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« Visant Constantine, Philippeville et de nombreux centres du nord-constantinois, un sanglant mouvement insurrectionnel déclenché samedi à midi est écrasé en quelques heures » titre L’Echo d’Alger du 21 août 1955. Déclenchée le 20 août 1955 par l’Armée de libération nationale, la branche armée du FLN, avec le soutien d’une partie de la population, l’attaque vise simultanément une quarantaine de centres dans le nordconstantinois. On parle de « massacres des Européens », de répression féroce des parachutistes français avec « une centaine de victimes algériennes pour chaque victime européenne ». Au total, 133 civils européens au moins, 45 membres des forces de l’ordre et 35 musulmans francophiles ont été tués. Il est difficile de dénombrer les morts parmi les insurgés estimés à 6000 ou 7000. Au travers de l’étude de nombreuses sources françaises (administration, justice, police, armée, militaires appelés, pieds-noirs, presse) et algériennes (membres du FLN et de l’ALN, presse, archives), complétée par une importante recension de la presse mondiale, l’auteur revient sur les causes invoquées de ce soulèvement qui sont nombreuses et parfois hypothétiques. Il retrace l’organisation minutieuse de l’insurrection comme de la répression et analyse leurs conséquences sur ce qui allait devenir la guerre d’Algérie. Roger Vétillard, médecin cancérologue-pneumologue, est né à Sétif en 1944. Passionné par l’histoire de l’Algérie contemporaine, il y consacre de nombreuses recherches. Il est l’auteur de « Sétif, mai 1945 : massacre en Algérie » (éditions de Paris, Versailles, 2008) qui a reçu le prix Robert Cornevin de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (2008).

Prix 20 € ISBN : 978-2-36013-095-5 Riveneuve éditions 75, rue Gergovie 75014 Paris

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Roger Vétillard

20 Août 1955

dans le nord-constantinois Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

20 Août 1955 dans le nord-constantinois

20 Août 1955 dans le nord-constantinois

Roger Vétillard

Roger Vétillard

Préface de Guy Pervillé

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Préface Roger Vétillard n’est pas un historien de métier, et pendant longtemps son nom m’est resté inconnu. Né à Sétif en 1944, « rapatrié » en 1962, il était devenu médecin à Toulouse et maireadjoint de sa commune de résidence. Pourtant, depuis quelques années, il s’est fait connaître comme le principal spécialiste des événements sanglants qui ont endeuillé sa ville natale, ses environs, et aussi la ville et la région de Guelma, lors de l’insurrection et de la répression de mai 1945. Son livre intitulé Sétif, mai 1945, massacres en Algérie, publié en janvier 2008 par les Editions de Paris, et réédité en janvier 2011 par les mêmes éditions, a bénéficié d’un succès mérité. En quoi se distinguait-il des nombreux autres travaux consacrés au même sujet depuis presqu’une vingtaine d’années ? Essentiellement par le fait qu’il allait chercher ses informations, écrites et orales, avec la plus totale impartialité, en recourant notamment aux témoignages et aux témoins de tous les bords, grâce aux relations cordiales qu’il avait commencé à nouer à Sétif dans sa jeunesse, et grâce aux témoins de toutes origines qui ont pris contact avec lui après avoir lu la première version de son livre. C’est d’ailleurs pourquoi il a dû rajouter ou modifier de nombreux détails dans sa deuxième édition, très sensiblement augmentée. Au contraire, trop de films documentaires et même de livres publiés sur ce sujet depuis 1995 ont présenté une vision biaisée de ces événements tragiques, dans la mesure où leurs auteurs ont cru que la vérité historique devait nécessairement suivre la vérité politique, et que les déclarations des acteurs et témoins algériens avaient, par nature, plus de valeur que celles des témoins français « rapatriés » d’Algérie. En effet ces déclarations, d’après eux, n’avaient de valeur que dans la mesure où elles confirmaient celles des Algériens. Etant donné que leurs auteurs avaient, presque tous, vidé les lieux après l’indépendance, il en résultait que les témoins algériens restés sur place pouvaient arranger leurs récits sans craindre d’être démentis, ou en tout cas sans craindre que les objections opposées à leurs déclarations soient prises en considération par des enquêteurs 7

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Avant-propos Lors de mes recherches précédentes1, j’ai noté que des images d’août 1955 à Philippeville et dans sa région illustrent souvent les événements de mai 1945 à Sétif et dans sa région. Et dans les récits mémoriels les souvenirs de 1955 sont parfois rapportés comme étant survenus dix ans plus tôt. Deux exemples, sur le site internet de la ville de Collo on parle des méfaits d’un croiseur de la Marine Nationale Française qui a ouvert le feu sur la périphérie de la ville en mai 1945 (cela ne s’est produit qu’en août 1955) et un de mes correspondants me raconte les événements de Jemmapes de 1955 en m’affirmant qu’ils se sont produits en 1945. J’ai vécu jusqu’en 1961 dans l’Est Algérien et j’ai gardé le souvenir de la Une de La Dépêche de Constantine du 24 août 1955 avec la photographie de soixante cercueils dont ceux de six militaires alignés au cimetière de Philippeville lors des obsèques des victimes européennes du 20 août. Et quand j’ai voulu savoir la raison pour laquelle des photographies de la guerre d’Algérie montrent des cadavres de musulmans alignés sur la piste du stade de Philippeville, j’ai mis au jour une histoire méconnue de beaucoup de Français y compris de ceux qui habitaient l’Est Algérien à cette époque. Il ne reste dans leur mémoire que le nom d’El Halia, archétype des horreurs dont le FLN s’est rendu coupable. En voulant dès novembre 2007 m’informer sur ces événements, je n’ai trouvé en France aucun ouvrage sur le sujet, pas de mémoire ou de thèse universitaire2. Ce n’est qu’en février 2011 qu’est édité un livre sur le sujet3. Pourtant cette auteure ne référence pas cette période 1. Roger Vétillard, Sétif Mai 1945, Massacres en Algérie, Editions de Paris, 2008, 591 p. 2. Je ne retiens pas cette hypothèse évoquée par deux amis historiens selon laquelle l’amnistie réciproque des faits relatifs à la guerre d’Algérie imposée par les accords d’Evian empêcherait d’évoquer les méfaits d’août 1955. On sait que ces accords n’ont pas été, loin s’en faut respectés par la partie algérienne (cf. Guy Pervillé : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=30#nh3). 3. Claire Mauss-Copeaux, Algérie 20 août 1955, Insurrection, répression, massacres, Payot éd. Paris 2011, 279 p. 11

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comme une date importante4 dans une enquête publiée en 1998 où un seul des appelés interrogés (sur trente-neuf anciens combattants d’Algérie) évoque ces événements. Elle y écrit toutefois que « le 20 août 1955 est une date jugée essentielle. Jusqu’au début des années 1990, la plupart des historiens considéraient qu’elle marquait le véritable début de la guerre d’Algérie […] Le fait apparaît cependant dans les annexes qui accompagnent les ouvrages historiques. Toutes les chronologies présentent et soulignent son importance 5 », sans que cette annonce ne trouve de réelle justification dans son texte. Néanmoins son livre publié en 2011 apporte quelques éléments nouveaux, certes partiels et partiaux, avec toutefois tout l’intérêt d’une enquête de terrain. Le sujet est bien sûr évoqué par presque tous les auteurs qui ont écrit sur l’histoire de la guerre d’Algérie, mais au mieux il ne lui est consacré que quelques lignes, rarement plus d’une page. Harmut Elsenhans consacre moins d’une page à ces journées dans un livre qui en comporte plus de mille6. Et il n’est pas rare de retrouver d’un auteur à l’autre les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes chiffres (ou plus exactement l’un ou l’autre des deux bilans publiés concernant les victimes européennes), les mêmes analyses. Dans la plupart des travaux le 20 août 1955 n’est pas retenu comme une date de référence de la guerre d’Algérie. Yves Courrière en parle brièvement7 tout comme Philippe Bourdrel8. L’article le plus complet est celui de Charles-Robert Ageron9 paru en 1997. On doit citer également la publication concise et précise de Benjamin Stora10 qui fait suite à sa communication de trois pages sur le sujet au colloque de Montpellier des 5 et 6 mai 200011. On peut signa4. Claire Mauss-Copeaux, Appelés en Algérie, pp 110/134, Hachette Lit. éd. Paris 1998, 333 p, ISBN 2-01 279052-6. 5. Claire Mauss-Copeaux : http://ens-web3.ensllsh.fr/colloques/francelgerie/communication.php3?id_article=276 .. 6. H. Elsenhans, La guerre d’Algérie, Publisud éd. Paris 2000. 7. Yves Courrière, La guerre d’Algérie, 1954-1957, pp 548/565, Fayard éd. Paris 2005, 950 p, ISBN 2-213-61118-1. 8. Philippe Bourdrel, Le livre noir de la guerre d’Algérie pp 53/61, Plon éd. Paris 2003. 9. Charles-Robert Ageron, L’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois pp 535/553, Genèse de l’Algérie algérienne, Bouchene éd. Bruxelles 2005, 685 p. 10. Benjamin Stora, Le massacre du 20 août 1955 : récit historique, Bilan historiographique, Historical Reflections vol 16, N° 2, Summer 2010, pp 97/107 (11). 11. Colloque organisé par le Centre d’Etudes d’histoire de la Défense – in Militai12

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Avant-propos

ler des études « grand-public » parues dans un numéro spécial d’Historama12, dans Historia13 et un article de Philippe Lamarque en juin 201114. Enfin, témoignage d’un intérêt récent sur ce thème, Michel Mathiot a entrepris une recherche sur le sujet qu’il compte publier en 201315 et l’important livre de Roger Le Doussal commissaire des Renseignements Généraux qui a vécu cette période dans la région de Bône comme témoin et acteur consacre plus de trente pages à ces journées16. Les souvenirs du général Paul Aussaresses17 dont la publication a fait beaucoup de bruit en 2002, ne sont pas à prendre au pied de la lettre, j’y ai relevé bien des erreurs. La mémoire est parfois infidèle et peut travestir les faits vécus. Et il y a probablement dans ces écrits une part de provocation et une autre de mégalomanie. Mes tentatives pour rencontrer le général ont été vaines. En Algérie, les constatations sont différentes. Si Mahfoud Khaddache ne consacre que quelques lignes à cet épisode dans son ouvrage sur la guerre d’Algérie18, l’article de Youcef Girard19 paru en Août 2010 dans plusieurs publications algériennes présente le point de vue algérien20 pour lequel quatre articles de Mahfoud Bennoune21 repris par Amazit Boukhalfa22 servent souvent de référence. Ici, les articles sont quasiment identiques d’une publication à l’autre, d’une année sur l’autre. A l’évidence ils récitent un bréviaire définitif. C’est ce que res et Guérilla dans la Guerre d’Algérie 6 J-C. Jauffret et Maurice Vaïsse – Complexe éd. – Bruxelles 2001- pp 276/279 – 561p – ISBN 2-87027-853-5. 12. Historama, Histoire Magazine n° 9 – Novembre 1984. 13. Historia Magazine, n° 206 – 1971 14. Philippe Lamarque, La tragédie du 20 août 1955 à Philippeville, guerre d’Algérie, guerre d’Indochine pp4/15, n° 24, juin 2011. 15. Michel Mathiot travaille à la publication d’une étude dont la publication est prévue en 2013 sur le thème suivant : Monographie micro-historique de Philippeville, ses quartiers et ses habitants au moment du 20 août 1955. 16. R. Le Doussal, Commissaire en Algérie pp 282/328, Riveneuve éd. Paris 2011. 17. Paul Aussaresses, Services spéciaux en Algérie 1955-1957, Perrin éd. Paris 2001, 197 p, ISBN 2-262-01761-1 18. Mahfoud Kaddache, « Les tournants de la guerre de libération au niveau des masses populaires », in La guerre d’Algérie et les algériens 1954-1962, p. 65. 19. http://www.ism-france.org/news/article.php?id=14291&type=analyse&lesuje t=Histoire. 20. http://nadorculture.unblog.fr/2010/08/23/1le-plan-de-zirout-2-allahou-akbar-3la-vengeance/. 21. El Watan 24 août 1998. 22. http://www.algerie-dz.com/article1040.html. 13

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reconnaît Boukhalfa Amazit « Le 20 août 1955, cette opération politique et militaire d’envergure, demeure jusqu’à présent peu connue, mais aussi et surtout insuffisamment et mal analysée »23. On sait l’importance attribuée au 20 août en Algérie qui célèbre ce jour là, la Journée Nationale du Moudjahid24 pour évoquer le soulèvement de 1955 dans le Nord-Constantinois à l’initiative de Zighoud Youcef25, mais aussi le Congrès de la Soummam de 195626 et celui du CNRA27 au Caire en 1957 dont les dates ont été choisies en référence aux événements de 1955. Ce sont des moments décisifs du combat pour l’indépendance de l’Algérie, épisodes fondateurs de la nation algérienne. La consultation des sites des représentations diplomatiques algériennes28 en Europe ou au Canada confirme que le 20 août 1955 n’est pas donné comme un repère historique important : la relation quand elle existe en est très édulcorée29. Sur le site de l’ambassade d’Ottawa un éphéméride égrène les dates importantes de la guerre d’Algérie mais ignore le 20 août 1955. Seule l’étude de Mahfoud Bennoune parue dans un quotidien algérois en 199830 est détaillée. Autre exemple, dans le livre d’El Yazid Dib31 qui reprend les textes de cent quatre-vingt chroniques hebdomadaires qu’il a fait paraître dans Le Quotidien d’Oran, trois d’entre elles évoquent mai 1945, deux font référence au 1er novembre 1954, aucune au 20 août. La référence à 23. http://www.algerie-dz.com/article1040.html. 24. Moudjahid : Combattant du Djihad (maquisard) alors que fedaï est le combattant des villes (pluriel fedayin). 25. La dénomination Zighoud Youcef est souvent retrouvée. Selon Ali Kafi et plusieurs de mes interlocuteurs algériens, c’est celle de Zighoud avec un d qui est la bonne et celle de Youcef qu’il faut adopter. 26. Le Congrès de la Soummam a lieu le 20 août 1956 dans les villages d’Ighbane et Ifri dans la commune d’Ouzellaguen en Kabylie. Il fut organisé par Abane Ramdane et Larbi Ben M’Hidi. Ce congrès a affirmé la primauté du politique sur le militaire et a divisé l’Algérie en 6 régions ou willayas. Les Algériens considèrent que cette réunion a été déterminante pour la réussite de la guerre d’indépendance. 27. Conseil National de la Révolution Algérienne. 28. http://www.consulatgeneralalgeriemilan.it/ALGERIE/histoire.htm par exemple. 29. « Le 20 août 1955, le Nord-constantinois connaît une multitude d’opérations militaires menées par les combattants de l’Armée de Libération Nationale (ALN) contre des casernes et autres édifices de l’armée d’occupation. » 30. El Watan n° 2358 - 2359 - 2360 – 2361du 23 au 26 août 1998. 31. El Yazid Dib, Le témoin obscur, Ethika éd. Alger 2010, ISBN 978-9947-03107-0. 14

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Avant-propos

1955 est rare dans les écrits publiés et bien des détails restent ignorés à l’inverse du 8 mai 1945 ou du 1er novembre 1954 où les légendes développées à leur propos et l’histoire détaillée sont à chaque fois relatées. On parle des douze mille morts du 20 août 1955 alors qu’il n’y eut ce jour là que sept cents morts parmi les insurgés et que les trois semaines de représailles qui ont suivi ont été bien plus cruelles. Cette réticence à l’évocation de ces journées se retrouve dans de nombreux récits des acteurs de ces moments. Les refus de témoigner ne sont pas rares au point que je m’interroge sur la réalité de la participation à ces événements de plusieurs de mes interlocuteurs. Le meilleur exemple est celui d’Ali Kafi ancien responsable de la Zone 2 de l’ALN (branche armée du FLN) en 1955 avant d’en être le chef militaire. Il sera de 1992 à 1994 le président du Haut Comité d’Etat algérien succédant à Mohamed Boudiaf avant de transmettre ses pouvoirs à Liamine Zeroual. Dans ses mémoires32, il évoque plus d’une douzaine de fois « le 20 août 1955 qui représente le summum du défi, l’intelligence de la vision planifiée, la hardiesse du sacrifice 33 », mais à aucun moment il ne décrit ce qu’il a vécu et ne rapporte de détails de cette opération. Le bilan de ces journées qu’il livre est celui du Musée National du Moudjahid (109 Européens tués). Pourtant, le général Kafi transcrit avec moult détails à plusieurs reprises le récit de batailles et d’actions parfois insignifiantes menées par ses hommes. De la même façon, la lecture des souvenirs de Mohamed Bouslama34 surprend : sont évoqués les souvenirs de 1945, de 1955 avant le 20 août et rien ne concerne le 20 août à Oued Zénati auquel cet ancien maquisard de la zone II aurait participé. Cette réserve de plusieurs anciens de l’ALN de la région de Philippeville et chez un algérien témoin des actions d’Aïn-Abid peut être également remarquée sur un site destiné aux enseignants algériens35. Cette frilosité paraît désormais dépassée avec la publication en arabe d’un numéro spécial de la revue Al Madina en août 2005 consacré au 20 août 1955, avec la première version du témoignage de Brahim Ayachi qui méritera une analyse spécifique, l’annonce de la tenue d’un colloque en octobre 2011 à Skikda et celle 32. Ali Kafi, Du militant politique au dirigeant militaire, Casbah éd. Alger 2002, 412 p,– ISBN 9961-64-384-4. 33. op.cit. p 61. 34. El Watan 15/01/2009. 35.http://langues.superforum.fr/histoire-de-l-algerie-f56/les-offensives-du-20aout-1955-t34.htm. 15

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de la réalisation d’un film sur Zighoud Youcef par le britannique Ken Loach avec Bachir Derraïs comme producteur en 2012. J’ai donc lu beaucoup de documents et de publications qui parlent peu ou prou de ces événements. J’ai retrouvé des témoins et des acteurs directement concernés. Beaucoup en France et en Algérie ont accepté de m’aider. J’ai recueilli les témoignages de cinquante-cinq Européens d’Algérie dont trois fonctionnaires préfectoraux, deux administrateurs civils, neuf militaires d’active (dont deux officiers généraux et un officier supérieur), treize appelés, un commissaire de police, un journaliste, un Français d’origine algérienne et seize algériens36. Ils sont des témoins directs ou des acteurs de ces événements37. Les militaires sont intervenus avec leurs unités dans la région entre le 20 août et le 30 septembre (plus tard pour deux d’entre eux). Grâce à des amis algériens, j’ai échangé des messages électroniques ou des conversations téléphoniques avec des anciens de l’ALN. Certains témoignages me sont parvenus via un interprète. Mais d’autres ont refusé de collaborer38. J’ai retrouvé des documents inédits. J’ai également rencontré les enfants d’un ancien responsable de l’ALN de la willaya 2 qui m’ont permis de consulter des documents. Le livre d’Ali Kafi39 est une référence importante. J’ai reçu en mai 2011 la traduction d’un article, écrit en arabe, extrait des mémoires d’Ali Kafi qui parle des fausses-informations relatives au 20 août40 mais les précisions manquent. Au fil de mes recherches je me suis intéressé à des développements collatéraux, comme l’affaire des gendarmes filmés tirant sur un homme qui s’enfuit sur un chemin ou sur une femme tuée sous une « raïma 41 », films utilisés également pour illustrer les « massacres de Sétif de 1945 » sur Internet. De la manipulation peut-être car il est surprenant que des militaires se soient livrés à ces exécutions devant 36. J’ai retrouvé plusieurs des témoignages qui m’ont été envoyés quelques semaines plus tard dans la presse algérienne. 37. Certains très jeunes à l’époque ont transmis des souvenirs que leur mémoire a pour une part reconstruits, phénomène bien connu des psychologues de l’enfance. 38. Nombre d’algériens n’ont pas répondu à mes sollicitations, notamment deux « chercheurs en histoire » qui publient des analyses sur Internet ou dans la presse francophone en donnant leurs coordonnées. 39. Ali Kafi : op.cit. 40. Cet article a été repris en grande partie par El Madina d’août 2005. 41. Sorte de tente utilisée par les Bédouins. 16

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Avant-propos

des journalistes alors que le film s’arrête rapidement sans montrer les cadavres. Et une émission télévisée diffusée quarante ans plus tard avec le journaliste impliqué semble évoquer une mise en scène. J’analyse cela de façon plus détaillée au chapitre six. En ce mois d’août 1955, une succession de drames atroces endeuille l’Algérie et la France. « Les rebelles voyaient de plus en plus grand : dans l’été brûlant, ils lancèrent les populations civiles contre l’armée »42. La willaya43 du Nord-Constantinois déclenche, avec l’aide de la population musulmane, une attaque coordonnée, un djihad, contre une quarantaine de centres situés dans le quadrilatère ColloBône-Constantine-Guelma44. Cette action que certains responsables du FLN ont pu qualifier d’opération-suicide fut un carnage aboutissant à l’assassinat dans des conditions insoutenables de plus d’une centaine d’Européens et de plusieurs dizaines de civils musulmans francophiles et à la mort au combat de plusieurs dizaines de militaires français. La riposte immédiate a fait plusieurs centaines de victimes parmi les assaillants et la répression qui a suivi a été à l’origine de très nombreuses autres victimes. Elle a fauté essentiellement en confondant musulmans et rebelles, et en punissant les uns des crimes commis par d’autres en vertu du principe inique de répression collective. Cet épisode a-t-il été un épiphénomène de la guerre d’Algérie ou en a-t-il été le tournant ? C’est la question à laquelle je tente de répondre. Les noms des lieux que je cite sont ceux de la période française de l’Algérie (je donne les noms actuels) et même si l’exercice est difficile j’ai employé le vocabulaire le plus neutre possible pour désigner les acteurs de ces tristes journées, en gardant les termes utilisés par mes sources. Pour nommer les participants à ces journées, j’ai utilisé les qualificatifs présents dans les témoignages et les documents. Ainsi pour désigner les musulmans acteurs de ces journées, je parle des arabes, des indigènes, du FLN, des fellaghas, des Français-musulmans, des Français de souche algérienne quand les sources proviennent surtout des pieds-noirs, des fells, des fellaghas, des fellouzes si ce sont des témoignages émanant de militaires, de soldats français, de colons et de membres de l’ALN, de moudjahid (moudjahidin au pluriel), de 42. Alice Ferney, Passé sous silence p17, Actes Sud éd. Arles, 2010 – 204p, ISBN 978-2-7427-9212-2. 43. En fait le terme de willaya n’a été utilisé qu’à partir de 1956 après le Congrès de la Soummam. Auparavant, c’est celui de zone (mintaka) qui est pertinent. 44. Cf. carte annexe 2. 17

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combattants si la source est algérienne et enfin de rebelles, d’insurgés, de hors la loi termes retrouvés dans les articles de la presse ou les rapports officiels. Enfin j’ai choisi de donner presque tous les noms qui m’ont été communiqués par les témoins et ceux retrouvés dans les archives pour que chaque lecteur, chaque historien puisse vérifier la qualité de mes sources que je ne peux pas parfois dévoiler. Cela alourdit peut-être le récit et n’a pas dans la relation des faits une importance majeure, mais comme on pourra le constater avec Brahim Ayachi, peut permettre de poser certaines questions et d’apporter des réponses. Certains épisodes bénéficient de deux versions : l’une émanant des milieux algériens, l’autre des Français qui résidaient dans les localités où les assauts furent donnés. Il est difficile d’en faire une synthèse : j’ai conservé les deux textes et leur vocabulaire qui ne sont pas toujours contradictoires, mais parfois complémentaires. Cette nouvelle édition est revue, complétée et corrigée. En effet, quand on travaille sur un sujet d’histoire contemporaine, le chercheur a souvent la chance d’être lu par des acteurs et des témoins des événements étudiés. Ceux-ci réagissent en lui communiquant commentaires, témoignages, documents et critiques dont il faut tenir compte. Les réactions ont été nombreuses et je tiens à remercier mes correspondants et tout particulièrement Jean-Claude Rosso pour son enquête importante et précise sur les morts et disparus, André Spiteri pour tout ce qu’il m’a apporté concernant la ville de Collo, Georges Camillieri pour les informations relatives à Constantine, Michel Mathiot pour sa collaboration relative à Philippeville et surtout El Halia, Geneviève Oberdoff qui m’a ouvert ses archives familiales et Jean-Jacques Rochette pour les précisions concernant Jemmapes. De nombreux détails sont ajoutés. Quelques-uns sont précisés, d’autres controuvés sont corrigés. Et surtout le bilan des victimes a été revu et vérifié. J’ai, pour la première édition, fait l’erreur de faire une confiance aveugle aux bilans publiés par des organismes officiels (gouvernement général, magistrature, ministère de l’intérieur, rapports de police ou de gendarmerie, etc.). Les anomalies sont nombreuses liées à une mauvaise transcription des patronymes, à une mauvaise connaissance des situations familiales et à des confusions géographiques ou d’autres raisons difficiles à imaginer.

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Table des matières

Préface

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Avant-propos

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Entre Constantine et Philippeville le conflit s’installe

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Une stratégie mortifère

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Le Samedi 20 Août 1955 et les jours suivants à Philippeville et ses environs 45 A/ Philippeville (Skikda) B/ Saint-Charles (Ramdane Djamel) C/ Robertville (Em Jez Ed Chich) D/ Col des Oliviers (Aïn-Bouziane) E/ Fil Fila (Carrières de marbre) F/ El-Arrouch (El-Harrouche) G/ Sidi-Mesrich (Sidi Mesguiche) H/ Lannoy (Djendel) I/ Collo (El Qoll) J/ Damrémont (Hamoudi-Krouma) K/ Chekfa L/ Jemmapes (Azzaba) M/ Gastonville (Salah Bouchaour) N/ Beni-Melek O/ Saint-Antoine (El Hedaiek) P/Praxbourg (Bouchtata) Q/ Taher R/ Stora

46 57 60 61 62 62 63 64 66 68 68 70 71 71 71 72 72 72 347

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El Halia « Village martyr » ou « Sur-Evénement » ?

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La journée du 20 août Des menaces connues et négligées Les suites immédiates La CGT et le Parti Communiste sont-ils impliqués ? Une version improbable Les procès El Halia, un « sur-événement »

77 82 85 89 92 95 100

À Constantine et ses environs A/ Constantine B/ Ain-Abid C/ Le Kroubs (El Khroub) D/ Héliopolis E/ A Oued-Zénati F/ El Milia G/ Condé-Smendou (Zighoud-Youcef ) H/ Catinat (Settara) I/ Guelma J/ Bizot (Mourad Didouche) K/ Gounod (Aïn-Larbi) L/ Aïn-Regada M/ Roknia N/ Montcalm (Tamlouka) O/ Bugeaud (Seraïdi) P/ Aïn-Mokra (Berrahal) Q/ Kellerman (El Fedjoudj) R/ Gastu (Zit Emba) S/ Hammam-Meskoutine T/ Bône (Annaba) U/ Penthièvre (Aïn Berda) V/ Ailleurs W/ Le cas de Mila

Des questions et quelques réponses 1/ Pourquoi le 20 août ?

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Table des matières

2/ Les autorités françaises étaient-elles informées de cette opération de l’ALN ? 141 3/ Quelle Répression ? 144 4/ Rapports et témoignages militaires 150 5/ La réaction des évêques d’Algérie : 157 6/ Le retour au calme 157 7/ Le film de la Fox-Movietone 159 8/ Le charnier de Khenchela 162 9/ Combien de morts ? 165 10/ Août 1955 : répétition du 8 mai 1945 ? 174 11/ La genèse de l’opération ? 176 12/ Le rôles des anglo-américains 178 13/ Les conclusions de Claire Mauss-Copeaux 179 14/ La problématique religieuse 182

Un retentissement International En Grande-Bretagne Aux Etats-Unis La Presse Belge En Espagne La Presse Portugaise La presse danoise En Italie La Presse Suisse La Presse Allemande En Suède En Hongrie En Algérie Dans les pays arabes Au Canada

Les conséquences des journées d’août 1955

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Séparer les différentes communautés 196 Aider la Willaya 1 des Aurès 201 Mobiliser les Masses Rurales et renforcer les effectifs du maquis 202

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20 Août 1955 dans le nord-constantinois. Un tournant dans la Guerre d’Algérie ?

L’évolution de Jacques Soustelle 205 Interrompre les processus de négociations extérieures au FLN 209 « Convertir » les élus modérés 212 Etendre le conflit ? 214 Accéder à une audience Internationale 217 L’impasse politique en France 220 La réaction des « intellectuels » 223 Camus et le terrorisme 225 Le terrorisme collectif comme stratégie de lutte: 227

Conclusions

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Annexe I : Les victimes des insurgés

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I – Les morts européens du 20 août ou décédés des suites de leurs blessures - (133) 247 II. Morts dans les rangs des Forces de l’ordre 252 III. Musulmans tués : 254 IV. Les blessés qui ont survécu après une hospitalisation 255

Annexes II : Les Willayas (Zones) de l’ALN pendant la guerre d’Algérie 259 Annexe III : Carte du Nord-Constantinois indiquant les agglomérations qui ont été le théâtre du soulèvement d’août 1955 260 Annexes IV : Plan de la Ville de Philippeville en 1961

261

Annexe V : Plan de la ville de Constantine en 1952

262

Annexe VI : Zighoud Youcef

263

Annexe VII : Documents de l’ALN parmi d’autres retrouvés en septembre 1955 269 Annexe VIII : Les Témoignages

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Table des matières

Annexes IX : Témoignages de membres des forces de l’ordre 299 Annexes X : Des témoignages algériens

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Annexe XI : Des photos

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Annexes XII : Evolution des actions et exactions enregistrées de 1954 à 1955 en Algérie 320 Annexe XIII : Fac-simile de la condamnation du député Mostefa Benbahmed 323 Annexe XIV : La presse et le 20 août 1955 en Algérie

324

Annexe XV : Témoignage du Général Maurice Faivre

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Index des noms cités

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Bibliographie

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« Visant Constantine, Philippeville et de nombreux centres du nord-constantinois, un sanglant mouvement insurrectionnel déclenché samedi à midi est écrasé en quelques heures » titre L’Echo d’Alger du 21 août 1955. Déclenchée le 20 août 1955 par l’Armée de libération nationale, la branche armée du FLN, avec le soutien d’une partie de la population, l’attaque vise simultanément une quarantaine de centres dans le nordconstantinois. On parle de « massacres des Européens », de répression féroce des parachutistes français avec « une centaine de victimes algériennes pour chaque victime européenne ». Au total, 119 civils européens au moins, 47 membres des forces de l’ordre et 41 musulmans francophiles ont été tués. Il est difficile de dénombrer les morts parmi les insurgés estimés à 6000 ou 7000. Au travers de l’étude de nombreuses sources françaises (administration, justice, police, armée, militaires appelés, pieds-noirs, presse) et algériennes (membres du FLN et de l’ALN, presse, archives), complétée par une importante recension de la presse mondiale, l’auteur revient sur les causes invoquées de ce soulèvement qui sont nombreuses et parfois hypothétiques. Il retrace l’organisation minutieuse de l’insurrection comme de la répression et analyse leurs conséquences sur ce qui allait devenir la guerre d’Algérie. Roger Vétillard, médecin cancérologue-pneumologue, est né à Sétif en 1944. Passionné par l’histoire de l’Algérie contemporaine, il y consacre de nombreuses recherches. Il est l’auteur de « Sétif, mai 1945 : massacre en Algérie » (éditions de Paris, Versailles, 2008) qui a reçu le prix Robert Cornevin de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (2008).

Roger Vétillard

20 Août 1955

dans le nord-constantinois Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

Un tournant dans la guerre d’Algérie ?

20 Août 1955 dans le nord-constantinois

20 Août 1955 dans le nord-constantinois

Roger Vétillard

Roger Vétillard

Seconde édition revue et augmentée Prix 20 € ISBN : 978-2-36013-095-5 Riveneuve éditions 75, rue Gergovie 75014 Paris

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Préface de Guy Pervillé

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