Boudu 21 - Septembre 2017

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Où l’on apprend qu’à Toulouse, la défaite, ça ne pardonne pas, que l’on peut monter jusqu’à Paris pour boire une soupe et que la médiathèque José Cabanis est un véritable draguodrome.

N°21

MAGAZINE TOULOUSAIN ACTUEL demain – p.62

Smart City pour les nuls

filature – p.44

La vraie vie des détectives Fabriqué à Toulouse

Bruniquel – p.48

Six mois après l’arrivée des migrants

SEPTEMBRE 2017



BOUDU N° 21 – SEPTEMBRE 2017

SOMMAIRE BOUDU le magazine toulousain actuel, est édité par TRENTE&UN, société coopérative à capital variable, au capital de 48 150 €. RCS Toulouse n° 802388017. Siège social : 20, rue des Blanchers - 31000 Toulouse redaction@editions31.com Gérant et directeur de la publication  : Jean Couderc.

Rédaction Rédacteur en chef  : Jean Couderc Directeur artistique et photographe : Matthieu Sartre

ENQUÊTE NI VU NI CONNU

Ils gagnent leur vie en fourrant leur nez dans les affaires des autres et leur turbin tient davantage du planton que du barbouze. Pour découvrir leurs méthodes, Boudu a suivi quelques privés en filature.

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Chef d’édition : Sébastien Vaissière

REPORTAGE JOURS D’ASILE À BRUNIQUEL

Réalisation graphique : Clara Doineau Journalistes : Sarah Jourdren et Julie Guérineau

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Correcteur : Noé Gaillard

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marc.brunel@editions31.com 06 86 15 01 75

Retrouvez nos offres abonnés p.41 Service abonnement : abonnement@editions31.com

Imprimé par SA Escourbiac (Graulhet). Tous droits de reproduction réservés. ISSN 2431 - 482X. CPPAP : 1118 D 92920

Dans le village quercinois, les jeunes migrants installés par l’État à l’automne dernier prennent leurs marques. Du côté des habitants, l’élan solidaire a pris le pas sur l’inquiétude des premiers jours.

INTERVIEW LE BASKET, UNE MÉLANCOLIE TOULOUSAINE

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«

Alors que le Toulouse Basket Club vient de renoncer à son ticket pour la Nationale 1, le scénographe et photographe Philippe Cazaban nous rappelle que ce sport a pourtant longtemps eu la cote à Toulouse.

INTERVIEW

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MANU GALURE, musicien

COMME LE GENRE DE CHANSONS À TEXTE QUE JE FAIS N’INTÉRESSE PAS GRAND MONDE, CEUX POUR QUI JE SUIS UNE ICÔNE INTOUCHABLE SONT PLUTÔT RARES…

»


BOUDU N° 21 – SEPTEMBRE 2017

SOMMAIRE actuel

LE FAIT p. 7 PAROLES, PAROLES p. 8 MICRO-ONDES p. 10 VITE DIT p. 16 TRIBU p. 18 ÇA SE PASSE AUSSI EN OCCITANIE p. 20 POLITITWEET p. 22 FALLAIT L’INVENTER p. 24

réel

EN COUV’ p. 28 ÉCOLE, LA BULLE ALTER Et si la notoriété grandissante des écoles alternatives était un miroir des contradictions de notre société ?

ENQUÊTE p. 38 PRIS DE COURS

Un récent rapport du Sénat révèle que de plus en plus d’enseignants-stagiaires démissionnent. Les échos, sur le terrain, confirment les difficultés de cette année de titularisation, partagée entre la formation et les cours.

REPORTAGE p. 42 CATUS En postant sur le web une vidéo pour tenter de recruter un troisième médecin, Catus s’est forgé une visibilité nouvelle qui a attiré les curieux… et la rédaction de Boudu.

idées

SI VOUS AVEZ MANQUÉ LE DÉBUT p. 62 SMART CITY : QU’ÈS AQUÒ ? On entend partout parler de ville intelligente, sans trop savoir de quoi il en retourne. Explication de texte avec le journaliste Francis Pisani, et quelques exemples à l’appui.

relax

L'AFFICHE p. 67 INTERVIEW p. 68 CULTURE INTENSIVE p. 70 L'ADDITION p. 74 ALLONS-Y QUAND MÊME p. 76 OBJO-THÉRAPIE p. 78 TENDANCE p. 79 CHRONIQUES p. 80


ÉDITO

Mesure Il est des retours de vacances plus réjouissants que celui-ci. Entre les attentats terroristes aussi inéluctables qu’imprévisibles, la réforme du code du travail dont on sent bien qu’elle ne va pas franchement améliorer notre quotidien, et les chiffres du chômage repartis à la hausse après une timide embellie printanière, les raisons de traîner les pieds en cette rentrée des classes ne manquent pas. Sauf peut-être pour les élèves des écoles alternatives, sur le sort desquelles nous nous penchons ce mois-ci. Ces établissements en marge du système traditionnel se revendiquent tous de la pédagogie active (où l’enfant est acteur de ses apprentissages). Leur succès ne cesse de croître, comme en atteste l’ouverture de plusieurs établissements à Toulouse ce mois-ci. Que nous apprend cette enquête ? Qu’il convient de rester mesurés avant de jeter l’anathème sur les méthodes plus classiques utilisées dans l’Éducation nationale. Rien d’étonnant au fond, tant l’Homme est perclus de préjugés. Et ce ne sont certainement pas les habitants de Bruniquel, ravis de compter parmi eux des réfugiés après quelques semaines de méfiance réciproque, qui soutiendront le contraire. De la mesure en toute chose et un peu d’ouverture d’esprit, voilà, en substance, la leçon que délivre ce numéro de rentrée. Comme quoi, on trouve de tout dans Boudu, même de la philo. Bonne rentrée à tous !

PAR

JEAN COUDERC BOUDULEMAG.COM _ 7


STARRING PAR ORDRE D’APPARITION

Luc Camilli - cofondateur de Xbo films Aurélie Maillols - vice-présidente de la Région Occitanie chargée de la montagne Virginie Perilhon - chargée de développement de Xerius Tracking Gabriel Landron - enseignant aux Tournesols Emmanuelle Chesneau - directrice des Tournesols Pierre Priouret - secrétaire général du SNES-FSU 31 Patrick Mpondo-Dicka - maître de conférences à l’université Toulouse - Jean-Jaurès Catherine Viès - directrice d’Arborescences Kim Lascurette - directrice de La Boétie Gisèle Verniol - élue municipale socialiste Erwan Rino - éducateur spécialisé Emmanuelle Dufrenne - enseignante en disponibilité Jean-Philippe Gadier - représentant syndical SNUipp-FSU Muriel Escribe - docteur en psychologie Marie Farré - directrice de La Découverte Sandra Seignan - neuropsychologue Rachel Quesnel - enseignante Clémence Poiron - enseignante Muriel Paletou - présidente de la FCPE 31 Anne Egéa - chargée du suivi des enseignants-stagiaires à l’Espé Cyril Lepoint - secrétaire académique de l’Unsa Sabrina Roche - représentante syndicale à la CGT Educ’action Florent - enseignant-stagiaire Patricia - enseignante-stagiaire Elise Favre-Bonvin - médecin à Catus Laurent Notzon - chargé de communication à la mairie de Catus Jean-Marie Canivet - détective privé Patrick - ex-détective privé Francis Potok - détective privé Issam - demandeur d’asile soudanais Louisette - bénévole auprès des demandeurs d'asile à Bruniquel Abdallah - demandeur d’asile soudanais Stéphanie Roger - responsable du CAO de Bruniquel Michel Montet - maire de Bruniquel Valérie - salariée du CAO de Bruniquel Mokhles - réfugié soudanais Laurence Dallier - directrice de l’école de Bruniquel Hossein - demandeur d’asile afghan Véronique Ortet - directrice départementale de la cohésion sociale Philippe Cazaban - photographe - scénographe Mélissa Mayeux - joueuse de baseball Francis Pisani - journaliste Manu Galure - musicien Frank Renimel - chef cuisinier

Ont collaboré à ce numéro : Nicolas BELAUBRE, Élodie BOMPA, Julien BOMPA, Louise BUYENS, Franck CAMBUS, Marie DESRUMAUX, Marine GASC, Lina GOBBINI, Jean-Christophe MAGNENET, Juliette MAS, Guillaume MONTARON, David PERPÈRE, Aurélie de VARAX Photo page 4 : Juliette MAS


Actuel

PAROLES,  PAROLES

p. 8

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MICRO-ONDES

p. 10

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VITE  DIT

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TRIBU

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POLITITWEET

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FALLAIT  L'INVENTER

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© Omegabyte 3D

adj. QUI A LIEU DANS LE MOMENT PRÉSENT

TROP BEAU POUR ÊTRE VRAI ? Alors que l’annonce de l’installation d’Hyperloop TT à Francazal avait suscité l’enthousiasme général, la révélation, au cœur de l’été, du passé trouble du directeur du centre de recherche toulousain Andres de León jette le trouble sur le projet.

L

e lieu serait-il maudit ? Avec la divulgation cet été, dans les colonnes de La Dépêche du Midi, du passé trouble, pour ne pas dire sulfureux, d’Andres de León, président du site toulousain de recherche Hyperloop Transportation Technologies, les vieux fantômes de Francazal ont resurgi. Il y a quelques années à peine, le projet d’implantation de studios de cinéma de la Raleigh sur le site de l’aéroport militaire, porté par l’architecte cugnalais Bruno Granja, avait fait naître un vent d’espoir équivalent. Avant que tout le monde ne déchante à l’issue d’un (long) feuilleton savamment entretenu par la presse locale. Alors aujourd’hui, qu’en est-il exacte-

ment ? Et surtout, que reproche-t-on à Andres de León ? Essentiellement d’avoir touché de l’argent public, dans deux affaires, une en Belgique et l’autre en Espagne, lors de reprises d’entreprises qui se sont soldées, à chaque fois, par des liquidations judiciaires. Dès lors, une question se pose : celui qui est devenu directeur des opérations d’Hyperloop TT en septembre 2015, soit six mois à peine après sa seconde faillite, a-t-il retenu les erreurs du passé ? Du côté de l’État, de la Région Occitanie et de Toulouse Métropole, qui ont signé le 24 janvier 2017 un protocole d’accord prévoyant l’implantation d’un centre de R&D à Francazal, l’heure n’est pas (encore) à la panique. Mais la prudence est de mise… BOUDULEMAG.COM _ 9


MICRO-ONDES L'actualité réchauffée

ORIGINAL Le maire d’Ustou en Ariège, Alain Servat, prend un arrêté municipal interdisant la divagation de l’ours sur le territoire de sa commune.

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BIEN TENTÉ Un Toulousain lance une pétition pour demander à Tisséo un mois d’abonnement gratuit suite aux perturbations liées à l’arrêt de la ligne A du métro. En vain.

VOLONTAIRE Frédéric Pecharman, du collectif Homodonneur, part de Toulouse à pied direction Paris pour réclamer l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels face au don du sang.

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19 / 08


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27 / 08

BOOMERANG Pascal Dupraz avait beau avoir annoncé, la veille, que son équipe comptait « placer le bus devant le but », le TFC encaisse six buts au Parc des Princes face au PSG dont deux de Neymar (6-2). Pendant ce temps, l’équipe de France de basket en passe 25 à son homologue italienne dans le cadre du tournoi de Toulouse (88-63).

ARROSÉ

REPRISE Après un mois d’arrêt pour travaux, la ligne A du métro reprend son fonctionnement normal.

Un homme, membre d’un collectif anti-corrida, saute dans l’arène à l’occasion de la feria de Carcassonne… et se fait charger par le taureau.

© PHOTO Matthieu SARTRE

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COMPILÉ PAR

Jean COUDERC BOUDULEMAG.COM _ 17


EN COUV'

École

LA BULLE ALTER

Elles s’appellent Tournesol, Découverte, Arborescences, Prairie ou Tour Rose. Elles sont de plus en plus nombreuses, ces écoles dites « alternatives », qui remettent souvent au goût du jour les « pédagogies nouvelles » du début du xxe siècle. En quelques années, leur notoriété grandissante s’est invitée dans la remise en cause de l’Éducation nationale. En surfant à la fois sur l’individualisme et l’altermondialisme, ces écoles sont devenues un reflet saisissant des contradictions de notre société. - par Sarah JOURDREN photographie Juliette MAS -

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TEMPS DE LECTURE 10 MIN


D

ans un raclement de chaises, les 15 élèves de la classe de monsieur Landron se lèvent à l’annonce de la date du jour. Les bras croisés sur la poitrine, ils récitent en chœur la « parole » du matin, sorte de prière au soleil, à la nature et à Dieu. Quand tout le monde s’assoit, l’enseignant attrape un bocal posé sur son bureau : « Jean nous a trouvé une drôle de bête. C’est une larve de courtilière, elle vit sous la terre et mange les légumes au collet. On ne devra surtout pas la relâcher dans le potager ! » Et la journée d’école commence, en douceur en cette fin d’année scolaire. Passées les premières minutes, la classe de monsieur Landron semble assez ordinaire, avec ses tables pour deux alignées face au tableau noir, ses bibliothèques dans les coins et ses dessins accrochés aux murs. Mais les parents ne choisissent pas Les Tournesols par hasard : dans cette école Steiner-Waldorf* (voir lexique page 32), on prône « une confiance en l’enfant, en ce qu’il porte en lui et va développer » et un « lien avec la nature ». La directrice, Emmanuelle Chesneau, explique : « On est dans une société très intellectuelle. Les enfants y sont à l’étroit. Quand on les laisse libres, ils se dégagent. Chez nous, on se sent comme dans une bulle, on prend le temps de tout. Nous voulons préserver les élèves pour qu’ils vivent leur enfance. » Ce discours-là est celui de beaucoup de parents qui ont fait le choix de l’école alternative. Ils sont de plus en plus nombreux à bouder l’Éducation nationale et le privé traditionnel pour se tourner vers ces pédagogies qui se veulent plus respectueuses du rythme de l’enfant et de son individualité. Et l’offre ne cesse de s’élargir à Toulouse : au moins quatre écoles ont ouvert en 2016, et trois autres sont prévues pour la rentrée 2017. Sans parler d’hémorragie, le

secrétaire général du SNES-FSU (Syndicat national des enseignants du second degré) de l’académie de Toulouse, Pierre Priouret, observe « un phénomène réel qui touche surtout le premier degré, mais auquel le second degré ne va pas échapper ». En cause selon lui, une logique d’individualisation de la société : « Certains parents ne supportent pas l’idée que leur gamin soit mis à la sauce commune. Ils veulent préserver son individualité et le système scolaire, massif, inquiète. » Le syndicaliste dénonce aussi le discours ambivalent de l’institution qui « communique sur l’individualisation de l’enseignement » : « Les parents ne retrouvant pas cela dans les classes, ils sont déçus. Ceux qui ont les moyens investissent là où le taux d’encadrement correspond à leurs attentes. » Maître de conférence à l’université Toulouse - Jean-Jaurès et membre actif de l’université d’été Ludovia, qui réunit chaque année des acteurs de la communauté éducative, Patrick Mpondo‑Dicka insiste : « Il y a un travail de sape des institutions de la République. La sphère publique s’est progressivement privatisée et il était normal que cela rejaillisse sur l’institution scolaire : quand vous êtes clients de l’école et que vous voulez le meilleur pour vos enfants, plein de choses ne vous vont plus. » Et en premier lieu les effectifs : jusqu’à 32 enfants, par exemple, dans les classes de maternelle toulousaines. Les écoles alternatives l’ont bien compris. Sur la base de pédagogies plus ou moins nouvelles (les plus

connues – Freinet*, Montessori*, Steiner – ont été développées au début du xxe siècle), elles proposent des classes à petits effectifs et, bien souvent, multi-âges. À l’école La Découverte à Castanet-Tolosan (voir reportage photo page 34), la pédagogie Montessori et la communication NonViolente* sont exercées avec une quinzaine d’enfants seulement, de trois à dix ans.

« NOUS VOULONS PRÉSERVER LES ÉLÈVES POUR QU’ILS VIVENT LEUR ENFANCE. » Emmanuelle Chesneau, directrice des Tournesols

À l’école Arborescences, réservée aux enfants diagnostiqués précoces, Catherine Viès a mis en place, depuis la rentrée 2016, deux classes de dix enfants. Kim Lascurette, qui vient d’ouvrir une école dans un pavillon de Saint-Martin-du-Touch, a fait aussi ce constat : « Dans le public, les classes surchargées empêchent les instituteurs de prendre les élèves en considération. Les enfants fragiles sont mis à l’écart car ils ne disent rien. On ne s’occupe que des perturbateurs, qui eux aussi sont en

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EN COUV' souffrance. » La Boétie n’accueillera pas plus de 12 élèves afin de mettre en œuvre une pédagogie active* au cas par cas.

“Faire école”

Mais les classes surchargées ne sont pas l’unique écueil que les parents reprochent à l’Éducation nationale. Les mots sont parfois durs pour l’institution, accusée de bourrer le crâne des enfants et de ne pas être au niveau, de brimer ceux qui apprennent vite et de ne pas respecter le rythme des autres. « L’école publique a déçu, déplore l’élue municipale d’opposition Gisèle Verniol. Elle ne joue plus son rôle d’ascenseur social, or les parents savent que la réussite professionnelle dépend encore en grande partie de la réussite scolaire. » Surtout, les parents n’acceptent plus d’être exclus : « Être au cœur de l’enseignement, c’est rassurant. L’école publique a commis une faute majeure en n’ayant jamais admis les parents en son sein. Alors que dans les écoles alternatives, ils ont une place. C’est même là-dessus qu’elles communiquent. » Faute de moyens, mais aussi par conviction, beaucoup d’écoles alternatives sont en effet des écoles associatives. C’est le cas des Tournesols mais aussi de La Découverte, où les parents sont régulièrement conviés pour des petits travaux, des réunions, ou l’organisation de fêtes ou de sorties. Erwan Rino, parent de deux enfants inscrits à la Calandreta de CastanetTolosan, a rapidement été séduit par ce fonctionnement participatif :

« L’un des piliers des Calandretas, c’est de "s’associer pour faire école". Les parents sont nécessaires dans l’organisation, ils gèrent les questions d’emplois, de sécurité, de budget… Tout, sauf la pédagogie. » Certaines écoles vont plus loin, en offrant aux parents la possibilité d’animer des activités à destination des enfants. Emmanuelle Dufrenne, maman de la petite Éléna, inscrite depuis un an à La Découverte, s’en félicite : « Ça me tenait vraiment à cœur de m’investir. Je trouvais bien qu’on ait la possibilité d’observer, de prendre part à la classe. J’ai proposé de faire du chant une fois par mois, et j’ai mis en place le potager de l’école avec un autre parent. »

« QUAND VOUS ÊTES CLIENTS DE L’ÉCOLE ET QUE VOUS VOULEZ LE MEILLEUR POUR VOS ENFANTS, PLEIN DE CHOSES NE VOUS VONT PLUS. » Patrick Mpondo-Dicka, maître de conférences

Mais parfois l’association peut aussi décevoir, quand les promesses éducatives ne sont pas tenues. Arrivés à la Calandreta de Castanet-Tolosan avec leur fils ainé en 2008, Amandine et Stéphane viennent d’en claquer la porte. En cause, un conflit ouvert avec

les enseignants qui durait depuis deux ans, vécu d’autant plus violemment qu’ils ont toujours été très investis dans l’association de parents qui gère l’école. « On n’était plus sur la même longueur d’onde. Quand en septembre dernier on a compris que la situation ne s’améliorait pas, on a contacté la fédération des Calandretas pour une médiation. Pour les enseignants, ça a été une déclaration de guerre. » Surpris par la lenteur de la réaction de la fédération et déçus par des méthodes pédagogiques qui ne leur convenaient plus, les deux parents n’ont pas réinscrit leurs enfants cette année : « Quand on vend des principes durant les portes ouvertes, il faut qu’on les retrouve dans la classe ! Or cette année, les pédagogies actives étaient parfois un peu laissées de côté. »

Les petits et l’écran

Qui sont ces parents, qui donnent tant de temps (et d’argent) pour faire vivre l’école de leurs enfants ? Les directions des différents établissements entendent (officiellement) préserver une certaine mixité. Aux Tournesols, Emmanuelle Chesneau parle même d’un « vrai melting-pot » – la pédagogie Steiner, peu connue en France, est très populaire dans certains pays du monde – quand Kim Lascurette, de la Boétie, assure donner des coups de pouce aux parents en difficulté. Dans les écoles plus spécifiques, comme celle pour enfants précoces de Catherine Viès, ce sont souvent des ruptures scolaires qui amènent les parents : « Ils viennent me voir en désespoir de cause, préférant payer,

LA REVANCHE DES PROFS DU PUBLIC « Je repars riche de l’expérience que j’ai eue ici, mais contente de pouvoir faire bénéficier de cette pédagogie le plus grand nombre. » Enseignante à La Découverte, Rachel Quesnel vient d’obtenir sa mutation dans une école publique toulousaine. Elle n’est pas la seule à vouloir changer les choses de l’intérieur : la loi laissant aux enseignants une grande liberté pédagogique, des initiatives fleurissent un peu partout dans l’Éducation nationale. Il y a un an, Clémence Poiron, frustrée par des méthodes « qui ne fonctionnent pas et laissent trop d’élèves de côté », découvre la gestion mentale* : « Je préfère parler de pédagogie des gestes de l’apprentissage, parce que gestion mentale, ça fait psychologie… Avec cette méthode, je savais que je tenais quelque chose de faisable. » Difficile pour la prof de maths d’abandonner

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ce qu’elle connaît pour tout reconstruire, mais elle s’accroche. « Sans ça, je crois que j’aurais démissionné. » Si ces expériences restent ponctuelles, l’arrivée du numérique dans l’Éducation nationale pourrait bien changer les choses, selon Patrick Mpondo‑Dicka : « Ce ne sont pas les fondamentaux de l’éducation qui changent, mais les moyens pour les mettre en œuvre. Internet est un levier pour amener les pédagogies actives dans l’école. Il y avait déjà des enseignants qui les expérimentaient, mais la nouveauté, c’est leur capacité à échanger. » Et à s’emparer des nouveaux outils, comme la classe inversée (utilisation du temps de classe pour expliquer et mettre en pratique le cours découvert à la maison) ou les twictées (dictées sur Twitter), pour réinventer la pédagogie.


tant ils ne savent plus quoi faire. » Car ces écoles coûtent généralement très cher : 3 500 euros par an en moyenne, même si les prix sont très variables d’une école à l’autre (de 75 euros par mois à plus de 500 euros par mois) et souvent calculés en fonction du quotient familial. Un tarif justifié par leur statut d’établissement privé, souvent hors contrat, qui les prive des subventions de l’État. Les médecins et le milieu éducatif sont donc unanimes : par la formation ou le niveau de revenu, les parents qui inscrivent leurs enfants dans ces écoles appartiennent à des catégories socio-professionnelles supérieures. Un peu cynique, Pierre Priouret décrit « des parents qui ont les moyens et qui cherchent un certain entre-soi, mais aussi des parents qui y croient sincèrement. Beaucoup d’enseignants sont séduits parce qu’ils sont eux-mêmes frustrés dans l’exercice de leur métier ». Erwan Rino est pleinement conscient du manque de diversité de l’école de ses enfants, notamment du point de vue du capital culturel, et le déplore : « Cela me gêne, cette idée qu’on ne rencontre jamais ceux qui sont peut-être nos voisins. Mais je fais aussi le pari d’éduquer des personnes qui, demain, vont réfléchir à ces questions. » Au risque, entre temps, d’accentuer

des inégalités déjà présentes dans la société ? Possible, si l’on en croit Jean-Philippe Gadier, représentant syndical au SNUipp-FSU (Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles et PEGC) : « Si l’État n’a pas d’ambition pour l’école publique, elle pourrait, comme cela s’est passé pour le secteur de la santé, devenir un standard minimal. Les parents qui en ont les moyens pourront s’en extraire pour trouver de meilleures conditions scolaires pour leurs enfants. » Pour Muriel Escribe, docteur en psychologie, un fossé existe déjà, particulièrement marqué par la relation aux écrans : « Une partie de la population prend conscience de leurs effets néfastes alors que l’autre partie en est surgavée. Dans la Silicon Valley, ceux qui fabriquent les jeux vidéo mettent leurs enfants dans les écoles Waldorf : des établissements sans écrans ! »

Libéralisme altermondialiste

« Il est difficile de maintenir les idéaux républicains dans l’école publique, constate Patrick Mpondo‑Dicka. Elle n’est plus le sanctuaire des valeurs qu’elle a été, elle est en prise directe avec la société qui est de plus en plus libérale. » Paradoxalement, c’est aussi un rejet du

« IL Y AURA UN DÉCALAGE À L’ENTRÉE EN SIXIÈME, MAIS LES ENFANTS PEUVENT COMPENSER, CAR SOUVENT ILS SAVENT S’ADAPTER. » Muriel Cornic, pédiatre libéralisme qui pousse les parents à se tourner vers l’alternatif : « Dans tous les domaines, ça devient une solution, y compris dans l’éducation. Si les parents sont séduits, c’est parce qu’ils ont intégré l’idée que l’école publique serait médiocre et qu’ils sont étonnés par les bons résultats obtenus par les pédagogies actives. » Si les résultats sont effectivement vantés par toutes les écoles, qui mettent en avant des enfants plus équilibrés, plus sociables et plus autonomes, ils BOUDULEMAG.COM _33


une mélancolie toulousaine

– PROPOS RECUEILLIS PAR Sébastien

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VAISSIÈRE

TEMPS DE LECTURE

7

MIN

© Musée du basket

Au printemps dernier, le Toulouse Basket Club obtenait brillamment son ticket pour la Nationale 1, avant de renoncer à cette promotion faute de soutien municipal et de moyens financiers. Les amateurs de basket de la ville, attristés par la nouvelle, se sont quelque peu consolés à la fin du mois d’août avec la tenue d’un tournoi préparatoire à l’Euro opposant l’équipe de France aux meilleures nations européennes. Pris dans l’ambiance de cette compète, nous nous sommes demandé pourquoi ce sport magnifique n’avait pas davantage la cote à Toulouse. La réponse, pleine de surprises, nous est venue du photographe et scénographe toulousain Philippe Cazaban, apôtre du sport comme support des rêves, et auteur d’un livre référence sur l’histoire du basket.


INTERVIEW Comme la plupart des Toulousains, nous ne sommes pas très calés en basketball à la rédac de Boudu. C’est grave ? Franchement ? Oui. Non seulement vous passez à côté d’un sport magnifique, mais en plus vous tournez le dos à une partie de l’histoire de votre pays et de votre ville. Songez qu’avant les années 1950, Toulouse était tout autant une ville de basket qu’une ville de rugby… Peut-être même davantage passionnée par le premier que par le second. En quoi le basket fait-il partie de l’histoire de Toulouse ? L’épisode le plus emblématique où se confondent histoire du basket toulousain et grande histoire, est certainement la tenue du premier France-Espagne jamais organisé. C’était en mars 1943. En pleine occupation ? Oui, c’est une histoire folle qu’on doit à Charles Pilé, alors président de la ligue des Pyrénées, qui gérait le basket de la zone libre, du Gers jusqu’à Montpellier. Cet homme à l’accent rocailleux délicieux, se met un jour en tête d’organiser chez nous une rencontre entre la France libre et l’Espagne franquiste. À l’époque, le basket est très populaire à Toulouse. Pour se distraire des malheurs de la guerre, on y joue un peu partout, et on se presse par milliers pour assister à des rencontres. Comment Charles Pilé est-il parvenu à réunir deux équipes nationales en pleine guerre ? La chose a pris du temps, et la rencontre a été reportée à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le mois de mars 1943 soit choisi par les deux parties. Or, le 1er mars, la ligne de démarcation entre l’ancienne zone libre et la zone occupée est définitivement supprimée. Les nazis prennent possession de la frontière francoespagnole, et bloquent à Port-Bou les basketteurs espagnols en route pour Toulouse. Ils ne réussiront à se faufiler en France que quelques jours plus tard. Quid des joueurs français ? Tous n’arrivent pas à Toulouse à temps du fait de la panique générale de ce mois de mars. Pour ceux qui y parviennent, le hic, c’est le logement. Les hôtels toulousains sont complets. Charles Pilé, qui est plein de ressources, parvient à les loger dans une maison close derrière la place Jeanne-d’Arc. Et finalement, le match a lieu le 7 mars au stade des Minimes, devant près de 8 000 personnes, avec une rencontre de basket féminin en lever de rideau. Quel souvenir ce match a-t-il laissé sur le plan sportif ? On peut dire sans trop se mouiller que la rivalité historique entre le basket français et le basket espagnol est née au stade des Minimes ce jour de mars 1943. Les Espagnols étaient déjà très bons, mais les Français sont parvenus à arracher la victoire 25-24 grâce à un panier inespéré du parisien Henri Lesmayoux.

Nous voilà convaincus de l’importance du basket ! Pourriez-vous combler nos lacunes en quelques mots ? Essayons ! Le basket a été créé en décembre 1891 par James Naismith, un prof d’éducation physique de Springfield, qui cherchait un moyen de distraire les jeunes gens de la YMCA (Young Men’s Christian Association). Il voulait faire du basket un sport sans contact dans lequel le respect de l’adversaire est primordial, un moyen d’éducation aux valeurs chrétiennes, et même un vecteur d’évangélisation. Quand et comment le basket est-il arrivé en France ? Quand les soldats américains ont débarqué en Europe en 1917, les officiers français ont été stupéfaits de constater leur supériorité sur les européens dans le jet de grenade. Ils ont vite compris que les sports américains (football américain, baseball et basketball) amélioraient la force, la coordination et l’adresse des jeunes gens. Ils en ont encouragé la pratique dès 1918 en France, mais seul le basket est parvenu à percer.

« La rivalité historique entre le basket français et le basket espagnol est née au stade des Minimes, le 7 mars 1943. » Pour quelle raison ? La volonté des instructeurs des YMCA a été décisive dans la réussite de l’enracinement du basket en France. Sans eux, ce sport serait peut-être resté aussi confidentiel chez nous que le baseball. Quand a-t-on commencé à jouer au basket à Toulouse ? Les premiers clubs sont apparus dans les années 1920 et se sont multipliés dès les années 1930 au gré des antagonismes entre les facultés, entre les curés et les rouges, entre les bourgeois et les ouvriers, entre les cheminots (TCMS) et les gars de l’aviation (TOAC) ou de la Poudrerie. Par exemple, le patronage des Cadets de Saint-Etienne (leur terrain jouxtait la cathédrale) était en concurrence avec les basketteurs de l’Étoile rouge de Toulouse. Ces derniers, très engagés à gauche, jouaient en rouge et noir sur un terrain proche de la Colonne. Ils évoluaient dans le championnat FSGT et ont fourni beaucoup de grands joueurs. Ce qui est passionnant, c’est que l’évocation du basket d’hier révèle une géographie toulousaine disparue : le terrain démontable des années 1930 sur la place du Capitole, le stade des Minimes où les matchs de basket réunissaient des milliers de spectateurs, ou encore le mythique gymnase du Pré-Catalan, une BOUDULEMAG.COM _ 57


CULTURE INTENSIVE

SEPTEMBRE, EN ATTENDANT Aux émotions ardentes des septembres d’enfants, enfiévrés par la peur de la nouvelle maîtresse et le bonheur fébrile des retrouvailles, nous autres adultes n’avons à opposer que les cendres fumantes de septembres asphyxiés par l’éteignoir de la flemme ou du renoncement. Il faudra donc nous tourner vers l’art (ou à défaut vers la culture) pour éprouver l’émoi et les exaltations que la vie nous refuse. Aussi soignerons-nous le blues de la rentrée avec les doigts de Laloum, le souvenir de Maris ou les sifflements de Radix. Et si les symptômes persistent, Chambre avec vie le nihilisme rigolo du Fifigrot fera l’affaire. Le festival de musique de chambre Les Pages Musicales de Lagrasse a trois ans et un directeur artistique de renom : le feel good pianiste toulousain Adam Laloum. Nées sur la base solide de l’association de l’orgue de Saint-Michel-de-Lagrasse (instrument de 1853, classé et restauré, à la qualité de timbre inégalable), Les Pages Musicales profitent cette année d’une programmation riche et alléchante, dans laquelle, s’il fallait choisir, on retiendrait l’interprétation de pièces de Rachmaninov sous les crins de l’altiste Léa Hennino (le 9 septembre).

– LABOURÉ PAR Sébastien

VAISSIÈRE –

TEMPS DE LECTURE

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MOIS

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Les Pages Musicales de Lagrasse Du 1er au 10 septembre 2017 à Lagrasse (Aude)


Groland of my fathers Jospin et Jordi au Bikini

Le mag culturel gratuit Clutch a cinq ans (comme Jordi quand il chantait Dur dur d’être bébé) et l’Union régionale des Scops (ces sociétés coopératives qui appartiennent à leurs salariés – comme Clutch et Boudu) est, elle, âgée de 80 ans, comme Lionel Jospin. Pour fêter ça, Clutch et l’Urscop investissent le Bikini pour se réjouir dans les beats et la sueur jusque tard dans la nuit. Il faudra veiller jusqu’au bout pour profiter de l’énergie de Cedric aka Undergang (dernier album enregistré en 2015 au Metronum), un type tout seul qui fait du bruit comme quatre, et produit une musique hybride aux accents de Sonic Youth, de No one is innocent et de tout un tas d’autres trucs mélangés. Bons anniversaires !

© XLahache

© Flora Riffet

Clutch’o 5 ans de Clutch et 80 ans de l’Urscop Le 10 septembre à partir de 15h au Bikini (Ramonville)

Cannes a son vieux festival de cinoche glamour, ses marches, ses robes de soirée et ses alcoolos mondains. Toulouse a son Festival International du Film Grolandais (6e édition), rendez-vous du cinoche anar et iconoclaste, avec son prix Michael Kael, ses parades surréalistes et ses buveurs de bibine Lidl tiède. On recommande particulièrement les séances spéciales – 20 ans de Mauvais Genre (France Culture), Nanarland et Les courts de David Lynch –, dans la plus pure tradition des pères de Groland et du sacrosaint esprit Canal. Le reste se picore au gré des programmes, des rencontres et des apéros. Fifigrot, du 15 au 25 septembre 2017 dans la plupart des cinés de Toulouse, à l’ESAV, aux Abattoirs, au Muséum et au théâtre Garonne


OÙ L'ON A APPRIS

Que Francazal pourrait être maudit · que Toulouse est forte en pâte à modeler · que la médiathèque José Cabanis est un véritable draguodrome que les montagnards sont

· là · que le Danemark est en avance sur le soleil · que les rhinocéros carburent au solaire · que les enfants qui fréquentent les écoles alternatives ont souvent des personnalités riches · q u ’ê t r e enseignant, ça donne des b o u t o n s · qu’un Spar a ouvert à Catus · que dans une bonne planque, il vaut mieux être bien installé que Toulouse

· est à 4 heures 20 de Bruniquel à vélo

· qu’à

Toulouse, la défaite, ça ne pardonne pas · qu’être une pionnière, c’est surfait · qu’on ne règle pas tout en mettant une tablette

dans les mains d’un senior · que Messmer + Kusturica + Liszt + Ziegel = Gonzales · que

les troubadours étaient des lovers

·

que l’on peut monter jusqu’à Paris pour boire une soupe · qu’à

Amsterdam, il n’y a pas que les enfants qui font de la balançoire

·

qu’on peut littéralement avoir l’estomac dans les talons

Qu'apprendrez-vous dans le prochain numéro ? Réponse le 4 octobre.


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