Projet de fin d'études - notice réflexive, parcours recherche

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Consolider et soutenir réfléchir autrement la transformation d’un quartier de gecekondus à Ankara



Projet de fin d’études Parcours recherche

Sous la direction de

Yannick Hoffert



École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier

Consolider et soutenir - réfléchir autrement la transformation d’un quartier de gecekondus à Ankara -

réalisé par Birce Birgen domaine d’études Situations 2021-2022

Soutenance le 29.06.2022

Jury Yannick Hoffert Khedidja Mamou Pascale De Tourdonnet Guillaume Morlans Catherine Bernié-Boissard Yannick Sutter Mathilde Tournyol du Clos



« On construit encore aujourd'hui en monolithe ou en « tout à jeter », rarement en mouvement et par fragments. » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 16.



Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui ont croisé mon chemin pendant ces deux longues années de recherche. Je remercie Yannick Hoffert et Khedidja Mamou pour la richesse de leur accompagnement et l’importance qu’ils accordent au processus de réflexion dans la recherche. Je remercie Lucien Kroll pour ses paroles qui m’ont permis de bâtir une posture. Merci d’avoir valorisé le désordre dans un domaine où il n’est souvent question que d’ordre. Merci à l’acte de dessiner et aux mots, sans lesquels je me retrouverais sans langage au milieu d’un océan d’idées vagues. Merci Agathe, Alix et JR de m’avoir soutenue au quotidien, Merci Bastien pour tes conseils et ta quiétude qui parviennent toujours à apaiser mes moments tourmentés.


SOMMAIRE

Réintroduction La recherche continue…………………………………………………………………. 2 Révoltes……………………………………………………………………….………. 4 L’architecte face à l’architecture informelle…………………………………………6 l’écologie et la décroissance………………………………..……8 Se redéfinir………………………………………………………………….…………10 Glossaire………………………………………………………………………………14

1. Comprendre un terrain 1.1 Re-situer la vallée de Şirindere Sur la ville d’Ankara …………………………………………………….……………17 La vie du quartier Çiğdem (Çiğdem Mahallesi)………………………………………26 Le microcosme de Şirindere et ce qui l’entoure………………………………………32

1.2 Les enjeux de la vallée Les éléments géographiques…………………………………..………………………36 La vallée avant et après la démolition des gecekondus, repérages……………………40 Le rapport au sol : contrainte, risque, précarité……………….………………………52 Les usagers concernés par la vallée de Şirindere………..………………….…………56


2. Agir, mais comment ?

2.1 Vers une compréhension de l’incrémentalisme L’existant est une ressource………………….……………………………………61 Une transformation incrémentale pour une transition résiliente………….………63 Dessiner des habitats évolutifs ou permettre l’auto-construction ?………….……64

2.2 Un nouveau modèle de coopérative pour Şirindere La vallée comme un écosystème : espaces publics, collectifs, privés……….……68 Repenser la notion de la propriété et les relations de voisinage……………..……74 La co (opération, conception, construction, habitation)…………………..………77

2.3 Préparer une base pérenne pour un quartier soutenable Le mur de soutènement comme dispositif capable………………………….……78 Le noyau d’un habitat………………………………………………………..……82 Les conditions préalables d’une projet de coopération………………………..….84

Pour finir… ou commencer…………………………………………………………88 Bibliographie……………………………………………………………………………95 Annexes……………………………………………….…………………………………97




Réintroduction La recherche continue Dans le cadre du parcours recherche, je relie mon projet de fin d’études à mon mémoire. Ces deux travaux sont inséparables puisqu’ils sont issus d’une réflexion continue sur un même sujet. Néanmoins, ils surgissent à des stades différents de mon processus avec deux objectifs distincts : Le mémoire était un travail de regard. Le projet est un travail de posture.

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Le mémoire qui précède ce travail se concentrait sur le gecekondu, l’habitat informel de la Turquie et son altérité. L’objectif était avant tout de comprendre les principaux enjeux de ce type d’habitat spécifique apparu dans l’urgence et habité par un groupe défavorisé, grâce à l’étude de son passé et de son présent. En découvrant ses conditions d’apparition et les multiples évolutions qu’il a subies au fil des décennies, j’ai constaté un regard dominant dévalorisant les gecekondus. Une approche socio-politique au sujet m’a permis de développer une vision critique envers le processus actuel de transformation urbaine qui se nourrit de ce regard négatif et qui pousse les quartiers informels à disparaitre. Enfin, l’observation d’un quartier spécifique en fin de mémoire, Şirindere, a été l’occasion pour moi de repérer des qualités dans cet habitat collectivement dénigré, mais aussi d’ouvrir une porte vers une nouvelle réflexion sur les modes d’habiter, de concevoir et de construire. Le fruit de ce travail a été en quelque sorte de déconstruire un regard pour pouvoir en construire un nouveau. La deuxième étape de cette recherche, le projet de fin d’études est le moment de franchir cette porte, de pousser cette réflexion, de prendre position et d’agir avec les outils de l’architecte que je me réapproprie. Après avoir longtemps cherché à donner sens au mot « autre », il s’agira maintenant d’imaginer une façon de faire « autrement » que la procédure courante de la transformation urbaine.


La première étape de cette recherche, le mémoire s’est fait grâce à des découvertes théoriques, des stages de recherche ainsi que des observations sur différents terrains en assumant une posture d’observatrice. Dans la deuxième étape, il s’agit d’aller chercher une posture d’architecte par deux outils qui communiquent perpétuellement, non pas de manière linéaire, mais en mouvement : la réflexion et le projet. Pour trouver mes propres réponses aux questions de « que faire » et « comment faire » concernant le futur d’un quartier de gecekondus, je chercherai d’abord à redéfinir le métier d’architecte tel que je le comprends, en prenant position face à l’architecture informelle et l’écologie. Cette prise de position représente une recherche de rôle au sein de ce projet ainsi qu’un questionnement général sur le métier d’architecte et sa place dans le processus de conception et de construction. Cette recherche de rôle passe en effet par des blocages dans la réflexion, des remises en question, des changements d’idées. J’ai envie ici d’assumer que le doute fait partie intégrante du processus de conception et que sans mes déviations, je ne pourrais pas faire un projet.

La réflexion autour du métier d’architecte et de la posture se relie à un terrain, qui est support de projection. Concrètement, ce projet se concentre sur la transformation de Şirindere, un quartier en plein processus de transformation, un terrain blessé, à moitié démoli et délaissé. Il attend qu’on s’intéresse à lui, qu’on l’observe, qu’on lui tende la main pour au moins, imaginer sa situation future.

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Révoltes À quelques pas de devenir architecte, je prends du recul sur le pays où j’ai grandi, ce que j’ai appris pendant mon cursus sur le métier d’architecte et je réfléchis sur les valeurs que j’ai à défendre. Ayşe Mücella Yapıcı est une architecte turque et elle a 72 ans. Elle est secrétaire générale du département d'évaluation de l'impact sur l'environnement, de l'Union des chambres des ingénieurs et des architectes turcs. Le 25 avril 2022, elle a été condamnée à 18 ans de prison pour avoir participé aux manifestations de Gezi en 2013 et y avoir pris la parole au nom du collectif Solidarité de Taksim (Taksim Dayanışması). Gezi était un mouvement de protestation initialement mené par des écologistes pour s’opposer à la destruction d’un parc historique à Istanbul, Gezi Parkı, et à la construction d’un centre commercial. Au fur et à mesure, ces revendications et actions se sont inscrites dans une contestation politique plus large. 9 ans après cette révolte collective, avec Yapıcı, 6 autres intellectuels et défendeurs de droits de l’Homme ont également été condamnés à 18 ans de réclusion et Osman Kavala, homme d’affaires et mécène, à perpétuité aggravée. Mücella Yapıcı était une des personnes qui parlaient dans trois documentaires que j’avais pris comme références de mon mémoire. Voici la situation des personnes qui osent s’exprimer pour défendre la nature, la démocratie, la justice, et pour réclamer de meilleures conditions de vie en Turquie.

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La Turquie traverse un moment obscur et totalitaire, où la répression est infiltrée dans tous les détails et à toutes les échelles de la société, où diverses formes de violence règnent au quotidien. Le respect pour la différence n’a plus sa place, tandis que les inégalités deviennent de plus en plus extrêmes. Sans parler d’une grande crise économique marquée par une inflation record. Face à cette situation que j’observe de loin, il m’est assez dur de garder l’espoir. Mais la colère que cette situation engendre en moi me stimule pour agir à mon échelle, pour réfléchir et imaginer. Je suis persuadée que déconstruire et réinventer ce qui est devenu obsolète, chercher une manière de faire autrement dans différents domaines est plus que jamais, nécessaire. Aujourd’hui on n’a qu’un combat, et il est à la fois démocratique, écologique et social.

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L’architecte n’a (initialement) pas sa place dans l’architecture informelle. C’est son absence même qui donne sens à cette dernière. L’architecte face à l’architecture informelle

« Ordre : au singulier car à plusieurs, ils se disputent et ça fait désordre. Désordre : un monde de contradictions, de créativités, d’aspirations, de cultures finement différentiées : elles se conjuguent par le débat et forment une complexité vivante. « L’Ordre règne » : il s’est associé avec le pouvoir, avec la marchandisation de la planète et avec la technologie : ainsi il a simplement réussi à détraquer la planète. Bloqué sur sa compulsion à la domination, il a perdu le contact avec la société civile et se défend hargneusement contre elle. Dès lors, c’est le désordre qui est devenu le représentant naturel du peuple. »

Lucien Kroll, Tout est paysage, page 155.

Comment se situer entre ordre et désordre au sein d’un projet qui concerne les habitats de gecekondus, dont l’essence même est leur caractère autoconstruit ?

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Dans les quartiers de gecekondus, il existe une autre logique, résiliente et collaborative, un mode de développement qui n’est pas la même que dans les quartiers formels, planifiés par les représentants de l’autorité, dont font partie les architectes. Cette logique vient du fait de construire in situ, en collectivité, en prenant en compte les circonstances d’un espace-temps. Une logique qui ne cherche pas à déterminer la fin dès le début, au contraire, qui accepte l’évolution de l’histoire, de la vie et des relations sociales, et lui permet d’avoir lieu. J’ai bien l’impression que l’architecte dans un processus de conception, surtout lorsqu’il s’agit de l’habitat, n’a très souvent pas cette logique ancrée dans le réel ou ne peut pas la mobiliser facilement. Il est détaché de son terrain et de ses complexités, séparé du groupe d’habitants concernés. Il cherche à mettre de l’ordre, imposer sa propre logique qui considère les individus comme étant des clients, ou encore une simple donnée à concevoir avec. L’architecte imagine la forme finie de l’habitat, en oubliant que ce sont les actions habitantes qui déterminent le sort d’une architecture. Après tout, le désordre habite l’ordre, c’est lui qui décide : on construit pour une vie dont l’évolution est sans fin.


Dans la démarche actuelle de transformation urbaine en Turquie, les acteurs de projet dessinent des formes urbaines extrêmement brutales, des machines à habiter, stériles et stables (cf. mémoire 2.2). Ils détruisent un modèle résilient pour mettre en place un modèle autoritaire. Avec une vision d’architecte qui comprend la complexité des quartiers de gecekondus et qui y repère des qualités socio-spatiales, je décide de ne pas soutenir ces projets courants, ni de les alimenter, ni de les ignorer. Je cherche un équilibre entre l’ordre que je mettrai au sein de ce projet et le désordre qui le suivra. Je cherche mon utilité, ma juste place dans un quartier qui attend, avec une mémoire, des traces de vie, des ressources matérielles et humaines. Je tente de trouver un moyen de rendre possible la collaboration avec les habitants issus d’une culture d’autoconstruction et de leur permettre d’interagir avec leur environnement. Sans m’imposer comme celle qui décide tout, sans les laisser seuls face à leur destin. Dans l’habitat informel existent des qualités, certes, mais il y manque aussi des choses et les architectes peuvent réellement agir. Ils peuvent penser à tout ce qui est difficile à installer individuellement dans un quartier : les infrastructures techniques et sociales, les espaces publics, les accès… Pour soigner les blessures de Şirindere et y réhabiliter la culture d’autoconstruction vouée à disparaitre, je crois qu’il faut d’abord identifier les problèmes majeurs, pour ensuite trouver sur quoi je peux réellement être utile. En faisant ce projet, je crois que je cherche le début de quelque chose et pas la fin.

« Tout commander ou bien ne rien commander sont des projets aussi totalitaires l’un que l’autre. La différence est celle de l’idée de l’autorité. » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 46.

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L’architecte face à l’écologie et la décroissance

« Depuis un siècle, les conceptions des milieux habités sont restées obstinément étanches à la prise de conscience lente de l’écologie et à sa constitution progressive comme science du relationnel et comme pratique créative de paysage habité. » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 37.

Tout le monde le sait, les insouciants l’ignorent : la planète va mal et la société humaine n’est pas non plus en forme. La transition écologique n’est pas un miracle qui va se réaliser soudainement dans quelques décennies, elle est déjà notre préoccupation première. Faisant partie d’une génération susceptible de subir pendant longtemps les effets de la crise climatique et étant en formation pour exercer dans un des domaines les plus polluants du monde, celui de la construction, je suis convaincue par l’importance de comprendre l’écologie et la défendre.

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On construit pour notre survie : l’architecture est avant tout une attitude à la nature, à la société, à la planète. Cette attitude s’est vue changer au cours de l’histoire, en fonction des conditions du moment, des idéologies dominantes, des aspirations culturelles. Notre siècle suit un siècle de vitesse, d’industrialisation, de changements brutaux. Aujourd’hui, il nécessite une remise en question de ses modes de construction. S’il ne suffit plus de construire comme nos exemples modernistes (à mon avis on sait déjà le faire), il faut opter à l’heure actuelle pour des modes de constructions résilients avec l’évolution du climat, de la nature et de la société. Il ne s’agit pas par là de tomber dans le cosmétique, comme c’est très souvent le cas lorsqu’on parle de l’écologie ou de développement durable dans le domaine de l’architecture. Il ne s’agit pas de prétendre tout résoudre en dessinant des toitures végétales sur de gros bâtiments urbains. Il me semble que la réflexion est plus profonde. Elle doit avant tout s’intéresser à la démarche, à l’objectif, à la dimension sociale de notre rapport à la nature, plutôt qu’aux modes constructifs high-tech. Elle doit viser la décroissance, sans revenir complètement en arrière, mais en mélangeant les acquis et les technologies de l’ère industrielle avec des savoir-vivre qui existent depuis des millénaires.


Pour trouver une nouvelle attitude qui correspond à nos enjeux actuels, il faut réfléchir également au bien-être des habitants de cette planète, et notamment des groupes les plus défavorisés. L’écologie a une dimension sociale trop souvent occultée dont on parle peu. Pourtant, il existe une relation étroite entre le comportement humain dans la société et les enjeux environnementaux. En Turquie, ceux qui ont habité dans des gecekondus et qui aujourd’hui sont aussi concernés par la transformation urbaine et les logements sociaux de TOKI, constitue une des communautés qui subissent les dégâts du système actuel dans leur forme la plus brutale. Or dans le mode d’habiter le gecekondu existent un mécanisme de frugalité, de participation, un rapport à la nature qui vient de leurs pratiques rurales. On devrait permettre à ce groupe de survivre dans leur mécanisme, de manière durable. On devrait même s’inspirer de leur mode de vie pour réinterroger le notre, dans l’objectif de soutenir les pratiques faibles et imaginer des façons de sortir progressivement d’un système de consommation et de gouvernance (et en effet de conception et de construction) devenu nuisible. En Turquie, la conscience écologique n’est pas vraiment acquise par la population. C’est un pays qui fait l’éloge de la croissance, du progrès, de la consommation. Ainsi, s’orienter vers une écologie relationnelle pourrait y représenter le début d’un changement pluridimensionnelle.

Pour une planète qui va mal, ou pour un projet de transformation à réinventer :

« Des remèdes : écologie, coopération, décroissance soutenable, complexités, aléatoire, non définition des avenirs : ils se décideront eux-mêmes, architecture organique qui montre des relations plus responsables et directes avec l’homme/nature, nouvelle densité, compacité, conurbation par composants… » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 157.

Le « faire autrement » que je questionne est une attitude écologique et culturelle.

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Se redéfinir (définition du dictionnaire Larousse en ligne https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ architecte/5072) :

architecte : 1. Personne qui conçoit le parti, la réalisation et la décoration de bâtiments de tous ordres, et en dirige l’exécution. 2. Promoteur, maître d'œuvre d'une réalisation importante : L'architecte d'un projet grandiose.

Je suis une presqu’architecte en recherche de définition puisque ces définitions de l’architecte me sont vagues, insuffisantes, fausses. En faisant ce projet de fin d’études, je n’ai ni envie de faire un projet grandiose ni penser à une finalité réfléchie dans la forme mais moins dans le fond. Je veux penser à la démarche, au modèle, aux intentions. Pour moi, l’architecte est d’abord une personne qui observe, analyse une situation. Elle comprend un lieu non seulement par ses caractéristiques physiques, mais aussi sociales, culturelles, politiques. Elle en repère les enjeux matériels et immatériels. Le premier travail de l’architecte est celui de l’observation. À partir des enjeux qu’il repère, avec sa compréhension de la situation et ses valeurs, l’architecte propose. Il se projette dans une nouvelle situation et permet aux autres de s’y projeter également grâce à ses outils de représentation. Cette nouvelle situation peut ainsi prendre diverses formes. Très souvent, elle prend une forme spatiale grâce à des interventions architecturales, devient une conception physique de l’espace en question. Mais elle peut aussi devenir une remise en question d’un programme, une création de processus, une réflexion sur les usages, une proposition de modèles de vie pour un lieu. C’est aussi un travail d’architecte selon la vision que j’ai pu créer pendant mon apprentissage. Enfin, le métier d’architecte a un côté qui nous est peu révélé à l’école : son rôle au sein du processus de construction, sa place dans un chantier, dans l’organisation d’un groupe de divers corps de métiers. L’architecte fait un vrai travail de coordination et de médiation. Après tout, souvent l’architecte décide et dessine, mais pas réellement seul, et encore moins dans le processus de construction.

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Revenons à mon objectif, au projet de transformation de Şirindere : Mon refus de m’imposer, d’ordonner ou de ne rien faire se transforme en une envie de comprendre, de proposer, de faire ensemble. Mon premier rôle au sein de ce PFE sera alors de comprendre les enjeux de la vallée et de les représenter. Dans un deuxième temps, à partir de ces enjeux, je réfléchirai à ce qu’il faut faire, ou plutôt à comment faire dans une conscience écologique. Je m’adresserai à l’incrémentalisme, chercherai à trouver un modèle de quartier soutenable en remettant en question la notion de la propriété et la cohabitation au sein de la vallée. C’est peutêtre en décidant le « comment » que je trouverai le « quoi ».

Dans le cadre de ce projet qui se concentre sur les gecekondus, je suis convaincue par l’utilité d’introduire les habitants dans le processus de conception et de construction. En effet, je considère que seulement la réhabilitation de la culture d’autoconstruction avec une collaboration habitante pourrait s’inscrire dans une démarche écologique. Cette collaboration hypothétique est une envie qui est très vite apparue dans le processus de réflexion, mais qui a mis du temps à se préciser. Peu à peu, elle m’a dirigé vers un rôle de débuter un processus. Ce début consiste à préparer une base durable et adaptée au site pour la participation, la co-conception et la coconstruction.

« Et puis ce n’est définitivement pas l’architecte qui dessine seul l'architecture mais un grand nombre d’intervenants, d’autorités, de conflits, d’ambiguïtés, d’inavoués, d’ataviques, de conditionnements, de fatalités techniques, de modèles culturels, etc. ». Lucien Kroll, Tout est paysage, page 47.

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Les gecekondus de Şirindere avant, aujourd’hui et après la transformation


tirage argentique, photo de l’auteure, 2022.


Glossaire

architecte : Personne qui analyse une situation existante et spécifique à un espace-temps, y repère les enjeux et propose une nouvelle situation. Personne qui sait lire l’espace, l’imaginer, le dessiner, le communiquer et suivre sa transformation. accompagner : Servir de guide. Mener, conduire quelqu'un quelque part. base : Support sur lequel les choses se posent. Origine, socle. consolider : Donner plus de solidité à quelque chose, la rendre durable, plus résistant, l’affermir. coopération : Action d’œuvrer de manière commune et participative. décroissance : Diminution, ralentissement. Retour aux sources. éboulement : Chute de matériaux, écroulement de vies. écosystème : Organisation structurée dans laquelle les différents éléments sont reliés par un maillage fort leur permettant d'interagir efficacement.

forme : Structure, configuration. Manière dont quelque chose se matérialise ; aspect, état sous lequel il se présente. formel : Sérieux, sur de soi, qui est formulé avec précision, excluant toute incertitude, toute ambiguïté. Qui ne tient pas compte des réalités de la vie, des faits. habiter : Vivre un environnement et intéragir avec ses élements. incrémental : Qui travaille par ajouts, par changements lié au temps et aux circonstances apparaissant progressivement. Évolutif. informe : Qui n'a pas de forme nette, déterminée, reconnaissable. in-forme-l : Qui n’a pas de forme nette, de structure, de configuration ? informel : Qui n’a pas de forme prédéfini, qui se crée et se transforme au fur et à mesure en fonction des circonstances. Résilient. médiateur : Qui sert d'intermédiaire, d'organisateur, de conciliateur. Qui écoute, accompagne, aide. mur de soutènement : Mur épais, généralement en glacis qui sert à contenir la poussée des terres, à épauler un remblai ou une terrasse. Support, structure résistante.

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noyau : Partie centrale, fondamentale d’un objet. Le germe. pérenne : Qui est sûr, stable, qui dure longtemps. permanence : Caractère de ce qui est durable. Service assuré. réhabiliter : Rendre à quelque chose son estime perdue, lui redonner vie. représentation : L’expression sensible de quelque chose au moyen d'une figure, d'un symbole, d'un signe.

soutenir : Servir de support, d’appui. Maintenir quelqu'un ou quelque chose debout, l'empêcher de tomber, de s'affaiblir, en lui redonnant des forces. soutenable : Qui peut être défendu, appuyé par des arguments forts. Qui peut être supporté, enduré. système : Ensemble d'éléments considérés dans leurs relations à l'intérieur d'un tout fonctionnant de manière unitaire.

ressource : Racine. Moyen d’existence. restanque : En Provence, muret en pierres sèches soutenant une culture en terrasse. risque : Danger, inconvénient plus ou moins probable. L’insécurité, manque d’information, de précision. solide : Qui est bien établi, de manière durable, sur lequel on peut se fonder, débuter quelque chose. (mur de) soubassement : Base, fondement. Partie inférieure, massive, d'une construction, qui surélève celle-ci au niveau du sol. soutènement : Dispositif de soutien ; épaulement, contrefort.

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1.1 Re-situer la vallée de Şirindere Sur la ville d’Ankara Située au cœur de la région d’Anatolie centrale, à une altitude de 938m et au milieu d’un grand paysage de steppe, Ankara est la capitale de la République turque. Elle représente la deuxième plus grande ville du pays avec une population de 5,663 millions (2020) pour une zone de 24521 km2. Une agglomération métropolitaine, elle contient 25 arrondissements (ilçe) dont 9 centraux de la ville. La ville historique d’Ankara est installée dans un fond de vallée où se rejoignent le ruisseau Hatip, la rivière İncesu et le ruisseau Çubuk. Cette zone commence à l'est de la ville avec la citadelle d’Ankara, construite à l’époque romaine (date inconnue), à partir de laquelle, la ville s'étend sur une topographie de cuvette. La flore et le climat varient d’un point à un autre, selon les altitudes.

Ankara est une ville habitée depuis la préhistoire par différentes civilisations : les Galates, les Romains, la Byzance, les Seldioukides, les Ottomans… Plusieurs faits historiques montrent que sa situation géographique en Anatolie lui a donné une importance au cours de ces diverses périodes : à partir de 25 Av. JC, c’était un centre important pour l’Empire romain, car elle se trouvait à la jonction de son réseau routier en Anatolie. À l'époque byzantine, la route principale reliant la capitale de l’époque, Constantinople (Istanbul) à l’est traversait également Ankara. Enfin, à l’époque républicaine, elle a été désignée comme capitale de par son emplacement stratégique et militaire visant la facilité d’accès aux quatre coins du pays.

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Avant la révolution industrielle, Ankara a fait l’objet d'une ville de défense et d’artisanat. À partir du 16e siècle, elle possédait une renommée internationale avec sa laine de mohair tissé (appelé sof en turc), produite à partir de poils d’une espèce particulière de chèvre, appelée Angora. Grâce à ce produit spécifique, la ville s'est transformée en un centre important pour la région en matière de commerce. Au 19e siècle, avec l'effet de la révolution industrielle, Ankara est entrée dans une période de stagnation, car l'artisanat ne pouvait plus concurrencer la fabrication industrielle. Vers la fin du 19e et début 20e, elle a commencé à perdre de plus en plus sa force, avec une baisse radicale de la population due aux maladies et à la malnutrition, mais aussi suite à un incendie ayant détruit les deux tiers de la ville.

En 1920, lorsque le conseil a siégé à Ankara, elle est alors devenue le centre des opérations de la guerre d’indépendance. En 1923, avec la proclamation de la République de Turquie, elle est alors devenue la capitale. Ainsi est arrivée une nouvelle ère pour Ankara. Il fallait désormais planifier et construire cette capitale émergente : les activités de planification et de construction ont commencé immédiatement au cours des premières années de l’instauration de la République.

Gravure de Josseph Pitton de Tournefort, Relation d’un voyage du levant, 1717. URL : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Angora_-_Tournefort_Joseph_Pitton_De_-_1717.jpg, consulté le 25.04.2022.

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Pour la construction de la nouvelle capitale et ses nouveaux besoins, notamment en termes de logements, à partir de 1923, plusieurs plans d’aménagement urbain ont été dessinés suite aux concours organisés par le gouvernement turc. Les plus connus sont signés par des architectes européens renommés de l’époque, Carl Lörcher (1924-1925) et de Henri Jansen (1932-1933). Ces plans ont déclenché la construction d’une nouvelle zone urbaine vers le sud d’Ankara, appelé la Nouvelle Ville (Yenisehir). Ils prévoyaient la mise en place de nouveaux espaces publics, grands et ouverts, décorés de monuments comme symboles d’une nouvelle modernité arrivée avec la république, mais aussi des zones résidentielles compactes pour loger les nouveaux arrivants de la capitale. Nous n’allons pas rentrer dans le détail de ces plans d’urbanisme au sein de cette recherche. Leur importance concernant notre sujet, les gecekondus, est leur point commun, le fait qu’ils ne soient pas réalisés. Force est de constater que ces plans d’aménagements déclencheurs n’ont pas pu être suivis à cause du déséquilibre entre l’offre et la demande de logements, d’une augmentation de la population mal calculée, imprévue de la ville d’Ankara. Nous avions mentionné dans le mémoire l’importance du phénomène d’exode rural pour le développement des grandes villes turques, ainsi que la naissance des gecekondus (cf. mémoire page 20 et 29). En effet, le manque de logements a poussé la population migrante à autoconstruire leur habitat de manière illégale. Cette construction massive de gecekondus a rendu impossible la mise en application du développement planifié de la ville d’Ankara. Ankara est alors devenu une ville qui a voulu être planifiée, mais qui a été soumise à une évolution parallèle très rapide et informelle.

Le plan d’urbanisme de Lörcher, 1924. URL :http://mimdap.org/2009/07/lorcherin-ankarasy/, consulté le 25.04.2022.

Le plan d’urbanisme de Jansen, 1932. URL https://www.researchgate.net/figure/Ankara-PublicPlan-of-Prof-Hermann-Jansen-1932-after-Jansen-1937Tuncer-2009_fig2_324007646, consulté le 25.04.2022.

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Ankara, vue aérienne, 1984.

Ankara, vue aérienne, 2021.

Ci-dessus, il est possible de voir l’étalement de la ville d’Ankara en un intervalle de 35 ans. Aujourd’hui, on y observe les traces d’un développement chaotique qui date du siècle dernier. Ayant actuellement comme secteur économique principal celui de la construction, la ville d’Ankara construit, déconstruit, reconstruit. Elle ne cesse de s’étendre. Ses gecekondus disparaissent, faisant place aux gratte-ciels et aux logements de luxe dans le centre-ville, tandis que les cités de TOKI fleurissent en périphérie.

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Ankara, Turquie Routes nationales Routes Bâtis


Ma chère ville bétonnée, je suis plutôt heureuse depuis que je t’ai quittée

Ressentis personnels sur la ville d’Ankara. Ankara a deux couleurs dans mon souvenir. Je ferme mes yeux, je vois jaune. Un jaune clair qui tend vers le beige, c’est l’été. La chaleur évaporant des trottoirs, des immeubles, et plus loin des champs de blé. Les yeux plissés. Je les ouvre et les referme. Cette fois, je vois gris, mélangé à un marron foncé, couleur bitume. L’odeur de moteur dans les rues. Il neige. Un froid sec, l’école est fermée pendant deux jours. Il y fait souvent très chaud ou très froid. Bienvenue dans l’Anatolie centrale. Le printemps et l’automne n’existent presque pas. Pas d’intermédiaire, pas de compromis. Un village ou une capitale ? Une image rurale, un paysage urbain. Nostalgie douce, répulsion froide.

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Ankara, capitale, métropole, deuxième grande ville du pays à 5 millions. Telle que je l’ai vécu, elle reste assez calme à côté de la mégalopole tourmentée d’Istanbul. Les gens viennent voir Anitkabir, ou parfois la citadelle mystérieuse de la colline qui donne sur un paysage de gecekondus à moitié habités, de grandes grues et des tours à la fois. Cette vue est une représentation du pays. Ankara est une ville de fonctionnaire, d’universitaires, de gens sérieux. Une capitale gouvernementale, pas tant culturelle. Pour moi, Ankara c’est la voiture, pleins de voitures, l’autoroute qui traverse la forêt, des passages souterrains ou suspendues pour les piétons, des centres commerciaux à l’américaine mais en plein centre-ville. De gros bâtiments, des logements, des bureaux, des commerces… Tous se ressemblent, leurs vitres brillent, leurs façades pleurent. Ankara peut aussi être résumé par l’impossibilité de marcher d’un quartier à un autre, et la perte de


temps dans les transports en commun : Tu mets une heure pour aller d’un point A à un point B en dolmus, alors qu’en voiture ça prend cinq minutes. Parmi mes amis du lycée, je suis probablement la seule à ne pas avoir le permis. On veut pas de piétons dans cette ville, encore moins des vélos. Quant au centre-ville, Ulus, pour moi c’est un centre historique inexistant, qui a perdu sa valeur un moment donné et ne peut plus le retrouver. Si Kizilay est un univers d’enseignes de commerces de tout type démesurées cachant les façades, Ulus serait un univers d’hôtel et de kebab. Partout, il y a des voitures qui essayent de se garer et qui rentrent en conflit.

Mais je crois que ce qui m’intrigue le plus c’est l’extérieur de la ville, avec toute une vie rurale qui se contraste à l’univers chaotique du centre d’Ankara, à cet univers que j’ai vécu et j’essaye de décrire. Il y a du vide, beaucoup de vide, des tumulus, des champs, des maisons en kerpiç (adobe de terre crue), des travailleurs saisonniers avec leurs tentes, des moutons, des chèvres, des savoir-faire. Cette déconnexion me fascine même si j’ai du mal à la comprendre. Cela fait maintenant six ans que je n’habite plus cette ville. Le secteur de la construction a pris en main son destin. Ma ville s’est transformée en un énorme panneau de chantiers.

Pourtant tout n’est pas si terrible à Ankara. Plus je m’éloigne de cette ville, plus je m’accroche à son paysage de steppe où l’on perd toute notion d’échelle et de temps. Dans la ville, il y a quelques coins de respirations, des parcs comme Segmenler, le lac d’Eymir.

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Le quartier Çiğdem Le quartier Çiğdem (appelé aussi Karakusunlar) se trouve dans Çankaya, l’un des 9 arrondissements centraux de l’agglomération d’Ankara. Limitrophe aux forets d’ODTU, il reste à 8 km de Kızılay (centre-ville d’Ankara).

Nous avions introduit le quartier dans la troisième partie du mémoire. Pour rappel, Çiğdem est un quartier installé sur un terrain en pente. On y retrouve une vie de quartier majoritairement résidentielle, avec des cités, des commerces de proximité regroupés, des écoles primaires, des espaces publics comme des parcs et des aires de jeux, des lieux de culte (deux mosquées et une église).

Ankara, Turquie Routes nationales Routes Bâtis Ciğdem Mahallesi, quartier d'intervention

En 2014, par Melih Gökçek (l’ancien maire d’Ankara) une autoroute a été construite sous le nom de 1071 Boulevard Malazgirt (1071 Malazgirt Bulvari), au nord du quartier Çiğdem, pour relier la route d’Eskisehir aux côtés de Dikmen. Cette autoroute a amené un changement important pour le quartier, en lui créant une nouvelle entrée et en le mettant dans un emplacement stratégique pour la ville. Sur les vues aériennes, il est possible de voir que cette autoroute retrace aussi les limites du quartier. Récemment, près de la vallée de Şirindere, sur une parcelle qui donne sur les rues 1573 et 1574, un lycée et un collège ont été construits. L’installation de ces établissements scolaires a augmenté la fréquentation de la rue 1551.

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Le quartier Çiğdem, Çiğdem Mahallesi, vue aérienne, 2004.

Le quartier Çiğdem, Çiğdem Mahallesi, vue aérienne, 2021.

Plan schématique du quartier Çiğdem

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devant le local de l’association Cigdemim, rue 1550.

Lors de ma dernière enquête de terrain à Ankara, en janvier 2022, je suis allée voir l’association Çiğdemim. Pour rappel, cette association a été créée par les habitants de Çiğdem, dans le but de soutenir l’éducation, la solidarité et l’environnement au sein du quartier (cf. mémoire page 111 pour plus de détail). C’est une des seules associations de participation habitante à Ankara. Par ses projets participatifs au sein du quartier et ses valeurs, elle est vite devenue en une association internationalement connue, jusqu’à recevoir des subventions européennes. En discutant avec quelques membres, j’ai appris sur la transformation récente d’un espace public dans le quartier avec une démarche de démocratie locale et de participation.

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Cet espace public en question se trouve dans la rue 1551, devant le local de l’association. Avant, il y avait un stade de football, aujourd’hui on y retrouve un parc (nommé Can Yucel Parki), une bibliothèque de quartier. La mairie de Çankaya, pour la première fois, a mis en place une démarche participative pour décider ce qui remplacera ce stade qui, d’après le voisinage, nuisait à la vie de quartier. Le 1er mars 2015, un referendum à été organisé pour savoir si les habitants de Çiğdem étaient d’accord pour la mise en place de cette démarche. À la suite des réponses positives, plusieurs réunions ont été organisées par l’association et la mairie pour décider le projet à venir. Finalement, les habitants se sont mis d’accord pour la construction d’un parc et d’une bibliothèque. Cette transformation participative au sein du quartier montre qu’il existe une volonté de soutenir une démocratie locale et participative.


Une première se produit à Ankara. Pour la première fois, la commune de Çankaya demande l'avis du public sur la démocratie locale et la participation. Le dimanche 1er mars 2015 aura lieu un référendum avec la question suivante : « Souhaitez-vous que les terrains de foot soient enlevés et remplacés par un autre équipement qui sera déterminé avec une approche participative ?" Si le public donne une réponse positive, nous nous réunirons pour décider tous ensemble le projet à venir. Ensemble, nous pouvons créer un nouveau lieu qui conviendra à la vie de notre quartier. (Tous les résidents de Çiğdem inscrits au muhtarlik (la mairie) peuvent voter.)

UNE PREMIÈRE EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE LOCALE ET DE PARTICIPATION

affiche du référendum source : Fatih Fethi Aksoy, président de l’association Çiğdemim (traduction de l’auteure)

Un pas important pour Çiğdem dont on habite les rues Cessons la pollution visuelle, lumineuse, acoustique et environnementale Va voter pour ton quartier ! Ici c’est Çiğdem, ce n’est pas la rente qui décide, c’est les habitants du quartier.

PARTICIPEZ AU VOTE PUBLIC LE 1ER MARS POUR AMÉNAGER VOTRE QUARTIER COMME VOUS LE SOUHAITEZ.

Nous voulons que les terrains de foot soient enlevés et que la zone soit réaménagée avec une concertation publique, car : •

Une grande partie de ces terrains est souvent utilisée par des personnes venant de l'extérieur du quartier, l'éclairage du stade est gênant entre les cités, les matchs durent jusque tard dans la nuit, les bagarres et bruits abusifs de ceux-ci sont perturbants, la circulation est gênée par les véhicules venant en sens interdit, les bouteilles de bière sont souvent cassées dans la rue, les grillages de ces terrains créent une pollution visuelle.

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Un aperçu du quartier

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Les cités de Çiğdem

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Le microcosme de Şirindere et ce qui l’entoure

Nous avions déjà mentionné dans le mémoire que Şirindere représente au sein du quartier Çiğdem, un microcosme, de par da séparation physique et sa ségrégation sociospatiale (cf. mémoire page 109). En effet, Şirindere est une entité qui reste au milieu de trois autres : le quartier Çiğdem avec les cités et les espaces publics, les forêts d’ODTU, et la ville néolibérale d’Ankara. Les cités par leur forme urbaine orthogonale et la typologie de logement créent un contraste avec la vallée de Şirindere et ses gecekondus. Ces cités ont des points de connexion entre elles qui les relient, tels que les rues, les espaces publics, les services du quartier, les commerces. Bien qu’elles soient séparées les unes des autres par des clôtures, elles restent une entité, différente de celle de Şirindere. Les forêts qui bordent la vallée du côté sud et ouest (derrière la cité Çamlik, les habitations en duplex) appartiennent à l’université technique d’ODTU (METU en anglais, Middle East Technical University). À l’échelle de la ville, le campus de l’université occupe une zone de 4500 hectares et les forêts dans celui-ci, 3043 hectares. Comme nous pouvons le remarquer sur les vues aériennes d’Ankara, elles représentent une grande zone arborée pour la ville. Ces forêts ne sont pas naturelles, elles ont une histoire de création avec un effort collectif. En 1957 et 1961, deux inondations ont eu lieu à Ankara, entraînant plusieurs morts. Suite à ces incidents, un plan d’action a été mis en place. Il consistait à planter des arbres, majoritairement de mélèze, sur les collines arides de la ville pour lutter 32


contre l’érosion. L’université a participé à ce projet, en créant un festival de plantation dans le campus. Pendant plusieurs années, des milliers d’arbres ont été plantés par des ingénieurs forestiers, des ouvriers, des étudiants et des bénévoles. Şirindere est limitrophe à ces forêts du côté sud, s’ouvre sur un grand paysage. La limite physique entre ces deux entités est un grillage qui est cassé par endroits. Le côté nord de Şirindere est son point le plus bas, sa principale entrée depuis la ville. Il est donc bordé par une troisième entité, la ville néolibérale. Cette appellation est en effet symbolique, vient de la route 1071 Malazgirt, qui a amené au quartier Çiğdem une ouverture vers de nouveaux quartiers de building. Lorsqu’on est sur les flancs de la vallée et qu’on tourne notre regard dans cette direction, un paysage de gratte-ciel apparaît. À la séparation du microcosme de Şirindere de ces entités, on retrouve des seuils, qui sont, du côté est, la rue 1550 et du côté ouest, la rue 1591. Ce sont des points où on observe la vallée, mais ils n’y donnent pas accès. Cette situation de séparation et de microcosme, bien qu’elle paraisse négative, reste une réalité concernant le terrain. Elle crée un univers que l’on aperçoit de loin, mais découvre seulement quand on y rentre réellement. Dans la pensée de projet, il ne s’agira pas de vouloir à tout prix casser ces barrières, détruire les seuils, viser la mixité au sein de la vallée. En considérant cet univers comme étant toujours un microcosme, on peut pencher sur la question des accès, des vues, des espaces allant du public, au collectif et à l’intime, au logement. 33


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100m


A’

1.2 Les enjeux de la vallée Les éléments géographiques Nous pouvons repérer les premiers enjeux de Şirindere dans son nom : sa forme géographique de vallée et le ruisseau qui la traverse. Le terrain est appelé Şirindere Vadisi en turc (şirin = sympathique, dere = ruisseau, vadi = vallée). Les réalités situées du terrain comme la topographie, le vent et les arbres que l’on observe sur place sont liées à cette première caractéristique géographique.

A

La vallée de Şirindere représente une zone de 13,7 hectares, environ 900 m de long et 170 m de large. Elle se situe entre 953 et 1000 m d’altitude. Sa topographie est complexe puisqu’elle se partage en deux axes. En fond de vallée, dans l’axe longitudinal nord-sud, il existe une pente douce de 4%, tandis que dans l’axe transversal est-ouest, où se trouvent les flancs de vallée, la pente est d’environ 20-30%. Ainsi, cette forme géographique crée un couloir pour le vent dominant du centre d’Ankara, dans la direction nord-est.

Coupe AA’

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Le ruisseau qui traverse la vallée n’a pas de nom exacte. Il constitue la branche d’une source venant du sud d’Ankara, du côté des forêts d’ODTU, près du village de Yalıncak. Selon les habitants de la vallée, le courant du ruisseau et la quantité d’eau dépendent fortement des périodes. Au moment d’installation de la plupart des gecekondus, dans les années 1980, l’eau était abondante et propre, comme en témoignent les marches qui descendent vers le ruisseau de la maison d’Osman Amca. Le ruisseau était même utilisé comme principale source d’eau, avant l’arrivée de l’eau municipale dans la vallée. Aujourd’hui, l’eau reste polluée, sa quantité et son courant sont faibles. Elle stagne à certains endroits, notamment au niveau des passages en terre créés par les habitants.

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Les arbres de la vallée comme nous pouvons voir sur les photos constituent un élément important pour le paysage de Şirindere. Plantés par les habitants pour créer de l’ombre (cf. mémoire page 156), la hauteur des arbres peut monter jusqu’à 25m. Les essences dominantes sont les peupliers, les cyprès, les sapins, les fruitiers comme les pruniers ou les pommiers. Les changements saisonniers influencent complètement la perception de la vallée. On y observe une grande différence de paysage entre l’hiver et l’été. Lors des dernières démolitions qui ont eu lieu, une grande partie de ces arbres a été détruite.

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La vallée avant et après la démolition des gecekondus, repérages Après la forme géographique de vallée, le deuxième enjeu du terrain est sans doute ce qui fait de Şirindere un quartier de gecekondus : la présence humaine sur le site se reflète par l’installation des habitats informels et des lieux de mobilités, les chemins. Şirindere était initialement un quartier constitué de gecekondus qui ressemblent à des maisons rurales, alignés sur les flancs de vallée en suivant la topographie et par endroits installés au niveau du ruisseau. L’accès aux maisons se faisait avec des marches accidentées, reliant les rues 1550 et 1591 qui sont situées au-dessus des flancs, aux deux rues principales de fond de vallée, la rue 1589 et la rue 1590.

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La vallée avant la démolition des gecekondus

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L’installation de quartier tout comme la présence humaine sur la vallée ont changé avec le temps, avec l’inscription du site dans un processus de transformation urbaine. Comme je l’ai explicité dans mon mémoire, une démolition pour déloger les trieurs de papiers qui squattaient les maisons vides a eu lieu en novembre 2020 à Şirindere (cf. mémoire page 130). Aujourd’hui, 200 gecekondus ont été démolis parmi les 250. À la place, on retrouve des débris, des restes de dalles en béton, des bouts de murs de soutènement. Les chemins ont été modifiés par le passage des bulldozers et les nouveaux besoins de circulations des habitants restants. Suite à cette démolition, Şirindere est devenu un terrain difficile à comprendre, avec des cavités sur les flancs, des trous dans le paysage auparavant continu de la vallée, des chemins disparus.

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B

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Coupe BB’

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B’

La vallée après la démolition des gecekondus

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Pour comprendre la situation actuelle de Şirindere, j’ai déterminé quelques points sur le plan qui m’ont servi de repères lors de mes enquêtes. 49


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Aujourd’hui, en plus des gecekondus restants analysés avec les relevés (cf. mémoire page 133), on retrouve dans la vallée les ruines d’une vie de quartier, d’une installation humaine. Ces ruines donnent des indices sur la construction des gecekondus, et notamment sur leur rapport au sol.

Les ruines

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Le rapport au sol : contrainte, risque, précarité

Au vu des caractéristiques citées précédemment de Şirindere, il est possible d’y repérer un enjeu principal en lien avec tous les autres : le rapport au sol. Premièrement, le sol, de par sa forme géographique de la vallée et notamment la topographie représente une contrainte pour construire, accéder et habiter à Şirindere. Installés sur les flancs de vallées, les gecekondus sont intégrés dans la pente sur différents niveaux. Ils interagissent avec le sol existant d’une manière spécifique, en y faisant en quelque sorte leur place un par un.

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Le sol, par la forme géographique du terrain, représente également un risque. À Şirindere, il existe un risque d’éboulement dont le niveau de danger reste flou. Lors des entretiens que j’ai pu effectuer avec les habitants, plusieurs ont affirmé la présence des fissures sur les murs, mais aussi la nécessité d’entretenir et de réparer leurs gecekondus (cf. mémoire annexes page 215). En outre, le mot risque a une importance particulière pour les projets de transformation urbaine en Turquie, car il débute le processus. Pour faire un PTU, la première étape est de déclarer un terrain (souvent un quartier de gecekondus) « une zone à risque » (cf. mémoire 2.1.3 ). Le mot risque dans cette modalité est très souvent lié au séisme. À Şirindere, on ne sait pas s’il s’agit d’un risque de séisme ou d’éboulement, ou des deux. Le projet de transformation de Şirindere a été annulé à la suite de nombreux procès. Ces procès portaient sur l’absence d’une étude géologique suffisante qui permettrait de savoir comment construire sur ce terrain accidenté. Actuellement, le projet est donc en pause, dans l’attente des résultats de cette étude.


Le rapport au sol constitue un enjeu tant géographique que social pour ce terrain spécifique qui est un quartier de gecekondus. Le sol, dans le sens foncier, représente aussi une raison de précarité concernant les habitants. Dans le mémoire, nous avions expliqué en détail le processus de légalisation des gecekondus, les complexités derrière l’obtention d’un titre de propriété pour ces derniers. Le gecekondu, par l’illégalité

première de son installation, a un rapport au sol qui est fondamentalement fragile et incertain. Cette incertitude s’explique au travers de la non-propriété du terrain. Les habitants, bien qu’ils aient créé des coopératives pour défendre leurs droits, n’ont pas de mainmise ou de sécurité dans le processus de transformation. Leur part dans le projet est déterminée en fonction de la dimension de leur gecekondu et leur jardin.

Nous pouvons remarquer que le sol, par ces trois importances évoquées, la contrainte, risque et précarité, constitue un enjeu très important pour la vallée. Ainsi, l’état de vétusté des gecekondus restants et les ruines de ceux qui sont démolis illustrent le besoin d’intervenir sur le sol, d’envisager une base pérenne pour ce qui remplacera les gecekondus.

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Les usagers concernés par la vallée Les premiers usagers concernés de la vallée sont ceux qui l’ont habitée et l’habitent toujours. Il existe deux groupes d’habitants de gecekondus, ceux qui ont quitté le quartier pour s’installer ailleurs, mais qui restent tout de même bénéficiaires dans le projet de transformation, et ceux qui sont restés (cf. mémoire page 119). Les autres concernés du site sont les acteurs de projet pour le PTU à venir, comme la mairie de la métropole d’Ankara. Les habitants de cités du quartier Çiğdem, le maire du quartier (le muhtar), les personnes qui viennent pour les services du quartier comme les écoles, les commerces, etc. Ces derniers constituent des potentiels concernés moins directs par la transformation de la vallée.

Sur le terrain, il est possible d’observer une catégorie assez inhabituelle d’usagers de la vallée : les chiens errants. En Turquie, à la différence de l’Europe, il est courant de voir des animaux errants dans la rue, notamment des chats et des chiens. Les chiens de Şirindere sont nombreux, se déplacent en meute. Selon mes observations, ce sont les habitants de Çiğdem, de Şirindere ainsi que les membres de l’association Çiğdemim qui s’occupent de ces chiens, les nourrissent et essayent de faire leurs soins. Certains habitants de Şirindere leur ont construit des cabanes. Mais au vu de leur nombre, ces mesures restent insuffisantes. Ils font face à des conditions invivables, notamment en hiver, suscitent parfois la peur et le danger (plusieurs fois lors de mes excursions je n’ai pas pu aller à certains endroits de la vallée par la peur). Ainsi, ces chiens sont à prendre en considération lors du projet de transformation.

À la suite de ma dernière enquête de terrain sur le site en janvier, j’ai effectué une liste regroupant les usagers concernés et leur avis pour le futur de la vallée de Şirindere.

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2.1 Vers une compréhension de l’incrémentalisme L’existant est une ressource Après avoir soulevé les principaux enjeux de la vallée de Şirindere, la première intention de projet est de réfléchir à une transformation située, qui prend en considération l’existant sur place, l’utilise, le valorise au lieu de l’ignorer. L’existant est ce qui rend la vallée unique, en créant son paysage singulier, sa situation actuelle qui est particulière et difficile à comprendre. Nous pouvons entendre par cet « existant » le site et sa topographie, les habitants, les gecekondus restants, la culture d’autoconstruction…

Tout d’abord, la topographie de Şirindere engendre un risque et une difficulté pour la construction. Mais elle peut également devenir un avantage, par les vues quelle permet d’avoir, la séparation des espaces, les cheminements organiques et les différences de niveaux qu’elle peut créer, la mise en place des potagers avec un système de permaculture… Dans la logique de faire avec l’existant, un travail dans la topographie parait essentiel. Ce travail consiste en une adaptation au site avec l’intégration dans la pente des bâtiments à échelle humaine, contrairement au projet proposé qui prévoyait des zones aplaties avec des bâtiments à grande hauteur.

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Dans le projet de transformation proposé (et annulé) à Şirindere, les habitants de gecekondus ne sont pas considérés comme les principaux concernés, car ils font partie d'un groupe défavorisé. Bien qu’il s’agisse d’un processus de transformation « sur place » (yerinde dönüşüm) et que les habitants de gecekondus soient bénéficiaires dans le projet, plusieurs exemples de gentrification nous montrent qu’ils sont poussés à partir de ces nouveaux logements pour s’installer ailleurs, à cause des charges mensuelles, de l’inadaptation du mode de vie, etc. (cf. mémoire page 79). Face à cette situation d’expulsion tacite, j’ai envie de considérer les habitants de la vallée comme les principaux concernés par le projet, notamment par les logements à construire sur place. Autoconstructeurs, les habitants sont ceux qui connaissent le mieux le site, qui ont construit son paysage, qui en font partie. Les intégrer dans le processus de projet à la fois pour la conception et la construction pourrait être une manière de leur permettre de vivre une transition résiliente. Nous pouvons réinventer un mode d’habiter et de construire qui soit semblable à celui des gecekondus, mais sur une base durable.

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En ce qui concerne les cinquantaines de gecekondus qui restent sur le site actuellement, je prends parti qu’il faut les démolir. La réhabilitation des maisons existantes ne peut plus être question dans un site à deux tiers démoli, à la fois par leur état vétuste et le manque de base pérenne. Je crois en la nécessité de réaménager l’ensemble de la vallée. En effet, y amener un nouveau modèle de quartier, un modèle alternatif et soutenable. Dans cette volonté de démolir pour mieux reconstruire, les gecekondus et le débris restants sur le site, comme les briques, le béton et le gravât représentent de la ressource matérielle à réemployer. L’existant sur le site est à la fois contrainte et ressource il faut faire avec.


Une transformation incrémentale pour une transition résiliante Utiliser l’existant, mais par où commencer ? La transformation d’un quartier de 13 hectares ne se fait pas d’un seul coup. Dans la modalité courante, un projet de transformation urbaine se planifie à différentes échelles (pour celui de Şirindere au 1/5000 et 1/1000) et se fait par étapes. Malgré toutes les critiques que j’amène sur cette démarche classique de transformation urbaine, ce point parait comme une constante. Contrairement aux intentions qui elles, peuvent bifurquer. Procéder par phase pour un tel projet est une obligation, car ce dernier est directement lié aux conditions humaines et l’essence d’un processus de construction. En fonction des degrés d’importance, des logiques constructives, de la gestion de chantier et de l’organisation des différents corps de métiers, les interventions se déroulent à différents stades de projet. Dans la transformation de la vallée de Şirindere qui sera nécessairement progressive, la notion du temps peut aussi s’installer au cœur du projet. En suivant une logique d’évolution et d’adaptation comme on trouve dans les mécanismes d’habiter les gecekondus, une transformation incrémentale pourrait se mettre en place. Ainsi, cette transformation pourrait permettre l’autoconstruction et l’intégration des habitants dans le processus de projet.

Si la transformation incrémentale d’un lieu se fait en réalité sur place et avec une mise à jour continuelle de sa situation, elle nécessite tout de même un premier cadre. Ce cadre a pour but d’assurer une première base, un point d’accroche qui offre une certaine flexibilité, en acceptant que la planification et le déroulement du projet puissent changer par la suite. Pour trouver ce cadre, il semble nécessaire de chercher une façon d'apporter une réponse aux grands enjeux du site et d'un habitat. Réponse qui pourrait démarrer ce processus progressif de manière durable. L’idée est en quelque sorte de soigner ce qui a toujours posé problème, de proposer des principes, des méthodes de construction ou des procédures, pour qu’ensuite, les choses se fassent et évoluent dans une liberté d’action et d’adaptation. Le fait de m’adresser à l’incrémentalisme me permet de mieux me situer au sein de ce projet pour trouver ma place sans rentrer dans un besoin de tout contrôler. À cette échelle de projet et étant loin du site et seule à prendre des décisions, il me semble que ce serait très difficile et insensé. Enfin, pour trouver un début de processus de transformation, ou de ce que j’appelle le « cadre » ou la « base » ou encore « le début de quelque chose », je suis passée par deux stades de compréhensions différentes de l’incrémentalisme.

« L’incrémentalisme ne veut décider de chaque étape qu’au moment où il l’aborde et pendant son cours : il refuse de décider trop tôt ni les étapes suivantes ni la totalité de l’opération sans la soumettre aux événements successifs de chaque phase. Ainsi, la fin n’est pas définie dès le début. L’incrémentalisme est la façon écologique de décider par la participation continue de toutes les informations qui surgissent au cours de l’opération. » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 156. 63


Dessiner des habitats évolutifs ou permettre l’auto-construction ? En finissant mon mémoire, j’avais repéré comme première caractéristique des gecekondus, leur évolutivité. Lors de cette deuxième étape de la recherche, du projet, j’ai dû faire des allers-retours entre deux axes différents de l’incrémentalisme ainsi que deux rôles que l’architecte pourrait se vêtir dans le contexte d’un quartier de gecekondus : l’incrémentalisme au sein de l’habitat et du processus de transformation de l’ensemble du quartier. L’œuvre d’Alejandro Aravena au Chili, Elemental, que l’on connait comme des demismaisons a été une de mes premières références pour débuter mon processus de projet. Ces quartiers de logements sociaux se situent dans un contexte semblable à celui des gecekondus tout en étant dans un autre pays. Ils regroupent mes intentions principales : revaloriser l’autoconstruction et permettre l’évolution de l’habitat. J’ai voulu alors m’inspirer de ces quatre projets que je trouve précurseurs, à la fois au travers des valeurs qu’ils portent et leur mise en forme (c'est-à-dire leur aspect technique avec la facilité qu’ils permettent pour l’autoconstruction à un groupe défavorisé). Cette inspiration est passée par la réinterprétation du principe d’Aravena dans le contexte de la vallée de Şirindere, afin de trouver ma propre intervention en tant qu’architecte qui repère les enjeux propres à mon terrain de recherche.

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Je me suis alors concentrée sur un fragment de la vallée, pour dessiner un ensemble d’habitats modulaires créés selon une trame de 3x3m, intégré dans la pente avec une installation sur différents niveaux, donnant des possibilités d’extension. L’idée était de penser à une première habitation sociale, dans ses dimensions minimums, qui au fur et à mesure pourrait s’agrandir selon les besoins et les envies des habitants.

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Progressivement, en dessinant ces habitats, je me suis rendu compte que la démarche incrémentale que je voulais mettre en place perdait sa cohérence dans l’ensemble de la vallée. Elle s’éloignait du programme général et de la démarche participative pour rentrer dans le détail de l’habitat. De plus, à défaut de déterminer les possibilités d’extension, le projet finissait par contraindre les habitants. Alors j’ai décidé de changer de voie, tout en gardant les principes que j’ai découverts tout au long ce travail. En remettant en question cette intervention, je me suis concentrée sur une compréhension différente de l’incrémentalisme, plutôt au niveau de la transformation à l’échelle de la vallée et dans l’interrogation de l’acte même d’autoconstruire. L’intention de projet concernant l’habitat est devenue ainsi la proposition d’un modèle de vie collective qui ne cesserait d’évoluer, modèle dont le début prend la forme de la création d’une base pérenne. Cette base prépare le terrain pour un modèle participatif de conception et de construction, tout en collaborant avec un architecte responsable du projet qui serait en permanence sur place. L’intervention technique pour les habitats permetterait de résoudre les difficultés majeures que l’on trouve dans les quartiers informels, à savoir les accès, les réseaux et le rapport au sol pour Şirindere.

L’inspiration de l’œuvre d’Aravena a nourri la réflexion du projet et amplifié cette envie d’agir avec une pensée incrémentale, sans rentrer dans une même logique très déterminée et déterminante à l’échelle de l’habitat. Finalement, c’est surtout la notice élaborée pour que les architectes travaillant sur le même s’en inspirent (qu’il a rendue publique avec les dessins de son projet Elemental), qui m’a permis de construire ma pensée. Ce que je retiens de cette notice :

« (…) Nous devons ajouter les ressources des habitants et leur capacité de construction à celles du gouvernement et du marché, car les ressources disponibles ne sont pas assez. Le marché a tendance à faire deux choses : réduire et déloger. Réduire l’offre de logements, menacer la qualité de vie des gens en les déplaçant vers des périphéries urbaines immeritées où le foncier ne coute rien, et en les éloignant des opportunités qui les ont fait venir dans les villes. Pour faire face à une telle situation, nous proposons un principe d'incrémentalisme. Si tu ne peux pas tout faire, concentre-toi sur : Ce qui est le plus difficile Ce qui ne peut pas se faire individuellement Ce qui va garantir le bien commun dans le futur » (cf. annexes pour la version complète de la notice en anglais)

À la recherche d’une transformation incrémentale pour revaloriser une culture d’auto-construction, au lieu de dessiner les règles du jeu, j’ai décidé de préparer le plateau du jeu.

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2.2 Un nouveau modèle de coopérative pour Şirindere La vallée comme un écosystème : espaces publics, collectifs, privés

ZONE À RISQUE VALLEE DE ŞİRİNDERE (ŞİRİNDERE VADİSİ) PLAN DE ZONAGE D'EXECUTION

K

ORMAN ALA

ÖLÇEK:1/1000

LEGENDE PLAN DE ZONAGE LIMITE D'APPROBATION DU PLAN

Pour qui transformer la vallée ?

LIMITE CADASTRALE YAPI YAKLAŞMA SINIRI

Si la transformation de la vallée de Şirindere concerne à la fois le microcosme qu’elle représente et son environnement, elle doit réunir différents usages pour différents groupes de personnes. Bien que le projet soit principalement conçu pour les habitants de gecekondu, il inclut également les habitants de cités et de la ville. Ainsi, le réaménagement ne se limite pas qu’à la construction des logements, mais se rapporte aussi à la création des accès et des espaces à caractère collectif et public.

E=1.70 Hmax=Serbest

1

ZONE D'HABITATION EN DEVELOPPEMENT EQUIPEMENT ADMINISTRATIF, COMMERCIAL ET SOCIAL ORMAN ALANI

ETABLISSEMENT SCOLAIRE EQUIPEMENT SOCIO-CULTUREL LIEU DE CULTE PARC ET ESPACE PUBLIC ZONE D'INFRASTRUCTURE TECHNIQUE IIe DEGRE Ie DEGRE ROUTE ZONEPIETONS À RISQUE ROUTE VEHICULE ROUTE VEHICULE

20

00

VALLEE DE ŞİRİNDERE (ŞİRİNDERE VADİSİ) PLAN DELIGNE ZONAGE D'EXECUTION DE FAÇADE RECOMMANDEE

00

10

7 00

K ÖLÇEK:1/1000

LIGNE DE FAÇADE CONSERVEE

LEGENDE PLAN DE ZONAGE LIMITE D'APPROBATION DU PLAN

DISTANCE JARDIN AVANT ORGANISATION DU BATI

LIMITE CADASTRALE

.. .. .. ..

NOMBRE D'ETAGE YAPI YAKLAŞMA SINIRI

DISTANCE JARDIN ARRIERE E=1.70 Hmax=Serbest

ZONE D'HABITATION EN DEVELOPPEMENT

1

EQUIPEMENT ADMINISTRATIF, COMMERCIAL ET SOCIAL ORMAN

ETABLISSEMENT SCOLAIRE

Une des rares données que j’ai pu trouver sur le PTU annulé est un plan d’aménagement à échelle 1/1000, qui prévoyait un zonage avec un programme mixte et des accès. Dans le programme, on retrouve un parc avec des aires de loisirs, des espaces réservés aux logements, mais aussi aux équipements scolaires, socioculturelles, religieux (une mosquée), administratifs, commerciaux et sociaux.

KARAKUSUNLAR AFETEQUIPEMENT RİSKLİ SOCIO-CULTUREL K ALAN (ŞİRİNDERE VADİSİ) LIEU DE CULTE UYGULAMA İMAR PLANI PARC ET ESPACE PUBLIC

ÖLÇEK:1/1000

ZONE D'INFRASTRUCTURE TECHNIQUE

GÖSTERİM

UYGULAMA İMAR PLANI Ie DEGRE PLAN ONAMA SINIRI ROUTE VEHICULE KADASTRO PARSEL SINIRI

20

00

IIe DEGRE ROUTE VEHICULE

10

00

ROUTE PIETONS

7 00

LIGNE DE FAÇADE RECOMMANDEE LIGNE DE FAÇADE CONSERVEE

YAPI YAKLAŞMA SINIRI E=1.70 Hmax=Serbest

1

DISTANCE JARDIN AVANT

GELİŞME KONUT ALANLARI

ORGANISATION DU BATI

.. .. .. ..

NOMBRE D'ETAGE DISTANCE JARDIN ARRIERE

İDARİ, TİCARİ VE SOSYAL TESİS ALANI EĞİTİM ALANI

KARAKUSUNLAR SOSYO-KÜLTÜREL TESİSLER ALANI İBADET YERİ ALANI

AFET RİSKLİ ALAN (ŞİRİNDERE VADİSİ) UYGULAMA İMAR PLANI

K ÖLÇEK:1/1000

PARK VE REKREASYONGÖSTERİM ALANLARI UYGULAMA İMAR PLANI PLAN ONAMA SINIRI

TEKNİK ALTYAPI ALANI

KADASTRO PARSEL SINIRI

I.DERECE TAŞIT YOLU

II.DERECE TAŞIT YOLU

YAYA YAPI YAKLAŞMA SINIRI YOLLARI

E=1.70 Hmax=Serbest

1

20

00

10

GELİŞME KONUT ALANLARI ÖNERİLEN CEPHE ÇİZGİSİ İDARİ, 7 00 TİCARİ VE SOSYAL TESİS ALANI KORUNAN CEPHE ÇİZGİSİ EĞİTİM ALANI

00

SOSYO-KÜLTÜREL TESİSLER ALANI

ÖN BAHÇE MESAFESİ .. YAPI .. .. NİZAMI ..

İBADET YERİ ALANI

KAT ADEDİ PARK VE REKREASYON ALANLARI

ARKA BAHÇE MESAFESİ

TEKNİK ALTYAPI ALANI

.... ....

TAKS (MAKSİMUM TABAN ALANI KAT SAYISI) II.DERECE I.DERECE YAYA KAKS (MAKSİMUM KAT ALANLARI KAT SAYISI) TAŞIT YOLU

20

00

PLAN NOTLARI

TAŞIT YOLU

10

00

YOLLARI

7 00

ÖNERİLEN CEPHE ÇİZGİSİ KORUNAN CEPHE ÇİZGİSİ

ÖN BAHÇE MESAFESİ YAPI

.. .. ..

KAT ADEDİ

NİZAMI .. 1- PARSELASYON PLANI ONAYLANMADAN UYGULAMAYA GEÇİLEMEZ. ARKA BAHÇE MESAFESİ 2- 6306 SAYILI AFET RİSKİ ALTINDAKİALANLARINDÖNÜŞTÜRÜLMESİ HAKKINDA KANUN VE UYGULAMAYÖNETMELİĞİDOĞRULTUSUNDA UYGULAMA YAPILACAKTIR. TAKS (MAKSİMUM TABAN ALANI KAT SAYISI) .... 3- KONUT ALANLARINDAE= 1.70 VE HMAX= 72 M. ( MAX. 20 KAT ), KONUT .... (MAKSİMUM KAT ALANLARI KAT SAYISI) ALANLARININBİRLİKTE PROJELENDİRİLMESİ HALİNDEKAKS KONUT ALANLARIARASINDA EMSAL TRANSFERİ YAPILABİLİR. EMSAL TRANSFERİ YAPILANADALARDAE= 2.50'DEN FAZLA VE E= 1.00'DAN AZ OLAMAZ. 4- KÜTLELER YOLDAN VEYA TABİ ZEMİNDEN KOTLANDIRILABİLİR. TABİ ZEMİNDEN KOTLANDIRILMASIHALİDE +/- 0.00 KOTU KÜTLE KÖŞE KOTLARI ORTALAMASIDIR. 5- YAPI YAKLAŞMASINIRLARI DIŞINDA; GÜVENLİKVE GİRİŞ-ÇIKIŞ KONTROL PLAN NOTLARI KULÜBELERİ,YER ALTI VE YERÜSTÜ TEKNİK ALTYAPITESİSLERİ, BİNA SİPERLİKLERİ, 1PARSELASYON PLANI ONAYLANMADAN UYGULAMAYAGEÇİLEMEZ. YOLLA BAĞLANTILIGİRİŞ KÖPRÜLERİ, MERDİVENLER, RAMPALAR YAPILABİLİR. 2- 6306 SAYILI AFET RİSKİ ALTINDAKİALANLARINDÖNÜŞTÜRÜLMESİ HAKKINDA 6- PLANLAMAALANINAAİT İL AFET VE ACİL DURUMYÖNETMELİĞİ MÜDÜRLÜĞÜ TARAFINDAN 08.02.2011 KANUN VE UYGULAMA DOĞRULTUSUNDA UYGULAMA YAPILACAKTIR. TARİHİNDE ONAYLANANİMAR PLANINA ESAS JEOLOJİK ETÜT BELİRTİLEN 3- KONUT ALANLARINDA E= 1.70 VERAPORUNDA HMAX= 72 M. ( MAX. 20 KAT ), KONUT ALANLARININBİRLİKTE PROJELENDİRİLMESİ HALİNDE KONUT ALANLARIARASINDA HUSUSLARA UYULACAKTIR. EMSAL YÖNETMELİĞİ TRANSFERİ YAPILABİLİR. EMSAL TRANSFERİ YAPILANADALARDAE= 2.50'DEN 7- HER TÜRLÜ YAPILAŞMADADEPREM HÜKÜMLERİNE UYULACAKTIR. FAZLA VE E= 1.00'DAN AZ OLAMAZ. 8- LABORATUVARDENEYLERİNE DAYALI SONDAJLI ETÜDÜ YAPTIRILIP İLGİLİ KURUMA 4- KÜTLELER VEYA TABİ ZEMİNDEN KOTLANDIRILABİLİR. TABİ ZEMİNDEN YOLDANZEMİN ONAYLATILMADAN PROJE ONAYI YAPILAMAZ. KOTLANDIRILMASIHALİDE +/- 0.00 KOTU KÜTLE KÖŞE KOTLARI ORTALAMASIDIR. 5- YAPISAYILI YAKLAŞMA SINIRLARI DIŞINDA; GÜVENLİK VE GİRİŞ-ÇIKIŞ KONTROL 9- BELİRTİLMEYENHUSUSLARDA 3194 İMAR KANUNU VE İLGİLİ YÖNETMELİK KULÜBELERİ,YER ALTI VE YERÜSTÜ TEKNİK ALTYAPITESİSLERİ, BİNA SİPERLİKLERİ, HÜKÜMLERİGEÇERLİDİR. YOLLA BAĞLANTILIGİRİŞ KÖPRÜLERİ, MERDİVENLER, RAMPALAR YAPILABİLİR.

6- PLANLAMAALANINAAİT İL AFET VE ACİL DURUM MÜDÜRLÜĞÜ TARAFINDAN08.02.2011 TARİHİNDE ONAYLANANİMAR PLANINA ESAS JEOLOJİK ETÜT RAPORUNDA BELİRTİLEN HUSUSLARA UYULACAKTIR. 7- HER TÜRLÜ YAPILAŞMADADEPREM YÖNETMELİĞİHÜKÜMLERİNEUYULACAKTIR. 8- LABORATUVARDENEYLERİNE DAYALISONDAJLI ZEMİN ETÜDÜ YAPTIRILIPİLGİLİ KURUMA ONAYLATILMADAN PROJE ONAYI YAPILAMAZ. 9- BELİRTİLMEYENHUSUSLARDA 3194 SAYILI İMAR KANUNU VE İLGİLİ YÖNETMELİK HÜKÜMLERİGEÇERLİDİR.

68

ORMAN ALA


1565 7

15

15

PARK

1587

7504

1585

7

E=1.65 10 KAT

91

PARK

1586

10

30 00

10 00

10 00

10 00

PARK 7

PARK

7

10 00 7

E=1.65 Hmax=22.50 m

5

15 00

7

7

20

E=1.65 Hmax=22.50 m

7

7

PARK

7

10

7

Hmax=22,50m

15

E=1.65 7 KAT

7

7

7

20

K126

7

7

7 7

7

7 00

5

EĞİTİM TESİSİ

E=1.65 7 KAT

ÖA 5.1

E=1.65 Hmax=22.50 m

7

Hmax=22,50m

10 00 7

7 Hmax=22,50m E=1.65 7 KAT

3

3

3

7

5

TAA

7

E=1.20 Hmax=16.60 m

15

ÖA 2.1

7

7

7

E=1.65 Hmax=22.50 m

10

1578

1568

PARK

Hmax=31,00m

15

1580

7

7

10

1581

1579 1579

1567

7

10 00

5

5

7

7

1571

1569

1557 1556

E=1.65 Hmax=22.50 m

10

3

1570

1555

PARK 1583

1582 1572 7

1559

7

E=1.65 10 KAT

1584

1574 1573

1561 K128 1560

1558

Hmax=31,00m

10

K.A.A.

1562

10

7

1575

1563

253

256

1576

1564

15

ANI

7

5

3

10 00

7

30

PARK

Hmax=22,50m

15

91

E=1.65 7 KAT

5

ÖA 2.1

15 00

15 00

SOSYAL KÜLTÜREL TESİS 10

10

PARK

7

10 00

7

7

ÖA 2.1

E=1.00 Hmax=Serbest

E=1.65 7 KAT

E=1.70 Hmax=Serbest

5 5

7

15

Hmax=22,50m

5

7 5

7

ÖA 5.1

5

Hmax=6,50m

7

E=1.65 7 KAT

5

10

5

15

Hmax=22,50m

7

E=1.70 Hmax=Serbest

46 Adet

10

5

Toplam:100 m2 Dublex sıra ev

PARK

127

5

Dans le chapitre qui se concentre sur les enjeux, un tableau sur les usagers et leurs projections pour la vallée était présenté. Ce qui ressort de ce tableau est une envie récurrente de la part des habitants de Çiğdem de pouvoir accéder à la vallée, notamment avec la création d’un parc paysager.

15

E=1.65 7 KAT

5

5

ÖA 2.1 5

10

7 00

ÖA 2.1

İBADET YERİ

5

PARK

7 00

E=1.20 Hmax=Serbest

7 00

10 K88

5

7 00

10

10

5

5

10

5

5

Hmax=22,50m

ALANI

90 5 5

7

00

5 10

15 00 5

5

E=1.70 Hmax=Serbest

PARK ve REKREASYON ALANI

PARK

7 00

15 00 5

ÖA 2.1

5

55 Adet

10

5

Hmax=6,50m

ÖA 5.1

Toplam:100 m2 Dublex sıra ev

10

5

89

125

E=1.70 Hmax=Serbest

5 10

5

ÖA 2.1

5

5

TİCARET

7 00

5

5

5

5 10

İDARİ, TİCARİ ve SOSYAL TESİS

10

10

Hmax=6,50m 53 Adet

87

E=1.20 Hmax=Serbest

Toplam:100 m2 Dublex sıra ev

PARK

5

ÖA 5.1 5 5

7 00

5

7504 5 10

7415

5

5

KREŞ 5

15 00

ÖA 2.1

5

E=1.70 Hmax=Serbest

5

ÖA 2.1

PARK

PARK 10

Hmax=6,50m

7 00

66 Adet Toplam:100 m2 Dublex sıra ev

7415

5

5

PARK 87

Hmax=6,50m

10

E=1.70 Hmax=Serbest

ÖA 2.1

7 00

ÖA 5.1

7415

66 Adet

Toplam:100 m2 Dublex sıra ev

PARK

ÖA 2.1

15 00

7504

10

5

15 00

7 00 PARK

5

7 00 7

PARK

PARK ve REKREASYON ALANI

00

5

7 00 5

10

ÖA 2.1

5 5

10

ÖA 5.1

E=1.70 Hmax=Serbest

Hmax=6,50m

15 00 ÖA 2.1

PARK ORMAN ALANI

15 00 10

5

5

ORMAN ALANI

15 00

Le paysage de Şirindere est beau et remarquable dans son environnement. Avec sa forme de vallée, la présence d’un ruisseau et de grands arbres, c’est un milieu naturel qui reste proche du centre-ville d’Ankara. L’idée de la création d’un parc paysager mettrait en effet en valeur ce site, créant un coin de respiration pour la ville. Le fond de vallée constitue un emplacement adapté pour ce parc, en terme de dimensions, de géographie et d’ambiance. De plus, le fait de ne pas construire à cet endroit permettrait d’éviter le risque d’inondation. Un travail sur le paysage serait nécessaire pour la création de ce parc paysager public, pour dépolluer le ruisseau, repenser ses bords et les cheminements, les arbres, etc. On pourrait y trouver un parcours du nord au sud de la vallée, du mobilier urbain, des aires de jeux, des gradins…

69


70


71


Le programme du parc paysager représente le principal usage public pour Şirindere. En addition à cela, des équipements culturels et scolaires pourraient progressivement s’y installer. En ce qui concerne les habitants du quartier Çiğdem, des espaces collectifs comme des maisons des associations pourraient s’implanter dans la vallée. Par exemple, l’association Çiğdemim que nous avons mentionnée, qui aujourd’hui est installée dans un petit local, pourrait avoir un espace supplémentaire dans la vallée. Un des éléments importants du programme qui serviraient à la fois la vallée et le quartier Çiğdem serait un centre de soins (bakimevi) pour animaux, notamment pour les chiens errants, à imaginer sur un endroit plutôt isolé de la vallée.

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Enfin, pour les espaces réservés aux logements, en s’inspirant de l’installation de la plupart des gecekondus, on pourrait les imaginer sur les flancs de vallée. Cet emplacement permettrait de profiter de la pente, avec la création des niveaux, à l’image des restanques en France. Dans ces niveaux, entre les logements, des potagers participatifs peuvent également se placer. Récurrents dans les gecekondus, surtout dans ceux de Şirindere, les potagers créent un soutien économique pour les habitants, tout en leur permettant d’utiliser leur savoir-faire rural. L’idée de les rendre collectifs est dans l’objectif de créer des espaces collectifs de partage, de production, d’entraide, de socialisation. Outre cette dimension sociale, ils peuvent devenir le support d’une expérimentation de permaculture, avec une manière spécifique d’utiliser la pente et de façonner le paysage. Ces idées de programme viennent des enjeux repérés dans la vallée et de l’envie de considérer la vallée et ce qui l’entoure comme un écosystème. Elles constituent une projection générale pour la transformation. Néanmoins, dans la logique d’une construction incrémentale, ces différents espaces ne se dessinent pas au même niveau de définition et ne se construisent pas au même stade de projet. En décidant de me concentrer sur le début d’un processus de transformation, le projet s’intéressera surtout à ce qui permettra d’accéder au site, d’avoir une base pérenne pour la construction d’un nouveau quartier : aux accès, à la création des terrasses, aux réseaux et aux espaces collectifs pour la création d’une coopérative d’autoconstruction.

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Repenser la notion de la propriété et les relations de voisinage L’intention d’inclure les habitants dans le processus de la transformation urbaine et de revenir vers l’autoconstruction interroge effectivement le modèle du quartier à projeter, ainsi que la notion de la propriété et les relations de voisinage qui vont y avoir. Dans les gecekondus de Şirindere, les relations de voisinage sont à la fois fortes et souples. Bien qu’elles dépendent de l’entente entre les personnes, on voit dans l’ensemble l’importance de l’entraide, de la vie collective. C’est d’ailleurs une des propriétés connues d’un quartier de gecekondu, qui s’est perdue dans les logements sociaux (cf. mémoire page 82). Ce projet met en lumière l’importance de repenser la notion de la propriété du sol et des logements, la manière d’habiter en collectivité dans un quartier, dans une dimension sociale et juridique.

Aujourd’hui, tout comme à l’apparition des habitats informels en Turquie, les titres de propriété et le foncier représentent une contrainte économique très importante concernant les gecekondus et les logements sociaux de TOKI. À Şirindere, la situation juridique des gecekondus est hétéroclite pour les habitants. Si certains ont obtenu un titre provisoire, d’autres n’ont pu faire la démarche par manque de moyens (cf. mémoire page 119). Dans le document qui m’a été fourni par la mairie de la métropole d’Ankara concernant la transformation de Şirindere, nous pouvons voir que les nouveaux logements à construire sont calculés en fonction de la dimension des terrains sur lesquels les gecekondus sont installés : pour un terrain de 250 m2, un logement de 60 m2 sera fourni. Ce calcul est proportionnel. Ainsi, pour bénéficier de ces nouveaux logements, les habitants doivent payer une somme unitaire déterminée par TOKI. Contrairement à cette démarche, le nouveau quartier de Şirindere pourrait se baser sur un modèle qui est calqué sur celui de la coopérative de logement et du Community Land Trust (CLT, Organisme foncier solidaire en français). Cette approche alternative du foncier comme bien marchand se dessine depuis les années 1970 aux États-Unis. Il se base sur un principe de dissociation entre la propriété foncière et la propriété du bâti. Dans ce principe, la propriété du sol appartient à une collectivité, tandis que son usage est laissé en perpétuité à l’individu. Au lieu de créer des parcelles séparées avec des limites, en fonction des calculs de terrain pour chaque habitant, le CLT révèle une autre manière d’habiter la vallée. En payant la somme unitaire pour le terrain à la coopérative, les habitants disposent de la propriété des murs et d’un droit d’usage du terrain. Dans ce modèle, le terrain serait non spéculatif et ne pourrait pas être revendu, à l’inverse des logements qui eux peuvent générer une plus-value. Cette plus-value permettrait entre autre de soutenir une culture d’autoconstruction.

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Aujourd’hui fleurissent de plus en plus d’exemples de coopérative qui fonctionnent avec le modèle de CLT, notamment en Belgique et en Angleterre. À Şirindere, la coopérative n’est pas une nouvelle notion. Nous avions mentionné dans le mémoire qu’il existe deux coopératives créées par les habitants pour la transformation urbaine, sous le nom de Şirindere Yerinde Donusum Kooperatifi (Şirindere coopérative pour la transformation sur place). L’idée serait de relier ces deux coopératives, pour en faire une nouvelle. Cette nouvelle coopérative aurait la propriété du sol et représentera la collectivité des habitants de la vallée, qui formera une base collective pour l’autoconstruction. Petit à petit, elle pourrait prendre d’autres rôles au sein de la vallée.

« Un quartier soutenable est l’inverse d’une communauté fermée et d’un anonymat urbain. Sa forme est l’image complexe de relations de voisinage. » Lucien Kroll, Tout est paysage, page 178.

Cette approche alternative de la notion de la propriété du sol et des logements projette pour la vallée une situation de quartier soutenable. Elle permet de ne pas être impacté par la forte spéculation foncière de cette partie de la ville, et de rendre les logements à construire plus accessibles pour les bénéficiaires. Le droit d’usage génère une souplesse dans les limites de propriété. À l’image d’un quartier de gecekondus, cette approche coopérative laisse les habitants décider eux mêmes des limites qu’ils veulent mettre selon leurs relations. Nous pourrions facilement imaginer des espaces partagés, d’autres plus intimes. Enfin, elle constitue une amorce, un début qui favoriserait l’émergence d’une logique collective et partagée. Cette association d’habitants renforcerait les relations de voisinage au lieu de les effacer, avec un nouveau rapport au sol, un rapport solidaire pour un groupe défavorisé.

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La co (opération, conception, construction, habitation) Le modèle de coopérative de logement vise à créer une vie commune qui se (re)construit au fur et à mesure. Sa particularité est qu’il y inclut la co-conception et la coconstruction. Qu’est-ce que (ou est-ce que) les habitants dessinent ? Est-ce qu’ils dessinent leurs nouveaux logements ou seulement construisent des modèles proposés par l’architecte ? Sur quelles bases, avec quelles règles ou exemples peuvent-ils autoconstruire ? Quelle est cette coopération au sein de la vallée et comment devient-elle possible ?

Ces questions pratiques nous font revenir aux questions existentielles du début. Quel est l’équilibre à trouver entre ordre et désordre ? Quelle place l’architecte pourrait prendre dans une démarche d’autoconstruction ? Entre « un jeu de professionnel qui sait construire » et un « laisser faire la bonne nature » avec l’autoconstruction, le juste milieu à trouver en ce qui concerne la conception est peut-être de donner à l’architecte un rôle au sein du projet. L’architecte endosse un rôle de suivi, de conseil, d’accompagnement, de médiation des habitants. Un ou des espaces permettant de se réunir, se concerter, concevoir ensemble devient alors indispensable. Ainsi, ces médiateurs ou accompagnateurs peuvent être pluriels, avec des paysagistes, des intervenants techniques… En ce qui concerne la co-construction, il s’agit de réfléchir à deux choses. Premièrement, à des espaces fonctionnels et partagés permettant de stocker des matériaux, de les assembler et de les échanger, d’installer des outils et de les manipuler. Dans un second temps, à l’échelle de l’habitat, la coconstruction nécessite une première base, telle qu’une installation technique facilitant la construction. Cette base peut répondre aux besoins essentiels d’une construction, des besoins concernants les réseaux, le contreventement, la trame, le rapport au sol…

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2.3 Préparer une base solide Le mur de soutènement comme dispositif capable Dans la première partie, nous avions repéré que le principal enjeu de la vallée de Şirindere est le rapport au sol. À la recherche d’une base solide pour un projet incrémentale, ce projet s’intéresse essentiellement au sol et cherche différentes manières de l’améliorer, afin de le rendre plus pérenne. La proposition de la coopérative de Şirindere amène une réponse alternative au sein de sa dimension juridique. Que faire pour la dimension matérielle du sol ? Afin de résoudre les problèmes majeurs de la vallée, mais aussi de pouvoir la reconstruire pour mieux l’habiter en utilisant ce qu’elle offre, un élément architectural semble être au centre des solutions adaptées : le mur de soutènement.

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Dans le cadre de ce projet, le mur de soutènement représente un dispositif capable. Une intervention technique travaillant le sol avec le principe de déblai/remblai, rend possibles plusieurs fonctions. Si ce mur sert principalement à soutenir la terre, à la création des terrasses et des lieux de circulation, il peut également devenir un appui, un support pour l’autoconstruction. Il peut résoudre le problème de réseaux qui est primordial dans l’état de vétusté et de précarité des gecekondus, en les installant dans le sol. Concernant les potagers partagés entre les logements, il peut servir comme appui pour terrasser et faire des niveaux d’environ 1m. Ainsi, les différences de niveaux obtenues avec la création des terrasses pourrait créer un paysage constitué de diverses couches.

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En ce qui concerne la matérialité, les murs de soutènement de la vallée peuvent se construire avec différentes méthodes, en privilégiant celles qui rentrent dans la logique de la maçonnerie. Cette dernière est fortement existante sur le site comme on peut le voir sur les ruines de murs de soutènement du terrain.

80

La première idée pour les murs était, dans l’intention d’utiliser l’existant, de s’adresser au gabion en réemployant les briques des gecekondus à démolir et le gravats du site. Cette méthode de mur poids est réversible et facile à construire. Le gabion a aussi d’autres avantages, comme le drainage naturel entre les pierres, la symbiose avec la biodiversité. Grâce aux vides entre les matériaux regroupés dans une cage en métal, des petits animaux comme les insectes, les lézards et des plantes peuvent trouver un lieu de vie. Le gabion est une technique émergente en Turquie. Outre cette technique qui parait adaptée aux enjeux du site, nous pouvons également construire en pierre maçonnée, un savoir-faire qui est en train de disparaitre en Turquie.


Le projet propose de faire un métissage de ces deux techniques. Pour les murs qui créent des terrasses, qui constituent un appui pour l’autoconstruction et qui mesurent environ 3m de haut (un étage), il s’agira de privilégier la pierre maçonnée. Le gabion sera ainsi utilisé pour construire les marches et les murs qui bordent les rues du fond de vallée. Une méthode qui fonctionne avec des modules, le gabion permet de faire du mobilier urbain facilement et offre des possibilités d’aménagement paysager au niveau des espaces publics.

Enfin, le mur de soutènement se place au cœur de ce projet. Selon ses dimensions, sa hauteur, son épaisseur, il peut prendre diverses formes et offrir des possibilités d’usage variées. Il peut devenir une assise, une barrière, un support pour l’habitat, un passage…Créant un nouveau rapport au sol, dans une optique d’intégration dans la pente (comme les gecekondus, mais de manière plus durable), il peut permettre d’éviter le risque d’éboulement et l’érosion. Ainsi, le mur de soutènement devient à la fois un élément technique, fonctionnel, social et paysager. Le mur de soutènement comme élément architectural est un moyen de concrétiser mes intentions de projet, car il représente la base solide que je cherche. Il répond à un double objectif, de soutenir la terre et pérenniser le sol ; et de soutenir une vie commune, une solidarité habitante, une culture d’autoconstruction qui s’effondre.

81


Le noyau d’un habitat Le noyau est la partie centrale et fondamentale d’un objet. Pour la transformation de la vallée, il s’incarne au sein d’un dispositif facilitant l’autoconstruction : une extension des murs de soutènement permettant d’accéder aux réseaux. Un des manques fondamentaux des gecekondus comme d’autres type d’habitats informels, reste sans doute lié aux réseaux. Dans le mémoire, nous avions été témoin de l’installation tardive des infrastructures techniques. L’absence des accès tout comme celle d’un raccordement à l’eau, à l’électricité et au gaz de la ville constitue la principale raison de précarité des quartiers. À Şirindere, qui est un terrain accidenté, la situation ne fait pas exception. Les réseaux sont arrivés progressivement dans le quartier et ont longtemps constitué le problème majeur. Dans la transformation de la vallée, pour pouvoir revenir sur l’autoconstruction, la réflexion de projet se porte nécessairement sur les infrastructures primordiales. Ces infrastructures font partie de « ceux qui sont les plus difficiles à mettre en place, ceux qui ne peuvent pas se faire individuellement et ceux qui vont garantir un bien commun dans le futur. » (cf. page 67) Le noyau est donc la première partie construite d’un habitat donnant accès aux réseaux. Il se situe devant le mur de soutènement. À l’image d’une greffe il offre d’autres facilités pour l’autoconstruction, telles que le contreventement et la trame spatiale.

82


La réflexion autour de ce noyau d’habitat est passée par différentes étapes et différentes dimensions, pour finalement prendre une forme simple. Les essais que j’avais fait pour dessiner des habitats évolutifs m’ont amenée vers différentes possibilités de créer la première partie d’un habitat, comme un support primaire.

83


Les conditions préalables d’un projet de coopération À la recherche d’une autre démarche, participative et résiliente, le projet vise à préparer les conditions préalables d’un processus incrémental de coopération. Une de ces conditions est d’avoir un lieu pour la collaboration entre les architectes et les habitants, les sachants par études et par pratique. Dans cet objectif, un premier bâtiment que l’on peut appeler une « permanence » est à construire. Il constituera une permanence non seulement architecturale, mais surtout habitante, qui soutiendra une coopération permanente dans la vallée. Ce bâtiment deviendra autant un lieu de réunion, de concertation, de dessin et de partage. Il pourra également accueillir la coopérative de logement. S’il se construit au début du projet, sur un endroit où il n’existe aucun bâtiment à l’heure actuelle, et avant la démolition des gecekondus restants, peut-il servir de modèle pour les habitats à autoconstruire?

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La préparation des conditions pour l’autoconstruction quant à elle consiste à la mise en place des accès, des niveaux, des infrastructures techniques avec les murs de soutènement et les noyaux d’habitat. Mais elle prévoit aussi un lieu collectif et fonctionnel qui servira pour stocker des matériaux et des outils, construire, bricoler. Appelé le « hangar », ce sera un bâtiment préfabriqué et assemblé sur le site, afin d’être construit le plus simplement possible et facilement transformable. Au fur et à mesure de l’avancement du projet, il pourrait servir aussi comme espace d’échange de matériaux et de meubles, ou atelier de bricolage.


Ces deux lieux collectifs constituent la base solide du projet. La permanence est un espace de création intellectuelle et immatérielle, permettant de partager des connaissances, tandis que le hangar servira pour les travaux relatifs à la construction matérielle, la création manuelle. Ces espaces collectifs seront installés à la fois au centre du projet et de la vallée. La préparation de la « base solide » est un ensemble d’interventions, de méthodes, de projections.

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Pour finir…ou commencer Car je ne sais pas s’il ferait sens d’appeler ce texte final la « conclusion » de cette deuxième partie de ma recherche, qui porte sur un début plutôt qu’une finalité. Cette notice réflexive constitue une grande partie du projet, ou plutôt, elle est le projet. Elle retrace un cheminement, témoigne d'une compréhension, d'une vision d'architecte, avec autant de désirs que de difficultés à figer les intentions. Trouver une autre manière de transformer un quartier de gecekondus soulève des questions non seulement socio-politiques mais aussi architecturales. Il me semble que réfléchir sur ce projet a suscité davantage de questions que de réponses. Le processus de ce projet ne s’est pas focalisé sur la conception d’un bâtiment, mais sur une situation politique et sociale en matière d’architecture. C'était donc l'occasion pour moi de remettre en question ma propre compréhension du métier d’architecte, mais aussi ma façon de faire projet. Finalement, ce qui m’active dans l’architecture n’est pas tellement la construction d’un bâtiment, mais d’une approche cherchant à relier l’espace, les usagers et la planète de manière engagée.

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Traversé de multiples déviations, avec toujours comme questionnement principal, la contribution de l'architecte à la réhabilitation d'une culture d’autoconstruction, ce projet est une recherche d'attitude, d’une manière d'agir. Cette attitude se trouve ainsi dans le titre, elle cherche à consolider et à soutenir une culture d’autoconstruction, en revalorisant un mode d’habiter dénigré que je trouve personnellement, porteur d’espoir. Consolider et soutenir est une attitude qui permettrait de commencer un long processus de transformation de manière pérenne. Cette attitude a en effet un double sens. Le premier est un sens matériel, tangible ayant pour but de consolider et soutenir la terre dans un site présentant des contraintes importantes, grâce aux murs de soutènement. Le deuxième sens concerne les habitants de gecekondus et leur mécanismes de construction et leur rapport à l’habitat. La grande différence entre ce projet et la démarche courante de la transformation urbaine est de considérer les habitants comme étant capables d’intervenir et de décider de leur habitat, de leur donner la possibilité de choisir, de construire, et de coopérer.


Un grand questionnement lors de mon processus de recherche s’est porté sur le rapport au réel du projet. Ce projet (qui est dans tous les cas imaginaire) est-il devenu trop utopique ? Plusieurs fois, je me suis retrouvée bloquée dans une indécision totale en pensant que dans la vraie vie jamais un tel projet ne pourrait se réaliser. Peu à peu, j’ai pu surmonter ce blocage en laissant de côté ce besoin inné d’architecte d’être sûr, de vouloir toujours chercher à tout concrétiser. J’ai décidé de me donner comme premier rôle, de rêver, tout en pensant à des principes matériels, à des méthodes constructives qui peuvent réellement se mettre en place. Imaginer le monde autrement nécessite un changement dans le système et dans la vision commune, et il me semble que ce changement ne pourrait jamais se réaliser sans imagination.

Pour finir, j’aimerais revenir au début : en automne 2020, lorsque je venais de trouver mon terrain de recherche et d’effectuer mes premières enquêtes et entretiens sur les gecekondus. Au S9, dans le cadre du cours de séminaire de Situations, nous réfléchissions déjà sur le PFE, pour repérer les premières pistes et envies de projet. Les deux illustrations qui suivent ont été produites pour ce cours. Ces dernières reflètent les premières intentions pour agir en tant qu’architecte dans un quartier de gecekondus, qui au final, sont fortement présentes dans mon cheminement de projet. La recherche est une construction progressive de pensée, elle se nourrit des découvertes, des discussions. Elle évolue et ne finit jamais de grandir. Mais il me semble que certains fondements de pensée émergent dès le début. Autrement dit, la recherche se fait de manière incrémentale à l’image de la transformation proposée par ce projet. Mais elle a également un noyau constitué d’intuitions, de vécus, de perceptions personnelles du monde.

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déclaration d’une métamorphose utopique


Faire projet : le petit élan pour le grand changement. Pour faire un projet, il me faut : Un espace et un temps. Un pays, aujourd’hui ou futur ? Une ville, grande. La capitale. Un quartier, informel. Un terrain, un seul. Sirindere, à Ankara. Il fait tache. Je le sais j’ai habité à côté. Le passé est passé, le présent est là. Le présent est trouble, Le futur est si loin qu’il pourrait arriver à tout moment. Contradiction(s). Il n’y a que des contradictions sur mon terrain. Enfin je crois bien que le futur est plutôt sombre parce que le présent est plus que sinistre. Insatisfaction. Laquelle ? Je reprends. Il y a des gecekondus en Turquie, des habitations « informelles » auto-construites accompagnées de cyprès auto-plantés. (Arrêtez de les appeler bidonvilles. Arrêtez de les romantiser. Arrêtez aussi, de les ignorer.) Il y a des « projets de transformation urbaine » Sous forme de boite en béton à mille étages Éclairées par des lumières LED toujours plus laides Visant à faire de la ville une Machine Moderne Ce sont les gecekondus que l’on transforme ou plutôt notre âme ? Volonté de formaliser les choses confrontée à l’impossibilité de tout contrôler. L’informel est plus humain que vos normes. L’informel est beau, mais l’informel est dure. L’informel émerge d’une nécessité. De la pauvreté. De l’obligation. Arrêtez de les détruire, Pour caser les gens dans des cages à poules. Vous êtes des robots. Je suis en guerre. Contre quoi exactement ? Je sais bien qu’il faut y faire quelque chose, Que le présent des gecekondus est entrain de devenir leur passé, Que la vie n’y est pas facile pour ceux qui l’habitent Y faire quelque chose autrement est mon utopie Autrement que ces « projets » odieux Et expérimenter, jusqu'à réussir ? J’aimerais garder quelques une des choses qui y sont autres Mais il faut tout de même casser sa stigmatisation Qu’est-ce que l’intégration ? Ces choses là qui y sont bizarrement utopiques La nature Le vivre-dehors L’échelle humaine Le partage des savoir-faire La vie collective et la solidarité Le réemploi, la récupération L’auto-construction Imaginer quelque chose pour lui redonner tout ça, C’est mon étude de cas Mon terrain Mon hétérotopie Mon énigme Mon PFE. Utopie, nature, humain, expérimenter, minimum.

utopie. nature. humain. experimenter. minimum.



L’architecture du hasard, du jeu, de l’entraide, du vivant. Quelques unes des questions m’empêchant d’écrire un texte normal ou classique ou linéaire Quels Usages Relations de voisinage Systèmes constructifs Comment...-verbeLa vie commune Le partage L’intimité Ce que le site offre : - La pente - Les arbres - La vue Le réemploi Habitations non-standardisées L’auto-construction (Je ne sais pas) Pourquoi L’échelle humaine Monter sur les toits Passages informels Chemins


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Bibliographie -- AYHAN KOÇYİĞİT Elif Selena, A tale of Ulus Square : a critical assessment of continuity, transformation and change in a historic public open space in Ankara, thèse de doctorat en architecture, Middle East Technical University, 2018. - BATHO Delphine, Écologie Intégrale : Le manifeste, éditions du Rocher, 2019, 114 pages. - Ouvrage collectif, sous la direction de BOUCHAIN Patrick, Pas de toit sans toi Réinventer l’habitat social, L’impensé, éditions Actes Sud, 2016, 105 pages. - KROLL Lucien, Tout est paysage, éditions Sens & Tonka, 2001 (réédition augmentée de 2012), 240 pages.

Articles en ligne, sites internet visités : Informations sur les forêts d’ODTU : https://www.metu.edu.tr/tr/genel-bilgiler https://www.youtube.com/ watch?v=kQJw9jakMfw Articles sur Community Land Trusts : ATTARD Jean-Philippe, « Un logement foncièrement solidaire : le modèle des Community Lans Trusts », dans Mouvements no. 74, 2013, pages 143 à 153. URL : https:// www.cairn.info/revue- mouvements-2013-2page-143.htm, consulté le 23.05.2022. JABLON Samuel, « Les Community Land Trusts ou la propriété commune de la terre », dans La terre est à nous! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, URL : https://www.citego.org/ bdf_fiche-document-1347_en.html, consulté le 22.05.2022. Autre Guide. Conseils pour la construction et la restauration des murs en pierre, Neuchâtel et Chaumont, URL: https://docplayer.fr/ 15651408-Guide-conseils- pour-laconstruction-et-la-restauration-les- murs-enpierre-neuchatel-et-chaumont.html, consulté le 20.05.2022. Le site internet d’Elemental, Aravena : https:// www.elementalchile.cl/en/, consulté le 20.04.2022. Article sur la condamnation de Mücella Yapıcı URL : https://www.lemonde.fr/international/ article/2022/04/26/en-turquie-osman-kavalacondamne-a-perpetuite-au-terme-d-uneparodie-de-justice_6123664_3210.html

Sauf indication de source, les éléments graphiques et les photos présentés sont de l’auteure. Les vues aériennes sont prises de Google Earth. Les photos de Şirindere ont été prises entre juin 2021 et janvier 2022. 95


Annexes

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