says two things simultaneously,” says Eshun. “At first glance, you see a young man holding a miniature plane. It could be a hopeful scene, of a child who still has his whole future ahead of him. Only his facial expression betrays a certain resignation.” Perhaps it reflects the spirit of the times, Eshun muses as her eye clocks the date. Douglas painted this canvas in the late 1930s, an era of economic malaise and racial segregation.

“Set against that historical background, the boy seems to be wondering what the future holds for him. But of course, what I read in this work also speaks volumes about my own outlook.”

Vulnerable young people who cautiously dare to dream is a recurring theme in Eshun’s oeuvre. As in her acclaimed short film The Life of Esteban, in which the eponymous character pursues a future as an Olympic swimmer, despite the social obstacles. “Here too, the story revolves around a young child who, despite the circumstances, contemplates his chances,” says the filmmaker. “What is possible for me? Who can I become?”

Lou Cocody-Valentino

Kudzanai-Violet Hwami, An Evening in Mazowe, 2019

FR Elle n’arrive pas à mettre le doigt dessus, mais An Evening in Mazowe suscite une réaction instinctive chez l’artiste pluridisciplinaire Lou Cocody-Valentino. « C’est un sentiment qui vient des tripes », avoue-t-elle honnêtement.

« S’agit-il des couleurs ? De la maison en arrièreplan ? De la chaise archétypale ? Je ne sais pas, mais quelque chose d’intime émane de cette toile. Quelque chose de vulnérable aussi. D’une certaine manière, elle me rappelle des souvenirs chaleureux ». De la Martinique, où se trouvent ses racines. De sa tante.

« Ce tableau ressemble à une photo de famille », poursuit Cocody-Valentino. « J’ai encore quelque part un portrait similaire de ma tante, assise de la même manière devant sa maison. En fait, je pense que beaucoup de gens ont ce genre de photo qui traîne. » La peintre britannico-zimbabwéenne Kudzanai-Violet Hwami s’inspire régulièrement d’images trouvées telles que des photos de famille. « Je ne le savais pas au départ », déclare Cocody-Valentino. « Son travail m’avait déjà attirée quand je l’ai vu à Paris il y a quelques années. Aujourd'hui, je comprends pourquoi. » Dans sa propre pratique artistique, Cocody-Valentino revient aussi régulièrement à des photographies de son environnement immédiat. « Qu’il s’agisse d’une sculpture ou d’une installation, j’essaie toujours d’évoquer une expérience humaine authentique. Cela fonctionne mieux lorsque je m’inspire de mon quotidien. » Ces représentations quotidiennes sont-elles nécessaires pour changer le récit qui entoure la figuration noire ? « Non, je ne pense pas. Enfin, selon moi, chaque artiste devrait être libre à ce sujet. Ce n’est pas à nous de montrer au monde que nous sommes des gens normaux. J’apprécie toutefois que de plus en plus de créateurs comme Hwami fassent fi des clichés dominants. Cette peinture n’est qu’un reflet honnête de la vie telle qu’elle est. Rien de plus. »

EN She can’t put her finger on it, but An Evening in Mazowe elicits an instinctive reaction in multidisciplinary artist Lou Cocody-Valentino. “It’s a deep, gut feeling,” she admits honestly. “Is it the colours? The house in the background? The archetypal chair? I don’t know, but something intimate emanates from this canvas. Something vulnerable too. It somehow evokes warm memories.” Of Martinique, where her roots lie. And her aunt.

“This painting resembles a family photo,” CocodyValentino continues. “I probably have a similar portrait of my aunt somewhere, sitting before her house in the same way. Actually, I think many people have such an image lying around.”

British-Zimbabwean painter Kudzanai-Violet Hwami regularly departs from found imagery such as family photos. “I didn’t know that initially,” says Cocody-Valentino. “When I saw her work in Paris a few years ago, I was also already drawn to it. Now I understand why.” In her own artistic practice, Cocody-Valentino regularly relies on photographs from her immediate surroundings as well. “Whether I make a sculpture or an installation, I always try to evoke an authentic human experience. This works best when I draw from the world around me.”

Are these familiar representations essential to changing the narrative of black imagery? “No, I don’t think so. But as far as I’m concerned, every artist should have this freedom. It’s not up to us to show the world that we’re normal people. Though I do appreciate that more and more creators, like Hwami, are disregarding the prevailing clichés. This painting is quite simply an honest reflection of the reality. No more, no less.”

Kudzanai-Violet
Hwami, An evening in Mazow e, 2019, Courtesy of Jorge M. Pérez Collection, Miami

Davóne Tines rend hommage à Paul Robeson, un autre célèbre baryton-basse

FR Novateur, audacieux, exubérant, saisissant, voilà quelques adjectifs qui qualifient l’œuvre du baryton-basse américain Davóne Tines. Et ce, avant même qu’il ne lance son projet de récital consacré à Paul Robeson, un autre baryton-basse américain, qui fut un jour dans le collimateur de la CIA !

« Davóne Tines est en train de changer ce que signifie être un chanteur classique », titrait le célèbre critique musical Alex Ross en 2021 dans le New Yorker. Quiconque a vu Tines à l’œuvre dans Hadrian de Rufus Wainwright à Bozar la saison dernière comprendra exactement ce que Ross veut dire. Avec sa personnalité charismatique, Tines n’est clairement pas un chanteur classique comme les autres. Cette saison, il est de retour à Bozar avec son projet de récital No. 2: Robeson, dans lequel il révèle son lien avec le chanteur et activiste Paul Robeson, icône de la lutte contre le racisme et les inégalités aux États-Unis. « Bien que je ne me considère pas du tout comme un activiste », précise Tines, « mais un chanteur, en revanche… ».

Avez-vous toujours su que vous vouliez devenir chanteur ?

Davóne Tines: « Enfant, j’aimais beaucoup la musique, surtout le violon. Je chantais également dans la chorale de l’église de mon village en Virginie (USA). Mon grand-père, un musicien de rock, m’a convaincu que j’avais une voix particulière. Je me souviens qu’il m’a demandé, après une répétition, comment cela se passait, et je lui ai répondu que c’était ‘opératique’. Il m’a alors dit que je devais vraiment faire quelque chose de ma voix. Peu de temps après, j’ai rejoint la compagnie locale de comédie musicale et en effet, il s’est avéré que j’étais très doué. Peu à peu, je me suis rendu compte que je pouvais me livrer davantage en tant que chanteur que comme violoniste, car je trouvais le contact avec le public plus direct. »

EN Groundbreaking, daring, exuberant, striking – those are just a few of the adjectives used to describe the work of American bass-baritone Davóne Tines. And that was even before his recital project about that other American bassbaritone, Paul Robeson, who was once in the CIA’s sights!

“Davóne Tines is changing what it means to be a classical singer,” ran the headline of renowned music critic Alex Ross’ article in The New Yorker, back in 2021. Anyone who saw Tines at work in Rufus Wainwright’s Hadrian at Bozar last season will understand exactly what Ross meant. With his charismatic personality, it is evident that Tines is no ordinary classical singer.

This season, he returns with his recital project No. 2: Robeson, in which he reveals his connection with the singer and activist Paul Robeson – an icon in the fight against racism and inequality in the US. “Although I don’t see myself as an activist at all,” Tines immediately makes clear. “A singer on the other hand ...”

Did you always know that you wanted to sing?

Davóne Tines: “As a child, I was always busy with music, especially playing the violin. I also sang in the church choir in my town in Virginia. My grandfather, a rock musician, convinced me that I had a distinctive voice. I remember him asking me, after a rehearsal, how it was going, and I responded with ‘operatic’. He replied that I ought to do something with my voice. Shortly afterwards, I joined the local musical group, and I turned out to be really good. Gradually, I also realised that I could enjoy myself more as a singer than as a violinist, because I found the contact with the audience more direct.”

Votre ambition de chanter professionnellement s’est-elle développée en même temps ?

Tines : « Mes parents n’étaient pas très enthousiastes à l’idée d’une carrière musicale professionnelle. J’ai donc d’abord étudié la sociologie et la gestion culturelle à Harvard, après quoi j’ai commencé à travailler dans le secteur culturel à divers postes de production et d’administration. Mais le chant ne m’a pas lâché et, après plusieurs auditions dans des conservatoires, j’ai été accepté à Juilliard, à ma grande surprise. Mais cette période n’a pas été facile, car tout y est axé sur la perfection. Attention : j’étais là pour m’améliorer sur le plan vocal, mais je ne me sentais pas libre. Il était vraiment vital pour moi d’apprendre à connaître des compositeurs vivants qui m’ont donné une nouvelle perspective sur le chant. »

Quels sont les compositeurs qui ont finalement joué ce rôle ?

Tines : « Matthew Aucoin a beaucoup influencé ma carrière. Il a écrit l’opéra Crossing en 2015, dans lequel j’ai joué le rôle d’un esclave fugitif en pleine guerre civile. Ce rôle avait beaucoup à voir avec l’histoire de ma famille, qui a souffert de l’esclavage pendant huit générations. John Adams a également eu une grande influence sur moi. Dans son opéra Girls of the Golden West, lui et Peter Sellars ont réussi à exposer les côtés sombres de la ruée vers l’or californienne. Cela m’a encouragé à puiser encore plus loin dans mes expériences personnelles. »

Comment concevez-vous aujourd’hui vos propres soirées de concert ?

Tines : « J’essaie toujours de trouver des œuvres qui ont une pertinence dans le contexte actuel et qui me touchent personnellement. Cela peut parfois conduire à des combinaisons peu évidentes : j’estime que Bach, du gospel, Eastman, Shaw et Schönberg peuvent parfaitement coexister. Je conçois également mes concerts comme une histoire, à l’instar d’un film ou d’un opéra. Lors de mon premier récital, j’ai pris la messe pour point de départ, avec des sections telles que le Kyrie et le Gloria en tant qu’éléments structurels. J’ai également ajouté des compositions contemporaines pour explorer de nouvelles couches de signification et m’interroger sur ce que la spiritualité peut signifier aujourd’hui. Nous vivons notre monde sous une forme

Did your ambition to sing professionally grow in tandem?

Tines: “My parents weren’t immediately keen on a professional music career. So, I first studied sociology and cultural management at Harvard, after which I started working in the cultural sector in various production and administrative jobs.

‘I always try to find music with great contemporary relevance’

But singing didn’t let me go, and after several auditions at conservatories, and much to my surprise, I was accepted at Juilliard. It wasn’t an easy period, however, because everything at the school revolves around perfection. Don’t get me wrong: I definitely wanted to improve vocally, but I just didn’t feel free. It was absolutely vital for me to get to know living composers, and they gave me a new perspective on singing.”

Which composers specifically?

Tines: “Matthew Aucoin was very influential in my career. He wrote the opera Crossing in 2015, in which I played a runaway slave during the Civil War. That role was also entwined with the history of my family, who suffered under slavery for eight generations. John Adams was another huge influence. Together with Peter Sellars, he succeeded in exposing the dark side of the Californian gold rush in the opera Girls of the Golden West. It encouraged me to dive even deeper into my personal experiences.”

How do you arrange your concert nights?

Tines: “I always try to find music with great contemporary relevance, and which touches me personally. It can sometimes lead to some surprising combinations: Bach, gospel, Eastman, Shaw and Schönberg can, in my view, happily coexist. I also regard my concerts as a form of storytelling, as in a film or opera. In my first recital, I used the celebration of mass as a starting point, with the Kyrie and Gloria as structural building blocks. I also added some contemporary compositions to explore new layers of meaning and question what spirituality can mean today. We experience our world in narrative form, and I also

Davóne Tines © Noah Morrison

narrative, et je pense que c’est aussi la meilleure façon de communiquer avec mon public. »

Dans votre deuxième récital, No. 2: Robeson, vous vous concentrez sur l’acteur, le chanteur et l’activiste Paul Robeson. Pourquoi ?

Tines : « À cause de ma voix grave, on m’a souvent comparé à Paul Robeson et demandé de chanter Ol’ Man River. Au début, cela m’ennuyait, mais j’ai décidé de découvrir sa vie et j’ai été fasciné. Robeson a été empoisonné au LSD par la CIA lors de son exil à Moscou et a tenté de se suicider. Cela m’a révélé qu’il était non seulement un grand artiste, mais aussi une personne vulnérable. Nous traversons tous des moments difficiles, mais nous trouvons le moyen de continuer, comme lui. »

Comment donnez-vous une forme concrète à ce récital ?

Tines : « Il est conçu comme un voyage imaginaire sous LSD. Nous revivons la vie de Robeson à travers des mélodies qu’il chantait lui-même, du classique au gospel en passant par Broadway, et avec des instruments électroniques. John Bitoy, figure majeure du jazz expérimental, et Khari Lucas m’aident à créer l’atmosphère adéquate et à renforcer l’effet hallucinatoire grâce à leur talent pour manipuler et magnifier les sons acoustiques. »

Comme Robeson, vous considérez-vous comme un activiste ?

Tines : « Non, un activiste travaille activement au changement social. À travers mon art, je peux certainement exercer une influence et, avec mon identité d’homme noir et gay, même montrer une forme d’engagement. Mais je ne fais pas consciemment ressortir ces éléments, qui sont pourtant présents dans mes spectacles. Bien sûr, il se peut que mon travail soit interprété politiquement, mais c’est principalement parce que certains estiment que mon identité est politique. Car mon intention est purement de raconter une histoire personnelle, ce qui est peutêtre encore trop rare dans la musique classique. »

Enfin, que pourrait faire une institution comme Bozar pour se diversifier davantage ?

Tines : « La diversité dépasse la simple inclusion d’artistes de couleur. Les institutions doivent activement se questionner sur l’absence de certains groupes dans le public et revoir leurs

think it’s the best way to communicate with my audience.”

In your recital No. 2: Robeson, you focus on the actor, singer and activist Paul Robeson. Why?

Tines: “I was frequently compared to him, because of my low voice. I’ve lost count of how many times I’ve been asked if I know Paul Robeson and the song ‘Ol’ Man River’ from the musical Show Boat ... To be honest, I hardly knew anything about him in the beginning, and I was always slightly annoyed at being asked to sing that song. But then I decided to delve into his life and became fascinated by his story. The CIA poisoned Robeson with LSD during his political exile in Moscow and he attempted suicide in his hotel bathroom. It made me realise that he was not only an exceptionally talented artist, but also a very vulnerable person. Everyone has a moment when they think they can’t go on, yet they still find a way to get through. That’s what he did.”

How do you capture this in the recital?

Tines: “It’s devised like an imaginary LSD trip. We relive Robeson’s life through the songs that he sang – ranging from classical, gospel and Broadway, and involving electronic instruments. John Bitoy, a major figure in experimental jazz, and Khari Lucas helped me create the right atmosphere and, thanks to their talent for manipulating and magnifying acoustic sounds, they were able to enhance the hallucinatory effects.”

Do you see yourself as an activist, like Robeson?

Tines: “No, an activist actively works for social change. I can certainly have an influence through my art, and my identity as a black, gay man can even be a form of engagement. But I don’t consciously bring out those elements, although they do feature in my performances. Of course, it may be that my work is interpreted politically, but that is mainly because some people find my identity political. My sole intention is to tell a personal story – something that, even now, happens all too little in classical music.”

What can an institution like Bozar do to become more diverse, you feel?

Tines: “Diversity goes far beyond just giving more artists of colour a stage. Institutions must continue to actively experiment and question why

méthodes de travail. Il s’agit d’une réflexion profonde et permanente. Heureusement, beaucoup d’institutions se montrent prêtes à agir concrètement pour plus de diversité. J’espère que cela mènera à un véritable changement. »

Maarten Sterckx

Davóne Tines sera accompagné de son groupe The Truth dans un récital spécial à Bozar le 8 février 2025.

certain groups are not in the audience. It’s about deep, ongoing reflection in the way they think and work. I’m already seeing that institutions are not merely saying they want more diversity, that they are actually willing to experiment with it. Hopefully that will lead to real change.”

Maarten Sterckx

Davóne Tines & The Truth play the Henry Le Bœuf Hall on 8 February 2025.

The Sofa Sessions by Young Ambassadors

FR Six jeunes ambassadeur·ices féru·es d’art explorent les programmes artistiques de Bozar pour dénicher le prochain défi intergénérationnel ! Faites connaissance avec Yohana Bayekula (art de la performance), Pia Bonafede (littérature), Olivia Jadesola Foresythe (musique non classique), Mireia Vaquer Fortuny (musique classique), Alice Pamart (cinéma) et Löah Salik (exposition). Dans le cadre de l’exposition When We See Us, elles invitent des artistes internationaux·ales pour des Sofa Sessions intimes. Ce salon nomade encourage le dialogue autour de thématiques chères aux jeunes générations. Pour ouvrir le bal, le barytonbasse américain Davóne Tines mènera la première conversation. Mais qui sera le ou la prochaine artiste à se prêter au jeu, à inspirer et à susciter l’engagement ?

EN Six art-savvy Young Ambassadors delve into Bozar’s artistic programs to spot the next intergenerational challenge! Meet Yohana Bayekula (performance art), Pia Bonafede (literature), Olivia Jadesola Foresythe (non-classical music), Mireia Vaquer Fortuny (classical music), Alice Pamart (cinema), and Löah Salik (exhibition). In the framework of the When We See Us exhibition, they will invite international artists for informal Sofa Sessions. This nomadic salon tickles dynamic discussions on themes close to the hearts of the younger generation. American Bass-baritone Davóne Tines is ready to put himself on the line to lead the conversation, who will join next to inspire and engage?

Young
Ambassadors at Bozar © Robin Joris Dullers
‘Every last Thursday of the month you can visit Bozar a little longer and enjoy exhibitions,

DJ sets, performances and drinks with friends’

Bozar All Over the P(a)lace

FR Chaque dernier jeudi du mois, Bozar sort le grand jeu et met son bâtiment tout entier au service de Bozar All Over the P(a)lace. De 18 heures à minuit, assistez à des concerts, des performances, des conférences, des films, des DJ sets et, bien sûr, à toutes les expositions en cours dans les différentes salles du Palais.

EN Every last Thursday of the month, Bozar pulls out all the stops and throws open all its doors for an event like no other: Bozar All Over the P(a)lace. From 18:00 to midnight, and throughout the Palace’s numerous spaces, you’ll run into concerts, performances, talks, films, DJ sets and – of course – all the ongoing exhibitions.

À la recherche d’une nouvelle chanson pour Bruxelles

FR Pour la nouvelle édition de Let’s Zing Ensemble, Bozar a commandé de nouvelles chansons sur le thème de Bruxelles, interprétées par des chœurs de la capitale et d’autres régions. Des ensembles bruxellois ont participé, illustrant que chanter ensemble crée un lien même sans parler.

Aujourd’hui, jour d’élections, l’atmosphère est électrique alors que je traverse le Mont des Arts pour rejoindre la Salle Henry Le Bœuf. Là, des harmonies chaleureuses remplacent la fièvre politique. Des dizaines de chanteur·euses amateur·ices entonnent à l’unisson Let Us Be Us, sur scène. Cette chanson est l’une des dix nouvelles œuvres qui résonneront cet aprèsmidi, lors de la première répétition de Let’s Zing Ensemble. Quinze chœurs, principalement bruxellois, qui se sont préparés et se retrouvent pour la première fois. Les chanteurs et chanteuses cherchent encore leurs repères dans cette vaste salle, mais les chef·fes de chœur les guident avec fermeté et espoir. « Cette journée est plutôt axée sur le fait de se retrouver, c’est important », déclare la cheffe Emily. « Nous cherchions un nouveau répertoire vocal pour Bruxelles », explique Hidde van Schie, coordinateur du projet. « Un répertoire transcendantal, mais pas religieux. Multilingue, mais pas folklorique. Nous avons choisi dix compositeur·ice·s n’ayant jamais écrit pour chœur. Par exemple, Let Us Be Us est de Laryssa Kim, qui fait de l’électroacoustique. Laïla Amezian vient de la culture maghrébine chaabi, où l’on chante sans polyphonie. » Dans la Salle Terarken de Bozar, Maarten Van Ingelgem, un chef de chœur expérimenté qui a guidé les compositeur·ice·s dans leur processus de travail, dirige quelques autres chorales à travers le répertoire. Je l’entends dire : « Vous êtes un peu en retard sur les autres, c’est comme un rallentando ! » Il est parfaitement bilingue et même trilingue, comme il se doit à Bruxelles. « C’est un répertoire différent de celui auquel je suis habitué », avoue Geert, chanteur du chœur gantois De 2de Adem.

EN For Let’s Zing Ensemble, Bozar commissioned new music about Brussels – for choirs in the capital and beyond. Brussels ensembles, meanwhile, put it to the test: “Even without speaking, you feel a bond when you sing together.”

It’s election day, and it’s crazy to try and cross the Mont des Arts, where voting fever is brewing, to the Henri Le Bœuf Hall, where only the warmest harmonies are raising the temperature. From on the stage and in the hall, dozens of amateur singers chorus in unison, Let us be us!

It is one of the ten new songs that will resound from the historic walls this afternoon, during the first rehearsal for Let’s Zing Ensemble. Fifteen choirs, mostly from Brussels, have rehearsed a few of the works each and are practicing together for the first time today. The immense hall is a challenge for the singers but the conductors lead them with a steady hand and high hopes. “Today is more like a gathering,” says conductor Emily. “Coming together is important now.”

“We were looking for a new songbook for Brussels,” says Hidde van Schie, responsible for the project at Bozar. “Transcendental, but not religious. Multicultural and multilingual, but not folkloric. We deliberately selected ten composers who have never previously written for choirs. Let Us Be Us, for instance, is by Laryssa Kim, who makes electro-acoustic music. And Laïla Amezian comes from the Maghrebian Chaabi culture, in which there is a lot of singing, but not polyphony. Kaito Winse, in turn, has a post-punk band.”

Maarten Van Ingelgem, an experienced conductor who guided the composers during the working process, leads some of the other choirs through the repertoire in Bozar’s Terarken Hall. “You’re a bit behind the rest,” I hear him say, “comme un rallentando!” Perfectly bilingual and even trilingual, which is how it goes in Brussels. “It’s a different kind of repertoire than I’m used to,” admits Geert – a singer with De 2de Adem (2nd Breath) from Ghent. “I’m especially curious to see

Retour à la Salle Henry Le Bœuf avec Esinam Dogbatse. Sa composition Freedom, Peace and Love est épurée, dit-elle. « Je cherchais une phrase que tout chanteur pourrait répéter jusqu’à l’incarner. Pour moi, le pouvoir de Bruxelles réside dans cette liberté, cette paix et cet amour. J’ai des racines ghanéennes et j’ai beaucoup voyagé, mais chaque fois que je rentre, je sens que cette ville - pourtant imparfaite - est libre et accueillante, ouverte. »

Sergiy, membre d’une chorale de réfugié·es ukrainien·nes, est du même avis. « Je suis fier de présenter notre talent et notre culture ici. Nous n’avons pas encore parlé aux autres, mais nous sentons un lien. C’est ce qu’apporte le fait de chanter ensemble. En Ukraine, on chante partout, ça permet de tenir bon. » Un peu plus loin, Daniel et Robbie de la chorale LGBTQIA+ Sing Out Brussels discutent. « C’est génial de rencontrer d’autres chorales de la ville. » Et que pensent-ils des chansons ? « Poppies in the Sky est intéressante car son aspect psychédélique contraste avec les morceaux pop de notre répertoire. » Judith Kiddo, la compositrice, apprécie le compliment : « Je voulais évoquer la nature avec l’image reconnaissable des coquelicots, rappelant la Première Guerre mondiale en Belgique. De plus, le fait que le coquelicot symbolise aussi la Palestine donne à la chanson une signification encore plus intense. » Deux semaines seulement après cette première répétition commune, les chœurs se retrouvent avec l’orchestre (avec, entre autres, des membres du Young Belgian Strings et de l’Orchestra Academy). Le jour du concert ! Trois heures de répétition, et hop, tout le monde sur scène. Pour Hidde van Schie, ce défi est aussi important que la rencontre : « Let’s Zing Ensemble n’est pas seulement une occasion de se rencontrer autour d’un chouette projet. Un projet social ne fonctionne pas sans ambition artistique. Nous espérons vraiment ajouter quelque chose au répertoire choral existant : de nouvelles idées, de nouvelles histoires. Tant que les participant·es se sentent inspiré·es, nous sommes sur la bonne voie. »

Jasper Van Loy

Vous aussi, vous voulez chanter le répertoire du Let’s Zing Ensemble ? Toutes les compositions et tous les tutoriels sont disponibles sur le site web de Bozar.

what it will be like with the orchestra.”

Back to the Henri Le Bœuf hall, where composer Esinam Dogbatse looks on. Her song Freedom, Peace and Love is above all épuré, she tells herself. Undressed, so to speak. “I was looking for one phrase that any singer can repeat until it becomes part of them. For me, the power of Brussels also lies precisely in that freedom, peace and love. I have Ghanaian roots and have travelled a lot. But every time I come home, back here, I feel: this city is free and welcomes you. It’s not perfect, but – above all – it’s open.”

Sergiy, a member of a choir with refugees from Ukraine, is in complete agreement. “I’m proud that we can showcase our talent and culture here. We haven’t been able to speak to the other choirs yet, but you already feel a connection. That’s what singing together does to you. In Ukraine, everyone sings – everywhere! It keeps us going.”

A little further on, Daniel and Robbie from the LGBTQIA+ choir Sing Out Brussels are enjoying a post rehearsal chat. “It’s great to get to know other choirs from the city.” And what do they think of the songs? “Poppies in the Sky is particularly fun: very psychedelic, it’s different to the pop songs in our own repertoire.” Judith Kiddo, the song’s composer, is delighted: “I wanted to do something with nature and poppies, the latter of which remind me of the First World War in Belgium. It’s a recognisable image. One in which listeners can find a deeper layer. But the fact that the poppy also symbolises Palestine naturally gives the song even greater meaning.”

The choirs won’t see the orchestra until a fortnight after this first group rehearsal. On the day of the performance itself! Three hours of rehearsals, and then straight onto the stage. For Hidde van Schie, that challenge is as important as the coming together: “Let’s Zing Ensemble is not just about socialising. A social project doesn’t work without artistic ambition. Our hope is to genuinely add something to the existing choral repertoire: new ideas, new stories. For as long as it inspires the participants.”

Want to try your hand at the Let’s Zing Ensemble repertoire? All compositions and tutorials are available on the Bozar website.

‘The immense hall is a challenge for the singers but the conductors lead them with a steady hand and high hopes’
Left to right, top to bottom: Romeu Runa, preparing the salt for the performance of Sybille, H&W, NY, 2016 / Label Sole Mio blankets / Detail from press clipping, source unknown / To Zurbaran, 2015, Berlinde De Bruyckere / Christ crowned with Thorns, Antonello da Messina (1470), The Metropolitan Museum of Art, NY

“ Souvenirs et archives sont pour moi des concepts qui se rejoignent et qui forment un grand flux d’images dans ma tête : images des conflits politiques et de leurs conséquences déchirantes dans les journaux, objets du quotidien, images tirées de l’histoire de l’art, du cinéma et des arts du spectacle. C’est la répétition constante de l’horreur et de la beauté que nous, êtres humains, ne comprenons pas, mais dont nous faisons malgré tout partie. Mon travail est toujours un précipité du regard et du questionnement que je pose sur le monde, en tant qu’être humain et en tant qu’artiste. Si vous menez honnêtement une vie d’artiste en absorbant les choses autour de vous comme une éponge, à un moment donné, il faut que cela ressorte, prenne forme, devienne une image. Sinon vous explosez. "

Berlinde

De Bruyckere

“Memory and archive are two concepts that coincide for me and form one big stream of images in my mind: images from newspapers of political conflicts and their disruptive consequences, of everyday objects, images from art history, cinema and the performing arts. It is the ever-recurring horror and beauty that we, as humans, do not understand, but of which we are nevertheless a part. My work is always a reflection of how I look at and question the world as a person and as an artist. If you have an honest approach to life as an artist and absorb the things around you like a sponge, at some point it has to come out, it has to take shape, become an image. Otherwise you explode."

Du 21 février au 31 août 2025, Berlinde De Bruyckere présente une exposition à grande échelle à Bozar, comprenant des œuvres récentes et d’autres plus anciennes. L’artiste offre un rare aperçu de son univers artistique dans les pages qui suivent.

From 21 February to 31 August 2025 onwards, Berlinde De Bruyckere presents a large-scale exhibition at Bozar (including both recent and older work). The artist grants a rare glimpse into her artistic universe on these pages.

Left to right, top to bottom: Slaughtered cows, abattoir of Rekkem, Belgium / Inspiration image for Nicht schlafen, les Ballets C de la B / Funeral memorial card depicting The Crucifixion, Rogier Van Der Weyden (1443-1445) / Romeu, 2010 (detail), Berlinde De Bruyckere/ 18th century anatomic etching, comissioned by surgeon John Bell
Left to right, top to bottom: Weathered blankets for PEL, 2021 / Phantom mare, Ghent University veterinary hospital / Romeu Runa modeling in studio, 2008 / Press clipping of women during Islamic prayer, source unknown, and images preparations for in situ work Doris Halfmann, 1994 / Schmerzensmann drawings Berlinde De Bruyckere / Scene from Bloedwollefduivel, Ro Theater, 2001
Left to right, top to bottom: Antique leather grips, France / Marble sculpture of St. Bartholomew skinned, Marco D’Agrate, 1562 / Ex libris for edition Salon Verlag, reprint of Saint Julien the Hospitaler, Gustave Flaubert / Still life with pionies (detail), source unknown
Left to right, top to bottom: Jelle Luipaard modeling in studio, 2004 / Salted skins, skin workshop Geeroms, Anderlecht, 2014 / Calvary (detail), German Renaissance, source unknown / Judith with the Head of Holofernes, Lucas Cranach d.Ä. (c.1530) / Press clipping of refugees, source unknown / Scene from Nicht schlafen, Les Ballets C de la B, 2016
Monira Al Qadiri
by Raisa Hagiu

Monira Al Qadiri ponders:

‘Who qualifies as human? Who qualifies as beast?’

FR La relation entre l’homme et l’animal s’est tellement détériorée au cours des derniers siècles que pendant la pandémie, nous avons été étonnés de voir soudainement des animaux réapparaitre dans « nos » villes. « Alors que nous vivons dans le même monde », proclame l’artiste koweïtienne Monira Al Qadiri.

À propos de pandémie : en 2021, Monira Al Qadiri aurait dû donner une conférence-performance à Bozar, mais celle-ci a finalement eu lieu en ligne. Le sujet de cette conférence avait justement un lien avec le coronavirus. « Quand les musées ont été autorisés à rouvrir partiellement après le premier confinement, je suis allée au Musée égyptien de Berlin. Il fallait que je sorte de chez moi ! Là, j’ai été attirée par deux mains, tout ce qui restait d’une statue de Néfertiti et d’Akhenaton vieille de trois mille ans », se souvient l’artiste. Fascinée par ce lien apparemment éternel, Al Qadiri commence alors à se renseigner sur « tout ce qui touche au couple royal et à l’Égypte

‘Aujourd’hui, nous avons du mal à admirer les tigres, tandis que chez les Égyptiens, notre destin était entre les mains d’un oiseau !’

ancienne ». C’est à ce moment-là que Bozar l’invite à donner une conférence « sur n’importe quel sujet », explique l’artiste, « il fallait que ce soit là-dessus, c’était une évidence ». Mais même la poignée de main millénaire d’un couple royal égyptien n’a pas résisté au confinement suivant, et Al Qadiri n’a jamais pu se rendre à Bozar. « Avoir l’opportunité de reprendre le fil de l’histoire aujourd’hui me rend extrêmement heureuse », déclare l’artiste. « D’autant que je peux désormais y inclure ma fascination pour les univers parallèles.

EN The relationship between humans and animals has become so distorted in recent centuries that, during Covid, we were stunned when animals suddenly moved into ‘our’ cities. “I mean, we do still live on the same planet,” exclaims Kuwaiti artist Monira Al Qadiri.

Talking about Covid: in 2021, Monira Al Qadiri was already supposed to give a lectureperformance at Bozar, but due to the pandemic, it ended up taking place online. Moreover, the topic of that lecture was also the result of the pandemic. “When museums were allowed to reopen again after the first lockdown,” recalls the artist, “I rushed to the Egyptian Museum in Berlin. I just had to get out of the house! There, I was drawn to two hands – all that remained of a three-thousand-year-old statue of Nefertiti and Akhenaten.”

Al Qadiri was mesmerised by that seemingly eternal touch and she started digging up everything she could about the royal couple and ancient Egypt. At that very moment, the artist was asked by Bozar to give a lecture “on any subject,” the artist recalls, “so it was obvious that it had to be about that.” But even a millennia-old handshake of an Egyptian king and queen was no match for yet another lockdown, and Al Qadiri never made it to Bozar.

“Luckily, Bozar let me pick up the thread,” says the artist, “and that makes me intensely happy. Especially since I can now also incorporate my fascination with parallel universes. I often felt so lost during the pandemic that I started pondering parallel timelines and worlds.”

Quite specifically, the Kuwaiti artist is brooding on an ambitious exhibition consisting of four installations that explores the relationship between humans and animals ... through the lens of ancient Egypt. “I call it The Archaeology of Beasts,” Al Qadiri enthuses. “Because who qualifies as human? Who qualifies as beast? And is one’s life worth more than the other? Certainly today, these are pertinent questions – at a time

Pendant la pandémie, je me suis souvent sentie tellement perdue que j’ai commencé à penser à des espaces-temps parallèles » Très concrètement, l’artiste koweïtienne propose à Bozar une exposition ambitieuse composée de quatre installations explorant la relation entre l’homme et l’animal... à travers le prisme de l’Égypte ancienne. « Je l’ai appelée The Archaeology of Beasts », s'enthousiasme Al Qadiri. « Quand est-on un humain ? Quand eston une bête ? Et la vie d’une personne peut-elle valoir plus que celle d’une autre ? Ces questions sont particulièrement pertinentes aujourd’hui, à l’heure où nous prenons conscience de la nécessité de repenser notre rapport à la nature et d’abandonner l’idée que nous pouvons la contrôler. »

Un message environnemental

C’est loin d’être la première fois que Monira Al Qadiri aborde les questions écologiques, « sans doute parce que je viens d’un pays qui produit du pétrole, ce qui fait que je me sens responsable de la fin du monde ». Elle rit, mais elle est aussi sincère. « L’écologie est un vaste domaine, et je me suis récemment beaucoup intéressée à la relation entre l’homme et l’animal. Parce qu’elle est très différente aujourd’hui de ce qu’elle était autrefois. Nous vivons tellement cloisonnés que nous sommes déconcertés lorsque des animaux “sauvages” apparaissent soudainement dans nos rues et nos rivières en pleine pandémie. Comme si nous avions complètement oublié qu’ils vivaient dans le même monde. La différence avec l’Égypte ancienne ne pourrait être plus grande, car à cette époque, les animaux y étaient encore représentés comme des dieux. »

L’artiste donne l’exemple de Thot, un dieu égyptien à tête d’oiseau qui décide si quelqu’un est digne d’accéder au paradis. « Sur une balance, il compare le poids de votre cœur à celui d’une plume, et si le cœur pèse plus lourd que la plume, il est jeté aux crocodiles et vous n’avez pas le droit d’aller au paradis. » Al Qadiri se redresse :

« Aujourd’hui, nous avons déjà du mal à admirer les lions ou les tigres, tandis que chez les Égyptiens, notre destin se trouvait entre les mains d’un oiseau ! »

Pour réaliser cette exposition, l’artiste s’est bien sûr rendue plusieurs fois en Égypte. D’une part, pour faire des recherches : « mon amour

when we are well aware that we need to rethink our relationship with nature and abandon the idea that we can control it.”

Environmental message

It is far from the first time Monira Al Qadiri has tackled ecological issues, “but I guess that’s because I come from a country that produces oil, which makes me feel responsible for the end of the world.” She laughs but seemingly means what she says. “Ecology is a broad field, though, and I have recently been very preoccupied with the relationship between humans and animals. Because that’s very different today than what it used to be. Nowadays, we live so segregated from each other that we are stunned when ‘wild’ animals suddenly appear in our streets and rivers during a pandemic. As if we had completely

‘You don’t need VR glasses to enter a parallel universe’

forgotten that these animals live in the same world. The difference with ancient Egypt, where animals were depicted as gods, could not be greater.”

The artist gives the example of Thoth, an Egyptian god with the head of a bird who decides whether or not someone goes to the afterlife. “He puts your heart on a scale with a feather, and if the heart weighs more than the feather, there is a small alligator that eats it. And that’s it! Your life is over, and you don’t go to heaven.’ Al Qadiri jumps up straight: “Today, we are barely in awe of lions or tigers, but in ancient Egypt, our fate was decided by a bird!”

Naturally, the artist travelled to Egypt several times for the exhibition. On the one hand to do research – “it completely revitalised my idea of art because after five thousand years, that’s all that remains of this ancient civilisation” – and on the other hand to make 3D scans.

“This will be my most technology-heavy exhibition ever,” says Al Qadiri. “One of the four installations is a VR experience with which I want to create a parallel world – based on the rather agricultural idea the ancient Egyptians had of the afterlife.

pour l’art s’est encore accru là-bas, car après cinq mille ans, c’est tout ce qui reste de cette ancienne civilisation ». D’autre part, pour réaliser des scans en 3D. « C’est l’exposition la plus technologique que j’aie jamais créée », déclare Al Qadiri. « L’une des quatre installations est même une expérience de réalité virtuelle avec laquelle je veux créer un monde parallèle, basé sur l’image assez «agriculturelle» que les anciens Égyptiens avaient de la vie après la mort. Je dois cependant admettre que parfois, il n’est pas nécessaire de porter un casque de réalité virtuelle pour avoir l’impression d’être dans un univers parallèle. Chaque fois que je suis entrée dans une tombe vieille de cinq mille ans en Égypte et que j’y ai vu des choses qui n’auraient jamais dû être vues par des humains, j’avais déjà l’impression d’être dans une sorte de réalité alternative. »

Ben Van Alboom

L’exposition The Archaeology of Beasts se tiendra du 14 novembre 2024 au 9 mars 2025. Une rencontre avec Monira Al Qadiri aura lieu le 13 novembre 2024 dans la Salle Terarken.

Although I have to admit that sometimes you don’t need VR glasses at all to feel like you’re in a parallel universe. Whenever I stepped into one of those five-thousand-year-old tombs in Egypt and saw things that were never meant to be seen by people, I already felt like I was walking around in an alternate reality.”

Ben Van Alboom

The exhibition The Archaeology of Beasts runs from 14 November 2024 to 9 March 2025. There will also be an artist talk with Monira Al Qadiri in the Terarken Hall on 13 November 2024.

Monira
Al Qadiri by Raisa Hagiu
© Robbrecht en Daem architecten

Robbrecht en Daem architecten: « La musique est une architecture dans le temps »

FR Le dialogue entre la musique et les arts

visuels s’intensifie à Bozar cette saison avec la série Staging the Concert, qui invite un artiste à « intervenir dans la musique ». Le bureau Robbrecht en Daem architecten est le premier à relever le défi. L’œuvre en question ? La Musique pour cordes, percussions et célesta de Béla Bartók.

Rien, ou presque, ne laisse deviner que derrière la clôture en bois de deux modestes maisons gantoises se cachent les bureaux (tout sauf modestes) de Robbrecht en Daem architecten. Il faut dire que le quartier de la Brugse Poort n’est pas vraiment connu pour son architecture pionnière.

« Il s’agit vraiment d’un quartier populaire », reconnaît Paul Robbrecht avec franchise, « où les immigrés et les locaux cohabitent paisiblement. Je dois toutefois préciser que nous avons acheté cette immense surface avant que les prix ne commencent à grimper en flèche, ici aussi. C’est incroyable ce que les gens paient aujourd’hui pour une petite maison qui n’a rien d’autre qu’une porte et une fenêtre. Nous avons eu beaucoup de chance. »

Ici se trouvait autrefois une usine d’allumettes, aujourd’hui, ce sont quelque 45 personnes qui travaillent pour le bureau d’architectes que Paul Robbrecht et sa femme Hilde Daem ont fondé en 1975. Parmi celles-ci se trouve leur fils Johannes Robbrecht, qui a été tout naturellement impliqué dans l’invitation de Bozar visant à ajouter une nouvelle dimension à l’expérience du concert cette saison. « Après tout, nous sommes une entreprise familiale », explique Paul Robbrecht.

Et à quel point cette famille est-elle mélomane ?

Paul : « Nous ne sommes absolument pas musicien·nes ! Nous ne savons ni lire les notes, ni même chanter. Je dirais plutôt : quand je suis d’humeur, j’ose m’aventurer dans les ballades irlandaises. (rires) Mais nous aimons tous énormément la musique. »

EN The dialogue between music and visual art intensifies at Bozar this season with Staging the Concert, where an artist is invited to “intervene in the music.” Robbrecht en Daem architecten are up first. The music? Music for strings, percussion and celesta by Béla Bartók.

Few would guess that the wooden fence of two modest terraced houses in Ghent conceals the anything but modest offices of Robbrecht en Daem architecten. The neighbourhood is perhaps even less of a giveaway, since the Brugse Poort is not exactly known for its pioneering architecture. “It is a real working-class neighbourhood,” Paul Robbrecht candidly admits, “where people of different origins live together peacefully. Although I should immediately add that we purchased this immense plot before the prices started to shoot up here as well. It’s unbelievable what people pay here these days for a small house with little more than a door and a window. We’ve been extremely lucky.” Formerly the site of a match factory, today some thirty-five people work in the architectural firm that Paul Robbrecht and his wife Hilde Daem launched in 1975. Among them is their son and professional partner Johannes Robbrecht, who naturally also got involved in Bozar’s request to add a new dimension to the concert experience this season. “We are a real family business,” says Paul Robbrecht.

And just how musical is that family?

Paul: “Not! We’re completely unmusical. We can’t read notes or even sing. Or wait, when I’m in the mood, I dare to venture into Irish ballads. (laughs) But we’re great music lovers.”

Johannes: “It was also instilled in me from an early age. As a nine-year-old, I was taken to Collegium Vocale concerts, where I sat in the front row listening to Bach’s St Matthew Passion.”

Did you enjoy that?

Johannes: “I loved it! Although at that age, it was also an endurance test.”

Johannes : « Nous en avons mangé à la petite cuillère. À neuf ans, on m’emmenait aux concerts du Collegium Vocale et j’étais assis au premier rang pour écouter la Passion selon saint Matthieu de Bach. »

Cela vous plaisait-il ?

Johannes : « J’adorais ça ! Même si, à cet âge, c’était aussi une épreuve d’endurance. »

Paul : « Même à mon âge, je trouve encore que c’est une épreuve d’endurance ! (rires)

Mais le Collegium Vocale et surtout son fondateur Philippe Herreweghe ont joué un rôle fondamental dans mon éducation musicale. Nous nous sommes rencontrés dans la vingtaine et avons souvent voyagé ensemble en Italie. Je lui ai enseigné l’architecture de la Renaissance, il m’a enseigné la musique de la Renaissance. Cet échange a été d’une richesse inouïe. »

L’un de vos projets les plus célèbres est, bien sûr, le Concertgebouw de Bruges. Votre amour de la musique vous a-t-il aidé à remporter ce concours d’architecture ?

Paul : « C’est fort possible. Gerard Mortier faisait partie du jury et, de son propre aveu, il était un grand fan de notre projet. Nous avons également pris l’initiative d’y intégrer une salle de musique de chambre, ce qui n’était pas prévu. Mais d’emblée, cela nous avait semblé nécessaire ! Et voilà qu’aujourd’hui, cette salle est sans cesse utilisée pour des quatuors à cordes et des récitals de piano. Le dialogue que vous créez entre les musiciens dans ce genre de salle est tout à fait extraordinaire. D’ailleurs, beaucoup d’artistes qui y jouent sont devenus amis. C’est le cas d’Isabelle Faust, par exemple. »

Vous parlez surtout de musique classique. Vous n’êtes pas un amateur de pop, de rock ou de jazz ?

Paul : « Si. C’est au saxophoniste Michel Mast que je dois mon attrait pour le jazz. Aujourd’hui, il joue notamment avec Laughing Bastards, mais autrefois, nous avons fondé ensemble une petite agence, car il est également architecte. Elle s’appelait Architectuur en Muziek, j’en ai même encore le papier à lettres quelque part. (rires) C’est donc lors d’un concert d’Archie Shepp, organisé par Michel, que j’ai pensé pour la première fois que le jazz avait quelque chose de profond. Mais toi, tu écoutes aussi de la pop

Paul: “I still find it an endurance test at my age! (laughs) But Collegium Vocale and, especially, its founder Philippe Herreweghe have been incredibly important in my musical education. We met in our twenties and often travelled to Italy together. I taught him about Renaissance architecture, he taught me about Renaissance music. That was an enormously rich exchange.”

One of your most famous designs is, of course, Concertgebouw Brugge. Did your love of music help you win that architectural competition?

Paul: “It’s quite possible. Gerard Mortier was on the jury and, by his own admission, he was a huge fan of our design. We’d also included a chamber music hall, even though it hadn’t been requested. But we said: you have to do it! And lo and behold, the hall is in constant use nowadays for string

‘How Bartók structured his work is not unlike how we, as architects, create space’

quartets and piano recitals. The dialogue you create between musicians in that kind of space is quite extraordinary. Meanwhile, many of the musicians who’ve played there have since become friends. Isabelle Faust, for example.”

We’ve mostly been discussing classical music. You’re less keen on pop, rock or jazz?

Paul: “I do like it, in fact. I was drawn into jazz by saxophonist Michel Mast. He plays with the Laughing Bastards nowadays, amongst others, but we once set up a little agency together, because he’s also an architect. We called it Architectuur en Muziek (Architecture and Music), and I still have some of the stationery lying around somewhere. (laughs) It was at an Archie Shepp concert, organised by Michel, when I first thought that jazz has something deep to it, after all. But you also listen to avant-garde pop don’t you, Johannes?

Sonic Youth and all that.”

Johannes: “That’s not pop.”

Paul: “Well, then: noise.”

d’avant-garde, n’est-ce pas, Johannes ? Sonic Youth et tout ça. »

Johannes : « Ce n’est pas de la pop. »

Paul : « Non c’est vrai, c’est plutôt du bruit. »

En fait, j’ai surtout posé la question parce que l’expression « Staging the Concert » me fait penser à ces scènes impressionnantes avec lesquelles U2 fait le tour du monde.

Johannes : « J’ai emmené mon père au Pukkelpop une fois, et aux concerts de Radiohead et Björk à Werchter. »

Paul : « J’ai trouvé ça fantastique ! »

Johannes : « Mais ce n’est pas vraiment notre genre d’architecture. D’ailleurs, ce n’était pas non plus ce que demandait Bozar, construire une scène. »

Paul : « Il s’agissait surtout de dialoguer avec une œuvre musicale en partant de notre discipline. Car la musique est un langage, mais l’architecture aussi, bien sûr. Nous avons donc placé la géométrie, base de l’architecture, face à la structure de la Musique pour cordes, percussions et célesta de Béla Bartók. »

Johannes : « La façon dont Bartók structure son œuvre est très similaire à celle dont nous, architectes, créons l’espace. C’est du moins ce que nous voulons démontrer : pour nous, la musique est une architecture dans le temps. »

Cela semble...

Paul : « Abstrait ? Tant mieux ! Il faut préserver l’effet de surprise. »

Johannes : « Je peux déjà vous dire que deux choses seront présentes dans la salle : la musique de Bartók et notre intervention. Et que l’intention est qu’elles s’équilibrent mutuellement. Vous sentirez également que les aspects percussif et éphémère de cette musique sont présents dans notre intervention. »

Paul : « De plus, nous jouons avec les instructions de Bartók de diviser l’orchestre pour cette œuvre en deux groupes, entre lesquels se trouve un célesta, une sorte d’étrange piano. »

Il travaillait donc lui-même de manière architecturale ?

Johannes : « Oui, son approche était très spatiale. Et pas seulement dans l’interprétation, mais aussi dans la construction de la musique. Dans la Salle Henry Le Bœuf, vous allez vite comprendre pourquoi. »

The reason I ask is because ‘staging the concert’ reminds me of those impressive stages that U2 take on their world tours.

Johannes: “I took my dad to Pukkelpop once, and to Radiohead and Björk at Rock Werchter.”

Paul: “I thought it was fantastic!”

Johannes: “But we’re not familiar with that kind of architecture. Besides, that wasn’t Bozar’s request either, to build a stage.”

Paul: “We were asked to converse with a piece of music from the perspective of our discipline. Because music is a language, as is architecture, of course. And so, we set geometry, the basis of architecture, against the structure of Béla Bartók’s Music for strings, percussion and celesta.”

Johannes: “Because we believe that we work in a similar way. How Bartók structured his work is not unlike how we, as architects, create space. Or at least, this is what we hope to demonstrate, that for us, music is architecture in time.”

That sounds ...

Paul: “Abstract? Absolutely! It’s got to remain a surprise.”

Johannes: “I can already reveal that the hall will contain two things: Bartók’s music and our intervention. And the aim is for them to maintain an equilibrium. You will also sense that both the percussive and ephemeral nature of the music form part of our intervention.”

Paul: “Moreover, we’re playing with Bartók’s instructions to divide the orchestra for this piece into two groups, between which there is a celesta – an unusual kind of piano.”

So Bartók also worked architecturally?

Johannes: “Yes, in an extremely spatial way. But it’s not just within the performance, it’s also part of how the music is constructed. It will all become clear, very soon, in the Henry Le Bœuf Hall.”

What do you think of the rest of the Bozar building, by the way?

Paul: “By Victor Horta? Genius, of course.”

Johannes: “We’ve worked here before. We built the Cinematek, the Bozar café Victor is ours, and we’ve also designed a couple of exhibitions.”

Paul: “That interweaving of different art forms in one building, that Wagnerian idea of a gesamtkunstwerk extended to architecture, that’s the true strength of Horta’s achievement. But

Au fait, que pensez-vous du reste du bâtiment Bozar ?

Paul : « De Victor Horta ? C’est du génie, bien sûr. »

Johannes : « Nous y avons déjà travaillé plusieurs fois. Nous avons conçu la Cinematek, le Café Victor ainsi que quelques expositions. »

Paul : « Cet enchevêtrement de différents arts au sein d’un même bâtiment, le fait d’étendre à l’architecture cette idée wagnérienne d’œuvre d’art totale, de Gesamtkunstwerk, c’est ce qui fait la force du projet d’Horta. Mais ce que je trouve peut-être le plus fascinant, c’est que, du côté du Palais Royal, le bâtiment est à peine plus haut qu’un mur, tandis que de l’autre côté se trouve un véritable palais. »

La mise en scène du concert a-t-elle été un défi pour vous ou était-ce plutôt amusant ?

Johannes : (se lève) « Nous avons foncé ! C’était un défi de devoir réaliser ce projet en si peu de temps, mais c’est ce qui l’a rendu si amusant. En architecture, les choses vont souvent très lentement. Nous avons des projets qui prennent quinze à vingt ans, comme la Tour du Livre de Gand. Se lancer dans un projet comme Staging the Concert entre les deux et le finaliser en moins d’un an, cela donne vraiment de l’énergie. »

Paul : « Réfléchir à la musique nous a également amenés à porter un regard différent sur nos dessins. Au fur et à mesure, nos plans pour la mise en scène du concert ont même commencé à ressembler à des partitions. Pour moi, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans cette mission. »

Ben Van Alboom

Bartók in Space and Time du bureau Robbrecht en Daem architecten aura lieu le 20 septembre 2024 dans la Grande Salle Henry Le Bœuf. Le chorégraphe Alexander Vantournhout et l’artiste visuel Sammy Baloji seront les prochains invités de la série Staging the Concert.

what I find most fascinating about the building, perhaps, is that it’s barely a wall high on the Royal Palace side, whereas on the other, it is itself a real palace.”

Was Staging the Concert a challenge or was it mostly fun?

Johannes: (straightens up) “We flew with it! The challenge, if any, lay in the fact that it had to be realised to a tight deadline, but that’s what made it so fun. Things often move very slowly in architecture. We have projects that take fifteen to twenty years to complete, like the Book Tower in Ghent. Taking something like Staging the Concert in between these jobs, and pulling it together in under a year, that really energises you.”

Paul: “Reflecting on music also made us look at our drawings differently. Gradually, our plans for Staging the Concert even started to resemble scores. For me, that was perhaps the best thing about this commission.”

Ben Van Alboom

Bartók in Space and Time by Robbrecht en Daem architecten takes place on 20 September 2024 in the Henry Le Bœuf Hall. Choreographer Alexander Vantournhout and visual artist Sammy Baloji are designing the next instalments of Staging the Concert.

‘Reflecting on music made us look at our drawings differently. Gradually, our plans for Staging the Concert even started to resemble scores’

Michael Beutler, Artist in Progress

FR À partir de l'été 2025, Bozar invite chaque année un artiste à créer une installation dans le Hall Horta. Un peu comme le Hall des Turbines du Tate Modern ? Oui, mais du sur mesure, car l’architecte Victor Horta avait autrefois conçu cet espace pour accueillir des sculptures. Michael Beutler donne le coup d’envoi.

Michael Beutler est basé à Berlin. Son atelier est au croisement d’un magasin de bricolage bien rangé et d’un lieu de travail industriel. L’artiste et son équipe y fabriquent les éléments de base de ses installations à l’aide d’une série de matériaux, d’appareils artisanaux et de techniques éprouvées. Le processus de fabrication prime sur le résultat. À noter que la publication Things in Slices de Beutler ressemble à un livre d’exemples destiné à la bricoleuse ou au bricoleur qui souhaite (re)produire les œuvres de l’artiste allemand. Le guide contient les ressources nécessaires à la fabrication d'objets. Ses appareils permettent d’appliquer des procédés manuels à grande échelle. Et il faut généralement travailler à plusieurs. La fabrication a quelque chose d’une danse.

Mais Beutler ne franchit pas le pas de l’ère industrielle. Ses dispositifs de pressage, de laminage, de pliage, de roulage, de collage, de couture, de tissage, de nouage, de découpe, de moulage ou d’assemblage restent artisanaux. Il n’y a pas non plus de préfabrication. La finition de ses installations se fait toujours sur place, mettant souvent à contribution les techniques et matériaux locaux. Partout dans le monde, les installations de Beutler apparaissent (et disparaissent) dans des espaces publics ou des lieux d’art contemporain. De la Hamburger Bahnhof à Berlin au MOCA à Taipei. La plupart des installations ne sont pas faites pour rester longtemps. Un work in progress. Les constructions modulaires de Beutler ressemblent un peu à des machines même si ce n’est pas ainsi qu’il les considère, car elles

EN From 2025, every summer, Bozar invites an artist to create an installation in the Horta Hall. A bit like the Turbine Hall at Tate Modern? Yes, but tailored to architect Victor Horta’s idea of a sculpture gallery. Michael Beutler leads the way.

Michael Beutler is based in Berlin. His studio looks like a cross between a meticulously arranged DIY shop and an industrial workplace. Using a range of materials, home-made appliances and tried-and-tested techniques, this is where the artist and his team fabricate the building blocks of his installations. The production process takes precedence over the result.

It’s extraordinary: Beutler’s publication Things in Slices resembles a sample book for do-ityourself enthusiasts who want to (re)produce the German’s art. The guide includes tools for making objects out of diverse materials. His devices enable the scaling up of manual processes. You typically need several people to assist, however. The making process has a dance-like quality. Beutler has yet to set foot in the industrial age. His pressed, laminated, folded, rolled, glued, sewn, woven, knotted, cut, cast or pieced together apparatuses are resolutely artisanal. Nothing is prefabricated. The installations are always finished in situ, and often involve local materials and techniques. Beutler’s installations appear (and disappear) in public spaces and contemporary art venues all over the world. From the Hamburger Bahnhof in Berlin to MOCA in Taipei. Most of his installations are temporary. The work is always in progress

Beutler’s modular constructions resemble machines. But he doesn’t see them that way –they lack an engine. The German considers them to be pieces of equipment, while the ambulant visitors are the motors. They become operational through our gazes and movements.

‘Beutler voit le spectateur comme le moteur de ses machines. En les regardant et en bougeant autour, nous les faisons fonctionner’

ne possèdent pas de moteur. L’Allemand les voit comme des outils, le spectateur qui déambule étant le moteur de son art.

Allez, on tourne !

Qu’en sera-t-il à Bozar ? Pour Michael Beutler, le Hall Horta est avant tout un lieu de passage et non une salle d’exposition en soi. L’artiste veut en faire un endroit où l’on se pose, un point de repère. Comme on s’assoit sur une place autour d’une fontaine pour se rafraîchir, consulter son guide de voyage ou bavarder. Beutler recycle constamment son travail en l’adaptant au contexte qui l’entoure. À Bruxelles, il opte pour ce qu’il appelle des « situations flottantes ». Des plates-formes d’observation flottantes. Au centre de la salle, il fait ériger une structure cylindrique reposant sur un étang, avec, au milieu, une plateforme rotative pour s’asseoir.

Nous nous trouvons à l’intérieur d’un zootrope géant, précurseur mécanique du projecteur de cinéma, dont un exemplaire est exposé un peu plus loin dans la Wunderkammer de la Cinematek. Un zootrope se compose d’un cylindre vertical dont la paroi intérieure est percée de fentes et de dessins. Si l’on fait tourner le cylindre et que l’on regarde à travers les trous, les images se fondent en un dessin animé primitif. Cependant, dans le projet de Beutler pour le Hall Horta, nous ne sommes pas autour, mais à l’intérieur de l’appareil. Et à travers les trous, nous regardons à l’extérieur. Le marbre, le béton, le plafond de verre... dansent autour de nous dans un jeu féerique de couleurs et de lumière. Le hall s’anime mécaniquement. Grâce à nous, les spectateurs.

Kurt De Boodt

La première installation estivale dans le Hall Horta sera signée par Michael Beutler durant l’été 2025.

Spin it!

What is he making for Bozar? Michael Beutler has already done his homework. He sees the Horta Hall more as a thoroughfare than a fully-fledged exhibition space. The artist wants to turn it into a place in which to linger, an orientation point. Just as you might sit around a fountain on a square to refresh yourself, consult your travel guide or have a chat.

Beutler constantly recycles his work – adapting it to ever-changing situations – and in Brussels he is opting for what he calls ‘floating situations’. Floating viewing platforms. He will erect a cylindrical structure in the middle of the hall. It will sit within water, and you can take a seat on a platform that rotates around a central axis. We find ourselves inside a giant zoetrope, so to speak – a mechanical precursor to the film projector, an example of which can be seen a little further on in Cinematek’s Wunderkammer.

A zoetrope is an upright cylinder with rectangular slits. Pictures run around the interior surface. If you turn the cylinder and look through the peepholes, the images turn into a primitive cartoon.

Only, in Beutler’s design for the Horta Hall, we are not on the outside looking in: we are inside the device itself. And we can see the external world through the peepholes. The marble, the concrete, the glass skylight ... they dance around us in an enchanting play of colour and light. The hall is mechanically animated. Thanks to us, the viewers.

Kurt De Boodt

Michael Beutler’s installation will be the first summer commission for the Horta Hall in 2025.

Michael Beutler, Plonger et Pluiser, HAB

Rotor à travers la caméra de B êk a & Lemoine

FR « Avec son approche circulaire, Rotor inspire les architectes, les designers et le grand public », pouvait-on lire il y a peu dans le rapport du jury des Ultimas, les prix flamands de la culture. Le collectif fête son 20e anniversaire à Bozar, avec les vidéastes franco-italiens Bêka & Lemoine et une série de films sur la métaphysique du réemploi.

Rotor n’est pas un bureau d’architectes ordinaire : la conception d’espaces ne constitue qu’une partie de leur activité, qui se déploie parallèlement dans le design d’expositions et dans l’élaboration de publications et de projets de recherche. Le fil rouge qui traverse tout ce qu’ils font est le « réemploi » - un concept par lequel ils remettent en question l’industrie du bâtiment. Rotor joue également un rôle actif dans l’économie circulaire en réalisant le démantèlement méticuleux - ou la « déconstruction », selon leurs termes - des bâtiments. Les matériaux récupérés sont ensuite remis sur le marché pour leur donner une seconde vie.

Récemment, Rotor s’est encore fait remarquer en publiant une monographie sur l’architecte Marcel Raymaekers, pionnier oublié du réemploi en Belgique, et en remportant en 2024 le prix Ultima de l’architecture et des arts appliqués. Rotor fête aujourd’hui son vingtième anniversaire avec une exposition rétrospective à Bozar, même si le collectif veut aussi profiter de cette occasion pour faire un peu de prospective. À cette fin, les architectes ont invité le couple de vidéastes franco-italiens Ila Bêka et Louise Lemoine à capter l’enchevêtrement des flux de matériaux dans notre monde contemporain sur neuf sites et dans autant de situations différentes.

L’architecte Michaël Ghyoot nous explique que l’attitude qui consiste à prendre une exposition comme prétexte à un travail exploratoire fait partie de l’ADN du bureau. « Car ce n’est pas tous les jours que nous avons l’occasion de pousser la

EN “With its circular approach, Rotor inspires architects, designers and even the general public,” read the jury report from the Ultimas, the Flemish culture prizes, just recently. The collective is celebrating its 20th anniversary at Bozar with the French-Italian video artists Bêka & Lemoine and a series of films on the metaphysics of repurposing.

Rotor is not your average architecture firm. Not only do they design temporary structures and interiors, but they also assemble exhibitions, compile publications and devise research projects. The common thread throughout everything they do is reuse - a concept they, well, use to question the construction industry. Rotor also plays an active role in the circular economy by meticulously dismantling - or deconstructing, to put it in their words - buildings. The recovered materials are then reintroduced to the market, giving them a second life.

Rotor stood in the spotlight recently with the publication of a monograph on the architect Marcel Raymaekers, a forgotten Belgian pioneer in the field of repurposing, and in 2024 the firm also received the Ultima for Architecture and Applied Arts. It is now celebrating its 20th anniversary with a retrospective at Bozar, although the collective also sees this as an opportunity to look ahead. In order to do so, the architects have invited the French-Italian filmmakers Ila Bêka and Louise Lemoine to document the current entanglement of material flows on nine sites and in an equal number of situations.

Seizing the opportunity to ‘explore’ through an exhibition is part of Rotor’s DNA, according to Michaël Ghyoot. “Because it’s not every day that we get a chance to think into the future,” says the Rotor member. “With the exhibition Behind the Green Door for the Oslo Architecture Triennial in 2013, we wanted to make an inventory of all the interpretations appended to the word ‘sustainable’. We sensed that there were

réflexion suffisamment loin », ajoute le membre de Rotor. « Quand nous avons monté l’exposition Behind the Green Door pour la triennale d’Oslo en 2013 par exemple, nous avons voulu répertorier toutes les applications qui sont faites du terme sustainable. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de grands écarts conceptuels intenables, des contradictions dans les termes. Aujourd’hui, tout le monde est beaucoup plus vigilant face à ces questions de greenwashing, mais il y a dix ans nous trouvions que nous devions absolument soulever ces questions. Tout comme aujourd’hui il y a des questions urgentes à se poser sur les limites du « réemploi » – le terme que nous utilisons depuis deux décennies comme levier pour questionner et explorer les choses. »

Dans un certain sens, la nouvelle exposition à Bozar est donc une sorte d’autocritique ? Ghyoot nous répond : « En ce qui me concerne, je suis de moins en moins à l’aise avec ces discours sur la «transition» vers une «économie circulaire». Dans la plupart des cas, ils ne semblent pas prendre suffisamment la mesure de l’économie telle qu’elle est aujourd’hui et proposent donc de construire des rêves sur des bases fragiles. Et même si notre rôle dans ce secteur n’est pas tellement d’apporter la solution, nous voulons mettre ces questions-là, aussi complexes soient-elles, à l’ordre du jour. » Pour mettre en image l’enchevêtrement des flux de matériaux dans le contexte actuel de l’épuisement des matières premières, des tensions géopolitiques et du changement climatique, Rotor a demandé aux vidéastes Ila Bêka et Louise Lemoine de visiter une série de sites dans un rayon de deux cents kilomètres autour de Bruxelles et d’en dresser le portrait sans parti pris. « Nous voulons proposer une sorte d’expérience sensible », ajoute Ghyoot, « et donc surtout ne pas les lire avec des lunettes intellectualisantes. Nous leur avons demandé d’aller observer de près, d’explorer comment cela se passe sur le terrain. Notre objectif sous-jacent est de faire dialoguer leurs films avec les axes prioritaires de notre travail et en particulier les projets les moins visibles. »

Le choix de travailler avec Bêka & Lemoine a été dicté par la manière dont ils mettent en image l’utilisation de l’architecture : l’architecture s’estompe derrière ce qui s’y déroule. Comme dans Koolhaas Houselife, le film qui a permis au

large, untenable conceptual gaps as well as contradictions in the many concepts. Nowadays, everyone is much more wary of things like greenwashing, but ten years ago we felt it was imperative to ask these questions. Just as we need to interrogate the limits of ‘reuse’ today – the term that’s been used as a lever to question and explore things for the past two decades.”

So, is the new exhibition at Bozar a kind of autocriticism then? Ghyoot: “Personally, I’m identifying less and less with the discourse around the ‘transition’ to a ‘circular economy’. In most cases, it takes too little account of the actual state of the current economy. It builds dreams on rather precarious foundations. And while we don’t see it as our primary task to provide the solution, we do want to put the issue firmly on the agenda – in all its complexity.”

‘Reuse on a small scale isn’t a problem, but the minute you try and introduce it to larger-scale projects, it becomes the spanner in the works’

In an attempt to visualise the interconnectedness of material flows in the current context of depleted resources, geopolitical tensions and climate change, Rotor asked videographers Ila Bêka and Louise Lemoine to visit a number of sites within a 200-kilometre radius of Brussels and to portray them with an open mind. “We also want to make it a sensory experience,” says Ghyoot, “and so we asked them to go and have a closer look at things and find out how everything works on the ground. Our underlying objective is to create a dialogue between the films and the driving forces of our work, specifically the less visible projects.”

The decision to partner with Bêka & Lemoine stems from their focus on how architecture is used: buildings fade behind the human activity. As in Koolhaas Houselife, the duo’s breakthrough

duo de percer en 2008. Ou dans 24 heures sur place, dont le sujet est la rénovation de la Place de la République à Paris, où ils ont filmé des gens qui se rencontrent sur cette place. Ou encore dans leurs films plus récents sur des mégalopoles de l’hémisphère sud, où ils parviennent à capter la complexité d’une atmosphère urbaine sans dénigrer ou glorifier celle-ci.

« Dans l’exposition, nous parlons notamment d’un revendeur de serres agricoles aux Pays-Bas, dans la province de la Hollande-Méridionale », poursuit Ghyoot. « La zone est intégralement recouverte de serres, et l’économie de la récupération et du réemploi y est intimement liée à cette économie horticole, mais elle est en train de changer énormément depuis quelques années, notamment en raison du changement climatique. Ce dernier provoque des grêles plus fortes, auxquelles les verres utilisés jusque-là ne résistent pas. Aujourd’hui, il faut les remplacer par des vitres plus épaisses, ce qui met les entreprises de recyclage face à de sérieux défis. Par ailleurs, les propres débouchés de ces entreprises sont aussi en train d’être reconfigurés, avec des clients qui étaient historiquement situés plutôt en Europe de l’Est, mais qui, grâce à des subventions européennes, ont aujourd’hui accès à des serres neuves et sont moins intéressés par ces services. »

Un processus bien huilé

Le deuxième grand thème de l’exposition est l’échelle. L’industrie de la construction actuelle est entièrement axée sur la grande échelle, avec une standardisation poussée et une certification des matériaux. Les architectes, bureaux d’étude et entrepreneurs ont tous l’habitude de travailler dans ce cadre. L’introduction du réemploi vient perturber ce processus bien huilé, car le réemploi implique des quantités beaucoup plus petites de matériaux non standardisés. « Nous observons qu’à plus petite échelle, le réemploi ne pose absolument aucun problème », explique Ghyoot.

« Mais dès qu’on essaie de le distiller dans des projets de plus grande échelle, il devient le grain de sable qui vient bloquer les rouages. »

« Pour un accroissement d’échelle, on dit souvent qu’il suffit de partir d’un acteur et de multiplier par cent. Mais il n’est pas sûr que cela marche avec le réemploi. Cela nous oblige à penser ou

film from 2008. Or in 24 heures sur place about the renovation of the Place de République, for which they filmed people’s encounters in the Parisian square. The theme also permeates their recent films about megalopolises in the southern hemisphere, in which they succeed in capturing the complexity of an urban atmosphere without diluting or glorifying it.

“In the exhibition, we consider, amongst other things, the recovery of building elements in the Dutch province of South Holland,” Ghyoot continues. “The local recycling economy there is strongly intertwined with horticulture. But the sector has undergone some major changes in recent years, primarily due to climate change. It hails harder than ever before and conventional glass from greenhouses cannot withstand the force. The panes have to be replaced, which poses challenges for companies specialising in reuse. And all the while, the latter’s market is also shifting. Their main customers were in Eastern Europe, but as these regions are now building new greenhouses with European subsidies, there’s less call for recycling services.”

A well-oiled process

The second major theme of the exhibition is scale. Today’s construction industry is fully geared to large-scale operations, with an allpervasive standardisation and certification of materials. All architects, engineering firms and contractors habitually work within the given framework. Introducing reuse disrupts this welloiled process because it implies much smaller and non-standardised quantities of materials.

“In our experience, reuse on a small scale isn’t a problem,” says Ghyoot. “But the minute you try and introduce it to larger-scale projects, it becomes the spanner in the works.”

“When scaling up, sometimes it is enough to start from one player and multiply the process times a hundred. But that’s not guaranteed to work in the case of reuse. Which forces us to think differently. And not just us, for that matter. Everyone senses that something has to change, but no one knows exactly how to begin. People get excited whenever a solution emerges that sounds promising or conclusive. But any potential answer, by definition, is incomplete and initially small-scale. And it’s far from certain that generalising or scaling up that solution is, in fact, the magic bullet. I would even

imaginer la généralisation du réemploi d’une autre façon. Et pas seulement nous d’ailleurs. Tout le monde sent bien que quelque chose doit changer, mais personne ne sait exactement par où commencer. Dès qu’on voit une solution qui semble pertinente ou prometteuse, les gens ont envie de l’adopter. Or il n’est pas du tout certain que la généralisation de cette solution soit réellement une solution. J’oserais même dire que la tendance à généraliser celle-ci implique un risque, mais cela nous entraînerait dans des considérations presque métaphysiques. »

Iwan Strauven

L’exposition Rotor. Entangled Matter (avec les vidéos de Bêka & Lemoine) a lieu du 16 octobre 2024 au 12 janvier 2025 à Bozar. Lors d’un Close-up en décembre 2024, Bozar présente 7 des films de Bêka & Lemoine, dont 2 avant-premières, ainsi qu’une discussion sur leur livre The Emotional Power of Space.

dare to say that the tendency to generalise has its own risks, but that would lead us to almost metaphysical reflections.”

Iwan Strauven

The exhibition Rotor. Entangled Matter (including work by Bêka & Lemoine) runs from 16 October 2024 to 12 January 2025. During a Close-up in December 2024, Bozar presents 7 of Bêka & Lemoine’s films, including 2 premieres, as well as a talk about their book The Emotional Power of Space.

‘I’m identifying less and less with the discourse around the transition to a circular economy. It builds dreams on rather precarious foundations’

Créer un opéra en réalité virtuelle en s’inspirant de Tarkovski et d’Akerman

FR Si Poor Things a valu à Yorgos Lanthimos un Lion d’or au Festival du film de Venise en 2023, l’artiste néerlandaise Celine Daemen a, quant à elle, gagné son ticket pour l’avenir. La même année, son opéra en réalité virtuelle Songs for a Passerby a reçu le Grand Prix Immersif. « Une expérience exploratoire. »

Celine Daemen est une réalisatrice d’art transdisciplinaire, opérant au carrefour entre le cinéma, le théâtre, la musique et la technologie. Après avoir obtenu son diplôme à l’Institute of Performing Arts de Maastricht en 2018, elle a créé plusieurs œuvres immersives. Sa dernière création, Songs for a Passerby, a reçu le Grand Prix de la meilleure réalisation immersive à la Biennale de Venise 2023, un an après avoir reçu le Reflet d’Or de la meilleure expérience immersive au Festival international du film de Genève pour Eurydice

Sur le plan thématique, le cœur de son travail fait la part belle aux questions relatives à l’« être ». Daemen crée des expériences sensorielles qui invitent le public à se tourner vers l’intérieur. Ce voyage intime nous emmène dans un lieu où des associations personnelles surgissent en réponse à des questions philosophiques universelles.

Bien que la réalité virtuelle soit progressivement devenue une « réalité » dans le monde de l’art, la plupart des gens l’associent encore aux jeux vidéo et aux entreprises technologiques. Pourquoi la VR ? Qu’est-ce qui vous a attirée vers elle en tant qu’artiste ?

Daemen : « Tout a commencé durant mes études de théâtre, où j’ai joué avec l’idée de construire différents rôles et personnalités. Mais j’ai vite réalisé que, dans le théâtre classique, la distance avec le public était trop grande. Je n’ai jamais eu l’impression que cela me convenait. J’ai donc cherché des moyens d’offrir aux gens une expérience à laquelle ils participeraient réellement. En fin de compte, c’est l’idée d’immersion qui m’intéresse. Et la réalité virtuelle

EN Yorgos Lanthimos may have won the Golden Lion with Poor Things at the 2023 Venice Film Festival, Dutch artist Celine Daemen won the future. That same year, her ‘VR opera’ Songs for a Passerby was awarded the Immersive Grand Prize. “It’s an explorative experience.”

Celine Daemen is a director of transdisciplinary art – working at the intersection of film, theatre, music and technology. After graduating from Maastricht’s Institute of Performing Arts in 2018, she created several immersive works. For her latest, Songs for a Passerby, she received the Grand Prize for the best immersive experience at the 2023 Venice Biennale – a year after having been awarded the Reflet D’Or for the best immersive experience at the Geneva International Film Festival for Eurydice.

Thematically, questions on ‘being’ are central to her work. Daemen creates sensory experiences that invite the audience to gaze inwards. This journey inwards takes them to a place where personal associations arise in response to universal philosophical questions.

While Virtual Reality has also steadily become a, well, reality in the art world, it’s safe to say most people still associate it with videogames and tech companies. So why VR? What attracted you to it as an artist?

Daemen: “It all started in theatre school, really, where I experimented with the idea of building different roles and personas. I quickly realised though that, in classical theatre, there’s too much of a gap with the audience. I never felt like it was the thing for me. So I searched for ways to offer people an experience they’re actually part of. Bottomline, I’m interested in the idea of immersion. And VR is an interesting tool to further explore that. So maybe you shouldn’t label me as a VR artist. Immersion is what my work is really all about.”

est un outil intéressant pour l’explorer davantage. Il ne faut donc peut-être pas me qualifier d’artiste de réalité virtuelle. C’est plutôt l’immersion qui est au cœur de mon travail. »

Quel est donc le niveau d’immersion de Songs for a Passerby, grâce auquel vous avez remporté le Grand Prix Immersif à la Biennale de Venise 2023 ?

Daemen : « J'appelle ça un opéra VR, une expérience onirique. Il se déroule dans un paysage urbain sombre, dans lequel vous êtes guidé par un petit chien. Vous suivez le chien partout, dans la rue, dans le métro, et vous entrez dans plusieurs scènes où vous écoutez les pensées des gens. À un moment donné, vous vous voyez dans un miroir, grâce à certaines caméras 3D, et vous devenez le spectateur de votre propre corps. Vous vivez une sorte d’expérience extracorporelle. Il s’agit donc plus d’une expérience exploratoire qu’interactive. Vous n’êtes pas obligé d’aller quelque part. Même si, en tant que spectateur, vous avez une influence sur le déroulement du voyage. »

Quelles sont vos sources d’inspiration lorsque vous créez une expérience onirique comme celle-ci ?

Daemen : « Je m’inspire du cinéma. Et de l’opéra. Et de la musique. Toute l’ambiance de ce film (y compris le son) est influencée par Andrei Tarkovski. Cela dit, la présence de l’obscurité, des nuages et du brouillard s’inspire également des Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman. J’adore l’univers mélancolique qu’elle a créé dans ce film. »

Remporter le Grand Prix Immersif à Venise, qu’est-ce que cela représente pour vous en tant qu’artiste ?

Daemen : « Nous avons créé notre collectif, le Studio Nergens, il y a deux ans et nous avions déjà travaillé sur quelques grands projets avant que je ne remporte ce prix. Bien sûr, cette récompense vient valider la qualité de notre travail, et recevoir un Lion de Venise est quelque chose d’absolument incroyable. Cela permet également de convaincre de potentiels partenaires et soutiens financiers. En fait, un certain nombre de projets sont déjà dans les rails pour 2025 et 2026. »

So how immersive is Songs for a Passerby, with which you won the Immersive Grand Prize at the Venice Biennale 2023?

Daemen: “I call it a VR opera, a dream-like experience. It takes place in a dark cityscape, in which you are led by a little dog. You follow the dog around – in the street, in the subway – and you walk into several scenes, in which you listen to people’s thoughts. At some point, you’ll see yourself in a mirror – due to some 3D cameras – and become a spectator of your own body. You have a kind of out-of-body experience. So it’s more of an explorative experience than an interactive one. You are not forced to go anywhere. Even though, as a spectator, you do have agency about how the journey develops.”

‘At some point, you’ll see yourself in a mirror and become a spectator of your own body - a kind of out-of-body experience’

What inspires you when making a dream-like experience like this?

Daemen: “I get inspiration from cinema. And from opera. And music. The whole atmosphere of this film (including the sound) is influenced by Andrei Tarkovsky. Mind you, the presence of darkness, clouds and fog is also inspired by Chantal Akerman’s Les rendez-vous d’Anna. I love the melancholic vibe she created in that film.”

Winning the Venice Immersive Grand Prize, what does that do for you as an artist?

Daemen: “We formed our collective, Studio Nergens, two years ago and we had already worked on some big projects – so before I won that prize. Of course, it’s a huge validation of our work, and it’s absolutely fantastic to hold a Venice Lion in your hands. It also helps convincing partners and financiers to work with you. In fact, we already have quite a number of projects lined up in 2025 and 2026.”

Comment pensez-vous que le monde de la réalité virtuelle va évoluer ?

Daemen : « Cela dépendra vraiment en grande partie des investissements réalisés par l’industrie technologique. Il faut qu’ils s’engagent en faveur du développement de technologies pour que nous puissions poursuivre notre travail créatif dans ce domaine. Mais ce qui est déjà très intéressant, c’est que les médias immersifs ne se limitent plus au simple port d’un casque de réalité virtuelle chez soi. On les trouve désormais dans les musées et les galeries, ce qui va vraiment faciliter leur accessibilité. J’espère donc vraiment qu’un nombre croissant de gens s’intéressera à l’art immersif à l’avenir. »

Juliette Duret

Songs for a Passerby sera présenté à Bozar du 18 au 27 juin 2025.

How do you think VR will evolve?

Daemen: “That really depends on the tech industry’s investment – a lot. We need them to invest in the development of technologies to continue our creative work in the field. But what’s already quite interesting is that immersive media are not just about wearing a VR headset in the comfort of your own home anymore. You can also experience them in museums and galleries, and that’s an amazing reach-out. So I really do hope more people will be getting involved in immersive art in the future.”

Songs for a Passerby is presented from 18 to 27 June 2025.

Couleur Additive Pequeña B, Paris 2011 15 x 15 cm © Carlos Cruz-Diez / Bridgeman Images 2024

The Unsound of Music

FR Avec le Bozar Electronic Arts Festival et les Nuits sonores, Bozar s’est forgé une solide réputation en matière d’art et de musique électroniques. Unsound, venu tout droit de Pologne, évolue lui aussi dans cette galaxie depuis des années. En 2025, les deux géants se rencontreront !

Vous n’avez vraiment jamais entendu parler d’Unsound ? Bon, ce n’est peut-être pas tout à fait impossible, si vous n’êtes pas fan de musique électronique ou seulement fan de David Guetta. Et pourtant. Depuis plus de 20 ans, Unsound déniche des joyaux bien gardés et des nouvelles pépites de l’électronique underground, et est devenu, au fil du temps, bien plus qu’un simple festival de musique. En 2012, il était déjà de passage à Bozar avec Music for Solaris du compositeur islandais Daníel Bjarnason et du producteur australien de musique électronique

Ben Frost. À la demande d’Unsound, pour marquer le 50e anniversaire du roman de science-fiction Solaris de Stanislaw Lems, les deux compositeurs avaient écrit une nouvelle œuvre pour cordes, percussions, piano, guitare et synthétiseurs (très menaçants).

« Pendant ce concert, nous avions également projeté une seule seconde issue du film du même nom d’Andreï Tarkovski », se souvient Mat Schulz, fondateur d’Unsound, « mais en la ralentissant et en la découpant de telle sorte que cette seconde accompagne l’ensemble du concert. C’était Brian Eno qui s’en était chargé pour nous à l’époque » Schulz dit cela en passant, comme si Eno était loin d’être le plus grand artiste avec lequel il a travaillé au cours de ses 22 années passées à Unsound.

Toutefois, le festival a débuté très modestement en 2003, dans une poignée de petits bars et de caves de Cracovie, la deuxième ville de Pologne, qui accueille environ un million d’habitants. Mais la première année, aussi petits qu’ils soient, ces bars et caves se sont révélés trop grands, se souvient Mat Schulz, « parce que nous n’avions

EN With Bozar Electronic Arts Festival and Nuits sonores, Bozar has built up a rock-solid reputation for both electronic music and art. But the Polish Unsound festival has also been on that path for years. 2025 will see the two giants come together!

For anyone who has never heard of Unsound: seriously!? OK, in a way it’s perhaps not entirely inconceivable, if you’re not into electronic music, or are labouring under the illusion that David Guetta is its chief proponent. And yet. Quite apart from the fact that Unsound has been diligently digging for undiscovered gems or rough diamonds in the electronic underground for more than twenty years now, it has since become so much more than a mere music festival. Bozar experienced it for the first time back in 2012 with Music for Solaris by the Icelandic composer Daníel Bjarnason and the Australian electronica producer Ben Frost. To mark the fiftieth birthday of Stanislaw Lem’s science fiction novel Solaris, the pair composed a new piece of music for Unsound. A work for strings, percussion, piano, guitar and (threatening) synths, to be precise. “During that concert, we also showed one second of the eponymous film by Andrei Tarkovsky,” recalls Unsound founder Mat Schulz, “but then slowed down and cut in such a way that that single second lasted for the entire concert. Brian Eno created that for us at the time.” Schulz says it casually, as if Eno is not the biggest artist he’s collaborated with in his twenty-two years at Unsound. And well, yes, that’s probably true. And yet the festival began on an extremely modest scale in 2003 – in a handful of small bars and basements in Kraków, Poland’s second-largest city with around a million inhabitants. But that first year, even the smallest bars and cellars proved to be still too big, Mat Schulz remembers, “because we hardly sold any tickets, and we were even thrown out of one of the bars in the middle of the night because the proprietors found the music too bizarre. That first edition was a total disaster

pratiquement pas vendu de tickets à l’époque, et nous avions même été expulsés d’un de ces cafés au milieu de la nuit parce que les propriétaires trouvaient la musique trop bizarre » Cette première édition a été un véritable désastre à tous les niveaux, et jamais nous n’avons songé à poursuivre l’aventure. Entre-temps, les choses se sont passées différemment. »

À l’époque, l’Europe occidentale comptait déjà un certain nombre de festivals consacrés à la musique électronique, qu’il s’agisse de grandes raves comme Mayday (Allemagne), Awakenings (Pays-Bas) et I Love Techno (Belgique) ou d’événements plus spécialisés comme Sonar (Espagne), 10 Days Off (Belgique) et CTM Festival (Allemagne). Mais en Pologne, il n’y avait rien au début du siècle. « Ou du moins rien qui puisse être pris au sérieux », explique Gosia Plysa, qui dirige aujourd’hui Unsound après l’avoir rejoint comme bénévole au cours de sa quatrième année d’existence. « Il y avait déjà des soirées techno, bien sûr, mais leur réputation laissait un peu à désirer. Elles étaient d’orientation assez commerciale et cela ne m’attirait pas durant mes études. J’aimais faire la fête, c’est certain, mais j’étais aussi à la recherche de musique ambitieuse. » Et puis, soudain, Unsound a vu le jour, un festival minuscule où la fête battait son plein, mais qui s’intéressait aussi au spectre expérimental de la musique électronique. Des noms comme Four Tet et Caribou figuraient à l’affiche, « mais ils n’étaient pas si importants que cela à l’époque », explique aujourd’hui Schulz, presque en s’excusant. « Notre scène n’était tout simplement pas encore aussi importante, dans le reste du monde non plus. J’ai simplement envoyé des e-mails à Four Tet et Caribou pour leur demander de venir jouer, parce que les bookers n’étaient pas du tout intéressés par ce type de musique électronique à l’époque. »

Ce n’est qu’avec l’arrivée de Gosia Plysa que Mat Schulz et ses compagnons ont commencé à voir les choses plus sérieusement. « Elle nous a demandé : pourquoi ne pas agrandir ce festival ? », se souvient-il. Sa réponse ? « Parce qu’il faudrait y consacrer plus de temps ! » Mais Plysa voyait les choses en grand : « Combler le fossé entre la musique de club et la musique expérimentale, entre les concerts assis et les concerts debout, entre le highbrow et le lowbrow, cela m’attirait énormément. Et en fin de compte,

in pretty much every respect, and no way did we think that we’d carry on with it. But I guess that turned out differently, didn’t it!”

Quite a few festivals in Western Europe were focusing on electronic music at the time –from large-scale raves like Mayday (Germany), Awakenings (The Netherlands) and I Love Techno (Belgium) to more specialist events – particularly for that era – like Sonar (Spain), 10 Days Off (Belgium) and CTM Festival (Germany). But there was nothing in Poland at the turn of the millennium. “Or at least, nothing you could take seriously”, says Gosia Plysa, who today heads up Unsound and who joined as a volunteer in the fourth year. “Of course, there were already techno parties, but these didn’t have the best reputation. They were pretty commercial, so they didn’t really attract my attention as a student. I may have been crazy about parties, but I was also looking for music with a certain ambition.”

And then suddenly there was Unsound, a tiny festival that was not averse to a good party, but was also heavily invested in the experimental spectrum of electronic music. The line-up included names like Four Tet and Caribou, “but they weren’t huge at the time” says Schulz today almost apologetically. “Our scene in general wasn’t yet that big here, or in the rest of the world. I simply emailed Four Tet and Caribou to ask if they would come and play, because bookers weren’t interested in that type of electronic music back then.”

What’s more, it wasn’t until Gosia Plysa came on the scene that Mat Schulz and his companions started to think about it more seriously. Schulz clearly remembers Gosia asking: “Why don’t you make this festival bigger?” And the answer was: “Because then we would have to put in more time!” But Plysa had a clear vision: “Bridging the gap between club and experimental music, between seated and standing concerts, between highbrow and lowbrow, that really appealed to me. And ultimately that’s exactly what Unsound continues to stand for today. We organise hedonistic raves in medieval salt mines, but equally, we stage events in philharmonic concert halls.”

Over the past twenty years, Unsound has become one of the world’s leading electronic music

c’est exactement ce qu’Unsound représente encore aujourd’hui. Nous organisons des raves hédonistes dans des mines de sel médiévales, mais nous sommes également actifs dans les salles de concert philharmoniques. »

Andy Warhol

Au cours des vingt dernières années, Unsound est devenu l’un des principaux festivals de musique électronique au monde, et il semblerait que l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne en 2005 y ait été pour quelque chose. Soudain, non seulement la culture polonaise bénéficiait de plus de moyens, mais il était également devenu plus facile pour les citoyens européens de se rendre à Cracovie. Car ne vous y trompez pas : Unsound n’est pas resté un secret bien gardé très longtemps. Le festival a rapidement été prisé par des amateurs de musique électronique venus des quatre coins de l’Europe.

« C’est parce que nous nous sommes obstinés à créer notre propre niche et à y rester », explique Plysa. « Ce qui n’a pas toujours été évident, car je me souviens qu’à un moment donné, nous avons dû faire un choix : élargir notre champ d’action et nous développer encore plus ou continuer à investir dans la qualité et ne pas toujours en récolter les fruits immédiatement. »

Le choix s’est finalement porté sur la seconde option. À tel point qu’Unsound a cessé de mettre à l’affiche des artistes comme James Blake, Oneohtrix Point Never et Mount Kimbie et a plutôt commercialisé le festival comme un événement artistique dans son ensemble. C’est à la même époque qu’Unsound a aussi commencé à concevoir ses propres œuvres, à l’instar d’un festival d’art. Et à franchir de plus en plus souvent les frontières, d’abord vers d’autres pays d’Europe de l’Est, puis, en 2010, vers New York. Pour le plus grand plaisir du New York Times qui, plein d’enthousiasme, avait décrit cet ambitieux festival comme étant « high-tech, évocateur et inclassable ».

Au programme de cette première édition newyorkaise figuraient des musiciens électroniques de premier plan comme FaltyDL, Morgan Geist et Jan Jelinek, mais aussi Empire d’Andy Warhol. « Un film de huit heures avec un seul plan de l’Empire State Building, cela ne demande qu’à être accompagné de musique live », explique

festivals, and Poland’s accession to the EU in 2005 reportedly had something to do with that. Suddenly in Poland there was not only money for culture, but it also became simpler for other Europeans to travel to Kraków. Because make no mistake: Unsound was only briefly a well-kept secret. It wasn’t long before electronic music lovers from all over Europe were beating a path to the festival.

“Because we stubbornly created our own niche,” says Plysa, “and then stuck to it. Which was certainly not always self-evident, because I clearly remember that at some point, we were faced with a stark choice: do we go broader and grow even more, or invest further in quality and perhaps not always reap the fruits of that straight away.”

‘We organise hedonistic raves in medieval salt mines but equally we stage events in philharmonic concert halls’

Ultimately, it was the second of those routes that was chosen. Even to the extent that Unsound stopped putting acts like James Blake, Oneohtrix Point Never and Mount Kimbie in big letters on the poster, and pivoted more towards marketing the festival as a whole as an art happening. Because around the same time, Unsound, like an arts festival, also started commissioning works. And it increasingly crossed the border. First to other Eastern European countries, but also to New York in 2010. To the delight of The New York Times, which enthusiastically described the ambitious festival as “high-tech, allusive and not to be pinned down.”

In addition to leading electronica musicians such as FaltyDL, Morgan Geist and Jan Jelinek, Andy Warhol’s Empire was also on the programme for that first edition in New York. “An eight-hour film with a single shot of the Empire State Building, that’s simply crying out for a live music score”, says Mat Schulz, who is also proud that Unsound was a pioneer in that respect. “Today there are a great many electronic music festivals that bridge the gap with other arts, or pride themselves on programming obscure names that you don’t see

Mat Schulz avec fierté, car Unsound a été un pionnier dans ce domaine. « Il existe aujourd’hui de nombreux festivals de musique électronique qui font le lien avec d’autres formes d’art ou qui s’enorgueillissent de programmer des noms obscurs que l’on ne voit pas sur toutes les autres affiches. En fait, c’est presque devenu une évidence, mais il y a 15 ans, c’était loin d’être le cas. Alors, quand le public de l’époque disait ne pas connaître les trois quarts des noms de la programmation, mais nous faire confiance malgré tout, c’était vraiment un compliment digne de ce nom. »

Après une décennie et plusieurs éditions couronnées de succès à Londres, Adélaïde, Toronto et Vladivostok, Unsound continue de se réinventer en tant que festival qui considère la musique électronique comme une forme de sculpture abstraite, selon ses propres termes.

« Entre-temps, nous essayons d’éviter autant que possible le mot «festival» », explique Plysa.

« Nous incluons désormais aussi de la danse, des performances artistiques et, récemment, nous avons même joué avec les odeurs en collaboration avec Tim Hecker, Kode9 et Ben Frost. Nous nous éloignons donc complètement du visuel, qui joue après tout un rôle prépondérant sur la scène électronique. Mais nous sommes aussi clairement à des annéeslumière du cliché d’un type qui passe deux heures derrière un écran d’ordinateur. »

« Nous sommes en quête d’aventure, tout comme Bozar », conclut Schulz. « Je suis vraiment content à l’idée d’élaborer ensemble un programme pluridisciplinaire. »

Ben Van Alboom

Unsound at Bozar a lieu les 14 et 15 février 2025, à l’occasion de la présidence polonaise de l’Union européenne.

on every other poster. In fact, this has almost become self-evident now, but fifteen years ago it was anything but. So if the audience then said: ‘we have never heard of three-quarters of the names on the bill, but we trust you,’ that was a huge compliment.”

In the meantime, we are a decade and many successful editions in London, Adelaide, Toronto and Vladivostok further on, but Unsound continues to reinvent itself as a festival that overtly sees electronic music as a form of abstract sculpture. “Though we now try to avoid the word festival as much as possible,” says Plysa. “We’re also doing things with dance, with performance art, and recently we even did something around scents with Tim Hecker, Kode9 and Ben Frost. So a complete departure from the visual, which plays a highly dominant role in the electronic music scene. But also a definitive break from the clichéd image of a dude standing behind his laptop for two hours.”

“We’re looking for adventure,” Schulz concludes, “just like Bozar. The idea that we’re now developing a multidisciplinary programme together makes me genuinely happy.”

Unsound at Bozar will take place on 14 and 15 February 2025, to mark the Polish Presidency of the European Union.

‘Nous voulons nous éloigner de l’image clichée d’un type debout derrière son ordinateur pendant deux heures’

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Bozar, restored in its former grandeur

Bozar Season ’24-’25

This is a Bozar publication.

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Managing Director Roger Christmann

Human Resources Director Ignace De Breuck

Secretary of the Board Hanne Lapierre

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Head of Music, strategy, artistic planning and production Aurore Aubouin

Head of Music, strategy and programming Jeroen Vanacker

Senior programmer Jazz, Global, Electro Roel Vanhoeck

Programmer Classical Music Maarten Sterckx

Programmer Jazz, Global, Electro Anton Vanderhasselt

Director of Exhibitions Zoë Gray

Exhibition department Axelle Ancion, Marie Claes, Colin Fincoeur, Ann Flas, Ann Geeraerts, Anne Judong, Vera Kotaji, Frédéric Oulieu, Damien Pairon, Anamaría

Pazmiño, Alberta Sessa, Maïté Smeyers, Christel

Tsilibaris, Gert Baart

Head of Words, Images, Live Arts, Digital Evelyne Hinque

Words, Images, Live Arts, Digital department

Elena Akilo, Olga Briard, Tanguy Janmart, Geraldine Lenseclaes, Pierre Meremans, Camilla Gilardoni, Raphaele Monnoyer, David Slotema, Frederik Vandewiele

Programmer Writers & Thinkers (Words) Safia Kessas, Tom Van de Voorde, Karl Vanden Broeck

Head of Cinema (Images) Juliette Duret

Digital Creations and Bozar Arcade Jafar Hejazi, Emma Dumartheray

Dramaturge Kurt De Boodt

Artistic Associate to the CEO Paul Briottet

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Marketing & Communication Director Marianne Janssens

Head of Institutional Relations Magdalena Liskova

Head of Partnerships & Philanthropy Elke Kristoffersen

Audience Engagement Manager Tine Van Goethem

Manager Planning & Ticketing Annik Halmes

Public Services Manager Matthieu Vanderdonckt

ICT & Digital Manager François Pettiaux

Investments, Security & Archives Manager Stéphane Vanreppelen

Manager Cleaning & Stock Rudi Anneessens

Maintenance Manager Eduardo Oblanca

Technical Production Manager Nicolas Bernus

The following people worked on this brochure: Editor-in-chief Ben Van Alboom

Coordination Kurt De Boodt, Emma Dumartheray, Eline Verbauwhede

Editing Olivier Boruchowitch, Guillaume De Grieve, Cedric Feys, Astrid Jansen, Lotte Poté

Translations Paula Cook, Piet De Meulemeester, Judith Hoorens, Helen Simpson, Catherine Warnant

With the contribution of Mien Bogaert, Pascal Claude, Jasper Croonen, Josephine Dapaah, Kurt De Boodt, Juliette Duret, Emma Dumartheray, Katrien Driesen, Ann Geeraerts, Zoë Gray, Marianne Janssens, Safia Kessas, Ronald Meeus, Elena Ndidi Akilo, Anamaría Pazmiño, Christophe Slagmuylder, Maïté Smeyers, Estelle Spoto, Maarten Sterckx, Iwan Strauven, Christel Tsilibaris, Ben Van Alboom, Jasper Van Loy, Hidde van Schie, Roel Vanhoeck

A special thanks to all participating artists and interviewees Monira Al Qadiri, Aurore Aubouin, Paul Briottet, Lou Cocody-Valentino, Martha Da’ro, Celine Daemen, Berlinde De Bruyckere, Geoffroy de Lagasnerie, Tandazani Dhlakama, Didier Eribon, Inès Eshun, Alphonse Eklou Uwantege, Michael Ghyoot, Jafar Hejazi, Hendrik Lasure, Édouard Louis, Ovidie, Gosia Plysa, Deicy Sanches, Mat Schulz, Caroline Shaw, Jeroen Vanacker, Löah Salik, Koyo Kouoh, Davoné Tines, Robbrecht en Daem architecten, Apichatpong Weerasethakul

Cover image Sophie Taeuber-Arp, Quadrangular Strokes Evoking a Group of Figures (detail), 1920, Courtesy Galerie Natalie Seroussi, Paris

Graphic Design Koenraad Impens

Printed by Artoos

In print on 15.07.2024

Responsible editor Christophe Slagmuylder, rue Ravensteinstraat 23 – 1000 Brussels

FR/EN Cette publication est éditée en français et en anglais. Il existe également une autre version en néerlandais et en anglais.

This publication is published in French and English. There is also another version in Dutchand English.

Cette brochure est imprimée sur du papier Munken Lynx Rough d’Arctic Paper Munkedal. Ce papier est certifié Cradle to Cradle ®, une norme mondialement reconnue pour des produits sûrs et durables conçus pour l’économie circulaire.

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