Boudu 54 - Février 2021 by BOUDU Magazine

Où l’on apprend que le Club Med veut transformer les Pyrénées en Disneyland, qu’il ne peut pas y avoir deux Servat à Toulouse et que Montréjeau produit de l’ennui et des écrivains.

N°

PYRÉNÉES

PARADIS POUR TOUS ?

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FÉVRIER 2021

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BOUDU N° 54 – FÉVRIER 2021

SOMMAIRE BOUDU le magazine toulousain actuel, est édité par TRENTE&UN, société coopérative à capital variable, au capital de 19 500 €. RCS Toulouse n° 802388017. Siège social : 24, rue de la Sainte-famille, 31200 Toulouse redaction@editions31.com Gérant et directeur de la publication : Jean Couderc

Rédaction Rédacteur en chef : Jean Couderc

EN COUV’ LA VOIE DU MILIEU

Longtemps les Pyrénées ont pensé devoir choisir entre ski ou rien, ours ou bergers, urbains ou ruraux, locaux ou touristes, sauvage ou canons. Mais avec le climat qui chauffe et les esprits qui s’apaisent s’ouvre une voie du milieu, empruntée - par1 des 8 élus et 9 1 qui des aménageurs ont mis de4l’eau 7 0 1 leur vin. dans

Chef d'édition : Sébastien Vaissière Direction artistique : Laurent Gonzalez

POP LA PRISE FEMELLE DU VIGNEMALE

Photographe : Rémi Benoit

Publicité Jean Couderc jean.couderc@editions31.com 06 16 23 64 52

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Retrouvez nos offres abonnés p. 17 Service abonnement : abonnement@editions31.com

Imprimé par SA Escourbiac (Graulhet). Tous droits de reproduction réservés. ISSN 2431 - 482X CPPAP : 1123 D 92920

Née à la fin du XVIIIe siècle, Ann Lister ne faisait rien comme tout le monde. Considérée comme la première lesbienne moderne, elle fut aussi la première à gravir le Vignemale, équipée d’une paire de souliers neufs et d’une robe en mérinos. Le monde entier la redécouvre en ce moment à la faveur d’une série à succès… et d’un papier dans Boudu.

REPORTAGE BABAS DES MONTAGNES

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Dans les forêts ariégeoises vivent des utopistes d’un genre nouveau, pragmatiques, connectés et démerdards, venus trouver en altitude les conditions propices à leurs rêves autarciques. Des héritiers des babas d’hier dont font partie Marlies et Tom, un couple de belges exilés en Couserans.

INTERVIEW « N’AYEZ PAS PEUR ! »

« ÉVIDEMMENT, JE SUIS CONTENT QUAND JE MARCHE DANS LES PYRÉNÉES ET QU’IL N’Y A PERSONNE. ÇA NE ME PASSIONNE PAS PLUS QUE VOUS QU’ON ME MARCHE SUR LES PIEDS. MAIS UNE FOIS QU’ON A DIT ÇA, QU’EST-CE QU’ON FAIT AVEC LA MONTAGNE ? ON ARRÊTE TOUT ? » Didier Cujives, président du CDT 31

BOUDU N° 54 – FÉVRIER 2021

SOMMAIRE Actuel LE FAIT P.7 PAROLES, PAROLES P.8 MICRO-ONDES P.10 UNE HISTOIRE VRAIE P.16

Réel INTERVIEW P.24 CAROLE DELGA

La présidente du Conseil Régional Occitanie veut inventer dans les Pyrénées le tourisme du XXIe siècle avec de l’hydrogène et du dialogue, et en se méfiant des néo-montagnols.

RÉCIPORTAGE P.26 UN CAS D'ÉCOLE

Symbole du développement réussi par le ski, le tourisme et la neige artificielle, la commune catalane des Angles semble, pour certains, arriver au bout de son modèle, même si le maire y croit encore dur comme fer.

PATRIMOINE P.36 LE PYRÉNÉISME RÊVE DE L’UNESCO

Il y a un an, Chamonix fêtait en grande pompe l’inscription de l’alpinisme au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Une distinction qui pourrait donner des idées aux pratiquants de son rival méconnu : le pyrénéisme.

PORTRAIT P.44 UNE FEMME PRESSÉE

Mais qui est Téqui, la première femme présidente du Conseil départemental de l’Ariège ?

Relax L’AFFICHE P.75 POLAR P.76

Bernard Minier en est la preuve vivante : on peut écrire des histoires commingeoises et être lu dans le monde entier.

BOUDUMONDE P.80 OÙ L’ON A APPRIS P.82

ÉDITO

Chiche

par Jean COUDERC

Alors que les vacances (doit-on encore les appeler ainsi ?) de février risquent fort de s’apparenter à une longue hibernation, et que les planches de glisse resteront probablement tout l’hiver au garage, l’heure est à la mobilisation pour « sauver » les acteurs du tourisme dans les Pyrénées, comme dans les autres massifs français. La montagne se remettra-t-elle d’une saison blanche ? Difficile à dire. Et ce n’est d’ailleurs sans doute pas là l’essentiel… au moins à moyen terme. Car les Pyrénées sont peut-être à un tournant de leur histoire. Jusqu’alors dans l’ombre des Alpes, elles pourraient bien être, dans les prochains mois, sous les feux de la rampe, si l’idée, exposée dans ce numéro, de demander le classement du pyrénéisme au Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco fécondait les cerveaux de nos décideurs. En attendant qu’une telle initiative se concrétise, et pour convaincre les sceptiques de son bien-fondé, Boudu s’est attaché, ce mois-ci, à illustrer ce qui fait la richesse, la diversité et surtout la singularité de ces Pyrénées à côté desquelles on vit sans mesurer toujours la chance qui est la nôtre.

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STARRING PAR ORDRE D'APPARITION

François Arcangeli, président du Pôle d’Équilibre Territorial Comminges-Pyrénées Santiago Mendieta, directeur de la revue Gibraltar Michel Kaluzinsky, créateur du mouvement citoyen Le Bien Commun Jean Puchaux, directeur artistique Marc Maillet, président de la Fédération pour l’environnement 66 Stephan Carbonnaux, naturaliste Claude Gardien, guide de haute montagne Anne Lasserre-Vergne, docteur ès Lettres Xavier Arnauld de Sartre, directeur de recherches en géographie CNRS Jean-Michel Jorda, documentariste Claude Molinier, guide de haute-montagne Georges Méric, président du Conseil départemental de la Haute-Garonne Carole Delga, présidente du Conseil régional de l’Occitanie Michel Poudade, maire des Angles Christian Blanc, ancien maire des Angles Olivier Toubert, ancien président de l’association Bien Vivres en Pyrénées catalanes Didier Cujives, président du Comité départemental du tourisme 31 Michel Muro, directeur de l’Adepfo Henri Nayrou, ancien président du Conseil départemental de l’Ariège Christine Téqui, présidente du Conseil départemental de l’Ariège Alain Servat, maire d’Ustou Paul Fontvielle, restaurateur à Guzet Gaël Leroux, directeur de recherche au CNRS Tom, Belge Jason Lacube, éleveur et gérant de la Maison Lacube Frédéric Blanc, chef de projet au Conservatoire d’Espace Naturel en Occitanie Véronique Magny, artiste Romain Pintat, responsable à la FFCAM d’Occitanie Olivier Minh, photographe Bernard Minier, écrivain

Ont collaboré à ce numéro : Agnès BARBER, Orane BENOIT, Marie-Sarah BOULEAU, Michel GARDÈRE, Camille HEURTEBISE-GARNIER, 6 _ BOUDULEMAG.COM

Frédéric SCHEIBER. Couverture : Laurent GONZALEZ

Actuel © Rémi Benoit

adj. QUI A LIEU DANS LE MOMENT PRÉSENT

GRIPPÉ Alors que mi-décembre, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc annonçait le report de la mise en service de la 3e ligne de métro en raison de la Covid, le tribunal administratif annulait, un mois plus tard, le plan de déplacement urbain (PDU) pour « excès de pouvoir ».

l faudra donc patienter trois ans de plus avant de voir la ligne de métro Toulouse Aerospace Express sortir de terre. Ou plutôt être mise en service. En cause une situation budgétaire jugée préoccupante par le Capitole. À la baisse de la fréquentation sur le réseau, qui entraine mécaniquement une diminution des recettes commerciales, s’est en effet ajoutée une absence de rentrées financières liées au versement transport par les entreprises dont les salariés sont au chômage partiel. Le coût, pour Tisséo, la Métropole et la ville de Toulouse s’élèverait à 154 millions d’euros en 2020, 114 en 2021 et 58 en 2022. Un manque à gagner suffisamment important pour que Jean-Luc Moudenc juge plus

prudent de « décaler dans le temps » le projet le plus emblématique de sa campagne municipale. Un malheur n’arrivant jamais seul, le président de la Métropole a également eu, un mois plus tard, la désagréable surprise d’apprendre que le Tribunal administratif de Toulouse, saisi par l’association 2 pieds, 2 roues avait annulé le Plan de déplacement urbain (PDU) de l’agglomération. Même si une telle décision ne devrait pas entraver, à long terme, les grands projets de la Métropole, elle n’en constitue pas moins un camouflet pour le locataire du Capitole qui n’avait eu de cesse de clamer que « le PDU de Toulouse était le plus ambitieux de France ». BOUDULEMAG.COM _ 7

DATE LIMITE

Crise sanitaire ne rime pas nécessairement avec crise économique. Telle est la conclusion de l’étude publiée, en décembre, par l’Insee et la Banque de France. On y apprend ainsi que 3000 nouvelles entreprises ont été créées en Occitanie entre septembre 2019 et septembre 2020 tandis que les défaillances d’entreprises baissaient de près d’un tiers sur la même période. Sur le terrain du chômage, le nombre de demandeurs d’emplois a augmenté de plus de 8,7 % dans la région, contre 9,5 % en France.

EN AVANCE RETARD VERS LE

Les climatosceptiques n’ont qu’à bien se tenir. Deux ans après une année 2018 déjà qualifiée d’exceptionnelle par Météo France, et une température médiane de 15,1°, 2020 a définitivement battu tous les records de chaleur à Toulouse. Avec une température moyenne de 15,3°, soit 1,5° au-dessus de la normale, l’année qui vient de s’écouler est la plus chaude depuis le début des relevés en 1922. A noter qu’avec une température moyenne de 14°, l’Hexagone enregistre elle-aussi ses plus fortes valeurs depuis 1900.

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PAROLES, PAROLES

« Quand on aide les autres, on s’aide soi-même. » Simon Carlier, président des Belles gamelles, association qui distribue des repas aux plus démunis

« Par certains aspects, Toulouse me fait penser à Marseille. » Jean-Cyrille Reymond, nouveau patron de la police toulousaine

« Je la considère injuste au regard du travail important que j’ai mené en faveur de l’écologie. » Agnès Langevine, vice-présidente de la Région Occitanie suspendue de son parti EELV qui considère qu’elle ne soutient pas suffisamment la candidature d’Antoine Maurice aux prochaines régionales

« Donc si j’ai bien compris, la liberté d’expression existe dans notre pays à condition qu’elle soit conforme à la pensée de ceux qui nous dirigent et nous emploient. » Patrice Garande, entraineur du TFC

« Je ne voudrais pas finir avec des oranges en prison. » Georges Méric pour justifier sa décision de ne pas autoriser le retour à 90 km/h sur les routes en Haute-Garonne

« Effectivement, Mourad a raison : Didier Lacroix est une pleureuse. » Didier Lacroix, à l’occasion de ses vœux à la presse.

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JUSQU’À

MICRO-ONDES • L'ACTU RÉCHAUFFÉE

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KOLOSSAL Une équipe d’une trentaine de personnes est mobilisée pour transporter Alain, 300 kg, de son domicile sis au quartier Saint-Jacques à Perpignan, au CHU de Montpellier où il sera hospitalisé pendant plusieurs mois.

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ÉPOQUE Jugé dangereux par un expert mandaté par Toulouse Métropole, le BleuBleu, mythique bar bâti en bord de Garonne sans permis de construire il y a 40 ans, est détruit une grosse semaine après le décès de son emblématique patron Gilbert Vivien.

DISTINCTION Le prix Albert-Londres de l’audiovisuel, plus haute distinction dans le domaine de la presse, est remis en 2020 au Toulousain Sylvain Louvet pour son documentaire « Tous surveillés, 7 milliards de suspects ».

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16 DEC

09 COUAC Bonn, la ville allemande, est choisie au détriment de Toulouse pour accueillir le centre européen des prévisions météorologiques.

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MÉCONTENTS À l’appel du collectif Art en grève, une quarantaine d’artistes manifestent devant les Beaux-Arts contre l’impossibilité d’exercer leur art. Au même moment, une dizaine de statues du centre-ville sont recouvertes d’un voile noir par les équipes de la Cave Poésie.

EMBELLIE Le plateau de Beille ouvre son domaine aux skieurs et randonneurs.

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RÃ©el

n.m. CE QUI EST, CE QUI EXISTE, CE QUI ARRIVE EN FAIT

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EN COUV'

LA VOIE

Depuis 40 ans, le développement des Pyrénées se joue sur fond d’antagonismes économiques et culturels. Tout ski contre rien-du-tout, ours contre berger, urbains contre ruraux, locaux contre touristes, saisonniers contre autochtones, espèces menacées contre maintien de l’activité humaine etc. Mais à la faveur d’un changement qui affecte autant le climat que les aspirations des touristes, une voie du milieu pourrait s’ouvrir enfin, empruntée par des élus et des aménageurs qui ont mis de l’eau dans leur vin chaud. Par Jean Couderc, Camille Heurtebise-Garnier et Sébastien Vaissière

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TEMPS DE LECTURE

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DU MILIEU

besoin, mais comme souvent en la matière, le politique est à la traîne. Sans la Covid, ce nouveau tourisme pyrénéen se serait installé plus tard, mais son apparition était inéluctable ». Et l’ancien maire d’Arbas de se réjouir en prime du retour à la neige de familles modestes : « Quand j’étais enfant, tout le monde allait au ski, au moins avec l’école. Mais la pratique est devenue onéreuse et élitiste, et les moins fortunés ont déserté. Le contexte Covid particulier a permis à ces familles de retourner dans cette montagne qu’ils pensaient faite pour d’autres qu’eux. » En attendant les chiffres et les études d’opinion qui permettront d’analyser le phénomène, François Arcangeli rêve déjà de voir naître sur cette base une forme de tourisme plus résiliente au changement climatique, et moins gourmande en deniers publics. Un modèle plus lent

et contemplatif, complémentaire de celui des canons à neige : « Le temps des remonte-pentes et des canons à gogo, c’est terminé. L’avenir est à l’équilibre » conclut-il.

« ON PEUT ÊTRE POUR L’OURS ET POUR LE PASTORALISME, POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET POUR LE DURABLE. » François Arcangeli, président du Pôle d’Équilibre Territorial Comminges-Pyrénées Certains connaisseurs des Pyrénées, tel Santiago Mendieta, sont moins optimistes. Ancien journaliste à Pyrénées Mag période glorieuse,

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@Rémi Benoit

es touristes en masse dans des Pyrénées privées de remontées mécaniques. Personne ne l’imaginait, la Covid l’a fait. François Arcangeli, père de la réintroduction de l’ours et élu en septembre à la présidence du Pôle d’Équilibre Territorial CommingesPyrénées, y voit un encouragement à changer de logiciel en matière de développement : « Ce que nous avons vécu dans les Pyrénées cet hiver est un tournant ». Un signe, tout du moins, que télésièges, œufs et tire-fesses ne sont pas les seuls atouts du massif : « Même sans remontées mécaniques, la neige, ça marche. On peut interpréter ce succès, au-delà du contexte sanitaire, comme un message clair du consommateur : “Nous, la montagne, on l’aime, on veut y aller et s’émerveiller sans forcément skier !” Cela énonce clairement un nouveau

VÉCU

UN BUT MÉTÉO Le pyrénéisme parle-t-il aux jeunes ? Pour répondre à cette question, je me suis tournée vers l’un d’entre eux, Romain. « Pour comprendre, il faut que tu le ressentes ». Alors j’ai préparé mon sac à dos, et je suis partie le rejoindre au pied des Pyrénées ariégeoises. Par Orane Benoit

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@Orane Benoit BOUDULEMAG.COM _ 17

Une femme pressée En succédant, le 8 novembre 2019, à Henri Nayrou à la présidence du Conseil départemental de l'Ariège, Christine Téqui devenait du même coup la première femme à occuper une telle fonction dans le département. Une ascension supersonique pour cette ingénieure de formation qui n’a pas plus froid aux yeux qu’aux jambes lorsqu’il s’agit de bousculer les habitudes ou de descendre les pistes. Par Jean Couderc

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@Orane Benoit

PORTRAIT

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REPORTAGE

QUAND LES BABAS SOULÈVENT DES MONTAGNES Il y a 5 ans, Marlies et Tom sont arrivés de Belgique dans les montagnes ariégeoises et n’en sont plus jamais repartis. Les pieds sur terre, loin des clichés usés des babas fumeurs de pétards, ces néo-hippies perfusés à la permaculture ont déjà soulevé des montagnes pour façonner leur rêve d’autosuffisance. Rencontre avec des spécimens de la dernière génération d’utopistes-visionnaires ariégeois, plus pragmatiques que dogmatiques. Par Agnès Barber • Photos Orane Benoit

n a promis de taire le nom du hameau qui abrite leur « paradis ». Pour y accéder, au cœur de ce mois de janvier, le citadin et ses après-skis neufs devront subir leur lot d’épreuves : à commencer par la pose incontournable des chaînes, les pieds dans la gadoue, offrant l’amusement du jour à la mamie de l’ultime maison de ce village de la vallée de la Bernède. Une bonne façon d’expérimenter le légendaire sens de l’entraide ariégeois car, bien sûr, la première voiture qui passe s’arrête. Et son conducteur devient instructeur, nous offrant avec efficacité la leçon de « chaînage » locale : l’ariégeois est plus pédago qu’un « tuto vidéo ». Après d’interminables kilomètres sur un étroit chemin enneigé, plus proche de la piste de ski de fond que de la route communale, impossible d’aller plus loin. Deux maisons, puis, plus rien. Ah si, à peine visible, un petit sentier nous invite en contrebas. Et là, devant nous, une étendue courbée, en pente douce, qu’un doigt gourmand aurait doucement tracé dans un Chambourcy. Lovée dans le creux de la montagne, une maison de pierre et de bois, cheminée fumante, nous attend. Vision de « la petite maison dans la prairie ». Ou bien d’un conte pour enfants, sauf qu’ici,

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pas de sorcière ni de loup faux-jeton pour nous accueillir : juste deux gros chats roux, mûrissant au soleil comme les kakis entreposés sur le balcon de bois. C’est là que vivent Marlies, Tom, et leur petite fille Lizalou ainsi que parfois des amis de passage, qu’on accueille « le temps de se retourner ». Ça sent la maison bleue adossée à la colline. « Ici on est dans la partie la plus plate du coin, les gens en parlent comme des Flandres », plaisante Tom. Ce presque quadra et sa compagne Marlies, sont arrivés de Belgique il y a 5 ans, en quête du lieu idéal pour « vivre une vie de permaculture ».

Allergique aux « éco-gourous »

« Une vie de permaculture » ? On pense d’abord à une maladroite traduction du flamand au français. Mais non, Tom pense la permaculture comme un mode de vie global, guidé par la volonté de diminuer son empreinte écologique. Il détaille : « Pas un retour en arrière mais une façon de vivre où l’on s’appuie sur les résultats des dernières recherches agroécologiques. Et où l’on ne se situe pas au-dessus de la nature, comme une espèce dominante. Mais pas en-dessous non plus, dans une posture où l’on BOUDULEMAG.COM _ 21

22 _ BOUDULEMAG.COM @ Sébastien Vaissière

MODE

La belle et la benne Si entre deux confinements vous partez respirer entre Ariège et Haute-Garonne, dans ce piémont des Pyrénées centrales où les idées et les rêves diffèrent du reste du pays, vous y croiserez peut-être Véronique Magny. Cette ancienne danseuse puise matière à vêtir dans ce que le quidam jette, et crée de l’art porté à partir de déchets. Une fois dans l’œil du photographe Olivier Minh, (lui aussi résident de ces pré-pyrénéens aux penchants alternatifs), ses tenues à la beauté étrange et à visée écolo changent celles qui les portent en créatures de conte de fée. Par Sébastien Vaissière

éronique Magny vient de l’Ariège et du spectacle vivant. À 17 ans, en pleine vague punk, elle traverse le Mexique et les USA pouce levé et sac au dos à la rencontre de ses semblables, c’està-dire de jeunes gens nourrissant des rêves peu en phase avec la société de leur temps. De communautés autarciques hippie en villages autonomes, de grands espaces glacés en grands espaces brûlants, elle finit par retourner dans ses Pyrénées ariégeoises pour s’installer à Massat, terre promise des esprits affranchis. « On était nombreux à l’époque à récupérer des granges à l’écart des routes. Il fallait marcher un moment pour arriver chez nous. On n’avait pas l’eau courante, mais on était heureux », s’émeut-elle dans un souffle. Ses deux premiers enfants voient le jour dans la grange. Suivent des années de bonheur rythmées par leur éducation, la danse et l’organisation de spectacles. Mais avec l’adolescence des uns et l’arrivée d’un troisième, sonne l’heure de regagner la plaine et Saint-Girons, terminus des rêves assagis. Une nouvelle vie commence. Les heures du jour sont consacrées aux enfants

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et aux projets culturels locaux. La nuit est passée à créer : « Seule avec trois enfants, on ne peut pas imaginer créer pendant la journée. Je me suis donc mise à sculpter la nuit. » Le temps passant et les enfants partis, l’implication dans la vie locale s’intensifie dans un espace artistique expérimental, le 52, à Prat-Bonrepaux.

« ESSAYER DE PRODUIRE DE LA BEAUTÉ AVEC DES ORDURES, C’EST UNE TENTATIVE DE FAIRE BOUGER LES CONSCIENCES. » Véronique Magny

Jusqu’à ce qu’un jour de 2003, une bâche vert pétard dépassant d’une poubelle attire son attention : « J’ai tout de suite été inspirée par sa couleur. Je me suis approchée, j’ai soulevé le couvercle… et je l’ai emportée. Une fois chez moi j’en ai fait une robe. C’est comme ça que tout a commencé. J'ai baptisé cette première crétaion La belle au bois d'ordures.» Petite-fille de couturière, fille de

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commerçante en prêt-à-porter, celle qui fut mannequin à ses heures se sent soudain à sa place. Dans la foulée de son geste, c’est toute sa démarche artistique qui prend forme et sens : « Ma vie a toujours été mue par l’envie de vivre différemment, de profiter de la nature préservée de l’Ariège, de vivre au rythme des saisons et à l'écart de la conso frénétique. La prise de conscience relative aux questions du climat, des déchets, des modes de vie modernes a été rapide chez moi. Transformer les déchets en art porté, essayer de produire de la beauté avec des ordures, c’est un coup de gueule d’artiste et une façon de dire que recycler, c'est agir. » L’engouement est immédiat. Théâtre, mariages, événements de promotion de l’économie circulaire, campagnes de sensibilisation à l’environnement, opéra, installations, ses costumes à la beauté étrange et dont, de loin, on a du mal à distinguer la nature des détritus qui les composent, rencontrent les aspirations de l’époque. Un jour, en marge d’un festival dans un village des environs, elle organise un grand défilé. Dans la foule, le photographe toulousain Olivier Minh, venu en voisin de BOUDULEMAG.COM _ 23

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Relax adj. REPOSANT, CALME, DÉTENDU, À L'AISE

LA PAIX DE JORDÀ

L'AFFICHE S’amusant de la mode des grands formats, il rappelle que les œuvres complètes de Veermer tiennent sur un peu plus de 3m2, et rit du fait que les grands formats ne font pas les grands peintres. À voir sur la chaîne Youtube de L’institut Cervantès. youtube.com/user/ CervantesToulouse

’exposition Joan Jordà à l’Institut Cervantès devait être une grande fête. On attendait l’artiste en personne le 19 novembre, accompagné de Lydie Salvaire, Goncourt 2014, et du guitariste Pédro Soler. Et puis la Covid a frappé deux fois, fermant les portes de l’Institut et emportant Jordà lui-même à l’âge de 91 ans. Depuis, la quarantaine de diptyques inédits accrochés pour personne attendent en silence que des yeux se posent dessus. En visionnant l’entretien avec l’artiste réalisé par l’Institut Cervantès en prévision de l’expo et posté sur YouTube, on se console toutefois de ne pouvoir faire la visite. Le peintre catalan qui a connu l’exil et les camps de la retirada

y dit avec malice et dans un filet de voix sa préférence pour les motifs dramatiques et son choix de l’intitulé de l’expo : Les désastres de la guerre et les délices de la paix. S’amusant de la mode des grands formats, il rappelle que les œuvres complètes de Veermer tiennent sur un peu plus de 3m2, et rit du fait que les grands formats ne font pas les grands peintres. Réfugié à Toulouse en 45, il s’était lancé à corps perdu dans la peinture à l’adolescence et en autodidacte, avant de perfectionner son art auprès de ses maîtres aux Beaux-Arts. De ses premières expositions en France jusqu’à la dernière, il n’aura jamais changé de motif, fouillant sans cesse le totalitarisme, la violence et l’exil. BOUDULEMAG.COM _ 25

INTERVIEW

AFFAIRES GLACÉES

Montage d'après photo d'Emanuele Scorceletti

De Hanoï à New York et de Montréal à Montréjeau, des millions de lecteurs vibrent depuis 10 ans aux aventures du flic toulousain Martin Servaz. Dans ces polars crépusculaires écrits par le Commingeois Bernard Minier, les Pyrénées haut-garonnaises disputent aux flics et aux voyous le statut de personnage principal. Arrosées de mystère et de sang, ces montagnes si chères aux Toulousains engendrent ce qui fait le sel du thriller littéraire : des paysages allégoriques et des peurs universelles. Par Sébastien Vaissière

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TEMPS DE LECTURE

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étaient longs et les distractions rares. Un bureau de presse, un cinéma avec une programmation aléatoire… Et toujours la pluie, toujours la neige, toujours la pénombre. Sur le moment on n’y prête pas attention - quand on est enfant on fait de son territoire un royaume, et on est heureux partout mais j’en ai pris conscience plus tard. Peut-être l’atmosphère de cette ville fabrique-t-elle des auteurs de polar ? » Et Minier de sourire en songeant que Montréjeau, cité d’à peine 2700 âmes, compte parmi ses enfants deux lauréats du prestigieux festival du polar de Cognac, Sire Cédric et lui-même. De son aveu pourtant, ses personnages pourraient exister ailleurs. Il dit décrire les Pyrénées parce qu’il les aime, et parce qu’écrire sur ce qu’on connaît est le chemin le plus court vers l’universel. Voilà qui explique peut-être l’enthousiasme que suscitent ses romans à l’étranger. Le Daily Mail, deuxième plus grand quotidien de Grande-Bretagne, les disait récemment comparables à

ceux de Stephen King « at its best ». Les critiques du Sunday Times ont pour leur part classé Glacé parmi les 50 meilleurs polars publiés dans le monde ces 5 dernières années. Quant à l’Allemagne, où Servaz est très populaire, critiques et lecteurs s’emballent à l’unisson pour ces histoires de flic français cuisinées à la sauce pyrénéenne. Pas si étonnant que cela, après tout. Le socle culturel mondialisé de la deuxième moitié du XXe siècle permet aux lecteurs de tous les pays

@Patrick Robert / Gaumont Télévision / M6

l y a bien longtemps que Bernard Minier ne voit plus le Cagire quand il ouvre les volets. L’ancien fonctionnaire des douanes passé maître dans l’art du thriller vit à l’orée de la forêt de Rambouillet, dans un village taillé pour les écrivains où le téléphone passe mal et le temps lentement. C’est là que s’écrivent les aventures de Martin Servaz, flic toulousain latiniste, technophobe et misanthrope, qui enquête sur des crimes abominables et des affaires tordues. La série, traduite en 22 langues, a conquis des millions de lecteurs dans le monde avec un héros qui bosse au commissariat de l’Embouchure, boit des canons aux Carmes et sort de l’autoroute à Lannemezan. Le tour de force s’explique en partie par l’atmosphère pyrénéenne crépusculaire de ses romans, nourrie de culture pop, de références littéraires, et de souvenirs de jeunesse : « Il y a dans mes romans quelque chose de mon enfance à Montréjeau. Les hivers y

Minier a conquis des millions de lecteurs dans le monde avec un héros qui bosse à l’Embouchure, boit des canons aux Carmes et sort de l’autoroute à Lannemezan.

Servaz (Charles Berling) et Ziegler ( Julia Piaton), dans l'adaptation de Glacé diffusée sur M6 et Netflix. BOUDULEMAG.COM _ 27

BOUDUMONDE

Paysages lointains à portée de main

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LE CANYON DU LLECH (Pyrénées-Orientales) TEMPS DE TRAJET

HEURES

La rubrique BouduMonde qui rythmait les pages tourisme de Boudu en 2015 et 2016 est enfin de retour par la grâce d’un partenariat avec les éditions toulousaines Plume de Carotte. Ces dernières ont publié au printemps 2019 un ouvrage fondé sur le même principe (un paysage d’Occitanie évoquant un paysage du bout du monde), et intitulé Occitanie, miroir du monde. Nous piochons chaque mois une photo dans cet album du naturaliste muretain JeanMarc Sor, et l’accompagnons d’un témoignage de son auteur. Il a gardé le meilleur pour les grandes vacances : le canyon du Llech. Célébré par les fans de canyoning comme la descente la plus ludique d’Europe. Apprécié des contemplatifs pour ses points de vue somptueux qui se dévoilent à l’écart des sentiers balisés. Avec en prime un je-ne-sais-quoi de cascade canadienne. Occitanie, miroir du monde Par Jean-Marc Sor, éditions Plume de carotte, 2019

Secret bien gardé

« Le panorama que vous avez sous les yeux est d'autant plus beau qu'il ne se dévoile qu'au dernier moment. Il faut laisser sa voiture au bord du chemin et se garder de croiser le propriétaire des terres en contrebas (dans le coin, on raconte qu'il tire à vue). S'ensuit une descente à pic qui impose de s'agripper aux branches pour ne pas rouler jusque dans le ravin. Le canyon apparaît brusquement au bas de la pente, superbe et préservé. Dans la lumière d'automne, on n'est pas loin de l'ambiance du canyon creusé par la Maligne dans les Rocheuses canadiennes. » Jean-Marc Sor BOUDULEMAG.COM _ 29

Où l'on a appris

qu'

un emploi dans les Pyrénées, c’est précieux comme dix emplois à Toulouse · Qu’il y a une femme nue dans la montagne, et

qu’elle nous nargue · Que les cyclistes ont décidément beaucoup de pouvoir · Qu’il vaut mieux payer ses dettes · Qui est Téqui · Qu’il est difficile d’être en couple avec quelqu’un qui n’est pas montagnard · Qu’il faut sortir de chez soi pour comprendre sa singularité · Que le Club Med veut transformer les Pyrénées en Disneyland · Qu’au canyon du Llech, le proprio tire à vue · Que les Pyrénéens ne sont pas des handicapés · Que la fibre est aussi bonne à Loudenvieille qu’à Compans-Caffarelli · Qu’on peut se permettre de faire un infarctus en montagne · Qu’en Ariège, on ne trouve pas des renards qu’en montagne · Que le plastique voyage bien · Que l’on peut survivre à la bêtise humaine · Qu’on n’est pas encore au zéro impact · Qu’on peut être éleveur et geek · Qu’un Desman, ça trompe énormément · Que passer un obstacle, c’est une démarche artistique · Qu’on peut produire de la beauté avec des ordures · Que le temps passe lentement à Rambouillet · Qu’il ne peut pas y avoir deux Servat à Toulouse · Qu’en Allemagne, la météo est Bonn · Que les alpinistes sont des lobbyistes · Que l’entre-soi, c’est pas grave · Que Les Angles se tirent une balle dans le pied · Qu’il pleut du plastoc · Que certains se souviennent de Chambourcy · Que les pyrénéites d’avant carburaient au brandy et au blanc · Que l’alpiniste est un être libre mais fragile · Que Montréjeau produit de l’ennui et des écrivains · Que Lacube déteste tourner en rond · Que le desman est miro · Que le pyrénéisme est un idéal.

Qu'apprendrez-vous dans le prochain numéro ? Réponse en mars.

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