Bertrand Lavier. AFTERMOON exhibition catalogue

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Тедди II. 1995. Объект на постаменте. 61×40×40. Частное собрание, Монако Teddy II, 1995, object soclé, 61×40×40 cm. Collection privée, Monaco Teddy II, 1995, object on plinth, 61×40×40 cm. Private collection, Monaco

Traits très abstraits et qui raconte les aventures de Minnie et de Mickey au Musée d’Art Moderne. Lavier isole les peintures et les sculptures qui constituent le décor de la narration et les agrandit ensuite au format présumé. En procédant de la sorte, Lavier opère un court-circuit dans le circuit de la représentation, puisqu’il rend tangible (il fait accéder au statut d’œuvre) ce qui n’était jusqu’alors que décor et fiction. Les peintures photographiques et les sculptures réalisées à partir de cette bande dessinée sont désormais vouées à errer dans un espace indécidable, car elles conservent la forme de leur territoire d’origine tout en l’ayant quitté. Nous ne nous trouvons pas en effet devant des agrandissements de dessins ayant pour sujet l’art moderne, mais bien devant des peintures et des sculptures parfaitement emblématiques d’une certaine doxa concernant la modernité. La translation opérée par Lavier met ainsi au jour une dimension refoulée de la reproduction, qui au-delà du stéréotype, accède à une forme d’universalité. Walt Disney Productions ne constitue pas à cet égard le commentaire ironique de l’art moderne raconté aux enfants, mais nous rappelle, comme le remarque l’artiste, que « c’est le monde virtuel qui nous permet d’approcher plus profondément la réalité ». Faire portraiturer par le studio Harcourt (Harcourt/Grévin, 2002 ) les figures de cire du Musée Grévin, c’est superposer du faux au faux et accéder du même coup à une forme de vraisemblance. En 1993, Bertrand Lavier expose une Alfa Roméo rouge accidentée (Giulietta). Cette intrusion de la violence dans un monde jusqu’ici préservé de tout pathos produisit une véritable commotion dans le micro-milieu artistique. Mais, comme s’en explique très bien l’artiste, il ne s’agissait pas pour lui de représenter un drame, à la manière d’un Andy Warhol avec sa série des Crashed Cars, mais, à rebours de la « beauté d’indifférence » duchampienne, « d’exposer un principe d’émotion ». « J’ai découvert, précise-t-il, dans l’intervalle entre César et Chamberlain une œuvre qui m’attendait. Dans une de ces nombreuses casses-auto existant de par le monde, se trouvait Giulietta, c’est-à-dire l’émotion pure ». On s’est beaucoup complu à confiner l’art de Lavier dans une esthétique « post-ready-made », au mépris le plus souvent des enjeux poétiques, voire éthiques qui, ici et là, pointent intempestivement leur nez. Cette pensée des formes ordinaires (rien dans les objets et les images choisis n’est extraordinaire) est en effet aussi une pensée de la morale ordinaire. On pourrait dire que l’art de Lavier est une réponse à la réaction banale suscitée par l’art moderne et contemporain : « Je pourrais en faire autant !». Généralement cette phrase n’est naturellement jamais suivie d’effet. Il revient à Bertrand Lavier de l’avoir pris au mot. Ce qui, d’une certaine manière, peut paraître consternant. À plusieurs reprises l’artiste s’est d’ailleurs expliqué sur la consternation généralement provoquée par son art qui renvoie à la consternation qu’il vit face à ses propres œuvres. « L’un des instruments de mesure les plus précis pour juger de mes œuvres, c’est la consternation. […] Ce qui fait que lorsque

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