La Guerrière Fantôme - Prologue

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La Guerrière Fantôme Les Chroniques de Siwès Tome 1

Syven

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Du même auteur :

Au Sortir de l’Ombre , 2011, éditions du Riez. 978-2-918719-11-3

Illustration page de couverture : Yogh©

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É ditions du R iez © Cosquerou 29460 Logonna Daoulas http://www.editionsduriez.fr editionsduriez@orange.fr

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Syven

Éditions du Riez© – dépôt légal : 2012 ISBN : 978-2-918719-59-5 – ISSN : 2104-7235 X

Tous droits réservés pour tous pays.

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Pensons Ă nos enfants. Donnons-leur des rĂŞves et des ailes.

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 Prologue  La nuit déployait son velours constellé d’étoiles au-dessus des deux lunes, Viggua l’Ivoire et Liggua la Bleue. Leurs disques pleins nimbaient de leur douce lumière la colline d’Agarath, au sommet de laquelle luisait une arche d’obsidienne. Sa pierre noire taillée d'un seul tenant offrait une surface lisse, intacte au contraire des vestiges perdus dans les broussailles. Voilà ce qu'il restait de la cité légendaire, disparue des millénaires plus tôt : un portail, ainsi qu'une plate-forme fêlée aux dalles couleur d’encre. Le vent changea d’orientation sous l'arche ; il prit de la vigueur et se mit à siffler à mesure que des filaments lumineux électrisaient la voûte de pierre. Peu à peu, ils grandirent et se rejoignirent, composant une masse éblouissante. Bientôt, l’Herrès occupa l’espace de la porte de sa brillance insoutenable. Les hautes herbes claquaient follement tout autour. De grands loups gris surgirent du halo à pas comptés, les oreilles couchées sur leur longue tête, prêts à rebrousser chemin à la moindre menace. L'un d'eux se posta en sentinelle et la meute s’évada sur les flancs de la colline, afin d’inspecter le bois voisin. Rien ne bougeait dans les ruines, sinon la végétation affolée par les bourrasques. Les hurlements se répondirent de loin en loin. À ce signal, un adolescent apparut à son tour dans la lumière. Le teint hâlé par le soleil, Alun avait revêtu sa toge blanche de cérémonie et sur ses bras tendus devant lui, il portait une écharpe rouge émaillée de runes d’or. Ses pieds nus foulèrent avec assurance l’herbe humide tandis que sous sa robe, la fraicheur nocturne lui donnait la chair de poule. Son cœur battit plus fort à la découverte

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de l’esplanade, et il examina avec anxiété le paysage, rassuré de ne découvrir aucune menace. Le grand loup gris aux yeux d'or, Juben, hocha la tête à son passage. Lorsque son talon prit appui sur la dalle d’obsidienne, Alun en ressentit la chaleur, celle que d’anciens sortilèges tissés par les Hédénites maintenaient aussi chaude et douce que la peau d’un bébé. C’était agréable comme sensation. Le garçon approcha d’un cercle gravé qu’il reconnut aussitôt d'après une gravure qu'il avait étudiée : les mages se posteraient dessus pour procéder à l'appel. D’un coup d’œil en arrière, il vérifia que ses camarades suivaient. Quatre apprentis le rejoignirent. Eux aussi portaient les écharpes de leurs maîtres, et leurs yeux brillaient de fièvre à l’idée d’assister à une cérémonie de puissance. En son for intérieur, l’adolescent adressa une prière aux âmes clémentes qui veillaient sur lui. Il fallait que l'enchantement réussisse, qu’un esprit guerrier entende l’appel et se manifeste… Car sans cela, ainsi que le répétait son maître Harolt, les cités du Cinquième Cercle ne résisteraient pas longtemps à la grande conquête lancée par l'empire du Lluhan. Peste soit de leurs maudits dragons-défunts ! L'empereur ne reculait devant rien pour s'assurer la victoire mais il finirait par s'en mordre les doigts. Les marjaks échapperaient un jour au contrôle des maîtres-nécromants, et ceux-ci regretteraient amèrement d'avoir ramené ces créatures à la vie. Cette certitude ne consola pas l'apprenti. Les armées du Vèd s'étaient rassemblées et remises en marche. Les marjaks ravageraient tôt ou tard les cités libres, comme ils avaient détruit les forteresses des frontières avant de s’attaquer au territoire des dragons. La réalité avait pris l’apparence d’un cauchemar au cours des mois précédents, au point qu’Alun en tremblait parfois dans son lit. Il nous faut un myrhe, songea-t-il en fixant les lunes brillantes, un esprit capable de lire la guerre et d’en changer le cours. Le mage Harolt fut le premier des cinq invocateurs à apparaître dans la découpe lumineuse de l'arche. Aussi maigre que chauve, il

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se voûtait sous le poids de la flèche de cristal pendue à son cou. Il tremblait plus qu’à l’accoutumée, au point que ses mains se crispaient sur son tambourin, comme s’il craignait de le lâcher. Le vieil homme tenait à peine debout en vérité. Alun constatait que la pierre d’Agarath le rongeait. Encore l’an passé, Harolt la portait avec assurance. Selon ses dires, celle-ci pesait aussi lourd que le monde lui-même et seule une grande volonté permettait de la supporter. L'adolescent voyait bien que les récents évènements avaient usé son maître. Celui-ci avait déjà accompli tant de choses, il aurait mérité de terminer ses jours dans la paix. À la place, il se dévouait corps et âme à sa tâche, dut-elle le consumer, et son apprenti n’était pas prêt à endosser sa charge. Ce jour viendrait, se promit celui-ci avec ferveur. Les autres invocateurs étaient plus jeunes qu’Harolt, à l'exception de la vénérable Leïra, petite et fripée, qui fermait la marche. Également dotée d’une pierre d'Agarath, elle partagerait le fardeau d'Harolt une fois l’enchantement en cours. Sa présence réconfortait le garçon ; au moins, le succès de cette entreprise ne reposerait pas que sur son mentor. Le portail d’Herrès frissonna puis disparut, soufflé par une bourrasque mugissante. Les jeunes gens disposèrent les écharpes sur les épaules de leurs aînés puis se retirèrent jusqu’à l’herbe. Aucun mot n'avait été prononcé. Alun scrutait le dos de son maître qui avait fini par se redresser. Les mains des mages claquèrent sur les tambourins d'abord à un rythme lent. Chacun jouait sa propre partition, et il leur fallut un moment pour s’accorder. Lorsque cela fut le cas, des frissons lumineux parcoururent le sol d'obsidienne. Alun resserra les bras autour de lui, soudain transi. L’invocation débutait. La meute quitta les bois, escalada les flancs de la colline et se rassembla autour de la dalle. Les loups étaient impatients de constater le miracle que leur promettaient leurs alliés humains. Comme nombre de fabuleux, ils sous-estimaient leurs capacités.

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« Ils persistent à ne pas craindre notre espèce, mais ils se trompent », jugeait Alun en faisant rouler les muscles de sa nuque. Les hommes compensaient leurs pouvoirs moindres avec des pierres et des sortilèges. Tisser un filet d’Herrès était souvent plus efficace que dresser un mur, et de toute façon, les fabuleux périssaient aussi bien d’une flèche en travers du corps que n’importe quel animal dépourvu de conscience. L’un des loups près de lui le regardait en coin. Il valait mieux se concentrer sur la cérémonie. Aussi se laissa-t-il bercer par les roulements de tambours. Les voix des mages se mêlèrent à l’hymne de guerre qui enflait. Alun entendait les charges, le fer et l’acier, les coups et les cris, la tête lui tournait. Les loups ajoutèrent leur note de défi et le garçon réalisa qu'il s'époumonait. Ouvrant les yeux, il contempla avec ahurissement la dalle luminescente et les mages devenus des spectres dans le flot d’Herrès. Puis le chant se tut, les tambours poursuivirent seuls. L’appel était lancé, maintenant il fallait indiquer un chemin au myrhe. À la recherche de son souffle, Alun chut à genoux. Parmi ses camarades, un gamin de huit ans pleurait de douleur et les autres s’étouffaient en quinte de toux. Lui-même avait l’impression que ses cordes vocales brûlaient. Il se força à déglutir. Quant aux loups, le nez en l’air, ils observaient le ciel. L’un d’eux glapit. Alun y perçut un écho de terreur. Il serra les dents le temps de se remettre sur pied et se retourna. Une silhouette noire aux longues ailes se découpait sur le disque ivoire de Viggua. Malgré la distance, on ne pouvait la confondre avec quoique ce fût, car la noirceur qui en émanait ne trompait pas : un marjak approchait. Les loups se pressèrent en gémissant autour de la dalle. — Ils n’entendront pas, croassa Alun. L’incantation requiert toute leur concentration. « Il faut partir », rétorqua la voix mentale de Juben, le chef de meute. « Les miens peuvent combattre les humains du Lluhan, pas cette créature. »

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— Mais s’ils ne vont pas au bout du chant, l’esprit guerrier ne nous entendra pas ! « Le myrhe a entendu », assena le loup. « Où qu’il soit, quel qu’il soit. Les pierres de puissance doivent partir. » Le garçon faillit se pisser dessus lorsque le rugissement du marjak déchira le vent qui soufflait à tout rompre. Même à cette distance, il était assourdissant ! Les apprentis se regroupèrent. — Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Loris, le plus âgé d’entre eux. — On arrête tout, décréta Alun en prenant pied sur l’esplanade. Le sol lui brûla la voute plantaire. Malgré la douleur, il courut arracher le tambour de son maître. Le rythme guerrier se transforma en cacophonie discordante. L’Herrès tourbillonna dans les robes blanches tandis que le vieillard s’effondrait sur le dallage et qu’avec lui, la lumière retombait en une poussière scintillante. Une poignée de secondes suffit à la voir s’éteindre, la dalle devint soudain fraîche sous les pieds. Stupéfaits, les mages relâchèrent leurs instruments et leurs élèves se précipitèrent pour les soutenir. Alun passa la tête sous le bras de Harolt à peine conscient. — Courage, mon maître. Nous devons partir. Vite. La stridulation éraillée du marjak couvrit les mots d’encouragement qu’il lui prodiguait. Les autres avaient déjà quitté la dalle, mais Harolt ne parvenait pas à marcher et Alun le trainait aussi vite qu’il le pouvait vers le portail. Juben le loup se tenait devant et à son injonction, les filaments d’Herrès électrisèrent de nouveau l’arche. Dès que le passage fut ouvert, sa meute s’y engouffra suivie des humains. Seul Juben attendit les retardataires, l’œil inquiet levé vers le ciel. « Surtout », songea le garçon, « ne pas se retourner. » Le marjak approchait, Alun sentait une aura maléfique grandir dans son dos. L’Ahr sourdait de la monstrueuse créature, il pulsait et dispensait une froideur glaciale, de celles qui vous figent les

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sangs, de celles qu’un feu ne suffit pas à effacer. Ralenti par son fardeau, l’apprenti essaya de courir, les yeux rivés aux prunelles dorées du loup. Ce dernier aboya un encouragement, la porte n’était pas si loin. — Prends le talisman, croassa Harolt. Alun voulut obéir, manqua tomber sur le mage en le déposant par terre, puis s’empêtra dans les pans de sa toge et termina à genoux près de lui. Ses doigts tremblants glissèrent sur la chaînette avant de l’ôter au vieil homme. Puis l’apprenti s’arc-bouta pour soulever la pierre. — Maître, elle est trop lourde ! Une ombre immense se découpa sur le sol autour d’eux. Effrayé comme jamais, Alun tituba en avant, mais un puissant courant d’air le plaqua contre terre. La stridulation de la créature le frappa tel un coup de tonnerre : il résonna dans ses tripes, le glaça dans sa moelle et lui cisailla les tympans. Du sang chaud dégoulina de ses oreilles jusque dans son cou et sa chair ne cessa de trembler douloureusement même lorsque le silence fut. Abasourdi, il roula de côté dans une tentative de se mettre sur pied. Entre ses dents qui cliquetaient se bousculaient des malédictions qu'il ne parvenait pas à prononcer, et il découvrit le marjak au-dessus de lui. Du dragon, le monstre en avait les ailes, la taille imposante, mais ses membres étaient difformes, ses os saillants, et sa peau grise pendait mollement. Ses orbites blanches injectées de sang noir semblaient ne pas voir. Pire, il dispensait une putréfaction insoutenable, celle de la mort qu’il n’aurait pas dû quitter. Seul l’Ahr le maintenait en vie. L’Ahr, pendant contre-nature de l’Herrès, qui occultait le paysage, les lunes, le ciel, et empêchait Alun pris de fourmillements de se relever. Le garçon aurait voulu incanter un sort, n’importe quoi à jeter à la face de ce cauchemar, dont la mâchoire s’ouvrait grand pour l’avaler. Il en était incapable, il pleurait. Un élancement vif irradia sa main. Le loup aux yeux d'or était là, la pierre dans la gueule, à tirer sur la chaine que ses doigts

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persistaient à serrer. Lorsqu’Alun les relâcha, Juben s'éclipsa avec un scintillement d’Herrès. L’apprenti ferma les yeux quand le marjak les saisit lui et son maître. Dans la fraction de seconde qui lui restait à vivre, il songea avec tristesse que jamais il ne remplacerait Harolt. Son corps se rompit, ultime fulgurance de douleur. Sa dernière pensée alla à l’esprit guerrier : pourvu qu’il ait entendu l'appel.

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Ouvrages disponibles aux

Éditions du RIEZ Collection Brumes Étranges (Science-fiction, Fantasy, Fantastique) LA LOI DU DÉSERT de Franck Ferric. LES SOMBRES ROMANTIQUES de Mathieu Coudray. FOOD FOR MAGGOTS de Virginia Schilli. LES DAMES BAROQUES , anthologie dirigée par Estelle Valls de Gomis. L’HÉRITIERE D’OWLON de Patrick S. Vast AU SORTIR DE L’OMBRE de Syven LES POUSSE-PIERRES d’Arnaud Duval LES TANGENCES DIVINES de Franck Ferric ABSINTHES & DÉMONS d’Ambre Dubois DERNIÈRE SEMAINE D’UN REPTILE de Franck Ferric (à paraître) DESTINATION MARS, anthologie dirigée par Marc Bailly (à paraître) Cycle Anders Sorsele de Virginia Schilli. PAR LE SANG DU DÉMON (1) DÉLIVRE-NOUS DU MAL (2) L’HÉRITAGE DU SERPENT (3) (à paraître) Cycle d’Arkem, la Pierre des Ténèbres de Valérie Simon. YANIS, DÉESSE DE LA MORT (1) SINIEN, DÉESSE DE LA VIE (2) (à paraître) TAHNEE SHARN, DÉESSE DE L’ALLIANCE (3) (à paraître) MORWEN, DÉESSE DE L’AMOUR (4) (à paraître) Cycle de Siwès de Syven. LA GUERRIÈRE FANTÔME (1)

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LE LION À LA LANGUE FOURCHUE (2) (à paraître) Collection Vagues Celtiques (Bretagne & univers celtes) LE BALLET DES ÂMES de Céline Guillaume.

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Collection Pages au Vent (Littérature blanche) CONTES DU MONDE , anthologie dirigée par Alexis Lorens.

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