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Les mille
from Nota03_Cahier
by genevebm
la porte de Cornavin. Dans des gravures conservées à la Bibliothèque de Genève, on y voit des gens bien habillés assis sur un banc avec une ombrelle, en train de regarder le paysage… La Servette sert alors à ce genre d'usage.
Le domaine a eu successivement plusieurs propriétaires, dont une célèbre, Élisabeth Baulacre, une femme d'affaires qui était à son époque une des plus grandes fortunes de Genève. À partir du début du 19e siècle, la propriété est morcelée, découpée en parcelles vendues séparément, et commence petit à petit à devenir une banlieue. »
Deuxième époque, la banlieue : qu'est-ce qui fait son identité ?
« Dès l'époque où elle devient un canton suisse, en 1814, Genève vit une croissance économique et démographique assez folle, qui se poursuivra jusqu'au premier conflit mondial. En termes de population, cette
Il y a des protestants qui demandent à avoir leur propre temple en disant : nous n’avons croissance déborde de la ville vers les communes suburbaines des Eaux-Vives, de Plainpalais et du plus envie de monter jusqu’au Petit-Saconnex Petit-Saconnex, incluant donc la Servette, qui naît de cette explopour aller au culte. sion démographique. Au milieu du 19e siècle, on commence en effet à voir des gens qui se disent : il y a ce territoire pas loin, la barrière des fortifications (qui rend compliqué jusque là d'entrer et sortir de la ville, avec des horaires et un couvre-feu) va disparaître… pourquoi n'irais-je pas vivre là-haut, ou m'y acheter une résidence secondaire ? J'imaginais d'abord que ce mouvement était assez homogène, qu’il s’agissait d’une banlieue de gens aisés, mais étonnamment non, c'est très vite hétérogène. On y trouve des gens qui ont de gros moyens, des gens qui spéculent en achetant et en revendant des parcelles, mais aussi des classes plus populaires, en un mélange qui reste d'ailleurs une des marques de ce secteur encore aujourd'hui. L'identité de la Servette est dès lors celle d'un endroit bucolique où il fait bon vivre, où on respire, ce qui à cette époque-là est important, car la ville est alors en train d'étouffer, avec certains quartiers qui sont carrément insalubres. »
Rencontre Sa 15.10 / 15h
La Servette, une campagne devenue quartier
Présentation du livre d'Alexandre Junod
→ BM Servette ○ Tout public △ Durée : env. 1h Dans la cadre de la journée « La bibliothèque de la Servette fête ses 60 ans » Troisième moment : la Servette quartier urbain…
« À mon sens, elle le devient dans le dernier quart du 19e siècle parce que, à partir de là, on y trouve des gens qui considèrent justement être des habitants d'un quartier appelé la Servette, plutôt que simplement des résidents d'une banlieue de Genève, et qui se mobilisent pour doter ce quartier de ce qui lui manque. Il y a des protestants qui demandent à avoir leur propre temple en disant : nous n'avons plus envie de monter jusqu'au Petit-Saconnex pour aller au culte (il ne faut pas oublier que nous sommes à une époque où il n'y a pas encore de voiture, de tram ou de train)… Un peu plus tard, ce sont les catholiques qui veulent leur église. Et il y a des gens qui se mobilisent pour avoir leur bibliothèque, car la Servette est déjà un quartier de lecteurs [lire l'encadré].
Dans la période qui va de la Première Guerre mondiale à la crise économique des années 1930 et à la Seconde Guerre, on observe un tassement de la croissance démographique, qui repart ensuite de plus belle au début des années 1950. C'est alors que la Servette achève véritablement son processus d'urbanisation. Les choses se stabilisent dans la deuxième partie du 20e siècle, au cours de laquelle le quartier revêt son visage actuel, tout en laissant subsister des traces des différentes époques passées. C'est ce qui fait la magie de ce quartier : on voit s’y côtoyer, dans une cohabitation harmonieuse, des immeubles des années 1980-90, d'autres des années 1950, de beaux bâtiments cossus du début du 20e siècle, des petites maisons dans ce que j'appelle le “vieux carré” de la Servette, avec son chemin des Roses qui encore aujourd'hui n'est pas goudronné… Ce qui est fascinant, c'est qu'en marchant une minute à partir de ce chemin, vous vous retrouvez sur cette grosse artère qu'est la rue de la Servette. » Vous écrivez que vous êtes « un enfant de la Servette »…
« Pour le livre, j'ai eu un projet d'avant-propos intitulé “Une enfance au paradis”, qui finalement n'y figurera peut-être pas, car il y a déjà une préface et une introduction… mais ce titre dit une chose que je pense vraiment. Je suis né aux Pâquis il y a 42 ans et je suis arrivé à la Servette à l'âge de 5 ans. Dans mes souvenirs, le quartier est lié à mon grand-père, qui était né à la rue Carteret dans les années 1920 et qui tenait un magasin de peinture, juste à côté de l'église Saint-Antoine, où j'ai passé une bonne partie de mon enfance…
J'habitais alors au 57, rue de la Servette, donnant sur la rue du Moléson. Je descendais de mon immeuble et je me retrouvais entouré de ces maisons basses dont, avec mes copains, on se demandait comment ça se faisait qu'elles étaient là, avec leurs murets complètement en ruine… Je traversais et j'arrivais à l'école de Geisendorf, où j'ai eu la chance inouïe de vivre une véritable utopie de l'après-guerre: un des rares exemples à Genève d'une école pavillonnaire, étalée dans un parc plutôt que bâtie en hauteur. Entre mon immeuble et le parc, il y avait toute la vie qui se déroulait : c'était la ville, c'était la banlieue, il y avait des animaux et des espaces verts. J'avais alors cette conviction un peu folle que je vivais dans le seul endroit au monde où la vie valait la peine d'être vécue, tout simplement. C'était le rêve. » Les livres d’Alexandre Junod
La Servette. Une campagne devenue quartier, Yens sur Morges : Cabédita, à paraître le 1er novembre 2022
Les Trente foireuses, Roman, Paris : L’Harmattan, 2012
Sapeurs-pompiers genevois : une histoire au service d’autrui, Yens sur Morges : Cabédita, 2008. Dans le catalogue des BM
Une autre exploration des mondes parallèles de la Servette :
Les podcasts Hypercity — Histoire(s) et imaginaires urbains, en ligne sur https://hypercity.ch/ parcours/servette
La bibliothèque qui traversa la rue deux fois
« J'ai longtemps habité à la rue HenriVeyrassat, celle de la Bibliothèque municipale. Ça aussi, c'était le paradis », raconte Alexandre William Junod. Son livre s'arrête au passage sur le parcours de cette bibliothèque qui, insiste-t-il, « est vraiment une belle histoire ». Pourquoi ?
« La toute première bibliothèque vient d'une initiative citoyenne. Des gens du quartier s'adressent au conseil municipal du Petit-Saconnex (commune à laquelle la Servette appartient jusqu'en 1930) avec une pétition. Celle-ci aboutit en 1881 à l'ouverture d'une petite bibliothèque dans l'école de la Servette, qui occupe alors la parcelle sur laquelle se construira 80 ans plus tard la bibliothèque municipale actuelle. Cette première bibliothèque est tenue par un enseignant de l'école et consiste en une vitrine, dans laquelle il y a tout de même 500 ouvrages…
Quelques années plus tard, la bibliothèque traverse la rue de la Servette et va se loger dans une petite annexe de la première école des Asters, puis dans une salle de la nouvelle école construite au même endroit. Lorsque le Petit-Saconnex fusionne avec Genève, la bibliothèque passe aux mains de la Ville, et devient l'une des Bibliothèques municipales lorsque ce service est créé en 1941. En 1962, elle redéménage de l'autre côté de la rue de la Servette, retrouvant ainsi le lieu qui a été le sien tout au début. »
La BM Servette retourne vers le futur
Pousser la porte du 9, rue Henri-Veyrassat, c’était autrefois plonger dans le futur. «Avec ses façades vitrées, ses œuvres d’art géométriques, son mobilier design, la Bibliothèque de la Servette devait être un espace d’une modernité rare pour la Genève du début des années 1960», note l’architecte Christian Bischoff dans une étude menée au sein de l’Unité conservation du patrimoine architectural 1 .
Avec le temps, le modernisme de ce lieu s’est dilué dans le quotidien, et le futur qu’on construisait dans les sixties est devenu notre passé. «Le bâtiment qui abrite la Bibliothèque de la Servette et l’immeuble d’habitation qui le surplombe font partie de l’ordinaire de la ville. Ni l’un, ni l’autre n’attirent l’attention tant nos regards se sont habitués à l’architecture des Trente Glorieuses 2 si nombreuse dans nos rues. Construits de 1960 à 1962, les deux bâtiments méritent cependant un examen approfondi», assure l’étude. Alors plongeons…

1. C’est la première BM à s’installer dans des locaux construits exprès pour elle
À vrai dire, la bibliothèque municipale de la Servette existait déjà, logée à quelques pas de là, dans le bâtiment aujourd’hui disparu de l’école des Asters, à l’emplacement où on trouve désormais le Service de la jeunesse et la salle communale des Asters, 100 rue de la Servette… Mais dans ce cadre scolaire, elle était à l’étroit. La directrice des Bibliothèques municipales, Hélène Rivier, écrit en janvier 1957 aux autorités citadines pour signaler que le prêt de livres est en plein boom et que «l’extension toujours plus grande du quartier de la Servette exige d’autres locaux pour notre bibliothèque».
Le dossier avance assez vite. En février 1959, des locaux pour la bibliothèque sont inclus dans le projet d’un immeuble de logements et commerces que la Ville prévoit de construire à l’angle des rues de la Servette et Veyrassat, là où se trouvait auparavant l’école de la Servette, jugée irrémédiablement vétuste et démolie en 1958.
Le chantier démarre en septembre 1960 et la bibliothèque est inaugurée le 19 octobre 1962. La Tribune de Genève s’enthousiasme, ce jour là, sur ce «nouveau centre culturel de quartier»: «pour le simple citoyen qui a l’habitude de fréquenter nos bibliothèques construites dans d’anciens immeubles, rénovés ou pas, le premier contact prend l’aspect d’une révélation» 3. C’est la toute première fois, en effet, qu’une bibliothèque municipale s’installe dans des locaux construits exprès pour elle.
2. On rêvait, déjà, d’une entrée rue de la Servette, qui se réalise enfin aujourd’hui
Le projet de la bibliothèque est réalisé par l’architecte André Billaud au sein du Bureau Billaud architectes, qui dessinera également des ouvrages tels que l’École du Lignon (1966), le CEPTA, Centre d’enseignement professionnel technique et artisanal, au Petit-Lancy (1973, aujourd’hui École d’informatique), ou le bâtiment universitaire Sciences II sur le quai Ernest-Ansermet (1979). «La configuration et l’aménagement de la Bibliothèque de la Servette doivent beaucoup à Hélène Rivier (1902-86) alors Directrice des Bibliothèques municipales. Tout au long du processus de projet elle s’impose comme un maître d’ouvrage compétent. Sa connaissance du fonctionnement d’une bibliothèque et sa détermination ont sans doute beaucoup contribué à la qualité architecturale de l’édifice», note l’étude de l’Unité conservation du patrimoine architectural.
Hélène Rivier souhaite maximiser la surface disponible pour la bibliothèque: étant donné «l’accroissement extraordinaire de la population (…), la solution adoptée doit être valable pour de nombreuses années», écrit-elle au Conseil administratif en août 1959. Le Service immobilier de la Ville entend quant à lui rentabiliser le projet en accordant le plus de place possible à des locaux commerciaux. Comment faire? «En architecture, les contraintes sont souvent productives. (…) L’idée de la bibliothèque sur deux niveaux, telle que nous la connaissons aujourd’hui, semble émerger de ces exigences apparemment contradictoires», remarque l’étude patrimoniale. La bibliothèque obtient ainsi un espace supplémentaiee au sous-sol, initialement prévu pour un parking qui est finalement abandonné car jugé peu rentable. Cet étage souterrain s’articulera autour de l’étonnant patio, véritable bassin de lumière (et d’eau, autrefois) en dessous du niveau du sol.
«L’idée du patio est simplement remarquable. Ce dispositif spatial permet bien sûr d’amener la lumière jusqu’au sous-sol mais il règle également l’organisation de tout l’espace en créant des zones naturellement différenciées pour l’entrée, la circulation, les dépôts de livres, les espaces de travail et les salles de lecture. D’une pierre dix coups!», souligne l’étude. La Tribune de Genève, dans son article inaugural de 1962, nous apprend au passage que l’espace sous la salle de lecture, occupé aujourd’hui par les bureaux des bibliothécaires, est alors «une ravissante petite salle de spectacle, d’une contenance d’environ 100 places», destinée «à des séances de cinéma, de musique, de travaux manuels, etc.»
Hélène Rivier obtient donc un étage en sous-sol, mais elle doit renoncer à une entrée qu’elle souhaite côté rue de la Servette, jugée incompatible avec la rentabilisation optimale des espaces à louer. 60 ans après l’ouverture de la bibliothèque, le rêve de l’ancienne directrice des BM se réalise enfin, en mars 2022, avec le nouvel accès au 87 rue de la Servette, qui plonge le public dans un espace dévolu aux DVD, aux BD et aux mangas. 3. En 1967 on s’évanouit, en 1992 on vide les coffres


«En mai 1966, Hélène Rivier souleva le problème de la chaleur excessive en été et demanda la pose de stores: “En raison de toutes ces parois vitrées, la chaleur en été est vraiment insupportable. L’année dernière, malgré le mauvais temps, le personnel a travaillé avec des 34 et 36 degrés. Nous avons réclamé depuis le début de la mise en service du bâtiment, mais ceci sans succès.” À ces doléances, s’en ajoutèrent rapidement d’autres à propos de la ventilation, jugée insuffisante», raconte Christian Bischoff dans l’étude patrimoniale.
À ce propos, la nouvelle Directrice des Bibliothèques municipales, Janine Brunet, interpelle les autorités municipales en août 1967: «Cette année la situation a été particulièrement intenable. Une de nos jeunes collègues s’est même évanouie. Les employées m’ont avertie que leur santé s’en ressentait et qu’elles ne pouvaient plus travailler dans de telles conditions. De nombreux lecteurs se sont offerts à signer une pétition car euxmêmes désertent la salle de lecture»… Aux stores installés sans grand succès cette année-là s’ajouteront deux ans plus tard une nouvelle ventilation et un nouveau système de chauffage. Au printemps 1969, six semaines de fermeture pour travaux rendront enfin la bibliothèque vraiment vivable.
Le dernier élément de l'espace se met en place dans les années 1990. Au rez-dechaussée de l’immeuble, la bibliothèque a jusqu’alors pour voisine une agence de la Caisse d’épargne de la République et Canton de Genève (une des deux entités qui fusionneront en 1994 pour donner lieu à la Banque Cantonale de Genève, BCGE). La succursale bancaire ferme ses portes en 1992, laissant à la bibliothèque son espace… et ses coffres. «Dans un premier temps, ces nouveaux locaux accueillirent les opérations liées à l’informatisation pour recevoir en 1995, la collection des romans et les premières bandes dessinées», signale l’étude patrimoniale. Des billets de banque aux cases de BD, il n’y a parfois qu’un pas.
1. Christian Bischoff, Bibliothèque municipale de la Servette et immeuble d’habitation attenant — 9, rue Henri Veyrassat. Etude historique et architecturale,
Genève : Conservation du patrimoine architectural, 2018
2. On appelle ainsi les années de forte croissance économique entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la crise pétrolière de 1973.
Projection
Dès 10h Pop'scope animé
→ Espace jeunesse ○ Tout public dès 7 ans
En continu toute la journée Un mix de souvenirs en hommage aux dessins animés pop, des années 70 à nos jours, préparé par Déborah et Frédéric Landenberg, comédienne-s cinéphiles, auteur-e-s de la série de rendez-vous Comicoscope programmée aux Bibliothèques municipales en 2018.

Projection Dès 10h
Pop'scope films → Espace adultes○ Adultes En continu jusqu’à 14h Un mix de souvenirs en hommage aux films pop, des années 70 à nos jours, préparé par Déborah et Frédéric Landenberg, comédienne-s cinéphiles, auteur-e-s de la série de rendez-vous Comicoscope programmée aux Bibliothèques municipales en 2018. Atelier
10h-12h Atelier maquillages → Espace jeunesse ○ Jeune public
Exploration 14h-14h45Hypercity – Pop Genève Autour de la Servette en clips et en sons → Salle de lecture○ Tout public dès 12 ansUne constellation de morceaux de musique liés, par leurs paroles ou leurs clips, à des emplacements du territoire genevois. Une invitation à redécouvrir Genève, réinventée dans les sons et les images qu’elle a inspirés. (Lire p. 7) le programme fête La bibliothèque Servettede la
En pages 15h-16h et ses ses nouveauxespaces60 ans Samedi 15 octobre 2022
Rencontre La Servette, une campagne devenue quartier Présentation du livre d’Alexandre William Junod (à paraître en novembre 2022) → Salle de lecture ○ Tout public «Enfant de la Servette, l’auteur a fait le constat qu’aucun livre n’avait jamais été écrit sur son quartier. Dans ce lieu occupant une place centrale – trait d’union entre gare et aéroport, centre et périphérie – les raisons de combler un tel vide sont pourtant nombreuses. Ponctué de nombreuses anecdotes, de témoignages et de balades, ce livre retrace l’aventure d’un quartier central et pourtant mal connu.» (Lire l’interview de l’auteur, pp. 33-35)
Spectacle 16h30-17h30
Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, par Philippe Campiche → Salle de lecture ○ Tout public dès 7 ans «Lorsque j’étais enfant, je voyais les adultes en grandes conversations sérieuses, et je me disais qu’ils devaient connaître beaucoup de choses sur les mystères du monde. Maintenant que je suis adulte, j’écoute les enfants. Ils en savent beaucoup plus que nous. Voilà de quoi parle Le Petit Prince.»
Musique 17h30-18h30
Rude Egard
Concert de jazz manouche → Salle de lecture → Tout public «Rude Egard s'est formé autour d'une racine commune: le swing manouche de Django Reinhardt. Le répertoire à voyagé au gré des saisons: musique tzigane, rumba, valse… et a fait une large place à la chanson. Le groupe est composé d’une chanteuse, d’une accordéoniste, de deux guitaristes et d’un contrebassiste.»
Convivialité 19hApéritif→ Patio (en cas de pluie: nou-vel espace à l’entrée de la bibliothèque)
Installée à Bruxelles, publiée en France et bientôt traduite en Corée, l'autrice et illustratrice suisse fait rayonner dans le monde ses souvenirs d'enfance dans des alpages aux couleurs envoûtantes
En colonie de vacances avec Fanny Dreyer


Rencontre/atelier Me 23.11 / 15h
Rencontre/atelier avec Fanny Dreyer → BM Jonction ○ Jeune public dès 7 ans
Durée : env. 2h △ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch Parfois, Fanny Dreyer dessine la mer. Plus souvent, cette illustratrice, autrice et réalisatrice de films d’animation suisse installée à Bruxelles dessine la montagne et les histoires petites et grandes, réelles et imaginaires qui se déroulent dans ces paysages. Les BM l’invitent le 23 novembre à la bibliothèque de la Jonction pour une rencontre et un atelier dans le cadre de « Délivre-moi tes secrets », série de rendez-vous avec des artistes marquant-e-s dans le panorama des albums jeunesse. Interview.
Les montagnes de vos illustrations viennentelles plutôt de vos souvenirs d’enfance ou du grand imagier collectif du folklore alpin ?
« Je suis originaire de Fribourg, donc pas loin des Préalpes, et les paysages de montagne me sont familiers depuis toute petite. Je les vivais physiquement, avec mes parents ou en colonie de vacances, et ils se sont inscrits de manière profonde dans ma mémoire, y compris, je pense, de façon inconsciente. Dès que j’ai quitté la Suisse pour aller faire une école d’art en Belgique, ces paysages ont commencé à apparaître lorsque je créais des histoires ou dessinais.
J’imagine que c’est un phénomène fréquent: ce sont souvent les paysages ancrés dans notre enfance qu’on met sur papier… Petite, je râlais quand on partait en vacances à la montagne, parce que je rêvais d’aller à la mer. Il faut souvent du temps, ou un éloignement géographique, pour apprécier les choses qu’on a à côté de soi. J’ai d’ailleurs un regard beaucoup plus bienveillant sur la Suisse depuis que je l’ai quittée.
Depuis toujours, je suis également sensible aux représentations naïves de la montagne qu’on crée dans mon canton d’origine, notamment celles de la poya 1 qu’on voit un peu partout, dans les musées comme sur des façades de chalets ou sur des linges de cuisine. Donc il y a à la fois la montagne réelle, ses images, ce qui en est raconté, ses représentations folkloriques… Tout ceci est d’abord ressorti dans mon travail de façon spontanée, puis de manière plus précise lorsque j’ai réalisé à quel point mon imaginaire en avait été nourri. »
Qu’est-ce qu’il y a dans cet imaginaire ? Des images, des récits ?
« Il est avant tout visuel, mais il est aussi sensoriel. En travaillant sur mon dernier livre, La colonie de vacances, j’ai surtout essayé de retrouver les sensations à la fois très intenses et toutes simples qui m’ont marquée au cours de cette expérience d’enfance : changer d’air, sentir des odeurs différentes, la rugosité du sol, l’effort qu’il faut faire pour gravir une montagne. Je ne suis pas tellement dans les grands récits, au départ ce sont plutôt les petits instants et les petites choses qui m’intéressent… qui finissent ensuite, peutêtre, par faire une grande histoire.
Ce que je trouvais intéressant de développer dans cet album, c’est aussi l’ambivalence de me retrouver, en tant qu’enfant, dans des paysages grandioses et dans des coins magnifiques, d’être subjuguée par tout ça, et en même temps de ressentir la difficulté d’être loin de mes parents et de mes repères, de devoir me construire avec des gens que je ne connaissais pas…
Essayer de parler au plus juste de ce qui m’a animée profondément, revenir au ressenti de l’enfance, c’est quelque chose que je fais dans un premier temps surtout pour moi, mais finalement ça fait écho beaucoup plus largement que je ne le pensais au départ. La colonie de vacances, par exemple, sera bientôt traduit et publié en Corée. »

Vos couleurs sont intenses, « plus grandes que nature ». Y a-t-il un lien avec le fait que vous êtes synesthète, c’est-à-dire que votre cerveau fait des liens automatiques entre des perceptions sensorielles différentes ?
« Dans mes images, j’essaie d’être sur le fil entre la figuration, qui me tient à cœur, et des échappées parfois plus graphiques, de l’ordre de l’imaginaire, vers des paysages qui n’existent pas et que je souhaiterais voir… C’est peut-être un peu prétentieux de le dire, mais il y a aussi le fait que j’ai regardé beaucoup de peinture et que le fauvisme et les paysages de Vallotton m’ont énormément inspirée dans cette démarche qui consiste à me dégager d’une gamme colorée réaliste pour aller un peu plus loin. Si je colle trop au réel, je m’ennuie.
En ce qui concerne la synesthésie, c’est vrai que pour moi les voyelles s’associent à des couleurs, du coup j’ai des taches colorées dans la tête dès que j’entends des mots. Certaines de ces couleurs sont très intenses, d’autres beaucoup plus douces, par exemple le A est d’un rouge vermillon et le I d’un jaune extrêmement intense, alors que le son EN est d’un gris coloré et le son OU est d’un bleu teinté de vert… Le fait que j’ai engagé une pratique artistique vient sans doute en partie de ce phénomène, que je ne contrôle pas, qui est là depuis que je suis toute petite et qui me nourrit. »
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
« Je viens de terminer un projet réalisé à la demande d’un hôpital qui se construit en ce moment à Charleroi, près de Bruxelles, pour lequel j’ai illustré tout le secteur de la pédiatrie, ça représentait beaucoup de murs… Maintenant, je me mets au travail sur un nouvel album qui devrait sortir en 2023 et qui parle des collections de toutes sortes que font les enfants. Une amie autrice a écrit les textes, mélangeant des enfants réels à nos propres histoires. »
1. La poya est la montée estivale en alpage avec les troupeaux de vaches, accompagnée de cortèges où les animaux sont décorés et leurs berger-e-s sont costumé-e-s. Par extension, le mot désigne les représentations visuelles de cette migration saisonnière, souvent réalisées en papier découpé. Fanny , La Poya (Genève : Joie de lire, 2017). Les albums de Fanny Dreyer dans le catalogue des BM
La colonie de vacances, Paris : Albin MichelJeunesse, 2021 Jour de fête : Fête des vignerons, Genève : Joie de lire, 2019 La poya, Genève : Joie de lire, 2017 Moi, canard, Paris : Cambourakis, 2016 Le journal de MarieMélie : L'histoire d'une petite fille à Genève (1813-1816), Genève : Joie de lire, 2014 Les musiciens de Brême, Genève : Joie de lire, 2013 Le mystère du monstre, Genève : Joie de lire, 2012







Serge Bloch
Un homme entre plusieurs mondes
L'illustrateur de Max et Lili et de SamSam est aussi dessinateur de presse aux États-Unis, artiste exposé dans des galeries, metteur en images de la Bible et de L'interprétation du rêve de Sigmund Freud… Interview.

Rencontre Sa 26.11 / 14h30
« Délivre-moi tes secrets »
Avec Serge Bloch → BM Servette ○ Jeune public dès 7 ans
Durée : env. 1h15 △ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch
D'un côté, bien sûr, il y a Max et Lili. Un petit frère et une grande sœur dont les histoires naviguent depuis 1992 entre les faits minuscules de la vie quotidienne et les grosses vagues qui agitent le monde. Du tout premier Lili ne veut pas se coucher (1992) au tout nouveau Max et Lili se mettent au hip-hop (2022), en passant par Le cousin de Max et Lili se drogue (2002) et Les parents de Max et Lili sont accros au portable (2019), les deux enfants ont traversé jusqu'ici 129 albums.
Mais dans la vie de Serge Bloch, l'homme qui leur donne vie à coups de crayons, il y a plein d'autres mondes. Le voici dessinateur de presse aux États-Unis (pour le Washington Post, le New York Times, le Boston Globe, le Los Angeles Times…), artiste exposé dans des galeries, designer dans la pub, peintre sur céramique, illustrateur de la Bible et de L'interprétation du rêve de Sigmund Freud, autobiographe d'une enfance alsacienne vécue à La Rue de l’Ours, ou encore auteur de la série SamSam, qui embarque les enfants dans des aventures super-héroïques et extraterrestres.
En plongeant dans votre travail, on se dit que vous êtes tout le temps dans plusieurs mondes à la fois…
« Je n'aime pas me sentir enfermé, effectivement. C'est un peu compliqué à vivre, des fois, parce que c'est assez dispersé, mais tout ceci a quand même fini par trouver une certaine cohérence, je crois. Pour moi, depuis le début, le dessin est un outil qui permet de voyager entre des champs différents, de la communication à l'”art” — entre guillemets et avec un petit a —, et aussi géographiquement, entre les cultures et les pays. » La série Max et Lili, par exemple, a un pied dans le monde des albums pour enfants et un autre dans l'univers des sujets de société…
« Max et Lili, c'est une vieille histoire, on a fêté leurs 30 ans cette année. Pour cette série, je suis le dessinateur et Dominique de Saint-Mars est la scénariste, c'est donc plutôt elle qui est à la recherche des sujets, qui sont parfois très proches de l'actualité : dans le prochain album, par exemple, il est question de l'Ukraine. C'est presque une mission de service public qu'elle remplit, en s'attachant à parler de choses importantes et pas faciles — la violence, la maladie… —, mais aussi, heureusement, de choses chouettes : l'amitié, le jeu… En faisant ce travail pendant 30 ans, nous avons vu le monde évoluer : les objets et les usages de la vie quotidienne se sont modifiés, les téléphones mobiles et Internet sont arrivés, la vie des enfants a changé. Le succès de Max et Lili vient, je crois, de l'attention que Dominique met à parler aux enfants, qui sont traversés par la vie du monde comme les adultes. »
Et vous, dans tout ça ?
« Je pense que mon talent depuis toujours, si j'en ai un, c'est d'avoir de l'empathie pour la personne qui lit, quelle qu'elle soit, enfant ou adulte. Il y a dans Max et Lili un côté message, presque militant parfois, mais mon but dans la vie, une chose qui est vraiment centrale pour moi, c'est le plaisir et l'humour. Ce que je rajoute aux scénarios de Dominique, c'est donc la gaieté de mon trait, une manière de faire vivre graphiquement les personnages en créant un équilibre avec un propos qui, des fois, est quand même assez lourd.

… sont trop nombreux pour les énumérer ici (il y en a plus de 300) : pour voir la liste complète, rendez-vous sur genevebm.com/ catalogue-serge-bloch
L'humour, c'est parler de manière légère de choses lourdes, ce n'est pas juste faire des blagues… Et même les blagues, ça a une vraie fonction : celles de Toto, par exemple, auxquelles je me suis intéressé de près en les illustrant dans une série de bouquins. C'est intéressant, l'apprentissage de l'humour à travers Toto. Je ne sais pas si vous avez des enfants, mais qu'est-ce qu'ils peuvent vous emm***** quand ils commencent à vous raconter des blagues et qu'ils n'ont pas encore appris le timing, la maîtrise du temps, la chute, tout ce qui est essentiel dans une blague…
L'humour, j'essaie d'en mettre partout, autant que je peux, même dans l'art. Dans l'exposition de collages que j'ai faite en mai dernier à Paris, les gens étaient plutôt gais quand ils en sortaient. Moi, ça me va. »
En 2000, en créant la série SamSam, vous avez inventé une nouvelle planète…
« SamSam, c'est venu après Max et Lili, c'était un peu une réaction : je souffrais un peu, avec cette série, d'être tout le temps dans la vie quotidienne. C'était bien sûr hyper puissant, mais quand même, j'avais envie de m'échapper… C'est pour cette raison que je me suis projeté dans un monde fantasy. Et puis j'ai un fils qui s'appelle Samuel — d'où SamSam —, qui se déguisait toujours en Batman à l'époque. On peut se demander: qu'est-ce qu'un gamin de 3 ans a à voir avec un super-héros? Mais en fait les enfants se prennent tous pour des super-héros…
SamSam s'adresse à des enfants plus petits que Max et Lili. Je me rappelle mes gamins à cet âge-là, juste après la toute petite enfance, qui commençaient à sortir dans le quartier tout seuls en faisant le tour du pâté de maison. L'apprentissage fonctionne par cercles concentriques, d'abord il n'y a que le noyau familial qui existe, d'ailleurs les héros de la toute petite enfance, Petit Ours Brun et tous ces personnages, sont toujours centrés sur la famille…
SamSam, c'était l'idée que, juste après cet âge-là, tu pouvais sortir de la famille sans risque et aller au fin fond de l'univers, mais si tu avais un problème, tu prenais le téléphone à papa et ça se réglait tout de suite. Il s'agissait de dire aux enfants qu'ils pouvaient aller s'aventurer dans le monde, et que ça irait. »
Entre-temps, après la SamPlanète, vous êtes parti vers un autre nouveau monde, l'Amérique…
« J'avais une grande admiration pour des dessinateurs américains qui ont été pour moi des influenceurs, comme par exemple Saul Steinberg. À un moment, l'occasion s'est présentée, par hasard, d'avoir quelqu'un qui avait vu mon boulot et qui s'était dit : tiens, je vais essayer de le représenter là-bas… J'ai commencé à avoir une carrière américaine qui est devenue assez importante, beaucoup dans le dessin de presse et un peu dans la pub. Après, ça s'est calmé, parce que le dessin de presse est assez fatigant à la longue, car il est éphémère. C'est un grand bonheur d'être vu par beaucoup de gens : si vous faites un dessin dans un grand quotidien américain tel que le New York Times ou le Washington Post, vous avez des centaines de milliers de gens qui voient votre dessin. Mais après, le lendemain, ça disparaît… »
En amont de tout ça, vous étiez déjà issu d'une histoire entre plusieurs mondes : une famille juive en Alsace, une ville – Colmar – qui a changé de nationalité quatre fois en un siècle entre la France et l'Allemagne, plusieurs langues (dont une, l'alsacien, qu'on lit dans une bulle de La rue de l’Ours et qui, pour les lecteurs et lectrices suisses, ressemble furieusement au suisse allemand…)
« J'ai eu la chance de savoir d'où je venais, et de venir d'un endroit où il y avait une identité intéressante, qui m'a nourri et qui m'a ouvert à d'autres mondes. C'est un lieu commun, mais tout ce qu'on est — notre force, nos faiblesses, notre imaginaire — vient quand même en grande partie de notre enfance… J'ai toujours ça quelque part : même si en 60 et quelques années j'ai accumulé d'autres expériences et développé d'autres imaginaires, les racines sont là. On traîne toujours un peu de terre sous ses semelles.
New York est aussi un endroit où je me suis ancré, j'ai d'ailleurs créé un personnage qui s'appelle Zouk, une petite sorcière qui vit dans une métropole comme celle-là. Quand vous vous installez quelque part, que ce soit New York ou le lieu où je suis maintenant dans le Sud, et que vous n'êtes pas immédiatement chez vous, c'est intéressant, car ça vous donne à la fois une distance et une attention aux gens. J'aimais bien New York pour ça : avoir ce filtre entre la réalité et moi, parler une langue qui n'était pas la mienne et dont je comprenais un mot sur deux… Ça me donnait le temps pour réfléchir. »

Le Lego de notre enfance a conquis le monde des adultes cool
Un personnage animé en forme de caquelon à fondue qui se touille tout seul, avec une main qui remue une fourchette dans sa propre tête… Avec cette réalisation en Lego, Eric Bedelek, 30 ans, et Alex Favre, 25 ans, Vaudois de Concise, ont remporté la deuxième saison de « Lego Masters », émission de téléréalité de la chaîne française M6, diffusée le 11 janvier 2022 devant 2,1 millions de téléspectatrices et spectateurs. Le duo est invité à la bibliothèque de la Servette le 3 décembre 2022, en ouverture d'une semaine explorant les facettes de l'univers Lego. Questions-réponses avec Eric Bedelek.
Vainqueurs de l'émission de téléréalité française « Lego Masters », Eric Bedelek et Alex Favre ont fait de leur passion une profession. La petite brique déborde désormais le monde de l'enfance et de la culture geek pour s'afficher partout Comment le Lego est-il devenu pour vous une occupation d'adulte ? « J'ai commencé le Lego comme tout le monde, en y jouant dans ma tendre enfance. Vers l'âge de 15 ans, mon oncle m'a ramené des trains électriques qu'il m'avait offerts quand j'étais gosse et auxquels je jouais chez lui, et j'ai trouvé qu'ils étaient vraiment cool. J'ai appris qu'il y en avait une quinzaine de modèles qui étaient sortis pendant mon enfance et je me suis dit : ce serait chouette si je pouvais les retrouver et les avoir tous. J'en ai acheté un, puis deux, puis trois, puis j'ai découvert que Lego avait fait des trucs un peu spéciaux, vendus seulement sur Internet… C'était le début de ma collection et de mon “Lego d'adulte” : à la fois la recherche d'objets parfois rares qui prennent