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Fondée par Lucie Bouclet et Paul Menoux, deux passionnés formés à l’École du Louvre de la licenceaumaster,laGalerieMagdeleineapour vocation d’apporter un nouveau regard sur les tableaux et dessins des XVIIIe et XIXe siècles.
Forts de notre parcours académique et de notre amour commun pour les recherches approfondies, les œuvres que nous présentons font l’objet d’une attention particulière avant d’être présentées au public. Notre sensibilité artistique, nourrie par une admiration profonde pour l'esprit des XVIIIe et XIXe siècles, guide chacun de nos choix. En qualité de jeunes marchands, nous souhaitons offrir à notre clientèle une expérience immersive dans cet univers artistique captivant Nous nous employons à étudier soigneusement chaque attribution et nous sommes attachés au fait de raconter l’histoire de chaque toile.
À travers nos expositions et notre collection attentivement sélectionnée, nous invitons les amateurs d'art à explorer les multiples facettes de cette époque charnière de l'histoire de l'art.
Le musée Léon-Dierx de La Réunion a fait l’acquisition auprès de la Galerie Magdeleine d’une toilereprésentant Virginieaubain,présentéeauSalonde1844parHenri-FrédéricSchopin(1804-1880). Cette œuvre fait écho à une autre œuvre de l’artiste, exposée au même Salon : Manon Lescaut et d’Esgrieux dans le désert, présentée en page 38 du présent catalogue.
SOMMAIRE
Antoine Monnoyer (Paris 1671 - Saint-Germain-en-Laye 1747)
Jetéed’anémonesdoubles.
Vers 1720
Huile sur toile, cadre Régence d'époque.
H : 41 ; L : 31 cm.
Un ensemble de neuf anémones sont assemblées en bouquet dans une composition libre qui associe naturalisme et interprétation artistique de la nature. En effet, la tige de l’une des anémones, en s’échappant du bouquet et en formant une courbe sinueuse défiant les lois de la gravité, contraste avec la représentation presque scientifique de l’anatomie des fleurs et de leur feuillage.
Antoine Monnoyerest formé auprèsde son père, Jean-Baptiste Monnoyer (16361699). Son apprentissage a lieu en Angleterre lorsque son père fut convoqué par sir Ralph Montagu, ambassadeur extraordinaire de Charles II en France depuis 1666, pour décorer l’hôtel Burlington1 En l’assistant à la réalisation de ce décor fastueux, Antoine Monnoyer apprend à composer avec les formules décoratives de son maître À partir de cette période une place de choix est accordée à l’Anemone coronaria
Antoine Monnoyer séjourne ensuite à Rome puis est reçu à l’Académie en 1704, après avoir travaillé au Trianon. Il oeuvre au décor de la chapelle de Versailles et peint deux grands formats pour le château de Meudon dans les années 1710.
et fleurs, vers 1725. Musée du Grand Siècle.
C’est à l’étranger que le jeune Monnoyer s’illustre et diffuse le style familial en retournant tout d’abord en Angleterre jusqu’en 1729, puis en séjournant à Rome avant de voyager vers 1733 au Danemark et en Suède. Il fait figure d’artiste voyageur couru dans les grandes cours européennes pour ses représentations séduisantes de fruits et de fleursquiconnaissentunvifsuccèstoutaulong du XVIIIe siècle.
Influencé par la peinture de son père, il réussitnéanmoinsàmettreenavantsonpropre style qui visait une portée beaucoup plus décorative. Ce tableau représentant des anémones bleues pâle, couleur qui n’existe pas dans la nature, en est l’illustration Antoine Monnoyer réinterprète des spécimens naturels en utilisant une palette de couleursquelque peu fantaisistes, ce qui lui permet d’harmoniser sa composition et de jouer sur des effets de contrastes chromatiques séduisants à l’œil.
Détail. Sotheby’s London, 5 décembre 2019, lot n°181
1 Claudia Salvi, « Jean-Baptiste Monnoyer et Antoine Monnoyer. Problèmes d'attributions (…). Identification de son morceau de réception à l'Académie de Peinture et Sculpture », La Revue du Louvre et des musées de France, Réunion des musées nationaux, Noisiel, 2002, no2, p. 55-63.
Charles-Louis Clérisseau (Paris, 1721 - Auteuil, 1820)
Projetdedécor.
Maisonantique,jardinsdeTsarkoe-SelopourCatherineIIdeRussie.
Décembre 1773.
Aquarelle, plume et encre brune, lavis brun et gris sur papier.
Au revers : tampon de l'Ordre de Saint-Alexandre Nevski.
H : 33 ; L : 32 cm.
Encadrée par des frises de rinceaux et des médaillons représentant des scènes antiques, des ruines animée sont représentées au centre de cette feuille d’étude. La plinthe du mur qui devait recevoir le décor est représentée, complétée par quelques moulures, donnant une idée de l’échelle monumentale prévue pour ce projet.
Élève de Blondel et de Boffrand à l'Académie Royale d'architecture, CharlesLouis Clérisseau remporte le grand prix de 1746 et séjourne à Rome, comme pensionnaire du roi, de 1749 à 1754. Il y peint des compositions architecturales influencées par le maîtredugenre :GiovanniPaoloPanini(16911765). Il devient l'ami de Piranèse, dont il partage le goût des ruines et la passion de la Rome antique. Alors que le règlement de l’Académie de France à Rome l’autorise à rester deux ou trois ans, le temps de parfaire son éducation artistique, il prolonge sa pension avant de brusquement quitter l’Académie en 1754. Il reste à Rome, effectue des voyages à Venise, à Paestum, pour ne rentrer en France qu’en 1768.
De retour à Paris, il est agréé et reçu dans la même séance à l'Académie royale, le 2 septembre 1769, présentant deux gouaches : des Bains etdes Ruinesd'architecture.Sacarrière prend un tournant décisif lorsqu'il est choisi par l'administration des Bâtiments du Roi pour exécuter une commande à destination de Catherine II de Russie. Clérisseau est alors recommandé par Falconet, proche de l'impératrice.
Le 2 septembre 1773, Catherine II, inspirée par l’ouvrage de Michel François Dandré Bardon, Collection sur costume des anciens (Paris, 1772)1, adresse ainsi une lettre à Falconet : « je voudrais avoir le dessin d’une maison antique, distribuée intérieurement à l’antique. […] je veux tout cela ; je vous prie de m’aider à satisfaire cette fantaisie, que je paierai sans doute 2». Dans cette lettre, elle demande à Falconet d’écrire à Charmes Cochin, secrétaire de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, afin qu’il lui fournisse le nom d’un architecte qui pourrait créer une maison dans le style antique dans les jardins de TsarskoeSelo. Cochin propose Clérisseau en novembre.
Le 6 décembre, l’impératrice écrit : « j’ai retrouvé la lettre de Cochin que vous m’avez envoyée. Je suis avec lui et vous de l’avis qu’il ne pouvait pas s’adresser mieux pour la maison antique qu’il ne l’a fait ; ce M. Clérisseau paraît avoir toutes les qualités requises pour exécuter à ravir le projet de la maison antique dont j’ai la fantaisie 3».
Entrainé par le goût du colossal qui le caractériseetfaisantéchoàsesétudesromaines de monuments antiques, Clérisseau ne tient aucunement compte du programme transmis par Falconet dansles vingt-quatre dessins qu’il fait parvenir à l’Impératrice. Il transforme le petit caprice commandé par l’Impératrice en un gigantesque palais à l’échelle des Thermes de Caracalla.
Dans une lettre au prince de Galitzine datée de la fin du mois de décembre, Falconet rapporte le mauvais accueil reçu par les dessins de Clérisseau : « Il est démontré que M. Clérisseau est aussi impertinent qu’il feint d’être sourd. Vous avez vu, mon prince, tout ce que j’ai écrit à Paris sur la maison antique et vous savez que la demande de S. M. I. ne contenait autre chose qu’un petit pavillon dans un jardin. Vous avez lu le maudit projet qui n’irait pas moins à construire un palais immense trois fois plus grand que celui de l’impératrice. Il a mis S. M. I. de fort mauvaise humeur, et avec juste raison. [...] S. M. I. ne veut plus rien, absolument rien qui vienne de cette boutique. 4 »
Excepté notre œuvre, plusieurs autres dessins, conservés à l'Ermitage, témoignent du travail effectué par Clérisseau pour la maison antique de Catherine II. L'un d'eux, représentant une niche ornée d'une statue est particulièrement proche de notre dessin par ses multiples panneaux à motifs de candélabres et d'arabesques ainsi que ses médaillons aux scènes antiques. Une vue complète d’un pan de mur reproduit également la même structure sur les panneaux centraux.
1 Thomas J. McCormick, Charles Louis Clérisseau and the genesis of neo-classicism, 1990.
2 Louis Réau, Correspondance de Falconet avec Catherine II, 1767-1778, Paris, E. Champion, 1921, p. 217.
3 Idem, p. 229.
4 Idem, p. 231.
Charles Louis Clérisseau, Projet de décoration intérieure pour Catherine II de Russie, plume et encre brune, lavis brun et gris sur papier, 35,3 x 30,3 cm Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage (Inv. OP-2606).
Charles Louis Clérisseau, Intérieur de temple en ruines avec une vasque, plume et encre brune, lavis brun et gris sur papier ; 30,5 x 36,5 cm., collection particulière : vente, Paris, Artcurial, 4 février 2011, n° 46
Charles Louis Clérisseau ; Projet pour la maison antique, élévation intérieure, Hermitage (n° d’inventaire inconnu).
Charles Louis Clérisseau, Fantaisie architecturale, 1782, gouache, plume et lavis brun, souligné à l'encre de Chine sur papier, 47,1 x 60,5 cm. SaintPétersbourg, musée de l’Hermitage (Inv. OP16919)
Il est également à noter que la vue de ruines représentées sur notre dessin demeure un leitmotiv dans l'œuvre de l'artiste. Deux dessins témoignent du travail de Clérisseau sur ce motif : Un petit dessin à la plume qui semble être une étude préparatoire au grand tableau central de notre projet de décor.
Une grande gouache sur laquelle l’on distingue toutefois quelques modifications est également conservée par le musée de l’Hermitage.
Malgré le refus de son projet russe, Clérisseau mettra à profit ses expérimentations dans un projet plus tardif à destination d'un particulier parisien. Reprenant la même esthétique,ilréaliseentre1779et1782ledécor intérieur du salon de l'Hôtel Grimod de la Reynière.
Jan Chrystian Kamsetzer, Vue du Grand Salon de l'Hôtel Grimod de La Reynière à Paris, aquarelle sur papier, Bibliothèque de l'Université de Varsovie.
Le tampon présent au dos de la feuille semble indiquer que le dessin est passé par la Russie.Eneffet,endépitde sadéconvenueavec l’artiste, Catherine II décide de lui acheter son fonds de dessins en 1783. Ces derniers ont été rassemblés par l’artiste dans un même portefeuille en comportant 1120. Il est aujourd’hui difficile de distinguer les vingtquatredessins du projetpourCatherine II et de savoir s’ils étaient tous présents dans le fonds vendu à l’Impératrice puisque ce dernier comporte un assemblage de divers projets pour des museums5. Tous les dessins de l’Hermitage ont été marqué de l’estampille de Paul Ier, ce qui n’est pas le cas pour ce dessin. Ce dernier n’est donc jamais entré dans les collections de CatherineII.Ilauraitétévenduoudonnéavant l’achat du fonds par cette dernière
Détail. Verso du dessin.
5 Chevtchenko, Valerii. Charles-Louis Clérisseau : 1721-1820 : dessins du Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg : [exposition, Paris, Musée du Louvre, salle de la Chapelle, 21 septembre - 18 décembre 1995 ; Saint-Petersbourg, Musée de l’Ermitage, 1996. Paris: Réunion des musées nationaux, 1995, p. 73.
Gérard van Spaendonck (Tilbourg, 1746 - Paris, 1822)
Bouquetdefleursetfruits.
1779.
Gouache aquarellée sur papier.
Signé et daté en bas à droite : Van Spaendonck / 1779
H : 15.5 ; L : 13 cm.
Provenance :
Vente anonyme (Me Bussillet), 28 janvier 1936, n°76.
Cette œuvre représente un bouquet composé de nombreuses espèces de fleurs, rassemblé dans un vase godronné en marbre reposant sur une tablette sur laquelle des fruits sont disposés et dont la tranche est signée du nom de l’artiste. L’œuvre miniaturisée présente une touche spontanée et vive donnant vie à cette nature idéalisée propre au XVIIIe siècle.
Gérard van Spaendonck est l’un des premiers artistes à avoir introduit la peinture florale d’origine néerlandaise en France. Né aux Pays-Bas dans un contexte familial qui le destinait plutôt à l’administration, il étudie néanmoins à l’académie de peinture d’Anvers chez Jacob III Herreyns dès 1764. Cinq ans après, en 1769-1770, il se rend à Paris et parvient à intégrer l’Ecole supérieure de dessin dirigée par Jean-Jacques Bachelier, peintre à la cour de France. En 1773-1774, Gerard van Spaendonck fait ses débuts à la Manufacture royale de Sèvres en qualité de fournisseur de modèles aux peintres sur porcelaine.
Il expose pourla première fois au Salon de 1777 et est admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1781. Il est ensuite nommé professeur de peinture florale au Jardin des Plantes à la suite de Madeleine Basseporte. En 1786, il devient peintre du cabinet de Marie-Antoinette.
Très lié au pouvoir, il a contribué à une cinquantaine d’aquarelles pour les Vélins du Roi et a fourni des dessins pour la manufacture royale de Sèvres.
Certaines espèces de fleurs sont mises en avant par van Spaendonck, et notamment la Rosa Centifolia ou la « Rose cent-feuilles », aussi appelée « Rose de Hollande »1. Celle-ci apparaît aujourd’hui comme une signature visuelle du peintre, puisqu’elle apparait dans la grande majorité de ses compositions, et souvent au centre de celle-ci, comme c’est le cas pour notre gouache.
Miniaturiste de Louis XVI, Spaendonck a adapté son sujet de prédilection, les fleurs, à la miniature, à l’instar de cette aquarelle gouachée, technique que l’artiste a mis en avant au cours de sa carrière. L’exécution est plus rapide et plus enlevée que dansseshuiles.Elleestsoutenueparsaparfaite
connaissance des espèces représentées et par son expérience dans la peinture sur vélin.
Ses miniatures représentant des bouquets connaissent un vrai succès au cours de sa carrière. Il lesdéclinedansdesmédaillons ouvragés, des cadres miniatures et certaines sont montées sur des boîtes précieuses. Les bouquets, amples, remplissent l’espace et présentent un agencement soigné afin de donner de l’harmonie et un équilibre dans les couleurs.
Gérard
1 Florine Albert. Catalogue raisonné de l’oeuvre peint de Gérard Van Spaendonck (1746-1822). Sciences de l’Homme et Société. 2020, p. 21.
LaJeuneMère.
1791.
Aquarelle gouachée sur papier.
Signé et daté sur le tronc d'arbre au sol : 1791 Van Gorp.
H : 31 ; L : 22 cm.
Cette charmante aquarelle prend place dans un jardin luxuriant qui sert d'écrin aux deux jeunes femmes assises. Tandis que l'une tient l'ombrelle qui les abrite, l'autre presse son sein d'où s'écoule du lait. La statue d'un amour complète la scène, il semble tirer sa flèche vers la jeune mère.
Henri-Nicolas Van Gorp est reçu à l’Académie Royale de peinture et de sculpture en 1773, il est alors le protégé d’Étienne Jeaurat. Il est pensionnaire de l’Académie pendant douze ans durant lesquels il devient l’élève ou un condisciple de Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Ces artistes s’inscrivent dans un même courant,, tout comme JeanBaptiste Mallet (1759-1835) à qui de nombreuses aquarelles de Van Gorp ont été attribuées .
Mais sa peinture aux accents moralisateursetsentimentaux,inscritedansun contexte contemporain, se distingue des œuvres de ses condisciples. Certains de ses tableaux, notamment Le retour d’un Hussard danssafamille, Salonde1798ouencore Laleçon de bienfaisance, 1806 (Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin) connaissent un véritable succès et sont reproduits en gravure.
Van Gorp expose au Salon régulièrement de 1796 à 18191 . Ce n’est que pendant la première période, jusqu’au début du XIXe siècle, qu’il expose des scènes de genre. Par la suite, il semble ne se consacrer qu’au portrait.
Les tendres scènes de genre d'HenriNicolas Van Gorp, à l'instar de cette aquarelle, sont à rapprocher de l’une de ses œuvres qui a été reproduite en gravure, dénommée Le déjeuner de Fanfan, qui reprend le même thème de la maternité, avec une inflexion sentimentale.
Le déjeuner de Fanfan, estampe par Jean-Baptiste Mallet; sous la direction de Louis-Marin Bonnet ; d'après une gouache de Henri-Nicolas Van Gorp, vers 1789-1792.
1 « Base de données « Salons et expositions de groupes 1673-1914 », salons.musee-orsay.fr, un projet du musée d’Orsay et de l’Institut national d’histoire de l’art soutenu par le Ministère de la Culture et de la communication, consulté le 03/12/2023
Jeanne LevachÉ dite JENNY DESORAS
(Saint-Symphorien-de-Lay, 1776 – Coutarnoux, 1858)
PortraitdeMarie-CharlotteGeorgetteNizondeSaint-Georges.
1807-1809.
Huile sur toile.
H. 27 ; L. 21 cm.
Ce précieux portrait de dame au teint frais représente, comme en témoigne l’inscription sur le châssis, Madame Marie-Charlotte Georgette Nizon de Saint-Georges. Elle est vêtue d’une robe blanche dont les jeux de transparence sont finement rendus par de légères couches de glacis. Ses bijoux, en corail, notamment son imposant collier en forme de croix et son peigne, permettent de dater le tableau assez précisément des années 1807-1809. Le détail du ruban satiné s’enroulant autour du chapeau et des doigts de la dame est traité comme une miniature, avec beaucoup de précision.
Il a été possible de retracer la vie de cette mystérieuse artiste, dont rien n’était connuhormislenomaveclequelellesignaitses tableauxetapparaissaitauSalonrégulièrement de 1804 à 1835. En effet, seule sa première participation en 1804 se fait sous le nom de « Jenny Levaché-Desoras », puis elle se présente comme « Jenny Desoras » ou « Jenny Berger », du nom de son mari. Grâce à la découverte d’un jugement rendu en 1827, nous avons pu établir avec certitude que Jenny Levaché, Jenny Desoras et Jenny Berger étaient la même personne1
Fille de chapelier2, Jeanne Levaché grandit avec sa sœur cadette à Lay, en Loire, jusqu’à son adolescence. Rien ne prédispose alors la jeune fille à la peinture, devenue qui plus est orpheline à cette même époque. Son père disparaît subitement en 17913, sans laisser de trace, suivi par sa mère qui décède en 1794.
Grâce au réseau relationnel de son parrain, le maréchal Joseph George4, Jenny Levaché semble avoir été confiée aux soins d’une famille de notables de la région, les seigneurs de Soras5. Démontrant certainement des aptitudes marquées en dessin, ces derniers l’invitent probablement à poursuivre son apprentissage et espérer une carrière artistique.
La jeune artiste prend ses premières leçons chez un certain « Sermaize ». En tout état de cause, il semblerait qu’il s’agisse de Simon Jean Malard de Sermaize, avocat de la Sâone-et-Loire voisine et artiste en dilettante.
À sa majorité en 1800, Jenny Levaché s’installe à Paris et intègre le célèbre atelier féminin de Jean-Baptiste Regnault. Après quelques années à perfectionner son art, elle participe à son premier Salon en 1804. Au sein du livret6, elle se fait connaître sous le patronyme de Désoras-Levaché, nom d’emprunt qui raisonne comme un hommage et une marque de reconnaissance envers ses protecteurs de jeunesse. Elle n’expose ensuite que sous ce seul patronyme, en ajoutant celui de son mari à partir de 1813, puis en mentionnant « veuve Berger » après le décès de son mari en 1826
L’artiste connait un certain succès avec ses sujets de genre humoristique sur le thème de l’amour et du mariage, reproduits en gravure « Les amateurs du genre gracieux vont s’empresser de se procurer deux charmantes gravures, ayant pour intitulé : Deux jours de Mariage et Deux ans de Mariage, d’après les jolis tableaux de Mme Berger, née Jenny Desoras, exposés au Salon de 1819. 7».
1 Gazette des tribunaux, journal de jurisprudence et des débats judiciaires, n°409, 27 janvier 1827, p. 317. L’article stipule que « Mlle Levacher Desoras est auteure de plusieurs tableaux (…) en 1813, Mlle Desoras a épousé M. Berger. »
2 Archives départementales de la Loire, État civil, Lay, Baptêmes, Mariages, Sépultures - 1773-1780, Acte de baptême de Jeannette Levacher.
3 D'après un acte de notoriété du juge de paix du canton de Saint-Symphorien de Lay du 20 août 1811 cité dans l'acte de mariage du 10 septembre 1811 de sa fille Sophie, Barthelemy Levaché est alors absent de Lay depuis environ 20 ans et on est sans nouvelle de lui depuis.
Archives départementales de l'Allier, État civil, 2 Mi EC 142 7, LE DONJON, Mariages et décès, 1801-1822, an X-1822, Acte de mariage d'Hubert Morgat - Sophie Levaché du 10 septembre 181.
4 Archives départementales de la Loire, État civil, Lay, Baptêmes, Mariages, Sépultures - 1773-1780, Acte de baptême de Jeannette Levacher.
5 Barthélémy Veyre de Soras étant capitaine de cavalerie et ancien gendarme de la Garde du Roi.
6 Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure des artistes vivans... imprimerie des Sciences et des Arts, Paris, cat. 308.
7 Le Corsaire : journal des spectacles, de la littérature, des arts, des mœurs et des modes, n°22, 1er août 1823, p. 4.
Jenny
Nous savons également qu’elle travaillait à de nombreux portraits. Certains sont connus, et ils présentent une grande similarité dans l’exécution avec le notre. En effet, elle traitait les visages avec de larges paupières ourlées, des traits très dessinés, un teinttrèsfrais,unpaysagebrosséàlargestraits dans le fond, s’opposant à la précision des étoffes représentées. Le portrait de Madame Duschenoisa certainementété réalisédurant la même période,. Nous y retrouvons la même inclinaison du visage et le regard amical tourné vers le spectateur.
Un article médical ayant paru en 18068 , portant sur l’étude de la maladie qui la touche, témoigne de son travail. Il la décrit ainsi : « Son caractère gai, son imagination vive ; elle porte à l’excès l’amour de son art, et lui sacrifie souvent, par des études prolongées, ou dans l’enthousiasme de la composition, les heures de raps, du sommeil, de l’exercice » et précise que « la malade avoit pour la peinture une passion dominante ; elle continua à être assise 6 à 8 heures par jour devant ses modèles, ses pinceaux à la main ». Il est rare et touchant d’avoir accès à un tel témoignage sur la vie d’un artiste.
Jenny Desoras, chasseur et son chien, huile sur toile, 58x45 cm, 1823. Osenat, 3 juillet 2016, lot no 437.
8 Journal général de médecine, de chirurgie, de pharmacie, etc. ou recueil périodique de la Société de Médecine de Paris, Société de Santé de Paris, 1811, pp. 3-14.
Augustin THIERRIAT (Lyon, 1789 - 1870)
ÉtudedePavots.
Concours de la classe de la Fleur de l'école de dessin de Lyon, 1809.
Dessin au fusain et craie blanche sur papier gris.
H : 53 ; L : 40,5 cm.
Ce grand dessin représente des fleurs de pavots disposées dans une composition enlevée, qui se déploie sur la diagonale de la feuille. Les deux fleurs de pavot les plus épanouies se répondent en symétrie alors que le feuillage et les bourgeons s’échappent de cet agencement dans un mouvement donnant toute sa vie à la composition. La précision dans le travail des textures, les veines des feuilles, les très fines rainures présentes sur les pétales et le léger reflet des tiges, témoignent de la maîtrise technique de l’artiste.
Augustin Thierriat est né à Lyon le 11 mars 1789 et mort à Lyon le 14 avril 1870. Orphelin de la Terreur, il fut placé chezun ami de son oncle, le peintre Alexis Grognard en 17961. Il est élève de l’Ecole de dessin de Lyon en 1806, puis il suit les cours de l’Ecole des Beaux-Arts de 1807 à 1813, avec pour maîtres Revoil, Grognard et Berjon. Il ouvre un cours de dessin pour dessinateurs de soieries en 1812 et devient professeur de la classe de Fleur à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon où il exerce jusqu’en 1854. Il expose régulièrement aux salons de Paris et de Lyon, où il est médaillé en 1817 et en 1822. Il devient le conservateur des Musées et du Palais des Arts de Lyon en 1830 et garde cette charge jusqu’à sa mort en 1870.
Spécialisé en premier lieu dans la représentation de fleurs qui lui donne le goût pour la précision dans la représentation, l’artiste s’est également illustré pour ses paysages et scènes de genre. Il était également un collectionneur chevronné dont le cabinet fut dispersé aux enchères en 1872.
Ce dessin constitue la première oeuvre référencée d'Augustin Thierrat, peintre de fleurs incontournable de l'école lyonnaise.
Le jeune Thierrat s'inscrit dès 1807 à l'École impériale des Beaux-Arts de Lyon et intègre la "classe de la Fleur" dirigée par un éminent professeur, Jacques Barraband. Dès l'ouverture de l'école, des concours à destination des élèves sont organisés à la fin de l'année scolaire pour chacune des classes (peinture, sculpture, architecture et peinture de fleurs) qui donnent lieu à des cérémonies officielles de remises de prix.
Notre dessin constitue la participation d'Augustin Thierrat au concours de l'année 1809 pourla"classedelaFleur".Lorsdeladistribution des prix, qui se déroule le 31 juillet 18092 , Thierrat est gratifié d'une mention honorable3
Plusieurs annotations, visibles sur notre dessin, témoignent de ce verdict. En bas à droite l'inscription "Bony pour Mr Barraband" fait référence aux professeurs de Thierrat à l'école de dessin ; Jacques Barraband et Jean-François Bony. Ce dernier est nommé en 1809 professeur suppléant pour la classe de la Fleur en remplacement de Barraband, dont l'état de santé se dégrade jusqu'à sa mort le 1er octobre 1809. Ainsi, Jean-François Bony, en lieu et place du professeur historique de l'école, valide l'oeuvre de Thierriat en vue du concours.
En bas à gauche, la "mention honorable" reçue par l'artiste est inscrite au-dessus des signatures des membres du jury. Nous y reconnaissons les noms de trois peintres lyonnais ; Jean-Michel Grobon, Claude Cochet et Fleury Épinat ; et d'un marchand brodeur ; Jacques Bellacla. La dernière signature n'a pas pu être identifiée.
1 « Thierriat (Augustin) », dans Adolphe Vachet, Nos Lyonnais d'hier : 1831-1910, Lyon, p. 355
2 Bulletin de Lyon, 2 septembre 1809, p. 2.
3 Marie-Claude Chaudonneret, "L’enseignement artistique à Lyon.Au service de la Fabrique ?" dans Le temps de la peinture, Lyon 1800-1914, Fage éditions, Lyon, pp.29-35.
Élisabeth Hardouin-Fugier, Fleurs de Lyon 1807-1917, catalogue exposition au Palais Saint-Pierre, Musée des Beaux-Arts Lyon Juin-Septembre 1982, Lyon, Musée des Beaux-Art, 1982, p. 329.
Attribué à Anthelme TRIMOLET (Lyon, 1798 – 1866)
Fileusedansunintérieur.
Vers 1820-1825.
Huile sur toile.
H. 65 ; L. 54 cm.
Assise devant une fenêtre, une femme file la laine enroulée autour de la quenouille qu’elle tient dans la main gauche, tandis que, de la main droite, elle fait tourner la roue de son rouet. La pièce dans laquelle se situe la scène est baignée d’une douce lumière, mettant en valeurquelquesdétailsminutieux tels que lesrefletssurle boisdu rouet, le panierde laine filée surun repose-pieds, le cuir deschaussures délicatementposéssurletapis, la petiteboîteà bijouxsurla cheminéeetletisonqui brillediscrètement derrière l’étoffe posée sur la chaise. Un tissus noué retient nonchalamment les cheveux de la fileuse qui est vêtue d’une chemise dont le jeu de transparence sur les broderies, rendu par un très léger empâtement des lignes en bordure de l’étoffe, contraste avec le lourd jupon rouge qui couvre ses jambes.
Cette toile est sans contestede la main d’Anthelme Trimolet, peintre lyonnais, reconnu pour la grande minutie de son travail, inspirée des maîtres hollandais, réactualisée par son travail sur les scènes de genre du XIXe siècle.
Anthelme Claude Honoré Trimolet est né à Lyon. Son père, dessinateur en broderie s’était reconverti à la peinture sur métaux à la suite de la Révolution française. Il entre à l’école des Beaux-Arts de Lyon lors de sa création, à l’âge de dix ans. Il est récompensé dans plusieurs classes. Dès 1810, il se distingue avec la classe de Principes. En 1812 il remporte la médaille d’argent de la classe de Bosse, en 1813 pour la Figure d’après nature et, enfin, le tant convoité Laurier d’Or, en 1815, le dispensant de service militaire1. Il a comme maître le peintre Pierre-Henri Révoil (1776-1842) qui enseigne aussi à Claude Bonnefond (1796-1860), MichelPhilibert Genod (1795-1862), Augustin Alexandre Thierriat (1789-1870) ou encore Jean-Marie Jacomin (1789-1858), les têtes de file d’un mouvement qui sera pour la première fois qualifié d’ « école lyonnaise » lors du Salon de 1819.
Lors de ce même Salon, Trimolet gagne la médaille d’or pour son atelier du mécanicien, commandéparleprofesseurEnnemondEynard. Le sens habile du détail de l’artiste, développé suite à la découverte des maîtres hollandais lors de son premier voyage à Paris, est remarqué par le duc de Berry, qui lui commande un tableau, qui ne sera pas terminé avant l’assassinat de ce dernier en 1823. Il fait également la rencontre du Marquis Victor de Costa, proche du roi de Sardaigne, grâce auquel il obtient une commande pour le Prince de Carrignan.. Il s’agit de la première scène historique de grande envergure réalisée par l’artiste, les députés du concile de Bâle présentant la tiare à Amédée VII, qu’il présentera au Prince à Turin en 1831.
Anthelme Trimolet. Intérieur d'un atelier de mécanicien, huile sur toile, 1819 (Inv. A33). Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Atteint de ce qu’il définit comme une « langueur »2, Anthelme Trimolet ne semble pas avoir cherché à développer sa carrière officielle malgré ses premiers succès. Pourtant, le nombre de portraits qu’il produit témoignent de sa notoriété auprès des aristocrates lyonnais, ainsi que le fait remarquer Aimé Vingtrinier dans le portrait qu’il dresse de l’artiste :
« Il fuyait l’éclat et le bruit, mais les hautes familles de la cité sollicitaient la faveur de poser devant lui. Ces toiles, conservées avec soin dans les galeries particulières, n’ont pas été soumises au jugement du public et à la critique des journaux ; elles ne grandisseront le nom de l’artiste que lorsque le pinceau sera tombé de sa main et que l’art aura contemplé avec effroi la perte qu’il a faite»3
1 Élisabeth Hardouin-Fugier, Étienne Grafe, Portraitistes lyonnais (1800-1924) (cat. exp., Lyon, musée des Beaux-Arts, juinseptembre 1986), Lyon, musée des Beaux-Arts, 1986
2 Archives municipales de Lyon. Cote 65II/129. Autobiographie et liste de ses œuvres peintes, écrite et donnée par lui-même à Aimé Vingtrinier.
3 Aimé Vingtrinier, La paresse d’un peintre lyonnais, Lyon, 1866, pp. 10-11.
Son mariage avec l’une de ses élèves, Edma Saunier(Lyon, 1802- Saint-Martin-sousMontaigu, 1878) en 1824 le dote d’une grande fortune, sa femme étant la fille d’un riche propriétaire terrien. Les époux ont laissé, par le leg de leurs archives et de leurs collections, le touchant témoignage d’un couple attachant, curieux de tout, prolifique dans la création artistique à travers des carnets de croquis et des journaux. Les époux Trimolet amassent plus de 2000 œuvres à partir des années 1825, avec un goût prononcé pour la Haute Epoque et le Moyen-Âge. Ce véritable musée, constitué de livres, tableaux, meubles sculptures… est légué au musée de Dijon après le décès d’Edma Trimolet en 1878.
Grâce à ce leg, l’entièreté du fonds de dessins du couple est arrivé entre les murs du musée, mais seules quelques toiles d’Edma et d’Anthelme Trimolet sont aujourd’hui conservées par le musée. L’étude du fonds Trimolet renseigne néanmoins sur l’évolution de la carrière de l’artiste et nous permet de rattacher la Fileuse à la période qui suit le premier succès de Trimolet, à savoir l’Intérieur d'un atelier de mécanicien, de 1819. En effet, nous avons remarqué que, parmi les dessins datés, les scènes de genre domestiques et intimes se concentrent sur la période 1820-1830. Après 1830, nous ne connaissons que des portraits et quelques scènes inspirées de l’Enfer de Dante.
La manière du tableau que nous présentons se rapproche d’un tableau conservé par le musée de Dijon, Portrait de son père et de sa mère jouant aux cartes, qui n’est pas signé également. Ce dernier semble porter encore quelques raideurs de la jeunesse, ainsi qu’une finition dans le détail qui est moins poussée que la Fileuse mais il présente tous les traits caractéristiques qui feront la renommée de l’artiste : détails foisonnants, matières rendues parde légersempâtements,veloutéde latouche, mains très dessinées et détaillées…
Tous ces éléments se retrouvent, plus aboutis, dans l’Intérieur d’un atelier de mécanicien. L’éclairage est donné par une fenêtre latérale, qui forme un halo plus clair autour de la tête des protagonistes, les drapés présentent la même
lourdeur veloutée et les détails sont ornés de points de lumière étincelants à la manière hollandaise.
Anthelme Trimolet, Portrait de son père et de sa mère jouant aux cartes, huile sur toile, 19ème siècle, Inv. CA T 120. Legs Anthelme et Edma Trimolet, 1878. © Musée des Beaux-Arts de Dijon/ François Jay.
Un autre dessin issu du fonds Trimolet du musée des Beaux-Arts de Dijon représentant une Femme à la lecture reprend le même type de composition,avecunlourddrapérevenantentre les jambes de la protagoniste. L’attitude quelque peu retenue est également typique de l’artiste.
Anthelme Trimolet. Femme à la lecture, crayon noir sur papier, Inv. CA T 203. Musée des Beaux-Arts de Dijon.
Alors que dans le même temps, l’arrivée des romantiques remet en cause ces techniques picturales qui font la spécialité de l’artiste, il indique dans sa correspondance les contradictions dans le goût auxquelles il devait faire face :
« Cette polémique répandit promptement, et surtout en province, une défaveur sur l’art et les artistes. Il n’était plus de bon ton d’admirer la peinture, mais au contraire, de la critiquer. Ce qu’on avait loué en nous devenait alors notre plus grand défaut. – C’est du microscopique, mon cher ; faites donc large ! mettez épais de couleur et laissez aux religieuses ce travail d’aiguille. – Vos peintures ressemblent à de la porcelaine, - faites donc croustilleux et avec facilité !
– Voyez Bonington, voyez Delacroix, etc… ; - et chose singulière, ces mêmes individus venaient me trouver pour faire faire leur portrait, me recommandant de les peindre finement, et de ne pas épargner les détails que, disaient-ils, je faisais si bien ! – C’était à démoraliser la meilleure tête ! »4
Jan Adam Kruseman (Haarlem, 1804 – 1862)
Ladiseusedebonneaventure.
1825.
Huile sur toile.
Signé et daté en haut à gauche.
H. 74 ; L. 80 cm.
Provenance :
Exposition des maîtres vivants (Tentoonstelling van Levende Meesters), Haarlem, 1825, n°240.
Chez Albertus Bernardus Roothan en 1825.
Collection Ryfsnyder ; sa vente, Amsterdam, 28 octobre 1872, numéro 124.
Sur un fond sobre, une femme âgée représentée de profil lit dans les lignes de la main d’une plus jeune femme tournée de trois quarts. Les deux figures sont vêtues d’un habit contemporain typique des années 1825. Le regard de la cartomancienne est levé vers le visage de sa cliente, tandis que cette dernière baisse ses yeux vers la lecture des lignes de sa main, ce qui oriente l’œil du spectateur vers un triangle avec, au centre, la main pointée de la vieille femme. Le cadrage serré amplifie le sentiment d’être absorbé dans leur conversation.
Ce tableau est cité dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Jan Adam Kruseman, sa localisation était alors inconnue1. Il a été exposé en 1825 à Haarlem sous le numéro 240 « Een Brabandsche Waarzegster »/ « Une diseuse de bonne aventure brabançonne »2 , lorsque le travail de Jan Adam Kruseman connaît ses premiers succès auprès du public.
Né à Haarlem en 1804 d’une famille bourgeoise originaire d’Allemagne, Kruseman quitte sa ville natale pour Amsterdam en 1819 où il rentre dans l’atelier de son cousin, Cornelis Kruseman, de sept ans son aîné. Il poursuit son apprentissage jusqu’en 1821, date de départ de son cousin pour l’Italie. Il continue alors en autodidacte tout en réalisant ses premières commandes de portraits après avoir remporté un prix chez Felix Meritis.
En 1822, fort de ses premiers succès, il part compléter son apprentissage à Bruxelles auprès des deux plus influents artistes de son temps, François-Joseph Navez (1787-1869) et Jacques-Louis David (1748-1825). Sous la direction de ce dernier, il réalise de nombreux croquis d’étude et de la peinture d’histoire. Navez, quant à lui, exerce une influence classiciste sur son œuvre. Lorsqu’il rentre sous l’enseignement de Navez, ce dernier venait de rentrer d’Italie où il avait découvert la peinture d’Ingres, les nazaréens, dans sa recherche de réconciliation des tensions entre réalisme et idéalisme.
Kruseman réside à Paris au cours de l’année 1824 et son travail commence réellement à émerger auprès du public en 1825 lorsqu’il revient à Amsterdam. Il se marie le 11 mai 1826 avec Alida de Vries (1799-1862) avec laquelle il a cinq fils, deux filles et un fils adoptif, celui de sa sœur d’Alida.
La fin des années 1820 marque l’essor de l’artiste, il fait partie de la Société néerlandaise des Beaux-Arts et des Sciences en
1828, puis il est nommé directeur de la Royal Academy of Art d’Amsterdam.
En 1832, il ouvre son propre atelier et de 1834 à 1836, il effectue plusieurs voyages d’étude en Allemagne, en Angleterre et en Ecosse.
En 1844, il est nommé par le roi Wilhelm II membre de l’Institut Royal néerlandais. Il est également nommé chevalier de l’ordre du lion la même année. C’est un artiste accompli et particulièrement apprécié, comme en témoigne le commentaire accompagnantles œuvres qu’il présente lors du Salon des Artistes Vivants d’Amsterdam en 18413 : « J.A. Kruseman, à Amsterdam, a encore fourni quelques-uns de ces portraits qui sont autant de preuves des grands mérites de cet artiste (…) ; ce n’est donc pas sans raison que cet artiste est l’enfant chouchou du public ».
L’artiste entretient des liens avec les membres de la famille royale qui lui commandent des portraits et achètent ses œuvres à l’occasion de ses expositions. Il a notamment réalisé le portrait du roi Wilhelm II.
Il joue un rôle central sur la scène artistique de son époque, il est présent dans toutes les sociétés artistiques et reçoit des dizaines de distinctions tout au long de sa carrière. Il l’avoue lui-même, cela lui prend tellement de temps qu’il regrette ne pas pouvoir être plus présent auprès de sa famille4
Après 50 ans de vie familiale plutôt heureuse, les drames s’enchaînent au sein de la famille Kruseman et le peintre finit par succomber des suites d’une maladie le 17 mars 1862. Il est tellement apprécié et intégré dans la société néerlandaise que pas moins de 394 lettres de deuils sont adressées à sa famille.
1 Renting Anne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, 1804-1862. Nijmegen: G.J. Thieme, in samenwerking met Stichting Paleis Het Loo Nationaal Museum, 2002, cat. 55.
2 Levende Meesters, Haarlem, 1825, catalogue n. 240.
3 Levende Meesters, 1841.
4 Renting Anne-Dirk et al. Jan Adam Kruseman, op. cit.
La diseuse de bonne aventure représente un jalon très intéressant et mal connu de la carrière de Kruseman, les tableaux connus de cette période artistique sont rares. En effet, on peut yvoirl’influencedeNavezparsoncadrage serré et le sujet, mais Kruseman exprime déjà une manière qui fera son succès lors de son retour au Pays-Bas en employant des costumes contemporains et en cherchant dans l’expression une douceur moins marquée par l’expression héroïque recherchée par David et Navez.
Après son retour à Amsterdam en 1825, Kruseman garde contact avec Navez mais il est aussi toujours sous l’influence de David qui se fait grande dans le sud des PaysBas. Il cherchait de l’expression dans ses portraits et on peut mettre en rapport l’autoportrait de Navez (1826), de David et de Kruseman (1827) pour leur expression forte : Navez se représente avec une expression héroïque tandis que Kruseman cherche à mettre en valeur un regard amical
Un détail touchant de ce tableau en témoigne : les yeux baissés de la jeune femme brille à travers ses longs cils et une légère moue se dessine sur son visage.
Attribué à
Ary Scheffer (Dordrecht, 1795 – Argenteuil, 1858)
Scèned’inondation.
Vers 1820-1825.
Aquarelle et gouache sur papier.
H. 61, 5 ; L. 81 cm.
Perchés sur le toit d’une maison autour de laquelle s’organise la composition, les habitants d’un village sont secourus par d’autres habitants menant une barque. Au centre, un homme prend appui sur une pierre pour mener une femme vers l’embarcation et un vieil homme s’avance pour l’aider. Une femme éplorée tend ses bras vers le ciel, une autre est couchée sur quelques effets personnels qui ont pu être sauvés tandis que dans le fond, d’autres personnages, inquiets, regardent dans différentes directions. Le dramatisme de la scène est soutenu par les expressions des visages, les flots boueux présents en premier en en arrière-plan qui enferment la scène, le ciel orageux et le mobilier qui dérive en premier plan. Le traitement pictural, qui allie large coups de brosse aquarellés et points de détail gouachés, rend l’aspect cotonneux d’une lumière obscurcie par la tempête.
Cette œuvre peut être rapprochée de la seconde période artistique de Ary Scheffer (17951858), qui, après avoir exposé quelques œuvres à l’inflexion néoclassique, cherche sa voie à travers un romantisme dramatique.
Ary Scheffer est né à Dordrecht le 10 février 1795. Son père, Johann-Bernhard Scheffer (1764–1809), sa mère, Cornelia Scheffer (1769–1839) et son frère Henri Scheffer (1798-1862) sont artistes. Il apprend ainsi le dessin à leurs côtés dès le plus jeune âge puis à l’Académie de peinture d’Amsterdam entre 1806 et 1809. Il expose dès 1808 à l’exposition des maîtres vivants d’Amsterdam et s’installe à Paris en 1811. Elève présumé de Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823), il entre ensuite dans l’atelier de Pierre Narcisse Guérin1 (1774-1833) et participe au Salon dès 1812. Dans l’atelier de Guérin, il rencontre Théodore Géricault (1791-1824) et Eugène Delacroix (1798-1863) et, à l’instar de ses camarades, emprunte le chemin du romantisme.
Il expose des toiles inspirées de l’histoire nationale et de la mythologie qui lui permettent d’exprimer de forts sentiments d’affliction, mêlées d’héroïsme, dès les années 1815. Il évolue au cours descinq annéesqui suiventet peint en parallèle des œuvres plus sentimentales, montrant des scènes de drames quotidiens. Un tournant s’opère en 1827 avec Les femmes souliotes, le coloris devient alors plus cristallin, les personnages plus longilignes, les compositions plus rapprochées et habitées de moins de personnages. C’est pour cette dernière période que l’artiste est le plus célèbre, notamment pour ses œuvres inspirées du chef d’œuvre de Johann Wolfgang von Goethe (1849-1832), Faust.
Pourtant, la période d’une douzaine d’années s’étendant de 1815 à 1827 représente un véritable laboratoire pour la création fertile du jeune artiste. Ces premières années de la Restauration en France voient l’avènement d’une nouvelle peinture de genre prisée par la bourgeoisie alors naissante. Il s’agit de scènes de la vie du petit peuple empreintes de sentimentalisme larmoyant.Durantlesannées1820,ArySchefferse fait une spécialité de ces tableaux qui lui assurent
Le personnage central avance son pied avec force dans une posture inhabituelle que reproduit notre gouache.
une grande notoriété2 La composition, la touche, certaines attitudes et plusieurs faciès de protagonistes se retrouvent dans d’autres compositions de l’artiste, notamment La Tempête (fig.1) ou encore L’Incendie (fig.2). Son sujet est aussi étroitement lié àsa Scène d’inondation exposée au Salon de 1827 où l’action se déroule après le drame, au contraire de notre gouache.
1 Ary Scheffer, sa vie et son œuvre, Leonardus Joseph Ignatius Ewals, ed. Nijmegen, 1987.
2 Antoine Etex, Ary Scheffer : étude sur sa vie et ses ouvrages, Lévy fils, Paris, 1859, p.12
En effet, dans cette dernière, Scheffer s’attache à représenter le sauvetage in extremis de sinistrés réfugiés sur le toit de leur maison par une embarcation. Ary Scheffer immortalise ici avec une grande justesse la profonde souffrance du petit peuple. Il dépeint avec subtilité les émotions variées face à l’inondation et au sauvetage, allantde la peur à la reconnaissance, en passant par la tristesse et les supplications.
Le coup de lumière porté sur les personnages centraux, alors que d’autres affligés restent dans l’ombre, est aussi reconnaissable de la manière de Scheffer. Nous le retrouvons notamment dans Les femmes souliotes (fig. 3) et La Tempête (fig. 1). L’utilisation de la brosse à larges traits, la touche libre pour la représentation de certains détails tels que la paille sur le toit de l’habitation font aussi la spécialité de l’artiste dans son travail de l’aquarelle, sûrement sous l’influence de la manière de Delacroix. La composition pyramidale avec une ligne d’horizon assez basse, une figure éplorée, de profil, et les mains jointes était aussi une formule employée par Scheffer pour la représentation d’autres scènes dramatiques
La figure de l’homme au centre, et du vieillard de l’Inondation, ont été réemployés notamment dans une scène gravée, Le village incendié par les cosaques (fig. 4&5), par Hippolyte Garnier et aujourd’hui perdue. Quant à la femme coiffée d’un bonnet, une figure très similaire a été également reproduite en gravure d’après une autre œuvre disparue de Scheffer (fig. 6).
Christian Albrecht JENSEN (Bredsted, 1791 – København, 1870)
Portraitdejeunefille
Vers 1823-1825.
Huile sur toile.
H. 29 ; L. 19. Placée sur un fond sombre, la jeune femme portraiturée présente une expression rêveuse avec un regard porté au loin. L’artiste joue habilement avec le contraste complémentaire de l’habit vert et du châle rouge, qui répond aux très fines boucles d’oreilles en corail.
Connu pour ses nombreux portraits très recherchés de l’élite danoise du début du XIXe siècle, Christian Albrecht Jensen peut sans détour être qualifié de « Boilly du Nord » au sein de l’âge d’or de la peinture danoise.
Jensen partage avec son confrère français la petitesse de ses formats, limitant ainsi le temps de pose du modèle puis d’exécution de la toile. Le coût modéré de ces petits portraits, doublé par un effet de mode, conséquence d’une clientèle de plus en plus importante, a contribué à la célébrité du jeune Jensen.
En effet, ce dernier, après un voyage d’apprentissage de plusieurs années en Italie, est alors inconnu du grand public lors de son retour à Copenhague à la fin de l’année 1822. Toutefois, sa spécialisation rapide et sûre en tant que portraitiste prolifique lui assurent presque instantanément le succès. Il peint plus de 400 portraits au cours de sa carrière, représentant la plupart des figures marquantes de l'époque, dont l'écrivain Hans Christian Andersen, le peintre Christoffer Wilhelm Eckersberg, le sculpteur Bertel Thorvaldsen, le physicien Hans Christian Ørsted, le mathématicien Carl Friedrich Gauss et le théologien Nikolaj Frederik Severin Grundtvig.
Bien que précoce, notre portrait témoigne avec éloquence du style personnel de Jensen dès ses débuts. La jeune femme est représentée avec une savante économie de moyen. Par sa palette froide, sa touche franche et une certaine humilité dans le choix de l’attitude, Jensen se concentre sur l’humanité de son modèle, éloge de la simplicité chassant tout élément superflu.
Christian Albrecht Jensen, portrait de Mathilde Theresia von Irgens-Bergh, 1824, huile sur toile, 24,5x19,5 cm, Statens Museum for Kunst, Danemark (Inv. KMS1339).
Jean-Baptiste-Louis Maes, dit Maes-Canini (Gand 1794 – Rome 1856)
Jeuneromaineenprière,avecunenfantendormietentouréed’unmoine etd’unefillette.
Second quart du XIXe siècle.
Huile sur toile.
H. 50 ; l. 41 cm.
Dans une église, une femme costumée à l’italienne tient un nourrisson entre ses bras. Elle semble lever les yeux vers l’autel tandis qu’un moine et une jeune fille sont en prière derrière elle. La perspective du tableau est ouverte par le riche décor de l’église représenté en arrière-plan, malgré un cadrage serré sur les personnages. La lampe à huile brillant au premier plan complète la mise en scènes tandis que l’expression délicate de la jeune romaine et la touche suave empreignent le tableau d’une ambiance douce et mélancolique.
À la différence de François-Joseph Navez (1788 - 1869) qui, parti à Rome, n’y séjourna que quatre années, quelques rares peintres belges contemporains firent le choix de s’y établir définitivement. C’est le cas de l’Anversois Martin Verstappen (1773 – 1852) et du Gantois JeanBaptiste-Louis Maes Si le premier a trouvé sa voie dans le domaine du paysage, le second s’est imposé, dès le milieu des années 1820, comme l’un des peintres les plus demandés à Rome dans le genre populaire de la scène à l’italienne.
Élève à l’Académie des Beaux-Arts de Gand, Jean- Baptiste-Louis Maes fit preuve d’un talent précoce1 . Il rafle ainsi les prix des concours des écoles des Beaux-Arts auxquels il participe, à Malines en 1810, à Gand en 1817, à Bruxelles en 1818, à Anvers et à Amsterdam en 1819. Élu membre de la Société Royale des Beaux-Arts de Gand en 1820, il se voit accorder par sa ville nataleune pensionannuelle pour deux années afin de poursuivre sa formation à l’étranger. De Paris où il séjourne en compagnie du paysagiste François Vervloet (1795 - 1872), il concours avec succès au Prix de Rome de l’Académie d’Anvers de 1821. Nanti d’un subside du gouvernement hollandais, il se met rapidement en route pour la Ville éternelle en compagnie de Vervloet. Partis de Paris à la mi-août 1821, les deux artistes arrivent à destination le 16 septembre suivant.
Lorsqu’il entre dans Rome, Jean-BaptisteLouis Maes est un artiste confirmé qui s’est déjà illustré dans différents genres : la peinture d’Histoire, l’allégorie, le portrait. De nouvelles commandes de tableaux lui parviennent de sa ville natale, dont un grand tableau d’autel : LaSainte Famille avec sainteAnne etsaintJoachimpour l’église Saint-Michel (insitu).
Ces marques d’intérêt pour sa peinture enthousiasment le peintre qui ambitionne encore d’être un peintred’Histoire :« Jeviens d’apprendre avec beau- coupdesatisfactionque l’église deSt.Michel[deGand] vient de m’ordonner un tableau pour la chapelle de St. Anne. »2 , écrit-il le 30 juin 1824 à Liévin De Bast, le
1 Sur J.B.L. Maes-Canini, on se reportera en priorité à L. De Bast,
secrétaire de la Société royale des Beaux-Arts de Gand, « maintenant je me trouve heureux de trouver l’occasion de pouvoir m’occuper entièrement au genre historique ; et je tâcherai de m’en acquitter avec honneur à l’attente générale du public et de mes concitoyens: ici je suis contentetheureuxmetrouvanttoujoursau milieudeschefsd’œuvre »3
Avec un petit groupe de compatriotes belgohollandais, Vervloet et Verstappen déjà cités, Hendrik Voogd (1768 - 1839), Cornelis Kruseman (17971857), Philippe Van Bree (1786 - 1871), et le sculpteur Mathieu Kessels (1784 - 1836), Maes effectue des excursions dans la campagne romaine, visitant les Monts Albains, Castel Gondolfo, Genzano, Nemi, Palestrina, Zargalo, Fracati, Grottaferrata, des lieux réputés pour la beauté des villageoises et de leurs
2 Annales du Salon de Gand et de l’école moderne des Pays-Bas, Gand, chez P.F. De Goesin-Verhaeghe, 1823, p. 135-136 ; D. Coekelber- ghs, Les peintres belges à Rome de 1700 à 1830, Bruxelles-Rome, Institut historique belge de Rome, III, 1976, p. 404-406, et à A. Jacobs & P. Loze, in cat. expo. 1770-1830. Autour du Néoclassicisme en Belgique, Ixelles, Musée Communal, 1985/86, p. 243-245 &433.
Il s’agit de La Sainte Famille avec sainte Anne et saint Joachim, 1827, huile sur toile, 285 x 215 cm, Gand, église Saint-Michel.
3 Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-D-2017-888.
costumes bigarrés et chatoyants. Il fréquente également les milieux plus cosmopolites. Ainsi, il se retrouveenjuillet1823aucouventdeSantaScolastica à Subiaco, en compagnie d Vervloet, du mystérieux russe Abasettel, des Français Louis Étienne Watelet (1780 - 1866), Raymond Quinsac Monvoisin (17901870)etFrançoisAntoine Léon Fleury(1804-1858). Il côtoie enfin les artistes germaniques.
Stimulé par ses confrères et par l’atmosphère particulière de la cité éternelle, il se tourne de plus en plus vers le genre alors à la mode : la scène à l’italienne. Il annonce à Lièvin de Bast dans sa lettre du 30 juin 1824 : « J’ai l’honneur de vous annoncer que je viens d’expédier au commencement de ce mois trois tableaux ; représentant un St Sébastien, une vieille femme en prières, et le troisième les Pifferari devant une Madone : au commencement du mois prochain j’envoie un autre, dont le sujet est une jeune et belle Vignerola avec un vieillard, groupe de grandeur naturelle ». Ces tableaux figureront au Salon de Gand de 1824.
En1827,ilsemarieàRomeavecAnnaMaria, fille du graveur Bartolomeo Canini. Dorénavant, il joint le nom de son épouse au sien. De leur union naît un fils, en 1828, Giacomo, peintre comme lui. MAESCANINI demeure aussi un relais utile pour les artistes belgo- hollandais arrivant et séjournant à Rome.
À l’exception dequelquestableaux religieux, tel Le Bon Samaritain de 1825 (fig. 2) qu’il envoie en Belgique, Maes-Canini s’adonne désormais à la seule scène à l’italienne, devenant l’un des spécialistes à Rome de ce genre. Sa réussite est telle qu’en 1834, il dirige un atelier dans lequel il emploie plusieurs jeunes artistes, dont son fils, afin d’honorer ses nombreuses commandes. Doué d’une incontestable maîtrise du dessin et de la technique du modelé par d’adroits effets de lumières, il s’est complu à flatter les goûts de la clientèle cosmopolite de la Ville éternelle avec des représentations quelque peu minaudières du pittoresque peuple romain. Certaines deses œuvres nesont passansévoquer, sur un mode doucereux, les tableaux de Léopold RoBERT (La-Chaux-de-Fonds1794-Venise1835)(fig.7),dont il a sans doute été en relation, ainsi que le suggère
Denis Coekelberghs.4 Il a peint des pèlerins, des ermites, des bergers, des contadini, des pifferari et enfin dejeuneset séduisantes Romaines.
Ces dernières ont été son thème de prédilection. Sous ses pinceaux, elles apparaissent le plus souvent de trois quarts, parfois en buste (fig. 3). Il les représente quelques fois dévêtues (fig.6), le plus souventdansleurscostumestraditionnelschamarrés Elles sont à leur toilette, se préparent au carnaval annuel sur le Corso (fig. 5 & 8), remplissent d’huile une lampe (fig. 4) etc.. Elles apparaîssent tantôt seules, tantôt accompagnées d’une servante plus âgée qui fait ressortir la fraîcheur et la délicatesse de leur jeunesse. Par le cadrage serré des compositions autour des figures, par l’intensité de clairs-obscurs, certains tableaux de MAES-CANINI offrent une variante suave du néo-caravagisme romain du second quart du 19e siècle (fig. 8).
Lajeuneromaineenprière.
Certains de ses tableaux ont connu le succès. C’est le cas de la jeune Romaine en prière. L’œuvre analysée ici est une des variantes répertoriées d’une même composition mettant en scène une jeune romaine, en costume de Frascati, priant dans une église, devant une imagepieuse.Celle-ci n’est pasreprésentéedansles tableaux, mais subtilement suggérée, notamment par la lampeencuivresuspenduedevantlesautels,comme il en existent beaucoup d’exemplaires à Rome.
L’artiste adéclinélesujetsousdeuxformes.Lapremière montre la jeune femme, seule, les mains jointes et les coudesposéessurun autel àcôté d’un bouquetdefleurs (fig. 9, 12 & 13). L’un des exemplaires porte la date de 1845.
La seconde variante du sujet nous est connu par plusieurs tableaux. Cette fois, la jeune Romaine tient un enfant emmailloté et endormi dans les bras (fig. 10 & 11). L’un d’eux porte également la date de 1845.
La particularité de notre version est que la jeune Romaine est entourée dans sa prière par un moine pèlerin et par une fillette. Détail piquant. Celle-ci a détourné son visage et semble attirée par un évènement se déroulant dans l’église.
Le décor de ces différentes versions est sensiblement le même. On aperçoit entre des colonnes antiques la vaste abside d’un chœur d’église aux murs ornés de mosaïques et de peintures murales, tandis qu’au milieu de ce cœur se dresse un ciborium en marbre.
On notera que Maes-Canini a exposé une Jeune Romaine en prière au Salon de Bruxelles de 1833 et qu’il existe une copie du tableau Jeune Romaine en prière au bouquet de fleurs, erronément signée Jean Portaels (Vilvorde 1818 - Bruxelles 1895), au Musée des Beaux-Arts de Charleroi ( inv. 574). Cette copie est une preuve supplémentaire du succès du tableau de Maes-Canini.
Ce tableau étudié ici est plus ambitieux que les autres versions connues du sujet. Il est un bel exemple de la peinture de Jean-Baptiste-Louis Maes-Canini Avec Navez, Van BreeetLouis Ricquier(1792-1884),il est l’un desprincipaux représentantsbelgesdela scène de genre à l’italienne du second quart du xIxe siècle, traitée sur un mode romantique, à la fois sentimental, poétique et idéaliste typique des écoles du Nord, auquelappartiennentégalementleRusseKarlBryulov (1799-1852), mort à Rome, les Danois Ernst Meyer (1797-1861) mort à Rome, Albert Küchler (18031886), le Tchèque Leopold Pollak (1806- 1880) mort à Rome, ou encore les Allemands August Riedel (1799 - 1883) mort à Rome, Adolf Henning (18091900), Johann Heinrich Richter (1803-1845), et Theodor Leopold Weller (1802-1880).
Alain Jacobs, 2024.
Nous souhaitons remercier Monsieur Alain Jacobs pour la rédaction de cette notice et son aide quant à l’identification de cette œuvre.
Jean-François Eliaerts (Deurne-Borgerhout, 1761 - Anvers, 1848)
Bouquetdefleursdansunvaseenterre.
Vers 1830.
Huile sur panneau.
Signé en bas à gauche sur la table : J.F. Eliaerts Fecit
H : 45 ; L : 37 cm.
Cette esquisse à l’huile représente un bouquet dans un vase reposant sur une tablette s’élevant en diagonale du panneau. Le médium employé permet un jeu de transparence sur les pétales des fleurs représentées et la spontanéité de la touche donne un aspect sauvage à cette nature domestiquée, composée de roses, d’œillets et d’anémones.
Jean-François Eliaerts est un artiste belge qui expose régulièrement au Salon de Paris, de 1806 à 18481. Il est né à Deurne, près d’Anvers et étudie à l’Académie d’Anvers où il fit la rencontre de Frédéric Ziesel (1757-1809) et de Pieter Faes (1750-1814) et se spécialise dans la représentation de natures mortes.
Dans les années 1800, il émigre à Paris et enseigne à l’Institut de la Légion d’Honneur et se distingue au Salon pour ses représentations de compositions florales. Il introduit la peinture de nature morte flamande de la seconde moitié du XVIIIe siècle aux visiteurs français et à ses élèves. Jusqu’alors, c’est l’influence combinée des natures mortes italiennes et flamandes du XVIIe siècle qui
dominait dans les compositions de ses contemporains français.
Ses tableaux de fleurs s'inscrivent dans la tradition de la peinture florale du baroque tardif, telle qu'elle a été développée par Jan van Huysum (1682-1749) et reprise par Van Dael (1764-1850). Avec Pieter Faes et JorisFrederik Ziesel, il est l'un des plus importants représentants de ce type de peinture en Belgique à l'aube du XIXe siècle.
Par sa composition massive et tourmentée, notre bouquet s’inscrit dans cette tradition.
1 « Base de données « Salons et expositions de groupes 1673-1914 », salons.musee-orsay.fr, un projet du musée d’Orsay et de l’Institut national d’histoire de l’art soutenu par le Ministère de la Culture et de la communication, consulté le 11/01/2024.
Henri Frédéric Schopin
(Lübeck, 1804 - Montigny-sur-Loing, 1880).
ManonLescautetD’Esgrieuxdansledésert.
Salon des Artistes Vivants, Paris, 1844, n° 1615.
Huile sur toile.
Signature effacée : « Sc n » en bas à gauche.
H. 65 ; L. 48 cm.
Provenance : Collection A. Binant, tableaux, objets d’art et d’ameublement, Paris, Hôtel Drouot, les mercredi 20 et jeudi 21 avril 1904, étude de M. Paul Chevalier, expert M. Durand-Ruel, n°63.
Dans un paysage rocailleux, Manon Lescaut est en train de bander le bras du chevalier Des Grieux. Les deux jeunes gens se portent un regard alangui. Le léger effet flouté des visages, marque de fabrique de Schopin, accentue la beauté des personnages, tandis que le velouté de sa touche sur les drapés donne de la préciosité à une scène qui annonce pourtant la fin de l’idylle entre les deux personnages puisque Manon meurt d’épuisement dans le désert représenté en arrière-plan. Cette issue dramatique semble annoncée par le crépuscule qui teinte le ciel d’orange et baigne la scène d’une douce lumière.
Né en 1804 à Lübeck, Allemagne, Henri Frédéric Schopin est d’abord l’élève de son père, Jean-Louis-Théodore Chopin (vers 1747-1815), sculpteur, et travaille avec lui aux décors du palais impérial de Saint-Pétersbourg pour Catherine II de Russie. Lorsqu’il retourne en France, il intègre l’atelier du peintre d’histoire Antoine-Jean Gros (1771-1835) et se présente au grand prix de peinture dès 1826. Il remporte le second prix de Rome en 18301 et le premier prix en 1831 avec son tableau Achille poursuivi par le Xanthe2. Pensionnaire de l’Académie de France à Rome, il rentre à Paris à la fin de l’année 1834 ou début 18353 et expose régulièrement au Salon de 1835 à 1879. Contrairement à ce qui a été parfois dit4, il n’est pas le frère du pianiste Frédéric Chopin. Il a rajouté le « S » au début de son patronyme pour s’en distinguer en 1831.
Fort d’un enseignement académique tout empreint de néoclassicisme, Schopin a su néanmoins s’adapter à son temps, moins friand des scènes grandiloquentes davidiennes, en exposant aussi bien des scènes de genre que de grandes scènes d’histoire. L’artiste a donc trouvé sa clientèle à la fois à travers des commandes officielles et des achats de l’Etat, quatre tableaux furent choisis par l’empereur Napoléon III dans l’atelier de l’artiste qui lui rendit visite en personne en 18605 , qu’auprès des particuliers avec ses petits sujets de genre.
Ses scènes de genre connurent un grand succès auprès du public, notamment quelques séries inspirées de romans populaires
telles que Paul et Virginie, Don Quichotte et Manon Lescaut. Ces scènes historiées sont accompagnées d’un extrait du livre dont elles sont tirées lors de leur présentation au Salon. C’est le cas de Manon Lescaut6 qui est exposé sous le numéro 1617 en 1844 et décrit comme suit :
« Nous marchâmes aussi longtemps que le courage de Manon put la soutenir, c'est-à-dire environ deux lieues ; car cette amante incomparable refusa constamment de s'arrêter plus tôt. Accablée enfin de lassitude, elle me confessa qu'il lui était impossible d'avancer d'avantage. Son premier soin fut de changer le linge de ma blessure, qu'elle avait pansée elle-même avant notre départ »/ (Prévost).
Cette toile plaît au public mondain, commeentémoigneuncommentairedonnépar le Journal des femmes :
« Les deux petits tableaux de M. Schopin, dont le sujet est tiré du roman de Manon Lescaut, sont deux compositions spirituellement exécutées. Cette peinture-là est coquette et brillante à ravir. »7
C’est donc tout naturellement que ce tableau fut reproduit en gravure, notamment par Hippolyte Louis Garnier dès 1844
1 Procès-verbaux de l'Académie des Beaux-Arts: 1830-1834. Tome cinquième. (2004). France: École des Chartes, p. 61.
2 Ibid. p. 127.
3 Archives de l’Académie de France à Rome. Pièce 20180611/5-136 - quittance pour les frais de retour en France, du peintre Frédérick Schopin à Horace Vernet, 1 novembre 1834, fol. 322.
4 Nouveau Larousse illustré, tome VII, 1904, p. 593.
5 Catherine Granger. L’Empereur et les arts. La liste civile de Napoléon III. Mémoires et documents de l’École des chartes, t. 79, 2005. Préface de Jean- Michel Leniaud, p. 622.
6 Explication des ouvrages de peinture, sculpture, architecture, gravure et lithographie des artistes vivants, exposés au Musée Royal le 15 mars 1844, Paris, Vinchon, fils et successeur de Mme Ve Ballard, imprimeur des Musées Royaux, rue J.-J. Rousseau, n°8. 1844, n°1617.
7 Journal des femmes : revue littéraire, artistique et d'économie domestique... n°6, juin 1844, p. 268