Three Six O | Ausgabe 7 | Oktober 2020

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Journal de l’immersion | 7ème édition | Octobre 2020

Édition spéciale – Yadegar Asisi à Rouen Contempler avec tous les sens Pourquoi continuer à peindre ?  Une conversation entre Yadegar Asisi et Bazon Brock Auteur: Aixa Navas Valbuena   Entre nous et le motif Identités culturelles  Auteur: Fanny Thiel avec un commentaire de Frédéric Sanchez Auteur: Juliane Voigt


2 Éditorial

Je n’ai fait que regarder ce que m’a montré l’univers. Claude Monet


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Chères lectrices, Chers lecteurs,

Des mois durant, les musées, théâtres et autres institutions culturelles sont restés portes closes. Aussi l’inauguration à Rouen du panorama intitulé « La Cathédrale de Monet » début juillet a-t-elle été vue par beaucoup comme un pas essentiel sur le plan psychologique vers un retour à la normale. Le panorama a été inauguré sans grande pompe, en présence toutefois de la presse. En France comme en Allemagne, de nombreux titres et émissions du paysage médiatique s’en sont fait l’écho. Impossible, pourtant, de prévoir la réaction des Français devant cet artiste allemand venu ériger un monument à la mémoire du grand peintre français emblématique de la Normandie, Claude Monet. Dans son œuvre, celui-ci s’était toujours attaché à y intégrer les siens : voilà pourquoi, au fond, l’œuvre que l’on peut admirer en ce moment même à Rouen reflète le regard subjectif d’un artiste empli de l’espoir d’un consensus collectif. Et la magie a parfaitement opéré. Le visiteur entre dans un tableau, se place au milieu d’une plateforme et découvre comment l’Impressionnisme est né de l’esprit du peintre. Une symbolisation de ce que Monet a vécu du point de vue de ses émotions et de ses impressions lorsqu’il s’employait dans le moment qu’il souhaitait capturer. De la cathédrale de Rouen, il a réalisé une trentaine de tableaux. Cette série qui le rendit si célèbre est à l’origine du panorama réalisé par Yadegar Asisi. Le spectateur est placé au centre d’une image qui l’invite à faire un voyage dans le temps. Le thème est abordé dans cette édition par Aixa Navas Valbuena, architecte des médias, qui, à travers une expérience de réalité virtuelle, souligne la perception instantanée de la lumière en tant qu’élément constitutif de l’œuvre de Monet. Ce phénomène est à l’origine de la production de nombreuses séries du peintre. Dans ses réalisations, le sujet passait en arrière-plan par rapport à ce qu’il appelait « l’enveloppe ». Cette sorte d’enveloppe lumineuse constituait pour lui un terrain d’expérimentation artistique. C’est avec cette attention particulière prêtée à la lumière que Monet a également peint ses célèbres Nymphéas. À partir de 1917 et pendant plusieurs années, il se consacra exclusivement à la peinture de ces nénuphars dans le bassin de son jardin, sur des toiles de taille monumentale. Yadegar Asisi a lui aussi tendu une toile de dimension comparable dans son atelier pour son panorama impressionniste. Une œuvre à laquelle il s’est donné corps et âme pendant des mois ; les premiers mois de la pandémie du coronavirus, au début de l’année 2020. Alors que le monde est resté cloîtré chez soi, Yadegar a pris ses quartiers dans son atelier berlinois. Ironie de l’histoire, Claude Monet estimait probablement lui aussi, un siècle plus tôt, qu’une retraite dans son atelier était la meilleure chose à faire alors qu’au printemps 1918 la grippe espagnole faisait des ravages. Grand bien lui fît de rester dans son jardin. Voilà donc deux artistes qui, à cent ans d’intervalle, peignèrent en quarantaine les œuvres de leur vie.

Juliane Voigt vous souhaite une excellente lecture.


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Contempler avec tous les sens Le panorama « La cathédrale de Monet, l’espoir de la modernité » de Yadegar Asisi Un hommage aux impressionnistes du XIXe siècle. Auteur : Juliane Voigt

Yadegar Asisi a inauguré un nouveau panorama à Rouen, cet

à une fenêtre, en face de la cathédrale. Il est concentré sur

été. Il représente la cathédrale de la ville telle qu’on pouvait la

son chevalet et ne se préoccupe pas des animations de la rue.

voir en 1894. Cette fresque circulaire peut être admirée dans la

Il admire les nombreuses tourelles crénelées, les crêtes et les

rotonde du Panorama XXL, sur les rives de la Seine. Ce bâti-

statues de la façade ouest de la cathédrale, dont chaque relief

ment accueille désormais une peinture à l’huile qui a été agran-

semble se parer d’or dans la lueur du soir.

die pour atteindre une taille colossale. C’est la première fois que cet artiste berlinois présente un panorama basé sur une

Autrefois, la cathédrale accueillait des couronnements ainsi

peinture par ses propres soins. Plusieurs années se sont écou-

que des enterrements des ducs de Normandie. Elle fut éga-

lées entre le moment où il a eu l’idée de réaliser cette œuvre et

lement, pendant une courte période, le plus haut bâtiment du

le jour de l’inauguration. Le panorama a plus de secrets qu’on

monde. Elle est considérée comme l’une des plus belles églises

ne pourrait le penser au premier regard.

gothiques de France. Mais la cathédrale de Rouen est surtout réputée pour être la « cathédrale de Monet ». Entre 1892 et

Il rappelle un énorme écran de cinéma qui s’étend sur 3500m².

1894, ce dernier l’a peinte plus d’une trentaine de fois. C’était

C’est depuis une plate-forme au milieu de la rotonde panora-

d’ailleurs la raison pour laquelle il logeait en face de l’édifice.

mique que l’on admire la scène de la place de la cathédrale.

Il lui arrivait de peindre simultanément sur plusieurs toiles. Elles

Juste devant nous, Notre-Dame de Rouen s’élève dans le ciel,

étaient exposées les unes à côté des autres, telle une barri-

dans toute sa démesure. La place qui l’entoure accueille des

cade qui représentait, pour son ami George Clémenceau, son

maisons de villes bien soignées, datant de la Belle Époque :

« combat pour la conquête de la lumière ». Derrière cette bar-

des cafés, des commerces et des habitations. Des coursiers

ricade, Monet s’agitait aussi vite qu’une flèche, pour capter les

passent en toute hâte. Les dames flânent en arborant leurs lon-

moments où le soleil baigne son sujet dans la bonne lumière

gues robes et leurs larges chapeaux, tandis que les hommes

et capturer les bonnes couleurs dans sa peinture. Et c’est ainsi

s’affichent avec des hauts-de-forme. Un photographe se

que l’on connait ses cathédrales : des compositions vacillant

cache derrière son appareil photo. À l’arrière-plan se tient un

entre le bleu, le vert, l’orange ou le jaune, tantôt couvertes de

groupe d’hommes en queue-de-pie : des critiques, des gale-

brouillard, tantôt s’estompant totalement dans la brume hiver-

ristes et des peintres de l’époque. Ils sont en pleine discussion.

nale aux teintes d’un gris tirant vers le violet. Quand il observait

À Rouen et ailleurs en Normandie, il y avait à cette époque

son sujet, en pleine concentration et introspection, Monet avait

un groupe de jeunes artistes que le monde des arts considé-

évidemment tendance à oublier qu’il n’était pas seul au milieu

rait comme des excentriques, voire des fous. Sur le tableau,

de la nature, comme à l’accoutumée, mais qu’il se trouvait dans

on peut voir que leurs critiques restent en retrait, dans l’ombre

les locaux d’un magasin de bas et de bonneterie. Et il s’énervait

d’un passé terne. On peut reconnaître le peintre Claude Monet

violemment quand les clientes s’affairaient derrière lui.


Photo: Maurine Tric Š asisi

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6 Contempler avec tous les sens

Images de gauche à droite: Claude Monet – « La Cathédrale de Rouen, façade ouest », 1894, National Gallery of Art, Washington D.C. Image en accès libre. Claude Monet – « La cathédrale de Rouen, façade ouest, lumière du soleil  », 1894, National Gallery of Art, Washington D.C. Image en accès libre. Claude Monet – « La cathédrle de Rouen, la façade à la lumière du soleil », 1892–1894, The Clark Art Institut. Image en accès libre.

Le panorama « La cathédrale de Monet » est une mise

« Avec tout le monde, j’ai déjà noté qu’à la distance où

en scène qui associe image, lumières et sons. Les parois

Monet se place nécessairement pour peindre, le spectateur

mesurent 30 mètres de haut et le tableau lui-même fait 100

n’aperçoit sur la toile qu’une tempête de couleurs follement

mètres de long. Le spectateur se retrouve en pleine immer-

brassées. Quelques pas de recul et voici que sur ce même

sion dans une journée ordinaire de fin d’été, en 1894. Les

panneau, la nature se recompose et s’ordonne à miracle,

cloches résonnent pour annoncer la venue du soir. Mais

au travers de l’inextricable fouillis des taches multicolores

bientôt, elles annonceront une nouvelle époque. Ou plutôt,

qui nous déconcertaient à première vue. Une prestigieuse

une époque entre les époques. La lumière commence déjà

symphonie de tons succède aux broussailles de couleurs

à faiblir, et la scène se pare de couleurs d’automne qui rap-

emmêlées. » (Georges Clémenceau)

pellent celles de la terre. Des arabesques au piano se font plus discrètes tandis qu’un brouhaha se fait de plus en plus

Cette césure radicale dans les courants de la peinture reste

imposant : des bruits, des morceaux aux teintes de jazz se

un mystère pour les critiques d’art. Cette époque corres-

font entendre, ici et là, puis les harmonies se taisent. Bientôt,

pond aux prémices de l’industrialisation. Tout s’accélérait.

des couleurs s’élancent dans les airs, comme des explo-

Le tictac incessant des montres était désormais présent

sions de peinture, une tempête dans des tons brillants de

dans toutes les poches. Les machines à vapeur prenaient

rouge, jaune et vert, et le tableau se met soudain à rayonner

de la vitesse. Les usines et les grands magasins apparais-

en se parant des plus belles couleurs. C’est le début d’une

saient les uns après les autres. Les impressionnistes étaient

nouvelle époque. La modernité fait irruption dans le tableau,

de jeunes artistes fascinés et ouverts à tout ce qui consti-

telle une libération après des périodes rigides, ternes et

tuait une nouveauté ou un progrès prometteur. Ils se pas-

sombres. Le bruit chromatique augmente et luit.

sionnaient pour les trains, qui parcouraient les paysages à une vitesse fulgurante de 40 kilomètres à l’heure, tout en plongeant les environs dans une épaisse fumée noire.


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La première fois que j’ai vu la cathédrale, j’ai su que je voulais en faire quelque chose. J’ai tout de suite eu envie de la peindre, car je voulais savoir ce que Monet avait ressenti en la dessinant si souvent. Mes moyens d’expression sont imposants : il s’agit de panoramas que beaucoup de gens peuvent admirer. Cela me semblait logique que le résultat final soit également un panorama. Pendant longtemps, cependant, je me suis demandé par où commencer. Ce tableau, que l’on peut désormais voir à Rouen, est le résultat de plusieurs années d’un long processus de maturation et enfin, bien entendu, d’un travail de montage dans mon atelier. Yadegar Asisi

Même dans le jardin de Monet à Giverny sifflait une fois

le temps ! En 1854, l’atelier de portraits photographiques

par jour une locomotive à vapeur, qui disposait de quelques

de Nadar a ouvert à Paris. Le bâtiment était plus grand que

wagons de particuliers. « Les voyageurs ne pouvaient pas

tous les salons d’art qui se trouvaient à Paris jusque-là. Les

se plaindre de côtoyer un immense bouquet de fleurs, et

gens affluaient dans les expositions de photographie. Se

Monet, à quelques pas d’eux, absorbé dans le miroir de

faire prendre en photo était devenu un signe de distinction.

son étang, n’entendait même pas le train » (Georges Clé-

Beaucoup de peintres ont commencé à délaisser les pin-

menceau). À travers les fenêtres du train, cependant, le jar-

ceaux au profit de l’appareil photo. Certains se sont mis à

din devait ressortir du paysage et étonner les voyageurs

jouer aux échecs, comme Marcel Duchamp. Cependant,

qui passaient devant. Un océan de taches de fleurs colo-

pour les impressionnistes, la découverte de la photographie

rées dans un fond de vert flou, avec un Monet à la barbe

rimait également avec le début d’une nouvelle liberté. Et

blanche, un chapeau de paille sur la tête, qui travaillait sur

pas seulement sur la toile. Comme par magie, on commen-

son chevalet : une impression de l’impressionnisme.

çait à trouver de plus en plus de toiles transportables et de peinture à huile en tubes. Les peintres abandonnaient leurs

La photographie a également marqué les esprits, et ce avec

terriers et quittaient les ateliers pour entrer dans la lumière

la même vitesse que les trains. C’est en effet une décou-

d’une nouvelle ère : la modernité !

verte qui a bousculé le monde des peintres académiques. Dans leurs tableaux, ces derniers cherchaient constam-

Ce panorama de Rouen, en plus d’être un hommage au

ment à se rapprocher de la réalité, au plus près (tout en s’in-

peintre Monet, est également le symbole de la promesse

surgeant contre les « gribouillis » des impressionnistes...).

qu’apportait la modernité, à l’époque. Une promesse dont

La qualité d’un tableau était symbolisée par le niveau de

profite également l’artiste Yadegar Asisi : le développe-

détail et de complexité de l’œuvre. Et maintenant, ce n’était

ment continu de la photographie lui sert, notamment pour

plus qu’un gaspillage insensé de cette nouvelle richesse :

ses panoramas. Ils découlent d’assemblage d’impressions


8 Contempler avec tous les sens

photographiques qui se composent d’éléments architectu-

Pergame, les évènements de la Bataille de Leipzig, Mar-

raux ou de mobiliers d’intérieurs. Ses panoramas mettent

tin Luther et la Réforme à Wittenberg ou le drame autour

également en scène des comédiens en costumes lors de

de Jeanne d’Arc à Rouen. Parfois, cela concerne aussi la

séances photo complexes, que ce soit pour des scènes

nature spectaculaire et menacée : le mont Everest, la forêt

de foules ou pour recréer des ambiances plus intimes sur

amazonienne, la grande barrière de corail en Australie,

différents plans de l’image. Grâce aux nouvelles méthodes

ou, comme on peut le voir actuellement à Leipzig, le bio-

numériques de traitement d’image et aux technologies d’im-

tope issu d’un jardin familial ordinaire. L’important, c’est le

pression récentes, il est possible d’élargir des images qua-

concept. C’est pour cette raison que Yadegar Asisi a peint

siment à l’infini. En se basant sur un tableau panoramique,

lui-même le panorama de la cathédrale à la peinture à huile,

on rajoute des lumières et des sons pour faire naître une

sur une toile.

ambiance sensorielle et raconter une histoire. Dans chaque tableau se cache également un méta-niveau invisible, où

Yadegar Asisi peint depuis toujours. Après avoir étudié l’ar-

l’artiste en dit bien plus qu’il n’y paraît à première vue.

chitecture en RDA, il a commencé à étudier la peinture à

Il s’agit de changements profonds et de processus invi-

Berlin-Ouest dans les années 1980. Il a dès lors créé une

sibles : l’entrée d’un empereur de la Rome antique ou de

vaste œuvre picturale dans son atelier de Berlin. Sans ses

Je n’avais pas eu jusque-là le besoin de peindre un panorama moi-même. Au XIXe siècle, alors que les panoramas s’imposaient comme premiers médias de masse, avant même l’invention du cinéma, les peintres n’avaient pas d’autre choix que de peindre de grandes rotondes avec de la peinture et des pinceaux. Aujourd’ hui, le traitement de l’image moderne, la photographie, et les techniques d’impression permettent de créer des images très détaillées, au réalisme impressionnant. Mais si je sens qu’il m’est possible de peindre un panorama, je n’ hésite pas une seconde. Et ce panorama de « La cathédrale de Monet », je voulais absolument le peindre. Ce panorama n’a pas la prétention d’ être un tableau impressionniste, bien qu’il soit peint dans le style impressionniste. Il s’agit d’un tableau conceptuel, car, évidemment, je ne peins pas comme ça habituellement. En tant que peintre, j’ai toutefois cette liberté de pouvoir naviguer à travers les styles et tester différents courants qui ont marqué l’ histoire de l’art. Yadegar Asisi


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connaissances relatives aux techniques et aux pratiques,

« Je crois réellement que l’Impressionnisme est arrivé par

comme la peinture à huile, il n’aurait jamais eu l’idée de

hasard. C’est en peignant que l’essence d’une œuvre se

peindre lui-même ce panorama. Malgré l’agrandissement

développe. Au cours du processus de création. Les impres-

énorme du tableau pour en faire un panorama, le peintre

sionnistes étaient des artistes d’un nouveau genre. La

voulait que le spectateur voie le processus de la peinture, la

vitesse de la création permet aussi de se lever plus facile-

gestuelle et le style des impressionnistes : les coups de pin-

ment chaque matin. Je sais ce que cela signifie de travailler

ceau, les renflements de peinture, les reflets de la lumière,

plusieurs années sur une œuvre : c’est comme construire

les mélanges par juxtaposition de taches de couleur...

une cathédrale. Pour Monet, il y a ce champ chromatique,

Il voulait vivre et faire l’expérience de ce style de peinture

les points de couleur dans le jardin et les environs ; il les a

qui parvenait autrefois à émouvoir toute la scène artistique,

observés à Giverny et a capturé tout cela dans sa peinture.

les critiques, les visiteurs des salons d’art à Paris et les gens

Il ne s’agit pas d’un processus intellectuel. Il s’agit simple-

à Rouen.

ment de quelque chose qui lui plaisait. Autrefois, la peinture était vue comme la méditation. Un moment de détente, un

Pendant qu’il travaillait sur le panorama, Yadegar Asisi a

verre de rosé à la main. Il s’agissait de peindre la nature en

finalement compris comment était né le mouvement impres-

s’appuyant entièrement sur nos sens. » (Yadegar Asisi)

sionniste : c’est arrivé très vite. La peinture qui illustrait parfaitement la réalité était chronophage. Or, Monet était à la tête

Asisi critique ainsi la perte d’importance de l’art contempo-

d’une grande famille recomposée et ses tableaux devaient

rain. La peinture était autrefois quelque chose de si sérieux

donc lui rapporter de l’argent. Par ailleurs, il était certes

qu’elle suscitait des émotions et changeait la façon dont les

perfectionniste mais n’était pas particulièrement délicat. S’il

personnes voyaient le monde. La peinture, notamment celle

pensait avoir raté quelque chose, il détruisait l’œuvre en la

réalisée en plein air, était et demeure une expérience haute-

frappant des poings et des pieds. (Ses enfants récupéraient

ment sensorielle. Autant pour celui qui regarde l’œuvre que

les œuvres détruites pour en fabriquer des petits bateaux

pour celui qui la crée. Aujourd’hui, en quelques clics, on peut

et les faire circuler sur l’étang aux nénuphars.) Mais il a

transformer une photo de téléphone portable en quelque

apporté l’idée d’une finalité en peinture, alors que c’était

chose qui semble avoir été peint. Mais derrière tout ça, il

jusque-là quelque chose de très sommaire.

n’y a aucune expérience sensorielle et aucun travail créatif. Les enfants commencent à s’exprimer à travers la peinture et les dessins, avant même de savoir parler correctement. Lorsqu’ils vont à l’école, ils arrêtent peu à peu cette activité. Le panorama permet de retrouver cette expérience sensorielle et cette joie pure de la création. La même joie que l’on retrouve chez les enfants, quand ils dessinent ou qu’ils peignent. On pensait pouvoir se faciliter la vie et confier ce genre de tâches aux ordinateurs. Mais, en faisant cela, on a perdu beaucoup de bonheur. C’est ce que déplore Yadegar Asisi. Le tableau « La cathédrale de Monet » ne représente rien de plus qu’ un édifice religieux, quelques belles maisons, et quelques personnes. Toutefois, il montre le courage nécessaire pour exprimer tous ces sens, et il témoigne du plaisir que le peintre devait ressentir en créant de nouvelles choses chaque jour. Les gens qui regardent cette œuvre

Photo: Beate Nelken © asisi

doivent y retrouver ce plaisir, dans leur contemplation.


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Pourquoi continuer à peindre ? Une conversation entre Yadegar Asisi et Bazon Brock.

Cela fait presque un an que Yadegar Asisi a peint le panorama

YADEGAR ASISI – Bazon, tu m’avais déjà demandé : « Pourquoi

« La cathédrale de Monet » dans son atelier de Berlin. Ce

Rouen ? » Et je pense que tu as toi-même la réponse.

tableau se base sur un panorama en perspective, pour éviter toute déformation optique de la fresque circulaire. Même

BAZON BROCK – Est-ce parce que Rouen revêt une importance

les maisons en arrière-plan ont d’abord été reconstruites

capitale pour ceux qui s’intéressent à l’époque de la modernité ?

par Asisi. Il voulait être en mesure de représenter au mieux

Ce n’est pas seulement parce qu’elle fut autrefois la capitale de la

la place de la cathédrale dans son aspect de 1894, le tout

partie anglaise de la Normandie, mais parce que Rouen était la ville

en s’appuyant sur des représentations historiques. Ce

de la famille de Marcel Duchamp. Il est né dans les environs, est

n’est qu’après cette étape qu’il s’est retiré dans son atelier

allé à l’école à Rouen et rendait régulièrement visite à ses parents

de peinture. Les visiteurs qu’il laisse rentrer dans l’atelier

qui vivaient à Rouen après son départ. Il avait un attachement très

racontent une expérience très satisfaisante, une visite

fort à cette ville, et cela a laissé des traces dans sa théorie. Et sa

enveloppée dans une brume de térébenthine mêlée aux

théorie était la suivante : « L’œuvre d’art n’est pas accrochée au

émanations de peinture à l’huile. Asisi a ensuite échangé

mur, elle prend forme dans l’esprit de l’observateur. » Rouen est

autour de l’Impressionnisme et du sens que revêt la peinture

donc pour ainsi dire le foyer de l’art moderne, sa capitale. C’est ce

de nos jours, au cours d’un entretien avec le philosophe

qui rend cela intéressant, que ton panorama soit sur le thème de

culturel Bazon Brock.

Rouen, cela constitue une revendication qui ne se retrouve plus nulle part ailleurs : montrer quelque chose seulement avec de la peinture, un support qui peut sembler dépassé. Mais les nouveaux médias montrent bien l’incroyable potentiel de la peinture. YADEGAR ASISI – C’était vraiment juste une impulsion. Je me suis dit qu’il faudrait faire quelque chose qui vienne de cette période. Tout en utilisant le filtre de la modernité, de l’art moderne. BAZON BROCK – C’est précisément la modernité de Duchamp que l’on retrouve à Rouen. À savoir : il faut faire soi-même partie de ce que l’on observe pour être capable de former une opinion définitive. Duchamp montre clairement que l’observateur doit être lui-même impliqué dans l’observation. Cela commence dès la perspective centrale, lorsque le point d’où l’observateur peut embrasser toute l’image fait déjà partie intégrante de l’image et de la construction.


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Bazon Brock Bazon Brock est un théoricien de l’art allemand et co-fondateur du mouvement Fluxus. En tant que professeur d’esthétique et de médiation culturelle et inventeur de la méthodologie de l’«Action Teaching» et de l’école des visiteurs de la documenta de Kassel, il est l’un des visages culturels les plus connus d’Allemagne. Avec des artistes tels que Joseph Beuys ou Friedensreich Hundertwasser, il a participé à de nombreux Happenings dès les années 1960 et est resté associé à l’art action jusqu’à son âge avancé. Avec des initiatives telles que la création de l’Institut d’art théorique, de l’École des prophètes ou de la Denkerei, le « Penseur de service » de 84 ans continue à occuper une place importante dans le discours artistique allemand. Pour ses nombreuses réalisations, il a reçu non seulement de nombreux prix municipaux et des doctorats honorifiques, mais aussi la Croix fédérale du mérite et la Croix d’honneur autrichienne de 1ère classe.

YADEGAR ASISI – Les musées où l’on expose les impressionnistes

BAZON BROCK – Mais ça, on le vit tous en étant dehors. Les

attirent toujours les foules. Qu’est-ce qui fait que ces tableaux nous

nuages masquent le soleil, d’un coup la lumière change.

fascinent, de cette époque jusqu’à nos jours ? L’impressionnisme est quelque chose que tout le monde aime observer, quel que soit

YADEGAR ASISI – Quand tu peints exactement les choses telles

le niveau d’éducation.

que tu les vois, le résultat est souvent plutôt ennuyeux. Tu dois toujours avoir le courage d’exagérer les couleurs de ton univers

BAZON BROCK – Cela tient au fait que les figurations ne sont plus

sensoriel.

limitées par les contours, qui, eux, deviennent « flottants » et on se fixe alors sur l’objet qui se fond dans son environnement. Et le fait

BAZON BROCK – La vision du monde est pour nous un processus

que l’on peut changer les couches profondes chez l’observateur,

créatif. Nous bougeons, nous nous approchons, nous nous

comme l’expérience que font les visiteurs à Venise, dans la

éloignons, cela doit se retrouver dans la peinture pour pouvoir

lumière vacillante de l’été, lorsque la perception des couleurs des

voir de manière naturelle. Et l’Impressionnisme est la forme la

cathédrales se transforme et produit soudain une image proche

plus élevée de notre vision. Dans l’ombre, on perçoit l’importance

de la figuration abstraite. C’est libérateur. Cela bouleverse la

véritable de la couleur, la lumière crue doit être tamisée, afin de

perception du monde, parce que les frontières disparaissent. Cela

révéler ce qui est éclairé grâce à l’apparition des ombres. La

active les capacités qui nous sont propres, de voir quelque chose

plupart des peintres impressionnistes parviennent à développer

en l’imaginant. L’Impressionnisme est la forme la plus puissante

les nuances à partir des ombres et à permettre ainsi de les

de stimulation de l’imagination.

percevoir à part entière.

YADEGAR ASISI – Le premier réflexe des personnes qui observent

YADEGAR ASISI – C’est intéressant ce que tu dis là : je ne savais

un tableau impressionniste est toujours de s’approcher du tableau

pas que je serais confronté à ce problème. Pour le panorama,

puis de s’en éloigner. Avec la distance, quelque chose se crée

j’aurais choisi la variante du soir. Avec mon expérience de la

en trois points. Peut-être est-ce le souvenir de la réalité. Quand

lumière et mes nombreux voyages, je n’aurais pas cru que

on peint à l’extérieur et que l’on tente de recréer précisément

ce serait un problème. Mais en peignant, je me suis soudain

les couleurs que l’on voit, et qui, une fois dans l’atelier, semblent

demandé : comment est-ce que le reflet de la cathédrale se

soudain très désordonnées. Quand on peint, il faut entrer dans

projette réellement sur les maisons ou sur le sol ? Et c’est alors

une vision pour exagérer la chose et la rendre dynamique. Ce qui

que l’image s’est progressivement transformée en univers. Le

peut paraître un peu exagéré quand on est sur place.

reflet de la cathédrale sur les alentours est soudain devenu bien plus intéressant. Et j’étais enfin face au véritable travail.


12 Pourquoi continuer à peindre ?

En effet, je ne peignais quelque chose que j’avais devant les yeux.

Du coup, ton choix de te tourner vers la cathédrale plutôt que vers

Il fallait que je compose tout : cela signifie de penser d’abord aux

des représentations champêtres était définitivement le bon. Tu as

lumières et aux mouvements des ombres avant de commencer

eu la vision réfléchie.

à peindre, et cela implique de se souvenir de mes expériences. C’est là que j’ai réalisé ce qu’ont fait les impressionnistes. Je dois

YADEGAR ASISI – Ce que je trouve également important à noter,

d’abord reconstituer le monde dans mon esprit, afin de pouvoir

c’est qu’il ne s’agit pas d’un panneau au sens propre. Cela pourrait

ensuite peindre tel un impressionniste.

pourtant correspondre à ce genre, comme le sujet central est une cathédrale. Une observation séquentielle permet néanmoins de

Tu m’avais conseillé d’éviter ce sujet, et tu m’avais dit : « Prends un

voir qu’il s’agit de centaines d’images qui peuvent coexister en

paysage ! » Et ton objection était tout à fait compréhensible. Mais

tant qu’images à la composition vraiment réfléchie.

j’ai réfléchi. La campagne est charmante en soi et l’architecture a une certaine lourdeur, une certaine pesanteur. Jamais un

BAZON BROCK – Cela n’existait jusqu’à présent que dans

impressionniste n’aurait adopté ma démarche. Il s’agit d’une

la littérature. Les œuvres comme « À la recherche du temps

approche plus conceptuelle.

perdu » de Marcel Proust, en France, ne sont rien d’autre qu’une accumulation de ces images individuelles. En littérature, le principe

BAZON BROCK – Dans la série des « Meules de Monet », on

a toujours été d’assurer la cohérence au moyen de la narration et

estime que cela est un peu voulu. Avec la cathédrale, c’est tout de

de structures narratives. Chez toi, c’est le panorama qui replace

suite évident, car elle incarne la métaphysique de la lumière. La

naturellement les séquences individuelles dans un ensemble

peinture a ainsi rejoint ce que la théologie tente d’expliquer depuis

pour en faire une expérience du monde. Un bout de toile n’est

des millénaires et les peintres impressionnistes, notamment

pas une expérience du monde, c’en est un segment. Mais une

Monet, ont réussi à le faire. C’est absolument fantastique que le

représentation panoramique du monde qui est un mouvement

peintre parvienne à créer une union complète à partir de quelques

fermé, d’avant en arrière, d’arrière en avant, de gauche à droite,

expressions picturales matérielles et à restituer ainsi la pensée

de haut en bas, dégage en soi une force d’une autre nature. Le

grandiose qu’est la métaphysique de la lumière du Moyen Âge.

panorama correspond vraiment à ce qui s’est imposé dans la littérature en France.


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YADEGAR ASISI – Nous avons posé la question du sens que doit

BAZON BROCK – L’impossibilité de concevoir, que ce soit avec

prendre la peinture aujourd’hui. Je suis un créateur. La peinture

des mots, des narrations ou des peintures, revient à l’impossibilité

donne lieu à une foule de perceptions qui ont toujours existé. Mais

d’avoir un univers. Un univers doit être conquis comme une chose

quand on voit ce qu’on entend par peinture, on se rend compte

rattachée à soi. À mon corps, à ma vision, à mon sentiment. Seul

qu’il s’agit d’un champ encore plus large. Souvent, quand je parle

ce qui se rattache à moi est mon univers, car je peux le toucher,

de peinture, on me parle de choses qui n’ont rien à voir. Les

le former, y laisser mon empreinte. Tout le reste demeure abstrait.

gens me parlent d’expositions, de peintres qu’ils connaissent, ou du fait qu’ils ne sont jamais allés à une exposition parce qu’ils

YADEGAR ASISI – Nous pouvons rester sur cette belle pensée

trouvaient ça ennuyeux quand ils étaient enfants. Mais quand

pour conclure notre discussion.

je leur demande ce que la peinture leur apporte, à eux, ils me demandent : « Qu’est-elle censée m’apporter ? » BAZON BROCK – Car ces personnes ne créent pas leur univers. Leur rapport à la peinture est un rapport de possession. Mais il s’agit plutôt de restituer sa propre disposition du monde. YADEGAR ASISI – Exactement, car dans la peinture aussi on trouve une valeur ajoutée. Si nous étions tous peintres, nous la considérerions comme un instrument pour la vie. Un instrument qui servirait de monologue, d’ébauche, de conception, de perception des univers.

BAZON BROCK – Avec plaisir !


14

Entre nous et le motif Peu de mouvements artistiques restent aussi présents que l’Impressionnisme. Un projet académique, qui naît dans le cadre de la « Cathédrale de Monet » de Yadegar Asisi, expérimente les nouveaux médias autour du rôle de la perception elle-même dans l’œuvre d’art. Auteur : Aixa Navas Valbuena


15

Image page de gauche: Visualisation du portail de la cathédrale se désintégrant autour du spectateur. Simulation en VR.

Image page de droite (colonne de gauche): Visualisations basées sur la série des cathédrales de Monet. Simulations en VR. Illustrations de l’auteur.

Image page de droite (en haut à droite): En haut : « La Façade de la cathédrale de Rouen au soleil », 1894. 107 cm x 74 cm. Clark Art Institute. Image tirée de Wikimedia Commons. Domaine public.

Image page de droite (en bas à droite): Ci-dessous : « Le Portail, effet du matin », 1894. 107 cm x 74 cm. Fondation Beyeler Bâle. Image tirée de Wikimedia Commons. Domaine public.

Un ensemble de représentations picturales d’un motif, du même point de vue.

1

2

ildenstein, 1979, 65. Interview pour W le journal norvégien « Dagbladet ».

3

éveloppement conceptuel et D technique : Aixa Navas Valbuena.

Comme une sorte de première annonce, nous contemplons

À l’ère du numérique, l’art utilise des technologies telles que la

encore avec fascination des œuvres qui ont été réalisées il y

réalité virtuelle (RV) et la projection mapping qui reproduisent

a plus de cent ans, comme si elles venaient de quitter l’atelier

des phénomènes de perception optique pour créer des effets

de l’artiste. Le magnétisme intemporel produit par cette esthé-

immersifs. Tous deux partent d’un contenu graphique géné-

tique picturale peut être compris dans son caractère immer-

ralement développé dans un environnement virtuel tridimen-

sif, puisqu’il implique les perceptions du peintre et les nôtres

sionnel et produisent une immersion en accentuant précisé-

en tant que partie intégrante de l’œuvre d’art. Cela revient à

ment la tridimensionnalité de l’image. Ce qui nous amène à

se concentrer sur l’art en tant qu’expérience plutôt que sur

nous demander comment ce concept d’impressionnisme

l’objet. De ce point de vue, même à l’ère du numérique, il y a

pourrait être interprété aujourd‘hui à travers les nouveaux

beaucoup à apprendre des soi-disant impressionnistes.

médias dans l’art ?

Claude Monet, en particulier, a donné un rôle essentiel au

En tant qu’expérience académique, “L’enveloppe, of the depic-

facteur temps dans une image fixe. À travers sa série de

tion of impressions” n’est qu’un exemple des nombreuses

tableaux1 , il a dépeint le sens d’une impression par la juxtapo-

possibilités offertes par les médias immersifs pour dévelop-

sition de plusieurs. Sa série de la cathédrale de Rouen est

per des idées qui suggèrent la tridimensionnalité, mais qui

un bon exemple de cette notion. En concevant ses célèbres

partent de l’immatériel. Inspirée par le processus créatif de

cathédrales, Monet a documenté par des lettres une quête

Monet, une interprétation de l’enveloppe est présentée dans

artistique, qui s’est articulée autour du thème de la lumière,

une visualisation développée pour la réalité virtuelle à partir

ou plutôt de la représentation visuelle de la lumière ambiante.

de nuages de points et de systèmes de particules3. Cette

Cette lumière est comprise comme un élément qui se dis-

représentation est issue de données extraites des images de

perse et vibre sur les surfaces, donnant forme et caractère

la série des Cathédrales et de l’architecture de Notre-Dame

aux objets, faisant varier notre perception de ceux-ci au fil des

de Rouen. Le projet est né de la coopération entre l’équipe

jours. Monet appelait cette lumière «l’enveloppe», un concept

créative de Yadegar Asisi et moi-même, sous le mentorat

artistique qui fusionne les qualités éphémères du phénomène

du Dr Eva Hornecker (Interactions homme-machine / BUW)

lumineux avec un caractère matériel.

et de l’architecte Mathias Thiel (Conception d’expositions /

Lors d’une interview en 1895, Monet a déclaré que le motif était secondaire pour lui ; ce qu’il cherchait à reproduire,

La relation entre le processus de création de Monet et nos

c’était ce qui se trouvait entre le motif et lui-même . C’est pré-

propres perceptions pourrait expliquer le magnétisme produit

cisément «l’enveloppe». Durant cette phase de la carrière du

par les images impressionnistes. En d’autres termes, l’effort

peintre, ce concept est devenu présent dans sa série et sa

de Monet pour représenter l’enveloppe constitue une quête

représentation picturale, un grand défi technique. Monet lui-

artistique qui approfondit le sujet de l’œuvre comme un élé-

même la décrite comme une lumière impossible à représenter

ment qui n’est présent que lorsque notre perception y joue

sur la toile. Intrinsèquement, le concept dépassait la bidimen-

un rôle. Sous ce précepte, le sujet serait celui entre nous et

sionnalité de son médium, la peinture.

le motif.

2

Pour voir le prototype du projet en 360°, rendez-vous sur https://youtu.be/i4Q1VI4d3PM

asisi F&E GmbH).


16

Identités culturelles On dit souvent qu’il y a des rencontres qui changent une vie. Mais lorsque l’Art fait se rencontrer des personnes de cultures et milieux différents, lorsque l’Art réunit autour d’une envie commune, alors l’aboutissement du projet final n’en est que plus réussi. Auteur : Fanny Thiel

La France est, depuis toujours, friande de nouveautés ar-

Cette installation de courte durée, seulement quelques

tistiques, et plus récemment, curieuse et intéressée par un

jours, a, en plus d’attiser la curiosité, été soumise aux in-

genre en vogue : l’art immersif. Le public, de manière géné-

tempéries, au temps et au passage des visiteurs qui se

rale, est en quête de sensations nouvelles, de situations

l’ont appropriée : piétinée, arrachée, emportée, photogra-

uniques à vivre. On souhaite désormais interagir avec l’œu-

phiée… Le but recherché par l’artiste !

vre d’art, ne faire plus qu’un avec celle-ci, et si possible, en dehors du cadre muséal traditionnel.

La prise de risque est ce qui motive bon nombre d’artistes spécialistes dans l’immersion. Ils n’ont aucune certitu-

Le célèbre musée du Louvre, connu pour abriter des trésors

de jusqu’à ce que leur travail ne rencontre le public qui va

des civilisations lointaines et des œuvres d’artistes passés,

alors donner vie à l’œuvre.

s’intéresse depuis plusieurs années déjà à l’art contempo-

Qu’est-ce que l’expérience artistique si ce n’est une immer-

rain. La terre entière a pu le constater, lorsqu’en 1989 fut

sion totale où l’on se laisse surprendre, sans apriori… ?

inaugurée la Pyramide de Ieoh Ming Pei au centre de la cour Napoléon. Les réactions n’ont jamais été telles et la

Les enjeux d’une installation artistique controversée sont

polémique a fait rage pendant de nombreuses années, on

d’autant plus conséquents lorsqu’un artiste entreprend de

hurlait à la profanation culturelle.

travailler avec une institution culturelle, un monument historique, une ville ou bien même une métropole. Cela inclut

En 2019, à l’occasion des trente ans de la Pyramide, le

de la patience, de la détermination et de se risquer à de

Louvre invite pour la seconde fois l’artiste JR à créer une

nombreux challenges. Cela n’en reste pas moins possible

œuvre collaborative avec pas moins de 400 bénévoles :

si l’on prend l’exemple de l’artiste Christo et de son œuvre

un collage gigantesque destiné à révéler le secret de ce

post mortem « L’Arc de Triomphe empaqueté », qui verra

monument devenu depuis, aussi emblématique que la Tour

malgré tout le jour à l’automne 2021, en étroite collabora-

Eiffel.

tion avec le Centre des monuments nationaux (CMN) et le Centre Pompidou.


© JR

17

Paris, ville mondiale dont l’influence dans le milieu culturel,

création de deux œuvres exclusives relatant des périodes

artistique et historique n’est plus à mentionner, a rejoint,

historiques et incontournables de la ville : « Rouen 1431 »

en 2016, la liste des métropoles françaises. Cette nouvelle

à l’époque de Jeanne d’Arc et « La cathédrale de Monet

organisation du territoire français a pour objectif culturel de

» à l’âge d’or de l’Impressionnisme.

valoriser et développer les équipements, l’histoire et l’identité propres à chacune.

Quoi de plus qu’un panorama monumental aux thématiques uniques et originales pour renforcer l’identité cultu-

La Métropole Rouen Normandie s’inscrit dans ce schéma,

relle d’une ville? L’arrivée d’un panorama dans le paysage

et dans cette démarche, de nouveaux équipements cultu-

culturel urbain peut réellement être une valeur ajoutée pour

rels à rayonnement métropolitain ont vu le jour à Rouen. Le

une ville, ou bien être un instrument au service de celle-ci

Panorama XXL, installé sur les quais de Seine depuis 2014,

afin de lui donner une nouvelle orientation ou corroborer

en est le parfait exemple. La création d’une telle structure

son identité déjà existante.

culturelle est née d’une collaboration entre la Métropole normande et l’artiste Yadegar Asisi et son équipe dans le

À plusieurs reprises dans le passé, Yadegar Asisi a été

but d’affirmer sa position au rang métropolitain.

contacté pour réaliser une exposition avec un panorama ; cela s’est produit en 2011 avec le Pergamon Museum et

Rouen, surnommée « la ville aux cent clochers », réputée

l’institution des Musées nationaux de Berlin, et à nouveau

pour son charisme fou avec son architecture gothique et

en 2018 ; mais aussi à Wittenberg (en Allemagne) en 2016,

ses maisons à colombage, marquée par le passage de

avec un panorama sur Martin Luther et ses thèses. Seule-

Jeanne d’Arc à la fin du Moyen Âge, puis devenue ville

ment, avec Rouen, c’était la première fois qu’un pays voisin

berceau de l’Impressionnisme au XIXe siècle, ne cesse de

s’intéressait sérieusement à l’artiste allemand, maître dans

surprendre ses visiteurs et habitants. Sa richesse et son

les panoramas à 360°.

identité culturelle très prononcée ont naturellement séduit Yadegar Asisi, et dès lors est née dans son esprit la


18 Identités culturelles

Aujourd’hui, Rouen est la seule ville française pouvant se vanter d’avoir deux œuvres monumentales à 360° sur des époques phares de son patrimoine historique et culturel. Dans le monde, seulement la ville de Dresde, en Allemagne, a également cet honneur avec les panoramas « Dresde baroque » et « Dresde 1945 » présentés à tour de rôle une fois par an depuis 2015. Les quais rouennais sont désormais marqués par cette rotonde aux dégradés de bleu qui, en plus d’avoir fait se déplacer les foules, a fait parler d’elle sur la toile et dans la presse nationale. C’est en cela que réside l’essence même du travail de l’artiste ; il ne travaille pas dans le but de susciter l’approbation du public ou de faire l’unanimité, non, il travaille dans le but que son art soit vu, puisse exister, provoquer l’interrogation, amener la discussion. L’artiste souhaite avant tout que l’on parle de son art et qu’il se développe en permanence, en même temps que la ville. L’artiste dit de ses œuvres : « Un panorama n‘est jamais complet ». C’est chose faite à Rouen avec Yadegar Asisi. Quel que soit l’avenir de cette installation temporaire, ses multiples panoramas ont apporté un vent nouveau sur la capitale normande et quoi qu’on en dise, il n’y a et il n’y aura jamais plus de tel lieu où l’on puisse « plonger » (et être totalement immergé) dans ces moments clés historiques, ces images faisant maintenant partie intégrante de l’identité de cette

© Andia / Alamy Stock Photo

ville.


19

Frédéric Sanchez Président de la Métropole Rouen Normandie (2012-2019)

Au début de cette décennie, les élus de l’agglomé-

d’une agglomération en devenir, audacieuse et fière

ration de Rouen recherchait une initiative culturelle

de montrer, les Panoramas du XXIème siècle de

de fort rayonnement. Orientés dans leur réflexion

Yadegar Asisi.

vers l’idée d’un musée des grands formats, ils découvrirent l’œuvre de Yadegar Asisi à l’occasion

À Rouen, Yadegar Asisi n’a pas seulement montré

de trois déplacements successifs en Allemagne.

une œuvre déjà prête et diffusée en Allemagne. Il

Ainsi plus de 60 rouennais, élus, acteurs culturels,

a créé deux œuvres : Rouen 1431, à l’époque de

journalistes, représentants d’entreprises, firent le

Jeanne d’Arc et la Cathédrale de Monet. Le go-

déplacement pour vivre l’expérience des Panora-

thique et l’Impressionnisme ! En venant à Rouen,

mas ! Souvent séduits, ces premiers rouennais lan-

en découvrant ses monuments uniques, sa nature

cèrent le projet d’implanter sur les bords de Seine,

magnifique et son énergie contemporaine, Yadegar

à quelques encablures de la ville médiévale, une

Asisi a poursuivi et approfondi son travail. Inspiré, il

rotonde provisoire conçue pour héberger, durant 5

a puisé dans Rouen l’occasion d’œuvres dont les

ans, le travail de Yadegar Asisi. Fait remarquable et

rouennais sont particulièrement fiers et qu’ils ont

rare, la décision fut prise à l’unanimité de l’assem-

l’espoir de voir et revoir.

blée des élus de la métropole rouennaise. Cette aventure d’un territoire avec un artiste aura Sans ces déplacements sur « place », l’aventure

donc produit des fruits superbes et donnés des

rouennaise de Yadegar Asisi n’aurait pas vu le jour.

souvenirs pour la vie à des centaines de milliers de

Car, il est impossible de décrire un Panorama. Com-

visiteurs. Les réactions étaient souvent identiques:

ment raconter en mots et même en s’appuyant sur

le cri de saisissement en entrant dans la rotonde,

des photos ou des vidéos, l’effet produit par une re-

le silence lorsque la nuit tombe sur Rome, l’enthou-

présentation monumentale, en trompe l’œil, à 360°,

siasme de l’enfant qui cherche le chat qui miaule, la

d’une ville ou d’un paysage ? Le Panorama est une

joie pure au son des cloches virevoltantes, l’émotion

« expérience » comme un concert : un évènement

du visiteur qui signe le livre d’or pour dire simple-

à vivre et ressentir.

ment merci.

En décembre 2014, les habitants de Rouen et des

On l’aura compris, j’ai été, dans cette aventure, un

alentours découvrirent donc le panorama « Rome

acteur particulièrement motivé. Je l’avoue, l’homme

312 ». Ils sont, au fil de ces dernières années et des

me plaît : son humanisme et son goût pour les

expositions (Rome 312, Amazonia, La Grande Bar-

autres, son exigence et son humour. Son œuvre me

rière de Corail, Titanic, Rouen 1431, La Cathédrale

plaît. Séduit par la virtuosité, mon regard s’égare

de Monet), des centaines de milliers, rouennais,

souvent dans l’œuvre gigantesque et s’accroche,

normands, touristes, à avoir « vécu » leur expé-

ici ou là, à ces milliers de détails qui animent le Pa-

rience du Panorama. Si la rotonde provisoire instal-

norama : la colonne effondrée d’un temple, un bra-

lée sur les quais de Seine ne fait pas l’unanimité (il

sier ou un orage dans la nuit, un animal ou un arbre

est prévu qu’elle soit finalement démontée à l’au-

présents dans le paysage, une scène de la vie quo-

tomne 2021), le succès du public a été immédiat et

tidienne. Rien n’est statique : avec la musique et les

s’est amplifié. L’ œuvre, quand elle est vue et vécue,

effets de lumière, le Panorama est vivant.

rassemble largement, des femmes et des hommes de toutes générations et conditions, des habitants

En conclusion, que dire de la fameuse « nuit » des

et des touristes, souvent fascinés et émus.

Panoramas. Je l’ai, moi aussi, trouvé quelquefois trop présente. Mais cette nuit qui invite au recueille-

Les élus ont donc atteint leur objectif : toucher le

ment crée une attente : elle prépare l’aube brillante

grand public, intéresser les touristes, faire parler

et la renaissance de la lumière, c’est-à-dire de la

de Rouen, la capitale de la Normandie comme

vie.


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