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1000 histoires de la pop musique
from Nota03_Cahier
by genevebm
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histoires de la Un objet quasi magique tourne au cœur des pop cultures : on pose une aiguille sur sa surface et la musique surgit, conservée par enchantement dans le noir profond du vinyle… Ellen Ichters, animatrice et productrice de radio à la RTS, longtemps aux micros de Couleur 3 et aujourd'hui surtout sur La Première ( « Quartier Livre », « Playlist » ), est invitée le 20 octobre à la bibliothèque de la Cité pour une conférence intitulée Les sillons de la Pop, explorant la trajectoire de cet objet dans nos cultures musicales. Interview.
Ce voyage pop centré sur le vinyle a-t-il un lien avec votre histoire personnelle ?
« Je suis née en 1977, mais je ne suis pas une enfant du vinyle. Le vinyle, dans mon enfance, était associé à quelque chose de cher, ça m'évoquait le matériel audio qu'on voyait dans les magasins de hi-fi et même dans les supermarchés, exposé sur des socles recouverts de moquette, à des prix qui me paraissaient sortir d'un monde totalement inconnu par rapport au quotidien de ma famille…
Je suis, en fait, une enfant de la cassette. On en écoutait à la maison, et ma cousine, qui travaillait au rayon disques de la Migros d'Yverdon, en enregistrait pour moi. J'en avais une qui démarrait par “Fade to Grey” de Visage, il y avait ensuite “Da Da Da” de Trio et “Bette Davis Eyes” de Kim Carnes, c'était une odyssée absolument merveilleuse à chaque fois que je l'écoutais… Explorer l'histoire du vinyle, c'est plutôt lié à mon intérêt curieux pour la musique et à la question de savoir comment les choses qui constituent notre environnement sont arrivées jusqu'à nous. »
Ellen Ichters, une enfant de la cassette dans les sillons du vinyle Arriver jusqu'à nous, ce n'était pas gagné d'avance pour le disque vinyle… « Au début, le vinyle est en concurrence avec les cylindres du phonographe, dont l'inventeur, Edison, considère que graver du son sur un disque, c'est n'importe quoi. À cette époque, ce n'est d'ailleurs pas encore du vinyle, mais de la gomme-laque (shellac en anglais), une matière très fragile qu'on fabrique avec des sécrétions de cochenille, un insecte commun qui envahit les plantes… Pour arriver au vinyle qu'on connaît, il faudra encore que quelqu'un ait l'idée de mettre de la musique là-dessus, puis que la population s'équipe d'appareils pour l'écouter, c'est-à-dire qu'elle ait des ressources à consacrer à la musique en tant que passe-temps. On assiste ensuite à une série de guerres autour du vinyle. Il y a les radios et les syndicats de musicien-ne-s qui paniquent en se disant qu'avec la musique enregistrée, les orchestres qui jouent live dans les programmes vont être au chômage. Il y a aussi la guerre des vitesses, 45 ou 33 tours, qui se résout par le compromis des platines à deux vitesses, car on se rend bien compte que les gens ne vont pas s'acheter deux tourne-disques… L'uniformisation des formats, qui optimise les budgets de production et de distribution, va permettre une mondialisation de la musique qui détermine la pop telle qu'on la connaît. » Conférence Je 20.10/19h Un élément clé de ce format, Les sillons de la Pop : musique commerciale, c'est la grande pochette carrée, qui favorise l'épanouissement visuel de la pop… musique superficielle ? Une conférence en vinyles d'Ellen Ichters → BM Cité / Le Multi ○ Adultes Durée : env. 1h30 « Absolument ! C'est dans les années 50 que l'art de la pochette commence vraiment à se développer, avec les maisons de disques qui se mettent à engager des graphistes. Ce côté artistique devient encore plus présent avec le rock psychédélique et le heavy metal : △ Sur inscription : Pink Floyd, Led Zeppelin, des pochettes comme Bat bmgeneve.agenda.ch Out of Hell de Meat Loaf ou celles d'Iron Maiden avec leur personnage mascotte Eddie the Head…
Tout ceci contribue à faire du vinyle non seulement un support sonore, mais un objet qui est véritablement beau. Vous pouvez passer des heures sur un canapé à regarder un album en même temps que vous l'écoutez, il a une dimension idéale pour accompagner l'action d'écouter et un graphisme parfaitement réfléchi pour cette taille… Alors que le CD a une qualité sonore géniale, mais son boîtier est un objet assez moche, il a ces petites dents au milieu qui se cassent tout le temps, il tombe avec un bruit de plastique horrible si on l'accumule en pile, il a ce côté encombrant et maladroit… »
En parlant de bruit, le vinyle a ce craquement qui est devenu un élément musical à part entière…
« Ce qui est absolument génial avec ce craquement, c'est que finalement, on n'entend jamais exactement la même chose, même si la différence est presque imperceptible, parce qu'à chaque fois que l'aiguille passe, elle use un petit peu plus le sillon. Je trouve que ce côté impermanent a une dimension très poétique… Il y a également un petit mystère là-autour : lorsqu'on entend pour la première fois ce craquement, on ne sait pas forcément pourquoi il est là, et si on n'a pas de réponse, on invente quelque chose. J'aime les histoires, pas rationnelles et souvent poétiques, qu'on se raconte spontanément, sans même y réfléchir, pour s'expliquer ce qu'on ne sait pas. Il y a les gestes aussi, celui de poser le vinyle sur la platine, celui de passer la brosse pour enlever la poussière des sillons… Et il y a la manière dont un album démarre : un moment particulier, un point d'ancrage qui crée une connexion très intime avec la musique, et qu'on a beaucoup moins aujourd'hui avec le shuffle, l'écoute des morceaux dans un ordre aléatoire… Je sais toujours exactement, à force de les avoir écoutés, comment démarrent les albums qui ont été importants pour moi, genre Thriller de Michael Jackson — ce ta ta taa ta-dat-ta-dat taa — ou Avalon de Roxy Music. Si aujourd'hui la musique est devenue un peu plus accessoire dans la vie des gens, c'est sans doute lié au fait qu'on a moins cette sorte de protocole, de rituel qui se crée autour de petites choses du quotidien auxquelles on s'attache. »
Une enquête récente sur le changement des supports et des pratiques d'écoute, lancée par les Bibliothèques municipales (lire Nota N° 2) relevait qu'avec la dématérialisation et le streaming, on plonge dans une « musicalisation » constante de la vie, qui rend la musique à la fois plus présente et moins liée à des moments particuliers. Elle est toujours là, mais en arrière-plan, dans le décor…
« Je me souviens qu'en achetant de la musique sur des supports matériels — vinyle, CD, cassette, peu importe —, j'étais très consciente que j'avais investi de l'argent là-dedans et du coup, même si j'étais un peu déçue du l'album, il fallait qu'il soit rentabilisé, donc je le réécoutais pour être sûre: est-ce qu'il n'était vraiment pas si bien que ça ?
Tous ces éléments appellent un univers émotionnel et sensoriel que le CD a peut-être moins, et le mp3, on n'en parle même pas… Je peux vous demander quelle est la première cassette que vous avez possédée, ou le premier vinyle que vous avez acheté, alors que se rappeler du premier mp3 qu'on a téléchargé, ou du premier morceau streamé sur Spotify, c'est plus improbable… Mais l'humain est inventif, donc on peut lui faire confiance pour trouver des solutions. »
pop musique
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NEIL YOUNG
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LED ZEPPELIN

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DAVID BOWIE
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QUEEN
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MICHAEL JACKSON
Spectacle Sa 24.9 / 15h
La naissance du Hip-hop racontée aux personnes du 3e âge
→ BM Cité / Le Multi ○ Tout public
Durée : env. 1h30 △ Sur inscription bmgeneve.agenda.ch
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ABBA
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BOB MARLEY
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AC/DC
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PATTI SMITH
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BLONDIE
09/01/2017 15:25 09/01/2017 15:25
Deux humoristes squattent le berceau du rap
« Pitres professionnels » (c'est eux qui le disent), Laurent Pierredon et Alexandre Bordier se penchent sur les origines du rap et du mouvement hip-hop dans un spectacle qui allie la forme farceuse d'un numéro comique au fond sérieux d'une conférence érudite. « Sous le vernis de la blague, c'est un témoignage fidèle, fouillé et sincère, sur les prémices et coups d'éclats des premiers héros d'une culture qui allait rebattre les cartes du show business comme aucun autre mouvement musical. (…) Qui aurait pu imaginer qu'au milieu des années 70, dans le quartier le plus pauvre de New York, le South Bronx, quelques déshérités à la recherche d'un peu de détente allaient transformer le paysage musical, et 30 ans plus tard le dominer ? Personne… Nous souhaitons aux travers de cette conférence rendre hommage aux fondateurs de cette aventure urbaine et musicale, souvent oubliés des générations actuelles » . Hervé Guilleminot, la pop côté adultes et côté enfants
Raconte-t-on l'histoire des musiques pop et rock de manière différente à des adultes et à des enfants ? Pour répondre, exemples à l'appui, on comparera les deux rencontres proposées par les BM avec le journaliste et auteur français Hervé Guilleminot, auteur d'ouvrages encyclopédiques sur ces musiques, mais aussi de Rock pop : 40 artistes et groupes de légende, paru chez Gallimard Jeunesse en 2017 (dans le catalogue des BM). Côté adultes, la pop et le rock forment un monde agité par des pulsions et par des tensions sociétales. Côté enfants, cet univers n'est finalement pas très éloigné de celui des comics et des cartoons, peuplé de vedettes qui évoquent des super-héro-ïne-s, naviguant entre un firmament rempli d'étoiles et les petites histoires de la vie ordinaire.
Conférence Je 3.11 / 19h
Histoire de la poprock des années 50 à aujourd'hui
Conférence musicale avec Hervé Guilleminot
→ BM Cité / Le Multi ○ Adultes
Durée : env. 1h30 △ Sur inscription bmgeneve.agenda.ch
Conférence Sa 5 .11 / 14h30
Les grandes figures de la pop et du rock
Conférence musicale en mode storytelling avec Hervé Guilleminot
→ BM Cité / Le Multi ○ Tout public dès 10 ans
Durée : env. 1h30 △ Sur inscription bmgeneve.agenda.ch


Hubert Artus, navigations pop sur les courants de la subversion
« Retracer son histoire, depuis la fin de la Grande Guerre, c'est raconter celle de nos sociétés : la pop vient de la rue et, si marketée qu'elle soit devenue, elle sentira toujours le bitume. C'est pourquoi nous avons défendu ici une pop culture qui est un mouvement alternatif. Donc imprévisible. Par nature, jeune, rieur, ironique, militant, subversif. Vivre, survivre, est souvent un défi. Et, depuis cent ans, la pop culture en est un aussi. Un cercle vertueux qui ne connaît pas de fin. »
Ainsi le journaliste et auteur français Hubert Artus, invité le 10 décembre à la bibliothèque de la Cité, conclut-il son ouvrage Pop Corner. De Superman à Pokémon Go: la grande histoire de la pop culture (Paris : Points, 2018, dans la catalogue des BM). Dans son survol d'un siècle pop, cet univers culturel apparaît comme une pochette surprise inépuisable. On y trouve les comics avec leurs super-héro-ïne-s, les pulp magazines avec leurs histoires sanglantes ou à l'eau de rose, le cinéma, les séries télé, les jeux vidéo, les looks des tribus urbaines et même « le football, sport de la pop culture » … mais surtout la musique, embrassée par un regard pop à large spectre qui inclut le rock'n'roll, le reggae, le hip-hop, la techno et le punk. « Les puristes crieront au scandale de voir, ici, la musique punk incluse dans la pop. Mais les codes de ce mouvement, son mélange de cultures, la jeunesse de ses adeptes et même son marketing, sans compter le look et le style de la rue, tout cela oblige à inclure la culture punk (plus large que la seule musique) à la grande histoire de la pop culture. »
Rencontre Je 10.11 / 19h
POP CORNER : La grande histoire de la pop-culture 1920-2020
Rencontre avec Hubert Artus
→ BM Cité / Le Multi ○ Adultes
Durée : env. 1h30 △ Sur inscription bmgeneve.agenda.ch
u Ci-contre et en bas à droite : images tirées de la vidéo « Genève… ou bien 1993 (Marie Laforêt) » de Mathieu Epiney.
« Monde enchanté »

Lorsque les chansons (re)font le monde
Qu'est-ce qui se passe lorsque les chansons et les musiques pop se nourrissent de lieux ? Lorsque Claude François se rappelle de son enfance égyptienne en hurlant avec les sirènes du port d'Alexandrie ? Lorsque le groupe ABBA bascule dans la célébrité [lire pp. 22-24] en chantant que dans la ville belge de Waterloo, « Napoléon a capitulé, oh yeah » ? Lorsque le rappeur coréen Psy caricature le style d'un quartier de Séoul appelé Gangnam dans un clip qui, pour la première fois dans l'histoire, dépasse le milliard de vues sur YouTube ? Et lorsque tout ceci s'incruste dans nos têtes, façonnant notre perception et influençant les manières dont nous pratiquons le monde ?
Au Département de géographie de l'Université de Genève, Jean-François Staszak et Raphaël Pieroni ont plongé dans ces questionnements en lançant « Monde enchanté », une exploration collective de l'imaginaire géographique des chansons, racontée en deux livres1, une série de clips et bientôt une exposition. « Enchanté », oui : car, en chantant, le monde s'enchante, nous attirant à coups de refrains vers Vancouver (avec Véronique Sanson), Trenchtown (avec Bob Marley) ou les lacs du Connemara (avec Michel Sardou). Les chansons transforment, au passage, les lieux dont elles s'inspirent: elles créent leur image, les font rayonner dans nos esprits, contribuent à façon-

Image tirée de la vidéo « Hollywood 2003 i (Madonna) » de Mathieu Epiney. i En haut à droite : image tirée de la vidéo « Penny Lane 1967 (The Beatles) » de de Mathieu Epiney..


ner leur réalité… Questions-réponses express avec Raphaël Pieroni.
D'où vient l'idée d'explorer les « chansons géographiques » ?
« Une particularité de notre département de géographie réside dans le fait que nous faisons de la géographie culturelle. C'est une approche de la géographie qui prend au sérieux la culture en général et la culture populaire en particulier, nous amenant à travailler sur la photographie, la bande dessinée, le cinéma, la littérature, la peinture… Jusqu'ici, nous n'avions que peu travaillé sur la musique. Nous cherchions à réaliser un projet collectif qui s'adresse au grand public. Et soudain c'était l'illumination, quoi de plus collectif que la musique, que les chansons ? Beaucoup de chansons sont géographiques dans la mesure où elles portent sur des lieux réels ou imaginaires. Et voilà comment est né "Monde enchanté". »
Les lieux inspirent les chansons, les chansons agissent sur les lieux… Pouvez-vous donner un exemple de ce mouvement d’aller-retour ?
« Un exemple emblématique est celui du Café Pouchkine dont il est question dans “Nathalie” de Gilbert Bécaud (1964), qui n'existait pas avant la chanson. À un moment donné, des cohortes de touristes, français-e-s et russes, ont commencé à se retrouver à Moscou sur la Place Rouge et à chercher ce Café Pouchkine… qui a donc fini par être créé en 1999, bouclant la boucle.
C'est un exemple de ce qu'on appelle la dimension performative : en énonçant quelque chose, on contribue à fabriquer la réalité qu'on a énoncée. La mise en évidence de ce type de processus a donné lieu à ce qu'on a appelé le tournant performatif des sciences sociales. Jusque-là, une des critiques qui étaient faites à la géographie culturelle consistait à dire qu'elle se contentait d'étudier la dimension symbolique des choses, sans s'intéresser aux effets matériels des représentations sur la réalité. Ben non, en fait la dimension symbolique des choses a des effets super concrets sur la réalité. »
En plongeant dans « Monde enchanté », on se retrouve parfois, par surprise, face à des désenchantements. On découvre que dans “Waterloo”, l'amour est chanté par ABBA comme une bataille où, pour une femme, commencer une relation équivaut d'abord à subir une défaite et capituler. Sur un autre registre, on apprend que la rue attachante que Paul McCartney raconte dans “Penny Lane” doit probablement son nom à James Penny, marchand d'esclaves au 18e siècle et ardent défenseur de l'esclavage face au Parlement anglais…
« Nous avons longtemps hésité à appeler le livre Monde (dés)enchanté, ce qui pour finir nous a paru trop
1 Jean-François Staszak,
Raphaël Pieroni (éds.),
Monde enchanté. Chansons et imaginaires géographiques,
Genève : Georg, 2021, et Villes enchantées, à paraître en novembre 2022.
Monde enchanté » & « Hypercity — Pop Genève»
Chansons et imaginaires géographiques d'ici et d'ailleurs
Table ronde avec Raphaël Pieroni, Jean-François Staszak (UNIGE, «Monde enchanté») et Nic Ulmi (BM, «Hypercity — Pop Genève»). Modération : Laurence Difélix (journaliste, RTS) → BM Cité / Le Multi ○ Adultes
Durée : env. 1h30 △ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch
i Images tirées du livre « Monde enchanté. Chansons et imaginaires géographiques » (illustrations: Giganto).
compliqué. Il est clair en tout cas qu'en écoutant bien, on découvre souvent un réel moins enchanté, qu'une chanson comme “Hollywood” de Madonna évoque ce lieu en suggérant la déception et la désillusion, et que les imaginaires véhiculés par les chansons peuvent aussi être toxiques, comme par exemple dans le tube français “Africa” de Rose Laurens (1982) avec ses clichés sur l'Afrique “sauvage”. Notre objectif n'était pas de faire en sorte que des chansons comme celle-ci soient mises dans un tiroir et qu'on ne les écoute plus, mais plutôt d'inviter à les écouter au regard de leur problématique, en étant conscient-e de ce qu'elles contiennent. »
“Waterloo” ou “Africa” reproduisent donc les valeurs dominantes de leur époque, elles “enchantent” la suprématie masculine ou la réduction de l'Afrique à la sauvagerie… Y a-t-il, à l'inverse, des “chansons géographiques” qui parviennent à rompre avec les aspects toxiques des valeurs dominantes ?
« Un exemple pourrait être celui de Joséphine Baker, qui reprend en 1930 “La Petite Tonkinoise”. C'est à la base une chanson éminemment raciste, qui “alimente et légitime la colonisation et l'exploitation sexuelle de l'Empire”, comme l'écrit Jean-François Staszak dans le livre. Avec sa posture, sa gestuelle, sa performance, Joséphine Baker réussit à renverser le sens des paroles et à déconstruire le stéréotype par le rire. L'humour peut donc devenir une arme.
Dans d'autres chansons il y a une posture directement critique, qui est notamment très présente dans le rap… Et parmi les morceaux sur lesquels nous avons travaillé pour “Monde enchanté”, il y a peut-être encore une troisième manière. Je pense à “Göttingen” de Barbara (1964), qui chante de façon très poétique et très intime la réconciliation, 20 ans après la fin de la guerre, avec des enfants d’Allemagne qui ne sont pas responsables des actes de leurs parents. »
En ligne :
https : //www.unige.ch/sciences-societe/geo/monde-enchante https : //hypercity.ch/constellation/pop_geneve
Le monde magique des fans

Fani Carenco : soudain Indochine n'en finit pas de surgir
La metteuse en scène montpelliéraine Fani Carenco est devenue « très, très fan » du groupe Indochine en le voyant sur scène à l'âge de 8 ans. Aujourd'hui, elle tisse avec sa compagnie La Grande Horloge le spectacle Et soudain surgit face au vent, mêlant chansons et témoignages livrés par la « grande famille » des fans. La bibliothèque de la Cité l'accueille le 27 novembre. Interview.
Votre intérêt pour Indochine et pour les fans du groupe vient-il de quelque chose de personnel ou plutôt d'une curiosité socio-culturelle ?
« Un peu des deux. J'ai été très, très fan quand j'étais enfant, je les ai vus sur scène à l'âge de 8 ans, c'était mon premier concert, ça m'a vraiment marquée. Depuis lors, je continue à suivre ce qu'ils font, sans être complètement fan, mais j'aime bien leur musique et le fait qu'elle traverse les époques. Ce qui m'intéressait pour le spectacle, c'est justement le fait d'être fan d'un groupe qui existe depuis si longtemps, et dont tous les gens que j'ai interviewés m'ont dit que c'est une sorte de famille. »
Pourquoi, à votre avis, ce groupe suscitet-il une telle adhésion ?
« Parce qu'ils sont proches, ce ne sont pas des rockstars inaccessibles, on a l'impression qu'on pourrait les croiser à un coin de rue et qu'ils pourraient être
nos amis… Leur musique a beaucoup évolué au fil des décennies, elle est toujours en phase avec l'époque, elle contribue bien sûr à leur succès, mais je pense que c'est surtout la personnalité du chanteur, Nicola Sirkis, qui crée cette adhésion. Il a à la fois cette accessibilité et une identité très forte. Ce n'est pas Monsieur tout le monde, il a quand même un style très marqué, mais malgré sa particularité, on se sent proche de lui. »
Indochine n'a-t-il que des fans au long cours, ou y a-t-il aussi des jeunes ?
« C'est assez étonnant, il y a vraiment des ados qui découvrent le groupe aujourd'hui, avec les nouveaux albums ou directement avec les anciens, indépendamment de toute influence familiale. Souvent, d'ailleurs, les parents sont un peu moqueurs, ils voient Indochine comme un produit des années 80, un peu ringard, et demandent : “Mais pourquoi t'écoutes ça, tu ne trouves pas un peu ridicule ? ” Beaucoup de parents ne savent même pas que le groupe existe encore et qu'il a continué à tourner depuis leur époque… Et pendant ce temps, les jeunes le découvrent, notamment par le biais de YouTube.
Il y a aussi deux ou trois chansons qui sont des sortes de standards de première boum : d'un seul coup il y en a une qui passe, tout le monde crie “Ouah, c'est trop bien, c'est ma chanson…” , et on rentre dans la musique du groupe par cette voie-là. En tout cas, quelle que soit l'époque, on devient fan d'Indochine en le découvrant quand on est jeune, ce n'est pas tellement un groupe qu'on découvre à l'âge adulte. »
Comment vous-êtes vous dit «Tiens, je vais en faire un spectacle» ?
« Indochine, ça mélange tous les thèmes qui m'intéressent dans les spectacles que je monte, qui sont souvent en lien avec la musique et avec l'adolescence : j'ai fait Une histoire du Rock'n'Roll, Il suffit d'un train pour pleurer autour des stars mortes à 27 ans, un spectacle sur The Cure, InCURablE, qui était une déclaration d'amour au chanteur Robert Smith, dont je suis encore très fan… Ce qui m'intéresse beaucoup, c'est de voir comment on grandit à l'adolescence avec un groupe de musique, et aussi, pour commencer, si on accepte vraiment de grandir… Il se trouve qu'Indochine synthétisait toutes mes questions.
Pour la partie musicale, j'ai commencé par réécouter tous les albums avec Annette Roux, la musicienne qui allait adapter les chansons, sachant qu'au départ elle détestait Indochine, donc c'était un challenge… Pour la partie texte, j'ai mis des petites annonces sur Facebook : “Qui a envie de me parler d'Indochine, est-ce qu'il y a des fans parmi vous ? ” Je suis restée dans mes groupes d'ami-e-s et j'ai quand même eu des témoignages d'une vingtaine de personnes, dont certaines très, très, très fans. J'ai mélangé ces récits à mon histoire à moi, à des éléments sur l'histoire du groupe et à des rappels historiques sur les moyens d'écoute mobiles : le Walkman pour les cassettes, ensuite le Discman pour les CD, puis les téléphones… en essayant de montrer que chaque époque a eu son Indochine. »
Que vous ont raconté les fans ?
« Tous et toutes m'ont parlé de l'enfance, ou du tout début de l'adolescence — la plupart ont découvert Indochine entre 8 et 12 ans — et de comment les parents avaient réagi à leur amour pour ce groupe. Beaucoup étaient mal dans leur peau en tant qu'ados, il y a ce côté d'Indochine qui fédère et soutient les gens qui sont un peu mis à part, qui subissent du harcèlement scolaire… Et du coup, on me dit “Indochine, c'est la famille”, “ça m'a sauvé-e”, “ça m'a accompagné-e”, “Nicola Sirkis est la personne qui me connaît le mieux”, “j'ai l'impression que cette chanson m'est adressée directement”… Ça sonne un peu cliché, et les fans en ont conscience en me le racontant, mais c'est vraiment leur vécu. » Cette idée qu’on forme une famille reste-t-elle juste dans la tête, ou y a-t-il des actes qui en découlent ?
« La semaine dernière, j'étais au concert d'Indochine à Marseille et j'ai compris ce que les fans voulaient dire par “famille”. C'est multigénérationnel, on se parle comme si tout le monde se connaissait, ça crée vraiment des liens. On se retrouve à l'occasion des concerts et il y a aussi plein, plein, plein de groupes de fans sur les réseaux sociaux, qui sont censés être des lieux où on parle d'Indochine, mais où les gens se livrent sur leur vie personnelle et s'apportent un soutien les un-e-s les autres.»
Le morceau « L'Aventurier », dont est tiré le titre du spectacle, s'approprie un univers préexistant, celui de la série de BD Bob Morane. Est-ce une référence importante pour les fans ? .
« J'ai toujours associé Nicola Sirkis à Bob Morane, pour moi c'est le mec qui arrive, surgi de nulle part, et qui se bat… C'est comme si Indochine avait réussi, avec sa carrière, à reproduire l'histoire racontée par son premier tube. Mais la grosse référence d'Indochine, c'est Marguerite Duras, et les fans se sont surtout plongé-e-s là-dedans. Il y a pour commencer le nom “Indochine” qui fait écho à l'univers de l'écrivaine. Il y a sur toutes les chansons ce style d'écriture, ce phrasé découpé un peu bizarrement, avec des mots qui reviennent, qui ne vont pas forcément ensemble mais qui au final veulent dire quelque chose… et tout ça se retrouve chez Duras. Et il y a les thèmes : le deuxième plus grand succès d'Indochine, “Trois nuits par semaine”, est adapté du roman L'Amant de la Chine du Nord… »
Comment votre musicienne a-telle surmonté son aversion pour ce répertoire ?
« Elle a fini par trouver quelque chose qui lui plaisait là-dedans, dans le rythme, dans la construction des morceaux, dans l'esthétique qui allait autour… Un jour elle a vu le clip de “Little Dolls” et elle m'a appelée en me disant : “Ça y est, j'ai compris ce qu'ils veulent dire, j'ai compris ce qu'ils veulent faire, on peut y aller”. »
Spectacle Di 27.11/15h
Et soudain surgit face au vent
Spectacle autour de chansons du groupe Indochine et de témoignages de fans → BM Cité / Le Multi ○ Tout public dès 10 ans
Durée : env. 1h15
Sur inscription : bmgeneve. agenda.ch
Indochine est dans l'Espace musique des BM avec ses albums, mais aussi avec des livres :
Christian Eudeline, L'aventure Indochine : l'histoire singulière d'un groupe mythique, Gennevilliers : Prisma, 2018 Jean-Eric Perrin, Indochine, le livre, Paris : EPA, 2010 Nicolas Sirkis et Agnès Michaux, Kissing my songs : textes & conversations, Paris : Flammarion, 2011




Jean-Marie Potiez : comment ABBA a construit ma vie
Le 6 avril 1974, cinq destinées basculent pendant une chanson. L'une est celle d'un garçon de 13 ans, assis devant la télé de sa grand-mère à Grand-Reng, localité belge collée à la frontière française. Les autres sont celles du groupe de musique qui se trouve de l'autre côté de l'écran, dans la ville anglaise de Brighton, sur la scène du concours Eurovision de la chanson.
Le quatuor, appelé ABBA, accède ce soir-là à la célébrité planétaire. Le garçon, Jean-Marie Potiez, est propulsé par la performance télévisée des quatre artistes dans une fascination qui deviendra l'histoire de sa vie. Invité le 3 décembre 2022 à la bibliothèque de la Cité, il raconte ce groupe dont il est devenu entretemps le biographe francophone officiel, lui consacrant une douzaine de livres et deux films. Que s'est-il passé ce soir-là, pour vous et pour ABBA ?
« ABBA, ce sont quatre artistes qui en 2 minutes 50, le temps de la chanson “Waterloo”, passent de l'ombre à la lumière devant les 500 millions de téléspectateurs qui regardent l'Eurovision. Quatre artistes qui avaient eu chacun-e sa carrière séparément, qui avaient fait un premier essai ensemble en 1970 sous la forme d'un spectacle de cabaret, qui avaient sorti depuis 1972 deux albums et qui avaient participé une première fois à la sélection suédoise pour l'Eurovision en 1973, se classant troisièmes avec “Ring Ring” : un morceau qui aura du succès en Scandinavie et un petit peu en dehors, notamment en Belgique et en Afrique du Sud. Pour se présenter au concours en 1974, le groupe a hésité pendant un moment avec une autre chanson, “Hasta Mañana”, une ballade qui s'inscrivait totalement dans les clichés de l'Eurovision et qui se serait beaucoup plus fondue dans la masse. Tandis que “Waterloo”, wow, c'était un coup d'éclat dans le concours. Il y a d'ailleurs un avant et un après ABBA dans l'histoire de l'Eurovision : auparavant c'était un concours de chansons, de belles mélodies, tout le monde était bien habillé avec des smokings et des robes longues… puis ABBA arrive, et c'est une tornade glam rock1. On peut dire qu'ABBA a rendu pop l'Eurovision, qui avait jusque là un style traditionnel, ou même folklorique pour certains pays. »
Et vous ?
« Cette année-là, la France ne retransmet pas le concours parce que le président Georges Pompidou vient de mourir, et le samedi 6 avril est une journée de deuil national. Moi, j'habite alors du côté français, mais j'ai la chance de pouvoir regarder le concours à la télévision belge chez ma grand-mère, qui vit de l'autre côté de la frontière. Quand je vois Agnetha et Frida qui bondissent sur scène et qui entonnent la chanson — “My, my, at Waterloo, Napoleon did surrender, oh yeah”… —, c'est une révélation que je me prends de plein fouet, je ressens des picotements dans l'estomac, un truc énorme dans tout le corps, et j'entends dans ma tête une voix qui dit : “Si ce groupe continue à faire des disques, je l'aimerai toujours”. C'est un immense coup de foudre amoureux : le coup de foudre d'une vie, comme il s'avérera par la suite.
Quelques semaines plus tard, j'ai acheté le 45 tours, alors que je n'avais même pas encore de tournedisque, ou d'électrophone, comme on disait à l'époque. Ensuite, pendant tout l'été 1974, j'ai cherché des informations, je voulais en savoir plus, mais je ne trouvais pas. Il n'y avait rien dans la presse française, qui me semblait parler toujours des mêmes artistes, avec une fixation pour le groupe anglais The Rubettes. J'avais l'impression d'être le seul à aimer ABBA…
Dans mon dernier livre, Un adolescent des années 70. Ma vie avec ABBA, je raconte en parallèle ma vie personnelle et la manière dont le groupe m'accompagne pendant mon adolescence. Mon amour pour ABBA m'ouvre une phase créative, je dessine, je peins, je construis un théâtre dans le sous-sol de ma maison pour monter des spectacles avec ma cousine, je crée des costumes en bricolant avec la machine à coudre de mon arrière-grand-mère… Surtout, ABBA est là pour moi lorsque ça ne va pas et que je n'ai pas le moral. Par moments c'est une vraie bouée de sauvetage.
Mon livre s'arrête à 18 ans, lorsque je quitte le Nord de la France pour aller vivre à Paris. Ensuite, dans les années 80, ABBA est toujours en moi, je découvre la Suède, je tombe amoureux des pays scandinaves… Je travaille alors dans le marketing pour les parfums Yves Saint Laurent, mais à la fin de la décennie je quitte ce poste pour travailler dans l'audiovisuel. À partir de là, je vais tout mettre en œuvre pour faire un documentaire sur ABBA, dont je trouve bizarre qu'on ne parle plus : c'est comme si le groupe était totalement oublié, ce n'est pas normal… En 1991 je pars à Stockholm et Stig Anderson, le manager d'ABBA, me dit : “Vous tombez à pic, je suis en train de travailler avec le label PolyGram sur un énorme revival pour l'année prochaine ! ” Mon film, Thank You ABBA, va être distribué au niveau international, et c'est ainsi que commence mon parcours de biographe, au même moment où ABBA sort de son tunnel. »
Un tunnel dans lequel le groupe est entre-temps devenu culte au sein d'une communauté…
« Un jour, je leur ai demandé : “Comment êtes-vous devenus des icônes gay ? ” Bjorn m'a répondu : “Je ne sais pas, mais j'ai une immense gratitude pour la communauté homosexuelle, qui est tombée amoureuse de notre musique et qui n'a pas cessé de nous soutenir quand on était has been dans les années 80”…

C'est une communauté qui adore danser, même si ABBA n'est pas un groupe disco: c'est un groupe pop, contrairement à ce que suggèrent les journalistes en France qui n'arrêtent pas d'utiliser des formules du style “les rois du disco”… Le seul album vraiment disco d'ABBA est Voulez-Vous, en 1979, suivi du single “Gimme ! Gimme ! Gimme ! (A Man After Midnight)”, littéralement “Donnez-moi un homme après minuit”. Voilà un texte qui vous parle si vous êtes gay ! Les titres d'ABBA facilitent l'approche, vous êtes sur une piste de danse, vous vous regardez, et avec ces paroles la moitié du travail d'approche est faite… Bien sûr, il y a aussi l'image d'Agnetha et Frida, leurs costumes flamboyants, qui seront repris à partir des années 90 par les drag queens. Elles sont des archétypes de divas et des icônes gay un peu avant l'heure. »
i ABBA en 1979 (photo : Wikimedia
Commons / Anders Hanser).
Quel est l'univers émotionnel d'ABBA ?
« Les membres d'ABBA dégagent une image saine, souriante, solaire par rapport aux groupes de rock de l'époque. Ce sont deux couples dans la vie, et les gens le sentent tout de suite, avant même de le savoir : deux couples plutôt sages, sans histoires à droite et à gauche avant les séparations de 1979 et 1981, deux couples qui ne font pas de vagues dans la presse à scandale… Mais il y a un paradoxe dans les chansons d'ABBA : vous avez ce côté joyeux, qui donne envie de bouger, qui vous tire vers le haut, qui vous fait du bien, et en même temps, dans les paroles, une mélancolie parfois déchirante, quelque chose de sombre. Il y a chez ABBA cette joie et cette tristesse en même temps, confondues, mélangées dans les chansons. »
Qu'est-ce qui fait qu'ABBA n'est pas juste une étoile filante comme tant de groupes vainqueurs de l'Eurovision ?
« L'Eurovision a été un tremplin pour se faire connaître instantanément sur le marché international que le groupe voulait conquérir. Sans ce concours, Björn m'a dit qu'ABBA aurait mis beaucoup plus de temps à s'imposer. Mais le quatuor existe déjà avant de porter ce nom et ses membres sont des artistes confirmé-e-s dans leur pays. Agnetha est une chanteuse de variété qui a déjà un énorme succès, Frida est dans le jazz, Bjorn, le guitariste, a un groupe qui fait du folk et de la country, Benny joue des claviers dans les Hep Stars, que l'on a souvent appelés “les Beatles suédois”, et il s'est également nourri d'Elvis Presley, des Beach Boys, de chanson française, de Bach et Beethoven… Tous ces ingrédients, on les retrouve dans la musique d'ABBA. Ce n'est pas un groupe de musique légère, il y a une vraie richesse, des mélodies fortes et inventives, des compositions et des arrangements incroyables.
En France, je regrette qu'ABBA soit encore un groupe mal compris et un peu trop pris à la légère, parce qu'ailleurs, c'est tout le contraire. À partir du revival des années 90, beaucoup d'artistes ont commencé à dire que oui, ils aimaient ABBA et ils en avaient été influencés. C'est le cas d'Elvis Costello, de Bono, ou encore de Pete Townshend des Who, qui a déclaré que “SOS” est une des plus grandes chansons jamais écrites. »
1 Le glam rock est un « mouvement venu d'Angleterre qui mélange un rock simple, mélodique, avec des guitares puissantes et des tenues de scène excentriques et glamour ». Un courant dont les artistes,
« David Bowie, Gary Glitter, Marc Bolan, Sparks, Mud ou encore The
Sweet me fascinent par leur androgynie, leur folie douce et leurs costumes pailletés », écrit Jean-Marie Potiez dans Un adolescent des années 70 (Ma vie avec ABBA), Éditions OLAA, 2021.
Rencontre Sa 3.12/14h30

Il était une fois… ABBA
Rencontre avec Jean-Marie Potiez
→ BM Cité / Le Multi ○ Tout public
Durée : env. 2h △ Sur inscription: bmgeneve.agenda.ch
u Jean-Marie Potiez adolescent avec sa cousine après avoir découvert ABBA en 1974.

Les milles planètes
Plus d'un quart de siècle et plus de mille épisodes pour son émission à la croisée des musiques du monde, de l'écologie et de la science-fiction. d’Yves Blanc
Texte : Francesca Serra
i Yves Blanc dans son studio, vu par Caza. Le journaliste et auteur sera l’invité des Bibliothèques municipales le 8 décembre pour une discussion sur l’évolution du monde radiophonique (suivie d’un atelier d’initiation à la Webradio avec Fabien Duperrex).
L’utilisation de la bande FM prendra fin en Suisse le 31 décembre 2024 pour faire place au système DAB, Digital Audio Broadcasting, qui consiste à numériser et optimiser les signaux des radios avant de les diffuser par la voie des ondes hertziennes. De plus en plus répandue, cette technologie réduit l’écart entre les deux grands modèles de radiodiffusion : celui des radio traditionnelles, qui diffusent sur les ondes mais aussi, de manière croissante, sur Internet, et celui des webradios, nées en ligne, qui peuvent désormais ajouter le canal DAB pour toucher un public plus large, comme le fait la chaîne genevoise Radio Vostok.
Aujourd’hui, l’écoute de la radio sur Internet représente les trois quarts de la consommation radiophonique nationale. Selon les derniers sondages, seules 12 personnes sur 100 écoutent encore la radio exclusive-
ment grâce à la FM. Ce passage marque l’aboutissement de la révolution mise en marche par l’émergence des webradios à l’aube des années 2000. D’abord réservées à des chevronné-e-s d’informatique, ces structures radiophoniques indépendantes se sont peu à peu démocratisées.
D’un point de vue technique, la diffusion des stations de radio en ligne se réalise à partir d’un logiciel de streaming et d’un hébergeur Web, nécessitant très peu de moyens humains et financiers. Une souplesse organisationnelle qui a amené une explosion géographique — il n’y a plus les limitations de zone de couverture imposées par la bande FM —, mais aussi un renouvellement des genres et une diversité inouïe. Pourtant ce nouveau format est menacé dans sa longévité, ces radios numériques fonctionnant souvent sur la base de l’engagement bénévole..
Première libération des ondes
Témoin d’exception de l’évolution de la radio, Yves Blanc a connu la guérilla des ondes qui a eu lieu en France entre 1978 et 1982, avec la multiplication de stations illégales fomentant le débat et la fin du monopole étatique. A propos de cette expérience des radios pirates pendant l’université, il évoque une « ambiance chien fou », l’enivrant parfum anarchiste et créatif des débuts de la FM qui a probablement posé les bases de son journalisme sans compromission.
Collaborateur pour un magazine scientifique, rédacteur chef de l’émission « Mégamix » sur Arte ou de « Culture Club » sur France Inter, Yves Blanc participe aux projets les plus novateurs du paysage radiophonique francophone. En 1995, à la demande de la chaîne romande Couleur 3, il crée l’émission « La Planète Bleue », un magazine futuriste qui ouvre un nouvel espace sonore en télescopant les géographies, mais aussi les époques. « C’était le type de radio que j’avais envie d’écouter avec mes potes, quelque chose qui parle du futur et du monde entier, pour proposer autre chose que de rigoler sur des blagues creuses » .
Le défrichage musical s’intercale de sujets du culture et d’interrogations sur l’état du monde, portés par une voix qui chuchote à l’oreille du public. D’abord hebdomadaire, l’émission devient mensuelle et son auteur s’installe dans un village du Vercors pour continuer à concevoir avec minutie la production de « La Planète Bleue » .
Pour préparer sa millième édition, diffusée en mai dernier, il a travaillé six mois, appliquant le même soin qu’un peintre réalisant une toile. Le journaliste et auteur se compare plutôt à un musicien, lorsqu’on échange à propos du paysage radiophonique contemporain. « Je constate une désolante uniformité des propositions, du coup je me limite à écouter les nouvelles chaque matin. Un musicien m’avait confié qu’il ne fallait rien écouter avant de monter sur scène, du coup j’ai l’impression de me trouver, moi aussi, backstage, dans un état de concentration semblable, avant de produire mes contenus. » Pépites et précurseurs
On l’imagine volontiers comme un ermite savant, Yves Blanc demeure ouvert et honore son rôle de passeur de raretés. Une multitude de morceaux inédits lui est envoyée par des musicien-ne-s et des labels disséminés tout autour du globe. Dans une des dernières émissions, il dévoile des morceaux qui lui ont été légués par le musicien Igor McRams, un des précurseurs de l’electronica, le versant expérimental et moins dansant des musiques électroniques. La signature sonore d’Yves Blanc, jouant entre primitif et futuriste, vient aussi de rencontres significatives, dont celle avec Martin Meissonnier, producteur musical avec qui il collabore pour l’émission « Mégamix » .
« Meissonnier figure parmi les cinq personnes ayant contribué à l’émergence de la scène world music, qu’on appelait à l’époque sono mondiale, avec d’autres pointures telle que David Byrne, Brian Eno, Jon Hassell ou Jean-Francois Bizot, l’homme extraordinaire à l’origine de Radio Nova et du magazine Actuel » précise Yves Blanc depuis les contreforts du Vercors. « Meissonnier a compté parmi les premiers à organiser ces télescopages entre tradition et anticipation, tribal et digital. Il a une connaissance et un respect pour ces musiques, à l’inverse de certains DJ qui se limitent à prendre un sample et à le coller sur une boîte à rythmes. En 1989, il sort le premier disque de la chanteuse Amina, jeune femme arabe qu’il l’entraîne dans le monde technoïde, en ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. » En 1995, à la demande de la chaîne romande Couleur 3, il crée l’émission « La Planète Bleue », un magazine futuriste qui ouvre un nouvel espace sonore en télescopant les géographies, mais aussi les époques.
Pensée inapprivoisée
« La Planète Bleue » ne commente pas l’actualité, elle fournit des points d’écoute et de vue originaux, entre la rigueur et la témérité de son investigation. Grâce au montage et au mixage, la forme est ciselée, tracée au rasoir. Pas de direct, pas de bavardage, mais un concentré de références ultra précises en matière d’innovation artistique, du cinéma à la littérature en passant par la bande dessinée, avec toujours, en fil rouge, l’écologie.
En presque trois décennies, le concept reste fidèle à lui-même. Pertinent et concis, Yves Blanc relate les déboires d’une planète dévorée par le béton, les ordures et les déchets nucléaires, mais il apporte des pistes de réflexion et d’action, en offrant aujourd’hui un écho aux idées de ré-ensauvagement, qui consiste à prendre des milieux naturels et à les soustraire à l’activité humaine. Écarter l’agriculture, la chasse, le tourisme, laisser respirer la nature : dès que la présence humaine se retire, le sauvage réapparaît. Un monde animal qui le fascine et dont Yves Blanc relate l’intelligence et la poésie, comme lorsqu’il compare littéralement la menace d’extinction de la baleine bleue à « la fin du plus grand rêve », se demandant à quoi peut rêver le plus gros cerveau de la Planète.
En ligne : laplanetebleue.com/fr radiovostok.ch/category/programme/planete-bleue
u Yves Blanc dans son studio, vu par Marvano.

Rencontre / atelier Je 8.12/19h
Navigation sur les streams de la Planète Bleue
Rencontre avec Yves Blanc et la radio, suivie d'un atelier d'initiation à la Webradio avec Fabien Duperrex, artiste et media designer → BM Cité / Espace le 4e ○ Tout public
Durée : env. 2h △ Sur inscription : bmgeneve.agenda.ch
Rencontre animée par Charles Menger (Radio Vostok)