HISTOIRE & PATRIMOINE - Région nazairienne - Presqu'île guérandaise - n° 92 - juillet 2018

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HISTOIRE & PATRIMOINE RÉGION

NAZAIRIENNE

PRESQU’ÎLE GUÉRANDAISE

L’histoire locale de la Région Nazairienne et de la Presqu’île Guérandaise

Un pionnier

du motonautisme

à Saint-Nazaire

Paul Bellaudeau, un artiste nazairien méconnu

Souvenirs d’un jeune métallo nazairien

Mesquer au féminin 1850-1900

La Brière, un roman et un film

Le « fait religieux » en Brière (début du XXe siècle)

Un guérandais parmi les mutins du Foederis Arca A.P. H.R.N - no 92 - juillet 2018 - 10 €


La rue Neuve, dans le Vieux Saint-Nazaire, en 1904. Collection Patrick Pauvert


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Éditorial

border l’histoire en général, par le biais de l’histoire locale, est la raison d’être de l’APHRN, association culturelle nazairienne. Il en résulte une peinture diverse et multiple de la société. Les nombreux sujets traités dans la revue Histoire et Patrimoine forment un ensemble éclectique de haut niveau. Nés de recherches approfondies et assidues, ils attirent les lecteurs en quête de références et d’éclairages nouveaux, volontiers passionnés par les manuscrits et témoignages. Les angles d’approche sont tous différents et convergents. A priori, on pourrait ne pas saisir les points communs entre des sujets tels que, le cinéma, allié à la littérature et à la vie en Brière, les plantes exotiques, leurs origines et leur transport transatlantique, la Franc-Maçonnerie secrète, donc mystérieuse, et l’artiste Paul Bellaudeau. Il est étonnant que Paul Bellaudeau soit méconnu dans sa propre ville. Son talent est certain, son œuvre a valeur de document. De même pour Claude Lamandé, à Méan, constructeur de canots à moteurs, plusieurs fois vainqueur, lors de championnats de motonautisme, dont celui de France, pionnier en ce domaine. La complexité et la difficulté des enquêtes émergent de ces domaines délicats à cerner, à explorer, comme la FrancMaçonnerie, peu connue, mais ici mise au grand jour, les guerres de Vendée, ses horreurs, celles d’une guerre civile qu’on voudrait occulter et qui peuvent effrayer rétrospectivement. Bien des articles sont nés de véritables fouilles. On découvre des aspects insoupçonnés inhérents à ces époques passées. Apparait aussi la confirmation de ce qu’on savait, ou supposait. Différents caractères de la société sont appréhendés. Chaque texte apporte un savoir. Il serait malaisé d’imaginer la vie et l’environnement des ouvriers des Chantiers de l’Atlantique, pour qui y est étranger, sans ce récit d’une expérience vécue. Il en est de même pour toutes les situations. Transmettre est faire œuvre utile et juste. Dans ce numéro, on ose révéler un « secret de famille » bien gardé du vivant de certains descendants. Un siècle et demi après, il y a prescription. Les acteurs ont rejoint l’Histoire. Il est d’autres secrets impénétrables, tels ceux enfermés dans une île. Ces terres isolées intriguent et suscitent les hypothèses. L’île Dumet en est un bel exemple. Les femmes, gardiennes des foyers et des traditions, ont leur mot à dire. Chefs de famille, par la force d’évènements dramatiques, maritimes le plus souvent, leur rôle, longtemps mis en sourdine, financièrement peu reconnu, était prépondérant dans la vie économique et sociale. Ainsi en était-il à Mesquer. Quel meilleur révélateur des mentalités et rythmes de vie que la pratique religieuse ? La prière, bien touchante, de ce vieux prêtre de la Chapelle-des-Marais, illustre un changement de société. Enfin, un vent marin, inévitable sur nos côtes, balaie certains articles. Tous, par leur originalité, leurs précisions, leur valeur documentaire, leur style, intéressent les lecteurs. La transmission du savoir se fait agréablement. Christiane Marchocki Présidente de l’APHRN 1ère page de couverture : Le Grand Prix de l’Atlantique, dans l’avant port de Saint-Nazaire,en 1957. (Collection Claude Lamandé).

HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 — juillet 2018

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A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40 HISTOIRE & PATRIMOINE n° 92 - juillet 2018 Editeur : A.P.H.R.N Directrice de la publication : Christiane Marchocki Maquette/Mise en page : Tanguy Sénéchal Impression : Pixartprinting Dépôt légal : 3ème trimestre 2018 N° ISSN : 2116-8415 Revue consultable aux Archives de Loire-Atlantique sous la cote Per 145

Contribuez à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Vous vous intéressez à l’histoire, et, en particulier, à l’histoire de notre région ? Vous souhaitez apporter votre témoignage sur une époque, aujourd’hui révolue ? Vous possédez des documents, ou objets, anciens (écrits, photos, dessins, peintures, tableaux, sculptures, objets divers), qui pourraient faire l’objet d’une publication ? Vous aimez écrire, raconter, transmettre, ce qui vous intéresse, ou vous tient à coeur, et qui a trait à l’histoire locale ? L’APHRN vous propose de publier vos écrits, ou documents, ou de transcrire vos témoignages, dans la revue HISTOIRE & PATRIMOINE. Téléphonez-nous, au 06 62 58 17 40, ou écrivez-nous, à l’adresse ci-dessous, ou, tout simplement, adressez-nous, directement, votre texte, sous forme numérique. Vos propositions seront examinées avec la plus grande attention et soumises au conseil de direction de l’APHRN, qui vous répondra dans un délai d’un mois, maximum. Adresse électronique : aphrn.asso@gmail.com - Adresse postale : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire

Abonnez-vous à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE Un abonnement à la revue HISTOIRE & PATRIMOINE, c’est l’histoire de la région nazairienne/guérandaise, tous les quatre mois, dans votre boîte aux lettres, en mars, juillet et novembre (votre abonnement vous permet, de plus, de bénéficier d’un tarif préférentiel sur les numéros hors-série, qui paraissent à différentes périodes de l’année). C’est l’histoire locale, dans toute sa diversité, écrite, à la fois, par des historiens professionnels, connus et reconnus, et par des amateurs éclairés, dans la tradition des publications de notre association, depuis sa création, par Fernand Guériff, il y a 49 ans. C’est, aussi, un support en constante évolution, d’un graphisme soigné, richement illustré, composé de près de cent pages à chaque livraison. Nous vous proposons cet abonnement avec une réduction de 10 % par rapport au prix public, frais de port compris (trois numéros par an, parution en mars, juillet et novembre).

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SOMMAIRE HISTOIRE & PATRIMOINE n° 92 — juillet 2018 01

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Éditorial

Christiane Marchocki

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Un pionnier du motonautisme à Saint-Nazaire

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Paul Bellaudeau, un artiste nazairien méconnu

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Saint-Nazaire, un port témoin des échanges de plantes entre la Métropole et les Antilles (1843 –1900)

Paul Correc

Patrick Pauvert

Yves-Marie Allain 22

Souvenirs d’un jeune métallo nazairien

30

La Brière, un roman et un film

34

Paul Correc

Daniel Sauvaget

Le “fait religieux“ en Brière au milieu du XXe siècle Seconde partie : 1956-1971 - La fin d’un monde Marcel Belliot

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Savenay, 23 décembre 1793

54

Un Guérandais parmi les mutins du Foederis Arca

60

Mesquer au féminin - 1850-1900

68

Bernard Tabary

Malou et Françoise Roussel Jocelyne Leborgne

De l’île Dumet à l’île de Sarek

Une énigme signée Maurice Leblanc Michel Barbot

P. 76

76

La Franc-Maçonnerie en Bretagne

94

Journal d’un aumônier breton - 1850 (23e partie)

Jean de Saint-Houardon Christiane Marchocki

À LIVRE OUVERT 98 - Les Américains à Saint-Nazaire (Éric Rondel) - Daniel Sauvaget 98 99 - Nantes rouge, ou la Loire sanglante (Xavier Cebron de Lisle) - Christiane Marchocki 100 - La guerre, des enfants, un château (ouvrage collectif) - Christiane Marchocki 101 - Chants de Mémoire (Suzanne Louis) - Christiane Marchocki P. 94

SORTIES CULTURELLES 108 102 - Montreuil-Bellay, ville d’Histoire et de Mémoire - Christiane Marchocki 105 - Grand-Lieu : Un joyau d’architecture carolingienne - Christiane Marchocki 107 ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI 107 - Henri Fohanno - Photographe amateur 108 L’ASSOCIATION

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Un pionnier du motonautisme à Saint-Nazaire Paul Correc Bien que réputé constructeur des plus grands paquebots du monde, les « Chantiers de l’Atlantique » ont cependant construit au cours d’une courte période, de très petits bateaux, appelés « runabouts » destinés, quant à eux, à la plaisance nautique.

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’e s t au dé b ut de s années 1960 en effet, q ue le s C h a nt ie r s nazairiens décidèrent d e s ’a s s o c i e r a u constructeur automobile Renault, afin de lancer sur le marché de la plaisance un petit canot équipé du moteur de la « Dauphine Gordini » de l’époque, lequel développait 40 cv à 5 000 tr/min.

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Propulsé par une hélice de 15’’ relevable et orientable, ce petit runabout de 4,60 m de long et de 1,65 m de large conçu en polyester et appelé RP1 1 était capable de transporter 5 passagers à 50 km/h.

1 - Renault-Penhoët I

RP1 : une production éphémère Lors du salon nautique organisé au Palais de la Défense à Paris du 4 au 14 janvier 1962, plusieurs canots RP1 furent présentés au public ; les premiers exemplaires étant livrés aux acquéreurs dès le mois de juin 1962. Malheureusement, des complications dans l’utilisation du polyester d’une


part, s’ajoutant aux défauts de conception de la motorisation d’autre part, conduisirent le constructeur nazairien à arrêter la production du RP1 dès mars 1963, alors que le millier de canots déjà sortis de ses ateliers n’avait pas encore été totalement écoulé. Rachetées par la société Delaitre, les coques invendues furent alors équipées de moteurs hors-bords Evinrude de 40 CV, rebaptisées Aires 420 et commercialisées par la société Runabout Services.

Le motonautisme, en France, dès 1898 C’est en 1898 que le motonautisme apparut au public français pour la première fois, lors d’une épreuve disputée sur le bassin d’AsnièresCou rb evoie, pu i s lor s d’u ne démonstration au cours des Jeux olympiques de 1900, organisés à Paris, en présence du Comte de Dion. Au cours des jeux suivants, de 1908 à Londres, le Français Émile Thubron remportait le titre en catégorie « open ». Ce n’est seulement qu’en 1922 que fût créée la Fédération Internationale de Motonautisme (FIM) à Bruxelles. Dès lors, un suivi régulier de l’homologation des records de vitesse s’effectua, puis un premier champion nat de monde de la discipline fut organisé en 1938. Bien que les vitesses réalisées alors fussent bien entendu très inférieures à celles d’aujourd’hui, le Français Jean Dupuy atteignait cependant

127, 208 km/h sur la Seine en 1939, battant ainsi de 3, 071 km/h le précédent record du monde de l’Américain Davis Alors que plusieurs chantiers navals méditerranéens tels Estérel, mais aussi parisiens : Rocca, Liuzzi, Seyler, sans oublier les Italiens : Pise, Salini,

commercialisaient bon nombre de petites unités à moteurs, destinées à la plaisance et à la compétition, quelques artisans menuisiers de notre région étaient également tentés par la construction de ces jolis petits canots rapides, souvent construits en acajou et vernis d’environ 5 mm d’épaisseur d’un superbe effet.

Ci-dessus Le France et runabout RP1dans le bassin de Penhoët, au début des années 1960. Ci-contre Le Comte de Dion, en visite aux JO de Paris, en 1900. Page de gauche Publicité Renault-Penhoët pour la sortie du RP1. (Collections particulières)

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Paul Bellaudeau

Un artiste nazairien méconnu Patrick Pauvert Paul Bellaudeau est né à Nantes le 7 janvier 1899 dans le quartier de l’Ile Gloriette. Son père, mécanicien à bord d’un bateau-pilote, vient s’installer avec sa famille dans le vieux SaintNazaire, au 13 de la rue Neuve, en 1903.

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aul n’a alors que 4 ans, mais il se souvient fort bien du déménagement en péniche. C’est l’époque des gigantesques travaux

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du percement de la Nouvelle Entrée du Port qui coupe en deux le vieux Saint-Nazaire.

Notre jeune Bellaudeau fait sa maternelle à l’école Notre Dame d’Espérance, rue des Sables, puis le primaire à l’externat Saint-Joseph. Ensuite, il fréquente l’École Primaire Supérieure


Méan, en 1858. (Dessin, à la plume, de Paul Bellaudeau)

où il étudie, entre autres, le dessin. Il en sort pour travailler dans une entreprise de matériaux. À 17 ans, il entre au Chantier de la Loire en qualité de dessinateur ; mais le dessin industriel ne lui fait pas oublier le dessin artistique qu’il lui préfère. Incorporé en février 1918 au 93 e régiment d’Infanterie, il est dirigé sur le front. Démobilisé, il revient à Saint-Nazaire, mais le Maroc l’attire. Il travaille encore une année au Chantier de la Loire et il s’engage pour le Maroc où il va vivre de nombreuses années. Le 25 janvier 1921, il reçoit la médaille colonialiste avec agrafe du Maroc ; il est alors 2e classe au 1er Régiment des Zouaves.Plus tard il est affecté au Service Géographique de l’Armée.

Collaborant à des revues littéraires et artistiques, il occupe ses temps libres à noter les mœurs du pays et à fixer de sa plume d’artiste, les chaudes couleurs des sites marocains. Paul Bellaudeau est promu Chevalier du Ouissam-Alaouite (l’équivalent de l’ordre national de la Légion d’honneur en France) et décoré de la médaille de la Paix espagnole. Il réside au Maroc jusqu’en 1933.

« Vieux Saint-Nazaire » et « Petit Maroc » De retour en France cette année 1933, il passe régulièrement par le vieux Saint-Nazaire, qui lui fournit matière à de nombreux dessins. Mais il doit terminer son armée. Il rejoint Stras-

bourg puis Troyes où il est démobilisé en 1936, médaillé militaire. Il rejoint ses parents et habite définitivement dans le vieux quartier rue Neuve. Curieusement, sur un journal de l’année 1934 on découvre pour la première fois la dénomination du quartier de la vieille ville « Petit-Maroc ». On peut se poser la question : Paul Bellaudeau, venant du Maroc, ne serait-il pas à l’origine de cette appellation ? Avant la guerre 39/45, pratiquement aucun document ne parle du « Petit-Maroc ». Même le maire François Blancho dans ses écrits d’avant et après-guerre emploie les termes « vieux Saint-Nazaire » quand il parle du quartier historique de la ville. Les journaux des années 1920 décrivent chaque année les fêtes du « Vieux Saint-Nazaire ». HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 — juillet 2018

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Saint-Nazaire

Un port témoin des échanges de plantes entre la Métropole et les Antilles (1843 –1900) Yves-Marie Allain ancien ancien directeur du Jardin des plantes de Paris (Muséum national d’histoire naturelle)

Le nom de la ville ou du port de Saint-Nazaire n’est pas associé à celui de l’histoire de la botanique. Il n’y a jamais eu de jardin botanique, contrairement à Nantes, Brest ou Rochefort.

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ême l’essai d’implantation dans les années 1970, de ce qui deviendra par la suite le Conservatoire botanique national, n’aura pas de suite, un autre port l’accueillera, Brest. Si, au moment de sa création en 1875, le jardin de l’Entrepôt a des velléités de devenir un jardin à caractère botanique, il sera uniquement un jardin de promenade entre bassin et estuaire. Quant au jardin des plantes ouvert au public en juin 1887, il remplira un rôle pour la connaissance de certains végétaux alors méconnus ou encore rares sur cette partie de la côte atlantique. Mais rien de commun avec le jardin des plantes de Nantes, successeur du jardin des Apothicaires créé en 1688, avec ses collections, sa graineterie, ses herbiers, sa bibliothèque, ses botanistes, ses correspondants en France et à l’étranger. Malgré ce peu d’atouts, à la fin des années 1850, Saint-Nazaire, ou plus exactement son port, va se trouver impliquée dans les échanges de plantes vivantes et de graines initiés par le Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

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Quelques dates Afin de mieux appréhender la situation, nous rappellerons quelques dates relatives au développement de Saint-Nazaire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, expliquant pourquoi le port de Nantes qui fut durant plus de deux siècles un port d’accès des plantes nouvelles et inconnues en France, va se trouver largement supplanté par Saint-Nazaire. • 1856, le 25 décembre, le bassin à flot (celui de Saint-Nazaire) est ouvert à la navigation. • 1857, 17 juin, loi attribuant à Saint-Nazaire, par paquebots à vapeur, la ligne postale sur les Antilles et l’Amérique centrale, Saint-Nazaire - Colón (Panama), via Fort-de-France. • 1857, 10 août, la ligne de chemin de fer reliant Nantes à Saint-Nazaire est inaugurée (Compagnie du Paris-Orléans). • 1862, avril, le Gouvernement demande à la Compagnie générale transatlantique d’ouvrir la ligne Saint-Nazaire Veracruz (Mexique) via La Havane (Cuba).

• 1868, 21 janvier, par décret impérial, le chef-lieu de sous-préfecture est transféré à Saint-Nazaire. • 1875, à l’initiative de M. Veillard, directeur de l’entrepôt Pradel et ancien sous-préfet de Saint-Nazaire (sept.1870-avril 1871), création d’un premier jardin public, dit jardin de l’Entrepôt, sur le port avec un objectif à terme créer un jardin botanique. • 1887, 26 juin, ouverture de l’actuel jardin des plantes conçu par l’architecte-paysagiste nantais Aubry.

Les échanges de plantes vivantes au XIXe siècle C’est à la lecture des archives disponibles et plus particulièrement celle des Registres des envois, Chaire de Culture, celui de 1843-1874 et celui de 1884-1898, ainsi qu’aux Livres d’entrée - Graines et végétaux vivants reçus au Museum - Chaire de Culture - de 1854 à 1900 1, qu’il est possible de connaître le rôle joué par Saint-Nazaire dans les échanges de plantes entre les Antilles 1 - Bibliothèque centrale du Muséum national d’histoire naturelle.


et la métropole. Mais les archives sont partielles, plusieurs registres manquent, ce qui ne permet pas d’avoir une vision continue et exhaustive des envois et des arrivées. Cette obligation d’échanges pour diffuser, à tout public, des végétaux rares ou nouvellement introduits, fait suite à un décret de la Convention de 1793, qui précise que « le professeur de Culture [celui du Jardin des plantes de Paris] sera chargé de faire parvenir dans les jardins botaniques situés dans les divers départements de la France, les graines des plantes & des arbres rares, recueillis dans le jardin du Museum. Ces envois pourront être étendus jusqu’aux nations étrangères pour en obtenir des échanges propres à augmenter

les vraies richesses nationales2». Ces échanges à destination et à partir du Museum furent vraisemblablement à leur apogée durant une période que l’on peut situer entre 1875 et la Première Guerre mondiale. En effet durant plus de vingt ans à partir de 1884, en plus de l’Index seminum publié en latin et adressé aux jardins botaniques et institutions scientifiques, le Muséum va éditer également un Catalogue de graines et plantes vivantes pour les établissements publics d’instruction et une Liste des plantes vivantes, nouvelles ou rares offertes en échange aux jardins botaniques. En une année 2 - Décret de la Convention du 10 juin 1793, relatif à l’organisation du Jardin national des Plantes & du Cabinet d’Histoire naturelle sous le nom du Museum d’Histoire naturelle, article III.

d’activité (octobre 1893 -octobre 1894), la Chaire de Culture expédiera 24 393 sachets de graines, 7 111 plantes vivantes, 978 greffons et boutures et distribuera pour divers cours à Paris 28 746 échantillons d’études !

Les caisses de Ward Lorsqu’à Saint-Nazaire, les paquebots à vapeur vont devoir prendre en charge les caisses de plantes, ils vont bénéficier de la technique préconisée dans les années 1830 par un médecin anglais Nathaniel Ward (1791 – 1868), permettant le transport des plantes sans assistance, ou presque, durant le voyage. Caisse vitrée, caisse vitrée à la Ward, caisse de Ward, quel qu’en soit le nom, cette caisse étanche, laissant

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Souvenirs d’un jeune métallo nazairien Paul Correc N’ayant pas réussi à convaincre ses parents de naviguer au commerce, comme son père, Marc n’avait plus qu’une idée en tête, en cette année 1955 : entrer aux grands chantiers navals de Saint-Nazaire et fabriquer les plus beaux bateaux du monde.

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réés en 1862 par la société écossaise Scott et Cie pour la Cie Gle Transatlantique, devenue Chantiers de La Loire et de Penhoët, ces

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derniers avaient construit jusqu’alors la bagatelle de 300 navires, dont 117 de guerre et 273 de commerce, constituant ainsi une des plus importantes flottes au monde.

Celle-ci comprenait quelques noms de navires très célèbres, tels que le cuirassé Jean-Bart, le croiseur Jeanne d’Arc, ou encore le sous-marin Casabianca en ce qui concernait la marine


nationale, mais aussi quelques-uns des plus prestigieux paquebots du monde : Paris, Île de France, Lafayette… et bien entendu Normandie. Réunis à nouveau et devenus Chantiers de l’Atlantique en cette année1955, les deux établissements regroupant alors 11 400 personnes, étaient parvenus grâce au tonnage de navires lancés cette année-là, au deuxième rang des sept plus grands chantiers navals mondiaux avec 124 101 tjb1, derrière le chantier allemand Deutsch-Werft qui lui, avait produit 162. 500 tjb.

En route vers les chantiers Bien que peu attiré par les études, leur préférant le sport et parcourir la Presqu’île guérandaise à vélo, ou encore embarquer à la pêche à la journée sur le « Vainqueur des jaloux », c’est avec une grande fierté cependant que le jeune garçon annonça à sa mère en cette fin de journée de juin 1955, qu’il venait d’obtenir le C.A.P d’ajusteur, diplôme lui permettant de devenir ouvrier professionnel.

1 - Tonne de jauge brute = 2 832 m3 - Volume intérieur total de la coque, limité aux cloisons fixes et permanentes, volume pris à l’intérieur des membrures et déduction faite de certains espaces, tels les doubles fonds et les espaces ouverts. La jauge brute sert à classer les navires en catégories, pour l’application des règles maritimes.

Classement mondial des chantiers navals, en 1955 - Deutsch Werft (Allemagne) 162.500 tjb - Chantiers de l’Atlantique (France) 124.101 tjb - Götaverken (Suède) 123.056 tjb - Harland and Wolf (G.B) 122.768 tjb - Kockums (Suède) 122.187 tjb - Eriksberg (Suède) 106.827 tjb - Mitsubishi (Japon) 102.070 tjb

Ce matin du 25 août 1955, le tout nouveau lauréat se leva plus tôt que d’habitude, conscient que la journée qui l’attendait serait bien différente de toutes celles qu’il avait connues jusqu’alors. Après un copieux petit déjeuner, il mit à l’épaule le sac que lui avait préparé sa mère, lequel contenait un bleu de travail propre et repassé, un casse-croute et quelques fruits, puis il embrassa celle-ci et quitta fièrement la maison. Il faisait un temps magnifique. Les effluves du goémon déposé par la marée du matin avaient pénétré la rue des Evens, lui rappelant qu’aujourd’hui encore et comme chaque jour de l’été, de nombreux garçons et filles de son âge, insouciants et heureux de vivre, s’adonneraient aux plaisirs de la plage et de la mer. Tournant le dos à ce paradis qu’il avait tant apprécié, il réalisa soudain que désormais pour lui, cette existence dorée était terminée. Mais n’avait-il pas souhaité cette fin-là ?

Dès qu’il eut quitté son domicile, se dirigeant vers le bois du Pouliguen pour se rendre à la gare, il se mêla aux nombreux hommes qui, les uns portant comme lui un sac à l’épaule ou une petite valise, marchaient tous d’un pas presque cadencé, dans la même direction. Tout au long du trajet qui menait à la gare, d’autres hommes sortaient de chez eux et se joignaient au cortège qui emplissait la rue. Le jeune garçon lui, se demandait comment il allait reconnaître parmi tous ces hommes, celui que son père lui avait décrit et qui devait le conduire à ces fameux Chantiers de Penhoët, qui depuis quelques jours seulement s’appelaient désormais Chantiers de l’Atlantique. Soudain, tandis qu’il hésitait à pénétrer dans le hall de la petite gare bondée, il s’entendit interpeller : — Oh petit, c’est toi le gars à Paul ? — Oui Monsieur. — Alors, suis-moi, dit l’homme en lui serrant la main, tout en l’entraînant vers le quai de la gare, à l’instant même où, dans un long crissement de freins, le train venant du Croisic stoppait et crachait sa vapeur au ras du quai, tandis que les wagons étaient pris d’assaut par les ouvriers.

Ci-contre et page de gauche Vues aériennes des chantiers navals de Saint-Nazaire (années 1950/1960). (Collection particulière)

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Laurence Myrga, l’héroïne du film, dans le rôle de la jeune Briéronne.

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La Brière

Un roman et un film Daniel Sauvaget Le cinéaste Léon Poirier a séjourné en Brière au printemps 1924 pour tourner La Brière sur les lieux mêmes de l’intrigue issue de l’adaptation du roman éponyme d’Alphonse de Châteaubriant.

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aru l’année précédente, le livre était un best-seller de la littérature, mais pas seulement : le succès commercial (plusieurs centaines de milliers d’exemplaires) n’était pas la seule qualité d’une œuvre qui avait reçu un accueil critique presque unanimement élogieux. De même, sa valeur ne reposait pas essentiellement sur sa dimension régionaliste, bien que son inscription dans un territoire fût au temps de sa gestation à l’origine de bien des écrits. Cette dimension régionale s’appuie sur une bonne connaissance des lieux qu’avait l’auteur depuis son enfance si l’on en juge par ses souvenirs. Bien implanté dans la région, né à Rennes en 1877, étudiant au lycée de Nantes (aujourd’hui Lycée Clemenceau) il s’est marié, à Saint-Nazaire, avec la fille d’un médecin, en 1903, et a vécu à Piriac, où sa famille possède encore des attaches. Lorsqu’il obtint en 1911 le Prix Goncourt avec son roman Monsieur de Lourdines, il avait déjà en projet son roman sur la Brière. On le sait, il y décrit avec précision, la vie rurale et des traditions qu’il privilégie en particulier dans le personnage principal, Aoustin, garde-chasse attaché aux droits ancestraux des habitants et hostile aux industries qui apparaissent alors à Trignac et à Saint-Nazaire.

On discerne plus facilement aujourd’hui les aspects conservateurs d’une œuvre qui répond aux orientations idéologiques de l’écrivain qui vont se renforcer dangereusement dans les années 1930. Admirateur de Hitler, il s’impliquera en effet de manière véhémente dans un hebdomadaire pro-allemand et raciste en 1940. Après s’être enfui en Allemagne en août 1944, il s’est caché dans un monastère autrichien jusqu’à sa mort en 1951. Quelques décennies plus tôt, Châteaubriant avait soigneusement consigné dans des carnets ses observations sur le milieu briéron (un peu comme Zola avant lui). Traditionaliste l’auteur livre dans le roman de précieuses indications sur l’évolution du milieu décrit. Ces notes, dont certaines prises dès 1906/1907, ont nourri le roman, mais aussi, une dizaine d’années plus tard, un ouvrage documentaire intitulé Au pays de Brière, paru en 1933 ou 1935. Augmentées de souvenirs personnels et familiaux et d’un récit de voyage dans le marais elles ont nourri un ouvrage vite oublié1. En effet, la lecture de cette exploration subjective d’un « pays 1 - Paris, Éditions J. de Gigord, Sans date. Collection Gens et pays de chez nous. Les photos documentaires sont signées Bernard et Le Boyer. Quant au texte lui-même, un lecteur contemporain, bien plus que celui des années 1930 – supposons-le - sera frappé par le regard hautain, aux limites du mépris, porté sur les Briérons dans quelques pages – à l’inverse du portrait général dressé dans le roman.

farouche » est décevante malgré quelques notations et de nombreuses illustrations photographiques bien choisies. Plus que ce carnet d’observations, l’approche du cinéaste reste sans doute plus géographique et plus convaincante à nos yeux que ce prolongement rapide d’une œuvre littéraire savamment mûrie.

Un film considéré comme un classique du cinéma français

Présenté au public en avril 1925, le film est certainement moins argumenté que le roman du point de vue sociologique, mais plus poétique grâce au prestige de l’image, bien qu’il n’échappe pas complètement à la tentation de donner dans une sorte d’exotisme, piège habituel des regards cherchant à restituer les particularités d’un lieu. Le mérite en revient au tournage en Brière même, plus précisément à Saint-Joachim si l’on en croit Jean-Pierre Berthomé et la Cinémathèque de Bretagne – d’autres scènes proviennent, par contraintes matérielles, d’un studio Gaumont de la région parisienne, probablement celui de La Villette dont Poirier était le directeur. Sur place, d’authentiques Briérons ont été recrutés comme figurants et pour quelques petits rôles autour d’un des grands acteurs de l’époque, José Davert (Aoustin), au visage dur et aux HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 — juillet 2018

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Le “fait religieux“ en Brière au milieu du XXe siècle

Seconde partie : 1956-1971

La fin d’un monde 34

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Dans un précédent article, j’ai rappelé la force du sentiment religieux en Brière et dans la Presqu’île guérandaise au milieu du XXe siècle. Exploitant les sources paroissiales et diocésaines disponibles, j’ai décrit combien l’Église catholique, son clergé et ses institutions encadraient la vie familiale et sociale d’un peuple chrétien soudé autour de sa foi.

C

e premier article portait sur la période 1938-1955 et je le concluais ainsi “Jusqu’au milieu des années 50, la rumeur du monde, les bruits de la ville et les luttes ouvrières des Chantiers où travaillaient la plupart des hommes du pays n’avaient pas encore mis à bas les équilibres d’une communauté humaine organisée autour de son église et de ses prêtres. Les années suivantes allaient changer la donne“ Dans ce second article, consacré à la période 1956-1971, je veux décrire ce changement. Je m’appuierai de nouveau sur des documents d’époque, issus, pour l’essentiel, des archives de la paroisse briéronne où je suis né, La Chapelle-des-Marais. Paroisse autrefois paysanne, elle est devenue, au fil du dernier siècle et proximité de Saint-Nazaire oblige (moins de 20 km), de plus en plus ouvrière, L’évolution du “fait religieux“ à La Chapelle-des-Marais, telle qu’elle ressort des archives paroissiales, illustre assez bien la révolution culturelle et sociétale qui, en une vingtaine d’années, à transformé le rapport au religieux de la population de Brière et de la presqu’île guérandaise. Parmi les documents consultés, je citerai plus particulièrement les enquêtes et les rapports pastoraux (RP) rédigés tous les quatre ans par le curé de la paroisse à l’occasion des visites de confirmation de l’évêque de Nantes (1955, 1959, 1963, 1967) et la collection 1966 à 1971 du Pèlerin de Saint Corneille (PSC), bulletin paroissial hebdomadaire (voir encadré) et les archives de L’Amicale Saint Corneille (ASC)… J’ai complété cette documentation, reflet des points de vue et des sentiments du clergé local, par le recueil de nombreux témoignages

Ci-dessus Pardon de Saint Corneille : cérémonie au Calvaire, 1960. (Collection Guy Belliot)

1

1 - L’évolution du sentiment religieux dans une paroisse de Brière au milieu du XX e siècle, Première partie : 1938-1955, Un peuple chrétien rassemblé autour de son église, Histoire et Patrimoine n° 90, juillet 2017.

d’acteurs2 de cette époque, confrontant leurs souvenirs avec les sources dont je disposais. Plutôt que “dérouler“ le récit linéaire de l’histoire religieuse dans ma paroisse natale durant ces quinze années de rapides mutations, j’insisterai sur les dynamiques de changement social et culturel de cette période et sur l’évolution parallèle des croyances et des pratiques religieuses,

Quelques éléments de repère

Un des évènements importants de cette seconde période (1956/1971) a sans doute été l’élection de Bernard Legrand3 à la mairie de La Chapelle des Marais en mars 1959. Né à Châteaubriant en 1926, militant syndicaliste CFTC aux Chantiers navals de Saint-Nazaire, il était membre de l’Action Catholique Ouvrière4 (ACO)5 ;. Marié avec une jeune fille de La Chapelle-des-Marais, il s’investit beaucoup dans l’Amicale Saint Corneille, patronage qui proposait aux jeunes du pays diverses activités sportives et culturelles (voir encadré). Sa victoire aux élections municipales de 1959 contre un maire sortant, commerçant du bourg, fut vécue par certains comme une petite révolution… Avec lui, c’était une nouvelle génération et de nouvelles sensibilités qui accédaient au pouvoir. Cela n’alla pas sans heurts et le curé de la paroisse s’en fit 2 - Parmi les personnes rencontrées ou contactées, citons notamment Francis Allain, Gilles Belliot, Guy Belliot, Philippe Mahé, Joseph Mahé, Jean Baptiste Legoff, Jean-Claude Broussard, Bernard Guihéneuf, Berthe Richeux, Jean-Paul Rivalland, Bernard Gervaud, Joseph Gervaud, Yves Sarzeaud, Guy Broussard… 3 - Maire de La Chapelle-des-Marais de 1959 à 1974, Bernard Legrand a été élu conseiller général en 1961 puis sénateur en 1974 jusqu’à sa mort en 1996, à l’âge de 70 ans. 4 - pour plus de détails sur mouvements d’action catholique, voir mon article dans H & P n° 91 page 50. 5 - RP 1955.

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Savenay

23 décembre 1793 Bernard Tabary

Tout le monde sait que la bataille de Savenay, le 23 décembre 1793 – drôle de célébration de Noël – marque l’échec définitif de la Virée de Galerne au nord de la Loire, la fin de l’extraordinaire épopée de la Vendée militaire et l’anéantissement de l’Armée Catholique et Royale.

G

lobalement, la guerre de Vendée est terminée. Ne reste plus, sud Loire, que des petits groupes aux abois autour de Stofflet (région de Cholet) et de Charette (le marais, en Vendée). Ce serait le moment de se préoccuper de l’après-guerre, de la paix ; d’une paix juste, franche, durable. Il y aura quelques tentatives sporadiques, d’une sincérité douteuse.

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Mais, au sommet de l’état – la Convention et le Comité de Salut Public –, on décide de purger la Vendée (le mot est de Carrier, conventionnel – le boucher de Nantes – et de plusieurs autres, beaucoup d’autres), d’exterminer cette race rebelle (ce mot-là est de Barère, conventionnel majeur, grand animateur de l’Assemblée et membre du CSP).

Pendant quatre mois, mi-janvier à mimai 94, sur ordre du CSP, les colonnes infernales du général Turreau vont sillonner les ex-régions insurgées en massacrant sans distinctions femmes, enfants, vieillards (il n’y a plus d’hommes !), incendiant tout ce qui peut brûler. Ils font table rase. La Vendée ne doit être qu’un grand cimetière national (c’est Turreau qui l’écrit).


Un Turreau peut en cacher un autre Attention ! Il y a Turreau et Turreau. Politiquement, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Et il arrive souvent qu’on les confonde. Mais ce serait dommage de ne pas faire de distinguo : rendons à César ce qui est à César. Le plus âgé (né en 1756) est le général Louis-Marie Turreau, dont j’ai commencé à te parler ci-dessus, l’organisateur des Colonnes Infernales. Attention, il ne s’agit pas d’un sousfifre, d’un novice, d’un petit général inexpérimenté. C’est un général de division, qui vient de recevoir le commandement de la pléthorique

armée de l’Ouest (plus de cent mille hommes, regroupant l’armée des Côtes de La Rochelle, celle des Côtes de Cherbourg, celle des Côtes de Brest et la prestigieuse armée de Mayence – du lourd, du très lourd !). Nommé le 27 novembre 1793, il se hâte très lentement (il s’est déjà battu dans le Poitou, quelques mois auparavant ; il n’a pas du tout apprécié ! et n’est pas vraiment enthousiasmé par sa récente promotion !), en traînant les pieds ; il n’arrive en Loire-Inférieure que le 30 décembre — une semaine après la bataille ! Bizarre...

Ci-dessus Général Louis-Marie Turreau de Lignières, dit Turreau de Garambouville (1756-1816). (Louis Hersent - 1777-1860 - Musée Carnavalet, Paris)

Page de gauche Paysage de bocage, au nord de Savenay. (Photo KaTeznik - CC BY-SA 2.0 FR)

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Un Guérandais parmi les mutins du Foederis Arca

Malou et Françoise Roussel C’est en 1980 que nous avons entendu parler pour la première fois du livre d’Henri Queffelec « Le Voilier qui perdit la tête ». Auteur à succès du « Phare », du « Journal d’un salaud » ou encore du célèbre « Recteur de l’ile de Sein », il avait déjà une petite renommée. L’auteur avait été invité par les Amis de Guérande à faire à ses adhérents, la promotion de son nouveau livre.

N

ot re cousi n Yvon Legal avait assisté à la conférence à l’issue de laquelle Henri Queffelec essayait de savoir si la famille Oillic était encore représentée à Guérande, assurant que son personnage Louis-Pierre Oillic n’était pas inventé. Yvon était fort intrigué, car comme nous, il descend des Oillic, par la branche maternelle et n’avait jamais eu connaissance de cette histoire, secret de famille sans aucun doute. Il ne pouvait en être autrement pour une famille catholique pratiquante qui fut en charge de la fabrique de la Frairie de Saillé et engendra trois prêtres : Anthony Oillic, né en 1876, fut vicaire à Sainte-Croix à Nantes, Valentin Oillic fut vicaire à Pont-Rousseau et Raymond Oillic né en 1900, fut curé doyen d’Herbignac de 1960 à 1968.

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Louis-Pierre Oillic, selon Queffelec, mais Pierre-Louis Oillic à l’état civil est né le 30 juillet 1838 dans une famille de paludier-saunier de Careil. Fils de Pierre Oillic et de Jeanne Picaud mariés le 8 octobre 1831 par Émile Antoine Méresse adjoint à la Mairie de Guérande. À la naissance de Pierre-Louis, ils ont déjà trois filles et habitent au lieu dit Hôtel Seignac à Careil. Pierre-Louis rêve de grands horizons et les voyages de son père pour troquer son sel contre des céréales vers le Centre Bretagne ne l’intéressent pas. Il veut devenir marin. Il s’inscrit sur le rôle maritime du port du Croisic proche de chez lui. Il effectue plusieurs campagnes, d’abord comme mousse, puis novice, enfin il est inscrit définitif au grade de matelot en août 1858. Il fait naufrage un an après au large du Sénégal et embarque de nouveau en 1859. L’aventure continue. En mai 1864, il vient de débarquer de la Marie-Zénaïde à Marseille, il cherche un nouvel enrôlement. Il apprend qu’à Cette (actuellement Sète) le capitaine du Feoderis Arca (l’Arche d’Alliance) recherche des marins pour un voyage au Mexique. Il connaît le bateau, un Trois-mâts barque de 500 tonneaux de jauge, mi-charbonnier, mi-pinardier, construit non loin de chez lui, en 1849, à Rozé en Brière, chez Pierre Ollivaud, dans les chantiers du Brivet. Sans plus attendre, il rejoint donc le port de Cette.

L’équipage Le capitaine Alfred Richebourg, né à Nantes, pas tout à fait la soixantaine, mais 45 ans de navigation l’ont vieilli prématurément. Myope et un peu sourd, il donne de lui une expression distraite et rêveuse. Il est fatigué, pas assez énergique, ainsi le courtier maritime le contraint à économiser au moins trois hommes d’équipage alors qu’il en avait 15 à son dernier voyage. Le second, nommé Théodore Aubert, blond aux oreilles rouges, est aussi natif de Nantes, 22 ans, 1 m 85, 82 kilos, autoritaire et brutal, « gueule plus fort que la corne de brume », doit recruter à la hâte les 12 hommes d’équipage. Il se fait aider par le sieur Gastambide, surnommé la Guimauve, un combinard

qui tient un méchant bistrot où il fait fonction de marchand d’hommes. Après deux heures de discussions, il arrête le contrat de Jean Lenard, le bosco ou maître d’équipage, né à Noirmoutier, assez grand, les yeux trop près du nez, la mâchoire forte, d’allure indolente et traînant savate. Il répond d’une voix un peu voilée, mais ferme. Il porte redingote et le sifflet est le signe de sa profession. Il a déjà fait trois campagnes comme bosco et Lenard a toujours haï ses capitaines. Aubert recrute six matelots dignes de ce nom : Pierre-Louis Oillic, notre Guérandais, 25 ans, un géant de 1 m 90, tignasse rousse frisée, yeux bleus, visage ovale, matelot confirmé, mais fort en gueule et insolent. François Thépaut, Finistérien né dans les terres, connaît Pierre-Louis. Ils ont déjà navigué ensemble. Joseph Doualas né à Paimbœuf, trapu, chauve, taciturne jusque dans l’ivresse. Antonio Carbuccia un Corse, 15 ans de navigation, un des meilleurs matelots de la bande. Charles Pierre, surnommé Pierric, le mulâtre né à la Guadeloupe, assez maladroit dans les enfléchures, vétéran du lot après Tessier le charpentier. Il engage aussi deux novices Pierre Leclerc de Cancale. Il promet d’être

un excellent élément selon le Capitaine alors qu’Aubert lui préfère Julien Chicot de Noirmoutier, à peine 18 ans, le visage long, les yeux bleus rêveurs, plein de bonne volonté. Ce dernier est affecté au service du capitaine. Le cuisinier Mitler réside à l’hôtel de l’Orient et son propriétaire insiste pour qu’il embarque au plus vite pour que sa solde rembourse en partie ses dettes. Ivre du matin au soir, il ne se lave pas et sent mauvais. Le charpentier ou calfat s’appelle Antoine ou Auguste Tessier, assez vieux, avec une barbe blanche en éventail et des cheveux gris plaqués au cosmétique. Un genre de calfat qu’Aubert ne connait pas, mais qui lui semble jusque là… la meilleure de ses recrues. Ci-dessus L’hôtel de Seignac, au village de Mouzac, en Guérande. (Photo Malou Roussel)

Page de gauche, en haut (médaillon) Portrait de Pierre-Louis Oillic. (Photo extraite d’une carte postale de l’époque Musée de la Police, Paris )

Page de gauche, en bas Un trois-mâts barque, au début du XXe siècle. (Collection particulière)

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Mesquer au féminin 1850-1900

Jocelyne Leborgne Issues de familles implantées à Mesquer depuis des siècles, quelques femmes de capitaines ont adressé à leur époux des missives où elles rapportaient leur vécu quotidien et les évènements locaux livrant ainsi un témoignage qui va bien au-delà de leur propre personne dans cette commune où il ne se passait « Rien de nouveau » selon une jeune femme qui se plaint de « toujours rabâcher les mêmes choses puisque rien ne vient rompre la monotonie de notre gentil pays ».

E

t pourtant, ce demi-siècle, qui con nut comme le précédent de nombreux revirements politiques, fut marqué à Mesquer par une lente, mais réelle, modernisation : création d’une école-mairie, ouverture de nouvelles voies de communication, construction d’une nouvelle église… mais aussi par le déclin de la saliculture dû à l’autorisation d’importer des sels étrangers pour palier une succession d’étés pluvieux. Les nombreuses archives explorées qu’elles soient privées ou publiques et les témoignages recueillis nous permettent d’apporter un éclairage sur la condition féminine mesquéraise entre 1850 et 1900.

Instruire les garçons et éventuellement les filles…

Depuis 1831, il existe à Mesquer un accueil scolaire pour les garçons1 qui est installé dans une salle exigüe louée par la mairie à un particulier. De vingt-cinq au début, ce nombre ne cessa d’augmenter au fil des ans pour atteindre près de soixante-dix garçons à l’ouverture de l’école-mairie. Pendant ce temps, une trentaine 1 - Georges Tattevin, in Monographie de Mesquer 1911.

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de fillettes se rassemblaient dans une salle de la fabrique à l’angle de la rue d’Aha et de la place de l’église NotreDame-la-Blanche. En 1852, la municipalité vote l’acquisition d’un terrain pour y construire « une maison d’école2 et une salle de mairie avec des pierres extraites de la pointe Nord-est de Merquel ». Quelques mois plus tard, un rapport fait à l’évêque de Nantes mentionnait « qu’il n’y avait ni frère, ni religieuse enseignant à Mesquer3 », l’instituteur « communal », monsieur Nogues recevait soixantesept garçons « dans une maison d’école non convenable » et Marie-Louise Pihour quarante filles « qu’elle enseigne avec autorité ». En 1859, quand l’entrepreneur déclare l’achèvement des travaux, force est de constater qu’il n’existe dans ce bâtiment qu’un accueil pour les garçons et à l’étage une salle pour la mairie. Et pourtant les élus constatant dès 1858, que « le local de l’école des filles, n’a ni les conditions de salubrité, d’exposition et d’extension prescrite par la loi et qu’il n’est pas habitable » avaient jugé nécessaire d’édifier un bâtiment capable d’accueillir les filles sur un terrain contigu

à l’école de garçons. Ils avaient alors « supplié à l’unanimité Monsieur l’auditeur au Conseil d’État, sous-préfet de vouloir bien poursuivre par sa bienveillante intervention, la réalisation de ce plan et d’obtenir auprès de Monsieur le Préfet que la commune soit autorisée… à acquérir par toutes voies de droit le terrain nécessaire… » tout en précisant que « la commune n’avait pas les fonds nécessaires pour parvenir à cette acquisition ». Faute de finances communales et d’aides nationales ou départementales, ce n’est que trente ans plus tard, en 1889 que l’école des filles est construite ! De 1873 à 1892, l’enseignement des filles à Mesquer fut confié aux religieuses de la congrégation de Saint-Gildas-des-bois. En dehors de ces accueils scolaires officiels, il existait également vers 1868 « deux écoles de hameau à Kercabellec et à Quimiac4 » l’auteur précisait que « l’école libre à Kercabellec [était] tenue par Anne-Marie Garino ». Des recherches sur les recensements et des informations, fournies par des descendants, nous ont permis de localiser cette petite école de Quimiac qui était tenue par Marie-Françoise Bertho-Dechauffour devenue sœur Saint-Augustin en 1866.

2 - Registre du Conseil municipal, 18391852, page 146. 3 - Mgr. Gaston Lequimener : Mesquer, histoire d’une fidélité, publié en 2010.

4 - Georges Tattevin, in Monographie de Mesquer manuscrit de 1911.


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De l’île Dumet à l’île de Sarek

Une énigme signée Maurice Leblanc Michel Barbot En juin 1919 paraît pour la première fois, en 59 feuilletons dans « Le Journal », le roman policier fantastique de Maurice Leblanc : « L’île aux trente cercueils ». L’édition volume sortira en librairie la même année, en octobre, aux éditions Pierre Lafitte.

D

es études consacrées à ce livre, telle celle de Patrick Ferté1, tentent à démontrer que le romancier Normand aurait caché dans ce roman (idem pour les autres romans…) quelques secrets liés à l’Histoire de la France. Le romancier entraînerait le lecteur en Normandie, mais aussi dans le sudest de la France, précisément dans les Corbières, une région qui l’intéressa et qui intéressa pareillement sa sœur Georgette Leblanc.

1 Patrick Ferté «  Arsène Lupin Supérieur Inconnu », livre paru aux éditons Guy Trédaniel.

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Le romancier situe l’île aux trente cercueils en Bretagne entre Beg-Meil et l’archipel des Glénan. Géographiquement, cette île correspondrait à l’île aux Moutons, mais la carte et le nom de l’île présentés par l’auteur orientent le lecteur vers les Channel Islands, précisément l’île anglo-normande de Sercq, la Sark des Anglais. Maurice Leblanc s’est effectivement inspiré de la carte de Sark pour dresser celle de Sarek. Il oriente différemment l’île puis en retire les îlots voisins. Des chercheurs britanniques iront jusqu’à affirmer que l’auteur a choisi une île anglo-normande afin d’orienter le lecteur intéressé par cette énigme, vers la Grande-Bretagne… ce que révèlerait assez nettement, selon

eux la partie inférieure de la carte de Sarek. Laissons cette recherche à ces érudits d’outre-Manche assurément plus à même de travailler en ce sens... Ce fut en 1979 que je découvris à la télévision la série « L’île aux trente cercueils » de Marcel Cravenne. La sensation fut mitigée. Le rythme plutôt lent du premier épisode n’accrocha pas véritablement le jeune homme de 20 ans que j’étais à l’époque, mais malgré tout je me sentais irrésistiblement attiré par l’énigme proposée. Dans la deuxième partie du roman intervient Luis Perenna, anagramme d’Arsène Lupin. Le metteur en scène ne le retint pas, jugeant que son rôle n’avait que peu d’intérêt dans le récit. Il est certain que


le célèbre gentleman cambrioleur ne ressemblait que peu, dans cette histoire, à celui que Maurice Leblanc avait imposé au fil de ses romans. Ma culture lupninesque de l’époque s’arrêtait à Georges Descrières qui incarna pour le petit écran, avec élégance cet aventurier. En 1980, Émile Letertre publie un livre au titre plein de promesses : « Les Mystères de l’Ile Dumet – Nos racines ». Ce fut lors d’une visite dans l’ancienne Bibliothèque Municipale de Nantes que je découvris l’ouvrage. Je fus d’emblée séduit par les Mystères révélés par l’auteur. Il se passa quelques années encore avant que je fasse l’acquisition du livre. De rares, mais précieux articles journalistes, notamment signés Stéphane Pajot, ont évoqué cette île mystérieuse. En 1997, je découvre le curieux livre d’André Bougenec « L’ultime Grand Secret » paru aux éditions Opéra. Le sous-titre « Je publierai des choses cachées depuis la création du Monde » - Matthieu XIII 35 – avait de quoi intriguer. Ce livre peut déranger, il convient de le lire avec réserves...

L’auteur présente la France comme une Terre d’exception. Il n’est pas le premier à le faire… L’île Dumet apparaît, pour l’auteur, comme un lieu prédestiné. Il rappelle que la plus ancienne mention de cette île apparaît dans une charte de Louis VI datée de l’année 1123 : Insula Aduneta. De ce nom il écrit : « Voici l’association sémantique qu’on peut en faire. Le terme Aduneta se retrouve en latin sous la forme Aduna dans le verbe Aduno, Adunare = assembler, réunir. Adunatio signifie union, unification. Adunatrix : celle qui unifie. » A. Bouguenec poursuit ainsi son commentaire : « Étant donné la réputation séculaire de cette île comme centre et nombril de la Terre, cette Main étalée de ses cinq doigts verrait donc une astuce du Verbe y ayant inclus deux symboles d’importance à l’heure du proche renversement des choses. » L’auteur s’arrête également sur la forme définitive du nom de l’île : « ‘’Du Met’’ mot qui désigne la venue du Met(s), le passage de la nourriture spéciale de l’Humain, et donnée par une Main dessinée par la forme même de l’île. Regardez-la

bien. Or, son nom s’est aussi écrit ‘’Du Mes’’ emprunté donc au Mes : le nom du ruisseau de Mesquer. Mais les trois lettres M.E.S. nous en avons vu l’importance Tri-Unitaire dans le symbole de la Matière-Esprit-Science, et dans les 3 lettres Mères de l’Alphabet Originel, de l’Hébreu et du Français. » L’aspect nourricier symboliquement affirmé suivant cet auteur par le nom de l’île pourrait se retrouver dans l’ancienne forme Isle du Metz, qui désignait précisément en moyen français le « mets », la « nourriture ». Quant à cette Main nous la retrouvons effectivement dans la forme que lui dessinent les flots de l’océan baignant ses rivages.

Page de gauche L’ïle Dumet, vue du ciel. (© Loire-Atlantique ouverture des données publiques - CC BY-SA 2.0 FR)

Ci-dessous À gauche, carte de l’île de Sarek, à droite, carte de l’île de Sark (ou Sercq).

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La Franc-Maçonnerie en Bretagne Jean de Saint-Houardon La Franc-Maçonnerie reste un sujet délicat à aborder, tant il a, déjà très tôt, fait fantasmer. Elle suscite un intérêt qui ne lui est pas toujours défavorable, puisque l’on compte aujourd’hui 22 obédiences maçonniques en France qui réuniraient ensemble près de 175 000 adeptes... On peut s’interroger sur la place qu’elle a réussi à trouver en Bretagne. Cet article, en s’appuyant sur des éléments factuels, peut aider à l’appréhender et à en comprendre son histoire. 76

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L

a Franc-Maçonnerie, telle qu’elle est encore pratiquée de nos jours, est née en 1717 avec la Grande Loge de Londres qui regroupa quatre loges. Il ne s’agissait évidemment pas là d’une génération spontanée, car, selon une historiographie bien établie, la première loge connue fut fondée en juin 1598 en Écosse, à Kilwinning, peu avant celle d’Édimbourg, créée en septembre de la même année. De plus, la création de ces dernières résultait d’une longue maturation. Cette initiative fut l’œuvre de personnalités issues essentiellement de la Royal Society et liées à la Maison de Hanovre, dont son représentant, Georges Ier, était monté sur le trône d’Angleterre trois ans plus tôt. Celles-ci souhaitaient voir ainsi cesser les troubles, qui sévissaient au sein du royaume depuis le milieu du XVIIe siècle, en établissant des liens de fraternité entre des belligérants potentiels.

Il ne sera pas fait ici état de ses origines supputées ou des influences qui la profilèrent avec le temps et donc de ce qu’elle devrait aux collegia romains, puis aux communautés de métiers et aux corporations, en passant par les associations monastiques et les confréries. Nous retiendrons seulement qu’elle fut « opérative » avant d’être « spéculative » en s’arrogeant, dans une démarche purement initiatique, des symboles relevant des outils empruntés aux métiers, établissant ainsi une filiation spirituelle entre les bâtisseurs de cathédrales et ses adeptes. En 1723, le pasteur James Anderson codifiait pour la Grande Loge de Londres les anciennes chartes du métier de la construction, dont elle affirmait descendre. Ses constitutions fixeront les règles que doit observer l’initié au sein de la Franc-Maçonnerie « régulière », dont la croyance en Dieu et une soumission légaliste au pouvoir politique en place. En décembre 1736, le chevalier de Ramsay HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 — juillet 2018

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Journal d’un aumônier breton - 1850 - 23 partie e

Christiane Marchocki La vie n’est pas de tout repos pour le Père Fouchard : fête ou naufrage. Il dépeint toujours aussi précisément la côte africaine et les états d’esprit de son époque.

S

on style alerte ne nous fait grâce de rien et bien des réflexions seraient de nos jours inacceptables. Ceci nous permet de mesurer la distance qui nous sépare de lui ; temps, espace, vision du monde. Ce manuscrit crée un dépaysement qui nous fait connaître cette époque révolue qu’est le XIXe siècle.

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5 décembre 1850 Aujourd’hui, la sainte Barbe. Nos canonniers ont été en fête. Ils se sont installés dans la batterie de l’arrière, une table, dans une sorte d’appartement isolé du reste par une voile. L’état-major a fait, en grande partie, les frais du banquet. Ils ont eu du vin et une sorte de punch enflammé pour arroser un mouton qu’on avait fait rôtir. Le commandant leur a fait un instant visite

pour porter un toast au pavillon confié à leur courage et à leur habileté auquel on a répondu au cri de : « Vive le commandant Pénaud ! ». Puis il s’est retiré pour laisser les braves canonniers à leur joie et la liberté de l’exhaler aussi bruyamment qu’ils le voudraient. Le vin a circulé jusqu’à épuisement de toutes leurs bouteilles. Le succès de la lutte entre l’estomac de 35 braves et de quelques bouteilles ne pouvait être un instant douteux. Je ne sais pas s’il leur


est arrivé d’être vaincus à leur tour, mais ils ont mené l’affaire rondement. Le réveil dut être terrible. Voilà 15 jours que nous sommes partis de Loanda. Nous avions craint hier, en allumant nos feux, de découvrir la terre dans la nuit, et d’arriver trop tôt au mouillage. Ou nos calculs n’avaient pas été justes, ou le courant nous avait violemment entraînés dans le golfe. Nous avons cherché la terre toute la matinée sans pouvoir aucunement la découvrir. Les gabiers sont montés sur les vergues, nous nous sommes réunis à l’avant. Pas de terre. Enfin vers midi, avec nos lunettes nous l’avons vue par tribord, et une voile courant vers elle. C’était la première que nous découvrions depuis notre départ. Nous avons réellement traversé un désert. Chose singulière, nous devons être au moins à deux lieues de la pointe la plus rapprochée, et déjà nous sommes obligés de stopper. Le fond a diminué subitement, nous n’osons plus nous avancer. On vient de mettre la baleinière à la mer, j’ai confiance. Je désespérais presque d’aller faire visite au président Roberts, et à cette république nègre de provenance américaine.

Nous ne sommes pas heureux. Nous voilà encore arrêtés, jusqu’à nouvel ordre. C’est mal à moi de me plaindre, quand c’est pour porter secours à ce malheureux naufragé. Nous venons de trouver à la côte, un vapeur anglais, qu’il y a une douzaine de jours, est allé la nuit vers 9 heures, se mettre au plein et faire un angle droit avec la côte. Tous les hommes se sont sauvés, ils ont dressé une tente sur la plage, en attendant les secours qu’ils ont demandés à Sierra Leone. La coque du bâtiment n’est pas encore défoncée. Je ne pense pas qu’il soit possible de la renflouer. Nous allons probablement les aider à achever le sauvetage. Jusqu’à quand va nous conduire ce travail, et quelle fatigue pour nos hommes ! Nous restons. Nos embarcations sont à l’eau. Nous nous sommes rapprochés du navire que nous voyons flottant à chaque lame. Il n’est pas sans ressource, et si nous réussissons à le tirer de ce mauvais pas, nous aurons rendu aux serviteurs de sa majesté britannique, un fameux service. Leurs lois sont d’une sévérité extrême à l’égard de tout officier qui perd un bâtiment. Je ne sais pas si la loi ne les frappe pas pour le fait même et avant que d’en admettre aucune

justification. Il y a 2 mois, il arrivait d’Angleterre, c’est lui qui nous a appris la mort de Louis Philippe.

6 décembre 1850 Je crains fort que ce ne soit décidé et que le pauvre bateau ne reste sur la côte d’Afrique, comme un souvenir de malheur. Nous travaillons depuis ce matin, ou plutôt depuis hier, la nuit nous a à peine interrompus. Nous ne réussissons à rien. Je crois que nous ne l’avons pas hâlé d’une ligne avec la force de nos 450 chevaux. Nos hommes doivent être bien fatigués. Ils n’ont presque pas dormi. Tous nos canots sont à la mer qui heureusement est calme, quoiqu’à quelque distance on la voit déferler avec violence sur la plage. Comme il arrive sur cette côte défendue par une barre souvent infranchissable.

Page de gauche Vue sur la baie de Monrovia (Libéria). (Photo Ph - CC BY-SA 1.0)

Ci-dessous Baie de Monrovia, en 1890. (Extrait de Round the black man’s garden, par : Colvile, Zélie Isabelle Richaud de Préville - 1893)

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À LIVRE OUVERT

Les Américains à Saint-Nazaire

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n doit à Éric Rondel une série impressionnante d’ouvrages historiques tous caractérisés par le primat accordé à l’illustration, pour lesquels il a créé dans les Côtes-d’Armor sa propre maison d’édition. Remarqués pour la qualité de l’iconographie et la minutie des légendes, ces ouvrages ont pour thème principal la Seconde Guerre mondiale et reposent essentiellement sur des archives américaines. On doit, notamment, à Rondel Lorient Saint-Nazaire. Les Poches du front oublié, 1944-1945, paru en 2014. Lorsqu’on l’interroge dans les salons du livre, qui sont pour lui des lieux de diffusion importants, l’auteur se félicite des liens qu’il a établis depuis plus de vingt ans avec les archives militaires américaines de Washington, où ses nombreuses visites lui ont permis de saisir et reproduire des milliers de photos – dans les meilleures conditions techniques et économiques, précise-t-il, vantant la qualité de ces institutions et leur accueil. Ainsi disposons-nous d’un nombre important d’images rares ou inédites. Hors de son domai ne de prédilection, les années 1944-45, son dernier livre évoque Les Américains à Saint-Nazaire, 1917-1919. C’est d’abord un livre d’images, où le travail d’écriture se concentre d’une part dans la minutie des légendes et d’autre part dans une soigneuse chronologie des évènements : une démarche fréquente chez les collectionneurs de documents anciens, qui enrichit la perception des évènements sans apporter toujours de véritables nouveautés sur le fond. Si le texte du livre sur les Poches, assez détaillé, abonde en informations utiles et en détails inconnus repérés patiemment (mais uniquement) dans les archives US, celui que l’auteur consacre à la présence des

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Américains à Saint-Nazaire à la fin de la Première Guerre mondiale n’échappe pas à cette tendance. Le texte n’est que chronologie, avec une longue citation du livre d’Elicio Colin paru en 1920 sur Les Ports de la Basse-Loire, et un renvoi général au travail de l’historien Yves-Henri Nouailhat Les Américains à Nantes et à Saint-Nazaire, 1917-1919. L’iconographie est saisissante, couvrant tous les aspects de la puissante organisation militaire mise en place dans la région nazairienne. Elle mêle habilement plusieurs catégories de photographies : enregistrement

officiel des activités (photos posées prises en bureau, hôpital, écurie, entrepôts, camp de repos…), cérémonies et défilés militaires, catalogage des armements, des véhicules et des régiments, reportages sur les transports de troupes et le débarquement du gros matériel (impressionnantes images de locomotives sur les quais), sur la vie quotidienne autant que sur les navires et les travaux publics. Sans oublier quelques pages sur les prisonniers allemands et les loisirs des militaires (comme ces courses automobiles sur la plage de La Baule)… Les légendes ne peuvent être plus précises, traduites du fonds d’archives, identifiant les troupes, les

officiers, les lieux, les dates, jusqu’à de moindres anecdotes, certaines superflues, d’autres accédant à la dimension de points d’histoire révélateurs. Bien des pages passionnantes, donc, d’une grande utilité aujourd’hui, comme ces vues aériennes prises à basse altitude décrivant parfaitement les camps, installations portuaires, chantiers, ces représentations de la ville et du littoral à l’époque, ou encore les pages montrant l’emploi de Nazairiennes dans les ateliers et celles consacrées au départ des jeunes épouses de soldats américains en 1919… Une seule lacune, peutêtre : bien que les grands travaux bénéficient de nombreuses pages (quais, routes, rues de la ville, carrières), l’auteur n’a pu trouver aucune image de l’aménagement du bassin-réservoir du Bois-Joalland, qui sera acquis par la municipalité en 1920. Éric Rondel a donc réalisé un bel ensemble, abondant et référencé à partir de documents déjà repérés et acquis, de son côté, par l’Écomusée de Saint-Nazaire. Un album que l’on feuillette avec gourmandise plus qu’on ne le lit, et qui pose des questions de méthode à l’historien : il reste peut-être à travailler plus sur l’analyse géostratégique et économique des gigantesques efforts matériels et financiers consentis par les États-Unis, ce qui ne relève évidemment pas des seuls albums d’images - car on n’a pas fini de réfléchir au legs de la présence américaine des années 1917-1919. Daniel Sauvaget Les Américains à Saint-Nazaire – 1917-1919 Éric Rondel Éditions Astoure (22240 – Sables- d’Or-les-Pins)

184 pages – 25 €


Nantes rouge, ou la Loire sanglante

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es guerres civiles sont réputées les pires qui puissent déferler sur une nation. L’une d’elles a accompagné la Révolution française. Xavier Cebron de Lisle, nantais de souche, passionné par l’histoire de sa ville, s’est attaché à écrire ce roman historique : « Nantes rouge » ou la Loire sanglante. Le récit se déroule sous le régime de la Terreur. Si l’intrigue est fictive, bien des personnalités authentiques y sont évoquées et mêlées. Toutes ont leur rôle. Le lecteur nantais, familier des endroits qu’il fréquente, les voit différemment après cette lecture. La guillotine domine la place du Bouffay, l’inonde de sang régulièrement face à la foule sadique, avide de ce genre de spectacle. Les exécutions

publiques ont longtemps été de mise en France. La Loire, synonyme de beauté, la Loire et ses berges au charme certain, devient un autre lieu d’exécution, par noyades. Ce n’est plus ce fleuve qu’on aime, c’est le cadre horrible, où des hommes précipitent dans le courant et la profondeur d’autres hommes, des femmes, des enfants, malgré leurs cris. On suppose le nombre des victimes supérieur à dix mille. On ne le saura jamais exactement, les évaluations n’étant pas toujours impartiales, les preuves disparues, les sépultures inexistantes. On tue aussi dans la carrière de Gigant, par fusillades cette fois. Ce nom : « La rue de martyrs », trace du chemin parcouru par les condamnés, rappelle un triste spectacle pour qui a un peu d’imagination.

C’est l’ambiance, l’état d’esprit, la crainte continuelle des habitants que nous revivons d’une page à l’autre, la lecture en est prenante. Ce sont aussi certaines réactions décrites, expliquées : pour survivre, mieux vaut se ranger du côté du plus fort. Cela entraîne à hurler avec les loups. Les dénonciations, bonne vieille méthode, qui fera encore ses preuves au XXe siècle, pour l’avantage de l’occupant, cette fois, sont exploitées et pratiquées. Les périodes troublées, violentes, sont celles des traitres et les bourreaux. Mais aussi celles des héros. Ne l’oublions pas. Nantes, une ville parmi d’autres, nous est contée. En un mot, il s’agit bien là d’un roman historique, avec références, d’un intérêt certain. On y apprend ce que nous avions occulté. On y retrouve ce que nous avions oublié. On découvre ce monde particulier qui nait de convictions exacerbées. La pensée religieuse imprègne et nourrit les esprits, elle côtoie l’idéalisme issu du siècle des Lumières, faisant naître dans le texte questions et analyses. Ceux que cette période de notre histoire intéresse, ceux qui songent à ce qu’était la vie de tous les jours pour la population, ceux qui en cherchent encore des marques, apprécieront cet ouvrage écrit par Xavier Cebron de Lisle. Le roman se termine par une note optimiste et romantique. Serait-ce Cupidon qui l’emporte quoi qu’il arrive ? Christiane Marchocki

Nantes rouge ou La Loire sanglante Xavier Cebron de Lisle Éditions Persée Collection ; Les archives du temps

346 pages – 22,90 €

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À LIVRE OUVERT

La guerre, des enfants, un château

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ette parution est une œuvre collective. Les auteurs sont trop nombreux pour être tous cités. On les retrouve en cours de lecture, chacun confiant son texte, participant ainsi, à partir de ce qu’il a vécu lui-même, à la reconstitution de leur histoire commune. Ce sont des enfants qui s’expriment. Des enfants qui ont bien grandi grâce à ceux qui les ont protégés pendant cette période meurtrière que fut la Seconde Guerre mondiale. L’action se déroule entre avril 1943 et juillet 1945. Les acteurs sont en majorité originaires de Batz sur Mer. En ce temps-là, il ne faisait pas bon rester à Batz, ainsi qu’en bien d’autres localités : les bombardements, les destructions, l’occu-

pant, les restrictions… Les sages de l’époque évacuèrent les enfants des écoles. Tout fut organisé. Le château du Plessis à Casson aux environs de Nort-sur-Erdre fut leur refuge. Les parents préférèrent le chagrin d’une séparation, l’angoisse d’être sans nouvelles, au risque de les voir mourir sous des décombres ou d’une rafale de mitrailleuse. Récemment, ces enfants se réunirent, ils constatèrent à quel point ils avaient grandi et changé, ils évoquèrent leurs souvenirs, les comparèrent, et décidèrent de publier ensemble cet ouvrage. Pour le réaliser, ils fondèrent deux associations jumelles ; celle de Casson et celle de Batz-sur-Mer. Ils nous laissent une trace de ce qu’ils ont connu, la guerre vue par

leurs yeux innocents. Le texte est attachant, attendrissant, amusant parfois. Ils ont frôlé le pire avec la belle insouciance de leur prime jeunesse. De loin, ils ont vu Nantes brûler, Saint-Nazaire détruite, mais eux-mêmes furent épargnés. Cette époque révolue nous apparait : garçons et filles dûment séparés, surveillés. Ils sont tous d’accord pour juger trop sévères les braves religieuses qui les guidaient et géraient la maintenance. La peur d’être seuls, loin de leurs parents, on ne pouvait pas se déplacer pour de multiples raisons, on communiquait uniquement par lettres de manière incertaine, cette peur n’étouffe pas leur joie de vivre, le besoin de « faire des bêtises » vénielles. Sous la garde du Père Ricordel de sa sœur, de l’institutrice Andrée Noyer qui sait se faire aimer en les faisant étudier, de tous ceux qui leur ont apporté leur aide, ces enfants n’ont pas eu l’esprit hanté d’images horribles. Ils n’ont pas été terrifiés par la proximité d’une mort possible à un âge qui en est logiquement si loin. C’est avec plaisir qu’on lit cet ouvrage. Ceux qui n’ont pas connu cette période n’auront pas le même regard que les anciens qui se retrouvent chez eux. Les patronymes cités leur sont familiers, ce sont souvent les leurs. Cet ouvrage mérite de figurer dans les archives de Batz sur mer et de Casson. Christiane Marchocki

La guerre, des enfants, un château Ouvrage collectif Associations Casson mon pays et Les enfants du Bourg-de-Batz se souviennent 174 pages – 22 €

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Chants de Mémoire

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Marins en Méditerranée - 1914-1923

ès l’avant-propos, le lecteur embarque sur un navire de guerre en service pendant la guerre de 1914-1918 : l’Edgar Quinet. Les dates portées sur la première de couverture sont : 1914-1923. Ce n’est pas un roman historique, ni un manuel d’histoire, ni un recueil de chants de marins qu’a écrit Suzanne Louis, c’est un ouvrage de référence particulier. Les différents aspects de la guerre y sont abordés, et, plus précisément les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée orientale. Il s’agit d’une étude sérieuse, fruit d’une recherche assidue, d’une documentation authentique : photos devenues rares, exceptionnelles, cartes explicites, tableaux divers répertoriant dates, lieux et chiffres qui à eux

seuls sont une information. Ce livre est né de la découverte fortuite dans le grenier familial vendéen d’un cahier de chansons de marins, collectées par son père qui avait lui-même servi à bord du cuirassé Edgar Quinet, navire amiral, lui, en tant que matelot, puis quartier-maître. Ce manuscrit a entrainé Suzanne Louis à remonter le temps, à retrouver certaines dates et évènements marquants plus ou moins oubliés, à reconstituer et prendre conscience de cette époque. La vie maritime et ses morts sont plus vite engloutis que les combats terrestres. Ils sont « disparus en mer ». Ces chants font part, mieux peutêtre, que d’autres textes, du vécu des combattants, car ils s’adressent directement à la sensibilité. La

musique, le chant, sont un moyen d’expression sans fard émanant de ceux qui les ont créés, c’est un cri du cœur. En écho, ils nous rappellent la vie de ces hommes. Dans ces pages, on découvre des témoignages pris sur le vif, passionnants et impressionnants à lire. Ils ont une identité. Ils nous sont proches, nous les comprenons. Bien des aspects de la guerre échappent à ceux qui ne les ont pas vécus. Ceux qui les ont vécus au plus fort des combats, répugnent, le plus souvent à en parler. On ne parle jamais de l’essentiel. Il en est ainsi à chaque conflit. Suzanne Louis a même retrouvé un angle peu évoqué, celui des animaux : âne, mulets, chevaux, chameaux, ces bêtes de somme. Il fallait, eux aussi, les amener. C’était eux la force motrice. En ce qui concerne les combattants, rien ne leur est épargné : manque de nourriture, aucune prophylaxie ni hygiène par conséquent propagation des épidémies. Toutes souffrances accumulées L’auteur nous emmène en Afrique du Nord, au Maroc, avec le Président de la République, Alexandre Millerand. Aussi à Athènes, à Constantinople, elle nous parle des sous-marins, des avions… Nous assistons au torpillage du Goliath, cuirassé anglais, en direct en lisant un témoignage réaliste page 311. On peut alors imaginer ce que furent les autres, le Triumph, le Majestic… Enfin la destruction de Smyrne, l’exode qui s’ensuivit, les problèmes des réfugiés… Cet ouvrage est un documentaire écrit qui intéressera tous ceux qui désirent en apprendre davantage au sujet de cette époque, ô combien tourmentée. Christiane Marchocki Chants de Mémoire Marins en Méditerranée Suzanne Louis Éditions Amalthée 339 pages – 23 €

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Sur les bords du Thouet, Montreuil-Bellay, ville d’Histoire et de Mémoire Sortie, à la journée, du dimanche 25 mars 2018

SORTIES CULTURELLES

Christiane Marchocki Malgré quelques lectures préliminaires, la surprise est grande en découvrant cet édifice, âgé de mille ans, doté de treize tours et d’une enceinte de 600 mètres. Ceci pour les chiffres.

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ette for teresse a été construite en 1025 par le duc d’Anjou Foulques Nerra sur un oppidum romain. Il est ainsi des lieux prédestinés pour leur position stratégique. La garde en est confiée au vassal Gérard Berlay, telle est l’explication de l’origine du nom actuel : Montreuil Bellay. Nous entrons dans une première cour. On entend des excla mat ions étouffées : « élégance et puissance » sont les mot s q u i v ien nent spontanément à l’esprit. Ces mots planeront tout au long de notre parcours. La propriétaire de ce site nous accueille. C’est pour nous une chance : cette visite se déroule en dehors des jours officiels, car il s’agit d’une demeure privée, classée monument historique le 18-6-1979.

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Qui mieux qu’elle peut nous raconter, telle une conférencière, cette longue histoire tourmentée, les différentes familles qui se succèdent, les alliances, les constructions qui

s’ajoutent ou se modifient, les évènements politiques. Nous l’écoutons avec grande attention et confiance, elle, qui fait partie et continue l’histoire de ce château. Elle nous montre les barbacanes. Si nous étions des assaillants nous ne pourrions ni nous abriter, ni nous réfugier. On nous viserait à 30 degrés, le fossé serait encore un obstacle, il a été mis en eau au XVe siècle, si la base des tours est évasée, ce n’est pas par souci esthétique, mais pour faire ricocher les projectiles. Nous imaginons le désastre. Nous avons fomenté une invasion pacifique et culturelle, armés uniquement de nos appareils téléphoniques et photographiques. Nous faisons preuve d’une belle assurance. Cette forteresse n’a jamais été prise. Assiégée par Geffroy le Bel, on catapulte des cadavres, des excréments afin de propager des maladies, des épidémies de préférence. Prémisses de g uerres bactériolog iques ?


Pendant ce temps, on sape la base des murailles pour creuser un tunnel. Tunnel aussitôt comblé par les habitants. Les vivres manquent. C’est la capitulation. On se rend à Geffroy le Bel. Excommunié, celui-ci doit renoncer à sa victoire, Gérard Berlay est à nouveau maître de la place. Les archéologues ont découvert l’emplacement du donjon et le départ de souterrains. L’histoire n’est pas terminée. À la Renaissance, la famille d’Harcourt construit la chapelle, une collégiale. Le logement des chanoines ou, châteauneuf, est élancé, doté de fenêtres à meneaux, les escaliers forment une excroissance à l’extérieur. Pendant la Révolution, le château est confisqué, transformé en prison pour femmes vendéennes royalistes. Deux cents d’entre elles y sont mortes.

Page de gauche L’entrée du château et l’acccueil du groupe de l’APHRN par la propriétaire. (Photos Geneviève Terrien)

Ci-dessus et ci-contre Vues du château. Sur les bords du Thouet. (Photos Geneviève Terrien)

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Après la Révolution, il est mis en vente. Un marchand de vin l’acquiert. Sa fille, puis son neveu et ses descendants en prennent soin. Nous visitons les cuisines possédant deux grandes cheminées, on

Ci-dessus, en haut Sur le site du camp de concentration de Tziganes, le groupe de l’APHRN écoute les explications de Jacques Sigot. Ci-dessus, en bas Monument inauguré, le 29 octobre 2016, par François Hollande, président de la République.

distingue l’emplacement de l’ancien foyer central. C’est toute une exploration qui nous attend : la salle à manger dont le plafond date de 1468, le blason des Grandmaison, une tapisserie des Flandres, la chambre de la duchesse de Longueville et son buffet Renaissance, le grand salon transformé, pendant la guerre de 1914-1918, en chambre d’hôpital, grâce à Mme de Grandmaison qui s’était portée infirmière. En un mot, nous avons découvert un musée.

Jacques Sigot, historien, nous rejoint au restaurant situé dans un ancien relais de poste du XVe siècle. Cadre, ambiance et menu remportent l’adhésion des participants. J. Sigot nous accompagne de son érudition, en parcourant la vieille ville. Puis il nous emmène sur les traces d’un ancien camp de concentration, datant du régime de Vichy. On y internait les Tziganes, du 8 novembre1941 au 16 décembre 1945. Il n’en reste plus que l’emplacement et la cave d’une ancienne ferme, détruite par le feu, cette cave servait de prison. On voit les ouvertures et leurs barreaux, au ras du sol. 3 000 personnes ont vécu ici, parquées. On compte 29 morts. En 1942, ils étaient 1 096, regroupés derrière les barbelés. Ce n’était pas un camp d’extermination, mais de rétention sous la garde de Français. On dit que cela leur évitait d’être envoyés en Allemagne travailler. La guerre n’est pas chose simple. Il existe bien d’autres endroits similaires. On peut imaginer les problèmes de salubrité, de restrictions alimentaires, de privation de liberté. Ce qui reste de ce camp a été classé « monument historique » en 2010. Le 29 octobre 2016, le Président de la République, François Hollande, a inauguré une stèle rappelant l’évènement. Jacques Sigot a écrit sur ce sujet, c’est grâce à lui et à ses amis que ceci n’a pas été oublié. C’est l’esprit meublé de souvenirs et acquis divers que nous reprenons la direction de nos pénates, remerciant l’organisatrice de cette journée : Nicole Bonnaud, nous promettant de renouveler nos expériences.

(Photos Geneviève Terrien )

Les sorties culturelles APHRN d’automne 2018 »» »»

Dimanche 30 septembre 2018 Sortie à la journée, en autocar - À la découverte de l’île de Noirmoutier Vendredi 19 octobre 2018 (après-midi) Sortie à la demi-journée - Flânerie dans le village de Kervalet (Batz-sur-Mer) Retenez bien ces deux dates sur vos agendas

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Christiane Marchocki


Grand-Lieu : Un joyau d’architecture carolingienne et un village de pêcheurs... Sortie, à la demi-journée, du vendredi 25 mai 2018

SORTIES CULTURELLES

Christiane Marchocki

Qui dira que de nos jours notre Histoire et notre Patrimoine n’attirent plus la curiosité de nos concitoyens ? Nous sommes 36 adhérents de l’APHRN arrivés en covoiturage depuis Saint-Nazaire et la presqu’île guérandaise, tous curieux de voir cette abbaye carolingienne, l’une des très rares encore visibles en Europe.

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ous commençons notre visite par le jardin des simples : plantes aux vertus médicinales, aromatiques ou tinctoriales. La médecine avait recours à l’herboristerie pour prodiguer ses soins. Les monastères ne tenaient pas seulement un rôle religieux, mais aussi un rôle social, économique et intellectuel considérable au moyen âge. On y a retranscrit les écrits de

l’Antiquité et ouvert les premières écoles après les invasions. Ici, à Saint Philbert nous observons ce qui a résisté au temps. Sous les Mérovingiens, ce fut un domaine agricole, « Déas », possédé par les moines de Noirmoutier. On soupçonne qu’il fut précédé par une villa gallo-romaine. Ce domaine était traversé par une voie antique à proximité de la Boulogne qui se jette dans

le lac de Grand Lieu et communique avec la Loire. Cette abbaye fut édifiée en de 815 à 853, la source écrite la plus ancienne, connue, date de 819. Refuge pour les moines au temps des invasions vikings, ces pirates d’un autre temps, appâtés par les richesses conservées en ces lieux. Après Charlemagne, vers 836, les moines s’y fixèrent définitivement. HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 — juillet 2018

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Les reliques de Saint Philibert y sont transférées. Longtemps objet de pèlerinage, son sarcophage en marbre blanc est toujours présent. Les abbayes, piliers de l’empire carolingien, forment un réseau monastique et sont florissantes.

Nous sommes à l’emplacement de la galerie du cloître. En 2013, suite à des fouilles archéologiques, on découvrit des sépultures et une partie du mur de l’abbatiale comprenant les restes d’une porte. Nous pénétrons dans l’édifice luimême. Sa beauté n’a pas disparu, bien qu’à l’origine il était plus haut et plus grand. On en voit les marques sur la charpente. Il faut un œil exercé pour distinguer, à la croisée du transept, les deux arcs datant du IXe siècle, les deux autres sont plus difficiles à situer, pour distinguer les traces d’ouvertures de murs, d’arcs anciens, et même de peintures murales. Celles-ci sont apparues après qu’on ait enlevé l’enduit qui les recouvrait. Il est difficile de reconstituer le monument originel, les hypothèses dominent. Le problème de la restauration et de la destruction à l’occasion de fouilles est soulevé. Comment découvrir et ne rien abîmer ? Intrigués par les traces de peintures, nous distinguons Sainte Anne, Marie et l’enfant. Deux statues en bois polychrome, détériorées, ont le charme et l’empreinte des temps révolus. Leurs teintes atténuées, indéfinissables, ont le privilège de la rareté. Les pierres variées de formes, de couleurs, d’aspects différents, tuffeau, schiste, pierre rouge de Guéméné, sont en elles-mêmes un élément décoratif. Comme ce cadre jadis devait être beau si on en croit ce qu’il en reste. On sent encore planer une influence antique.

Il ne fut pas pour autant protégé des assauts absurdes. Il servit d’entrepôts pendant la Révolution et de marché aux poulets à la fin du XIXe siècle. En 1936, il fut de nouveau consacré. Changement de décor pour un monde plus prosaïque. La maison de pêcheurs du lac de Grand Lieu nous accueille. Ceux-ci se sont regroupés en coopérative en 1908 afin de gérer eux-mêmes leurs intérêts. Au début du XXe siècle, ils étaient encore 120, formant une communauté soudée, vivant grâce au lac, entraînant différentes activités liées à la pêche. Actuellement, ils sont 7 irréductibles. À la fin de cette visite nous sommes devenus connaisseurs en chasse et en pêche : pièges à poissons comme les bosselles, filets, poissons d’eau douce variés, tanches, brèmes, gardons... Les plus prisés étant les carnassiers, sandres et brochets, on nous montre un esturgeon. N’oublions pas la fourrure des rats musqués et des ragondins. Tout ceci n’a plus de secret pour nous. Techniques d’un mode de vie révolu. On nous entraîne vers un observatoire. O récompense, après avoir gravi une série d’escaliers, qu’un long regard sur le calme du lieu. Large surface miroitante. Surface à dimension variable, selon la saison et les apports en eau. C’est l’image de ce lac que nous emportons avec nous. Les moines ne prennent-ils pas soin de se marier avec un bel environnement ? Christiane Marchocki

Ci-contre et ci-dessus Vues de l’intérieur de l’abbatiale de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. (Photos Christiane Marchocki)

Page précédente Le groupe de l’APHRN visite l’abbatiale. (Photo Claude Lebreton)

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ÇA SE PASSE AUJOURD’HUI

Henri Fohanno Photographe amateur

Exposition de photos

Chapelle Notre-Dame-de-Merquel Samedi 28 et dimanche 29 juillet 2018

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lusieurs articles sur Mesquer, publiés dans notre revue, ont été illustrés avec ses clichés, généreusement prêtés par sa famille. Cette exposition sera l’occasion de voir une partie de la collection de ce photographe amateur, qui séjournait l’été en famille à Kervarin, dans la maison des ancêtres de sa femme.

Trente scènes oubliées de bénédiction de la mer à Merquel, d’arrivées en carriole à Kervarin, de plage et de pêches miraculeuses datant des années 1930… seront à l’honneur.

Lieu : Mesquer/Quimiac (Loire-Atlantique) Horaires d’ouverture : Samedi et dimanche de 10 h 30 à 13 h et de 15 h à 19 h.

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A . P. H . R . N

Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne

Agora (case n° 4) 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire aphrn.asso@gmail.com - http://aphrn.fr - Tél. 06 62 58 17 40

Conseil de Direction de l’APHRN (après Assemblée Générale du 29 janvier 2016)

Présidente Christiane Marchocki Vice-présidente Geneviève Terrien Trésorière Annick Montassier Secrétaire général (Responsable d’édition de la revue HISTOIRE & PATRIMOINE)

Tanguy Sénéchal Conseillère (Responsable des sorties) Nicole Bonnaud Conseiller Paul Correc

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Conseiller André Dubreuil Conseiller Claude Lebreton Conseiller Patrick Pauvert

ff adhésion individuelle ..... 26 € ff adhésion couple ............ 31 €

Pour adhérer à l’APHRN, vous pouvez, au choix : télécharger le bulletin d’adhésion sur notre site internet, à l’adresse http://aphrn.fr rubrique « adhésion » nous adresser un courriel à l’adresse : aphrn.asso@gmail.com nous écrire, à : APHRN – Agora (case n° 4) – 2 bis av. Albert de Mun 44600 Saint-Nazaire téléphoner au 06 62 58 17 40 Vous pourrez, ensuite, régler votre cotisation par chèque, virement ou carte bancaire.

Revue HISTOIRE & PATRIMOINE Responsables de diffusion : pour Saint-Nazaire et sa région Geneviève Terrien Tél. 06 78 91 77 18 pour Guérande et sa région Christiane Marchocki Tél. 06 62 58 17 40

Remerciements aux photographes et collectionneurs qui nous ont fourni des illustrations. Merci, également, aux membres du Conseil de Direction de l’APHRN qui ont activement contribué à l’élaboration de ce numéro, réalisé de manière entièrement bénévole.

Les articles sont publiés sous l’entière responsabilité et propriété de leurs auteurs. La publication partielle, ou totale, des articles et illustrations parus dans HISTOIRE & PATRIMOINE est interdite.

Illustration : Le stand de l’APHRN, lors du premier Salon des Écrivains, à Saint-Nazaire, au « Garage », le 28 octobre 2017

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— HISTOIRE & PATRIMOINE - n° 92 juillet 2018

(Photo Daniel Sauvaget)


Bénédiction de la mer, à Merquel (Mesquer), en 1936. Photo Henri Fohanno


Impression Pixartprinting - Réalisation Tanguy Sénéchal

Le 16 janvier 1739, la foudre s’est abattue sur l’ancienne église, dans le Vieux Saint-Nazaire, détruisant le clocher et une partie de la toiture.

HISTOIRE & PATRIMOINE n° 92 - juillet 2018 - 10 €

A.P.H.R.N - Association Préhistorique et Historique de la Région Nazairienne Agora (boîte n° 4) - 2 bis avenue Albert de Mun - 44600 Saint-Nazaire Courriel : aphrn.asso@gmail.com - Site internet : http://aphrn.fr ISSN : 2116-8415

ISSN : 2116-8415

Dessin à la plume de Paul Bellaudeau (Collection Patrick Pauvert)


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