BAROQUE

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Baroque

Sculptures européennes 1600-1750


Baroque

Sculptures européennes 1600-1750

Galerie Sismann Exposition 25 mars - 30 avril 2022


Préface

Baroque : Sculptures européennes (1600-1750) constitue le troisième et dernier volet du triptyque éditorial consacré par la Galerie Sismann à l’exploration de la sculpture européenne ancienne. Après deux premiers événements donnant à contempler les créations de la statuaire Gothique et Renaissance, Gabriela et Mathieu vous invitent à découvrir ce printemps, au travers d’une sélection d’œuvres proposées à la vente au sein de leur galerie, l’énergie, le drame et l’attraction de l’âge baroque. Hétérogène et contrastée, cette sélection de sculptures du xviie siècle et de la première moitié du xviiie siècle, fait écho à la polysémie du Baroque, qualifiant tantôt une période, un style ou un type de rapport à la forme. Loin de ces enjeux terminologiques, les œuvres choisies de la collection Sismann laissent place à l’émotion et invitent à goûter à la richesse de cet art fascinant et controversé, plébiscité des collectionneurs et amateurs pour sa richesse et sa pluralité. Un exceptionnel ensemble de marbres vénitiens permettra ainsi à notre lecteur de le découvrir sensuel et exubérant en Italie, lorsque de précieuses vierges en buis, rattachées à de grands maîtres tels Joahannes Cardon ou encore Walter Pompe, le révéleront plus tendre et intime en Flandres. Certaines œuvres françaises, comme une prestigieuse paire de bronzes de l’ancienne Collection Machault d’Arnouville (17011797), témoigneront quant à elles de la cohabitation au sein des grandes cours européennes de l’idéal Baroque et de son antagoniste Classique. Mais après tout, comme le soulignait déjà si bien Germain Bazin, « Baroque et classique ne sont pas opposés. Dans le composé de l’un ou de l’autre, il entre seulement plus ou moins de raison, plus ou moins de rêve. » Ce voyage à travers l’Europe Baroque sera l’occasion de croiser quelques géants de la sculpture moderne, Artus Quellin, Laurent Delvaux, Alessandro Algardi, Francesco Bertos, Giovanni Bonazza, Franscesco Guidi ou encore Giuseppe Sanmartino ; mais aussi d’approcher quelques découvertes fondamentales pour l’histoire de l’art comme un splendide modello réalisé par Giulio Coscia pour la colonnade de Saint-Pierre de Rome, une composition émaillée unique de la dynastie Laudin, réalisée d’après un chef-d’œuvre du peintre Luca Giordano, ou encore un ajout majeur au corpus de Nicolaas Van der Veken, un émouvant groupe de Saint Joseph et l’Enfant. Toutes ces œuvres ont été attribuées grâce à l’expertise et au travail méticuleux entrepris par l’équipe de la Galerie Sismann, dont le fruit des recherches a été synthétisé dans les pages qui suivent. Au même titre que le dossier documentaire complet de chacune des entrées du catalogue, ces notices sont disponibles en version bilingue sur demande. Au terme de ce travail, nous tenons à exprimer notre gratitude aux personnes qui nous ont accompagnés tout au long de cette aventure : Andrea Bacchi, Annie et Philippe Blanc, Gaël Bordet, Oletta Catello, Maichol Clemente, Monica De Vincenti, Christophe Fouin, Simone Guerriero, Alain Jacobs, Antonella Mampieri, Frits Scholten. Laissez-vous guider dans ce périple vibrant, à la découverte des fascinantes créations baroques. Gabriela et Mathieu Sismann Manon Lequio


Foreword

Baroque : European Sculptures (1600-1750) constitutes the third and final part of the editorial triptych devoted to the exploration of European Old Master Sculpture by Galerie Sismann. After two first events dedicated to the contemplation of Gothic and Renaissance statuary, Gabriela and Mathieu invite you this Spring to discover a new selection of works offering the energy, drama, and exuberance of the Baroque Age. Heterogeneous and contrasting, this selection of sculptures from the period 1600-1750 evokes the polysemy of the Baroque –a term that sometimes qualifies a period, a style, or a specific relation to form. Further, these selected works arouse an array of emotions in the viewers, inviting them to experience the richness of this fascinating yet controversial art form, acclaimed by collectors and amateurs for its lavishness and plurality. An exceptional ensemble of Venetian marbles will allow our reader to discover the sensuality and exuberance of Italian art, whereas a few precious boxwood Virgin statuettes, by great masters such as Joahannes Cardon or Walter Pompe, will reveal more tender and intimate works in Flanders. Certain French works, such as a prestigious pair of bronzes from the former Machault d’Arnouville Collection (1701-1797) encapsules the cohabitation of the Baroque ideal and its Classic antagonist within the great European courts. But after all, as Germain Bazin has pointed out so well, “Baroque and classical are not opposed. In the compound of one or the other, there is only more or less reason, more or less dream.” Throughout this journey, viewers will become acquainted with exceptional works by some great artists of the Baroque, including Artus Quellin, Laurent Delvaux, Alessandro Algardi, Francesco Bertos, Giovanni Bonazza, Franscesco Guidi or even Giuseppe Sanmartino. Moreover, they will encounter some of Galerie Sismann’s most recent findings, which have been recognized as major discoveries for the history of European art. These include a splendid modello made by Giulio Coscia for the colonnade of Saint Peter in Rome, a unique enamel composition from the Laudin dynasty made after a masterpiece work by the painter Luca Giordano, and a major addition to the corpus of Nicolaas Van der Veken : a moving group of Saint Joseph and the Child. The works in this catalog have been attributed thanks to the expertise and meticulous work undertaken by the team at Galerie Sismann, whose research findings have been summarized in the following pages. These descriptions, together with the complete documentary file of each of the catalog entries, are available in bilingual version upon request. We would like to extend our sincere gratitude and appreciation for all the people who have accompanied us throughout this journey: Andrea Bacchi, Annie et Philippe Blanc, Gaël Bordet, Oletta Catello, Maichol Clemente, Monica De Vincenti, Christophe Fouin, Simone Guerriero, Alain Jacobs, Antonella Mampieri, Frits Scholten. Let us guide you through this vibrant journey revealing fascinating Baroque creations. Gabriela and Mathieu Sismann with their collaborator, Manon Lequio

Catalogue Recherches Gabriela et Mathieu Sismann Manon Lequio RĂ©daction Gabriela Sismann et Manon Lequio Bibliographie p. 186


« L’embrasement » Italie


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Le Jugement Dernier

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Le Jugement Dernier

The Last Judgment

Peinture à l’huile sur agate Probablement Florence Début du xviie siècle H. 10 ; L. 8 cm

Oil painting on agate Probably Florence Early 17th century H. 10 ; W. 8 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

« L’histoire de l’art a traditionnellement postulé une rupture nette entre, d’une part, le maniérisme tardif, encore tributaire de la Renaissance et de la culture humaniste, et, d’autre part, la révolution artistique qui donna naissance au Baroque » 1. Ce mythe de la Tabula Rasa est mis à mal par notre Jugement Dernier, qui en participant à la permanence de la tradition de la peinture sur pierre à la Renaissance, illustre à merveille la tension entre continuité et rupture qui guide le travail des artistes à l’aube du xviie siècle. Pratiquée déjà dans l’Antiquité, c’est dans le second quart du xvie siècle que la technique de la peinture sur pierre aurait été remise au goût du jour en Italie. Les propriétés physiques de certaines d’entre elles – comme l’ardoise ou encore le marbre – favorisant une absorption particulière de l’huile, elles permirent aux artistes de la Renaissance de reproduire les effets chromatiques et lumineux codifiés par les auteurs classiques comme Aristote, Plotin, ou encore Pline dans son Histoire naturelle. Ces qualités physiques ont ainsi fait des pierres un matériau privilégié par les peintres pour s’approcher au mieux de certains idéaux de la peinture gréco-romaine comme les corps diffus, le clair-obscur, le noir transparent et homogène ou encore « l’éblouissement ». Le succès de cette technique est tel qu’au milieu du xvie siècle, Giorgio Vasari lui

consacra un chapitre dans ses Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes. Dans cet ouvrage, l’auteur discute des expériences de peinture sur ardoise et sur des variétés de pierres fines, plus proches de notre agate, comme les mélanges de marbre, de serpentine et de porphyre. Si la remise au goût du jour de la peinture sur ardoise est à attribuer au célèbre peintre vénitien Sébastiano del Piombo (1485-1547), celle sur les pierres imagées comme notre agate s’inscrit davantage dans un mouvement d’intérêt renouvelé dans les années 1580 pour la collection des pierres dures. En effet, puisant dans la tradition classique et porté par le développement d’une sensibilité aux produits du monde naturel, le potentiel pictural des pierres suscite à cette époque l’enthousiasme des collectionneurs, peintres et graveurs sur pierre. Ces derniers, comme les anciens, se divertissent à deviner des images dans leurs aspérités, les irrégularités du matériau suggérant tantôt les contours d’un animal tantôt celui d’un paysage identifié. Comme eux, ils les nomment alors pietre figurate ou pierres figurées. Dans le sillage de ce passe-temps populaire, les artistes se mirent à améliorer les couleurs et les veines du marbre polychrome, de l’albâtre, du lapis-lazuli, du jaspe, de l’agate et d’autres pierres, en utilisant des techniques traditionnelles de peinture à l’huile. Fascinés par le potentiel décoratif dissimulé

1. Sapir, I., « Oublier la Renaissance, désapprendre l’humanisme : Le premier Baroque entre exploitation des acquis et table rase imaginaire », Les Cahiers de Framespa, 26, 2018.


sur notre œuvre, où les infinies nuances des veines pourpres et brunes de notre agate font écho au brasier incandescent où sont précipités les damnés dans sa partie inférieure. Dans une symbiose inégalée du sujet et de la matière, il est aussi possible de contempler Dante et Virgile aux Enfers sous le pinceau de Francesco Ligozzi (fig. 2) 3,ou encore Persée secourant Andromède, sur un lapis peint par le Cavalier d’Arpin vers 1593 (fig. 3) 4. À cette époque, les principaux ateliers spécialisés dans ce type d’œuvres se situent à

Fig. 1. Filippo Napoletano, Bataille navale, peinture à l’huile sur pierre, v. 1620, Florence, Museo dell’Opificio delle Pietre Dure.

Fig. 2. Francesco Ligozzi, Dante et Virgile aux Enfers, peinture à l’huile sur pierre paésine, datée 1620, Florence, Museo dell’Opificio delle Pietre Dure.

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Fig. 3. Cavalier D’Arpin, Persée secourant Andromède, huile sur lapis lazuli, v. 1593-94, Saint Louis, Saint Louis Art Museum.

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de ces matériaux, ils s’appliquèrent ainsi à le révéler et à créer des objets précieux. Entre curiosité minérale et œuvre artistique, ils développent cette forme d’art qui connaîtra un grand succès dans la seconde moitié du xvie et tout au long du xviie siècle.

Les cabinets de curiosités et autres Wunderkammer de l’époque en témoignent. Des collections illustres sont mentionnées dans les villes de Bologne (collections Ulisse Aldrovandi et Cospi), Milan, Vérone et Rome. Parmi ces trésors, se distinguent certaines pierres insolites mentionnées dans les documents relatifs à la collection des grands ducs de Florence. C’est le cas d’un ovale d’agate dans lequel, par « un prodige de la nature », se distinguent les armoiries de la Maison des Médicis, ou encore d’une petite salière en calcédoine qui porte une tache qui, grâce à une petite retouche judicieuse, ressemble à un cygne. Dans certains cas, la formation de la pierre offre aux artistes un fond parfaitement adapté à leur récit. C’est le cas dans une scène de bataille navale issue de l’histoire de Jonas et la Baleine, peinte vers 1620 par Filippo Napoletano sur une pierre dont les veines rappellent les flots (fig. 1) 2 ; mais aussi

2. Filippo Napoletano, Bataille navale, peinture à l’huile sur pierre, v. 1620, Florence, Museo dell’Opificio delle Pietre Dure. 3. Francesco Ligozzi, Dante et Virgile aux Enfers, peinture à l’huile sur pierre paésine, datée 1620, Florence, Museo dell’Opificio delle Pietre Dure. 4. Cavalier D’Arpin, Persée secourant Andromède, huile sur lapis lazuli, v. 1593-94, Saint Louis, Saint Louis Art Museum.

Florence et Rome, villes qui se disputent les faveurs d’artistes comme Filippo Napoletano, précédemment mentionné, qui retournera définitivement travailler à la cour de Florence pour le grand duc Cosme II vers 1618. C’est probablement dans cette même ville, où les commandes émanant de la cour des Médicis ne tarissent pas, que notre Jugement Dernier, au poli virtuose, aurait été réalisé, dans les premières décennies du xviie siècle, par un artiste miniaturiste, rompu à l’art de la glyptique.


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Cristo Vivo

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Alessandro Algardi (1598-1654)

Alessandro Algardi (1598-1654)

Cristo Vivo

Cristo Vivo

Bronze patiné et traces de laque orangée Rome Vers 1650 H. 73 cm Provenance : Collection privée, Paris

Bronze with patina and traces of orangey lacquer Rome Circa 1650 H. 73 cm

Si dans le second quart du xviie siècle Gian Lorenzo Bernini écrase de son talent précoce la scène artistique romaine, Alessandro Algardi (dit L’Algarde) va très vite offrir une alternative à sa sculpture en s’orientant vers un art moins artificiel, plus rigoureux et équilibré, fidèle aux modèles antiques. Il devient alors le représentant d’une tendance classicisante au sein de la sculpture italienne du xviie siècle, se constituant pour les historiens de l’art, avec le soutien du pape Innocent X, en véritable contre-figure et rival du Bernin. Notre bronze donne à contempler une de ses plus célèbres compositions, « un, sinon le, crucifix le plus populaire de l’époque Baroque » 1 : le Cristo Vivo de type Pallavicini. Nommé d’après le Cristo Vivo en bronze du Palazzo Pallavicini-Rospigliosi mentionné au xviie siècle dans un inventaire de Filippo Baldinucci, ce Christ sur la croix fut d’abord rattaché par Frederico Zeri dans les années 1950 au Bernin. Toutefois, cette parenté fut depuis remise en cause par une succession de spécialistes tels Rudolf Wittkower 2, Antonia Nava Cellini 3, Jennifer Montagu 4 ou encore

plus récemment Denise Allen 5, qui tous privilégièrent une attribution du Christ à L’Algarde. Si la proximité stylistique qu’entretient le Christ Pallavicini avec certaines œuvres tardives de L’Algarde, comme son célèbre Chenet représentant Jupiter foudroyant les titans, joue en faveur de cette attribution, la preuve de la paternité algardienne de l’œuvre est fournie par trois dessins attribués à l’artiste (fig. 1) 6, ainsi que plusieurs autres gravures. Le prototype figuré sur ces documents, fut sans doute conçu par L’Algarde dans les dernières décennies de sa vie, vers 1646, afin de répondre à la commande d’un grand crucifix en argent passée par le pape Innocent X Pamphilj. Un inventaire posthume du prince Camillo Phampilj établi en 1666 mentionne d’ailleurs ce Cristo Vivo en argent d’environ soixante-dix centimètres, les deux pieds cloués séparément. Assez inhabituelle pour la période, cette caractéristique est bien visible sur notre bronze. Ce modèle de L’Algarde fut par la suite décliné par l’artiste même, puis par son atelier et enfin par quelques suiveurs. En attestent un très bel exemplaire de l’Art

Provenance : Private collection, Paris

1. Montagu, J., Alessandro Algardi, New Haven and London, 1985, pp. 327-328. 2. Wittkower, R., Bernini. The Sculptor of the Roman Baroque, Londres, 1966 (2006), pp. 274 -276, no 57. 3. Nava Cellini, A., « Note per l’Algardi, il Bernini e il Reni », Paragone Arte, 207, no 27, mai 1967, pp. 35-52. 4. Montagu, J., op cit. 5. Allen, D., Renaissance & Baroque Bronzes from the Hill Collection, Frick Collection, New York, 2014, pp. 234-241, cat. no 21. 6. Modene, Galleria Estense, inv. 980 ; Florence, musée des Offices, inv. no 3427S ; Washington, National Gallery of Art, inv n° 1992.42.1.


Fig. 2. Alesandro Algardi, Cristo Vivo, bronze, Rome, v. 1650, ancienne collection Pignatelli, collection privée.

Fig. 1. Alessandro Algardi, Christ sur la Croix, crayon et encre brune, 1647, Washington, National Gallery of Art, inv n°1992.42.1.

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Institute de Chicago 7, ou encore celui de l’ancienne collection Pignatelli 8, passé en vente à Londres en juillet 2020 (fig. 2). Notre Christ, dont le revers et le dessous des pieds

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dévoilent une belle patine aux reflets orangés, doit être classé au côté de ces meilleures fontes du prototype de L’Algarde. La majesté de son périzonium bouillonnant, de même que son anatomie puissante et la noblesse de ses traits donnent à contempler toute la force, l’équilibre et la rigueur des compositions de L’Algarde qui différencie le traitement du nu et de l’habit dans un admirable souci de vérité. Son expression extatique et sa tête renversée contribuent dans le contexte de la Contre-Réforme à lier l’espace du fidèle à celui du royaume céleste, et l’encourage à prendre part au drame sacré.

7. Alesandro Algardi, Cristo Vivo, bronze, Rome, v. 1646, Chicago, Art Institute, 2004.42. 8. « BC/AD Sculpture Ancient to Modern », Sotheby’s, Londres, 9 juillet 2020, lot 125.


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Paire de Putti ailés

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D’après François Duquesnoy (1597-1643) et un modèle contemporain anonyme

After François Duquesnoy (1597-1643) and an anonymous contemporary model

Paire de Putti ailés en vol

Pair of winged Putti in flight

Bronze doré Rome Deuxième moitié du xviie siècle H. 40 ; H. 42 cm

Gilt bronze Rome Second half of the 17th century H. 40 ; H. 42 cm

Provenance : Collection privée, Gênes

Provenance : Private collection, Genoa

Au cœur de la Renaissance florentine, mis au goût du jour par Donatello, les putti italiens sont à proprement parler des spiritelli. Ils étaient le moyen par lequel les messages étaient censés être transmis rapidement autour du corps, par exemple du cœur aux mains, ou des yeux au cerveau. Il y avait donc une myriade de petits êtres utiles, bien qu’invisibles, occupés dans le corps individuel et aussi dans l’atmosphère, véhiculant des images, des sons et des idées. En tant que motifs, ils étaient normalement envisagés comme des bébés garçons dodus, dérivant d’anciens reliefs et statues de la Rome antique, généralement légèrement vêtus ou nus et souvent avec des ailes, de sorte que ces images d’origine païenne se confondirent par la suite avec des anges (chérubins). Sous cet aspect, ils devinrent des figures particulièrement appréciées dans le domaine de la sculpture, où ils jouèrent le rôle de soutien, d’allégorie du deuil ou encore du réconfort, sur et autour des sanctuaires, des tabernacles et des tombes. Les chérubins volants sont devenus l’un des motifs préférés du Baroque romain, souvent convoqués pour alléger l’ambiance sombre des images de martyrs célébrés par l’art de la Contre-Réforme. Diffusés par Alessandro Algardi (1598-1654), Gian Lorenzo Bernini (1598-1680) et François Duquesnoy

(1597-1643), ils sont rapidement devenus des éléments standards de leur répertoire, repris abondamment par leurs suiveurs. Par exemple, dans la décoration intérieure algardienne de l’église de Sainte Agnès d’Agone, qui domine la Piazza Navona, Ercole Ferrata conçut à partir de 1658, huit imposants reliefs en marbre avec des « angioletti » disposés autour de l’entrée de l’église, portant les symboles du martyre du saint tutélaire. Pendant les années 1660, lui et d’autres ont modelé des petits anges planant au-dessus des immenses autels latéraux en marbre de l’édifice, consacrés aux saints Alessio, Emeranzia et Eustache, tandis qu’Antonio Raggi (1524-1586) réalisait celui dédié à Sainte-Cécile. Concernant le maîtreautel lui-même, ce dernier est orné d’un grand relief en marbre de la Sainte Famille au retour d’Égypte entourée d’une multitude de chérubins en vol cueillant des dattes pour la nourrir (1673-1676).


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Pendant ce temps Le Bernin, très attaché au motif des putti et aux chérubins, aidé par ses disciples et une multitude d’orfèvres, produisait une grande quantité de petits anges en ferronnerie pour les papes successifs, Urbain VIII (Barberini) et Alexandre VII (Chigi). À nouveau, les putti abondent au milieu des lianes de feuillage qui s’enroulent autour des colonnes torses de son Baldacchino à Saint-Pierre (162430). En 1657, le maître conçoit une lampe suspendue composée de trois putti volants tenant une couronne rehaussée des étoiles à huit branches des Chigi, destinée à orner la chapelle familiale à Santa Maria del Popolo. Cette lampe fut coulée en bronze et dorée par Peter Verpoorten (1656-1657). Les putti rattachés à cette œuvre ont été largement reproduits, et de ce point de vue, leurs poses ne sont pas sans rappeler celles de notre paire. Toutefois, c’est aux créations du dernier géant de ce célèbre triumvirat fondateur de la sculpture baroque, que l’un de nos anges en vol doit être rapproché : François Duquesnoy. Artiste flamand, Duquesnoy s’est vu attribuer l’épithète du « maître des putti », tant ses bébés aux expressions charmantes, à la peau lisse et douce et aux cheveux vaporeux étaient reconnus et appréciés pour leur qualité. De dimensions similaires, l’un des putti de notre paire reprend fidèlement la composition d’un modèle en bronze inventé par Duquesnoy : L’Enfant qui s’élance, en équilibre sur un pied sur une boule, et qui souffle dans une corne (modèle du Cupidon compagnon d’Apollon), dont huit versions sont à ce jour répertoriées dans les institutions publiques 1. Parmi elles, on appréciera tout particulièrement celles de Boston (The Isabella Stewart Gardner Museum, n° inv. S26e6) (fig. 1), ou encore de New York

Fig. 1. D’après François Duquesnoy, L’Enfant qui s’élance, en équilibre sur un pied sur une boule, et qui souffle dans une corne (modèle du Cupidon compagnon d’Apollon), bronze, Boston, The Isabella Stewart Gardner Museum, n° inv. S26e6.

(collection Michael Hall), dont la qualité est comparable à celle de notre bronze. Notre Putto ailé se distingue de toutes ces variantes par sa superbe finition dorée, dont en l’état actuel de nos connaissances, il constitue le seul exemple connu à ce jour. Son pendant plein de charme, de non moindre qualité, dut quant à lui être réalisé d’après un modèle contemporain non identifié à ce jour.

1. Boudon-Machuel, M., François Duquesnoy 1597-1643, éd. Arthena, Paris, 2005, pp. 327-328.

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TĂŞte de femme

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Entourage de Domenico Guidi (1625-1701)

Entourage of Domenico Guidi (1625-1701)

TĂŞte de femme

Head of a woman

Terre cuite blanche Rome Seconde moitié du xviie siècle H. 39 ; L. 30 cm

White terracotta Rome Second half of the 17th century H. 39 ; W. 30 cm

Provenance : Collection privée, Florence

Provenance : Private collection, Florence

Représentant une jeune femme au visage idéalisé vu de trois-quarts, cette très belle tête regroupe les caractéristiques techniques et les codes stylistiques de la génération de sculpteurs dits « classiques », œuvrant à Rome en même temps que Le Bernin (1598-1680). Sa silhouette gracieuse au port altier se distingue tout d’abord par ses traits aux contours fins et fluides, chers à l’idéal classique inspiré de l’Antiquité. Ses carnations et son cou lisses, contrastent avec le travail fouillé de sa coiffure sophistiquée, organisée autour d’une raie centrale et relevée sur l’arrière de sa tête en un somptueux chignon tressé d’où s’échappent quelques mèches ondulées au niveau des tempes. La bouche entrouverte de notre jeune femme couplée à son léger mouvement de rotation impulsé à dextre, confère à notre protagoniste une surprenante vitalité. L’impression d’immédiateté qui se dégage de son attitude spontanée, appuyée par un regard flou dépourvu de pupille, dirigé vers un point au-delà du spectateur, semblent saisir le modèle dans un moment fugitif, l’immortalisant dans sa surprise. Ces observations rapprochent notre sculpture des créations romaines réalisées sous l’impulsion des réflexions menées par François Duquesnoy (1597-1643) et Alessandro Algardi (1598-1654). On y retrouve en effet, le même degré de raffinement dans le traitement des

détails et la même sensibilité du modelé, comme l’illustrent par exemple la Sainte Susanne de l’église Santa Maria di Loreto (Rome), réalisée par François Duquesnoy entre 1629-1633, ou encore une Sainte Cécile exécutée par Giuliano Finelli (1601-1653) dans l’église éponyme entre 1628-1633. Cette même esthétique renouvelée s’observe aussi dans le Buste de sainte Marie-Madeleine exécuté par Alessandro Algardi (1598-1654) dans les années 1630, aujourd’hui conservé dans l’église Santi Vittori e Carlo à Gênes. Donnant à contempler la virtuosité du travail romain de la terre cuite dans un style hérité du classicisme romain des années 1630-1640, notre travail apparaît comme une extension de cette tradition reprise et diffusée par les élèves et collaborateurs de L’Algarde, Ercole Ferrata (1610-1686) et Domenico Guidi (1625-1701). En effet, une étude systématique de la sculpture monumentale de Domenico Guidi montre que notre terre cuite illustre un type féminin extrêmement commun dans l’œuvre du sculpteur. Ainsi, le visage extatique de la Sainte Apollonia en marbre de l’église de Santa Maria degli Abandonati à Torano, datée des années 1690-1691, et celui de la Sainte Claudia de l’église de Santa Eugenia, datée de 1690, affichent une proximité troublante avec notre œuvre. De plus, le traitement complexe et la conception


Fig. 1. Domenico Guidi, Andromède et le monstre marin, marbre, 1694, New York, Metropolitan Museum of Art, inv. n° 67.34.

de sa coiffure fournissent d’autres points de comparaison avec l’œuvre du maître, comme en témoignent son Andromède et le monstre marin exécuté en 1694, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum à New York (inv. n° 67.34) (fig. 1).


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La Vision de saint Ignace d’Antioche

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Antonio Raggi (1624-1686)

Antonio Raggi (1624-1686)

La Vision de saint Ignace d’Antioche

The Vision of saint Ignatius of Antioch

Terre cuite à patine brune Rome Dernier quart du xviie siècle H. 36 ; L. 29 cm H. 53 ; L. 47 cm (avec le cadre)

Terracotta with a brown patina Rome Last quarter of the 17th century H. 36 ; W. 29 cm H. 53 ; W. 47 cm (with the frame)

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

Cette étude en terre cuite inédite constitue un ajout important au corpus d’Antonio Raggi (1624-1686), élève et collaborateur de deux incontournables figures du Baroque romain : L’Algarde et Le Bernin. Sur ce bas-relief, Raggi met en scène saint Ignace, évêque d’Antioche, tombant en adoration devant l’hostie de la messe, qui par la puissance du Saint-Esprit prend la forme du Sacré Cœur de Jésus. Malgré ses dimensions modestes, cette œuvre présente une composition monumentale ainsi que des effets scénographiques dignes du grand Baroque romain, répondant aux préceptes de l’art de la Contre-Réforme. Son organisation autour d’une grande diagonale ascendante ainsi que le canon élancé de ses figures et l’équilibre instable du protagoniste principal, traduisent toute l’influence que les modèles berninesques exercèrent sur l’art d’Antonio Raggi. Celle-ci se traduit également dans la typologie toute particulière de l’ange guidant le regard de saint Ignace vers l’hostie, mais aussi dans les plis profonds et ombrageux de la chape de l’évêque, au rythme fluide et sensuel.

Au sein de sa propre production, la posture de la partie supérieure du corps de notre saint, fait écho à celle du saint Joseph dans le très beau relief de La Fuite en Égypte qu’il réalise en 1675 pour l’église Sant’Andrea della Valle à Rome 1. Quant à la silhouette gracile de l’ange, dansante, elle évoque tout à fait celle de son bel Ange portant une colonne ornant le célèbre pont Saint-Ange 2. Cette étude est tout à fait superposable à un autre bas-relief en terre cuite attribué à Antonio Raggi et conservé aujourd’hui dans la collection siennoise Chigi Saracini (fig. 1) 3. De même format, les deux œuvres se différencient simplement par les motifs qui ornent le devant de l’autel, ainsi que par les franges ciselées du rideau senestre, absentes de notre version. Dans la notice de ce second exemplaire, rédigée pour le catalogue des sculptures de la collection Chigi Saracini, Giancarlo Gentilini rapproche l’œuvre de la mention d’un « bas-relief en argile original d’Antonio Raggi représentant une vision d’un saint avec un ange le soutenant », présent au xviiie siècle dans l’atelier de Giuseppe Mazzuoli 4. Notre relief, correspondant

1. Antonio Raggi, La Fuite en Égypte, marbre, 1675, Rome, Sant’Andrea della Valle. 2. Antonio Raggi, Ange portant une colonne, marbre, v. 1669, Rome, pont Saint-Ange. 3. Antonio Raggi, Vision de saint Ignace d’Antioche, terre cuite à patine brune, troisième quart du xviie siècle, Sienne, collection Chigi Saracini, inv. n.722. 4. Gentilini, G., La Scultura : Bozzetti in terracotta, piccoli marmi e altre sculture dal xiv al xx secolo, Sienne, Palazzo Chigi Saracini, 1989, n°62, pp. 239-240.


Fig. 1. Antonio Raggi, Vision de saint Ignace d’Antioche, terre cuite à patine brune, troisième quart du xviie siècle, Sienne, collection Chigi Saracini, inv. n.722.

également à cette description, vient jeter le trouble sur l’identification de Gentilini et laisse entrevoir la possibilité – au même titre que la terre cuite Chigi Saracini – de sa présence au sein de l’atelier de Mazzuoli au cours du xviiie siècle. Au-delà de ces questions de provenance, les deux reliefs apparaissent comme deux propositions formulées par l’artiste dans le cadre d’une seule et même commande.


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Vierge à l’Enfant

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Giovanni Antonio Cybei

Giovanni Antonio Cybei

(1706-1784)

(1706-1784)

Vierge à l’Enfant

Virgin and Child

Marbre Carrare (?) Troisième quart du xviiie siècle H. 75 cm

Marble Carrara (?) Third quarter of the 18th century H. 75 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

À la fin du xviie siècle, Gênes, l’une des plus riches cités du nord de l’Italie, est dominée par quelques puissantes familles comme les Grimaldi, les Doria ou encore les Spinalo. À l’origine de nombreux chantiers artistiques destinés à immortaliser leur gloire, ces dernières facilitent l’éclosion d’un Baroque génois, dont Pierre Puget (1620-1694) ou encore Filippo Parodi (1630-1702) se révèlent être les plus fervents protagonistes en sculpture. Cette très belle Vierge à l’Enfant témoigne de l’influence prégnante des compositions de ces grands maîtres génois sur toute la statuaire baroque du nord-ouest de l’Italie. En effet, sa composition organisée autour d’un sujet central, un protagoniste unique, porté sur un socle composé de putti émergeant des nuées, n’est pas sans évoquer la Vierge Immaculée de Puget visible dans l’église San Filippo Neri de Gênes 1, la Madonna del Carmine de l’église Santi Vittore e Carlo réalisée par Parodi 2, ou encore la belle Immaculée Conception du Palazzo Doria Lamba 3, sculptée par un de ses élèves, Francesco Schiaffino (1688-1763). Toutefois, en dépit de ces allusions à cette célèbre formule génoise, notre marbre se distingue par son esprit, son style et son

traitement des œuvres constituant ce corpus. Plus compact et moins dansante que les œuvres précédemment mentionnées, la statique sereine tout à fait singulière de notre Vierge tend à la désigner comme l’œuvre d’un éminent artiste de Carrare, Giovanni Antonio Cybei (1706-1784). Premier directeur de l’Académie des BeauxArts de Carrare, Cybei né dans une famille de sculpteurs qui l’initie à l’art du ciseau. Rapidement placé sous la protection de Giovanni Barrata (1670-1747), élève alors déjà auréolé de gloire de Giovanni Battista Foggini (1652-1725), Cybei se forme à Rome avant d’être rappelé auprès de son mentor sur des chantiers à Carrare, mais aussi à Turin, au Portugal ou encore en Espagne. La douceur et la volupté du visage de notre Vierge, traversé par une certaine mélancolie, est caractéristique du type cybein que l’on retrouve sur sa superbe Vierge d’Immaculée Conception, qui orne aujourd’hui une niche de l’Hôpital Civique de Carrare (fig. 1) 4. Sur cette œuvre, la chevelure de Marie aux mèches lisses et souples organisées autour d’une raie centrale, se superpose à celle de notre Vierge. C’est également le cas de l’ovale doux de son visage, de son canon

1. 2. 3. 4.

Pierre Puget, Vierge Immaculée, marbre, 1669-1670, Gênes, église San Filippo Neri. Filippo Parodi, Madonna del Carmine, marbre, 1677, Gênes, église Santi Vittore e Carlo. Francesco Schiaffino, Immaculée Conception, marbre, 1762, Gênes, Palazzo Doria Lamba. Giovanni Antonio Cybei, Vierge d’Immaculée Conception, marbre, 1741, Carrare, hôpital civique.


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Fig. 1. Giovanni Antonio Cybei, Vierge d’Immaculée Conception, marbre, 1741, Carrare, hôpital civique.

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allongé ou encore de la forme de ses pieds nus ceints d’élégantes sandales. Si pour notre œuvre Cybei aurait pu s’inspirer d’un modèle génois tiré du fond d’atelier de Barrata – actif à Gênes dans les premières décennies du xviiie siècle – notre marbre se distingue des vierges dansantes aux drapés enlevés de ce centre par son calme et la dignité de sa pose. Cette impression repose en partie sur le manteau dans lequel est enveloppée Marie, qui s’éloigne des étoffes moelleuses des génois, habituellement animées de plis vibrants et fluides, pour laisser place ici à plus de fermeté et de larges plans lisses, comme taillés en facettes. Ce travail spécifique du marbre se retrouve sur les drapés de la Vierge de l’Hôpital de Carrare, mais également sur ceux du beau Saint Augustin sculpté par l’artiste pour la cathédrale de Sarzana 5. Le classicisme de notre Vierge et de sa pose la désignent comme une œuvre tardive de la production de Cybei, réalisée sans doute dans les années 1770. Ici, le geste délicat que dessinent le pouce et l’index dextre de Marie tend à l’identifier

Fig. 2. Giovanni Antonio Cybei, Vierge au Rosaire, cartapesta, 1739, Carrare, cathédrale.

comme une Vierge au Rosaire, une iconographie très en vogue aux xviie et xviiie siècles. Ces vierges retenaient entre leurs doigts un petit rosaire, objet de prière que Marie aurait offert à saint Dominique, mais aussi référence directe à la fête du Saint-Rosaire qui entretenait à l’époque baroque le souvenir de la libération de l’Occident devant la menace ottomane. Cybéi s’était déjà illustré dès 1739 avec une Vierge au Rosaire, la célèbre sculpture de procession en papier mâché qu’il réalise pour la cathédrale de Carrare, et dont le geste de la main et la position gesticulante du Christ enfant sont en tout point superposables à ceux de notre œuvre (fig. 2) 6. Tous ces éléments signalent notre sculpture comme un ajout inédit au catalogue de cet artiste de talent, qui marqua l’art des cours européennes dans la seconde moitié du xviiie siècle en répondant aux commandes de certaines des plus grandes figures politiques de son temps, comme Vittorio Amedeo I de Savoie, Henri de Prusse ou encore Aleksej Orlov, éminent homme d’état au service de Catherine II de Russie.

5. Giovanni Antonio Cybei, Saint Augustin, marbre, 1741, Sarzana, cathédrale. 6. Giovanni Antonio Cybei, Vierge au Rosaire, cartapesta, 1739, Carrare, cathédrale.


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Buste d’Héraclite

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Giovanni Bonazza

Giovanni Bonazza

(Venise, 1654 - Padoue, 1736)

(Venice, 1654 - Padova, 1736)

Buste d’Héraclite

Bust of Heraclitus

Marbre de Carrare Venise Vers 1680 H. 70 cm

Carrara marble Venice Circa 1680 H. 70 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

Ce buste en marbre inédit représente un homme d’âge mûr tourné de trois quarts, la tête légèrement inclinée vers le haut, vêtu d’une lourde cape qui choit sur son épaule droite, découvrant son torse. Son visage est orné d’une longue barbe bipartite qui tombe le long de ses joues grimaçantes, trahissant le tourment et la souffrance de notre personnage. L’ensemble de ces éléments iconographiques nous invite à envisager notre sculpture comme une représentation d’un penseur antique, probablement le philosophe grec Héraclite, qui selon la tradition iconographique et littéraire est généralement représenté en peinture comme en sculpture aux côtés de Démocrite, donnant à contempler au sein d’une même image le philosophe qui pleure devant la vanité de la condition humaine et celui préférant s’en moquer. L’œuvre dont il est ici question – qui devait donc probablement à l’origine être placée à côté d’un buste similaire représentant Démocrite, de manière à former le couple canonique – révèle immédiatement, grâce à son langage stylistique original et à sa charge expressive singulière, la main de Giovanni Bonazza, l’un des plus grands protagonistes de la sculpture baroque vénitienne

tardive, actif dans les dernières décennies du xviie siècle et au début du xviiie siècle. Notre buste s’inscrit donc dans ce culte des penseurs de l’Antiquité qui se manifestait en terre vénitienne, depuis la seconde moitié du xviie siècle et jusqu’à la fin du xviiie siècle, par la possession de leurs effigies. Cette tradition donna lieu, en peinture mais aussi en sculpture, à une quantité surprenante de représentations de philosophes qui constituèrent l’un des volets les plus intéressants et les plus heureux de la production sculpturale de l’époque, destinées à alimenter un marché florissant 1. Parmi ces nombreuses effigies sculptées de philosophes, à Venise c’est précisément le couple formé par Héraclite et Démocrite qui rencontra le plus de succès, véritable topos, dont les origines remontent à l’Antiquité et qui forme une sorte de noyau thématique alors à part entière, aux accents ouvertement moralisateurs, faisant allusion au thème de la Vanité et de la fugacité de la vie, comme un avertissement à la condition éphémère de l’existence. Les bustes représentant ces deux penseurs aux caractères opposés étaient en fait présents de

1. Guerriero, S., « Le alterne fortune dei marmi : busti, teste di carattere e altre “scolture moderne” nelle collezioni veneziane tra Sei e Settecento », La scultura veneta del Seicento e del Settecento : nuovi studi, Actes de colloques, Venise, 30 novembre 2001, sous la direction de G. Pavanello, Venise, 2002, pp. 74-88. Ferrari, O., « L’iconografia dei filosofi antichi nella pittura del sec. xvii in Italia », Storia dell’Arte, 57, 1986.


Fig. 1. Michele Farbris dit L’Ongaro, Héraclite, marbre, Venise, collection privée.

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manière quasi-systématique dans les collections de sculptures de l’époque comme en témoignent les inventaires, mais également les nombreux bustes vénitiens du xviie siècle représentant les deux protagonistes, signalés et répertoriés par les chercheurs ces dernières décennies 2.

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Parmi les nombreux sculpteurs vénitiens qui au xviie siècle se sont consacrés à la création de ces images de philosophes (comme Giusto Le Court, Melchior Barthel, Francesco Cabianca etc.), se distingue la figure de Michele Fabris dit L’Ongaro, auteur du plus grand nombre d’œuvres de ce genre réalisées pour satisfaire la forte demande des collectionneurs de Venise et d’ailleurs. Maître de Giovanni Bonazza, à qui nous attribuons notre sculpture, Dell’Ongaro est l’auteur de la célèbre série de bustes aux effigies de penseurs antiques commandée probablement par Polo Querini dans les années 1680 et aujourd’hui conservée au Palazzo Querini à Santa Maria Formosa (Querini

Art Gallery Stampalia) ; mais aussi d’une autre série similaire, tout aussi importante, achetée à Venise par Pierre le Grand pour orner les jardins d’été de Saint-Pétersbourg. Parmi les nombreux autres bustes de philosophes réalisés par l’artiste, non moins intéressantes sont les sculptures conservées à l’hôtel Danieli de Venise, qui se distinguent par leur qualité et leur force d’exécution. L’une d’entre elles, représentant selon toute probabilité Héraclite 3, pourrait être envisagée comme un des prototypes qui inspirèrent Giovanni Bonazza pour la sculpture de notre marbre. En effet, il apparaît avec évidence que Bonazza s’inspire du travail de L’Ongaro, ici en reprenant les éléments forts de sa composition, marquée par l’inclinaison de la tête du philosophe, mais aussi par l’agencement de son manteau, dessinant les limites du buste, remontant similairement sur l’épaule droite du philosophe. Mais Bonazza va encore plus en loin dans la citation du maître. Outre la reprise de quelques détails comme la décoration « rayée » des étoffes, son Héraclite présente la même physionomie et la même expressivité que celui de L’Ongaro, caractérisées également par la barbe bipartite qui descend sur les joues du philosophe, par ses sourcils froncés, sa bouche entrouverte gémissante et ses traits déformés, conférant à la figure une expression de malaise douloureux. Toutefois, dans notre sculpture, la charge expressive singulière imprimée par Bonazza – et qui trouve encore son précédent dans la production de L’Ongaro (fig. 1) 4 – semble transformer le visage du philosophe en masque, lui conférant une tournure presque grotesque, donnant à contempler la veine la plus originale du langage de l’artiste : avec

2. Guerriero, S., op. cit, 2002, pp. 82-87, fig. 19-20, 24-43. 3. Michele Farbris dit L’Ongaro, Héraclite, marbre, Venise, hôtel Danieli. 4. Michele Farbris dit L’Ongaro, Héraclite, marbre, Venise, collection privée.


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ses yeux emphatiques tournés vers le ciel à la recherche d’aide, Héraclite abandonne sa tête au-dessus de son épaule droite dans une torsion violente, au-delà de l’affliction, décisivement désespéré. En ce sens, l’œuvre peut être comprise comme une véritable personnification du tempérament pathétique et, au-delà de la simple identification du sujet, s’inscrire donc pleinement dans le genre de « têtes de caractère ».

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Il existe de nombreuses comparaisons avec les œuvres connues de Giovanni Bonazza qui permettent d’attribuer ce buste au corpus du sculpteur vénitien. L’Héraclite peut tout d’abord être sensiblement rapproché des deux grands ovales en marbre aux effigies d’Attila et d’Ezzelino, conservées aux musées civiques de Padoue (fig. 2) 5, chefs-d’œuvre absolus de ce genre de production de médaillons à profils gaufrés, répandu dans la région de la Vénétie, et dans lequel le sculpteur excellait parmi ses contemporains. Notre philosophe partage

avec les portraits idéaux des deux tyrans non seulement le modelé analogue des visages – aux chairs profondément sculptées dans le marbre, lui donnant vie par l’animation de sa surface via de multiples effets de clairobscur – mais aussi la même propension à une certaine déformation des traits et expressions du visage, presque animale, suffisants pour leur conférer cet aspect caricatural que toutes trois partagent. Au sein des deux ovales de Padoue, quelques détails formels caractéristiques du langage stylistique de Bonazza se révèlent précieux pour identifier la main de l’artiste dans notre buste. C’est le cas par exemple de la sculpture singulière des yeux, enfoncés dans de profondes cavités orbitaires dans lesquelles se forment des zones ombragées denses, mais aussi du dessin des massives arcades sourcilières, ou encore de la forme proéminente du nez et de ses narines. Dans les reliefs d’Attila et Ezzelino, qui appartiennent à la phase de maturité de l’activité de Bonazza, dans les premières années du xviiie siècle, l’artiste renonce à

5. Giovanni Bonazza, Attila, marbre, début du xviiie siècle, Padoue, Musei Civici. Giovanni Bonazza, Ezzelino, marbre, début du xviiie siècle, Padoue, Musei Civici. Guerriero, S., in Dal Medioevo a Canova, Sculture dei Musei Civici di Padova dal Trecento all’Ottocento, 2000, pp. 163-166, cat. 90-91.

Fig. 3. Giovanni Bonazza, Démocrite, marbre, collection privée.

l’ancienne collection vénitienne Donà dalle Rose 7, de celle du musée des Beaux-Arts de Budapest 8, d’un médaillon inédit à la localisation inconnue ou encore d’un Profil de satyre, lui aussi inédit et non localisé 9. Toutes ces œuvres peuvent être situées entre la fin des années 1670 et le début des années 1680, une datation que nous pensons tout à fait valable pour notre philosophe. Les mêmes caractères stylistiques, et donc une datation analogue, se retrouvent – comme nous avons déjà eu l’occasion de le préciser 10 – sur un buste à l’effigie de Démocrite conservé aujourd’hui au sein d’une collection privée (fig. 3) 11 : bien qu’à distance, le penseur d’Abdera semble se tourner d’un air moqueur vers notre Héraclite pour reconstituer ainsi idéalement le couple des deux philosophes aux sentiments opposés. Simone Guerriero

6. Guerriero, S., « La prima attività di Giovanni Bonazza », Arte Veneta, 67, 2010, pp. 73-82, fig. 2, 7-8, 11, 21, 23. 7. Giovanni Bonazza, Tête de caractère, marbre, v. 1680, Venise, collection Donà dalle Rose. 8. Giovanni Bonazza, Tête de caractère, marbre, v. 1680, Venise, Budapest, Museum of Fine Arts – Hungarian National Gallery. 9. Giovanni Bonazza, Tête de caractère, marbre, v. 1680, localisation inconnue. Giovanni Bonazza, Tête de Satyre, marbre, v. 1680, localisation inconnue. 10. Guerriero, S.,“Ritorni”. Opere d’Arte riportate in Italia dagli Antiquari, Florence, 2013. 11. Giovanni Bonazza, Démocrite, marbre, collection privée.

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Fig. 2. Giovanni Bonazza, Ezzelino, détail, marbre, début du xviiie siècle, Padoue, Musei Civici.

l’usage abondant du trépan dans le traitement de la barbe et des cheveux, contrairement à l’usage insistant de l’instrument qu’il fait dans notre buste, où les trous animent les masses et confèrent vivacité à la surface par des jeux d’ombre et de lumière. Cet usage est caractéristique des œuvres appartenant – comme notre Héraclite – à la jeunesse de l’artiste. D’autres spécificités techniques et formelles inhérentes à notre buste permettent de confirmer son rattachement aux premières productions connues de Bonazza. C’est le cas des formes et des volumes dilatés, de sa plasticité exubérante, des facettes lumineuses du drapé, de l’usage insistant du trépan évoqué plus haut ou encore de l’accentuation des jeux d’ombre et de lumière pour souligner les effets pathétiques et dramatiques, caractéristiques des productions de la jeunesse de l’artiste, qui trouvent leur parfaite mise en œuvre dans la paire de Sibylles couronnant le portail de l’église Santa Maria del Giglio, la paire d’Anges ornant la façade Scalzi, dans le relief de l’Annonciation de l’église de San Matteo in Dobrota, à Baie de Cattaro, ou encore dans la Tête du Christ du Barber Institute of Fine Arts de Birmingham, toutes issues de ces premières années d’activité vénitienne 6. À cet ensemble de sculptures s’ajoutent également quelques profils en relief qui témoignent aussi du langage de jeunesse de l’artiste et qui, par ailleurs, présentent d’importantes correspondances avec le buste d’Héraclite, de par la physionomie expressive de leurs personnages. C’est le cas par exemple de la Tête de caractère de

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Buste de femme

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Giovanni Bonazza

Giovanni Bonazza

(Venise, 1654 - Padoue, 1736)

(Venice, 1654 - Padova, 1736)

Buste de femme

Bust of a woman

Vers 1680-1685 Marbre blanc ; piédouche en marbre rouge de Vérone H. 40 ; L. 42 cm

Circa 1680-1685 White marble ; Verona red marble piedouche H. 40 ; W. 42 cm

Provenance : Collection privée, sud de la France

Provenance : Private collection, southern France

Monté sur un piédouche en marbre rouge de Vérone, ce buste donne à contempler une jeune femme vêtue d’une somptueuse étoffe ornée de motifs phytomorphes gravés sur la surface du marbre à l’aide d’une pointe ciselée. Cette draperie est négligemment jetée sur son épaule gauche, découvrant son sein droit. Le visage légèrement tourné à senestre, cette énigmatique figure féminine présente un visage rond tout en chair, marqué par trois fossettes profondes percées au trépan, qui ponctuent son menton et les commissures de ses lèvres, esquissant une bouche menue. Son nez, aux narines petites et légèrement pincées, est régulier et fin. Autour de son axe partent deux arcades sourcilières parfaitement dessinées abritant des yeux aux orbites supérieures creusées, surmontés d’épaisses paupières. Au contraire, les paupières inférieures ont-elles été à peine esquissées. L’artiste a créé une coiffure tout à fait unique pour notre figure : sa chevelure a été divisée symétriquement de part et d’autre d’une raie médiane et les mèches ramenées ensuite librement en un imposant chignon sur le derrière de sa tête. Sur le dessus, deux autres petits chignons symétriques ont été formés, le tout laissant échapper une longue

tresse courant sur sa nuque jusqu’à la naissance de sa poitrine, dont elle vient souligner la fermeté. De façon immédiate, l’œuvre se révèle comme étant une création de jeunesse de l’artiste vénitien Giovanni Bonazza (16541736), dont la formation, récemment retracée par Simone Guerriero 1, dut se dérouler sous la direction du sculpteur hongrois Michele Fabris, surnommé L’Ongaro et non, comme nous avions tendance à le croire jusque très récemment, au sein de l’atelier du flamand Giusto Le Court. Si malheureusement les liens documentaires font défaut pour cette première période d’activité – le nom de Bonazza n’apparaissant pour la première fois dans les archives qu’en 1684 à l’occasion de la fermeture temporaire de l’atelier vénitien et de son transfert dans la ville de Vérone – les travaux de cette phase restent unanimement reconnus et étudiés par l’historiographie récente, très utile pour confirmer l’attribution de notre buste. Vers 1679, Bonazza réalise et signe une Annonciation aujourd’hui conservée dans l’église de San Matteo à Dobrotan près des

1. Guerriero, S., La prima attività di Giovanni Bonazza, « Arte Veneta », 67, 2010, pp. 73-101.

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Fig. 1. Giovanni Bonazza, Visage de la Vierge, marbre, non localisé.

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Bouches de Kotor 2. Comme le suggère Simone Guerriero 3, ce relief constitue l’œuvre d’ouverture de la carrière de Bonazza, le premier numéro du grand catalogue du maître vénitien. On y relève quelques « naïvetés et tâtonnements […] sur le plan syntaxique et morphologique », typiques d’un jeune artiste dont le langage en cours de formation, oscille entre l’adhésion au style de son maître, en l’occurrence à celui de L’Ongaro, et un chemin plus personnel et original, ne demandant qu’à s’affirmer. Pourtant, si nous comparons déjà le visage de la Vierge avec celui de notre figure féminine, nous trouvons des similitudes physionomiques évidentes : de la forme de l’oreille à celle du nez, des contours du visage – dont la structure est identique et qui présente la même plénitude des chairs, le même doublementon – au traitement particulier des yeux, dont le bord de la paupière inférieure n’est

qu’esquissé contrairement à celui très profond de la paupière supérieure. Encore plus frappante est l’analogie entre notre sculpture et la Sainte Vierge réattribuée très justement il y a une décennie à l’artiste, et dont l’emplacement reste aujourd’hui inconnu (fig. 1) 4. Il s’agit d’un relief, une typologie de sculpture chère à Giovanni, dont il exploitera les multiples potentiels tout au long de sa carrière, stimulé par le succès que ce genre rencontrait auprès des amateurs de l’époque qui lui en faisaient commande. L’aspect linéaire et tranchant du nez, son septum très resserré, élargi par deux arcades sourcilières fines et nettes, désignent bien ici la même main. Comme sur notre buste, là encore une fossette marque le menton, creusée similairement au trépan, point d’ombre « nécessaire » sur la peau lumineuse caractérisant nos deux protagonistes. De telles correspondances se retrouvent également sur un autre petit bas-relief orné du Visage de la Vierge, incrusté dans le mur du presbytère de l’église Santa Maria dei Derelitti de Venise 5. Notre buste féminin trouve également un certain écho dans les deux sibylles qui se situent à l’entrée de l’église vénitienne de Santa Maria del Giglio 6. Figures massives et baroques, ces sculptures auraient d’après des archives été réalisées entre 1679 et 1680 7. Non seulement le visage de la Sibylle Érythrée, en dépit de ses dimensions plus grandes, apparaît ici pratiquement superposable à celui de notre sculpture, mais c’est également le cas des draperies lourdes et volumineuses

2. Giovanni Bonazza, Annonciation, marbre, v. 1679, Dobrotan, église San Matteo. 3. Op. cit. p. 75. 4. Op. cit. pp. 75-76. 5. Tulić, D., Alcune proposte per il catalogo giovanile di Giovanni Bonazza a Capodistria, Venezia e Padova e annotazioni per i suoi figli Francesco e Antonio, « Ars/Adriatica », 5, 2015, p. 147. 6. Giovanni Bonazza, Sibylles, 1679-1680, Venise, église Santa Maria del Giglio. 7. Rossi, P., La decorazione scultorea della facciata, in Santa Maria del Giglio : il restauro della facciata, a cura di F. M. Fresa, Venezia, 1997, p. 15.


Comme nous l’avons précisé au début de cette étude, notre buste féminin se rattache à la jeunesse de l’artiste, à cette période primordiale de son activité où il commence à se faire une place sur le marché aux côtés de Le Court mais aussi de son maître Michele Fabris dit L’Ongaro, répondant à une forte demande de la part des privés pour la sculpture monumentale et de petites dimensions, les reliefs, mais aussi les bustes à thématiques sacrée ou profane. À cet égard, la difficulté à préciser l’iconographie de notre œuvre est due non seulement à son absence totale d’attributs, mais également au succès que rencontre à Venise aux xve et xvie siècles le genre dit « All’antica », favorisé par la proximité de la Sérénissime avec la prestigieuse université de Padoue. Ce phénomène est particulièrement bien illustré par les magnifiques petits bustes féminins réalisés par Simone Bianco, caractérisés eux aussi par leurs coiffures recherchées et l’absence de référence iconographique précise.

8. Semenzato, C., La scultura veneta del Seicento e del Settecento, Verona 1966, p. 121. 9. Giovanni Bonazza, Satiressa, marbre, collection particulière.

Fig. 2

Sur le plan stylistique, c’est vers 1689-1690 qu’un langage plus cohérent point dans les œuvres de Giovanni. C’est le cas par exemple dans le Monument à Jérôme Garzoni de la basilique vénitienne des Frari, dans celui dédié à Alexandre VIII à Trévise, mais aussi dans des œuvres plus privées. Toutes donnent à contempler un style au développement plus réfléchi, plus sophistiqué et plus abouti qui permettra au maître de signer ses plus grands chefs-d’œuvre.

Le buste dont il est question ici représente assurément un apport majeur à la connaissance de « Bonazza avant Bonazza », c’est-àdire à ses années de formation, fondamentale pour mieux comprendre le développement de cet artiste prometteur, qui se débat alors entre la tradition et ses propres aspirations, porté par l’énergie et l’audace de la jeunesse. Maichol Clemente

Galerie Sismann – Baroque 2022

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qui l’habillent, tout à fait similaires à celles qui recouvrent en partie le corps de notre jeune femme. Dans leur arrangement, les deux retombent en enchevêtrements complexes, déterminant des creux profonds en goutte. Les motifs gravés sur les étoffes sont là aussi stylisés, loin des ornements précis des artistes inscrits dans la veine du travail de Le Court. Afin de finir de nous convaincre de l’attribution de ce buste au ciseau de Bonazza, quelques dernières analogies peuvent être convoquées. C’est le cas notamment du visage de la statue représentant Saint Antoine de Padoue dans l’église de San Fantin de Venise 8, mais aussi d’un autre buste figurant Satiressa, aujourd’hui conservé dans une collection privée et attribué au maître (fig. 2) 9. Dans ce dernier tout particulièrement, il est possible de reconnaître immédiatement les mêmes proportions, mais aussi le même traitement de la chevelure à la gradine, contrastant la matière afin de souligner par juxtaposition le poli des chairs éclatantes.

Fig. 2. Giovanni Bonazza, Satiressa, marbre, collection particulière.

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Buste d’Apollon

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Giovanni Carati

Giovanni Carati

(Venise, vers 1654-1695)

(Venice, circa 1654-1695)

Buste d’Apollon

Bust of Apollo

Marbre de Carrare Venise Vers 1685-1690 H. 67 ; L. 53 cm

Carrara Marble Venice Circa 1685-1690 H. 67 ; W. 53 cm

Provenance : Collection privée, Italie du Nord

Provenance : Private collection, Northern Italy

Ce marbre a été sculpté d’après un buste représentant Apollon qui fut réalisé à la fin des années 1650 par le flamand Juste Le Court, chef de file de la sculpture baroque vénitienne, pour la collection du procurateur Alvise Pisani, réunie chez lui aux Procuraties de la place Saint-Marc (fig. 1) 1. De cette œuvre de Le Court – transférée en 1679 à la villa Pisani de Stra avec d’autres pièces sculptées par le maître flamand pour la même collection – en plus de notre marbre, dérivent également d’autres bustes représentant le même sujet, eux aussi apparus sur le marché de l’art au cours des deux dernières décennies. Parmi ces variations témoignant à la fois de l’importance de la collection de sculptures de Pisani et à la fois de la grande fortune dont jouissait Le Court parmi ses contemporains, deux œuvres sont à signaler en particulier. La première est un buste réputé provenir de la collection Louise-Élisabeth de Croy d’Havré, duchesse de Tourzel (1749-1832), présenté par Sotheby’s à Paris en 2007 sous l’attribution de « Cercle de Michèle Fabris dit L’Ongaro » 2. La seconde – probablement issue de l’atelier du sculpteur flamand – a elle

Fig. 1. Juste le Court, Buste d’Apollon, marbre, Venise, v. 1659, Stra Villa Pisani.

été présentée lors d’une vente aux enchères en 2012, également à Paris, sous l’appellation de « Buste de Louis XIV en Apollon – École française, vers 1650-1660 » 3. Avec cet ensemble d’œuvres, on assiste à une reprise tout à fait fidèle du prototype de

1. Guerriero, S., « Di tua Virtù che infonde spirto a i sassi ». Per la prima attività veneziana di Giusto Le Court, Arte Veneta, 55, 1999, pp. 48-71. 2. Sotheby’s, Paris, Important Mobilier et Objets d’Art, 2007, lot 36 ; plus tard Christie’s, Paris, Arts Décoratifs Européens, 17 novembre 2011. 3. Piasa, Paris, Tableaux anciens II et Mobilier objets d’art, 12 décembre 2012, lot 171.


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Le Court, notamment de sa composition et de son expressivité. Néanmoins, chacun des sculpteurs qui s’essayent ici à rivaliser avec le modèle du grand maître flamand, laisse poindre à travers le marbre sa propre personnalité et réussit à exprimer les singularités de son style. C’est tout particulièrement le cas dans notre buste. On observe notamment, outre une modification de l’agencement des plis du manteau ramené sur l’épaule du protagoniste par une ceinture diagonale, une définition plus marquée des volumes et une plus grande plasticité de la figure, aux traits durs et moins idéalisés, qui montrent une certaine originalité vis-à-vis du modèle. Il en va de même pour sa chevelure élaborée, plus compacte, sculptée à l’aide d’une pointe biseautée, faisant l’économie du trépan dont Le Court fait au contraire largement usage dans ses œuvres afin d’amplifier les effets picturaux. Ces caractéristiques techniques et formelles qui distinguent notre buste du modèle de Le Court, nous permettent de reconnaître ici le ciseau de Giovanni Carati, l’un des sculpteurs vénitiens qui dans les dernières décennies du xviie siècle fut le plus influencé par les exemples du maître flamand.

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Très actif à Venise et en Vénétie, mais aussi en Frioul-Vénétie Julienne, Giovanni Carati a exercé son métier de sculpteur en partenariat avec Paolo Callalo, dont il partagea également l’atelier jusqu’à sa mort prématurée en 1695 à l’âge de quarante ans 4. Sa première œuvre connue est l’Ange qui orne le fronton de l’autel Sainte-Thérèse dans l’église vénitienne des Scalzi, pour lequel, comme l’indiquent les documents, il reçut

un premier paiement le 12 septembre 1684 5. Par ses caractéristiques stylistiques, cette statue révèle déjà la pleine adhésion de Carati au langage sculptural vénitien des dernières décennies du xviie siècle qui tire les leçons du travail de Le Court, mais elle souligne aussi l’attention qu’il porte aux exemples proposés par la peinture vénitienne contemporaine, et tout particulièrement à ceux d’Antonio Zanchi, un artiste avec qui il avait noué une amitié. Par la suite, le sculpteur réalise une série de statues pour l’église paroissiale de Villa Vicentina, en Frioul-Vénétie Julienne, non loin d’Aquilée. Il s’agit sans doute de l’intervention la plus importante de sa carrière, du moins dans le domaine sacré. Elle consiste en cinq statues réalisées en 1686 pour la façade de l’église – représentant la Vierge à l’Enfant, Saint Roch, Sant’Antonio Abate, Saint Mathieu l’évangéliste et Saint Jean-Baptiste –, ainsi qu’en plusieurs autres sculptures placées en 1691 sur l’autel, comme le Christ Crucifié, l’archange saint Michel et l’archange Raphaël. Deux autres statues d’anges, taillées dans la pierre par Carati vers 1693 pour l’église de Sant’Antonio di Aquileia 6, illustrent l’influence des exemples de Le Court sur son travail. Ainsi, l’ange senestre de la paire découle explicitement de l’Ange adorateur réalisé par l’artiste flamand à tout juste vingt ans pour l’autel du SaintSacrement de la basilique de Santa Giustina à Padoue […]. De la même manière que nous l’avons vu pour l’Apollon, Carati opère une simplification du prototype de Le Court, qui se traduit ici par une réduction du format de l’œuvre mais surtout par un rendu plus compact des volumes. Enfin, parmi les interventions les plus importantes

4. Guerriero, S., « Paolo Callalo : un protagonista della scultura barocca a Venezia », Saggi e Memorie di Storia dell’Arte, 21, 1997, pp. 35-83. 5. Guerriero, S., Ibid. 6. De Grassi, M., La scultura nell’Isontino in età barocca, in Gorizia Barocca. Una città italiana nell’Impero degli Asburgo, catalogo della mostra di Gorizia, Monfalcone, 1999, pp. 290-315.


en pierre noire, un buste en marbre représentant une Flore, deux basreliefs en marbre avec des bacchanales, deux reliefs sur marbre représentant un Vieil homme et une Vieille femme […] et six petits ovales en marbre dont le sujet n’est pas spécifié, bref, autant d’œuvres qui, par leur sujet et leur typologie constituaient, tout comme notre buste d’Apollon, une présence commune dans de nombreuses collections vénitiennes de la fin du xviie siècle.

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de Carati, il convient de mentionner la commande qu’il reçut aux côtés de Paolo Callalo en 1692, d’un ensemble sculpté destiné à orner le grand autel de la cathédrale de Trévise, et pour lequel il réalisa un Saint Pierre en marbre 7.

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Présenté lors de son passage sur le marché de l’art italien comme « buste viril à l’ancienne » attribué à un artiste du xviiie siècle œuvrant dans le Veneto, notre buste d’Apollon montre, comme nous l’avons déjà souligné, les caractéristiques stylistiques du travail de Giovanni Carati. Le rapprochement de notre buste avec quelques-unes de ces œuvres précédemment mentionnées achève de nous en convaincre. Ainsi, notre Apollon peut être rapproché de l’Ange adorateur sculpté par Carati pour l’église vénitienne des Scalzi, ou de celui de la façade de l’église paroissiale de Villa Vicentina, qui partagent tous deux le même type physique que notre figure masculine, marqué par une grande expressivité des visages. Notons la forme de la bouche aux lèvres fines, le dessin large et plein des mâchoires et le léger double menton ; mais aussi la forme allongée des yeux aux contours des paupières marqués et le traitement similaire de la chevelure en épaisses mèches. Ces traits singuliers se lisent dans le profil d’un des anges de l’église Sant’Antonio d’Aquilée (fig. 2), dont le traitement de la chevelure apparaît à nouveau identique à celui de notre buste. Ce rapprochement permet également de souligner des similitudes dans le traitement des surfaces et des plis des étoffes. Enfin, un ultime lien peut être établi entre notre Apollon et le visage du second Ange d’Aquilée. Dans cette figure réalisée par Carati dans les dernières années de sa 7. Guerriero, S., Ibid. 8. Guerriero, S., Ibid.

Simone Guerriero Fig. 2. Giovanni Carati, Ange adorateur, pierre, 1693, Aquilée, église Sant’Antonio.

courte activité, les traits se font comme sur notre marbre plus menus, de sorte que nous serions enclins à considérer pour les deux œuvres une datation commune, dans la seconde moitié des années 1680. Ce buste d’Apollon est une œuvre d’une importance particulière dans le corpus du sculpteur vénitien. Pourtant très demandée à l’époque, il s’agit à ce jour de la seule œuvre de Carati destinée au marché privé. Il paraît évident que notre sculpteur fut à l’origine d’une production bien plus vaste de marbres de ce type, destinés au marché privé local. C’est tout du moins ce que semble attester l’inventaire des sculptures trouvées dans l’atelier de Carati immédiatement après sa mort, dressé par Giovanni Bonazza 8. Parmi elles, ce dernier recense ainsi trois têtes et bustes d’empereurs en marbre et pierres polychromes, trois bustes et têtes de Maures


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Médaillon avec Vierge voilée

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Marino Groppelli (1662-1728)

Marino Groppelli (1662-1728)

Médaillon avec Vierge voilée

Roundel with the veiled Virgin

Relief sculpté en marbre blanc Venise Vers 1700 H. 26 ; L. 21 cm Provenance : Marché de l’art, Montpellier

White marble Venice Circa 1700 H. 26 ; W. 21 cm Provenance : Art market, Montpellier

Ce bel ovale représentant la Vierge à micorps sculptée en bas-relief dans du marbre de Carrare se présente comme une œuvre vénitienne du début du xviiie siècle, dont l’exécution se réfère au style des frères Groppelli. Marino (1662-1728), Giuseppe (1675-1735) et Paolo Groppelli (1677-1751) – fils du sculpteur Giovanni Battista Groppelli, collègue et ami d’artistes d’envergure tels que Clemente Molli et Giusto Le Court – figurent parmi les protagonistes majeurs de la sculpture vénitienne de la première moitié du xviiie siècle qui ont contribué à un apport nuancé et original au sein du courant classiciste. L’appartenance de ce relief au monde figuratif des frères Groppelli est suggérée par la grande proximité que ce dernier entretient avec certaines œuvres issues du corpus de ces artistes. Ainsi, de par son type physique, son expressivité et le traitement similaire de certains détails – comme celui de la chevelure –, notre Vierge peut être rapprochée du visage de l’Allégorie du Toucher, ornant l’escalier de la Villa Giovanelli à Noventa Padovana, réalisée par Paolo et Giuseppe après 1728. C’est aussi le cas du visage de la Vierge à l’Enfant de la cathédrale de San Donà di Piave (fig. 1), attribuée à Paolo, où l’on retrouve cette même grande étoffe enveloppant la protagoniste de la tête aux épaules.

Fig. 1. Paolo Groppelli, Vierge à l’Enfant, San Dona di Piave, duomo.

Pour autant, la morphologie plus large du visage de notre Vierge et certains de ses traits, comme le dessin allongé de ses yeux presque mi-clos, la forme de son menton, de ses lèvres, marquées à leurs commissures d’une fossette, mais aussi la netteté et la régularité du tracé de ses arcades sourcilières en dessous desquelles se glisse une zone d’ombre, ainsi que le délicat clair-obscur qui caresse la chair, conduisent sans doute à attribuer notre ovale à Marino, l’aîné des frères Groppelli, et ainsi à dater l’œuvre du début du xviiie siècle. Les mêmes caractères formels, les mêmes détails, distinguent en


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effet les œuvres documentées de Marino, comme l’ange sculpté de son Allégorie de la victoire des Dardanelles, réalisée en 1705 au sein de la basilique vénitienne San Giovanni e Paolo (fig. 2), La Foi de l’église de San Biagio de Raguse (Dubrovnik), sculptée vers 1706, et l’Ange de l’église paroissiale de Fratta Polesine (1704-1705).

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Les premières œuvres connues de Marino sont les six figures en marbre qu’il réalise entre 1691 et 1692 pour le maître-autel de Santa Croce alla Giudecca à la demande de l’abbesse Cecilia Correr : deux anges et quatre putti, aujourd’hui répartis entre l’autel du Crucifix et celui de San Giovanni Battista au sein de l’église paroissiale de Sant’Antonio Abate à Veli Lošinj 1. Entre 1704 et 1705, il sculpte un Ange pour le maître-autel de l’archiprêtre de Fratta Polesine, dans lequel transparaît cette tendance classiciste du début du xviiie siècle, rapprochant en cela le travail de Marino de celui d’Antonio Tarsia ou encore Giuseppe Torretti. Son relief signé de l’Allégorie de la victoire des Dardanelles, ornant le monument Valier dans l’église des Saint-Jean-et-Paul de Venise, fut réalisé dans les mêmes années et peut être considéré comme le chef-d’œuvre de l’artiste. À l’été 1706, Marino s’installa à Raguse en Dalmatie dans le cadre de la reconstruction de l’église de San Biagio, dont il créa également la décoration sculpturale 2. Pendant son séjour en Dalmatie, il se consacra également à des interventions sculptées

Fig. 2. Marino Groppelli, La Victoire des Dardanelles, 1705, Venise, Ă©glise des SaintsJean-et-Paul.

ponctuelles pour la cathédrale de Raguse, pour l’église des Jésuites et pour la chapelle du palais des recteurs. De retour à Venise après 1715, il participe à quelques entreprises aux côtés de grands sculpteurs vénitiens, et entre 1716 et 1717, il réalise deux statues pour le Jardin d’été de Saint-Pétersbourg, la Vérité et la Sincérité. Enfin, par la suite, il apporta sa contribution aux décors sculptés des deux monuments Manin du presbytère de la cathédrale d’Udine, créant l’un des groupes allégoriques du chantier.

1. Guerriero, S., « Sculture di Marino e Paolo Groppelli a Lussingrande », Arte veneta, 52, 1998. 2. Prijatelj, K., « Contributi per la scultura barocca a Ragusa », Arte veneta, 24, 1970.

Simone Guerriero


Attribué à Orazio Marinali (1643-1720)

Attributed to Orazio Marinali (1643-1720)

Paire de bustes

Paire de bustes allégoriques : Mars et Flore ?

Pair of allegorical busts : Mars and VĂ©nus ?

Pierre de Vicence Venise Vers 1700 H. 60 ; L. 57 cm H. 52 ; L. 50 cm

Vicenza stone Venice Circa 1700 H. 60 ; W. 57 cm H. 52 ; W. 50 cm

Provenance : Collection privée, Avignon

Provenance : Private collection, Avignon

Imposants par leurs dimensions grandeur nature, nos bustes allégoriques constituent un véritable tour de force technique. Remarquables par leur richesse ornementale, par l’élégance des visages, ainsi que par le contraste soutenu des zones d’ombre et de lumière qui les animent, ces figures en pierre donnent à goûter, par le remarquable travail de leurs surfaces, à l’illusion de différentes matières : pierres précieuses, perles, métal, soie, cuir, ainsi qu’organismes végétaux et animaux. Le style fort reconnaissable de ces œuvres permet de les attribuer à Orazio Marinali (1643-1720), chef de file de la sculpture décorative vénitienne, déterminant dans l’évolution de la sculpture issue de la Sérénissime au xviiie siècle. Considéré comme l’un des grands maîtres de la sculpture des dernières années du xviie siècle et des premières décennies du siècle suivant, son art raffiné et précis rivalise sans complexe avec la statuaire en marbre, hissée historiquement au sommet de la hiérarchie idéale des arts sculptés. Issu d’une famille de sculpteurs de Vénétie originaires d’Angarano, près de Bassano, Orazio Marinali se forme dans l’atelier paternel avant de fonder à Vicence, vers 1666-1667, l’un des ateliers les plus prolixes de la région. Il s’installe ensuite à Venise où

il s’imprègne du style baroque local, fortement marqué par l’expressionnisme et par la représentation vériste des sentiments humains. Ses sculptures ornementales, dispersées dans de nombreuses villas de Vénétie, ainsi que ses figures de caractère, se distinguent par des attitudes et des mouvements particuliers. Vibrantes d’expressions, ses compositions s’illustrent par la combinaison d’un ton naturaliste et d’un certain classicisme, comme le démontrent nos deux bustes allégoriques.

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Ici, notre portrait féminin évoque une personnification de Flore, représentée sous les traits idéalisés d’une belle et jeune femme, portant dans la main gauche une couronne tressée de fleurs, recouverte partiellement d’une étoffe souple, relevée dans son dos et retenue à son bras par un élément de passementerie, orné de perles et d’une tête de lion. Ses longs cheveux sont rehaussés de perles et d’un bijou retombant sur son front. Son poignet est orné d’un riche bracelet orfévré. Le portrait d’homme, quant à lui, surprend par sa présence virile et sa rigueur intériorisée que laissent entrevoir les traits de son visage. Pouvant être lu comme une personnification de Mars, sa chevelure est courte et bouclée,


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sa bouche rehaussée d’une moustache. Coiffé d’un casque zoomorphe somptueusement décoré de feuillages, il est vêtu d’une cuirasse constellée de motifs d’arabesques et d’une tête de lion, surgissant en armilla au niveau de son épaule gauche. Il s’enveloppe dans une draperie faisant office de manteau, qu’il retient de sa main droite sur la poitrine. Ici la surface est travaillée délicatement en relief méplat, manifestant la veine créative d’Orazio Marinali, également observée sur la Paire de profils de l’Académie de Carrare à Bergame et l’Archange saint Michel dans la chapelle du Saint-Sacrement dans l’église de Saint-Jean-Baptiste à Bassano del Grappa. Des rapports formels peuvent être établis tout particulièrement avec les sculptures de Junon et de Minerve appartenant à l’ensem­ ble du Jugement de Pâris, conservées au Palais Thiene à Vicence, et datées du début du xviiie siècle (fig. 1). Notre Flore, tant dans ses mèches ondoyantes que dans les traits gracieux de son visage, sublimés par l’exubérance de sa parure de joyaux, traduit cette déclinaison quasi rococo du style de Marinali, qui le distingue alors foncièrement de ses pairs.

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Fig. 1. Orazio Marinali, Junon, détail, marbre, v. 1680, Vicence, Palais Thiene.

La découverte et l’étude de cet exceptionnel ensemble nous permettent de lui assigner une place de premier plan au sein du corpus d’Orazio Marinali, mais également au sein de l’histoire de la sculpture vénitienne.


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Apollon accompagné de Cupidon

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Francesco Bertos (1678-1741)

Francesco Bertos (1678-1741)

Apollon accompagné de Cupidon

Apollo with Cupid

Marbre Venise Vers 1700 H. 66 cm Provenance : Collection privée, sud-est de la France On sait peu de choses sur la vie de Francesco Bertos qui reste à ce jour une figure mystérieuse dans l’histoire de la sculpture italienne. Célèbre pour avoir principalement créé des groupes décoratifs utilisant le bronze et le marbre comme matériaux de prédilection, son œuvre se trouve aujourd’hui dans diverses collections en Europe et en Amérique du Nord. Sculpteur italien, né et mort à Dolo, une petite ville près de Padoue, des documents le mentionnent travaillant à Rome en 1693 et à Venise, en 1710. Les archives permettant de retracer son activité cessent après 1733, année au cours de laquelle il reçoit une commande pour la réalisation de deux chandeliers pour la basilique de Sant’Antonio à Padoue. Nous savons qu’il a produit des groupes sculpturaux décoratifs à petite échelle, commandés avec avidité par les Italiens et les voyageurs de la péninsule au tournant du xviiie siècle, qui prirent ainsi le chemin de prestigieuses collections européennes. L’Allégorie du triomphe et l’Amérique sont typiques de ses groupes en bronze qui font la renommée du maître, composés de plusieurs figures allégoriques disposées

Marble Venice Circa 1700 H. 66 cm Provenance : Private collection, south east of France

audacieusement en forme pyramidale dynamique 1. Les silhouettes allongées et tordues sont presque maniéristes dans leurs proportions et prennent des poses difficiles, défiant les lois de la gravité. Nombreuses sont ses œuvres rappelant les sculptures de Giambologna. On sait d’ailleurs que Bertos réalisa une copie de petite échelle en marbre reprenant son célèbre groupe de l’Enlèvement des Sabines (Florence, Loggia dei Lanzi) 2. Toutes ses pièces sont virtuoses, quels que soient la taille ou le nombre de figures incluses, et affichent la familiarité de Bertos avec les statuettes en bronze des artisans de la Renaissance, ainsi qu’avec les pièces d’orfèvrerie allemande du xve siècle. Vers 1730, notre sculpteur est interrogé par l’Inquisition italienne, son travail à la virtuosité déroutante, mettant en scène des groupes de figures humaines complexes, ayant été perçu par certains comme le résultat d’une forme de pacte avec le diable. Bertos dut se défendre de cette accusation qui semble avoir été soulevée par un de ses rivaux jaloux. On pense d’ailleurs que son groupe à plusieurs figures du Triomphe du christianisme, inscrit HVCVSQ(V)E F. o BERTOS LICVIT (Jusqu’à présent [et pas plus]

1. Francesco Bertos, L’Allégorie du triomphe, bronze, Venise, v. 1700-1710, Chicago, Art institute, 1964.158. Francesco Bertos, L’Allégorie de l’Amérique, bronze, Venise, v. 1710-1725, Baltimore, Walters Art Gallery. 2. Francesco Bertos, d’après Giambologna, L’Enlèvement des Sabines, marbre, Venise, Turin, Palazzo Reale.


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il a été autorisé à Francesco Bertos [d’aller]), fut réalisé à cette occasion comme témoignage de sa foi religieuse et de son obéissance. Les groupes qui, selon Charles Avery, ont été utilisés par l’Inquisition comme preuve de l’habileté surnaturelle de Bertos sont des allégories des arts en marbre aujourd’hui perdues, mais documentées comme commandées par Johann Matthias von der Schulenburg. Ces ambitieuses extravagances de marbre ont été en partie payées en 1732 et annoncent un sculpteur au talent unique, mais qui semble avoir émergé soudainement et sans maître clair. Jusqu’à l’étude monographique d’Avery en 2008 3, les dates mêmes de naissance et de décès de l’artiste demeuraient inconnues des érudits modernes. Les informations sommaires relevant de sa biographie proviennent de certaines publications du début du xixe siècle. Par exemple, l’historien Giannantonio Moschini affirme que le sculpteur vénitien Giovanni Bonazza (16541736) était son professeur et qu’il existe une certaine comparaison stylistique entre le maître et l’élève qui aurait toutefois développé une dextérité inédite dans la sculpture du marbre. Avec si peu de faits connus, toute tentative d’établir une chronologie précise des œuvres de Bertos est hasardeuse. Toutefois, les groupes complexes à multifigures mentionnés précédemment ont été situés dans la période de maturité du sculpteur, dans sa dernière décennie où, âgé d’une cinquantaine d’années, il atteint l’apogée de sa carrière. Notre Apollon à la silhouette élancée et au contrapposto affirmé, se tient nu, debout, en appui sur sa jambe droite, sa hanche droite

du groupe d’Hylonome attaquée par des Lapithes, aujourd’hui conservé au Victoria and Albert Museum de Londres 6, tant ils sont similaires dans leurs proportions, dans le traitement de leur musculature, mais aussi dans le type et l’expression de leurs visages.

Fig. 1. Francesco Bertos, Homme nu, probablement un Gladiateur, marbre, collection privée.

particulièrement réhaussée. Il tient dans ses mains une lyre, qu’il enlace, accoudé sur un tronc d’arbre. Ce marbre à l’iconographie originale renvoie à une célèbre composition inventée par Michel-Ange, Cupidon accompagné d’un satyre, réalisée en 1497 à Florence, une formule que Bertos ne cessera de revisiter tout au long de sa carrière. Sur la base de comparaisons stylistiques avec des œuvres de son corpus, il est aisé d’attribuer à Francesco Bertos (1678-1741) cette sculpture, qui rejoint certaines de ses figures masculines analogues, que le maître sculptera accompagnées ou non de petits personnages secondaires. Un rapprochement formel peut être établi notamment avec les figures masculines de son Bacchus (collection privée), de l’Homme barbu nu accompagné d’un putto (collection privée), de l’Homme nu, probablement un gladiateur (collection privée) (fig. 1) 4, du Bacchus avec un satyre enfant (musée de Taïwan), ou encore de sa Figure de Pan (Milan, Fondation Koelliker) 5. Il est également intéressant de comparer notre protagoniste à celui principal

3. Avery, C., The Triumph of Motion : Francesco Bertos (1678-1741) and the Art of Sculpture, catalogue raisonné, Turin, Umberto Allemandi & C., 2008. 4. Francesco Bertos, Homme nu, probablement un Gladiateur, marbre, collection privée. 5. Avery, C., op. cit., pp. 170-172.

Ainsi, de nombreuses analogies peuvent être établies entre notre marbre et ceux du maître publiés par Charles Avery, aujourd’hui conservés dans de nombreuses collections privées et publiques. Notre Apollon, plus élaboré que les œuvres précédemment citées, est sans doute la sculpture la plus importante de Francesco Bertos à être apparue sur le marché de l’art ces dernières années. Elle montre l’artiste au sommet de son talent, en pleine maîtrise de sa culture classique, tous deux servis par son imagination excentrique.

6. Francesco Bertos, Hylonome attaquée par des Lapithes, marbre, Venise, 1700-1730, Londres, V&A, A.5. 1943.


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Deux soldats au combat

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Francesco Bertos (1678-1741)

Francesco Bertos (1678-1741)

Deux soldats au combat

Two warrior fighting

Marbre Italie Début du xviiie siècle H. 41,9 cm

Marble Italy Early 18 th century H. 41,9 cm

Provenance : Christie’s, Londres, 4 juillet 1995, lot 153 ; Martin Bonham Carter, Londres, 2003 ; Collection privée, Londres

Provenance : Christie’s, London, 4 july 1995, lot 153 ; Martin Bonham Carter, London, 2003 ; Private collection, London

Publié dans : Avery, C., The Triumph of Motion : Francesco Bertos (1678-1741) and the Art of Sculpture, Catalogue Raisonné, Umberto Allemandi & C., Turin, 2008, pp. 176-177

Published in Publication : Avery, C., The Triumph of Motion : Francesco Bertos (1678-1741) and the Art of Sculpture, Catalogue Raisonné, Umberto Allemandi & C., Turin, 2008, pp. 176-177

Au début du xviiie siècle, Francesco Bertos met au point la formule qui lui vaudra une grande renommée et de nombreuses commandes. Sculptées dans un seul bloc de marbre, ses compositions toujours plus audacieuses sont le produit de son expérimentation parallèle du bronze, un médium lui permettant d’explorer davantage la complexité et le déséquilibre de ses compositions enchevêtrées, pour un effet encore plus spectaculaire. Le succès que rencontrent ses inventions auprès d’une clientèle privée montre l’adhésion progressive de ses contemporains pour ces groupes sidérants, hors du commun. Notre marbre est tout à fait caractéristique de cet art original développé par Bertos, construit autour de fortes diagonales dynamiques, peuplé de silhouettes richement sculptées donnant vie à des sujets dramatiques. En reprenant ces aspects de l’œuvre de Bertos, notre groupe sculpté peut être

Fig. 1. Francesco Bertos, Hylonome attaquée par des Lapithes, marbre, Venise, 1700-1730, Londres, V&A, A.5. 1943.

rapproché de manière pertinente de certains des plus célèbres ensembles du maître, comme Hercule et Lichas 1, Cyllarus blessé par les Lapithes ou encore 2, d’Hylonome attaquée par des Lapithes (fig. 1) 3, où les armes

1. Francesco Bertos, Hercule et Lichas, marbre, Italie, 1700-1730, Londres, Fondation Koelliker. 2. Francesco Bertos, Cyllarus blessé par les Lapithes, marbre, Italie, 1700-1730, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, n° inv. 272. 3. Francesco Bertos, Hylonome attaquée par des Lapithes, marbre, Venise, 1700-1730, Londres, V&A, A.5. 1943.


et anatomies se meuvent à l’identique, rehaussées de motifs décoratifs semblables. Ici soulignons le caractère hautement symbolique de ce sujet, qui pourrait, dans les contextes religieux et artistique de l’époque, donner corps à la lutte spirituelle entre le bien et le mal, entre les vices et les vertus, entre la raison et les passions.


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Allégorie d’un Fleuve

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Francesco Bertos (1678-1741)

Francesco Bertos (1678-1741)

Allégorie d’un Fleuve

Allegory of a River

Marbre Venise 1730-1740 H. 32,5 ; L. 58 ; P. 24 cm

Marble Venice 1730-1740 H. 32,5 ; W. 58 ; D. 24 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

Cette sculpture inédite représente l’Allégorie d’un Fleuve selon une formule iconographique bien connue de la tradition grecque et romaine, qui a pour habitude de figurer cette entité sous la forme d’un homme d’âge mûr, barbu et à demi couché, donnant corps aux mots de Césare Ripa pour qui le fleuve « court à terre », appuyé sur « une urne de laquelle l’eau surgit en abondance » 1. Au-delà de la reconnaissance d’un cours d’eau, à première vue l’identité de notre figure ne semble pas pouvoir être précisée. Pourtant, sur la base de sa pose très insolite, il nous est possible de proposer une hypothèse. En effet, le fleuve ne paraît pas simplement s’appuyer ici sur l’urne, mais plutôt se replier sur elle, tournant la tête dans la direction opposée, farouche, comme s’il voulait la dissimuler à notre regard, enveloppée de nuages qu’il contient difficilement entre ses mains. Son drapé, habituellement employé dans le genre allégorique à couvrir la nudité, sert ici plutôt à protéger le corps vigoureux du fleuve de la dureté de la roche sur laquelle il est étendu, et ne couvre que partiellement son dos. Remonté sur l’épaule et le bras gauche de notre protagoniste, il dissimule presque entièrement l’urne, symbole de sa source. Ainsi, notre allégorie semble donner vie à un fleuve dont

la source serait cachée, inconnue, à l’instar du Danube. Toutefois, l’artiste en propose une interprétation tout à fait originale ici, très éloignée de celle canonique de Ripa qui, dans son Iconologie, la présente en ces termes : « Il se couvre la tête d’un voile pour signifier que l’on ne connaît pas avec certitude où il prend sa source, là où Ausone dans l’Epigr. en parle ainsi Danubius penitis caputi occultatus in oris » (Ivi, p. 136). Cette Iconographie fut notamment employée dans la célèbre Fontaine des Quatre fleuves du Bernin, pour la figure du Nil. À ce traitement inspiré du sujet, s’ajoutent des considérations stylistiques, typologiques et formelles qui nous invitent à attribuer ce marbre à l’incomparable main de cet esprit original que fut Francesco Bertos, « valeureux disciple » de Giovanni Bonazza selon les mots de Giannantonio Moschini 2. En effet, Bertos est l’un des sculpteurs les plus doués du Settecento vénitien. Artiste connu des spécialistes et d’une grande partie des amateurs d’art pour ses groupes dynamiques, en marbre ou en bronze, composés de nombreuses figures enlacées dans des enchevêtrements acrobatiques. Ces groupes étaient destinés aux collectionneurs les plus exigeants et les mieux informés de son époque – comme

1. Ripa, C., Iconologia [1593], sous la direction de P. Buscaroli, Milan 1992, p. 133. 2. Guerriero, S., « Per l’attività padovana di Giovanni Bonazza e del suo “valente discepolo” Francesco Bertos », Bollettino del Museo Civico di Padova, XCI, 2002, pp. 105-120.



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Cette comparaison permet de relever cette technique raffinée et virtuose de l’artiste dans le traitement viril des corps, qui se plaît à rendre scrupuleusement la structure anatomique, l’affleurement des muscles et des os sous la peau, le relief des veines et des tendons de ses protagonistes, à l’instar de ce qu’il est possible d’observer dans la figure du vieillard placée au sommet du groupe en marbre du Palazzo Reale de Turin, représentant l’allégorie de l’Hiver 4 ; ou encore, dans la Figure d’homme barbu avec un enfant pleurant conservée aujourd’hui dans une collection particulière 5. Ces œuvres présentent toutes le même rendu des chevelures

finement ciselées en courtes mèches, des barbes bifides en deux, des globes oculaires à la pupille marquée d’une minuscule perforation pour indiquer la direction du regard. Nous pouvons souligner bien d’autres rapprochements avec le corpus de Bertos comme, par exemple, la définition dépouillée de l’entablement rocheux à la base de notre Fleuve, que nous retrouvons identique dans le Saint Jérôme pénitent et dans bien d’autres groupes marmoréens, tels ceux conservés au Palais Royal de Turin et provenant très probablement du palais des Pisani de Saint-Étienne à Venise 6, ou dans trois des quatre éléments en collection particulière. Parmi eux, l’Eau est représentée sous la forme d’un homme, identifié comme Océan, dont le corps athlétique aux muscles délicatement suggérés par le marbre translucide, semble façonné avec la même sensibilité que celui de notre fleuve, qui partage également la même physionomie. La datation de notre sculpture, qui constitue un ajout d’importance au catalogue de Francesco Bertos paraît pouvoir, si l’on se réfère à son lexique d’expression, se situer chronologiquement dans la période de pleine maturité de l’artiste ; phase à laquelle appartiennent aussi les sculptures précédemment citées. Cette chronologie pourrait être confirmée par une comparaison avec une sculpture du même sujet, récemment incluse dans le corpus des œuvres de jeunesse de l’artiste par Simone Guerriero 7, où Bertos se montre encore fortement influencé par la manière de Giovanni Bonazza. Dans cette œuvre, dont la position rappelle celle de notre

3. Francesco Bertos, Saint Jérôme pénitent, marbre, Padoue, Museo Civico, inv. 110. 4. Planiscig, L., « Dieci opere di Francesco Bertos conservate nel Palazzo Reale di Torino », Dedalo, IX, 1928-1929, p. 569. Avery, C., The Triumph of Motion : Francesco Bertos (1678-1741) and the Art of Sculpture, Turin 2008, p. 182, cat. 47. 5. Ibid., p. 170, cat. 25, pl. 33, 56-57. 6. Ibid., p. 180-183, cat. n° 44-50. 7. Guerriero, S., « Another Sculpture by Francesco Bertos in the Walters Art Museum », The Journal of the Walters Art Museum, 72, 2014, pp. 125-128.

Fleuve, mais qui est encore inspirée des types masculins plus galbés du maître vénitien, nous retrouvons les caractéristiques du style saillant de l’artiste attentif aux détails : les mains, les pieds, les muscles des bras, la barbe. Dans notre sculpture, l’articulation se fait plus épurée, le visage garde sa vigueur et ses caractères physionomiques mais s’affine, s’allonge, alors que le clair-obscur est moins nuancé et plus « graphique » et précis ; on retrouve aussi certains motifs innovants, comme celui de l’eau qui, en sortant abondante du vase, s’infiltre sous l’entablement tel un léger drap en lin qui, tiré pour être enlevé, serait resté retenu sous le lit. Monica De Vincenti

Galerie Sismann – Baroque 2022

Galerie Sismann – Baroque 2022

les Pisani, les Sagredo, les Manin, ou encore le maréchal von der Schulenburg, à la Cour de Savoie, et le tsar Pierre le Grand – et sont aujourd’hui exposés dans quelques-unes des plus grandes collections publiques et privées du monde. En marge de ces compositions complexes, dédiées à la représentation de concepts allégoriques savants, caractérisées par d’incroyables audaces techniques qui suscitaient l’admiration de ses contemporains mais également firent suspecter l’artiste de sorcellerie, Bertos réalisa des œuvres plus simples, faites de figures isolées le plus souvent destinées à former des couples, soit profanes soit sacrés. C’est le cas du Saint Jérôme pénitent des collections publiques de Padoue 3, à demi couché comme notre Fleuve, présentant les mêmes proportions élancées du corps, les mêmes caractères physionomiques et une définition tout aussi méticuleuse de son anatomie.

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TĂŞte de Minerve

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Giovanni Bonazza (Venise 1654 - Padoue 1736) et Francesco Bonazza (Venise vers 1695-1770)

Giovanni Bonazza (Venice 1654 - Padua 1736) and Francesco Bonazza (Venice circa 1695-1770)

TĂŞte de Minerve

Head of Minerva

Marbre de Carrare Vénétie Vers 1730-1740 H. 40 cm

Carrara marble Veneto Circa 1730-1740 H. 40 cm

Provenance : Marché de l’art, Milan

Provenance : Art market, Milan

Cette exquise sculpture en marbre de Carrare représente une tête de jeune femme au visage ovale et plein, légèrement tourné vers la droite, avec un nez droit, de grands yeux et de lourdes paupières, de petites lèvres bien formées, ainsi qu’un menton arrondi marqué d’une légère fossette. Sur sa tête, elle porte un casque orné d’un exubérant panache dans le goût du xviiie siècle, qui ploie sur la gauche comme couché sous l’effet d’une violente rafale, tandis que du bord de la crête quelques-unes des mèches souples et ondulées de sa chevelure s’échappent. Réunies sur sa nuque, ces dernières s’ordonnent élégamment autour de son cou, recouvrant partiellement le décolleté de son égide écaillée. Selon toute vraisemblance, il s’agit là d’une représentation de Minerve, la déesse italique de la sagesse identifiée à l’Athéna grecque. Toutefois, en l’absence du Gorgoneion, son attribut traditionnel, l’iconographie de notre œuvre apparaît aussi superposable à celle de l’allégorie de la Vertu et de la déesse romaine Bellone – compagne de Mars au combat –, également représentées sous les traits d’une jeune guerrière équipée de casque.

Notre tête aurait pu être réalisée d’après l’un des plus célèbres modèles de buste de Minerve issu de la statuaire publique vénitienne, la Minerva Giustiniani – aujourd’hui conservée dans les collections du musée Archéologique national de la ville – conçue par Anton Maria Zanetti le Jeune en 1736 pour l’inventaire illustré de la prestigieuse collection 1. La déesse antique y est capturée dans une pose et une expression similaires à celles de notre marbre, coiffée du même chignon imposant que le casque peine à contenir. Elle revêt également la même égide écailleuse mais se démarque par son Gorgoneion. Cette tête appartient à une typologie de statuaire d’intérieur aux dimensions réduites et aux sujets variés, appréciée dans la Sérénissime depuis le début de la Renaissance et qui s’épanouit tout particulièrement entre les xviie et xviiie siècles, époques où les galeries et les salles des demeures seigneuriales étaient largement peuplées de « sculptures modernes » réalisées par des artistes contemporains de premier plan. Les témoignages des sources littéraires et les inventaires des collections privées de l’époque montrent que les « demi-statues » étaient particulièrement

1. Perry, M., « The “Statuario Publico” of the Venetian Republic », Saggi e memorie di storia dell’arte, 8, 1972, pp. 138, 239. A. M. Zanetti, Descrizione delle Statue, de’ Busti e d’altri Marmi antichi dell’Antisala della Libreria Pubblica […], 1736, Venise, Marciana, ms. It.IV. 65.


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appréciées, c’est-à-dire les têtes et les bustes, en relief ou en ronde-bosse, qui étaient parfois élaborés d’après des spécimens classiques. En témoigne la splendide série de bustes du xviie siècle aujourd’hui conservée dans la Villa Nazionale Pisani à Straqui qui appartenait autrefois au procurateur de San Marco Alvise Pisani et donnait corps à des sujets historiques, allégoriques et mythologiques. Parmi eux, mentionnons une Vertu, attribuée à Bernardo Falconi et identifiée à tort dans le passé comme une Minerve 2. Parmi les artistes qui se sont le plus illustrés au sein de cette production, se trouve le vénitien Giovanni Bonazza, l’un des plus grands protagonistes de la sculpture baroque tardive italienne, qui s’installa à Padoue à la fin du xviie siècle où il donna naissance à l’un des ateliers d’art les plus prolixes de son temps. C’est au sein de ce dernier qu’il forma ses fils Francesco, Tommaso et Antonio, qui firent perdurer ses leçons jusqu’au début du Néoclassicisme. Avec leur soutien, le pictorialisme vibrant et la vitalité décorative qui dissout presque la consistance plastique des plus belles créations de Giovanni, s’estomperont progressivement à partir des années 1720, au profit d’une sorte de classicisme composé, caractérisé par une simplicité et une synthèse formelle toujours plus grandes. Notre tête de Minerve puise clairement sa source dans le langage originel de Giovanni, comme en témoigne sa confrontation avec l’un des chefs-d’œuvre du maître : le groupe allégorique de L’insurpassable Vertu couronnant le Mérite placé sur le monument funéraire des doges Bertucci et Silvestro Valier,

Fig. 1. Giovanni Bonazza, La Vertu insurpassable, détail, 1704-1708, Venise, Basilica dei Santi Giovanni e Paolo, Monument Valier.

et de la dogeresse Elisabetta Querini, dans la basilique vénitienne de Santi Giovanni e Paolo, construite entre 1704 et 1708 (fig. 1) 3. Les visages féminins y présentent des physionomies similaires, caractérisées par les mêmes lignes harmonieuses qui dessinent les arcades sourcilières et la cloison nasale, par le même traitement du contour des yeux « en lunette » et par des lèvres menues et des mentons marqués d’une légère fossette. Elles présentent aussi le même type de chevelure, composées d’épaisses mèches ondulées qui s’échappent du casque, traitées avec une pointe biseautée afin de produire un effet de

2. Guerriero, S., « Le alterne fortune dei marmi : busti, teste di carattere e altre “scolture moderne” nelle collezioni veneziane tra Sei e Settecento », La scultura veneta del Seicento e del Settecento. Nuovi Studi, Venezia 2002, pp. 73-149. Guerriero, S., « Il collezionismo di sculture moderne », Il collezionismo d’arte a Venezia. Il Seicento, Venezia 2007, pp. 42-61. Rossi, P., « Il collezionismo di sculture tra antico e moderno », Il collezionismo d’arte a Venezia. Il Settecento, Venezia 2009, pp. 49-63. 3. Giovanni Bonazza, La Vertu insurpassable, détail, 1704-1708, Venise, Basilica dei Santi Giovanni e Paolo, Monumento Valier. De Vincenti, M., « Il “prodiggioso” mausoleo dei dogi Valier ai Santi Giovanni e Paolo », Arte Veneta, 68, 2012, pp. 143-163.


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rugosité contrastant d’un point de vue chromatique avec le traitement lisse des chairs. Les mêmes observations ressortent de la confrontation de notre buste avec certaines figures féminines réalisées plus tardivement par l’artiste, comme avec l’Ariane en pierre tendre du jardin de la Villa Pisani à Stra, appartenant au grand cycle sculptural créé par Giovanni avec l’aide de ses fils au début des années 1720. Outre sa physionomie semblable, l’expression idéalisée douce et mélancolique de cette sculpture la rapproche encore davantage de notre Minerve, dont la vitalité des chaires toute Rubénienne rappelle celle de La Vertu du monument Valier. Chez Bonazza, la volonté d’aller vers davantage de sobriété et vers une plus grande synthèse formelle se fait plus prégnante dans le cadre de collaborations. Le groupe en pierre tendre de Minerve et d’Hercule du jardin de la villa Trissino, faisant allusion au choix du héros entre la Vertu et le Vice et réalisé avec l’aide de son fils Tommaso, en témoigne 4. Si l’ensemble met à nouveau en évidence une certaine affinité typologique avec notre marbre, ce dernier affiche incontestablement un rendu plus naturaliste du sujet et une plus grande sensibilité picturale que sur la Minerve en pierre de Trissino, résolue plutôt à une idéalisation totale caractérisée par des formes allongées et des profils sinueux. Si l’on considère le travail des fils de Giovanni – à l’exception de celui d’Antonio, artisan d’une manière et d’un style tout à fait personnels –, c’est sans doute à l’aîné, Francesco, que l’on pense le plus en analysant notre tête de Minerve. Formé dans

Fig. 2. Francesco Bonazza, La Force, 1748, Padoue, Chiesa di Santa Margherita.

Fig. 3. Francesco Bonazza, La Justice, 1748, Padoue, Chiesa di Santa Margherita.

l’atelier padouan de son père, avec lequel il a collaboré au moins jusqu’à la fin des années 1720, Francesco était un artiste polyvalent qui se consacra autant à la sculpture, qu’à la peinture, à la gravure de camées ou encore à la mosaïque. Au cours de son activité indépendante à Venise dans les années 1740, il exécuta des œuvres dans lesquelles il apparaît encore visiblement influencé par les derniers développements de l’art de son père qu’il rejoint dans l’esprit naturaliste de ses figures, dans leur calme archaïque et l’articulation posée de leurs attitudes et gestes, ainsi que dans la cadence classique des plis de leurs draperies 5. Ces qualités s’expriment dans le cycle des vertus cardinales en pierre d’Istrie qui ornent la partie supérieure de

la façade de l’église de Santa Margherita à Padoue, construite en 1748 d’après un projet de l’architecte vénitien Tommaso Temanza (fig. 2 et 3) 6. Malgré l’emploi d’un matériau constitutif différent entraînant fatalement un rendu technique plus sommaire, ces statues padouanes partagent avec notre marbre le visage limpide et lisse à l’expression douce et mélancolique des figures féminines de Giovanni, à la chevelure molletonneuse et au regard singulier auréolé d’ombres à la manière de bésicles.

4. Guerriero, S., « Scultori foresti alle dipendenze dei Manin (I) : Giovanni Bonazza e le statue del giardino di Passariano », Artisti in viaggio 1600-1750. Presenze foreste in Friuli Venezia Giulia, Actes de colloque, Udine, 21-23 octobre 2004, Udine 2005, p. 270. De Vincenti, M., Scultura nei giardini delle ville venete. Il territorio vicentino, Venezia, 2014, pp. 69-300. 5. Semenzato, C., La scultura veneta del Seicento e del Settecento, Venezia, 1966, p. 56, 123. Guerriero, S., « Antonio e Francesco Bonazza : tre sculture e un dipinto », Venezia Arti, 11, 1997, pp. 148-151. Klemenčič, M., « Francesco Bonazza », La scultura a Venezia da Sansovino a Canova, Milano, 2000, pp. 701-702.

Monica De Vincenti

6. Francesco Bonazza, La Force, 1748, Padoue, Chiesa di Santa Margherita. Francesco Bonazza, La Justice, 1748, Padoue, Chiesa di Santa Margherita.


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Marie Madeleine de Pazzi

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Giulio Coscia (actif Ă  Rome e

Giulio Coscia (active in Rome

au début du xviii siècle)

in the early of the 18th century)

Marie-Madeleine de Pazzi

Mary Magdalene de’ Pazzi

Modello pour une sculpture de la Colonnade de Saint-Pierre de Rome Terre cuite Rome Vers 1702-1703 H. 52 cm

Modello for the stone sculpture in the Square of Saint-Peter’s Basilica, Rome Terracotta Rome Circa 1702-1703 H. 52 cm

Provenance : Collection privée, Rome

Provenance : Private collection, Rome

Cette terre cuite est sans aucun doute un modèle préparatoire pour la statue de travertin représentant sainte Marie-Madeleine de Pazzi, haute d’environ trois mètres, située sur le bras droit nord de la place Saint Pierre à Rome (fig. 1). L’auteur de cette image « officielle » de la sainte carmélite (Florence 1566-1607), canonisée en 1669, est le sculpteur, encore peu connu aujourd’hui, Giulio Coscia, qui la livra le 2 août 1703 1. L’importance de cette terre cuite réside dans le fait qu’il s’agit là d’un des rares modello conservés de cette entreprise extraordinaire qui eut un grand écho à Rome où elle fut imitée sur les façades de nombreuses églises de la ville. Comme bien d’autres artistes en charge des nombreuses sculptures ornant les bras droits de la place Saint-Pierre ; exécutées après celles des bras curvilignes de la colonnade, réalisées elles encore sous la direction de Gian Lorenzo Bernini et de ses associés les plus proches ; Coscia n’était jusque-là pas une figure artistique de premier plan, et remporta cette commande en triomphant à l’un des concours institués par le pape

Fig. 1. Giulio Coscia, Sainte Marie-Madeleine de’ Pazzi, Pierre, v. 1703, Rome, place Saint-Pierre.

Clement XI Albani. En effet, à l’occasion de la première édition, qui eut lieu en 1702, Coscia se classa premier dans la deuxième classe (quelques années plus tard, en 1705, il arrive cette fois-ci deuxième de la première classe 2). Pour cette raison, le nom de Coscia fut régulièrement publié dans les guides romains comme auteur d’une des statues de la Colonnade 3. Pourtant, de Coscia, à l’exception de cette sainte

1. Martinelli, V., Les Statues berninesques de la Colonnade de Saint-Pierre, Rome, 1987, p. 108, cat. 49. 2. Desmas, A. L., Le Ciseau et la Tiare : les sculpteurs dans la Rome des Papes, 1724-1758, Rome, 2012, p. 340. 3. Cf. Titi, F., [édité par Giovanni Gaetano Bottari], Description des peintures, sculptures et architectures exposées au public à Rome, Rome, 1763, p. 450, n° 29.


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Marie-Madeleine, nous ne connaissons pratiquement rien. L’épreuve présentée lors du concours Clementin de 1705 et pour lequel il fut reçu deuxième ex aequo avec Antonio Livi, pourrait être identifiée grâce au relief en terre cuite aujourd’hui conservé au musée national du Palazzo Venezia, représentant Romulus offrant un sacrifice à la statue d’Hercule 4. On ne peut toutefois pas exclure la possibilité que cette pièce soit attribuée à Livi, sculpteur encore largement méconnu aujourd’hui. Il est tout naturel que pour un artiste encore non établi et ayant grandi dans la pratique de la terre cuite, un modèle préparatoire ait été requis au moment de la commande de la statue de travertin pour la colonnade de Saint-Pierre. De plus, il paraît peu probable qu’une des statues dite « mineures » de la colonnade, ait été copiée au xviiie siècle. D’un point de vue stylistique, il n’est pas surprenant que, même au début du xviiie siècle, Coscia s’appuie ici sur un célèbre modèle du Bernin pour le type de la sainte en vêtements monastiques, ou encore sur la Sainte Catherine de Sienne qu’Ercole Ferrata avait réalisée en marbre d’après d’une invention de Gian Lorenzo en 1662 5. La Sainte MarieMadeleine de Pazzi de Coscia ne se démarque de ce chef-d’œuvre ni par son iconographie (bien que l’attribut floral de la sainte dans la statue siennoise soit placé dans sa main droite, alors qu’elle est tenue dans la gauche sur la statue romaine), ni dans sa composition (pratiquement identique, marquée

par ce regard extatique tourné vers le haut). Pour ce qui est de la statue de la Colonnade réalisée en travertin, matériau moins noble que le marbre et dont la terre cuite préparatoire apparaît sans aucun débat de qualité supérieure, sa réalisation pourrait avoir été confiée à un sculpteur romain du début du xviiie siècle, sous l’influence de Pierre Legros (Paris 1666 – Rome 1719) et de Camillo Rusconi (Milan 1658 – Rome 1728). Andrea Bacchi

4. Giometti, C., Musée national du Palais de Venise, IV, Sculptures en terre cuite, Rome, 2011, pp. 88-89, cat. 86. 5. Ercole Ferrata, Sainte Catherine de Sienne, marbre, Sienne, Duomo, Cappella del Voto. Pour cette sculpture, il existe aussi un grand modèle de Ferrata en terre cuite, conservé à Santa Caterina da Siena à Rome. Cf. Alessandro Angelini, Gian Lorenzo Bernini e i Chigi tra Roma e Siena, Milan, 1998, p. 175.


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Crucifixion

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D’après Francesco Trevisiani

After Francesco Trevisiani

(1656-1746)

(1656-1746)

Crucifixion

Crucifixion

Ivoire Rome (?) Première moitié du xviiie siècle H. 30,8 ; L. 15,5 ; P. 5,8 cm

Ivory Rome (?) First half of the 18th century H. 30,8 ; W. 15,5 ; D. 5,8 cm

Provenance : Marché de l’art, Autriche

Provenance : Art market, Austria

Cette somptueuse Crucifixion en ivoire se présente comme un témoignage sans pareil de la qualité exceptionnelle qu’atteignirent les ivoires sous le ciseau des sculpteurs baroques de la fin du xviie et du début du xviiie siècle. Au sein de cette production, le thème de la Crucifixion connaît un succès tout particulier. Donnant à contempler l’énergie du drame suprême de l’âge baroque, porté par le style grandiloquent des formes humaines et l’exacerbation des passions des protagonistes, ces groupes d’ivoires offrent une expérience mystique sensorielle au fidèle et le touchent en plein cœur. Le nôtre célèbre ici l’une des plus fameuses compositions peintes du Baroque romain tardif : La Crucifixion de Francesco Trevisiani 1. Élaborée en 1696 pour le retable de l’église San Silvestro in Capite de Rome, celle-ci fut déclinée dans les années qui suivirent par le maître lui-même, puis par ses suiveurs, sur différents formats, en en modifiant à chaque fois quelque peu l’esprit. La réduction de ce prototype que Trevisiani réalise probablement vers 1700 pour son ami le compositeur Arcangelo Corelli (1653-1713) (fig. 1) 2, reste de loin la version se rapprochant le plus de la composition de notre ivoire. On y retrouve

Fig. 1. Francesco Trevisiani, Crucifixion, huile sur toile, v. 1700, Strasbourg, musée des Beaux-Arts.

ainsi saint Jean courbé, sa main gauche dressée d’effroi vers les cieux, l’autre soutenant le bras inerte de la Vierge, évanouie de tout son long au sol, la tête abandonnée sur les genoux de Marie-Madeleine. Cette dernière

1. Francesco Trevisiani, Crucifixion, huile sur toile, 1696, Rome, San Silvestro in Capite. 2. Francesco Trevisiani, Crucifixion, huile sur toile, v. 1700, Strasbourg, musée des Beaux-Arts.


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lève les yeux vers le corps du Christ mort, qu’elle désigne de la main, dont seul le périzonium s’anime encore sous l’effet du vent. La confrontation de la toile du musée des Beaux-Arts de Strasbourg avec notre groupe sculpté témoigne de l’influence considérable qu’exerça la composition du maître, particulièrement admirée à l’époque, sur toute une génération de sculpteurs. Né à Capodistria, une petite localité de la Slovénie actuelle, autrefois sous domination vénitienne, Francesco Trevisiani se forme d’abord à Venise auprès d’Antonio Zanchi, avant de rallier Rome en 1678. Au cœur de la Ville Sainte, il œuvre plusieurs années sous la protection des plus prestigieux mécènes de son temps, comme le cardinal Flavio Chigi ou encore Pietro Ottobono, neveu d’Alexandre VII. Son aura est retentissante en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, mais aussi en Bohème, où l’artiste peint dans les années 1720 une autre Crucifixion, pour le retable de l’église SainteCroix de Litomysl 3, qui marquera durablement les grands maîtres locaux comme Matthias Braun ou encore George Pacak. Ainsi, ce dernier réalise dans les années 1730 une série de calvaires en bois polychrome et en ivoire reprenant la toile bohémienne de Trevisiani, disparue dans un incendie qui frappa l’église de Litomysl en 1775. Par le traitement vibrant des étoffes portées par leurs protagonistes, certains de ces calvaires présentent quelques proximités avec notre ivoire 4. C’est le cas notamment de ceux de la Galerie Narodini de Prague dont la chute du périzonium s’anime à l’identique sous

l’effet du vent, dans une même diagonale vibrante, rythmée par la succession de plis brisés singuliers. Toutefois, comme en témoignent le superbe calvaire de l’église de Jilemnice – exécuté en 1735 par Severin Tischler 5, contemporain et proche collaborateur de Pacak – ou encore celui réalisé la même année par Ignac Rohrbach en l’église de Pardubice 6, en dépit parfois d’une proximité iconographique très forte, le Baroque bohémien s’épanouit dans une exubérance et une agitation étrangères à la douceur et l’expressivité moins heurtée de notre sculpture. Ces qualités rapprochent en ce sens davantage notre ivoire du ciseau d’un sculpteur sensibilisé aux créations des grands maîtres ivoiriers baroques de l’Allemagne du Sud comme Jurgen Kriebel ou encore Justus Glesker. Si la date d’élaboration du modèle de Trévisiani interdit toute attribution de notre œuvre à ce dernier, difficile de ne pas souligner au sein de sa production les nombreux parallèles pouvant être tissés entre ses créations et notre ivoire. On retrouve ainsi dans un Calvaire de la Galleria Estense de Modene attribué à l’artiste 7, un saint Jean partageant les mêmes traits juvéniles que ceux du protagoniste de notre groupe, tous deux discernés par leur chevelure milongue aux mèches ondulées éparses. De la même manière, le cri de douleur sourd qui s’échappe de la bouche de notre Madeleine peut être superposé à celui de la malheureuse sur un de ses ivoires conservés à Londres ou encore à celui de la sainte femme supportant la Vierge sur le Calvaire du Palais Pitti 8,

3. Francesco Trevisiani, Crucifixion, huile sur toile, v. 1720, Litomysl, église Sainte-Croix (toile aujourd’hui disparue). 4. Jiří František Pacák, Calvaire, ivoire, v. 1730, Prague, Narodini Galerie, Inv. č. : P 9798. Jiří František Pacák, Calvaire, tilleul peint, v. 1730-1740, Prague, Narodini Galerie, Inv. č. : P 5177. 5. Severin Tischler, Calvaire, 1735, Jilemnice, St Vavřince. 6. Ignac Rohrbach, Calvaire, bois polychrome, 1735, Pardubice. 7. Justus Glesker, Vierge et saint Jean, ivoire, Modène, Galleria Estense, n° 8325-8326. 8. Justus Glesker, Sainte Marie-Madeleine, ivoire, v. 1650, Londres, Victoria & Albert Museum, A.7-1936. Justus Glesker, Calvaire, ivoire, Florence, Palais Pitti, Museo degli Argenti, inv. Bg. Avori 1879, n. 178.


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également attribué à l’artiste. Sa célèbre Madonna Svenuta, conservée à l’Ermitage 9, présente elle une physionomie très proche de celle de Marie dans notre Crucifixion. Auréolées de leur voile laissant deviner quelques-unes des mèches ondulées de leur chevelure, les Vierges de Glesker, abandonnées de tout leur long, dévoilent à la naissance de leur drapé leurs pieds nus ceints de fines sandales, dans un rendu à nouveau similaire à celui adopté par la Vierge de notre composition. Enfin, l’accentuation du pathos par les gestes affectés de nos protagonistes, de même que les plis larges en cornet de leurs draperies nerveuses, agencées de façon très spécifique en rabats successifs, finissent de convaincre de la proximité qu’entretiennent notre groupe et le petit corpus d’ivoires attribués à Justus Glesker. Pourtant, cet ensemble regroupé aujourd’hui autour de la personnalité de Glesker interroge par sa grande disparité. Pour Eike D. Schmidt, celle-ci s’explique en partie par la réalisation d’un certain nombre d’entre eux à un stade précoce de la carrière de l’artiste, lorsque ce dernier était en Italie 10. L’auteur nous ouvre ainsi sans doute ici une troisième voix dans l’attribution complexe de ce chef-d’œuvre. Car, si peu de travaux se sont encore aujourd’hui penchés sur le

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sujet, la production des ivoires en Italie, et notamment à Rome au xviie et au début du xviiie siècles, apparaît à la croisée de nombreuses études, dynamique et prospère. Dès lors, l’attribution de notre œuvre à un artiste exerçant dans le creusé romain au cours de la première moitié du xviiie siècle, sous l’influence des modèles de Trevisiani et du savoir-faire des ivoiriers allemands de passage dans la ville, reste peut-être la plus plausible. Pour arguer en faveur de cette hypothèse, nous ne manquerons pas de souligner le caractère éminemment berninesque de la Vierge de notre groupe, de même que l’élégance épurée des draperies épaisses, dépouillées ici par le sculpteur de leurs habituels accents germaniques antiquisants ou encore de l’emphase du Baroque bohémien. Au-delà de ces questions d’attribution, une hypothèse peut être avancée quant à la destination de l’œuvre. En effet, sculpté avec soin en relief et non en ronde-bosse, notre groupe devait à l’origine venir se placer devant un fond, dans une caisse par exemple, à l’image de la célèbre Crucifixion de Jurgen Kriebel 11, et ainsi avoir joué un rôle de premier plan en tant qu’autel portatif dans le cadre d’une dévotion privée.

9. Justus Glesker, Madonna Svenuta, ivoire, Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage, inv. n. Z. 15023. 10. Schmidt, Eike D., Diafane Passioni – Avori barocchi dalle corti europee, Florence, Sillabe, 2013, p. 208. 11. Attribué à Jürgen Kriebel, Autel portatif privé : Crucifixion, ivoire, v. 1620-1625, Berlin, Bode Museum, Skulpturengalerie.


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Paire de portraits en médaillon

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Matteo Bottigliero (1680-1757)

Matteo Bottigliero (1680-1757)

Paire de portraits en médaillon

Pair of two medallion portraits

Marbre Naples Vers 1724-1730 H. 25 ; L. 43 cm

Marble Naples Circa 1724-1730 H. 25 ; W. 43 cm

Provenance : Collection privée, Londres

Provenance : Private collection, London

Ces deux médaillons en marbre sont à attribuer à l’un des principaux protagonistes du baroque méridional au xviie siècle : Matteo Bottigliero (1680-1757). Si peu d’éléments sur la biographie de l’artiste nous sont aujourd’hui parvenus, Bottigliero apparaît très actif à Naples dans la première moitié du xviiie siècle. Dans les années 1725-1730, au sommet de sa carrière, il se distingue par sa production de médaillons en bas-relief sculptés dans le marbre, donnant à contempler en leur centre des portraits au réalisme singulier. Nos deux reliefs s’inscrivent dans ce corpus, et font écho par leur typologie aux deux séries de quatre médaillons en marbre provenant de la collection d’Avalos et de l’église Santa Maria Regina Coeli 1. Ces derniers présentent un traitement expressif des visages tout à fait similaires à ceux de nos médaillons, marqués entre autres par des sourcils froncés et un évidemment important du marbre autour du globe oculaire, le tout auréolé d’une chevelure aux mèches flottantes. La torsion prononcée de la tête de nos protagonistes par rapport à leur torse, apparaît là aussi toute caractéristique de la manière de Bottigliero et trouve des équivalences dans son Addolorata

Fig. 1. Matteo Bottigliero, Ecce Homo, marbre, 1724-1730, Gerace, cathédrale.

de Santa Maria Regina Coeli, ou plus encore dans l’Ecce Homo qu’il réalise pour la cathédrale de Gerace (fig. 1) 2. Les traits sensuels de notre personnage féminin, au visage en chair, aux lèvres épaisses et charnues, n’est pas sans évoquer ceux de la Sainte Catherine de Sienne qui orne l’église napolitaine précédemment citée (fig. 2). Enfin, pour ce qui est de notre type masculin, il trouve à nouveau

1. Matteo Bottigliero, Évangélistes, marbre, 1724-1730, Naples, ancienne collection d’Avalos. Matteo Bottigliero, Saint Blaise de Sébaste, saint Donat, sainte Catherine de Sienne et l’Addolorata, marbre, 1724-1730, Naples, église Santa Maria Regina Coeli. 2. Matteo Bottigliero, Ecce Homo, marbre, 1724-1730, Gerace, cathédrale.


Fig. 2. Matteo Bottigliero, Sainte Catherine de Sienne, marbre, 17241730, Naples, Ă©glise Santa Maria Regina Coeli.

davantage sa correspondance dans l’Ecce Homo de Gerace, dont le pathétisme accru fait écho à celui qui anime notre paire au travers notamment de l’expression baroque des regards. Avec ces portraits en relief autrefois inscrits dans de riches encadrements de marbres polychromes, Matteo Bottigliero pose les bases d’un art napolitain décoratif qui prospérera bientôt sous le ciseau de grands sculpteurs comme Giuseppe Sanmartino.


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Ange

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Attribué à Giuseppe Sanmartino (1720-1793)

Attributed to Giuseppe Sanmartino (1720-1793)

Ange

Angel

Terre cuite polychromée avec dorure et incrustations de verre Naples Deuxième moitié du xviiie siècle H. 38 cm

Polychromed terracotta with gilt and glass inlay Naples Second half of the 18th century H. 38 cm

Provenance : Collection privée, Naples

Provenance : Private collection, Naples

Giuseppe Sanmartino, sculpteur d’une grande virtuosité technique, eut une longue et féconde carrière. Son nom est associé à l’un des plus extraordinaires chefs-d’œuvre du Baroque italien : le Christ Voilé en marbre réalisé en 1753 pour la chapelle Sansevero (Pietatella) à Naples. Admirable de beauté et de sensibilité, le corps du Sauveur s’y dévoile sous son linceul, vibrant de vérité. C’est au jeune Giuseppe, âgé de 33 ans, que Raimondo di Sangro, prince de Sansevero (1710-1771), premier Grand Maître de la Loge maçonnique de Naples, passa cette commande. Peu d’éléments biographiques sur l’artiste nous sont aujourd’hui parvenus. Né à Naples en 1720, il se forma dans l’atelier de Matteo Bottiglieri (1684-1757), sculpteur et peintre spécialisé dans le modelage des figures de crèches. La carrière de Sanmartino décolle dans la seconde moitié du xviiie siècle lorsqu’il est appelé à collaborer avec le Vénitien Antonio Corradini (1688-1752) et le Génois Francesco Queriolo (1704-1762) sur le chantier de la chapelle Sansevero, mentionnée précédemment. Le souhait du prince de Sansevero étant alors de faire de la chapelle un mausolée digne de la grandeur de sa famille. Raimondi di Sangro engagea à cet effet des peintres et sculpteurs de renom. La statue de La Modestie qui orne cet édifice fut réalisée par Antonio Corradini

qui fit appel pour l’achever à Sanmartino. Constatant à cette occasion l’étendue de son talent, Corradini prit la décision, juste avant sa mort en 1752, de lui confier l’exécution du Christ voilé. Après cette expérience triomphale, la réputation de Sanmartino est bien établie et l’artiste connaît une carrière longue et fructueuse à Naples, marquée par la direction de chantiers importants, telle la décoration des deux chapelles de l’Assomption et de Saint-Martin à la Certosa di San Martino (1757) ainsi que du grand autel de l’église de Nunziatella (1760). Parmi ses chefs-d’œuvre napolitains, peuvent être citées aussi les figures des saints Pierre et Paul ainsi que des prophètes Moïse et Aaron sur la façade de l’église Girolami (1792), les deux Anges porte-torches (1787) dans la même église, les figures allégoriques en stuc aux piliers du transept de l’Annunziata (17801781) ou encore le groupe de Tobie et l’Ange dans la chapelle du Trésor de saint Gennaro. Sa renommée trouvant un écho au-delà des frontières de la capitale du royaume, Sanmartino fut aussi appelé dans les provinces des Pouilles afin de réaliser entre autres huit importantes statues pour la cathédrale de Taranto dans la Chapelle de San Cataldo, qui constitue la plus grande concentration de statues monumentales du maître.


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Fig. 1. Giuseppe Sanmartino, Tête d’ange, terre cuite, New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 64.164.8a-c.

Fig. 2. Attribué à Giuseppe Sanmartino, Anges debout, terre cuite, New York, Sotheby’s, 29 janvier 2010, lot 465.

En parallèle de ce corpus de statuaire en marbre, Giuseppe Sanmartino fut aussi connu comme sculpteur de figurines pour des crèches de Noël. Quelques-unes d’entre elles sont exposées au Museo di San Martino de Naples (La Nativité, L’Adoration des Mages) et au Bayerisches Nationalmuseum de Munich (La Nativité). C’est à cette production raffinée de statuettes en terre cuite que doit être rattaché notre bel ange. Mêlant sensualité et vision élégante, douceur et sens poétique, cette figure d’une grande virtuosité technique, réunit idéalement les qualités d’invention et d’exécution de Giuseppe Sanmartino. La forme singulièrement ovale du visage doux de notre personnage, sa petite bouche en cœur et son expression songeuse sont emblématiques du style du maître, et peuvent

être admirées également sur une Tête d’ange en terre cuite conservée au Metropolitan Museum of Art de New York (fig. 1) 1. Il n’existe à ce jour qu’un nombre très limité de ces statuettes signées ou qui puissent être attribuées sans ambiguïté au maître. Parmi celles-ci, il convient de mentionner deux anges en terre cuite de l’ancienne collection Arthur M. Sackler (fig. 2) 2, dont le costume et l’attitude se superposent parfaitement à ceux de notre figure, main droite portée vers l’avant, tête inclinée pour regarder derrière son épaule. L’exceptionnel état de conservation de notre pièce ainsi que sa rarissime polychromie d’origine, confèrent à cette découverte un caractère inédit et désignent ce bel ange comme un ajout tout à fait majeur au corpus du génie napolitain.

1. Giuseppe Sanmartino, Tête d’ange, terre cuite, New York, Metropolitan Museum of Art, inv. 64.164.8a-c. 2. Attribué à Giuseppe Sanmartino, Anges debout, terre cuite, New York, Sotheby’s, 29 janvier 2010, lot 465.


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Saint Joseph et l’Enfant

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Attribué à Giuseppe Picano (1716-1810)

Saint Joseph et l’Enfant Terre cuite polychrome avec dorure et incrustations de verre Naples Seconde moitié du xviiie siècle H. 44 ; L. 33 cm Provenance : Collection privée, sud de la France

Giuseppe Picano, fils d’un artisan sculpteur nommé Francesco Picano qui dut l’initier à la technique du bois sculpté, parfait sa formation à Naples auprès de Luigi Vanvitelli et de son fils Carlo, collaborant également avec Giuseppe Sanmartino (1720-1793), figure incontournable du baroque napolitain. À la tête d’une production d’œuvres majoritairement religieuses, il excella dans le travail du bois en premier lieu, puis du marbre, de la terre cuite, du stuc, et enfin du papier mâché. On lui attribue à Sant’Elia les magnifiques statues de bois de Saint Roch et de Saint Michel Archange, conservées en l’église San Sebastiano, ou encore les très belles Assomption et statue de Saint Élie qui se trouvent en l’église Santa Maria la Nova. En 1781, il reçoit le paiement de l’un de ses plus importants chantiers, un ensemble de sculptures en marbre et en stuc qu’il réalise pour le maître-autel de l’église Annunziata de Naples. Ainsi, bien des édifices de la ville abritent ses créations, tantôt monumentales, tantôt plus modestes, peuplant par exemple de fastueuses crèches napolitaines. La qualité de son ciseau désigne Giuseppe Picano comme l’un des héritiers les plus doués, sinon un élève direct, du grand Giuseppe Sanmartino.

Attributed to Giuseppe Picano (1716-1810)

Saint Joseph and the Christ Child Polychromed and gilt terracotta with glass inlay Naples Second half of the 18th century H. 44 ; W. 33 cm Provenance : Private collection, southern France La représentation de Saint Joseph et l’Enfant est un thème iconographique, peu répandu dans la sculpture jusqu’à l’âge baroque, dont Giuseppe Sanmartino semble s’être fait une prédilection, comme en témoigne entre autres son Saint Joseph et l’Enfant de l’église San Matteo à Agerola, ouvrant la voie à toute une génération de sculpteurs locaux. Le culte de saint Joseph, présenté ici comme un père relativement jeune, s’est en effet répandu dans l’art de Naples aux xviie et xviiie siècles, à la suite de la Réforme catholique. Il est alors fréquemment représenté seul avec l’enfant Jésus, comme on peut le voir sur un groupe « archétype » daté du dernier quart du xviie siècle, attribué à Nicola Fumo et visible dans l’église San Giovanni Battista à Calvello. Notre vibrante sculpture en terre cuite peinte peut être rapprochée stylistiquement d’un Saint Joseph avec l’Enfant, daté et signé par Giuseppe Picano (1771, Joseph Picano S.), conservé dans l’église Sant’Agostino alla Zecca de Naples (fig. 1). Toutefois, notre œuvre présente un traitement plus cursif que ce dernier, faisant valoir son opulente draperie, et les chairs tout en rondeurs de l’Enfant.


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Fig. 1. Giuseppe Picano, Saint Joseph avec l’Enfant, Naples, 1771, Naples, Sant’Agostino alla Zecca.

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D’un point de vue technique, notre œuvre a d’abord été modelée en terre, passée au four, puis a reçu une somptueuse polychromie. Cet usage généreux de la couleur mis au service de l’incarnation et de l’expressivité intense de notre saint, lui confère une intensité spirituelle toute particulière, caractéristique de la sculpture napolitaine à cette période. Avec ses mèches bouclées de chérubin et ses plis de chair rosée, la figure nue polychromée de l’Enfant Jésus donne à contempler une version toute baroque, dynamique et théâtrale, de ce thème populaire. Entièrement modelée en ronde-bosse, cette œuvre a probablement été conçue comme une image de dévotion pour un oratoire, une chapelle ou une église. La taille inhabituelle du groupe suggère qu’il aurait également pu être porté en procession, lors d’événements religieux ou de la vie civique mis en scène par des confréries.


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Madonna Addolorata

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Attribuée à Anna Morandi Manzolini (1714-1774)

Attributed to Anna Morandi Manzolini (1714-1774)

Madonna Addolorata

Madonna Addolorata

Terre cuite polychrome Bologne Vers 1750-1770 H. 39 ; L. 27 cm

Polychromed terracotta Bologna Circa 1750-1770 H. 39 ; W. 27 cm

Provenance : Marché de l’art, Paris

Provenance : Art market, Paris

La présente terre cuite est à mettre en parallèle avec la saisissante Madonna Addolorata de la sculptrice et médecin Anna Morandi Manzolini (1714-1774) conservée dans la collection Franco Guandalini (fig. 1) 1. Sculpture au réalisme exacerbé, cette cire modelée par Manzolini comporte des incrustations de verre et de cheveux naturels afin d’incarner presque charnellement la Vierge, donnant l’illusion d’un portrait réalisé d’après nature. Elle s’inscrit dans le cadre d’une importante production dans le diocèse de Bologne de retables portatifs de formats rectangulaires, coiffés d’un fronton et destinés à la dévotion, ornés en leur cœur des figures en cire du Christ et de la Vierge (fig. 2) 2. Femme pionnière qui combina parfaitement l’Art et la Science, Anna Morandi Manzolini confectionna très fidèlement des sujets anatomiques en cire, ce qui lui valut de son vivant le surnom de « La Dame Anatomiste ». Mariée à l’habile et célèbre anatomiste Giovanni Manzolini (1700-1755), elle collabore à la création, sous le patronage et le mécénat du pape Benoît XIV, d’un cabinet anatomique à l’Institut des sciences de Bologne. S’adonnant à l’art de modeler en

Fig. 1. Attribuée à Anna Morandi Manzolini, Tête de la Vierge de douleur, cire polychrome et verre, seconde moitié du xviiie siècle, Modène, collection Guandalini.

cire les diverses parties du corps humain, elle obtint de grands succès et parvint à représenter la nature avec une exactitude désarmante, particulièrement les organes externes et internes de la reproduction, ainsi que le fœtus dans toutes les positions qu’il occupe dans l’utérus, autant de préparations destinées à l’instruction des sages-femmes. Cette invention facilita l’étude des accouchements et la manière d’opérer dans les cas difficiles.

1. Attribuée à Anna Morandi Manzolini, Tête de la Vierge de douleur, cire polychrome et verre, seconde moitié du xviiie siècle, Modène, collection Guandalini. 2. Attribuée à Anna Morandi Manzolini, Autel portatif orné d’un Ecce Homo et d’une tête de la Vierge de douleur, cire polychrome, Bologne, seconde moitié du xviiie siècle, Monghidoro, église paroissiale.


Fig. 2. Attribuée à Anna Morandi Manzolini, Autel portatif orné d’un Ecce Homo et d’une tête de la Vierge de douleur, cire polychrome, Bologne, seconde moitié du xviiie siècle, Monghidoro, église paroissiale.

En tout point similaire à la cire signée de la collection Guandalini, notre œuvre – que les résultats catégoriques de son analyse de thermoluminescence désignent comme contemporaine – constitue un ajout déterminant au corpus d’Anna Morandi Manzolini (17141774), attestant pour la toute première fois que l’artiste ne se limitait pas à exercer son talent sur la cire. Cette découverte couplée à la thématique religieuse (et non scientifique) de notre terre cuite, dessine pour la sculptrice les contours d’une carrière d’une tout autre ampleur que celle souvent rapportée, plus dynamique et variée. Cette œuvre fera l’objet d’une publication dans une monographie de l’artiste à paraître en 2022 sous la plume d’Antonella Mampieri.


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Christ mort

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Giacomo De Maria (1760-1838)

Giacomo De Maria (1760-1838)

Christ mort

Dead Christ

Terre crue polychrome Bologne Fin du xviiie siècle H. 68 ; L. 31 ; P. 28 cm

Painted unbaked earth Bologna End of the 18th century H. 68 ; W. 31 ; D. 28 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

Giacomo de Maria (1760-1838) est un des sculpteurs italiens de la fin du xviiie siècle dont l’œuvre illustre le mieux la transition de la sculpture baroque vers le néoclassicisme. C’est à lui, maître novateur profondément ancré dans la tradition, que doit être attribuée cette superbe terre crue polychrome. Formé dès l’âge de quinze ans à l’académie Clementina de Bologne, De Maria suit les cours de Domenico Pio (1715-1801), fils d’Angelo Pio (1690-1769), sculpteur au style baroque affirmé. En 1787, il s’installe à Rome pour un court séjour qui lui permet de se familiariser avec les antiques des plus grandes collections romaines. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance du prodige Antonio Canova. Rappelé à Bologne, De Maria rentre auréolé de gloire, précédé de sa réputation de « disciple » de Canova. Notre Christ mort, conjuguant avec brio la tradition plastique bolonaise et le nouveau langage callovien fait écho à cette formation. Le corps abandonné du Christ, à l’anatomie parfaite, étendu sur une large étoffe blanche recouvrant un tertre rocheux oblique et le bras droit projeté au premier plan, s’inscrit en effet parfaitement dans le contexte baroque bolonais de la fin du xviie et du début du

xviiie siècles. Ce sujet découle des réflexions de Giacomo sur une célèbre composition de Giuseppe Maria Mazza (1653-1741), réalisée pour l’église Santa Maria Maddalena 1, qui inspira entre autres la célèbre Pietà accompagnée de saint François réalisée pour l’église San Giuseppe dei Cappucini par Angelo Gabriello Pio 2, père de son professeur à l’académie Clementina. Ce Christ mort à la position si singulière, apparaît au sein du riche corpus de De Maria comme un leitmotiv. On le retrouve ainsi dans le groupe de la Pietà en terre cuite réalisée par l’artiste vers 1796 et aujourd’hui conservée dans une collection privée de Bologne 3, dans celui de la Lamentation de l’église de Bondanello di Castel Maggiore 4, ou encore dans celle qu’il réalise pour le Sanctuaire de la sainte Vierge de San Luca à Bologne 5. Si parmi les œuvres précédemment mentionnées le groupe de Bondanello apparaît le plus proche de notre œuvre, en présentant un Christ à la pose similaire, le bassin incliné vers le spectateur, sa tête tournée contre son bras droit abandonné, le corpus de De Maria, rassemblé et étudié récemment par Antonella Mampieri 6, cache une

1. 2. 3. 4. 5. 6.

Giuseppe Maria Mazza, La Lamentation, bas-relief en terre cuite, v. 1682-1683, Bologne, Santa Maria Maddalena. Angelo Gabriello Pio, La Pietà accompagnée de saint François, terre cuite polychrome, 1727, Bologne, San Giuseppe. Giacomo de Maria, Pietà, terre cuite polychrome, v. 1796, Bologne, collection privée. Giacomo de Maria, La Lamentation, terre cuite polychrome, Bondanello di Castel Maggiore, S. Bartolomeo. Giacomo de Maria, La Lamentation, terre cuite polychrome, Bologne, Santuario della Beata Vergine di S. Luca. Mampieri, A., Giacomo de Maria (1760-1838), Bologne, Patron editore, 2020.



Fig. 1. Giacomo de Maria, Angelot pleurant sur le corps du Christ, terre cuite polychrome, collection privée.

l’origine du corps puissant et expressif du Christ, et un néoclassicisme naissant, qui point ici dans les traits apaisés de son visage. Dans la plus pure tradition bolonaise, ces réductions en terre cuite polychrome étaient reproduites par De Maria et son atelier à la demande du clergé mais aussi de particuliers, afin d’orner des chapelles domestiques ou encore des niches creusées dans la partie inférieure des autels.

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œuvre entretenant une proximité formelle et stylistique encore plus évidente avec notre terre. Il s’agit du groupe de l’Angelot pleurant sur le corps du Christ (fig. 1) 7. Exception faite du petit ange, cette terre crue polychrome, aux dimensions proches de celles de notre groupe, apparaît parfaitement superposable à notre pièce. Toutes les deux donnent à contempler la synthèse brillante réalisée par le maître entre la tradition baroque, à

7. Giacomo de Maria, Angelot pleurant sur le corps du Christ, terre cuite polychrome, collection privée.

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« L e R ayonnement » L es F landres


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Vierge à l’Enfant

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Johannes Cardon

Johannes Cardon

(1614-avant 1656)

(1614-before 1656)

Vierge à l’Enfant

Virgin and Child

Buis Anvers Vers 1643 H. 14,5 ; L. 9,5 cm

Boxwood Antwerp Circa 1643 H. 14,5 ; W. 9,5 cm

Provenance : Marché de l’art, Vienne (Autriche)

Provenance : Art market, Vienna (Austria)

Grande figure du Baroque flamand, Johannes Cardon naît à Anvers au début du xviie siècle. Issu d’une importante famille de sculpteurs, il est le fils et élève de Forci Cardon, sculpteur originaire d’Arras, et également le frère de Servaes Cardon, artiste connu pour avoir exécuté la chaire de vérité de l’église de l’abbaye d’Afflighem (Brabant). Passé maître dans le travail du bois autant que de la terre cuite, Johannes devient franc-maître de la guilde de SaintLuc en 1643. Précurseur, l’artiste adopte déjà à cette date un style délicat et raffiné caractéristique du Baroque tardif qui se diffuse largement dans les Pays-Bas méridionaux vers 1670. Celui-ci s’apprécie sur ses deux œuvres les plus célèbres, deux Vierge à l’Enfant en terre cuite signées et datées de 1643, l’une conservée au musée royal des Beaux-Arts d’Anvers 1, l’autre aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles (fig. 1) 2. Cette statuette en buis d’une quinzaine de centimètres se présente comme une déclinaison inédite à échelle réduite de la version bruxelloise du chef-d’œuvre de l’artiste. Ainsi, pareillement à son homologue en terre cuite, la Vierge y est représentée de trois-quarts, assise, son visage de profil tourné vers le Christ enfant porté sur son

Fig. 1. Johannes Cardon, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1643, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inv. 11463.

genou droit. Dans un mouvement d’une grande tendresse, le bambin se tourne vers elle, levant ses petits bras potelés vers sa mère. Ce type marial, aux formes pleines et calmes, aux lignes souples sans aspérités et à l’expression douce, est caractéristique de l’école baroque flamande qui s’épanouit dans la seconde moitié du xviie siècle entre Anvers et Malines. Cette plénitude de la

1. Johannes Cardon, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1643, Anvers, musée royal des Beaux-Arts d’Anvers. 2. Johannes Cardon, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1643, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inv. 11463.


forme qui s’observe ici dans la rotation corporelle de la Vierge combinée à la subtile distribution des drapés de sa robe, tombant en des jeux de plis variés le long de ses jambes jusqu’au sol, doit beaucoup au souffle rubénien porté en sculpture par des contemporains de Cardon, comme Lucas Faydherbe. Toutefois, chez notre sculpteur, celui-ci est tempéré par la délicatesse, la sobriété et le sentiment d’intimité qui émane du groupe. Au travers de cette mise en avant tendre et gracile de la Vierge, rempart contre l’hérésie et médiatrice entre le pêcheur et Dieu, notre artiste se met ici au service de la ContreRéforme et donne à contempler aux fidèles émus par sa composition, une image de piété et de méditation. Superbe témoignage de l’art de la microsculpture baroque flamande, très en honneur au sein des demeures privées et des cabinets d’amateurs des xviie et xviiie siècles, cette Vierge à l’Enfant en buis constitue une formidable addition au corpus de Johannes Cardon. Témoignage rarissime de ses talents de sculpteur sur bois, uniquement appréciables jusqu’alors sur les stalles du chœur de l’église de l’abbatiale d’Afflighem et sur le tabernacle de l’autel de la cathédrale SaintRombaut à Malines, elle met en lumière un pan entier du travail de cet artiste de génie, jusqu’alors limité aux spéculations et hypothèses des spécialistes.


Artus Quellin le Jeune

Artus Quellin the Younger

(Saint-Trond 1625 - Anvers 1700)

(Saint-Trond 1625 - Antwerp 1700)

Une âme sauvée

Une âme sauvée du Purgatoire par un ange

A soul saved from Purgatory by an angel

Marbre Flandres Vers 1660-1670 H. 85 ; L. 35 ; P. 15 cm

Marble Flanders Circa 1660-1670 H. 85 ; W. 35 ; D. 15 cm

Provenance : Marché de l’art, Bretagne

Provenance : Art market, Britanny

Cette statue, taillée dans un marbre statuaire de Carrare, combine deux figures : une jeune femme nue, les cheveux longs et défaits, vue de trois quarts, et un angelot virevoltant audessus d’elle. La bouche ouverte en signe de saisissement, la jeune femme tourne les yeux vers l’angelot qui la soulève par les bras. Il s’agit d’une représentation du thème de l’âme du Purgatoire sauvée par un ange. À l’issue des guerres de religions, à la fin du xvie siècle, l’Église catholique romaine et apostolique renforça la soumission des populations des Pays-Bas restées sous domination espagnole en mettant en œuvre sa doctrine de la Propaganda Fide dans le but d’extirper des esprits toute velléité d’émancipation religieuse. Le concept de l’existence du Purgatoire, lieu distinct entre le Paradis et l’Enfer, où les âmes des défunts errent pour y expier leurs péchés véniels mais non mortels tel le blasphème, fut réaffirmé. Dépeint comme un lieu de douleur et de punition, le Purgatoire était brandi comme une menace pour celui ou celle qui n’observait pas scrupuleusement les commandements du dogme, qui ne pratiquait ni la pénitence, ni

la confession. L’Église se présentait comme le rempart contre le risque d’y séjourner. La littérature édifiante publiée à cette époque dans les Pays-Bas et les nombreux ex-voto de demandes de grâce pour le secours de l’âme d’un parent défunt qui ont été conservés témoignent de l’importance de la croyance au Purgatoire dans le pays à l’époque 1. Par ailleurs, de nombreuses confréries ayant pour finalité le salut des âmes du Purgatoire ont été créées, dont l’une d’elles, à Bruxelles, avait pour membre éminent, l’archiduc Albert d’Autriche en personne. Des autels des Trépassés ont été également élevés dans les lieux de culte, certains ornés de somptueux tableaux. Le plus remarquable d’entre eux est incontestablement celui peint par Pierre-Paul Rubens pour le maître-autel de la cathédrale de Tournai, La Délivrance des âmes du Purgatoire (fig. 1) 2. Il avait été commandé peu avant 1636 par l’évêque de Tournai, Maximilien Villain de Gand, afin de rappeler l’importance de la mission de l’Église pour le salut des âmes. Parfois, c’était l’image sculptée, en haut ou en bas-relief, en pierre ou en marbre,

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1. La messe des morts selon le rite et les canons de l’Église romaine, éd. Anvers, chez Plantin, éd. 1786, Bruges, cathédrale Saint-Sauveur. Ex-voto, Les âmes sauvées du Purgatoire par un ange, argent, 1642, Bruxelles, trésor de l’église Saint-Nicolas. 2. Pierre-Paul Rubens, La Délivrance des âmes du Purgatoire, huile sur toile, 1634-1636, Tournai, cathédrale.


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Fig. 1. Pierre-Paul Rubens, La Délivrance des âmes du Purgatoire, huile sur toile, 1634-36, Tournai, cathédrale.

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qui était commandée 3. Une iconographie particulière a été élaborée pour répondre à l’image que l’Église souhaitait véhiculer de ce lieu de souffrance. On y voit des âmes, représentées sous l’aspect d’hommes et de femmes nus, croupissant en se lamentant parmi les flammes. Contrairement à l’Enfer où les âmes perdues étaient damnées pour l’éternité dans d’affreuses souffrances, celles se retrouvant dans la Purgatoire y sont certes affligées et désemparées, mais animées par l’espoir d’être purifiées avant le jour du Jugement dernier. Selon les docteurs de la foi, les âmes du Purgatoire pouvaient à tout moment en être libérées après avoir effectué une pénitence suffisante, et grâce également

aux prières et aux actes de charité des vivants désireux de les aider à atteindre cette purification. C’est pourquoi dans les représentations du Purgatoire, on trouve généralement une ou plusieurs âmes emportées hors de la fournaise par un ange salvateur. Parmi les images du Purgatoire les plus spectaculaires et originales aux Pays-Bas à l’époque baroque, il y a les grandes scènes de désolation des pécheurs représentés dans les flammes de la purification au pied des calvaires érigés à l’extérieur ou à l’intérieur des églises 4. Le plus célèbre de ceux qui ont subsisté est sans nul doute celui de l’enclos ou jardin du Calvaire de l’église Saint-Paul des Dominicains à Anvers 5. Au pied du Mont Golgotha, deux ouvertures latérales conduisent dans le sombre couloir du Purgatoire où des âmes séjournent dans les flammes, entassées derrière une grille. Au-dessus des malheureux, deux anges tiennent un phylactère sur lequel on peut lire le verset 12 :45 tiré du 2e Livre des Maccabées : Het is een heilig en zalig gedacht voor de overledenen te bidden opdat zij van de zonden ontbonden worden (C’est une pensée sainte et bienheureuse de prier pour les morts, afin qu’ils soient libérés de leurs péchés). On attribue généralement cette œuvre au sculpteur Guillaume-Ignace Kerricx (Anvers 1682 - Anvers 1745).

Un chef-d’œuvre de la statuaire baroque flamande Le groupe en marbre d’une femme nue, à mi-corps, aux bras levés tenus par un ange, est clairement un fragment d’un tel Purgatoire, aujourd’hui disparu. L’importance des destructions d’églises et

3. Arnold de Hontoire, Le Saint Sacrement consolant les âmes du purgatoire, marbre, 1691-1700, Verviers, église Notre-Dame, anciennement cathédrale Saint-Lambert de Liège. 4. Anonyme, Le Calvaire, bois, seconde moitié du xviie siècle, Tervuren, église Saint-Jean l’Évangéliste. Martin Jacques, Le Calvaire (détail), pierre peinte, v. 1755, Saint-Mard, Chapelle du Charnier. 5. Guillaume Ignace Kerricx, Le Purgatoire de l’enclos ou jardin du Mont du Calvaire, 1734-1747, Anvers, église Saint-Paul.


Artus Quellin le Jeune L’attribution à Artus Quellin le Jeune (Artus II Quellin), repose entièrement sur l’analyse comparative de style avec l’ensemble de l’œuvre répertorié de cet artiste. Ainsi, en ce qui concerne l’ange, on retrouve toutes les caractéristiques de style des angelots du maître : la joliesse du corps, aux proportions allongées et la morbidesse ferme des chairs

Fig. 3. Artus Quellin le Jeune, Chaire à prêcher, détail, chêne, 1667-1669, Bruges, église Sainte-Walburge. Fig. 2. Artus Quellin le Jeune, Chaire à prêcher, détail, chêne, 1667-1669, Bruges, église Sainte-Walburge.

qui témoignent du raffinement et de l’inspiration italienne de cet artiste qui a séjourné dans la péninsule après avoir acquis une solide expérience du métier de sculpteur en participant à l’énorme chantier de l’hôtel de ville d’Amsterdam que dirigea son oncle, Artus Quellin l’Ancien, de 1652 à 1654. L’ange n’entre pas, en tous les cas, dans la typologie des enfants robustes, et parfois patauds, de bien des sculpteurs flamands de l’époque baroque. On soulignera la forme plastique de ses mains et leur attache aux bras, typiques des putti d’Artus Quellin le Jeune (fig. 2) 6, ainsi que sa frimousse, au petit nez fin et pointu, à la petite bouche en forme de « v », entrouverte et laissant apparaître le bout de la langue, et un petit menton proéminent et pointu également qu’encadrent des joues rondes. Quant à la chevelure, fine et légère, elle est traitée au naturel, avec son jeu de boucles mouvantes, libres et variées, en particulier

6. Artus Quellin le Jeune, Chaire à prêcher, détail, chêne, 1667-1669, Bruges, église Sainte-Walburge.

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les mèches en virgules tournoyantes sur le front, ou celles s’enroulant en colimaçon sur le crâne 7. Sans doute, certains enfants de Pieter II Verbruggen ou Michiel Van der Voort présentent des coiffures naturalistes,

mais elles ne dévoilent pas la même subtilité dans les arrangements des mèches. Leurs visages, plus joufflus, sont dépourvus de cette distinction à l’italienne qu’Artus II Quellin porta à un niveau peu égalé chez ses compatriotes flamands, à l’exception notoire du Fattore di Putti, François Duquesnoy qui fit carrière à Rome. La figure féminine présente également de grandes affinités de style avec les œuvres d’Artus Quellin le Jeune, tant en ce qui concerne le gracieux port de la tête et les traits pleins, mais d’une rectitude toute classique, du visage. C’est notamment le cas des allégories féminines de la chaire à prêcher de l’église de Sainte-Walburge de Bruges (fig. 3), ou encore, pour le traitement particulier de la chevelure, la statue de Marie-Madeleine ornant l’un des confessionnaux de l’église Saint-Jacques à Anvers 8. Alain Jacobs

7. Artus Quellin le Jeune, Console du pied de la statue de la Vierge à l’Enfant, marbre, seconde moitié du xviie siècle, Anvers, cathédrale Notre-Dame. Artus Quellin le Jeune, Tête d’ange ornant la porte de la Sacristie, marbre, 1665, Anvers, église Saint-Jacques. 8. Artus Quellin le Jeune, Marie-Madeleine, détail d’un des confessionnaux, chêne, 1664, Anvers, église Saint-Jacques.

Galerie Sismann – Baroque 2022

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d’abbatiales au xviiie siècle dans les PaysBas et l’absence de descriptions précises de leur patrimoine statuaire, rendent aléatoire toute tentative d’identifier le lieu d’origine de cette sculpture dans l’état actuel de nos connaissances. Tout au plus, la richesse du matériau, les dimensions de ce fragment et la qualité artistique de l’œuvre permettentelles d’envisager qu’il s’agit d’une commande prestigieuse destinée à un édifice important et richement doté, comme une abbaye ou un couvent des Pays-Bas. La composition construite sur la disposition opposée des deux figures participe pleinement au langage baroque, tout comme l’ambiguïté de la sensualité de la jeune femme, désormais lavée de tout péché. L’œuvre se signale aussi par ses qualités artistiques et techniques. La subtilité du rendu de certains détails exprime la sensibilité de l’artiste, comme les petites mains potelées de l’ange dont les doigts s’enfoncent légèrement dans les bras de l’âme qu’il agrippe pour la sortir du Purgatoire. Non moins subtile est la façon dont la jeune femme saisit avec une élégante délicatesse les épaules de son petit sauveur. Que dire enfin de l’audace technique qui a consisté à évider le centre du bloc de marbre ? L’auteur de ce chef-d’œuvre ne peut être dès lors qu’un maître accompli, comme Artus II Quellin, l’un des plus prodigieux sculpteurs anversois du xviie siècle.

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Bozzetto

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Artus Quellin II, dit le Jeune

Artus Quellin II, dit le Jeune

(Saint-Trond 1626 - Anvers 1700)

(Saint-Trond 1626 - Anvers 1700)

Bozzetto de l’un des deux anges d’un confessionnal de l’église Saint-Jacques à Anvers

Bozzetto of one of the two angels from the confessional of Saint Jacques in Antwerp

Terre cuite Anvers Vers 1664 H. 31 cm

Terracotta Antwerp Circa 1664 H. 31 cm Provenance : Private collection, Douai

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Provenance : Collection privée, Douai

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Neveu et élève d’Artus I Quellin (Anvers 1609-1668), Artus II Quellin accède à la maîtrise à la guilde de Saint-Luc d’Anvers en 1650. De 1652 à 1654, il collabore au grand chantier de la décoration de l’hôtel de Ville d’Amsterdam que dirige son oncle. Il se serait ensuite rendu en Italie avant de s’établir à Anvers en 1657. Commence alors pour lui une brillante carrière de plus de quarante ans 1. Les commandes se succédèrent, principalement ecclésiastiques. Le sculpteur fit preuve d’une créativité exceptionnelle. Travaillant avec un égal bonheur la terre, le bois et le marbre, ses statues et ses basreliefs se caractérisent par un naturalisme teinté de classicisme, une élégance de style et un raffinement technique remarquable, comme on peut s’en rendre compte avec les panneaux en marbre des autels de la Vierge et des Tonneliers à la cathédrale d’Anvers, la statue en marbre de Sainte Rose de Lima dans l’église Saint-Paul à Anvers (1666-70) et le groupe Une âme sauvée du Purgatoire

(cat. n° 25). D’un esprit vif et curieux, il sut assimiler les innovations de ses confrères et les dépasser. Exemplaire de cette disposition chez Artus II Quellin est la statuette étudiée qui est le bozzetto de l’un des deux anges qui décorent le confessionnal de l’église SaintJacques à Anvers.

Le confessionnal de l’église Saint-Jacques à Anvers et sa place dans l’histoire du Baroque flamand Après les guerres de religion qui ont conduit à la séparation des Pays-Bas en deux États, l’Église romaine s’est engagée dans une reconquête idéologique de la partie restée dans le giron espagnol – l’actuelle Belgique. Elle y a imposé les principes doctrinaux adoptés au Concile de Trente. Parmi ceuxci, la nécessité du sacrement de la confession pour le pardon et la rémission des péchés se révéla un redoutable outil de propagande et d’assujettissement des populations. Corrélativement, de nouvelles règles sur la conception du confessionnal ont été

1. Pour une synthèse récente et complète sur Artus II Quellin, voir : P. Philippot, D. Coekelberghs, P. Loze, D. Vautier, L’Architecture religieuse et la sculpture baroques dans les Pays-Bas méridionaux et la Principauté de Liège, 1600-1770, Sprimont, Mardaga, 2003, pp. 886-903.


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Fig. 1. Pieter I Verbruggen, détail d’un des confessionnaux, chêne, v. 1657-1659, Anvers, église Saint-Paul.

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établies. Aussi, le confessionnal est-il devenu une pièce maîtresse du mobilier d’église et a connu un spectaculaire développement dans les Pays-Bas méridionaux à l’époque baroque 2. C’est principalement dans le milieu artistique anversois que les étapes significatives de l’évolution du confessionnal flamand se sont opérées au xviie siècle. Dans le deuxième quart du siècle, Erasme Quellin (Saint-Trond 1584 - Anvers 1639), l’oncle d’Artus II, innovait en allégeant la structure du confessionnal qui revêtait jusqu’alors l’aspect d’un corps d’armoire. Il abandonna la notion de caisse et de couvrement du meuble, tout en séparant le compartiment central du confesseur, de ceux des confessés, par de simples cloisons fixées aux lambris. Il faut toutefois attendre les années 1657 à 1659, avec la série des confessionnaux que Pieter I

Verbruggen (Anvers 1615-1686) réalisa pour l’église bénédictine de Saint-Paul à Anvers, pour voir apparaître les premières grandes statues en pied adossées en tête des cloisons, si caractéristiques des confessionnaux flamands (fig. 1). En 1658, Pieter I Verbruggen conçoit, pour l’église paroissiale de SaintJacques à Anvers, un nouveau confessionnal qu’il agrémente pareillement de statues d’anges, cette fois engainées. Ceux-ci sont devenus des chérubins, affublés de deux paires d’ailes. La première paire se déploie latéralement, et la seconde couvre les cloisons du siège du confesseur qui devint dès lors, symboliquement, le trône de Dieu, le réceptacle de la sagesse divine, en un mot la nouvelle Arche d’alliance comme décrit dans le Livre de l’Exode (25 : 18-22) : « Tu feras deux chérubins d’or, tu les feras d’or battu, aux deux extrémités du propitiatoire ; fais un chérubin à l’une des extrémités et un chérubin à l’autre extrémité ; vous ferez les chérubins sortant du propitiatoire à ses deux extrémités. Les chérubins étendront les ailes par-dessus, couvrant de leurs ailes le propitiatoire, et se faisant face l’un à l’autre ; les chérubins auront la face tournée vers le propitiatoire. Tu mettras le propitiatoire sur l’arche, et tu mettras dans l’arche le témoignage, que je te donnerai. C’est là que je me rencontrerai avec toi ; du haut du propitiatoire, entre les deux chérubins placés sur l’arche du témoignage, je te donnerai tous mes ordres pour les enfants d’Israël. » Pour cette dernière création, Pieter I Verbruggen eut pour collaborateur Artus II Quellin. Lorsqu’en 1664, ce dernier conçut à son tour un confessionnal pour la même église, il reprit la typologie des deux grands chérubins adossés aux cloisons (fig. 2). Il en

2. Sur les confessionnaux baroques flamands, voir S. Zajadacz-Hastenrath, « Das Beichtgestühl der Antwerpener St. Pauluskirche und die Barockbeichtstuhl in den Südlichen Niederlanden », Monographien des Nationaal Centrum voor de plastische kunsten van de xvide en de xviide eeuw, III, Bruxelles, Arcade, 1970 et P. Philippot, D. Coekelberghs, P. Loze, D. Vautier, op. cit, 2003, passim.


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Fig. 2. Artus II Quellin, détail d’un des confessionnaux, chêne, v. 1664, Anvers, église SaintJacques.

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transcenda cependant leur représentation par une approche davantage naturaliste. Il donna à ses figures une plasticité nouvelle, plus ample. Les poses, en contrapposto, sont plus souples et les plissés sont distribués de manière plus naturelle et variée. Les statues ont gagné en vitalité et en dynamisme. Elles semblent désormais se mouvoir plus librement dans l’espace, et non plus assujetties à leur seul rôle décoratif comme chez Verbruggen. Selon Paul Philippot, les visages baissés des deux anges d’Artus II

Quellin expriment « une attitude de méditation douloureuse qui invite au repentir » 3. Quelques années plus tard, Artus II Quellin conçut un nouveau confessionnal pour l’église Saint-Pierre de Beringen 4. Il devait présenter les mêmes caractéristiques de style. Malheureusement, il a été en grande partie altéré par des interventions ultérieures. On conserve, par chance, un extraordinaire dessin préparatoire qui confirme l’orientation naturaliste, à l’évidence d’inspiration italienne, prise par le sculpteur.

3. P. Philippot, 2003, pp. 371-372. 4. A Jacobs, Alla luce di Roma. I disegni scenografici di scultori fiamminghi e il Barocco romano, Rome, Istituto centrale par la Grafica, 2016-2017, n° 49, pp. 232-233.

Le bozzetto À l’exception des ailes, absentes dans la terre cuite, celui-ci présente peu de différences par rapport à l’œuvre définitive. On y trouve déjà fixées la pose élégante de la figure ainsi que la tête inclinée vers la droite, encadrée d’une chevelure bouclée, et aux mèches ondulantes glissant le long de la nuque. Il en est de même de la distribution générale des plis de la tunique tombant jusqu’aux pieds de l’ange, et du grand manteau dont un pan, retenu de la main droite, est ramené vers le devant. La nature du caractère non finito de la face arrière de la statuette révèle qu’il s’agit bien d’un bozzetto ou étude

préparatoire en terre. Un examen attentif de la pièce laisse à penser qu’Artus II Quellin n’a jamais modelé les ailes. La démarche n’est pas rare. Pour des raisons qui tiennent au risque d’accident lors de la cuisson de l’argile ou à de mauvaises manipulations, mais aussi à la démarche de certains artistes de se concentrer sur la forme à apporter à la figure, divers bozzetti d’anges de sculpteurs flamands sont dépourvus d’ailes. Citons celui de L’Ange de la Pénitence de Willem Keericx 5, ou encore ceux de la paire d’anges de Jan-Frans Van Geel appartenant à la collection Van Herck 6. Le succès du modèle de l’ange d’Artus II Quellin fut indéniable. Plusieurs sculpteurs s’en sont inspirés. C’est le cas du sculpteur anonyme d’un confessionnal daté de 1660 de l’église Saint-Bavon de Boechout, daté de 1660, d’un autre sculpteur, anonyme lui aussi, d’un confessionnal, daté de 1671, de l’église Notre-Dame-au-Lac (Onze-Lieve-Vrouw-ter-Poel) à Tirlemont, ou encore de Jan-Baptist De Wree à l’église Notre-Dame de Termonde (vers 1670). La découverte de ce bozzetto d’Artus II Quellin vient opportunément s’ajouter à la courte liste des terres cuites préparatoires connues de statues d’anges et de chérubins de confessionnaux flamands de l’époque baroque, avec l’Ange de la Pénitence de Willem Kerricx du musée départemental de Flandre à Cassel et l’Ange méditant sur la croix de Jan-Pieter II Van Baurscheit du musée de la Tour abbatiale de Saint-Amand-les Eaux 7. Alain Jacobs

5. A. Jacobs, Fascination baroque. La sculpture baroque flamande dans les collections publiques françaises, Cassel, musée départemental de Flandre, 2011-2012, n° 24, pp. 100-103. 6. Y. Morel-Deckers, Terres cuites des xviie et xviiie siècles. La collection Van Herck, Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, 2000, n° 40, pp. 126-127. 7. A. Jacobs, op. cit., 2011-212, n° 2, pp. 36-39.

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La qualité formelle des deux anges-chérubins du confessionnal de l’église Saint-Jacques représente un sommet dans l’histoire de la statuaire attachée aux confessionnaux flamands. Aucun autre de ceux qui ont été créés à cette fin ne présente cet équilibre parfait entre naturalisme et classicisme. Il nous suffit d’évoquer, pour s’en convaincre, les anges des confessionnaux de Louis Willemsens à l’église Saint-Jacques à Anvers (1692), ceux de Nicolas van der Veken dans l’église Sainte-Catherine à Malines (vers 1703), celui du confessionnal de la chapelle du Doux Nom de Willem Kerricx, à l’église Saint-Paul à Anvers (1707). Le constat est le même pour les confessionnaux réalisés au xviiie siècle, tels ceux de Jan Pieter II Van Baurscheit pour l’église Saint-Pierre de Turnhout de 1741, ou encore ceux, tardifs, de Jan Frans Van Geel à l’église Notre-Dame d’Alsemberg (1787-1791).

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Nicolaas Van der Veken

Nicolaas Van der Veken

(Malines, 1637 - Malines, 1709)

(Mechelen, 1637 - Mechelen, 1709)

Saint Joseph et l’Enfant

Saint Joseph et l’Enfant

Saint Joseph and the Christ Child

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Buis Malines Vers 1675-1690 H. 13,5 cm Inscriptions à l’encre au revers Provenance : Marché de l’art, Paris

Boxwood Mechelen Circa 1675-1690 H. 13,5 cm An inked inscription on the reverse Provenance : Art market, Paris

À Malines, entre Anvers et Bruxelles, le « Siècle de Rubens » ne s’achève pas sans voir se diffuser un art sobre, délicat et intime, à contre-courant de l’impulsion grandiloquente rubénienne. Dans la seconde moitié du xviie siècle, au cœur de cette ville devenue capitale ecclésiastique des Pays-Bas méridionaux, Nicolaas Van der Veken se fait l’interprète de cet art, au service de la Contre-Réforme catholique, dont la préoccupation première se résumerait à émouvoir par la grâce plutôt que par la grandeur. Formé à la pratique de la sculpture dès l’âge de dix ans auprès de Maximilien Labbé, Nicolaas Van der Veken rejoint par la suite l’atelier malinois de Lucas Faydherbe, initié lui-même à la manière baroque de Rubens au sein de son grand atelier anversois. Si son spectre stylistique plane sur les premières réalisations de Van der Veken, appliqué alors à bâtir sa renommée à Malines en tant que sculpteur de confessionnaux, rapidement l’artiste se libère de l’influence de son maître au profit de la mise en œuvre de

figures avenantes aux modelés plus doux et aux proportions élancées et gracieuses. Ces caractéristiques qui signalent les créations du maître réalisées entre 1675 et 1690 1, ne sont pas sans faire écho à celles émanant de notre sculpture. Mesurant moins d’une quinzaine de centimètres, notre saint Joseph se tient debout en appui sur sa jambe gauche, portant contre lui de manière protectrice l’Enfant Jésus. Enveloppé dans sa cape dont les extrémités s’enroulent autour de ses bras, il est vêtu selon la mode contemporaine d’une tunique boutonnée à col ainsi que de chausses basses ornées d’un nœud, en tout point similaires à celles observées sur les représentations de saint Joseph conservées dans les églises Sainte-Waldetrudis d’Harenthal et SaintPierre de Lille, réalisés par Nicolaas Van der Veken respectivement en 1684 et à la fin du xviie siècle 2. Sur ces deux œuvres comme sur notre sculpture, le père adoptif du Christ présente un visage semblable, jeune et vigoureux, orné d’une barbe soignée et d’une

1. Salomonson, J. W., “Kleinschalige werken in palmhout van Nicolaas Van Der Veken”, Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren en Kunst van Mechelen, 1996, pp. 63-64. Jansen, J., “Vijf nieuw-geidentificeerde werken van de Mechelse beeldhouwer Nicolaas van der Veken (1637-1709)”, Bulletin : Institut Royal du Patrimoine Artistique, Bruxelles, 16, 1976-1977, p. 95. 2. Nicolaas Van der Veken, Joseph et l’Enfant, bois polychrome, 1684, Herentals, Sainte-Waldetrudis. NicolaasVan der Veken, Joseph et l’Enfant, bois polychrome, fin du xviie siècle, Lille, église Saint-Pierre.


Fig. 1. Nicolaas Van der Veken, Marie et l’Enfant, buis, Malines, fin du xviie siècle, Bruxelles, musée d’Art et d’Histoire, inv. 6564.

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Fig. 2. Attribué à Nicolaas Van der Veken, Saint Joseph et l’Enfant, buis, seconde moitié du xviie siècle, New York, Metropolitan Museum of Arts, 1971.68.

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moustache légère, encadré par une même chevelure mi-longue aux mèches souples ondulées. Revêtant la délicatesse, l’élégance et l’attitude noble des œuvres de Nicolaas Van der Veken, notre saint Joseph, comme sur les sculptures de Lille et d’Harenthal, présente un drapé qui épouse étroitement le modelé de son corps, révélé davantage à la naissance de sa jambe gauche découverte. Le buis dans lequel fut taillée notre figure, cette essence de bois précieuse dense et dure supportant les découpes très fines, se prête ici merveilleusement à la taille profonde des plis du manteau de Joseph, produisant des effets d’ombre et de lumière d’une intensité exceptionnelle.

Le raffinement extrême de notre pièce et la proximité stylistique évidente que celleci entretient avec le corpus des bois polychromes de Nicolaas Van der Veken, nous encouragent à attribuer cette œuvre au ciseau du maître. Cette hypothèse se voit confortée par une étude réalisée à la fin des années 1990 par J. W. Salomonson, qui met en lumière la place importante qu’occupèrent les sculptures de petite échelle dans la carrière de l’artiste et notamment celles en buis, destinées à prendre place dans les cabinets des érudits locaux de l’époque 3. Parmi ces chefs-d’œuvre de minutie, il convient de mentionner une sublime Vierge à l’Enfant conservée au musée d’Art et d’Histoire de Bruxelles (fig. 1) 4, ou encore un impressionnant Saint Hubert de l’église de LombeekNotre-Dame 5. En effet, on retrouve sur le Christ de la Vierge de Bruxelles et sur le visage du saint Hubert de Lombeek, les mêmes traits finement sculptés que ceux des protagonistes de notre groupe, mais aussi une sophistication comparable dans le traitement de la surface des drapés, dans celui de l’intensité des expressions ou encore de la grâce des mouvements. Au sein de ce corpus de petits buis, d’autres sculptures représentant saint Joseph peuvent être signalés. C’est le cas de celui du musée Schnütgen de Cologne 6, présenté à la différence du nôtre en tenue classique intemporelle, ou encore d’un groupe représentant saint Joseph et l’Enfant Jésus, issu de l’ancienne collection Rothschild, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York (fig. 2) 7. Si le groupe new-yorkais pourrait être présenté comme une réduction en buis

3. Cf. Salomonson, J. W., op. cit., pp. 61-124. 4. Nicolaas Van der Veken, Marie et l’Enfant, buis, Malines, fin du xviie siècle, Bruxelles, musée d’Art et d’Histoire, inv. 6564. 5. Nicolaas Van der Veken, La Vision de saint Hubert, buis, Malines, fin du xviie siècle, Lombeek, église Notre-Dame. 6. Nicolaas Van der Veken, Saint Joseph et l’Enfant, buis, v. 1660-1675, Cologne, Schnutgen Museum, inv. A1046. 7. Attribué à Nicolaas van der Veken, Saint Joseph et l’Enfant, buis, seconde moitié du xviie siècle, New York, Metropolitan Museum of Arts, 1971.68.


Fig. 3. Saint Joseph et l’Enfant, bois polychrome, fin du xviie siècle, Malines, église Saint-Joseph.

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des saints Joseph de Lille et d’Harenthal, le modèle de notre sculpture est à trouver ailleurs, peut-être au cœur de la sacristie de l’église Sainte-Catherine de Malines ornée autrefois d’une représentation de saint Joseph portant l’Enfant Jésus sur le bras attribuée à Nicolaas Van der Veken par Emmanuel Neeffs 8. Transportée dans la première décennie du xxe siècle dans l’ancien couvent des frères Cellites de Malines, la description de cette œuvre trouve un écho saisissant dans le Saint Joseph aujourd’hui conservé en l’église paroissiale Saint-Joseph de Malines (fig. 3) 9, se présentant lui-même comme le parfait reflet de notre buis, autrefois orné d’auréoles en métal fichées dans les trous de percement visibles sur le haut des crânes de saint Joseph et de l’Enfant.

Comme les groupes de l’ancienne collection Rothschild et de Cologne, notre œuvre témoigne de l’intérêt tout particulier que manifestèrent Nicolaas Van der Veken et ses contemporains pour les représentations du père adoptif du Christ. Celui-ci s’explique aisément par le lien qu’entretenait le maître avec la solidarité des Pères Jésuites, dont il était membre, mais plus globalement par l’influence déterminante qu’exerça cet ordre sur la création artistique malinoise du Grand Siècle dans le contexte de la Contre-Réforme. Engagé dans le renouveau de l’Église catholique et dans son renouvellement spirituel, les Jésuites promouvaient la vénération du père terrestre du Christ qu’ils considéraient comme un modèle à imiter par les pères et maris. Les artistes furent ainsi encouragés à

8. Poupeye, C., « Nicolaas Van de Veken sculpteur malinois du xviie siècle », Handelingen van de Koninklijke Kring voor Oudheidkunde, Letteren en Kunst van Mechelen, 1911, p. 111. 9. Saint Joseph et l’Enfant, bois polychrome, fin du xviie siècle, Malines, église Saint-Joseph.

aider les fidèles à représenter saint Joseph et des instants de sa vie, absents des Évangiles. Pour les Jésuites comme les Carmélites, fers de lance de la Contre-Réforme, Joseph joue un rôle particulier dans la quête personnelle du Salut par l’imitation de son exemple. Modèle d’amour chaste pour la Vierge et de recueillement, il contribue en tant que père nourricier à éclairer l’humanité du Christ. Image tendre de paternité mais aussi modèle humain de direction spirituelle, notre buis s’offrait à son propriétaire comme une image de piété mais aussi de méditation et de contemplation.

Sublime témoignage de l’art de la microsculpture flamande, ce Saint Joseph constitue une formidable addition au corpus du sculpteur malinois Nicolaas Van der Veken. Manifeste de la diversité des orientations plastiques mises en œuvre en Flandre au terme de l’hégémonie rubénienne, cette œuvre illustre l’éclosion d’une brillante renaissance artistique dans la région, portée par le patronage généreux et les enseignements de la Compagnie de Jésus et ses fidèles.

Galerie Sismann – Baroque 2022

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Fig. 2

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Putto ailé

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Putto ailé au phylactère

Winged Putto with a phylactery

Bronze à patine noire et reflets verts Flandres Première moitié du xviiie siècle H. 28 cm

Bronze with black patina and green reflections Flanders First half of the 18th century H. 28 cm

Provenance : Ancienne collection Ladrière

Provenance : Former Ladrière collection

Debout sur sa base, son torse dans le prolongement de ses jambes en marche et son visage complètement tourné à senestre, notre putto ailé, vêtu d’une simple étoffe qu’il retient au niveau de sa taille, présentait autrefois de son bras gauche tendu un phylactère. En Europe, le regain d’intérêt pour le sujet du putto s’inscrit dans le contexte de la ContreRéforme, dont les créations cherchent à recueillir l’adhésion du fidèle par des compositions spectaculaires et dynamiques faisant la part belle au sensible. C’est dans cette perspective que de nombreux artistes ont approché le sujet, l’étudiant et l’animant tour à tour d’amour, de joie, de passion ou de tristesse, traduits dans le corps, les gestes ou encore le visage de ces savoureux bambins ailés. C’est le cas notamment de François Duquesnoy (1597-1643), figure incontournable du Baroque flamand, chez qui la figure du putto se meut en motif de prédilection, repris abondamment par ses suiveurs. Certaines de ses créations comme L’Amour sacré et l’Amour profane et Cupidon taillant son arc 1, lui feront gagner le titre de « maître des putti », et influenceront durablement

certains des plus brillants sculpteurs flamands comme Artus II Quellin (16251700) 2, Jérôme Duquesnoy le jeune (16021654) 3, Jan Baptiste Xavery (1697-1742) ou encore Jan-Peter Baurscheit l’Ancien (1669-1728) 4, qui s’empareront à leur tour de ce sujet. Sous leurs ciseaux, les influences du baroque romain issues de l’héritage de Duquesnoy se mêlent au réalisme flamand et à ses accents rubinistes, conférant aux putti du nord un charme délicieux, reposant sur des anatomies vaporeuses et charnelles, semblables à celle de notre bronze. La présence du phylactère dans la main gauche de notre putto pourrait indiquer qu’il s’agit ici d’une réduction d’un élément sculpté destiné à orner un monument. Cette hypothèse trouve appui sur la comparaison stylistique des physionomies des putti aux visages expressifs décorant le Monument funéraire des époux Van Ewsum à Midwolde, réalisé par le flamand Romboust Verhulst (1624-1698). Pourtant, face au relatif statisme de ces figures, la vitalité et l’énergie qui se dégagent de la position de notre putto, nous rappellent la

1. François Duquesnoy, L’Amour sacré et l’Amour profane, 1643, Rome, Galleria Doria Pamphili. François Duquesnoy, Cupidon taillant son arc, 1626, Berlin, Bode Museum, inv. 540. 2. Artus II Quellin, Projet d’Ange ailé, 1672-1673, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts, inv. 2242. 3. Jérôme Duquesnoy le Jeune, Ange portant un cartouche, v. 1654, Lille, Palais des Beaux-Arts, inv. A 1988. 4. Jan Baptiste Xavery, Quatre études de putti, premier quart du xviiie siècle, Amsterdam, Rijksmuseum, inv. M. 9351. Jan-Peter Baurscheit l’Ancien, Modello d’une fontaine avec deux putti, premier quart du xviiie siècle, Anvers, collection Van Herck.


touche des heures italiennes de Duquesnoy. Ainsi, il est intéressant de mettre en parallèle notre œuvre avec les deux groupes en plomb représentant L’Hiver et le Printemps et L’Été et l’Automne, exécutés vers 1740 par le sculpteur flamand Aegidius Verhelst (16961749) 5. Actif à Munich et Augsbourg durant la première moitié du xviiie siècle, Verhelst s’est spécialisé dans la réalisation de putti, coulés en bronze ou en plomb et semble avoir été davantage influencé par le Baroque italien que la plupart de ses contemporains flamands. En cela, ses œuvres offrent de par leur style et leur dynamisme un point de comparaison précieux à notre statuette.

5. Aegidius Verhelst, L’Hiver et le Printemps – L’Été et l’Automne, plomb, v. 1740, Münich, Bayerisches National Museum.


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Vierge à l’Enfant

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Autour de Michiel Van der Voort (1667-1737)

Entourage of Michiel Van der Voort (1667-1737)

Vierge à l’Enfant

Virgin and Child

Bronze argenté Flandres Premier quart du xviiie siècle H. 36 cm

Silver plated bronze Flanders First quarter of the 18th century H. 36 cm

Provenance : Marché de l’art, Lorraine

Provenance : Art market, Lorraine

Au même titre que le marbre, l’ivoire ou encore les essences de bois précieuses comme le buis, le bronze fait partie de ces matériaux nobles qui concentrent l’attention des plus grands sculpteurs baroques flamands de leur temps. Cette rare Vierge à l’Enfant en bronze argenté en est un précieux témoignage. Debout, en appui sur sa jambe gauche, Marie, vêtue d’une élégante robe aux manches godronnées, est enveloppée dans une ample étoffe croisée sur sa poitrine, dont les plis chutent en cascade le long de sa cuisse gauche avant d’épouser le sol et de s’épanouir en corolle autour de ses pieds. Elle présente aux fidèles son fils, allongé en équilibre précaire sur les deux bras de sa mère, ses petites jambes potelées croisées, son visage poupin tourné vers sa droite, imprimant une torsion contraire à celle insufflée par l’élan de son bras, projeté vers l’avant, esquissant de ses doigts le geste de bénédiction. Les traits fins du visage de Marie, mais aussi le traitement de sa chevelure fluide relevée en arrière et de son drapé, permettent de rapprocher notre bronze des productions de Michiel Van der Voort et de son atelier. Contemporain de Laurent Delvaux (16961778) ou encore de Jean-Baptiste van der Haeghen (1668-1740), Van der Voort est un

des fers de lance du Baroque flamand, raffiné et gracieux, qui à la fin du xviie siècle tend à conjuguer l’exubérance de ce style avec une certaine sobriété classique. C’est en Italie où l’artiste se rend peu après avoir été reçu au sein de la guilde de saint Luc, en 1689, que Van der Voort peaufine sa synthèse au contact des chefs-d’œuvre de François Duquesnoy. À son retour à Anvers, reconnu pour ses talents de sculpteur et sa polyvalence, il obtient de nombreuses commandes pour des monuments funéraires, des chaires, des statues de saints, qu’il réalise épaulé par un important atelier, où il forme toute une génération de sculpteurs de talent comme Laurys Gillis (1688-1749) ou encore Jan Baptist Xavery (1697-1742). Si le visage aux traits doux et au modelé sensible de la Vierge évoque bien ici ceux diffusés dans la statuaire régionale des premières années du xviiie siècle 1, l’anatomie élancée mais charnue de son enfant, au visage ovale, au front haut et aux cheveux lisses, évoque elle plus spécifiquement le travail de Van der Voort. Des bambins similaires sont ainsi à signaler dans les bras de la Vierge du monument funéraire d’Humbert de Precipiano 2, réalisé par l’artiste au sein de la cathédrale Saint-Rombaut de Malines,

1. Vierge à l’Enfant, tilleul, v. 1701-1725, Anvers, Museum Mayer van den Bergh, nr. 2331. 2. Michiel Van der Voort, Vierge à l’Enfant, Monument funéraire d’Humbert de Precipiano, Malines, cathédrale Saint-Rombaut.


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ou encore sur celui de l’archevêque Thomas Philippe d’Alsace, au cœur du même édifice 3. Sur ces deux sculptures comme sur notre bronze, la position précaire de l’enfant dessine une diagonale dynamique qui rompt avec la verticalité du groupe. Ancré dans

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l’héritage de la tradition gothique et de ses grands maîtres comme Gerhaert de Leyde, ce motif s’apprécie également sur quelques bronzes réalisés par François Duquesnoy 4, source d’inspiration majeure pour Michiel Van der Voort et ses contemporains. Quant aux plis fluides qui s’évasent en corolle à la naissance des chevilles de notre Vierge, libérant simplement la pointe d’un de ses pieds, ils peuvent être observés sur d’autres sculptures réalisées par l’artiste, comme sur le Saint Piat de l’église Notre-Dame de Tournai 5, la figure funéraire en l’honneur de Joannes Franciscus Van Cottem de l’église Saint-Michel de Gand 6, ou encore un saint François conservé dans la collection des musées royaux des Beaux-Arts de Belgique 7. Bien qu’aucune œuvre en bronze n’ait été à ce jour rattachée à Van der Voort, des recherches récentes ont démontré que l’artiste et son atelier fournissaient des dessins pour les orfèvres anversois, quand d’autres travaillaient également directement à partir de bois, de terre cuite ou de cires de l’artiste 8. Certains orfèvres auraient également pu se former au dessin et au modelage au sein de son atelier, selon une pratique répandue à l’époque. C’est dans ce contexte artistique effervescent, marqué par la polyvalence, la formation et le transfert de modèles au sein des ateliers flamands, que notre œuvre fut réalisée dans les premières années du xviiie siècle.

3. Michiel van der Voort, Vierge à l’Enfant, Monument funéraire de l’archevêque Thomas Philippe d’Alsace, 1719, Malines, cathédrale Saint-Rombaut. 4. François Duqesnoy, Vierge à l’Enfant, bronze, première moitié du xviie siècle, Aigremont, château. 5. Michiel van der Voort, Saint Piat, 1691-1710, Tournai, cathédrale Notre-Dame. 6. Michiel van der Voort, Figure féminine, monument funéraire de Joannes Franciscus Van Cottem, 1721, Gand, église Saint-Michel. 7. Michiel van der Voort, Saint François d’Assise, terre cuite, Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. 8. Wim Nys, « Sculptors modelling Antwerp silver », Colloquium Seventeenth-century sculpture of the Low Countries from Hendrick de Keyser to Jean Del Cour, 15 mars 2009.


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Vierge à l’Enfant

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Attribuée à Walter Pompe (1703-1777)

Attributed to Walter Pompe (1703-1777)

Vierge à l’Enfant

Virgin and Child

Buis Anvers Second quart du xviiie siècle H. 32 (sans socle) ; H. 46,5 cm (avec socle)

Boxwood Antwerp Second quarter of the 18th century H. 32 (without the base) ; H. 46,5 cm (with the base)

Provenance : Marché de l’art, Paris

Provenance : Art market, Paris

Aux xviie et xviiie siècles à Anvers, portées par les élans de la Contre-Réforme, les sculptures de petites dimensions en buis suscitent l’engouement des notables et amateurs fortunés, qui peuplent les chapelles de la ville, leurs demeures et cabinets, de ces chefs-d’œuvre dont la séduisante minutie s’applique à incarner les personnages saints, reliant les images sacrées au monde terrestre, les rapprochant un peu plus de celui qui les contemple et les vénère. Au sein de cette production, les représentations tendres et graciles de la Vierge à l’Enfant, donnent aux fidèles à contempler une image de piété et de méditation.

derniers et plus célèbres représentants du Baroque anversois au xviiie siècle, Walter Pompe (1703-1777), notre Vierge à l’Enfant témoigne de la longévité et de la fortune de ce motif.

Mesurant une trentaine de centimètres sans son socle, notre Vierge se tient debout en appui sur sa jambe gauche, portant dans ses bras l’Enfant Jésus. Se saisissant du pied du Christ, son membre dextre apparaît contraint par le drapé en écharpe serrée de son manteau, reprenant un leitmotiv bien connu de la statuaire flamande du xviie siècle, visible pour ne citer que quelques exemples sur les productions de Nicolaas Van der Veken ou encore sur une superbe Vierge à l’Enfant en buis du Museum Van der Bergh d’Anvers 1. Dérivant d’un modèle établi par l’un des

Formé au sein de l’atelier de Michiel Van der Voort (1667-1737), Walter Pompe est reçu Maître de la Guilde de Saint-Luc d’Anvers en 1729. Rapidement, la qualité de son travail lui permet de gagner en réputation et de répondre aux plus prestigieuses commandes de son époque, à destination de privés, d’églises ou encore de monastères de la région anversoise. Principalement reconnu pour ses décors sculptés d’établissements religieux, Walter Pompe est également à la tête d’une importante production d’œuvres de petits formats en bois, en terre cuite ou en ivoire, aujourd’hui très prisées des collectionneurs, qu’il exécute grâce à l’aide d’un atelier florissant. Notre Vierge fait partie de ce corpus. Sa position, l’agencement de la chevelure de Marie et de ses drapés, désignent sans équivoque son modèle, une terre cuite signée et datée W. Pompe 1728 2/19, aujourd’hui conservée dans les collections du Rijksmuseum

1. Vierge à l’Enfant, buis, Flandres, v. 1660, Anvers, Museum Van der Bergh, inv. 222.

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Fig. 2. Walter Pompe, Notre-Dame de la Victoire et Saint Joseph, détail, encre sur papier, Bruxelles, musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. 8852.30.

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Fig. 1. Walter Pompe, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1728, Amsterdam, Rijksmuseum, BK-NM-10134. Signée et datée : W. Pompe 1728 2//19.

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d’Amsterdam (fig. 1) 2. Toutefois, notre œuvre présente quelques différences significatives avec cette dernière. C’est le cas notamment de la position adoptée par l’Enfant Jésus. Assis dans les mains de sa mère, les jambes à l’horizontal, le Christ de la terre cuite du Rijksmuseum s’éloigne du poupin vif aux jambes gesticulantes de notre sculpture. Présenté quasiment de profil, ce dernier semble se mouvoir en lévitation dans les airs, le torse dressé, armant tel un homme sa marche. Cette attitude qui connaît une fortune toute particulière dans l’œuvre de Walter Pompe, se retrouve sur une esquisse de l’artiste aujourd’hui conservée aux musées royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles ainsi que sur une autre terre cuite de l’artiste,

signée et datée Pompe 1738, aujourd’hui conservée au collège Notre-Dame d’Anvers (fig. 2) 3. Tout comme le geste affectueux de Marie se saisissant du pied de son fils, également observé sur un bois doré attribué à Walter Pompe et conservé aujourd’hui dans une collection particulière 4, l’attitude du Christ évoque ici tout autant la tendresse inspirée par l’enfant que le mystère de l’Incarnation. Les proportions élancées de notre Vierge, les traits classiques de son visage ainsi que le modelé subtil des carnations évoquent ici les prémices de la détente formelle de la dernière phase du Baroque qui s’affirme définitivement dans le milieu anversois autour des années 1770-1780, portée par une génération d’artistes formés au sein de l’atelier de Walter Pompe. Sublimée par son socle original anversois en bois plaqué d’ébène, sculpté et rehaussé d’ornements en argent, notre œuvre constitue un magnifique apport au corpus de ce maître prolixe du Baroque flamand.

2. Walter Pompe, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1728, Amsterdam, Rijksmuseum, BK-NM-10134. 3. Walter Pompe, Notre-Dame de la Victoire et Saint Joseph, encre sur papier, Bruxelles, musées royaux d’Art et d’Histoire, inv. 8852.30. Walter Pompe, Vierge à l’Enfant, terre cuite, 1737, Anvers, collège Notre-Dame. 4. Attribuée à Walter Pompe, Vierge à l’Enfant, bois doré, collection privée.


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Calvaire

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Walter Pompe (1703-1777)

Walter Pompe (1703-1777)

Calvaire

Calvary

Ivoire Anvers 1771 H. 58 (Christ) ; H. 115 cm (Calvaire) Signé 1771 Walterus Pompe fecit .AE T.68 Anvers. 8 : 9br18

Ivory Antwerp 1771 H. 58 (Christ) ; H. 115 cm (Calvary) Signed 1771 Walterus Pompe fecit .AE T.68 Anvers. 8 : 9br18

Provenance : Collection privée, Lyon

Provenance : Private collection, Lyon

Publié dans : Van Liebergen, L., Walter Pompe, beeldhouwer, 1703-1777 : tentoonstelling in het Museum voor Religieuze Kunst te Uden, 13 oktober t/m 9 december 1979, p. 70, n° 192

Published in : Van Liebergen, L., Walter Pompe, beeldhouwer, 1703-1777 : tentoonstelling in het Museum voor Religieuze Kunst te Uden, 13 oktober t/m 9 december 1979, p. 70, n° 192

Si le grand sculpteur anversois Walter Pompe (1703-1777) s’est principalement fait connaître sur le marché de l’art moderne par ses œuvres de petites dimensions, destinées à la dévotion privée, le maître s’illustra également sur des sculptures de grand format, issues de commandes prestigieuses passées par des églises et monastères. Parmi elles, il faut sans aucun doute compter cet impressionnant Christ monumental sculpté dans une importante défense d’éléphant, fixé sur une croix en bois, elle-même dressée sur un tertre macabre que quelques os en ivoire rapportés désignent comme le Golgotha. Signé 1771 Walterus Pompe fecit .AE T.68 Anvers. 8 : 9br18 au revers de son périzonium, cette œuvre est un manifeste de la virtuosité technique de l’artiste, visible à travers le traitement habile des plis du linge qui dissimule la nudité du Christ dans un jeu de drapés complexe et très caractérisé, mais aussi au travers du rendu précis de l’anatomie, de

la musculature, des mèches de cheveux et des dents du Sauveur, toutes sculptées individuellement. Son caractère contorsionné innovant et son expression profondément angoissée appuyée par sa bouche ouverte et ses yeux révulsés, font de ce corpus l’incarnation même de l’intérêt baroque pour le drame et la transcription des émotions humaines. D’un point de vue stylistique et typologique, notre œuvre peut être rapprochée d’un Christ en ivoire réalisé par Walter Pompe en 1771, aujourd’hui conservé à l’Institute of Arts de Detroit 1, et de quelques autres pièces passées sur le marché de l’art ces dernières années. Toutefois, ses dimensions imposantes, tout à fait inédites pour ce medium, ne trouvent leur équivalent que dans le corpus des bois réalisés par l’artiste 2 (fig. 1), et laissent suggérer qu’il aurait pu s’agir d’un modèle réalisé par le maître lui-même plutôt que par son atelier, afin d’orner un édifice religieux important.

1. Walter Pompe, Crucifix, ivoire, 1771, Detroit, Institute of Arts, 1995.128. 2. Walter Pompe, Calvaire, bois, Anvers, 1740, localisation inconnue.


Fig. 1. Walter Pompe, Calvaire, bois, Anvers, 1740, localisation inconnue.


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Ange portant un bénitier

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Laurent Delvaux (1696-1778)

Laurent Delvaux (1696-1778)

Ange portant un bénitier

Angel carrying a Holy Water Stoup

Terre cuite Flandres Vers 1743 H. 28 ; L. 23 cm Provenance : Collection privée, Paris

Terracotta Flanders Circa 1743 H. 28 ; W. 23 cm Provenance : Private collection, Paris

Assis sur un nuage, tenant entre ses deux mains un coquillage destiné à recueillir de l’eau bénite, cet attendrissant angelot en terre cuite représente un ajout inédit au célèbre corpus des « Anges-Bénitiers » attribués à Laurent Delvaux (1696-1778). Issu du Baroque tardif, ce dernier est à l’initiative d’un véritable renouveau de la sculpture dans les Pays-Bas méridionaux, qui délaissés par l’Espagne, doivent s’accommoder dans la première moitié du xviiie siècle d’une situation culturelle périphérique, se recroquevillant sur le souvenir d’un Âge d’Or révolu. Face à ces premières décennies d’impasse créative, le jeune Delvaux s’exile en 1717 à Londres. Là-bas, dans un contexte néoclassique naissant, il œuvre notamment aux côtés de Peter Scheemakers pour la réalisation d’un tombeau à Westminster. L’appel de l’Antique se faisant toujours plus pressant, les deux artistes quittent la capitale anglaise en 1728 pour compléter leur formation au cœur de la Ville Éternelle. Ce séjour romain est un véritable choc pour Delvaux. Au contact des chefs-d’œuvre du Bernin, de L’Algarde, de Duquesnoy ou encore de Ferrata, il renoue avec le Baroque

et en propose une adaptation alanguie et délicate proche du Barochitto qui se diffuse à Rome dans les années 1720 sous le ciseau des élèves de Camillo Rusconi et de Pierre II Le Gros. En 1732, Delvaux rentre aux PaysBas, s’établit à Bruxelles, puis rapidement à Nivelles où il fait toute la démonstration de son talent, déployant habillement un style porté à la fois par la tradition flamande et par les nouveautés glanées au cours de ses divers séjours à l’étranger, parfait compromis pour séduire la clientèle locale. Notre œuvre s’en fait l’écho. Presque une quinzaine d’« Anges-Bénitiers » de ce type, attribués à Laurent Delvaux, ont été répertoriés ces dernières années dans les collections publiques et privées 1. Parmi eux, il convient de mentionner celui du musée communal d’Archéologie de Nivelles 2, et celui de l’ancienne collection Arthur Cousin (fig. 1) 3, qui présentent la même composition délicate, donnant à contempler le même petit angelot installé sur un nuage, tenant entre ses mains un coquillage destiné à recueillir l’eaubénite, accompagné d’une ancre, symbole de l’Espérance, plantée à ses côtés dans les nuées. Ces bambins aux modelés doucereux

1. Jacobs, A., Laurent Delvaux, Paris, Arthena, 1999, pp. 395-398 ; 415-417. 2. Laurent Delvaux, Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille, terre cuite, v. 1743, Nivelles, musée communal d’Archéologie, inv. S.U.T.49. 3. Laurent Delvaux, Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille, terre cuite, v. 1743, localisation inconnue.


Fig. 1. Laurent Delvaux, Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille, terre cuite, v. 1743, ancienne collection Arthur Cousin. Fig. 2. Laurent Delvaux, Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille, aux armes de Maximilien Antoine van der Noort, marbre, v. 1743, collection privée.

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désignent Delvaux comme le digne continuateur de Duquesnoy, le « fattore di putti ». Ils présentent exactement les mêmes traits tendres que ceux de notre angelot, marqués par des joues pleines, des commissures des yeux et des lèvres légèrement tombantes, un petit nez et un menton pointu rentré 4. Toutefois, la position frontale de leurs jambes s’éloigne de celle plus dynamique de notre angelot, figurées de profil, présentant notre protagoniste dans une légère diagonale. Cette attitude se retrouve sur une seule autre pièce intégrée à ce corpus, un angelotbénitier aux armes de Maximilien Antoine van der Noort, sculpté dans le marbre et conservé aujourd’hui dans une collection privée (fig. 2) 5. On y retrouve le même petit pied dextre de notre bambin, fermement en

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appuie sur le nuage. Dans un article publié en 2006, Denis Coekelberghs propose en rapprochant avec pertinence ce marbre de la Chaire de Vérité réalisée par l’artiste dans la cathédrale de Gand, de dater ce bénitier autour de 1743, faisant de lui l’un des premiers bénitiers connus de Delvaux 6. Cette datation s’applique selon lui également au bénitier de l’ancienne collection Cousin, jusque-là daté dans les années 1760-1765, et par conséquent arrête aussi celle de la réalisation de notre terre cuite, au même moment, vers 1743. D’abord envisagée comme un modello, la glaçure apposée à l’intérieur de la coquille pour protéger notre terre cuite de l’eau, tend à attester qu’elle fut bien utilisée au quotidien comme bénitier privé.

4. Jacobs, A., op. cit. pp. 155-157. 5. Laurent Delvaux, Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille, aux armes de Maximilien Antoine van der Noort, marbre, v. 1743, collection privée. 6. Coekelberghs, D., « Un bénitier en marbre aux armes de Maximilien Antoine van der Noot, évêque de Gand, par Laurent Delvaux », La Tribune de l’Art, article en ligne, lundi 2 octobre 2006.


« À l’ombre du Classicisme » F r ance


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Vierge Nourricière

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Vierge Nourricière

Virgo Lactans

Terre cuite polychrome RĂ©gion Mancelle ou Angevine Vers 1600 H. 57 ; L. 36,5 cm

Polychromed Terracotta Region of Le Mans or Angers Circa 1600 H. 57 ; W. 36,5 cm

Provenance : Marché de l’art, Picardie

Provenance : Art market, Picardy

Aux xvie et xviie siècles, les régions mancelle et angevine abritent un foyer artistique original incarné par un nombre considérable de sculpteurs terracottistes dont l’influence s’exerce dans tout l’ouest de la France. La production de ces ateliers, implantés particulièrement autour du Mans, dont l’ambition est alors de rivaliser avec les chantiers parisiens, occupe une place de choix dans l’histoire de la sculpture française. Au lendemain des guerres de religion et des destructions commises par les protestants dans la région, leur activité est soutenue par le mouvement de la réforme catholique qui favorise alors la multiplication des commandes de sculptures religieuses en terre cuite. Parmi les sujets de dévotion les plus exécutés, la Vierge à l’Enfant nourricière occupe une place prépondérante, donnant au fidèle à contempler une image maternelle, pleine de douceur et de tendresse. Notre terre cuite se rattache à cette typologie mise en place très tôt au sein des ateliers du Mans et d’Angers, dès la seconde moitié du xvie siècle. Assise sur un banc, vêtue d’un ample manteau relevé sur sa nuque et d’une robe à corset sur chemise, Marie donne le sein à l’Enfant. Les jambes à demi-croisées, elle avance significativement l’une d’entre elles vers l’extrémité de sa base selon un schéma très répandu au sein de la production, comme en témoignent pour

Fig. 1. La Vierge allaitant l’Enfant, terre cuite, fin du xvie siècle, Angers, collégiale Saint-Martin (dépôt).

n’en citer que quelques-unes, la Vierge du monastère Notre-Dame de compassion de Martigné-Briand 1, celle attribuée à Charles Hoyau conservée dans le trésor de la cathédrale de Nantes 2, ou encore la Vierge allaitant l’Enfant de l’ancienne collection angevine Pasquier (fig. 1) 3. La silhouette de cette dernière fait particulièrement écho à celle

1. Vierge à l’Enfant, début du xviie siècle, Martigné-Briand, monastère Notre-Dame de Compassion (Maine-et-Loire). 2. Attribuée à Charles Hoyau, Vierge à l’Enfant, Nantes, Trésor de la cathédrale. 3. La Vierge allaitant l’Enfant, terre cuite, fin du xvie siècle, Angers, collégiale Saint-Martin (dépôt).


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de notre terre cuite. Marie y est présentée enveloppée dans un lourd manteau aux plis souples, dont la simplicité et la fluidité des drapés évoquent tout à fait ceux mis en œuvre sur notre sculpture. De plus les deux sont coiffées du même voile singulier, également visible sur la Vierge du Tremblay 4, comme relevé par des arceaux sur le chef de la Vierge. Au même titre que la ceinture et la cordelette fine de la chemise de la Vierge nouée à la naissance de son cou, ce voile témoigne chez notre sculpteur d’un véritable goût pour la représentation du costume porté en France à la toute fin du xvie siècle, un goût qu’il semble partager avec les auteurs des deux vierges précédemment citées. Toutefois, en dépit de la torsion prononcée de sa tête, notre œuvre se distingue quelque peu par

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sa sobriété et sa pose statique du canon tout maniériste, élancé et serpentin, de la Vierge Pasquier. Son attitude plus humble et réservée, nous encourage à placer chronologiquement notre sculpture entre cette vierge de la seconde moitié du xvie siècle et la Vierge mancelle allaitante plus emprunte de classicisme du musée du Louvre 5, datée entre 1610 et 1630, qui porte sur son enfant le même regard mêlé de tristesse que celui observé sur notre groupe. Au même titre que notre Vierge, toutes présentent ces visages au front haut et bombé, marqués de petits yeux fendus, d’une bouche menue et d’un petit menton, typiques de ces ateliers, qui signeront bientôt les plus belles productions de Pierre Bardeau ou encore Charles Hoyau.

4. La Vierge du Tremblay, terre cuite, début du xviie siècle, Angers, musée des Beaux-Arts. 5. La Vierge assise allaitant, terre cuite, v. 1610-1630, Paris, musée du Louvre, RF3663.


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Tête d’Ange

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Attribué à Gervais I Delabarre (-1644)

Attributed to Gervais I Delabarre (-1644)

Tête d’Ange

Head of an Angel

Terre cuite blanche polychrome Région du Maine Premier quart du xviie siècle H. 18 ; L. 17 cm

Polychromed white terracotta Region of Maine First quarter of the 17th century H. 18 ; W. 17 cm

Provenance : Marché de l’art, Paris

Provenance : Art market, Paris

Durant la période baroque, « l’émotion suscitée par les œuvres n’est pas nécessairement violente, elle peut être agréable et tendre, tout en conservant et peut être même en renforçant son pouvoir sur le cœur humain » 1. En témoigne l’art fait de sensibilité et de simplicité des ateliers du Mans, qui prospère tout au long du xviie siècle sous le ciseau de grands noms tels que Charles Hoyau (actif 1627-1644), Pierre Biardeau (1608-1671) ou encore Gervais I Delabarre (-1644). C’est à cet artiste, issu d’une longue lignée de sculpteurs et dont l’activité s’étend de la fin du xvie siècle aux premières décennies du xviie siècle, que nous proposons d’attribuer cette gracieuse tête d’ange. Il faut dire que Gervais Delabarre – qui sut créer une grande variété de visages, aux traits aimables, réguliers et expressifs, souvent teintés de mélancolie – est rodé à la thématique. En attestent les deux superbes anges qui encadrent la Pietà du retable des Jésuites de Poitiers qu’il réalise vers 1615 2, ou encore les archives, qui mentionnent son exécution en 1606 de « dix anges pour le Jubé de la Cathédrale du Mans », aujourd’hui disparus. Les chevelures des deux anges de Poitiers, animées de boucles abondantes

Fig. 1. Attribuée à Gervais Delabarre, Adoration des Mages, détail, Ange agenouillé, premier quart du xviie siècle, Saint-PaterneRacan, église Saint-Paterne.

épaisses et flottantes, de même que leurs traits élégants font écho à ceux de notre terre cuite. Ils apparaissent également sur la petite tête de saint Jean attribuée à l’artiste et aujourd’hui exposée dans la collégiale Saint Martin d’Angers 3, ainsi que sur le bel ange agenouillé de l’Adoration des mages de Saint-Paterne (fig. 1) 4. Ce dernier, par sa grâce juvénile et l’inclinaison douce de son

1. Milovanovic, N., Histoire de l’Art – Les arts en Europe au xviie siècle, Paris, RMN, 2021, p. 27. 2. Gervais Delabarre, Statues du retable des Jésuites de Poitiers, v. 1615, Poitiers, ancienne chapelle Saint-Louis des Jésuites. 3. Attribué à Gervais Delabarre, Tête de saint Jean, peinture sur terre blanche, première moitié du xviie siècle, Angers, collé­ giale Saint-Martin (dépôt). 4. Attribuée à Gervais Delabarre, Adoration des Mages, premier quart du xviie siècle, Saint-Paterne-Racan, église Saint-Paterne.


visage, se présente comme le parfait reflet de notre sculpture. Nombre des plus belles réalisations de l’artiste ayant été détruites lors de la Révolution à la fin du xviiie siècle, cette ravissante tête d’ange dont les siècles n’ont aucunement altéré le pouvoir de séduction, constitue un des rares vestiges de la carrière de celui qui fut à l’époque désigné comme « l’un des plus excellents » artistes du royaume de France 5.

5. Bresc-Bautier, G. ; Le Boeuf, F. (dir.), Terre et Ciel – La Sculpture en terre cuite du Maine, xvie-xviie siècles, Paris, Monum-Éditions du Patrimoine, 2003, p. 98.


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Saint Jean et Vierge de calvaire

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Suiveur de Germain Pilon

Follower of Germain Pilon

(1528-1590)

(1528-1590)

Saint Jean et Vierge de calvaire

Saint John and Virgin Mary from a Calvary

Ivoire France Vers 1600 H. 22,5 ; L. 5,5 cm H. 34 ; L. 11 cm Inscription au revers du socle de la Vierge : Cette statue en ivoire représentant la sainte Vierge ne m’appartient pas mais à M. Jules Semichon et doit lui être rendue à ma mort. Signé Marie-Mélanie Orban Inscription au revers du socle du saint Jean : Cette statue en ivoire représentant saint Jean ne m’appartient pas mais à M. Octave Lamarche. Elle devra lui être remise à mon décès. En cas de décès d’Octave Lamarche avant moi elle sera remise à sa femme Madame Lamarche née Marthe Courtaux. Signé Marthe Sémichon.

Ivory France Circa 1600 H. 22,5 ; L. 5,5 cm H. 34 ; L. 11 cm Inscription on the reverse of the base of the Virgin : Cette statue en ivoire représentant la sainte Vierge ne m’appartient pas mais à M. Jules Semichon et doit lui être rendue à ma mort. Signé Marie-Mélanie Orban Inscription on the reverse of the base of Saint John : Cette statue en ivoire représentant saint Jean ne m’appartient pas mais à M. Octave Lamarche. Elle devra lui être remise à mon décès. En cas de décès d’Octave Lamarche avant moi elle sera remise à sa femme Madame Lamarche née Marthe Courtaux. Signé Marthe Sémichon

Provenance : Ancienne collection Jules Semichon (1840-1931), Paris

Les ivoires se présentent parmi les œuvres les plus prisées de l’époque baroque. Servi par un raffinement technique hors pair et par une sensualité plastique débordante, le pouvoir de séduction de ces statuettes est, dans le cadre de la Contre-Réforme, mis au service de la persuasion du fidèle, que l’émotion esthétique, exaltée par le plaisir sensuel de l’œil, doit guider à l’émotion mystique. Nos deux saisissants ivoires s’inscrivaient dans cette démarche. Autrefois associés à un Christ en Croix, ce saint Jean et cette Vierge de Calvaire témoignent de la formidable postérité que rencontra au début de l’ère baroque le

Provenance : Former Jules Semichon collection (1840-1931), Paris

langage personnel de l’un des artistes les plus marquants de la sculpture française du xvie siècle : Germain Pilon. Touche à tout de génie, ce sculpteur d’origine mancelle maîtrisa de son vivant l’art de la terre cuite, mais aussi de la sculpture sur bois, pierre, marbre ou encore la fonte et le ciselage du bronze. Artiste de Cour attaché au service des derniers Valois et notamment de Catherine de Médicis, cet élève du Primatice développe au sein du courant maniériste un art singulier qui par le dramatisme et le pathos de ses dernières œuvres annonce l’art Baroque. En témoigne notamment son exalté Saint François en extase, réalisé vers


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Fig. 1. Germain Pilon, Vierge de douleur, marbre, 1586, Paris, Ă©glise Saint-Paul-et-Saint-Louis.

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1580 pour surmonter l’un des autels de la rotonde funéraire des Valois à Saint-Denis 1. Après sa mort et jusque dans les années 1630, l’héritage de Germain Pilon vit encore en France et à l’étranger, sous le ciseau d’artistes de talent comme Charles Hoyau au Mans ; Hendrick de Kayser à Delft et Bois-le-Duc, ou encore Nicholas Stone à Londres, qui perpétuent chacun à leur manière le vocabulaire atypique de Germain Pilon 2. Au travers les rythmes contrastés de leurs tuniques, nos deux statuettes s’en font également l’écho. En effet, comment ne pas voir la référence au maître derrière ces drapés fluides brutalement cassés, froissés de frémissements inquiets et soudain terminés en sinuosité graphique, si proches des étoffes magistrales du Gisant de Catherine de Médicis 3, du Saint Paul du Mans ou encore de la célèbre Vierge de douleur de Pilon (fig. 1) 4. Cette dernière, réalisée par l’artiste en 1586, présente

Fig. 2. Germain Pilon ou atelier, Anges provenant du monument Séguier à l’église Saint-André-desArts, albâtre, v. 1580, Paris, école des Beaux-Arts, WB287.

d’ailleurs bien d’autres analogies avec notre Vierge. Notons tout d’abord sur les deux œuvres, cette même expression de souffrance intériorisée, traduite par les traits figés de Marie mais également par l’attitude de ses bras, croisés sur sa poitrine en signe d’affliction. Celle-ci met en avant les mêmes mains fines aux doigts longs, qui laissent poindre le souvenir du Primatice. Enfin, notre Vierge en ivoire est vêtue de la même guimpe sévère que celle de l’église Saint-Paul, qui ceint ici deux visages tout à fait proches. Quant au saint Jean, il trouve un écho certain dans les deux Anges en albâtre du monument Séguier de l’église Saint-André des Arts, attribués tantôt au maître tantôt à son atelier 5, qui présentent une chevelure abondante tout à fait semblable, à l’implantation haute sur le front et aux boucles serrées aériennes animées par un souffle frontal (fig. 2). Si la

1. Germain Pilon, Saint François en extase, marbre, v. 1580, Paris, cathédrale Sainte-Croix-Saint-Jean des Arméniens. 2. Levkoff, M., « Précisions sur l’œuvre de Germain Pilon et sur son influence », Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, Actes de colloque, musée du Louvre, 26-27 octobre 1990, Paris, La Documentation française, 1993, pp. 78-82. 3. Germain Pilon, Gisant de Catherine de Médicis, marbre, 1560-1573, Saint-Denis, cathédrale. 4. Germain Pilon, Saint Paul, marbre, 1570, Le Mans, église de la Couture. Germain Pilon, Vierge de douleur, marbre, 1586, Paris, église Saint-Paul-et-Saint-Louis. 5. Germain Pilon ou atelier, Anges provenant du monument Séguier à l’église Saint-André-des-Arts, albâtre, v. 1580, Paris, école des Beaux-Arts, WB287.


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Fig. 3. Gervais Delabarre, Mise au Tombeau, détail du saint Jean, 1615-1620, Le Mans, cathédrale SaintJulien.

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double torsion opposée de leurs têtes et de leurs bustes évoque celle de notre saint Jean, il faut sortir du corpus des œuvres conservées de Germain Pilon pour retrouver un antécédent précoce à sa posture dansante, mains jointes et doigts entrelacés, comme à Saint-Loup-sur-Aujon en Champagne 6. Enfin, le visage sobre rehaussé d’une fine moustache et d’une petite barbe en double pointe de notre évangéliste trouve quant à lui quelques équivalents dans les deux belles mises au tombeau de la cathédrale Saint-Julien du Mans (fig. 3) 7, dont l’une fut réalisée dans les premières décennies du xviie siècle par Gervais Delabarre et peutêtre Charles Hoyau, évoqué plus haut au sujet de l’épanouissement dans la première moitié du xviie siècle des formules établies par Germain Pilon. C’est sans doute à un artiste de grand talent issu de la même génération que ces sculpteurs, lui aussi emprunt des modèles et de la manière du maître, que cette splendide paire doit être attribuée.

Fig. 4. Attribuée à Germain Pilon, Vierge à l’Enfant, ivoire, fin du xvie siècle, localisation inconnue.

À ce jour, un seul autre ivoire a été rapproché de la production de Germain Pilon. Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant représentée sous les traits de Catherine de Médicis, photographiée dans la collection de monsieur CoètbalsDaneel à Courlay en 1851 (fig. 4). Cette statuette fut acquise par l’amateur auprès des moines de la chartreuse de Bordeaux à qui elle aurait été offerte à la fin du xvie siècle par le cardinal Sourdis. Cette œuvre ayant aujourd’hui disparu, notre paire se présente comme l’unique témoignage de ces splendides transpositions dans l’ivoire qui à l’aube de la période baroque, réactualise l’héritage vibrant de Germain Pilon.

6. Saint Jean du Calvaire, pierre, restes de polychromie, v. 1550, Saint-Loup-sur-Aujon, couvent. 7. Gervais Delabarre, Mise au Tombeau, 1615-1620, Le Mans, cathédrale Saint-Julien. Grande mise au tombeau, xvie siècle, Le Mans, cathédrale Saint-Julien.


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Marie-Madeleine de Calvaire

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Marie-Madeleine de Calvaire

Mary Magdalena from a Calvary

Ivoire France Seconde moitié du xviie siècle H. 22,5 ; L. 8,5 ; P. 12 cm

Ivory France Second half of the 17th century H. 22,5 ; W. 8,5 ; D. 12 cm

Provenance : Collection privée, Paris

Provenance : Private collection, Paris

Cette exceptionnelle statuette d’ivoire représentant sainte Marie-Madeleine saisie par son intensité dramatique inouïe, sublimée par les stries noircies de la matière qui la lacèrent. Sa typologie et ses dimensions indiquent qu’elle devait autrefois faire partie d’un groupe de la Crucifixion composé de plusieurs autres protagonistes, à l’image de la célèbre Crucifixion de Pierre Simon Jaillot, rare exemple documenté de la statuaire éburnéenne française du xviie siècle et seul ensemble baroque en ivoire complet conservé pour la période.

Notre artiste fait ici toute la démonstration de son talent, alliant brillance technique dans la sculpture de l’ivoire et maîtrise parfaite de l’expression des passions, visible dans le rendu particulièrement sensible du visage mortifié de Madeleine et dans l’emphase de sa position, agenouillée, main portée sur le cœur en signe de lamentation. Une sobre étoffe l’enveloppe, dessinant un enchaînement de plis profondément creusés, animant la surface de la matière dans un jeu cinétique d’ombre et de lumière imprégné de l’esprit baroque.


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Paire de caryatides

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Paire de caryatides du règne de Louis XIV

Pair of caryatids from the reign of Louis XIV

Marbre France Fin du xviie siècle H. 91 ; L. 34 cm H. 93 ; L. 30 cm

Marble France End of the 17th century H. 91 ; W. 34 cm H. 93 ; W. 30 cm

Provenance : Ancienne collection Ladrière

Provenance : Former Ladrière collection

Dans notre appréhension collective de la sculpture sous le règne de Louis XIV, les noms bien connus de Girardon, Coysevox, Puget ou encore Marsy éclipsent souvent ceux d’une myriade d’autres artistes de talent, académiciens ou non, actifs en province ou sur le chantier versaillais. C’est certainement à l’un d’entre eux, placé sous l’influence des modèles iconographiques de François Girardon (1628-1715), que notre paire de caryatides doit être attribuée. En effet, c’est à cet artiste de premier plan et grand sculpteur de Louis XIV, que l’on doit l’un des plus célèbres poncifs de la sculpture du Grand Siècle, L’Hiver, sculpté en marbre entre 1674 et 1683 pour orner les jardins du château de Versailles et dont notre figure masculine apparaît visiblement tributaire (fig. 1) 1. Cette œuvre fut réalisée à partir d’un dessin de Charles Le Brun (1619-1690), premier peintre du roi Louis XIV, maître d’œuvre des décors de Versailles, directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et de la Manufacture royale des Gobelins. D’inspiration romaine, ce dessin exécuté en 1674 à la pierre noire et au lavis gris, et aujourd’hui conservé au musée du Louvre 2, figure Les Quatre Saisons, chacune sous une forme allégorique. L’exécution de cette tétrade en trois dimensions fut confiée

Fig. 1. François Girardon, L’Hiver, marbre, 16741683, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MR 1864.

à quatre sculpteurs différents. Au regard du dessin de Le Brun, Girardon introduit une dimension dramatique accrue à sa figure de L’Hiver par l’orientation résignée de sa tête, mais également via la sculpture de son manteau, considérablement étoffé bien que

1. François Girardon, L’Hiver, marbre, 1674-1683, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MR 1864. 2. Charles Le Brun, Les Quatre Saisons, pierre noire et lavis gris, 1674, Paris, musée du Louvre, inv. 29796.


Fig. 2. François Girardon, Mater Dolorosa, marbre, 1657, Paris, musée du Louvre, RF 3148.

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peu couvrant, incarnant la lutte vaine d’un homme contre le froid. Notre figure masculine, dépeinte sous les traits d’un vieillard

frileusement enveloppé dans sa cape, est emprunte de ce pathétisme. Sur son visage crispé et ses mains veineuses se lisent la morsure du froid mais aussi celle des années qui passent. Quant à notre protagoniste féminine, l’expression grave de son visage, ses mains croisées et son étoffe relevée sur la tête, font eux écho à la Mater Dolorosa sculptée par Girardon en 1657 dans un médaillon ovale en marbre (fig. 2) 3. La silhouette fuselée de nos deux sculptures ainsi que le léger aplati observé sur le dessus de leurs têtes tendent à indiquer que ces allégories faisaient autrefois office de support au sein d’un décor architecturé ou d’un monument. Leur symétrie évidente laisse à penser qu’elles encadraient un élément central majeur pour la compréhension de l’ensemble (figure principale en rondebosse, bas-relief historié, portrait en médaillon…) qu’elles désignaient toutes deux par leur index pointé.

3. François Girardon, Mater Dolorosa, marbre, 1657, Paris, musée du Louvre, RF 3148.

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Lucrèce et Tarquin

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Noël II Laudin (1657-1727)

Noël II Laudin (1657-1727)

Lucrèce et Tarquin

Tarquin and Lucretia

Émail peint sur cuivre Limoges 1693 H. 18 ; L. 13,5 cm

Painted enamel on copper Limoges 1693 H. 18 ; W. 13,5 cm

Provenance : Marché de l’art, Paris

Provenance : Art market, Paris

En France, dans le domaine des objets d’art, le xvie siècle marque le renouveau des ateliers de Limoges, spécialisés depuis le xiie siècle dans l’émaillerie, avec la mise au point de la technique de l’émail peint 1. Celle-ci consiste à ajouter à de la poudre d’émail un liant afin d’obtenir un mélange pâteux pouvant être déposé à la spatule ou au pinceau sur un support de cuivre destiné à recevoir le décor. Ce dernier s’obtient ensuite par la superposition de plusieurs couches d’émail de couleurs variées qu’un nombre identique de cuissons permet de fixer. Ce type de décor extrêmement raffiné fait la gloire des ateliers de Limoges jusqu’à la fin du xviiie siècle. Si les plus fervents représentants de cette technique complexe, tels Léonard Limosin, Pierre Reymond ou encore Pierre Courteys, s’illustrent durant la Renaissance, le xviie siècle n’est pas en reste et couve quelques célèbres dynasties d’émailleurs comme les Nouailher ou encore les Laudin, dont les réalisations soignées aux compositions originales et aux coloris acides chatoyants n’ont rien à envier à celles de leurs illustres prédécesseurs. Cette superbe plaque émaillée représentant le viol de Lucrèce par Sextus Tarquin en est la parfaite illustration.

Rapporté par l’historien latin Tite-Live, cet épisode marque la fin de la royauté à Rome et l’instauration de la République en 506 av. J.-C. Ici, Sextus Tarquin, fils du roi de Rome Tarquin le Superbe, se jette sur Lucrèce, cette femme vertueuse issue de la noblesse romaine, épouse de Tarquin Collatin, proche et homme fort du roi de Rome. Nue, menacée par le poignard que l’homme brandit contre sa poitrine, elle tente de repousser son assaillant. Sa peau diaphane et ses longs

1. Développé depuis l’Antiquité, l’art de l’émaillerie consiste à fixer de la poudre d’émail sur un support de métal par de courtes cuissons successives, de l’ordre de 800 °C. Ces cuissons successives sont imposées par le fait que toutes les couleurs ne réagissent pas aux mêmes températures. La poudre d’émail se compose d’un pigment à base d’oxyde métallique mêlé à un fondant, la silice, qui assure la vitrification de la couleur lors de la cuisson.


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cheveux blonds, sa bouche entrouverte et ses doigts fins, traduisent la sensualité de Lucrèce et sa beauté renommée pour lesquelles Sextus conçut un désir violent et coupable. Derrière lui, émerge sur fond noir un troisième protagoniste, un esclave, faisant écho au récit de Tite-Live. En effet, pour contraindre Lucrèce à céder à ses avances, le fils du roi menaça de la tuer et de mettre dans son lit un esclave mort, maquillant la scène en adultère, comble de l’infamie pour cette fidèle et vertueuse épouse. Après le départ de Sextus Tarquin, Lucrèce fait venir auprès d’elle son père, son mari et d’autres nobles romains. Après leur avoir expliqué le forfait du prince et avoir réclamé vengeance, elle se donne la mort sous leurs yeux. C’est ce drame qui entraîne le soulèvement du peuple contre la famille royale et met fin à la royauté romaine. Ainsi, en choisissant de ne pas survivre au déshonneur, le personnage de Lucrèce est considéré à travers les siècles comme un exemplum virtutis, une personne dont les actes, convoquant la morale et la politique, sont dignes d’être imités. La force du mythe fondateur de Lucrèce repose sur l’analogie de deux destins : celui de la femme vertueuse romaine et celui de la Cité, toutes deux mises à mal par la tyrannie. Celle-ci constitue Lucrèce en véritable figure allégorique de Rome, dont le renversement sur notre plaque, préfigure celui du régime politique alors en place. Symboliquement riche, cette composition fut transposée sur notre plaque de cuivre d’après un chef-d’œuvre du grand maître napolitain Luca Giordano (1634-1705) (fig. 1) 2.

Fig. 1. Luca Giordano, Tarquin et Lucrèce, huile sur toile, 1663-1664, collection privée.

Découverte sur le marché de l’art en 2014, cette huile sur toile réalisée entre 1663 et 1664, aujourd’hui fleuron d’une collection privée, s’inspire dans sa dynamique et l’affrontement des corps de la célèbre version de cet épisode peint par Titien dans les années 1570 3. En l’adaptant à sa gamme chromatique plus acide, notre émailleur reprend ici traits pour traits la composition de Giordano et son cadrage resserré, teintant ce sujet grave d’une sensualité et d’une ambiguïté érotique à peine dissimulées. Surgissant à dextre de la composition, seule la figure de l’esclave constitue un ajout à la version originale, empruntée par l’auteur de notre plaque à une autre toile du maître napolitain illustrant le thème, aujourd’hui conservée au musée Capodimonte 4.

2. Luca Giordano, Tarquin et Lucrèce, huile sur toile, 1663-1664, collection privée. 3. Titien, Le Viol de Lucrèce, huile sur toile, 1570-1571, Bordeaux, musée des Beaux-Arts, BX E 42. 4. Luca Giordano, Lucrèce et Tarquin, huile sur toile, 1663, Naples, musée Capodimonte.

Les contours fins, fermes et précis de notre tableau émaillé, son raffinement et sa subtilité chromatique, de même que les références iconographiques ambitieuses qu’il convoque et synthétise, nous permettent de l’attribuer à un des membres les plus habiles de la dynastie des Laudin, issu de sa seconde génération : Noël II (1657-1727), dit le jeune. Cette hypothèse se voit confortée par la signature et la datation apposées en lettres d’or au revers de la plaque : N. Laudin, émailleur à Limoges 1693. Au sein de l’abondante production des Laudin au cours des xviie et xviiie siècles, notre émail se distingue par son originalité exceptionnelle et, fait rare, se présente comme pièce unique dans un corpus majoritairement nourri par les infinies variations nées d’une production sérielle.


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Paire de bronzes

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Paire de bronzes à l’Antique : Vénus Médicis d’après l’Antique et Antinoüs du Belvédère d’après François Duquesnoy (1597-1643)

Pair of bronzes after the Antique : Venus Medici after the Antique and the Belvedere Antinous after François Duquesnoy

Bronze France Vers 1700 H. 34 sans socle (48 avec socle) ; L. 9,5 cm

(1597-1643)

Provenance : Ancienne collection Machault d’Arnouville (1701-1794)

Avec leur patine brune profonde et leur modelé subtil, ces deux statuettes constituent un bel exemple de la tradition des bronzes réalisés d’après les marbres antiques pour les collections des souverains et notables fortunés de France dès le xvie siècle. Si les copies d’après l’Antique étaient réalisées en grand nombre dans des formats et matériaux très variables, le bronze, propice à la capture des moindres détails et synonyme par son coût de richesse et de prestige, était largement favorisé pour ce type de reproductions. Ainsi, tout au long du xviie siècle, les collections royales s’enrichissent de ces fontes, portées par l’intérêt de Louis XIV pour la sculpture antique, popularisée comme jamais auparavant grâce à la création de l’Académie française à Rome en 1666, destinée à produire des statues pour les jardins du château Versailles. Ici, notre figure masculine s’inspire du célèbre Antinoüs du Belvédère, installé au Vatican dans le jardin éponyme en 1545, peu de temps après sa découverte en fouille. Ce dernier fut nommé ainsi en référence à l’illus­tre amant de l’empereur Hadrien, dont le patronyme était alors régulièrement associé aux représentations anonymes de jeunes

Bronze France Circa 1700 H. 34 without (4 with base) ; W. 9,5 cm Provenance : Former Machault d’Arnouville collection (1701-1794) éphèbes. Le succès de l’œuvre fut immédiat et sa renommée se répandit rapidement en dehors de Rome, les monarques des xvie et xviie siècles en commandant leurs propres copies. Ainsi, un moule de l’antique fut réalisé pour François Ier par Le Primatice en 1545, une fonte en bronze fut coulée en 1633 pour Charles Ier d’Angleterre par Hubert Le Sueur, et deux copies, en bronze et marbre, furent exécutées pour Louis XIV respectivement par les frères Keller et Lacroix. Notre figure féminine fut quant à elle exécutée d’après la Vénus Médicis, aujourd’hui conservée aux Offices à Florence. Men­ tionnée pour la première fois à la Villa Médicis de Rome en 1638, puis abondamment diffusée via des publications anciennes illustrées (comme l’Anthologie des plus belles statues par François Perrier), elle fut envoyée en 1677 à Florence où elle fut exposée à partir de 1688 dans la Tribuna des Offices. Moulée à de très nombreuses reprises avant 1722, où des inquiétudes furent soulevées sur les dommages irréversibles que ce procédé pourrait causer à l’œuvre, la Vénus Médicis reste l’une des sculptures les plus copiées de tous les temps.


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Notre superbe paire de figures posées sur des terrasses carrées évoque les fontes françaises à patine « brun chocolat » sous laque brune foncée très en vogue sous le règne de Louis XIV. L’étude approfondie de notre figure masculine a permis de révéler qu’il s’agit ici d’une version de l’Antinoüs du Belvédère adaptée par le sculpteur flamand François Duquesnoy (1597-1643). C’est en France qu’est mentionnée pour la première fois sa réinterprétation du sujet antique, dans une version en terre cuite de la collection du sculpteur François Girardon (16281715). On retrouve en effet son modèle de l’Antinoüs décrit et illustré à la planche III, puis à la planche VIII, de la célèbre Galerie de Girardon aux côtés de l’Amphitrite de Michel Anguier (1612-1686). L’œuvre est ensuite mentionnée dans la description des biens de Girardon établie en 1713, puis dans son inventaire après décès en 1715 1. La statuette de Duquesnoy ne reproduit pas fidèlement le célèbre antique du Belvédère. Le buste du jeune homme est davantage rejeté en arrière, la tête ne regarde pas vers le bas mais se présente plus nettement tournée vers le côté. Comme dans certaines versions réalisées à la Renaissance, le drapé sur l’épaule, légèrement moins développé, a été simplifié : il ne présente pas de petits plis serrés. Il

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en est de même pour la draperie qui encercle son bras afin, sans doute, de mieux l’adapter au mouvement donné à la main. Cette variation mise en œuvre par François Duquesnoy connaîtra une certaine évolution dans les années suivantes avec la réalisation de quatre autres versions du sujet, aujourd’hui conservées dans des institutions muséales. Une première est ainsi conservée à Berlin au Staatliche Museen 2, tandis que la seconde se trouve à Florence au musée national du Bargello 3. La troisième, aujourd’hui disparue, nous est connue par le biais d’une photographie de l’ancienne collection Victor Hahn, et enfin la quatrième, en pendant d’une Venus Medicis, est conservée à Dresde au Staatliche Kunstsammlungen 4. C’est de cette quatrième version que notre Antinoüs se rapproche le plus, à l’exception de la forme de la base, d’exécution plus fine sur notre exemplaire. Comparable en tout point à la paire de Dresde, notre ensemble constitue dès lors un ajout majeur à ce corpus restreint, redoublé par la provenance prestigieuse de ces bronzes, présentés comme datant des environs de 1700 dans l’ancienne collection de Jean-Baptiste Machault d’Arnouville (17011794), administrateur et homme politique français sous le règne de Louis XV.

1. Cf. Boudon-Machuel, M., François Duquesnoy (1597-1643), Paris, Arthena, 2005, pp. 259-261. 2. D’après François Duquesnoy, Antinoüs, bronze à patine marron, Berlin, Staatliche Museen, n° inv. VK 19b. 3. D’après François Duquesnoy, Antinoüs, bronze à patine marron, Florence, musée du Bargello, inv. Coll. Carrand n° 22. 4. D’après l’Antique et François Duquesnoy, Antinoüs et Venus Medicis, bronze, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, inv. IX 76.



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Recherches Gabriela et Mathieu Sismann Manon Lequio

RĂ©daction Gabriela Sismann Manon Lequio

Photographies Christophe Fouin

Illustrations complémentaires Bruno Rousseau : p. 156 (fig. 1). Clemente Machiol : p. 40 (fig. 1) ; 42 (fig. 2). Eric Jabol : p. 156 (fig. 1). Gabriela Sismann : p. 10 (fig. 1-2) ; p. 18 (fig. 1) ; 26 (fig. 1) ; 30 (fig. 1) ; 56 (fig. 1) ; 78 (fig. 1) ; 82 (fig. 1) ; 88 (fig. 1-2) ; 98 (fig. 1) ; 100 (fig. 1) ; 160 (fig. 1); 166 (fig. 1-2) ; 168 (fig. 3) ; 174 (fig. 2). Jean-Paul Grandmont : p. 118 (fig. 1). Jebulon : p. 172 (fig. 1). KIK-IRPA, Bruxelles : p. 112 (fig. 1) ; 120 (fig. 2-3) ; 124 (fig. 1) ; 126 (fig. 2) ; 130 (fig. 1) ; 133 (fig. 3) ; 144 (fig. 2) ; 148 (fig. 1). Luc Schrobiltgen : p. 152 (fig. 2). Monica De Vincenti : p. 74 (fig. 1) ; 76 (fig. 2) ; 77 (fig. 3). National Gallery of Art, Washington : p. 14 (fig. 1). Saint Louis Museum : p. 10 (fig. 3). Simone Guerriero : p. 34 (fig. 1) ; 36 (fig. 2) ; 37 (fig. 3) ; 44 (fig. 1) ; 48 (fig. 2) ; 50 (fig. 1) ; 52 (fig. 2). Sotheby’s : p. 14 (fig. 2) ; 60 (fig. 1) ; 94 (fig. 2). The Rijksmuseum : p. 144 (fig. 1). The Metropolitan Museum of Arts : p. 22 (fig. 1) ; 94 (fig. 1) ; 130 (fig. 2). Victoria & Albert Museum : p. 62 (fig. 1).

Illustration de couverture : D’après Francesco Trevisiani (1656-1746), Crucifixion. Cliché Christophe Fouin.


Copyright 2022 © Gabriela Sismann et Manon Lequio Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation, même partielles, par quelque moyen que ce soit, et notamment par photocopie et technologie électronique, sont réservés pour tous pays. All rights for all countries, reproduction, adaptation, or tanslation, even partial, by any means whatsover, including photocopies, without the express written permission of the publisher is prohibited.

ISBN : 978-2-35404-100-7 Dépôt légal : 1er trimestre 2022

Achevé d’imprimer en février 2022 par la Librairie des Musées avec des encres végétales sur un papier issu de forêts à développement durable

Suivi éditorial Édition Librairie des Musées 14 360 Trouville-sur-Mer

RĂ©alisation graphique et photogravure Illustria 14 360 Trouville-sur-Mer


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