Chapitre quatre 2017 10 01

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Chapitre IV – Approche entropologique de la théorie des catégories Mais enfin, pourquoi situer ce chapitre après une première intrusion dans le domaine de la physique et non avant ? N’aurait-il pas été plus logique d’aborder le langage de la physique en premier, afin d’en parler plus clairement ? Non, parce qu’il me fallait au préalable développer une première représentation du temps, au plus près de notre expérience, et remonter jusqu'aux réflexions de Galilée sur le mouvement. Ensuite vient l’utilisation des mathématiques pour exprimer une variation dans le temps, que ce soit le mouvement d’un corps dans l’espace, ou même son évolution entropique. Soit, repartons de là. Mais, si j’ai bien compris ta démarche, lorsque j’écris que la distance parcourue est égale au produit de la vitesse par le temps : d = v.t, j’exprime une relation tautologique, à un niveau donné de mon Imaginaire. Tu as bien insisté sur le fait qu’en écrivant ceci, je réifie le concept de temps, et que le signe égal abolit toute dissymétrie d’ordre diachronique, à ce niveau Imaginaire, entre, par exemple : d = v.t et t.v = d. Dès lors, la question du temps reste proprement une affaire de physicien, que le mathématicien évacue en « spatialisant » le concept. C’est précisément pour cela qu’il nous faut revenir à ce hiatus entre l’expérience et son expression. Dès les débuts de la physique classique, c’est-à-dire avec le calcul différentiel dont Leibniz et Newton, se disputèrent la paternité, on n’a cessé de rechercher un hypothétique continu à partir du discontinu. Dès lors, le geste de Galilée rapportant l’oscillation d’un lustre à la fréquence de son pouls est dénaturé, amputé du principe d’incertitude et d’une vitesse limite qu’il porte en lui, comme nous l’avons vu. Tout ceci est enseveli sous les développements de la physique analytique. C’est le sort commun à toute fondation de disparaître au regard, non ? Certes, et il faudra que le Réel nous réveille sèchement, avec l’expérience de Michelson & Morley ou la catastrophe ultraviolette à la fin du XIXe siècle pour les remettre à nu. Ce séisme dans la physique, j’en vois le contrecoup tardif au niveau de son langage, dans le passage de la théorie des ensembles à celle des catégories, entre 1942 et 19451. Avec la théorie des ensembles, jusqu’à Bourbaki, on s’intéresse aux structures des objets que l’on manipule, pour les caractériser, puis les regrouper et en organiser l’architecture. Un peu comme le ferait un entomologiste2. Or, la théorie des catégories marque un changement de paradigme, en ce sens que l’on s’y intéresse aux relations entre les objets du discours plus qu’à leur structure. C’est une rupture qui recoupe celle qu’inaugure Saussure avec sa différence synchronie / diachronie. C’est du moins la thèse que je vais défendre ici. Es-tu sérieux ? De quelle façon pourrais-tu t’inviter ainsi dans un domaine qui dépasse complètement tes compétences ? Précisément parce que le sujet me dépasse : je suis en position ex ante par rapport à mon exploration. Tu cultives le paradoxe à plaisir ! 1 Cette théorie a été mise en place par Samuel Eilenberg et Saunders Mac Lane en 1942-1945, en lien avec la topologie algébrique, et propagée dans les années 1960-1970 en France par Alexandre Grothendieck, qui en fit une étude systématique. À la suite des travaux de William Lawvere, la théorie des catégories est utilisée depuis 1969 pour définir la logique et la théorie des ensembles ; la théorie des catégories peut donc, comme la théorie des ensembles, être considérée comme fondement des mathématiques. 2 J’emprunte cette métaphore à Albert Burroni qui l’utilise pour présenter « le concept mathématique de catégorie » lors d’un congrès.

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Non, pas du tout. Tu sais mes limites en la matière, ce qui m'a détourné très tôt de la physique. Mes blocages sont si basiques qu'un matheux moyen ignore superbement les avoir jamais franchis. Il butine déjà dans la canopée lorsque je reste coincé entre les racines et le tronc! Ça, c'est le côté négatif. Mais je peux voir ma faible culture mathématique, suffisant juste à m'en faire ressentir le peu d'épaisseur, comme une opportunité pour aborder la théorie des Catégories avec naïveté. L'idéal serait de retrouver le regard neuf d'un enfant. C'est un avantage par rapport au mathématicien cultivé qui, en découvrant tardivement cette théorie dans son cursus, doit procéder à une ré-évaluation de ses acquis. Il peut, à la limite, n'y voir qu'une technique parmi d'autres, sans ressentir, comme moi, la nécessité d'en référer à l'expérience personnelle, la seule sur laquelle je puisse m'appuyer. Il n'est donc pas question ici d'évaluer cette théorie à l'aune de mes connaissances, mais d'essayer de mettre à nu une filiation entre la façon d'articuler les concept dans cette théorie, de jouer avec, et la façon générale que nous avons de développer notre Imaginaire. J'espère ainsi parvenir à outrepasser les blocages dont je souffre. L'objet de ce chapitre n'est donc pas d'exposer la théorie, mais d'en traquer les non-dits, comme les trous dans un mur de béton révèlent la présence d'un étayage pendant sa construction. Tu nous propose là une psychanalyse de la théorie ? Et la mienne en miroir, si tu considères mes blocages en mathématiques comme autant de signifiants à décrypter. Aussi abordé-je cette théorie pour en tirer quelque leçon quant à la façon d’articuler ma propre pensée, et tu verras combien la pêche est fructueuse de ce point de vue ! Mais pourquoi précisément t'intéresser à cette théorie particulière ? Parce que la pensée la plus haute renvoie aux objets les plus simples, par ce mécanisme de double extension que nous avons analysé au chapitre II. Or la théorie des Catégories en vient à s’intéresser aux mouvements les plus élémentaires de la pensée. En creusant ainsi qu’elle le fait les concepts mathématiques, elle atteint la couche Imaginaire où son objet élémentaire, le concept de « morphisme » lui-même, se dissocie en deux concepts « orthogonaux » qui nous ramènent à l’opposition synchronie / diachronie. C'est cette convergence qu'il me faut en priorité explorer ; le niveau Imaginaire singulier ou s’articule la théorie en question, et en dessous duquel apparaît cette rupture synchronie/ diachronie que nous avons déjà identifiée en physique lorsque le concept de temps régresse de synchronique en diachronique. En somme, la physique et son langage sont congruents dans la mesure où le mouvement de l’une et le morphisme de l’autre dégénèrent de la même façon… Tu comprends maintenant pourquoi je m’attache tant aux tout premiers éléments de ce langage. Soit, acceptons cette perspective sous réserve d’inventaire, mais il serait temps d’entrer dans le vif du sujet, non ?

Morphisme :

Commençons par le plus simple : Le concept de base, que l’on appelle un « morphisme », peut être vu comme une flèche reliant un point à un autre. Soit A et B ces points et f la flèche qui les relie. Le schéma de base est celui-ci : A f B Fig. 1 Ce que l’on écrit : f : A = > B. • A est l’objet source ou le domaine ;

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• B est l’objet cible ou le codomaine ; • f est la règle ou l’application qui fait le lien entre A et B. Pour avancer un peu, nous allons prendre comme objets particuliers les ensembles finis. C’est-à-dire des collections d’éléments que je choisis de regrouper, à ma guise, par exemple l’ensemble des chaises de mon jardin ou l’ensemble des navires de la flotte française. On note habituellement une telle collection d’éléments entre crochets {John, Mary, Sam}, mais comme il n’y a pas nécessairement d’ordre particulier entre eux, on peut les représenter sous forme de diagramme :

Fig. 2 Ou encore, les représenter par un point avec une étiquette, afin d’insister sur leur aspect « élémentaire » au sein de la collection :

Fig. 3 Voire même ne retenir que la notion d’élément, en représentant chacun d’eux par un simple point :

Fig. 4 Maintenant, à chaque élément du domaine, l’application que je définis doit faire correspondre un et un seul élément du codomaine, comme ceci :

Fig. 5 On parle de ce type de représentations (Fig. 2 à 5) comme d’un diagramme « interne » du morphisme, en opposition à la représentation globale dite « externe » (Fig. 1). Quelle différence avec la définition d’une application dans la théorie des ensembles ? C’est que l’on instaure une dissymétrie fondamentale entre les deux objets mis en relation. Chaque élément de la source A doit être mis en relation avec un et un seul élément de la cible B ; mais il n’y a aucune contrainte quand aux éléments de cette dernière. Ils peuvent avoir un seul correspondant ou aucun, ou bien l’un d’entre eux peut être l’unique cible de tous les éléments de la source. Distinction qui se perd dans la théorie des ensembles. Le geste fondateur de la théorie instaurant cette dissymétrie me permet de dire, a priori, que le concept de « morphisme » est plus primitif que celui d’application dans la théorie des ensembles ! Parce que nous avons d’emblée, dès le premier pas, cette brisure de symétrie. Et nous allons la voir se développer tout au long de la théorie comme un impact sur un pare-brise © Alain SIMON

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se propage en réseau. Cette nécessité de définir une et une seule cible pour chaque élément de A me rappelle le dernier aphorisme du Tractatus de Wittgenstein que tu as déjà cité, le point 7 : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Oui, et nous devons en développer les conséquences. D’entrée de jeu, non seulement je choisis les éléments des objets A et B que je mets en relation, c’est dire l’importance de ma liberté, mais en plus, s’impose à moi cette nécessité de dire quelque chose à propos de chaque élément de A, ce qui implique le principe du tiers exclu. Du point de vue « entropologique », tel que présenté au chapitre II, la constitution des deux objets A et B à partir de leurs éléments (que je repérerai de façon générique par a et b) est un acte rationnel, c.-à-d. qu’en rapportant chaque concept A, B, a, b au niveau Imaginaire où je m’en fais une représentation, nous avons : • Ia < IA < Im • Ib < IB < Im Par ailleurs, en écrivant f : A = > B, j’indique que je rapporte un jugement sur A, en référence à une sorte de crible de mon observation, qui serait B. Ce jugement étant rationnel, je dois avoir : • IA < IB < Im En d’autres termes, le mouvement défini par f, qui me porte de A vers B est diachronique. Nous avons bien ici, en dehors de toute référence explicite à une représentation du temps, la structure d’un mouvement portant de A vers B. C’est en ce sens que f est plus primitif qu’une application dans la théorie des ensembles. C’est en ce sens que le langage du physicien et son expérience intime de l’objet sont congruents. Notre discours « entropologique » explore la différence entre états (A ou B) synchroniques et fonction (f en l’occurence) diachronique ; quand le morphisme s’intéresse au résultat du mouvement qui porte de A vers B ; ce que nous avons identifié comme étant par essence un discours rationnel, lorsque le Sujet est en position ex post. Ceci dit, nous pouvons avancer d’un pas et mettre la nécessité des deux principes que nous venons d’évoquer, à savoir l’axiome de choix et le principe du tiers exclu, eux-mêmes dans une perspective « entropologique ». Retour sur la noton de choix : Tout d’abord il nous faut revenir à la définition d’un objet quelconque. Outre le nom qui le désigne (soit A), ce dernier est défini par la donnée de ses éléments constitutifs (soit a). En restant dans la Catégorie des ensembles finis, il n’y a pas de problème particulier pour produire cet objet A. Maintenant qu’en est-il des éléments a eux-mêmes ? La réponse entropologique que nous donnons est évidemment du même ordre : nous pouvons construire a à partir de ses éléments constitutifs. Nommons α ces derniers. Notre approche nous conduit à dire que la représentation de a se construit sur un mode similaire à celle de A et nous avons donc Ia < IA < Im, ainsi que Iα < Ia < Im. En limitant notre discours au mode rationnel, on voit bien que la représentation de A se fait pas à pas, selon un processus récurrent : Iα < Ia < IA < Im. En langage ensembliste, c’est dire que l’objet A est un ensemble d’ensembles. Nous ajoutons que toute création d’un objet est, en-soi, le fruit d’une construction indéfinie, sinon infinie, car il n’y a aucune limite imaginable à la décomposition d’un objet en éléments, seulement interrompue de façon aléatoire par l’irruption du Réel. Nous avons une régression potentiellement infinie, construite à l’aide d’une procédure fractale (i.e. : un mouvement élémentaire associant deux concepts, l’un synchronique, l’autre diachronique). Cette

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infinitude nous oblige à interrompre arbitrairement la chaîne des définitions de l’objet A part un acte de volonté, un choix délibéré de notre part 3 ; sauf à être interrompu dans ce processus par le Réel lui-même, sous forme de trauma. Mais qu’en est-il de la nécessité ou non d’avoir recours à l’axiome de choix en mathématiques ? Comme j’espère l’avoir exposé clairement, de notre point de vue, la question est tranchée : la représentation de l’objet A implique le désir du sujet, et donc son libre arbitre pour exercer son choix : je choisis l’objet A de mon attention, et sinon A lui-même, tout du moins ses éléments constitutifs en m’arrêtant de décomposer l’objet à un certain niveau élémentaire. Pour en rester à notre premier exemple {John, Mary, Sam}, que j’ai repris tel quel du livre « Conceptual Mathematics » en hommage aux auteurs, F. William Lawvere et Stephen H. Schanuel ; ces derniers en gardent la propriété intellectuelle puisqu’ils l’on créé pour les besoins de leur exposé. C’est dire à quel point l’Objet est la création du Sujet, même si cela reste implicite. Or, le mathématicien pointe le fait que pour certaines constructions d’ensembles infinis il est nécessaire de postuler explicitement la possibilité de faire un choix pour les constituer. Bertrand Russel propose cette métaphore pour exposer le problème : « Pour choisir une chaussette plutôt que l’autre pour chaque paire d’une collection infinie, on a besoin de l’axiome du choix. Mais pour les chaussures, ce n’est pas la peine. » Qu’est-ce à dire ? Je constate que la chaussure droite se distingue "d'elle-même" de la gauche dans chaque paire considérée. • Soit Iélément le niveau Imaginaire où je discerne le concept « chaussure » ; • Soit Ipaire celui où je forme le concept « paire de chaussures » ; • Alors je suis, en Im, dans la position rationnelle Iélément < Ipaire < Im ; Maintenant, ce qui est passé sous silence dans cette opération, c’est que la paire en question est constituée d’une chaussure droite et d’une chaussure gauche. Autrement dit, j’élude une règle implicite qui serait : « une paire = un élément droit + un élément gauche », en référence à la connaissance que j’ai de l’anatomie humaine : une chaussure droite va au pied droit, une gauche au pied gauche. Soit Irègle le niveau Imaginaire qui règle cette question. Nous avons Iélément < Ipaire < Irègle < Im. Bien, maintenant, lorsque je choisis une chaussette parmi une infinité d’éléments identiques (je me limite ici au critère gauche/droite) je n’ai aucun guide qui m’indique « à l’évidence » comment former « une paire de chaussettes ». La règle précédente Irègle n’offre plus de repère et je régresse dans mon discours : Iélément < Ipaire < Irègle < Im => Iélément < Ipaire < Im. C’est ce que nous avons appelé une descente diachronique. Je régresse ainsi dans mon Imaginaire, et le niveau auquel je référais jusqu’alors mon discours (en l’espèce Irègle) disparaît. Je ne peux donc plus en référer qu’à moi-même, en Im, pour définir ce qu’est « une paire ». Lorsqu’en dernier ressort je rapporte un discours dit rationnel, à moi-même (i.e. : le Moi étant encore en position ex post), alors l’axiome de choix s’impose. C’est prendre en compte la possibilité d’une indétermination, qui est ici purement et simplement l’expression de ma liberté. Je dis que telle et telle chaussette forment une paire parce que tel est mon bon plaisir, ou poussé par la nécessité de ranger ma lessive d’une façon ou d’une autre. Cette façon de voir recoupe, me semble-t-il le discours du mathématicien. Il est intéressant de constater que cet axiome dit AC, qui est indépendant des autres (dits ZF en souvenir de Zermelo & Fraenkel) dans la théorie des ensembles, devient nécessaire dès 3 Nous y reviendrons plus loin, après avoir parlé des sections et de l’idempotence.

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l’origine de la théorie des Catégories. On retrouve là notre rupture de symétrie précédente. Maintenant, pour aller au plus près de ce qu’est un choix, il faut voir, derrière son expression synchronique, mathématique, l’action décrite : c’est-à-dire un saut diachronique entre un niveau Imaginaire Ia et celui qui le contextualise IA, lorsque ce dernier ne dépend que de mon libre arbitre : « je choisis arbitrairement a dans A » <=> IA < Im. Qu’as-tu en tête lorsque tu écris : « le Moi étant encore en position ex post » ? Tout simplement que nous atteignons ici à la limite de la rationalité. Le choix de a reste rationnel (rapporté à A), mais je n’ai d’autre guide que moi-même (en Im) quant à la définition de A lui-même à partir de ses éléments a. Si je descends Im d’un cran, j’obtiens ceci : Ia < IA < Im < DM = > Ia < Im < IA < DM Le sujet Im passe en position ex ante, par rapport à ce niveau IA qui n’est plus dicible. Le sujet Im n’a plus de repère rationnel pour choisir les éléments a. Son choix change de nature : • Dans un premier temps, il choisissait selon son envie deux chaussettes pour faire « une paire » ; • Après cette descente, il doit également choisir ce qu’il veut faire de ces chaussettes : des torchons, des patins ou des guirlandes, que sais-je encore. Si j’ai bien suivi, pour qu’à partir de cette dernière situation le sujet puisse imaginer A, il faudrait un acte de création pur, et en revenir à la forme canonique des mythes ? Uniquement si le sujet n’avait jamais conçu A antérieurement, ce qui n’est pas le cas général. Il s’agirait plutôt ici d’une remémoration. Tu ramènes à la conscience les objets sur lesquels tu vas exercer ta réflexion, c’est le « il était une fois » des contes de fées, ou le quantificateur existentiel ∃ , par lequel le mathématicien commence son discours : ∃ A. C’est également les déclarations de variables que doit faire l’informaticien, en tête d’un programme. Nous y reviendrons bientôt en détail. Retour sur le principe du ters exclu : J’anticipe un peu sur la logique qui peut être définie à l’aide de la théorie des catégories. Nous verrons en particulier qu’il est possible de définir des logiques non booléennes, où l’on peut, à côté du oui/non élémentaire, prendre en compte des réponses intermédiaires telles que presque ou pas encore. Une telle construction s’opère à l’aide d’objets plus complexes que les ensembles finis : les graphes. Mais sans entrer dans les détails, il me semble nécessaire d’aborder la logique immédiatement après l’axiome de choix pour faire ressortir la relativité du discours, sous un angle différent. À la base, nous avons donc notre principe dichotomique : nous cherchons primitivement à classer les objets par paires de contraires. Ce principe est respecté par la théorie des catégories puisque l’on distingue, pour un objet donné, s’il est en position de domaine ou de codomaine. Ensuite vient notre principe de non-contradiction, selon lequel « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous le même rapport à une même chose. » Sauf qu’en l’occurrence, dans une relation auto-référente, tu peux avoir un objet A vu comme domaine et codomaine avec : A f A Fig. 6 N’est-ce pas dire que l’objet A est deux choses à la fois : domaine et codomaine ? Eh non justement, car il n’est pas l’un et l’autre en même temps ! Lorsque A passe de source à cible, il y a ce mouvement diachronique f qui change notre

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propre point de vue concernant A. En ce sens la distinction domaine/ codomaine respecte le principe de non-contradiction. Par ailleurs, nous avons vu qu’à chaque élément du domaine est associé un élément et un seul du codomaine. Là, c’est directement le principe du tiers exclu qui est mis en œuvre : dire que l’on assigne b à a, c’est dire que l’on ne lui assigne aucun des autres éléments de B. Bien, en creusant un peu la question4, il apparaît que ce principe ne peut pas être déduit de notre logique élémentaire, et qu’il s’agit donc d’un axiome. Nous pourrions dire qu’il s’agit d’un choix tel que nous venons de le définir, si nous pouvions envisager, à ce stade de la réflexion, d’autres logiques potentielles. Or, à l’époque d’Aristote, il s’agissait plutôt d’une création : grâce à la logique, Aristote organise ses raisonnements, et nous revenons sans cesse à ce geste inaugural qui marque toute notre culture occidentale : ordo ab chao. Le geste créateur serait en l’occurrence chao-1. Le refus, la négation ou la déconstruction du chaos étant alors (c’est la seconde inversion) dans cette création mythique, le moteur Symbolique, donc immobile des anciens. Tu nous fait un cours de thermodynamique ou de philo ? Désolé pour ce commentaire border line, mais comment taire cette évidence qui suinte par tous les pores de mon Symbolisme occidental ? Toujours est-il qu’à un moment ou un autre de notre développement intellectuel, Aristote s’impose à nous. La théorie des catégories s’appuie donc pleinement, dès sa constitution, sur un principe du tiers exclu, qu’elle ne peut choisir puisqu’il s’impose à elle, intériorisé au niveau Symbolique. En faisant des mathématiques, implicitement ou explicitement, nous utilisons cet axiome : • Soit Ib le niveau où émerge la logique binaire, celui où s’énonce : ∃ (axiome du tiers exclu) ; • Soit It le niveau où s’explicite la définition d’un morphisme ; • Soit Im ma propre position Imaginaire, d’où je tiens mon discours. Puisque je fonde ma démarche à partir de la logique binaire, tout le reste en dépend, et j’en déduis que It < Ib < Im. Maintenant, j’ai avancé qu’il est possible à partir de la théorie des catégories de construire une logique plus large. Soit Inb le niveau Imaginaire auquel cette logique peut s’exprimer. Nous avons par définition : Inb < It < Ib < Im Or, en-deçà (ou antérieurement à) tout ce verni culturel qui craque à la moindre occasion, rien n’est plus contraire à l’expérience sensible que cette logique binaire ; j’arrête d’instinct mes jugements et mes choix d’une façon bien plus complexe. Si par exemple je porte un jugement négatif sur Hitler, le fait que Staline fût son ennemi, fait-il de ce dernier mon ami ? Certes pas ! De même si une femme aime d’un même cœur son mari et son amant, les cocus concernés s’aiment-ils pour autant d’un amour sans partage ? Non, bien sûr, mais ceci ne m’empêche pas de me considérer comme une personne « raisonnable ». C’est dire que faute d’une idée claire de la logique qui guide mes choix, j’en suppose l’existence, au-delà de mon discours. Le « parce que c’est comme ça », du père pris en défaut par la rhétorique de son enfant, se réfère à un principe explicatif (i.e. : non booléen que nous repérons en Inb) transcendant sa personne. Autrement dit, il est en position ex ante par rapport à celui-ci, relégué dans son système Symbolique. La justification de son discours (soit Ix) prend deux formes : • Ix < Im < S : le discours du sujet se justifiant : « parce que c’est comme ça » ou « Dieu le veut » ; • Ix < Im < Inb < DM : le discours tel que moi, hors cadre, je peux en rendre compte : « Im utilise une logique Inb plus riche que celle du tiers exclu ». Et tu vois tout de suite l’ambiguïté d’une telle logique non binaire : 4Voir par exemple le cours de logique d’Alain Prouté note 38 page 35.

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Suivant notre premier discours, basé sur le principe du tiers exclu, je peux arriver à une situation telle que Inb < Ib < Im • Si je m’intéresse au développement historique des idées, il y a un moment où un saut diachronique nous a fait créer le principe du tiers exclu pour organiser nos discours rationnels. Ce saut s’exprime ainsi : Im < Inb < DM => Ib < Im < DM Autrement dit, une logique plus large – non booléenne – s’est restreinte au principe du tiers exclu, à partir duquel nous recherchons la logique d’où il est issu… Im < Inb < DM => Ib < Im < DM => Inb < Ib < Im < DM Qu’est-ce à dire ? Tout simplement qu’en créant ce principe du tiers exclu, Aristote a initié une montée diachronique, qui me permet de rationaliser, rétroactivement, cette pensée primitive. Montée qui se résume ainsi : Im < Inb < DM = > Inb < […] < Im < DM Tu vois là encore cette double démarche par laquelle Im s’élève en changeant de posture (i.e. : passage ex ante => ex post), en même temps que l’objet de son attention se rapproche du Réel… Ceci dit, si l’énoncé de la logique binaire est un discours par nécessité synchronique, son objet est purement diachronique. Lorsque je choisis 1 à l’exclusion de 0 ou l’inverse dans la paire {0 ; 1}, il s’agit bien de ramener un jugement sur un élément (soit 0, soit 1), à la base {0 ; 1} la plus élémentaire qui soit : une pure dichotomie. Autrement dit le principe du tiers exclu caractérise les choix que nous faisons, comme de prendre deux chaussettes pour former une paire. En résumé, la création d’un morphisme se caractérise : • Par une opposition primaire entre concept duals : objet / relation <=> synchronie / diachronie • Sous l’aspect synchronique : Par le principe dichotomique de Lévi-Strauss, lorsque je constitue les objets du morphisme en une paire duale : domaine / codomaine ; • Sous l’aspect diachronique : Par le principe du tiers exclu que j’utilise : ◦ Pour choisir les éléments des objets mis en relation ; ◦ Pour mettre en relation les éléments du domaine avec ceux du codomaine. C’est dire combien cette théorie est au plus près du sujet, puisque je rapporte directement au sujet chacun des deux concepts élémentaires qui ensemble permettent de créer un morphisme. Maintenant, pour en parler, ou plutôt, pour le tracer sur une feuille de papier, il faut bien que je me représente l’ensemble des éléments A, B, a, b, et f au même niveau Imaginaire, que je nommerai IAB. Et dans l'exercice, je réifie f de même que le physicien réifie le temps en écrivant ses équations.

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Fig XXX Tu remarqueras que le discours ne s’organise qu’à partir du repérage des objets A et B, rien n’est dit de la position relative de leurs éléments constitutifs. Il semble que tu n’as rien gagné dans l’affaire, puisque tu te trouves devant la même nécessité que dans la théorie des ensembles. Tu oublies l’important : sous ce niveau IAB, le morphisme se déstructure entre concepts diachronique (f) et synchroniques (A, B, a, b). Autrement dit je ne peux pas faire plus simple, sans basculer en position ex ante, ce qui voudrait dire abandonner une position rationnelle (i.e. : IAB < Im) pour rapporter mon discours (i.e. : un jugement porté sur A relativement aux critère B) à une vérité transcendante (i.e. : Im < IAB < DM). La théorie des ensembles, qui peut être reconstruite à partir de là (i.e. : Iensembles < Icatégories < Im), n’est qu’une Catégorie particulière parmi d’autres. Ton trouble vient de ce que dans cette présentation, j’utilise la Catégorie des ensembles finis (en abrégé : Ens), qui est la plus simple d’entre toutes. Il me semble cependant que ton approche de la théorie des Catégories est en contradiction avec les premiers éléments de mathématiques que tu nous as présentés, dans le chapitre précédent, pour introduire le temps et la stabilité. Tu disais que l’image d’une allumette « existe », lorsque tu la fais surgir du Réel, pour l’exposer à ton Imaginaire. Or, ici, l’existence est plutôt présentée comme venant du Symbolique. Dans un cas, il y a ascension diachronique, dans l’autre descente, ou plus précisément : changement de posture du Sujet. Oui, c’est en effet le moment de revenir sur la représentation de l’objet. Cela me donnera l’occasion d’introduire le morphisme identité et le singleton, qui sont parmi les outils les plus fondamentaux de la théorie. Les instances de l’objet : Lemme : Je suis désolé d'y insister, mais il faut absolument garder à l’esprit que nous ne connaissons rien, ni du Réel, ni du Symbolique qui bordent notre Imaginaire, de même qu’au théâtre le spectateur n’a que la scène (Imaginaire) devant lui, sans accès au jardin (le Réel) ni à la cour (le Symbolique). La seule différence concrète entre les deux tient à l’expérience que nous en avons, c’est-à-dire à la différence de posture de l’acteur, se tournant d’un côté ou de l’autre. Je suis en position ex post par rapport à un référé Réel de mon discours, et en position ex ante par rapport à un référé Symbolique, comme l’acteur se tourne à ma gauche vers le côté jardin © Alain SIMON

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et à ma droite vers le côté cour. Mais ce changement de posture lorsqu’il dirige son attention d’un côté ou de l’autre n’est qu’Imaginaire, elle ne tient qu’à ma propre expérience. Je n’ai même aucune théorie concernant une éventuelle différence entre R et S, de même qu'au théâtre rien n’est dit de ce qui se passe en coulisse d’où le gag bien connu de l’échelle sans fin : un clown arrive sur scène côté jardin portant une échelle par son extrémité, traverse la scène, sort du côté cours, l’échelle traversant la scène, puis le même clown revient par le côté jardin à l’autre bout de cette même échelle ! Existence de l’objet : Revenons maintenant à ces allumettes que je tire d’une boîte hors de ma vue. Physiquement, si je puis dire, je fais bien le geste de prendre quelque chose pour l’amener à mon regard et me dire : c’est une allumette. J’ai dit que l’existence de cette dernière – pour moi, dans mon expérience - tient à ce passage du Réel à l’Imaginaire. Bien, maintenant, si nous nous intéressons au langage employé pour décrire cette expérience, il faut bien convenir qu’en faisant ce geste, je ne fais pas une grande découverte. D’autant moins que tout ceci est préparé : il s’agit ici d’une expérience réalisée dans un but précis. C’est dire qu’en voyant cette allumette j’ai déjà en mémoire, à ma disposition, le mot qui la désigne, je peux même éluder l'action physique dans une « expéreience de pensée ». Tu en restes à la réminiscence de Platon, dans le Menon ? Oui, tout à fait. Dans cet exercice, le trauma de l’expérience (s'il existe) est très faible, juste l’énergie à déployer pour manier cet objet et traiter l’image renvoyée au cortex par mes yeux. Je ne suis pas réellement surpris par ce que j’extrais de ma boîte : je m’y attendais et tout mon corps y était préparé. Donc, en même temps que le Sujet-physicien récupère quelque chose du Réel, du côté jardin de la scène pour en faire l’expérience, le Sujet-mathématicien cherche le mot du côté cour, pour en parler, le faire advenir dans le plan de son discours, de la façon que nous venons de voir ; un peu comme si l’on installait un miroir sur la scène et que notre mathématicien soit le reflet du physicien, le Symbolique celui du Réel5. Mais quel serait ce miroir ? Le discours lui-même, bien sûr ! Pense-y un instant : notre miroir est en position ex post par rapport à l'objet, qui se trouve du côté du Réel, le côté jardin de notre scène, mais en position ex ante par rapport au Sujet, du côté cour, d'où il détermine les règles de son discours, en même temps qu'il en choisit l'objet6. Maintenant que nous nous intéressons au langage lui-même, nous pouvons mettre de côté l’aspect physique de l’objet. Gardons juste à l’esprit que cette différence de sens du concept d’existence, pour le physicien, ou pour le mathématicien, laisse place à un possible hiatus entre les deux approches, lorsque le mot de celui-ci manque à représenter l’expérience de celui-là, lorsque, comme dit Lacan « le mot me manque ». C’est à partir de là, et pour combler ce fossé, qu’il faut un acte de création, ne relevant plus de la réminiscence, mais de la forme canonique. Ceci étant précisé, il est temps de mettre en perspective les deux outils fondamentaux de la théorie qui sont liés à la définition des objets. Morphisme identté : Un endomorphisme est un morphisme dont le domaine et le codomaine sont le même objet. Soit par exemple un objet A {Mary, John, Sam} avec la fonction g « préfère » : • John préfère Mary, • Mary préfère John 5 Ceci nous renvoie aux deux premières catégories de l'entendement chez Spinoza. Voir chapitre 5. 6 Nous retrouvons ici la discussion de Lacan autour de l'illusion d'optique qui consiste, par un jeu de miroirs, à superposer un bouquet de fleurs virtuel et son pot bien réel.

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• Sam préfère Mary Ce que l’on peut représenter par :

figure x ou bien, en plus concis :

figure y Il y a un endomorphisme particulièrement simple et d’un intérêt tout particulier, c’est l’endomorphisme « identité » qui à chaque élément a de A renvoie ce même élément : f (a) = a :

figure z ou encore :

figure a Ce morphisme identité s’écrit plus simplement encore, de façon générique : 1A. Mais que signifie pour toi, d’un point de vue « entropologique », cette notion d’identité de A ? Reprenons, si tu le veux bien la genèse de notre objet A. Dans un premier temps, j’affirme son existence : ∃ A, à un niveau du discours qui est directement conditionné par le Sujet : IA < Im. Mais ce n’est pas un niveau permettant d’échanger avec un tiers, puisque la raison du sujet n’en réfère qu’au son libre arbitre. Personne ne peut me contester ∃ A. Il existe une allumette, il était une fois la fée Clochette, c’est du pareil au même. Au demeurant, j’avoue n’avoir jamais réellement utilisé d’allumettes pour faire ma démonstration… Pour commencer à raisonner, faire un travail de mathématicien, qui puisse être réfuté par d’autres, il faut que j’explicite les règles qui règlent mon discours. De même que nous avons explicité la règle qui fait qu’une paire de chaussures se compose d’une chaussure droite et © Alain SIMON

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d’une chaussure gauche. C’est le rôle de cette fonction identité : en dédoublant A en domaine et codomaine, je prends un recul par rapport à l’objet A que je viens de faire exister : Je rapporte A-domaine à A-codomaine avec la règle f (a) = a. IA-domaine < IA-codomaine < Im. Tu reconnaitras dans cette structure la base nécessaire à un raisonnement « rationnel », permettant la communication avec un tiers ; comme si, au lieu d'extraire A de S, je le cueillais de R, pour le montrer aux autres. Comme en offrant des fleurs à une fille je mets en scène mon désir pour qu'en prenant celui-là elle accepte celui-ci ! Certes, au niveau global de l’existence de A, mais quid des éléments a de A ? C’est là qu’intervient le singleton. Morphisme singleton : Je te disais en préambule avoir beaucoup appris de cette théorie. Eh bien, ce qui suit est peutêtre ce qui m’a le plus troublé signe, que j'approchais de l'un de mes blocages les plus profonds. J’ai retrouvé là l’étonnement ressenti en voyant mon camarade d’hypotaupe inverser une matrice ! Une première façon de penser l’appartenance de a à A, c’est à la manière de la théorie des ensembles : sous forme d’objets s’emboîtant les uns dans les autres comme des poupées Russes. Pour en revenir à mes allumettes, je décomptais les allers-retours entre ma boîte et ma table pour arriver à la notion de nombre : 1 fois, 2 fois etc. Dans ce mouvement, le concept synchronique, ce sont les allumettes, et le concept diachronique les « sauts » entre la boîte et la table. Bref : avec ma culture de physicien je m’imaginais manipuler des « objets » ; éludant cet instant improbable où l’allumette s’extrait d’un Réel indicible pour exister en prenant sens à mes yeux. La théorie des Catégories envisage les choses d’une autre façon, que je qualifierais d’orthogonale, ou de duale. Considère un objet constitué d’un seul élément, par exemple « me ». C’est l’objet le plus simple : un singleton que nous appellerons 1. Maintenant, à partir de cet objet pris comme domaine, et {Mary, John, Sam} comme codomaine, tu appliques à l’aide d’une règle particulière l’unique élément de ton singleton à chacun des éléments de la cible :

figure b Tu as exactement trois règles différentes (i.e. :’John’, ’Mary’, ’Sam’) pour appliquer « me » à l’un des éléments de la cible. Tu vois que par rapport à ma précédente approche le concept diachronique devient synchronique et vice versa. Au lieu de tirer une allumette de ma boîte, j’« allumette » le concept « 1 ». Ce n’est plus Chuck Norris qui plonge dans la mer, c’est la mer qui se Chuck Norrise. Si tu veux, mais plus sérieusement, la théorie des Catégories met à jour une torsion (synchronique/ diachronique) qui me semble être un mécanisme fondamental de notre façon de penser. Elle nous ramène à la seconde inversion à l'oeuvre dans la forme canonique des mythes : celle par laquelle l'élément recherché est, en soi, la fonction permettant rétroactivement de le repérer : le moment où l'Engoulevent, en mourant (première inversion), tombe (seconde inversion) des cieux pour fournir la terre à poterie aux femmes Jivaros. La © Alain SIMON

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théorie des Catégories rationalise un processus repérable dans la pensée mythique, alors même que le Sujet est en position ex ante, irrationnelle ! Tu te situes ici entièrement du côté "cour" de ton miroir, entre le discours et le niveau Symbolique du Sujet, avec une discussion tenant au renversement de posture ex ante/ ex post du Sujet, et à l'inversion synchronie/ diachronie, soit, mais quid du référent, du discours, l'objet du physicien, qui lui, est situé de l'autre côté du miroir, côté jardin de la scène, vers le Réel ? Il faut bien voir, tout d’abord, que je ne peux pas fonder un langage directement à partir du Réel. En effet, nous avons posé comme première une pulsion issue de R, pour produire une représentation en Ix, avec : • Pulsion diachronique entre R et Ix ; • Niveau synchronique de la représentation Ix ; • Position ex post du Sujet : R < Ix < Im. C’est une interprétation un peu rapide des choses, qui a eu le mérite de présenter simplement la stabilisation progressive des concepts à partir de la répétition, ce que nous avons appelé une stabilité de type temporel, mais cet Im ne peut émerger comme ça des simples expériences qu’il a du Réel : dire que nous sommes des êtres de langage, c’est reconnaître que Im ne peut advenir qu’en référence au Symbolique ! Ce que l'on s'efforce d'oublier dans un discours rationnel… L’expérience peut être intime, mais n’est pas en soi un discours que je puisse partager « rationnellement ». Un chien, par exemple peut faire l’expérience d’une chose noire qui le suit et le singe grossièrement lorsqu’il bouge au soleil. Il peut s'en étonner ou jouer avec, mais il en reste là. Nous venons de voir comment l’expérience physique se double de sa représentation, (c.-à-d. le langage mathématique) par le haut, du côté Symbolique, ce qui implique un changement de posture (ex ante => ex post du Sujet) pour devenir rationnel. Une fois l'objet A dans l'Imaginaire (i.e. : IA < Im) , nous avons compris le morphisme identité comme la façon élémentaire de prendre le recul nécessaire par rapport à l’objet mathématique A, pour en avoir une représentation rationnelle permettant les échanges, comme l'homme de barre répète l'ordre reçu de la passerelle : IA < Im => IA domaine < IA codomaine < Im. Le seul élément non rationnel qui nous reste, c’est ce saut initial Imaginaire faisant passer le Sujet de position ex ante à ex post : Im < IA < DM => IA < Im < DM, autrement dit le concept diachronique grâce auquel notre objet A vient à la conscience, à savoir le quantificateur existentiel ∃ lui-même ! Or, tu vois bien que ce premier mouvement : « ∃ A » élémentaire : A ∃ reste bancal au sens de la théorie car ce n’est pas un morphisme : il manque un codomaine rationnel auquel rapporter l’objet A, tout simplement parce qu’un tel codomaine serait situé dans le Symbolique, au-delà du Sujet (i.e. : ce dernier en position ex ante). Ne peut-on pas contourner l’obstacle en définissant A par ses éléments a ? Cela ne résout rien, car tu ne fais que reporter le problème à « ∃ a » … Non, pour véritablement s’en sortir, il faut au minimum supposer, une fois pour toutes l’existence d’un objet minimal, c’est-à-dire un objet constitué d’un seul élément. Et cet élément, quel est-il ? C’est toute la beauté de la chose : on s’en fiche. Le concept fondateur c’est l’unicité de l’élément qui caractérise notre objet singleton, et non sa nature. N’oublie pas que nous nous intéressons ici aux formes et aux liaisons entre objets, et non à une quelconque substance des objets eux-mêmes. En fait, cet objet « 1 », est la réification de l'acte de choisir luimême « ∃ », diachronique en son essence. C'est la représentation en miroir, dans le langage mathématique, de l’acte du physicien qui fait advenir un objet à sa vue. Comme sur notre © Alain SIMON

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scène de spectacle, le miroir en son centre reflète le côté jardin vers le côté cour. Lorsque notre clown tire son échelle d'un côté, son reflet fait le mouvement symétrique de l'autre... En ce sens, nous retrouvons d’une façon plus formelle, la façon intuitive que nous avions de repérer chaque « tirage » d’une allumette en faisant une marque à chaque occurrence du geste. Ce « 1 » ; c’est la marque (synchronique) de mon geste (diachronique). Bon, d’accord, tu retombes sur tes pieds ; mais qu’en est-il du principe selon lequel tout concept ne pourrait être que dual ? Il est toujours là : dans le recul fait pour prendre cet objet élémentaire comme source et cible du morphisme identité : f (1) = 1 1 11 1 Fig. f Mais enfin, où est passé ton doublet élémentaire {0 ; 1}, celui qui sert de base à tout système d’information ? Je vois que tu n’as pas encore saisi le principe du raisonnement. Il suffit de définir un morphisme avec le singleton {1} comme domaine et le doublet {0 ; 1} comme codomaine. Il y a deux et seulement deux applications possibles, que l’on peut appeler f = « 0 » et g = « 1 », ce qui te donne : ·

f (1) = 0

=>

0x1=0;

·

g (1) = 1

=>

1 x 1 = 1.

Tu vois par là que la théorie des Catégories décrit le mouvement qui génère l’information, c’est-à-dire le choix primaire entre 0 et 1 sur lequel s’appuie et se développe ensuite toute la théorie de l’information. Tu ne peux pas te contenter de cette réponse, car en fait, si tu as défini le 1, d'où sorstu le 0 ? Avant l'opposition entre deux objets 0/1, ce qui importe c'est la différence entre l'acte de choisir et celui de ne pas choisir, qui découle directement du principe de non contradiction. Dire « j'actualise g (1) », c'est ne pas actualiser f (1), l'autre potentialité offerte. Le concept de « vide » me semble correspondre à la réification de cette absence d'action. On peut, à l'aide du singleton, arriver à la notion d’objet « vide » d’élément à partir de là. En effet, après avoir régressé du concept de substance (i.e. : synchronique) de l’élément d’un singleton, à la règle (i.e. : diachronique) qui l’applique à l’un de ceux du codomaine , il est possible de caractériser l’absence d’élément dans l’objet vide, par l’absence de règle entre ce dernier et un quelconque objet cible. Mais est-ce encore un morphisme ? Oui car la règle imposant une correspondance entre chacun des éléments du domaine et un élément quelconque du codomaine n'a plus d'objet … Pas de bras, pas de chocolat. Autrement dit :

Fig. hhhh reste un morphisme malgré l’absence de lien entre A et B, et l’on peut donc comprendre la

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notion de vide objectivé par notre { } (i.e. : synchronique) , à partir de cette « absence d'application » de type diachronique. Mais tu vois bien le détour intellectuel que nous faisons pour en arriver là : tout part d'un geste, d'un choix élémentaire, qui nous conduit à imaginer 1, ensuite seulement, { } peut en apparaître comme la négation. Cependant, même ainsi, en régressant d'un concept synchronique (l'objet) à un concept diachronique (l'actualisation d'une potentialité), nous sommes toujours dans l'Imaginaire. Le référé dernier de { } nous échappe. Tu veux dire que le concept de vide,{ } est la réponse à un questionnement d'ordre mythique ? Oui, bien sûr car l'acte par lequel je pourrais le « tirer » directement du Symbolique : ∃ { }, est un non-sens absolu, Comment penser l'existence d'un objet sans objet ? Dans ce cas, la métaphore du miroir sur la scène ne fonctionne pas : le miroir ne peut rien renvoyer de ce qui n'existe pas et le référent ultime de notre concept { } reste définitivement au niveau Symbolique. Donc, la création du concept de vide ne peut s'imaginer qu'à partir d'un objet déjà là : l'objet 1 auquel je l'oppose. Tentons de proposer un mythe autour de cette question en prenant modèle sur notre mythe référent de la potière jalouse7. • Si je peux choisir ou non l'objet 1, pour qu'il advienne dans mon discours ; • Si par ailleurs, je peux concevoir de ne rien pouvoir dire de ce que je ne choisis pas, comme le concept { } (toujours Wittgenstein); • Comment pourrais-je « choisir { } » ? Ce qui, avec la forme canonique de Lévi-Strauss nous donnerait quelque chose de ce genre : Fnon choix ({ }) : Fchoix (1) : : Fnon choix (1) : F{ }-1(choix) • •

L'inversion du concept vide { } génère (première inversion) l'objet 1 : { }-1 = 1 Le concept d'unité est ce qui fonde (seconde inversion : synchronique => diachronique) la possibilité de repérer un choix... Tu remarqueras que ce qui est recherché (ici { }) devient rétrospectivement le fondement du concept complémentaire (ici 1) d'où nous sommes partis. Ça reste un peu fumeux, non ? Notre mathématicien va fuir à toutes jambes ! Je suis d'accord : non ne sommes plus ici dans un discours rationnel. C'est au-delà de la théorie des Catégories et j'en demande pardon au lecteur. Mais je devais dérouler toutes les conséquences de notre analyse à seule fin d'en vérifier la cohérence. Cependant, cette genèse mythique permet de comprendre l'impuissance de la théorie des Catégories à expliciter l’identité de { }! En effet, je ne peux pas écrire : {} 1{ } {} faute d'élément dans { } sur lequel faire porter une hypothétique application vers { }. Cette notion reste toujours à un niveau Imaginaire qui « colle » à Im : c'est dire qu'il est l'expression de ma complète liberté. Je peux m'en faire l'image que je souhaite : une absence de paquebot est égale à une absence de galaxie ou une absence de microbe. Comme tu le vois, même en « Imaginant » le concept de vide, il reste toujours un décalage diachronique entre les objets { } et 1. • L'élément unitaire est lié au virtuel8 : le mathématicien décrit le geste du physicien tirant une allumette d'une boîte (i.e. : l'un partant du Symbolique pour représenter l'autre partant du Réel); 7 Pour mémoire, voir chapitre 2 : la femme est à la fois jalouse et potière tandis que l’engoulevent, sa figure emblématique, est criard et désordonné. 8 Voir au chapitre 5 le lien entre la notion de vertu et l'entendement du premier genre chez Spinoza.

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• Le vide est limité à une potentialité9 : strictement conditionné par notre Imaginaire. Lorsque notre petit Ernst joue au fort / da, il élit cette bobine comme objet de son jeu, ensuite, en la rejetant, il en conçoit l'absence, par le vide qu'elle laisse en lui. Une fois que l'on a situé correctement le référent du concept vide au niveau Symbolique, on peut lui donner un nom : 0 = { } et le manipuler. Le vide serait plus construit que l'élément 1, n'est-ce pas contre-intuitif ? Encore une fois, cette impression est due à notre culture car, si tu y fais attention, il est bien établi qu'historiquement, le concept de « 0 » est beaucoup plus tardif que celui d'unité. Cette différence est si fondamentale que tout le langage mathématique s'enroule autour comme une huitre forme une perle autour du grain de sable qui la dérange. Objet premier et dernier Ton lyrisme t'emporte ! Pas du tout et je te propose même de voir cette différence entre la genèse du 1 et celle du 0 comme celle autour de laquelle se développe tout notre Imaginaire. Chiche ! Très simple : • Le singleton à partir duquel nous avons défini l'unité 1, est un « objet final ». C'est à dire qu'il est possible, pour n'importe quel objet A que tu puisses imaginer dans une Catégorie donnée, de construire un morphisme amenant chacun des éléments a de A vers l'élément d'un singleton. • Quand à l'ensemble vide, qui conduit au 0, nous avons vu qu'il peut être le domaine d'un morphime dont n'importe quel objet A pourrait être le codomaine : je peux associer au vide l'ensemble des étoiles d'une galaxie, ou les atomes de gaz dans une bouteille, ou même une assemblée de Bouddhas... En ce sens le vide est un « objet initial ». Donc, tous les objets (synchroniques) d'une Catégorie, et quelque soit les liens qui les relient entre eux, sont « bornés » par ces deux objets, l'un initial, l'objet vide, au plus près du Symbolique et l'autre, l'unité, terme d'une régression Imaginaire qui est en même temps réification du geste initial (diachronique) me liant au Réel. En ce sens, la partie rationnelle du discours se déploie dans cet entre-deux. Réifcaton du temps L’une des conséquences majeures du renversement de perspective opéré par la théorie des Catégories est de modifier celle du temps. Ce qui était de l’ordre de la succession dans l’expérience physique commune, devient un choix entre états potentiels, et ceci entre directement dans le champ de notre réflexion. Explique un peu, je décroche. Lorsque Galilée rapporte une fréquence de battement à son propre pouls, il fait un décompte. De là il peut parler de vitesse associée au principe d’inertie, comme nous l’avons vu. Newton ira plus loin et décrira les conditions de variations du mouvement. Mais nous sommes toujours dans l’ordre de la succession, associé à une conception temporelle de la stabilité (i.e. : je lance en l’air une pièce et j’attends qu’elle retombe pour voir si j’ai tiré pile ou face). Mais tu vois bien qu’en représentant le jeu de pile ou face à l’aide de deux morphismes entre un singleton 1 et un doublet {0;1}, j’ai le choix d’actualiser l’une ou l’autre des fonctions f ou g qui, chacune, décrit une action potentielle. La stabilité que je peux construire à partir de là n’est plus d’ordre temporel, mais structurel, au sens que j’ai donné à ces termes (i.e. : j’ai accès à l’ensemble des états potentiels tous présents en même temps). 9 Ce qui nous renvoie à la différence virtuel / potentiel chez Deleuze.

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C’est toute la démarche de Fermi en optique (le choix du plus court chemin), de Maupertuis en mécanique (le choix de moindre action), repris et développé ensuite par Lagrange et Hamilton, ou de Boltzmann en thermodynamique (l’état de plus faible énergie)… C’est pourquoi je dis que la représentation de l’expérience physique par le langage mathématique lui est d’une certaine façon « orthogonale ». Le passage de l’expérience à sa représentation n’est pas uniquement de l’ordre d’une « montée diachronique d’un niveau synchronique à l’autre », mais nécessite la réification des concepts (ou référés) diachroniques en expressions (ou référents) synchroniques10. Eh bien, tout ceci est admirablement pris en compte, de la façon la plus élégante qui soit par la théorie des Catégories. Mieux : elle nous éclaire sur les voies de notre entendement. Avec toutes ces considérations nous n’avons pas beaucoup avancé dans la théorie elle-même ! Sans doute, mais il importait de vérifier si, dans ces premières définitions, il y avait un hiatus ou non entre cette théorie et notre démarche « entropologique ». Il semble au contraire avoir conforté l'a priori d'où nous sommes partis, à savoir que cette théorie explicite pleinement la structure du discours rationnel. Ceci étant fait, nous pouvons maintenant parler des règles de composition des morphismes.

Règle de compositon des morphismes : Compositon des morphismes : Il n’y a aucune difficulté particulière à comprendre ce qu’est une composition de morphismes. Soit, pour reprendre l’exemple des auteurs que nous suivons jusqu’à présent, un premier endomorphisme définissant les préférences de chacun au sein de notre groupe de référence {John, Mary, Sam} et un second morphisme définissant les goûts de chacun en matière de petit-déjeuner c’est-à-dire leur choix parmi les éléments suivants : {eggs, toasts, oatmeal, coffe}, que je ne traduirais pas puisque le sens précis des éléments en question n’est qu’anecdotique. Nous avons donc d’une part : A g A

Fig. bbbbb et d’autre part : A

f

B

Fig. ccccc 10 Cette distinction amène immédiatement aux considérations que Dirac développe dans « Principles of quantum dynamics », je laisse la discussion en suspend pour mieux y revenir, après avoir avancé dans notre exploration des mathématiques.

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Maintenant, nous pouvons nous poser la question suivante : « qu’est-ce que chacun des éléments de A prendrait en B pour l’offrir à son ami dans A ? ». Ce qui nous donnerait le schéma suivant :

Fig. vvvvv Nous avons ainsi composé deux applications simples, que l’on écrit f ο g, en convenant de lire l’ordre des applications de droite à gauche : g est effectué en premier. Ce qui nous donne : A fοg A

Fig. nnnn Il n’y a là rien de bien nouveau par rapport à la théorie des ensembles ! Eh bien si, car nous avons une petite difficulté qui tient précisément à la distinction originelle entre domaine et codomaine. Le A, codomaine de l’application g passe en position de domaine dans l’application suivante f… Et alors ? Eh bien la nature de ce mouvement n’est pas prise en compte par la théorie. Nous verrons mieux la difficulté une fois que j’aurai exposé les règles d’identité qui sont au nombre de deux. Règles d’identté :

La théorie des Catégories distingue une identité à droite et une à gauche : Ce que l’on peut schématiser ainsi :

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Maintenant, reprend ce que nous venons de dire concernant l’émergence par paliers de chacun des objets A et B, à un niveau tel que nous puissions établir un rapport entre les deux au niveau IAB ; • Premier temps : déclaration d’existence : ∃ A, ∃ B, directement rapporté au bon vouloir de Im ; • Second temps : Rationalisation du discours : 1A (a) = a avec A comme domaine et codomaine de 1A ; 1B (b) = b avec B comme domaine et codomaine de 1B. Je te suis, mais j’ai l’impression que tu te répètes, où veux-tu en venir ? À ceci : Une fois que j’ai appliqué 1A à A, c’est-à-dire que je l’ai considéré A comme domaine et ensuite codomaine, je n’ai aucune difficulté à faire l’aller-retour domaine <=> codomaine. Je n’ai donc aucune difficulté avec l’identité à droite (la règle 1) ; Mais quid de la seconde, avec l’identité de B exprimée après son utilisation par f ? B apparaît d’abord en position de codomaine, pour ensuite passer en position de domaine. Tu vois le problème : j’ai indiqué que je rapporte mon observation de A aux critères définis en B, ce qui suppose d’avoir une idée de B avant d’y rapporter A, autrement dit, d’avoir vérifié l’identité de B avant d’en faire un codomaine. Tu pourrais t’en sortir en disant que dès leur déclaration d’existence, tu sais que A est domaine et B codomaine, non ? Ce qui reviendrait à différencier ∃ (A domaine) et ∃ (B codomaine) ? Non, c’est proprement le morphisme qui introduit cette distinction, elle n’existe pas avant. Ni A ni B ne sont « essentiellement » domaine ou codomaine, la meilleure preuve en est qu’ils passent d’une position à l’autre dans les lois que nous discutons. Je pense qu’en toute rigueur, il faudrait déclarer 1B comme 1A avant de définir f. Ce qui donnerait une écriture de ce type : ∃ A, ∃ B / 1A, 1B / f (a) = b Autrement dit tu remplaces les sauts diachroniques par « / » et la différenciation diachronique haut/bas devient synchronique gauche/droite ? Oui, c’est une façon de représenter la différence avant/après, comme l’on représente le temps en abscisse pour décrire un mouvement. Si j’insiste un peu lourdement, c’est pour montrer que le mathématicien ne se débarrasse pas si facilement du temps ou, plus primitivement, de la diachronie. On peut convenir d’éluder la déclaration / 1A, 1B / comme allant de soi, un acquis culturel faisant découler implicitement l’identité de la déclaration d’existence, toujours est-il qu’il y a dans tout discours du mathématicien, au minimum une partie déclarative ∃ A, ∃ B qui précède explicitement (i.e. : à gauche de) la proposition elle-même. Et cette scansion élémentaire, elle, n’est pas réductible… Nous en revenons à Gödel ? Oui ! Quand je te disais que la dichotomie initiale synchronie / diachronie allait se propager de proche en proche et affecter toute la construction… Prenons pour acquis cette déclaration implicite de l’identité des objets et passons à l’autre © Alain SIMON

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règle fondamentale de la théorie. Règle d’associatvité : Considérons maintenant l’enchaînement de 3 morphismes constitués à l’aide de 4 objets, ce qui nous donne les schémas suivants :

Fig. rrrr Un enfant pourrait vérifier, à l’aide des schémas suivants, que l’on arrive au même morphisme final pour lier A à D quelle que soit la façon d’enchaîner les applications : • soit en associant (g ο f) pour lier A à C et ensuite h, pour passer de C à D ce qui s’écrit h ο (g ο f) repéré en ii sur le schéma, • soit en exécutant f pour passer de A à B, puis faire l’action combinée ( h ο g ) pour passer de B à D, ce qui donne (h ο g) ο f, repéré en iv.

Fig. jjj C’est la règle d’associativité : h ο g ο f = (h ο (g ο f ) = (h ο g) ο f

Fig. ggg Tout ceci semble couler de source, qu’aurais-tu à en dire de particulier ? En fait, l’emploi des parenthèses n’est pas nécessaire parce que l’écriture h ο g ο f porte en soi le séquençage nécessaire et suffisant pour déterminer l’enchaînement des tâches, © Alain SIMON

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une fois pris en compte notre réserve précédente, à savoir que les identités des objets sont implicitement déclarées d’entrée de jeu, avant d’avancer la proposition (i.e. : B passe de codomaine de f à domaine de g). Si par exemple la fonction d’ensemble est v = « faire la vaisselle », avec f = « laver » , g = « rincer » et h = « sécher », alors v = h ο g ο f, sans ambiguïté. Sécher la vaisselle avant de la laver n’aurait aucun sens ; mais l’association (« laver » puis « rincer ») et ensuite « sécher » n’apporte rien de particulier, puisque le séquencement est déjà explicite dans l’écriture. Nous avions vu que l’on s’intéresse peu, finalement, aux « objets » que nous traitons : l’utilisation du singleton nous permettant de ne retenir que le nombre de leurs éléments, en évacuant, si je puis dire leur substance dans l’application. Cette règle associative enfonce le clou en nous disant que la forme de cette application nous indiffère également : seul compte la figure finale, qui nous ramène à celle d’un morphisme élémentaire, une fois gommé toutes les étapes de sa constitution. Si le but est de laver la vaisselle, seul compte in fine le passage de A = vaisselle sale à D = vaisselle propre. Les auteurs de « Conceptual Mathematics » insistent sur ce point, car il marque profondément la façon de travailler avec l’outil morphisme, ce qui renforce singulièrement notre façon « entropologique » de comprendre une « fonction » comme un concept diachronique, c’est-àdire une action en suspend. Tu peux développer ? Je reprends leur exemple : considère un endomorphisme dans l’ensemble des entiers naturels N, avec cette règle : f = « prendre un élément, ajouter 1 et élever au carré ». Une vue partielle du morphisme peut être celle-ci :

Fig. hhhh Considère maintenant une autre règle g = « élever au carré un élément, le doubler, ajouter les deux résultats, ajouter 1 », alors la vue partielle du morphisme, limité aux mêmes éléments de base conduit à ceci :

Fig. hh22 Du point de vue de la théorie des Catégories, les deux morphismes f et g sont identiques. Mais il n’y a rien d’extraordinaire à ça : tu viens d’utiliser l’équation La différence tient à ce qu’ici on s’intéresse au résultat auquel conduisent les règles f ou g, et non à leurs propriétés intrinsèques. Ton équation est un discours (synchronique) ce référant aux propriétés d’un processus (diachronique), par lequel tu transformes un élément x. Le morphisme prend en compte l’élément de départ, celui d’arrivée (tous deux synchroniques) et le lien (diachronique) entre les deux. Mon attitude ex post est ici pleinement assumée, conceptualisée : je prends du recul pour voir le résultat du processus de transformation, sans m’arrêter à sa description. Ce qui garde cet aspect indéterminé propre au concept de « diachronie », qui n’est pas théorisé dans ton équation. Tu retrouves là encore une différence © Alain SIMON

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sensible dans la conception du temps et de la stabilité : le morphisme permettant le changement d’une règle par une autre, non limité à ce qui est explicite, toutes les potentialités sont offertes, alors que ton équation les « détermine ». Il y a comme un effet de « décohérence » dans ce signe égal de l’équation qui actualise une potentialité. Cette ouverture potentielle du lien est proprement ce qui fait la force de l’approche procédurale adoptée ici. J’insiste sur ce point, parce que j’ai trouvé dans certains ouvrages sur les Catégories quelque légèreté en la matière, jusqu'à définir une Catégorie comme un ensemble « d’objets et de flèches » par exemple. Non, la notion de « flèche en soi » n’a aucune signification à ce niveau de la théorie, si l’on ne précise pas les objets qu’elle relie ainsi que la différence de nature entre l’origine et la cible. L’objet fondamental de la théorie, c’est le morphisme et non pas d’un côté les objets, de l’autre leur liaison… Cette imprécision tient sans doute au fait que la théorie traite les graphes comme d’une Catégorie particulière, plus complexe que celle des Ensembles. L’effet pervers c’est de traiter le morphisme comme un graphe au risque d’une confusion entre référé (le graphe) et référant (le morphisme), qui doivent être vus à des niveaux Imaginaires différents. Il importe d’autant plus d’y faire attention, que nous aurons ensuite à parler des foncteurs, qui sont des morphismes dont les objets sont des Catégories. Nous avons ainsi une sorte de construction fractale de l’ensemble des mathématiques, d’où l’importance de ne pas tout aplatir en se prenant les pieds dans le tapis dès les premiers pas ! Notre façon de voir nous prévient contre toute tentative de « mise à plat » de la théorie des Catégories. En retour, celle-ci enrichit notre propre « entropologie », en nous faisant réfléchir aux mécanismes élémentaires par lesquels nous développons notre Imaginaire. Peux-tu sortir des généralités et avancer un peu avant que le lecteur s’endorme ? Je veux parler de la multiplication et de la division.

De la multplicaton :

Assez curieusement, les auteurs de « Conceptual Mathematics » introduisent leur ouvrage par une réflexion sur la multiplication en revenant, eux aussi, aux travaux de Galilée sur le mouvement. – Comment vas-tu te sortir de leur morphisme initial, définissant le mouvement comme une application du temps vers l’espace comme ceci ? TEMPS mouvement ESPACE

Fig. mmmm Cette question m’a bloqué pendant des mois ! Alors que je me sentais une certaine proximité avec des auteurs qui, comme moi, remontaient à Galilée, voilà que d’entrée de jeu, leur premier exemple bouscule toute mon approche ! Il m’a fallu méditer longtemps sur les apports de cette théorie pour revenir m’occuper de ce caillou coincé dans ma chaussure dès le début ! Le problème tient à ce que le domaine d’un morphisme est par nécessité un objet, donc synchronique, alors que le temps est fondamentalement un concept diachronique… © Alain SIMON

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Mais à ce point de notre réflexion, dire ceci n’est-ce pas déjà répondre ? Tu veux parler de ce déphasage synchronique/ diachronique entre l’expérience du physicien et sa représentation mathématique ? Exactement ! Revenons en détail à ce bloc-notes qui a servi à ma démonstration. Pour « voir » le point mobile bouger, il me suffit de feuilleter les pages (en Ik) qui chacune sont marquées d’un point, et le sentiment de « mouvement » vient de leur superposition sur le bloc (en Ik+1). Pour cela, je n’ai pas besoin du langage : un chien verra le même mouvement que moi. Maintenant comment en « parler » de façon rigoureuse, avec la possibilité de faire des mesures ? L’espace fixe auquel je rapporte le mouvement, est bien entendu la surface du bloc. Quand au temps il me suffit, nous en avons parlé, d’avoir la notion de successeur et de repérer par un indice le rang de chacune des pages que je rabats sur mon bloc. Pour être cohérents, décrivons cette opération par un morphisme. • Le domaine c’est le « BLOC-NOTES » dont les éléments sont les {pages} utilisées ; • Le codomaine c’est l’ensemble N des entiers naturels, ou bien, de façon plus primitive comme sur le schéma précédent, une série de marques ou d’indices qui ordonne nos pages telle que {« top départ », « juste après », « top arrivée »}. Nous l’appellerons « CHRONO » pour chronométrage. • L’application, c.-à-d. le mouvement diachronique entre les deux, est proprement la transformation du mouvement consistant à passer d'une page à l'autre de notre blocknote (domaine de la physique) au repérage de l'indice des pages (langage mathématique) : BLOC-NOTES temps

CHRONO

L'instant présent qui s'inscrit dans une succession temporelle devient actualisation d’une potentialité (c.-à-d. repérage d'un indice parmi l’autres) dans notre repérage chrono. Ce faisant, je restreins ma description d'un phénomène en devenir, virtuel par essence puisque le futur n'est jamais sûr, aux potentialités que je détermine par mon langage pour en rendre compte. Ensuite, je peux appliquer chacun des éléments de mon « CHRONO », au repérage spatial du point sur la feuille indicée. Ce second morphisme est alors : CHRONO mouvement ESPACE Ainsi, j’ai réifié le concept de temps, pour pouvoir en parler et retrouver le discours des auteurs. Je remarque que le concept de temps régresse, selon ton expression, (i.e. : transformation synchronique => diachronique) au contact du Réel, tandis que celui d’objet régresse au contact du Sujet. C’est une grande question, qui nous conduirait bien loin de la théorie des Catégories. Je te propose de la garder en mémoire et d’avancer dans notre exploration, quitte à y revenir en chemin. Maintenant que nous avons évacué cette question liée à la réification du temps, nous pouvons suivre nos auteurs dans leur démonstration. L’idée c’est que Galilée a porté son attention sur deux types de mouvements : • horizontaux, avec des plans de moins en moins inclinés ; • verticaux, avec la chute des corps. Ses travaux sur les plans inclinés vont le conduire au principe d’inertie. De ses expériences sur la chute des corps, il déduira d’une part que tous les corps tombent de la même façon, © Alain SIMON

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indépendamment de leur poids, et d’autre part que leur vitesse s’accélère avec le temps. Mais il en restera là, gardant l’idée Aristotélicienne que les corps pesants sont attirés vers le « centre des graves ». La réflexion de nos auteurs porte sur la méthode employée : Galilée ramène la question générale du positionnement d’un corps dans l’espace à celui d’un repérage sur un plan horizontal et une ligne verticale. Autrement dit, il a décomposé son problème général en deux plus simples ; cartésien avant l’heure. Si par exemple, je veux définir la position d’un oiseau dans l’espace, je peux repérer son ombre portée sur le sol comme ceci :

Fig. dddd tandis qu’un observateur (q) pourrait rapporter sa hauteur (p) à une perche plantée perpendiculairement au sol, comme ceci :

Fig. eeeee Autrement dit, l’espace est représentable à l’aide de deux morphismes :

Fig. ffff C’est de cette façon qu’il faut introduire la notion de « multiplication des objets ». De ce point de vue le « volume » est véritablement le « produit » d’un plan et d’une droite, en comprenant ce terme de « produit » dans le sens où une procédure « produit » un objet. Je dirais plutôt que le volume est décomposable en deux entités plus élémentaires : un plan et une droite. C’est toute la question. Mais pour en discuter, il faut remettre ceci dans notre perspective. Dans nos deux morphismes, « Espace » est en position de source, « Plan » et « Ligne », en position de cible. Autrement dit je rapporte mon jugement sur la position dans l’espace de

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mon oiseau, à deux « cibles », ou critères indépendants : un repérage dans le plan et une hauteur. C’est-à-dire que : • R < Iespace < Iplan < Im < S • R < Iespace < Iligne < Im < S D’une certaine façon, l’espace tel que le vit mon oiseau, est plus proche du Réel, de R que mes concepts de plan et de niveau : il se moque complètement de ce que je dois faire pour le situer dans l’espace. Cependant, lorsque j’imagine que VOLUME = PLAN X LIGNE, j’ai plutôt l’idée de la décomposition d’un concept en deux autres plus élémentaires. Pour que l’idée même d’une multiplication ait un sens, il faut bien avoir à l’esprit quelque niveau commun pour y rapporter une telle mesure. Autrement dit quelque chose de ce genre : Iligne < Iplan < Ivolume < Im. Je complexifie mes représentations de niveau en niveau… Oui et non. Objectivement, ton oiseau est dans l’espace physique, mais tu n’as pas d’autre moyen pour le repérer que de décomposer son mouvement en deux : une ombre portée et un niveau, c’est une question d’ordre pratique. Maintenant, pour que cette double mesure « ait un sens », il faut effectivement que tu puisses imaginer leur conjonction, et là ta question touche à la structure de ton Imaginaire. Revenons à notre scène de théâtre, avec un miroir renvoyant du côté cour ce qui se passe du côté jardin. Mon expérience semble tirer du Réel des objets de plus en plus complexes, qui se structurent et s’organisent de niveau en niveau (point, ligne, surface, volume), nous sommes chez Descartes, et le scientifique développe son langage au fur et à mesure qu’il enrichit ses observations. C’est l’aspect taxinomique de son activité, la première phase de son travail, dont nous parle Foucault, l'entendement de première espèce de Spinoza. Ensuite vient la phase de recherche des mécanismes qui expliquent cette diversité. Nous sommes toujours avec Descartes, mais tu remarqueras qu’il évoque la possibilité d’imaginer ce qu’il n’expérimente pas, pour donner cohérence à sa reconstruction. Et là, l’acteur quitte le côté jardin pour se focaliser sur le côté cour. Il recherche les invariants derrière la diversité, explore son langage, et détermine les meilleures grilles d’observation, les critères de choix pertinents au regard de son expérience, faisant alors le parcours inverse (volume, surface, ligne, point). Tu veux dire que tu en reviens à la question du choix ? Oui, mais cette fois-ci le choix concerne non pas l'objet lui-même, mais la façon d'en parler. Nous retrouvons ici la discussion que nous avons eue concernant nos paires de chaussures et de chaussettes. J’ai quand même l’impression de perdre quelque chose en remontant ainsi, diachroniquement du volume au plan et à la ligne. Doit-on s’en étonner ? Car enfin, dire que l’on monte dans notre Imaginaire, et que l’on tend à unifier notre pensée vers des concepts de plus en plus englobants, jusqu’à l’opposition existentielle être ou ne pas être (i.e. : ∃ / {}) au contact du Symbolique, générant la dichotomie Imaginaire fondatrice (0/1), il faut bien pour cela s’éloigner du Réel et perdre en route ce qui fait l’épaisseur et la richesse de notre Imaginaire ! Ça ne me satisfait guère : d’un côté, tu parles d’une descente diachronique comme d’une régression, et maintenant, tu me dis que l’Imaginaire s’appauvrit dans la montée! C’est toute l’ambiguïté du mouvement diachronique : en nous élevant vers le Symbolique nous nous éloignons du Réel. En le « théorisant » nous perdons en sensibilité vécue et à l’inverse, lorsque nous nous en rapprochons, nous perdons la possibilité de le maîtriser : à la limite le trauma nous trouve sans réaction. Maintenant, je parle de régression lorsqu’un concept, considéré comme synchronique, se dissocie en deux concepts duaux, dont l’un n’est plus repérable que comme une « fracture » entre deux niveaux synchroniques. Pour un morphisme il s’agit de l’application, pour le © Alain SIMON

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mouvement, c’est le temps. En ce sens, le concept d’objet (synchronique), résultant d’un choix (diachronique) du Sujet est une régression à partir du niveau Symbolique, hors discours. C'est la première régression, la plus haute également, celle qui institue l’objet comme référé rationnel du discours, c.-à-d. le choix du Sujet en position ex post, seulement conditionné par son système Symbolique : IA < Im < S < DM. Par opposition, la dernière régression, la plus primitive, au contact du Réel, celle qui subsiste en deçà du discours, c'est le temps, que notre cerveau perçoit en prenant conscience de... quoi que ce soit11. Ici la question ne se pose pas en ces termes. Lorsque l’on projette l’ombre d’un volume sur une surface, il n’y a pas « régression » au sens où je l’entends puisque les deux concepts restent synchroniques. La seule question qui importe c’est de s’assurer que l’ensemble des projections (i.e. : sur un plan et une ligne) offre une certaine cohérence. Pour être explicite : Soit Imouvement le niveau où je repère mon oiseau, Iligne et Iplan ceux où je conçois mes critères de repérage et Iéther celui où je conçois la cohérence des critères que je choisis, alors : • Imouvement < Iplan < Iéther < Im • Imouvement < Iligne < Iéther < Im Ce dont nous parle la théorie des Catégories, avec le concept de produit, c’est de morphismes construits sur les deux premiers niveaux : • Imouvement < Iplan (< Im) • Imouvement < Iligne (< Im) Soit, mais il reste encore une question à traiter. Tu as insisté pour dire que tout acte de création est non rationnel puisqu’en relation avec le Symbolique, et qu’il suit la forme canonique des mythes. Or, ici, il y a bien création d’un concept tel qu’« espace » à partir de ses projections (plan, ligne) mais je ne vois rien de mythique dans l’opération. La création de Galilée, c’est proprement le moment où l’idée de repérer un point en mouvement par sa projection sur une surface et une ligne, germe dans son cerveau. Il s’agit donc bien d’imaginer la possibilité d’une convergence entre deux concepts. • Iplan < Iéther < Im • Iligne < Iéther < Im Maintenant, pour répondre à ta question, comment décrire l’acte de Galilée par la forme canonique ? Autrement dit : à quel besoin répond cette création ? Car il y a toujours un besoin ressenti, ou une volonté à la base. Archimède trouve son principe, poussé par la nécessité de répondre au besoin de son ami Hérion II, le tyran élu de Syracuse : « ma couronne est-elle faite d’or pur ou bien contient-elle du cuivre » ? L’idée naît en réponse à l’impossibilité de fondre la couronne pour en mesurer le volume et calculer sa densité. L’acte de création d’Archimède, c’est de comparer un solide indéformable et un liquide déformable et de s’interroger sur le rapport entre forme et volume. Dans le cas de Galilée, il s’agit de la difficulté à concevoir un mouvement parabolique. N’oublie pas l’époque ! Nous en sommes encore à l’idée d’un mouvement parfaitement ordonné du monde céleste, s’opposant au monde sublunaire corruptible où l’on parle de la « chute des graves », la Lune étant la frontière entre les deux systèmes. Cette mécanique céleste se conçoit dans le cadre de la géométrie Grecque, réduite aux figures dessinées à l’aide de la règle et du compas. Le tableau se lézarde quelque peu, lorsque Galilée repère des variations dans l’image de Saturne et des taches solaires en 1610, dans le même temps où Képler énonce ses trois lois à partir des observations de Tyco Brahe. Mais tout ceci est encore très frais même si le passage de trois comètes dans les cieux en 1618 ajoute au doute quant à 11 Avec une si belle opposition, il ne doit pas être bien difficile de trouver un mythe philosophique dans lequel s'articulerait les deux oppositions temps / objet et Réel / Symbolique. Je vous laisse y méditer !

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l’incorruptibilité des cieux. Ce qu’ose Galilée, dans cette période de remise en cause, c’est le mariage incestueux entre un mouvement parfaitement régulier sur une surface, assimilable aux « sphères célestes » centrées sur la Terre -qu’il imagine sphérique- nous parlerions d’équipotentielle, et d’autre part une force perpendiculaire, qui attire tous les corps vers le « centre des graves », c’est-àdire le centre de cette même Terre. Il subvertit l’ordre ancien en liant deux logiques inconciliables : les mouvements célestes ET sublunaires pour expliquer le mouvement d’un corps. La postérité n’a retenu que le principe d’inertie du premier mouvement, il faudra attendre Newton pour définir la gravité, qui règle le second. Maintenant comment retrouver l’action mythique derrière la création ? Quelle impossibilité Galilée a-t-il niée ? Tout simplement le classement céleste / sublunaire : il en vient à l’idée que tout corps procède des deux systèmes, de même que les Jivaros reconnaissent qu’une femme peut être potière et jalouse. Nous avons du mal à imaginer l’audace qu’il lui a fallu pour faire ce pas de géant. Une fois cette barrière abattue, l’espace devient homogène et Newton pourra parler de l’éther comme du milieu dans lequel les objets se meuvent. Autrement dit, le repérage, physique si l’on peut dire, d’un oiseau dans l’espace, nécessite de pouvoir imaginer cet espace lui-même comme un « éther », unifié. Tu vois clairement je l’espère cette démarche double, comme en miroir, de l’Imaginaire qui s’élève en même temps qu’il se focalise sur le Réel. Sauf que le concept d’éther est remis en question… Chaque chose en son temps : nous venons juste de quitter Galilée pour Newton ! Il faudra ensuite que Descartes observe une mouche se déplaçant sur les carreaux d’une vitre pour avoir l’idée d’une correspondance entre géométrie et arithmétique et amorcer la suite. Comme tu le vois, les idées ne viennent jamais directement du Réel, mais toujours d’une réflexion sur nos modes de représentation, c’est-à-dire grâce au langage. Et pour en discuter, nous nous échappons à un moment ou l’autre du langage lui-même, aussi fondamental soit-il, y compris de cette théorie des Catégories, pour la simple raison que nous ne pouvons pas nous limiter à la rationalité du Sujet. Une fois les efforts de l’accouchement oubliés, nous restituons la construction devenue familière comme une mécanique bien huilée, cartésienne pour tout dire, dans laquelle les parties s’assemblent du plus simple au plus complexe, et l’instituteur expose le passage du point à la ligne, puis à la surface et au volume pour enseigner la géométrie aux enfants… La théorie des Catégories, ne s’occupant que de l’aspect purement formel des objets, se moque de tout ceci. Elle en reste à notre régression initiale, celle qui fait dépendre l’objet du choix du Sujet. Tout le reste n’est alors que métaphores, se ramenant à la figure initiale par des morphismes. Mais comment fais-tu le lien avec l’acception commune de la multiplication des nombres ? Je vais une fois encore suivre l’exemple pris par les auteurs dans leur introduction. Prends un restaurant qui sert un ensemble de « menus » tous composés d’une entrée et d’un plat principal. • Entrée : {soupe, pâtes} • Plat principal : {steak, veau, poulet} Menus Soupe, steak Soupe, veau Soupe, poulet

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Pâtes, steak Pâtes, veau Pâtes, poulet

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Plat principal Steak Veau Poulet

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Soupes

Pâtes Entrées

Fig. jjj Nous sommes bien dans une construction comparable à la précédente. Nous avions Volume = Surface x Ligne, comme nous avons ici Menu = Entrée x Plat principal :

Fig. kkk Tu vois bien que l’objet « menu » est ici défini au-delà de toute possibilité d’une « mesure » au sens où le volume est le produit d’une surface par une longueur… C’est l’objet lui-même et non sa mesure, qui est véritablement vu comme le produit de ses projections. Sous forme logique, la multiplication est à rapprocher du « ET » : un menu est composé d’une entrée (élément de A) ET d’un plat principal (élément de B). Sous forme de morphismes, en me prenant comme unique élément de C, celui qui choisit, nous avons :

Fig. ggg Nous avons vu qu’il y a autant de morphismes différents que d’éléments de la cible (A ou B) associées à l’unique élément du singleton (ici C), donc : 2 possibilités d'un côté et 3 de l'autre nous mène à 6 possibilités :

Fig.lll En fait, toute notre discussion nous a permis de décanter notre Imaginaire de tous les attributs de l’objet, pour n’en garder que le plus fondamental : son existence, dépendant de mon choix, repérable par un simple point. Strip-tease difficile tant nous sommes conditionnés par notre culture, mais reconnais que la figure finale est très simple et qu’un enfant, ne connaissant rien à l’arithmétique arrive à comprendre qu’en choisissant un élément parmi 3 d’un côté et un autre parmi 2 de l’autre, il peut construire 6 objets différents. Dans ta façon de retrouver le sens commun attaché au concept de produit, il me © Alain SIMON

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semble que tu vas un peu vite en besogne. Certes, je peux considérer qu'un menu soit le résultat du choix d'une entrée ET d'un plat principal ; toutefois, ce n'est pas la même chose de commencer par l'un ou par l'autre... Tu as raison : contrairement à la multiplication sur les nombres, qui est réflexive (i.e. : 3 X 2 = 2 X 3) la multiplication des objets ne l'est pas. La théorie des Catégories préserve une dissymétrie droite/gauche comme la trace d'une différence diachronique. Dans l'exemple du menu, il s'agit de la succession temporelle dans l'ordre d'arrivée des plats. Nous allons préciser tout ceci en considérant l'opération inverse de la multiplication : celle qui nous fait passer du produit à ses projections.

De la division : Isomorphisme et foncton inverse J'ai dit que nous ne nous intéressions pas à la substance des objets, seulement à leur structure. Mais comment exprimer la similitude de deux objets A et B au regard de la théorie alors que la mise en rapport de A et B à l'aide d'un morphisme instaure d'entrée de jeu une différence de statut (i.e. : domaine/ codomaine) ? Soit par exemple A = {mother ; father ; child} et B = {feather ; stone ; flower}

Fig.ggg Ce qui vient à l'idée, c'est que nos deux objets sont composés chacun de trois éléments, mais faisons abstraction de cet acquis culturel, restons à un niveau plus élémentaire de la pensée, où nous n'avons pas encore la notion de nombre. En procédant par élimination, nous pouvons dire qu'il est possible de les associer dans un morphisme f en appliquant à chaque élément de A un élément de B comme ceci :

Fig.ttt Si nous cherchons à caractériser l'application entre A et B du morphisme f, il est évident que nous devons exclure celles qui conduiraient à ce type de morphisme :

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Figkkk ou encore à cet autre :

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Fig.ddd La propriété qui différencie notre morphisme f des autres, c'est la possibilité d'avoir un morphisme inverse, soit g, qui appliquerait les éléments de B à ceux de A de cette façon :

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Fig.jjj Pour établir une symétrie entre les deux morphismes, il faut donc qu'ils soient tous deux imaginables à un certain niveau commun, n'est-ce pas ? C'est même plus radical que ça : en explicitant ou en repérant un isomorphisme entre A et B, je crée la possibilité de leur coexistence à un niveau Imaginaire commun, que je nomme IAB. Ils sont alors dans ce que j'ai appelé une relation de jeu.

Nous en sommes à Descartes, lorsqu'il imagine un isomorphisme entre la géométrie et les nombres réels : Fig.lll Nous avons donc un pur énoncé synchronique et nous avons évacué toute trace de dissymétrie entre A et B. Pas tout à fait : dire que le niveau IAB est celui où A et B sont semblables, c'est dire qu'en dessous de ce niveau, les liens qui s'y s'explicitent (nécessairement synchroniques) doivent dégénérer en un mouvement (i.e. : synchronique/ diachronique). • En partant de A, pour passer à B et retourner sur A, nous avons : g ο f = 1A • Réciproquement, en partant de B, nous avons f ο g = 1B. Nous avons une double identité, à droite et à gauche, qui peut être vue comme la trace du mouvement qui enchaîne g après f ou bien f après g. La dissymétrie temporelle, de l'ordre de la succession, devient spatiale en IAB car en général : g ο f ≠ f ο g. Ce sera peut-être plus explicite à l'aide d'un schéma : f

IAB

g

B

A

A

B

g

A

f

B

1B

1A

f

g

B

g

f

A

A

B Fig.eee

Ceci noté, l'isomorphisme se caractérise par les propriétés suivantes : • Réflexivité : A est isomorphe à A

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• Réciprocité : si A est isomorphe à B, alors B est isomorphe à A • Transitivité : si A est isomorphe à B et B à C, alors A et C sont isomorphes. Il n'y a pas de difficulté à établir que ceci découle de nos deux règles constitutives, à savoir l'identité et l'associativité. En ce qui concerne les morphismes eux-mêmes, nous dirons que g est l'inverse de f, en le notant : g = f -1. Montrer que f -1, s'il existe, est unique n'offre pas non plus de difficulté particulière. Maintenant, tu vois sans doute la difficulté qu'il y a pour comprendre f -1 comme une pure et simple « régression » de B vers A. Développe un peu, car je suis perdu. Revenons au vol de cet oiseau que l'on repère dans l'espace. Le référé dernier du discours, c'est la position de l'oiseau dans le ciel, notre discours lui-même se décompose en deux branches parallèles, l'une traite du repérage de son ombre, l'autre de son altitude. Et la cohérence des deux, nécessite de développer un méta-discours, c'est ce que nous avons repéré comme l'éther dans le discours de Newton. L'organisation Imaginaire de tout ceci peut se schématiser ainsi : Espace

Iéther f -1 Imesure

Ligne

1E

Surface

f Ioiseau

Espace

Fig.sss En définissant l'espace comme le produit d'une surface et d'une droite, tu as bien vu que nous avions laissé complètement de côté toute une partie de la représentation (figurée ici en pointillé) qui assure la cohérence de ce produit. Dans cet exemple, je n'ai personnellement aucune difficulté à conceptualiser le volume en 3D, comme le produit d'une surface en 2D et d'une ligne en 1D car j'y suis culturellement conditionné, de même pour imaginer qu'un menu puisse se composer d'une entrée et d'un plat principal, et cette évidence aplatit la démarche. Mais qu'en serait-il du produit d'un fer à repasser et d'une machine à coudre ? Nous en resterions à l'étonnement de Foucault12 : comment faire le lien entre les animaux « dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau » et ceux « qui viennent de casser la cruche » ? En comparant ce schéma au précédent, tu comprendras maintenant pourquoi j'insiste tant pour dire que f et f -1 n'intéressent pas les mêmes niveaux Imaginaires... Mais est-ce d'une quelconque importance pour le mathématicien ? Oui, car cela rend évident qu'il puisse y avoir un décalage entre ce qui est conceptualisé, au niveau du méta-discours et au niveau du référé. Ceci est très perceptible autour de tout ce qui concerne le zéro ou l'infini. Par exemple 5x0 est concevable, mais pas l'inverse 5/0, qui reste indéterminé. Je n'en développerai pas les conséquences, qui n'offrent pas de difficulté particulière de notre point de vue et relève de la pure technique mathématique. 12 En introduction de son ouvrage « Les mots et les choses », Foucault commente une liste d'animaux que Borges a tirée d'une « certaine encyclopédie chinoise ».

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Par contre, ayant pris ce décalage en compte, la théorie des Catégories nous permet de préciser la façon que nous avons de contrôler la cohérence de notre architecture Imaginaire. Contrôler ? Oui, bien sûr. Revenons à l'acte créateur de Galilée, qui par une voie ou une autre arrive à concevoir qu'un mouvement puisse procéder de la gravité ET de l'inertie. Nous y avons vu le résultat d'un processus mythique mais encore faut-il que cette théorie puisse faire l'objet d'une discussion. Autrement dit, il faut pouvoir vérifier la correspondance entre la théorie, et notre expérience du Monde. Tu en reviens à Popper et au concept de falsification ? Sans doute, ou bien à Dirac : « only questions about the results of experiments have a real significance and it is only such questions that theorical physics has to consider 13». Mais sans aller si loin, remarque comment l'enfant fait des expériences spontanément. Il confronte ses connaissances à la réalité en jouant, d'instinct. Nous en revenons toujours au jeu du fort/ da et à l'automatisme de répétition de Freud: le petit Ernst rejette (f) la bobine (A), elle disparaît (B), il tire sur la ficelle (autrement dit l'opération inverse f -1), elle réapparaît (A). Ou plus précisément : elle réapparaît à la place où il l'attendait ; et son plaisir nait de voir la réalité coller à l'idée qu'il s'en faisait14 ! C'est l'essence même du morphisme identité (1A) dont nous avons longuement parlé. Et les allers-retours, sont un enchaînement de mouvements qui enkystent l'image de A dans les synapses du cerveau de l'enfant, à force de répétitions : ... f -1ο f ο f -1ο f ο f -1ο f ο f -1ο f = 1A Tout ceci ne nous apprend pas grand chose... Ça nous offre cependant une perspective intéressante pour la suite. Choix et déterminaton Nous avons parlé à plusieurs reprises du « choix », pour en arriver au constat que la multiplication se résume au calcul du nombre de choix qui s'offrent à moi. Cette approche est proprement un apport de la théorie des Catégories, puisque c'est en germe dans la définition même d'un morphisme. Dans la figure sss ; le repérage de l'oiseau , vu en Ioiseau est rapporté en Imesure : c'est dire que le discours est rationnel et f est une question de choix, au sens que nous venons de rappeler. Maintenant, en prenant le recul nécessaire pour considérer non plus deux mais trois niveaux Imaginaires, je peux me poser la question de la pertinence de ma mesure en Imesure. Je suis toujours dans la rationalité du discours, puisque f -1 est un discours rapportant Imesure au niveau Iéther... Mais ce recul change la portée du discours. Pour prendre un exemple simple : ce n'est pas la même chose de déduire un théorème à partir d'un ensemble d'axiomes ou de parler de la cohérence de cet ensemble axiomatique. Et bien, la différence entre f et f -1 est de cet ordre, et le problème n'est plus de choisir un objet, comme précédemment, mais de déterminer les critères de mes choix. Cette distinction choix / détermination n'est pas limitée au cas où l'un des deux objets se retrouve aux deux niveaux Imaginaires extrêmes, mais peut se généraliser. Ce qui compte en fait, c'est de prendre conscience de la différence diachronique entre niveaux, d'où la problématique générale suivante : Problème de « choix » : Soit deux morphisme g et h, trouver un morphisme f tel que h = g ο f

13 « The principles of quantum physics » de P. A. M. Dirac. 14 Je fais une analyse différente dans « l'Homme Quantique » à l'aide de la structure sénaire abellienne, car mon approche restait ensembliste. Ici, nous déconstruisons cette structure synchronique en reconsidérant la même situation dans une contexte plus élémentaire : nous nous intéressons à la genèse de la structure...

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Fig.qqq Problème de « détermination » : Soit deux morphismes f et h, trouver un morphisme g tel que h = g ο f

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Fig.zzz Le mathématicien ignore ton approche et je ne vois pas d'axe diachronique. Bien entendu : nous sommes ici à un niveau tel que je puisse à la fois représenter A, B, C ainsi que les morphismes f, g, h qui les lient. Comme nous l'avons déjà vu, la hiérarchie diachronique se retrouve dans la disposition spatiale (synchronique) gauche / droite. Mais ton approche permet-elle de donner une certaine évidence à ces définitions ? J'avoue qu'il m'a fallu beaucoup de temps pour arriver à ce sentiment d'évidence. Et très sincèrement, sans les béquilles de ma propre approche, je n'aurais jamais retrouvé le sens des mots utilisés. Reprenons un problème de détermination très simple présenté par nos auteurs. Soit B un objet avec un seul et unique élément. Alors g pointe sur C un seul élément, quelque soit par ailleurs l'élément de départ pris en A. Nous avons un schéma de ce type :

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Fig.hhh Comme tu le vois, quelque soit l'élément de départ, s'il existe une solution au problème posé, de toute façon, tu arrives toujours au même élément final. h(x) = (g ο f) (x) = g(f(x)) = g(b) Un morphisme h de ce type est appelé une constante. Et bien moi, je trouve que ce schéma correspond tout à fait à ce que l'on peut appeler une idée fixe : Si tu filtres ce qui te reviens du Réel, selon un critère unique, tu ne vois que ce que tu imagines et non ce qui remonte de ton expérience. J'utilise cet exemple comme un moyen mnémotechnique pour me souvenir de ce que l'on entend par « problème de détermination ». Les auteurs proposent un exemple simple pour fixer les idées : posons nous la question de savoir si le port du chapeau dans une classe d'étudiants est déterminable par leur sexe. Cela revient à dire qu'en connaissant le sexe d'un étudiant, je pourrais en déduire s'il va ou non porter un chapeau. Ce qui nous donne un schéma d'ensemble suivant :

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Fig.kkk Pour voir si une telle règle g est pertinente, il suffit de vérifier pour chaque étudiant de la classe si nous avons : h(x) = (g ο f) (x) ; ce qui n'offre pas de difficulté sur un ensemble fini d'éléments. Cet exemple illustre bien, à mon sens, la volonté du Sujet d'utiliser B comme critère pour caractériser A ou, dit d'une autre manière, de regrouper les éléments de A sous ce critère B. Le « problème de choix » me semble plus délicat à appréhender. Suivons l'exemple des auteurs pour en discuter. Soit A un ensemble d'habitants, C l'ensemble des villes avec h faisant le lien entre les deux (a de A réside dans c de C). Soit par ailleurs B l'ensemble des supermarchés et g leur localisation dans C (b de B est localisé dans c de C). La question du choix est celle-ci :

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Fig.jjj Les auteurs présentent ainsi la problématique : pour définir f, il suffit que chaque habitant « choisisse » un supermarché localisé dans sa ville. S'il y a au moins un supermarché par ville, il n'y a alors aucune difficulté à trouver f. Qu'est-ce qui te dérange dans cette présentation ? Eh bien, que des éléments de mon discours, définis comme des « habitants », puissent choisir quoi que ce soit ! Ce ne sont que des représentations dont le référé est inatteignable, de l'ordre du Réel. Derrière ce « choix » des habitants, se cache le mien qui les manipule et en fait ce que je veux dans le cadre de ma représentation, limitée aux potentialités que je leur assigne. Dans la réalité, en dehors de ce schéma, certains habitants peuvent se détourner des supermarchés, ce qui n'est pas dicible par le morphisme f. D'autre part, ils peuvent choisir de vivre en autarcie ou s'approvisionner sur les marchés. On voit bien par là que f n'est pas déterminé par les habitants... Même en nous restreignant aux termes de la problématique telle que posée, parler du « choix » des habitants dans ce cadre ne convient pas dans la mesure où chacun n'a d'autre choix que d'aller dans l'un des supermarchés accessibles, c'est à dire localisé dans sa ville (si chacune en est pourvue). Chaque habitant est en position ex ante par rapport à la situation géographique de son supermarché, ce qui ne lui permet pas de faire un « choix » par rapport à ce critère qu'il ne maîtrise pas, irrationnel de son point de vue... La vraie liberté est dévolue à la chaîne de supermarchés, en position ex post qui choisit ou non de s'installer, ici ou là, en fonction de sa clientèle potentielle. Dans le cas précédent de la détermination, je n'avais pas ce problème car je restais, d'entrée de jeu dans la logique d'un discours qu'il s'agissait d'organiser au mieux, en le rapportant plus ou moins explicitement à moi, en position ex post. Que proposes-tu ? De n'oublier en aucune circonstance qu'un choix consiste toujours à rapporter un jugement sur les éléments du domaine (ici les habitants) à ceux du codomaine (en l'espèce les supermarchés), ce qui impose parfois de renverser une vision intuitive des choses. Le Sujet est toujours quelque part derrière la définition d'un codomaine dont la perception peut échapper au domaine. C'est pourquoi le choix est à sens unique : celui qui choisit est toujours derrière la cible ! C'est dangereux ! Non, c'est paranoïaque. « Le Moi a une structure paranoïaque »15, comme le rappelait Lacan. Ce point de vue est-il compatible avec la théorie des Catégories ? Oui, car fort heureusement, il ne s'agit ici que d'une interprétation des auteurs, un sens qu'ils donnent à la scène. D'ailleurs, ils introduisent leur exemple en écrivant : « … pour définir f nous devons choisir pour tout élément a de A un élément b de B de sorte que g(b) = h(a)... ». Plus de peur que de mal, donc. On peut le dire comme ça, mais j'avoue qu'en lisant ça, sur le coup, j'ai été déstabilisé, et ce contre-sens dans l'interprétation, me semble significatif. Il fallait un Lewis Caroll 15 Voir « le retour à Freud de Jacques Lacan : l'application au miroir » de Philippe Julien.

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mathématicien pour imaginer qu'Alice puisse traverser le miroir et rencontrer son double... Pourquoi tant insister ? Parce que ce qui peut sembler ici, pour les mathématiques, un jeu de langage sans conséquence, est pris pour argent comptant par les physiciens, qui dans leur grande majorité croient dur comme fer traiter directement du Réel. Par ailleurs, ce que nous définissons comme problème de choix, nous renvoie à ce dont nous avons déjà discuté concernant nos paires de chaussures et de chaussettes. Ici, avec l'introduction d'un tiers objet, nous sommes de facto dans le cas du choix des paires de chaussures : je rationalise mon choix en le rapportant à un critère explicite, et n'ai plus besoin d'en faire un axiome dès lors qu'il se définit dans le corps même du discours... Rétractation, section Revenons aux cas où les objets initiaux et finaux sont identiques, et où le morphisme h est l'identité 1A ou 1B. Nous garderons à l'esprit que l'écriture des schémas sur le plan, conserve une dissymétrie fondamentale quoique implicite : gauche / droit <=> avant / après. Nous avons les définition suivantes :

La rétraction est un problème de détermination qui conduit à des schémas de ce type :

Fig.lll Où la distance diachronique entre A domaine et A codomaine de 1A se repère par un décalage gauche / droite dans le schéma de gauche. La position intermédiaire de B est encore repérable dans le schéma de droite, par le fait qu'il passe de codomaine de f à domaine de r, mais ce changement de statut de B, non explicité, fait problème, comme nous l'avons relevé. Un schéma plus complet, respectant la hiérarchie diachronique serait celui-ci :

1A

r?

A

f

B

A Fig.mmm Reprenons notre métaphore d'une scène de théâtre. Cette fois-ci nous dirons que B est un miroir qui renvoie à l'acteur situé côté cour (vers le symbolique) l'image de l'objet A situé côté

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jardin (i.e. : du Réel). Pour notre acteur l'image directe de A se superpose à son reflet. Se poser la question r ? revient à se demander si l'image reflétée par B se superpose effectivement à l'image directe de A. Ici, nous sommes sûrs de notre représentation de A, puisque nous affirmons d'entrée de jeu 1A. La question porte donc sur la pertinence de B pour représenter A, ce que correspond bien au sens commun du terme « détermination ». La section est un problème de choix qui conduit à des schémas de ce type :

Fig.zzz Cette schématique ne met pas en relief le point de vue initial d'où l'on part, à savoir le morphisme f à partir duquel s'articule rétroactivement la question posée, et donc la position initial de B au-dessus de A (sur notre axe diachronique). Ce qui donnerait le schéma suivant : A

1B

s?

B

f

B

A Fig.ggg En fait, les schémas de la figure nnn suggèrent plutôt un arrangement de ce type, dans lequel B serait l'objet premier :

1B

f

B

s?

A

B Fig.hhh Il est évident que cette dernière écriture souligne la complémentarité choix/ détermination. Qu'est-ce à dire ? Tout simplement que le mathématicien voyage dans le temps, ou plutôt qu'il ignore toute dissymétrie d'ordre diachronique entre A et B. -

Eh c'est grave ?

-

Pas pour le mathématicien : on sait déjà que son langage écrase toute différence de ce

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type. La question du choix s'impose à lui comme l'image inversée de la détermination : B remplace A et le questionnement porte sur s au lieu de r. Mais pour le physicien, l'interprétation en est plus délicate. Nous avons déjà pointé un certain flou chez les auteurs concernant la définition de ce qu'est un « choix ». Ici les rôles de A et B sont inversés : A le codomaine de s est le filtre de B l'objet initial du discours. Ce n'est plus Lewis Caroll regardant Alice franchir le miroir, mais la sorcière le questionnant : « oh miroir, mon cher miroir, suis-je la plus belle ? ». Rassure-moi : ce questionnement du mathématicien est-il malgré tout compréhensible par le physicien ? Oui, bien sûr mais dans un registre atemporel. Nous avions défini le choix comme un acte purement diachronique d'un Sujet creusant son trou entre un Symbolique et un Réel qui l'enserrent et lui échappent. À partir de maintenant, ce choix est limité à l'actualisation d'une potentialité. C'est dire que nous limitons notre attention à la structure interne de l'Imaginaire. L'erreur serait de prendre ce langage pour la réalité, l'image de la pipe pour la pipe... En conséquence, il faut limiter nos métaphores à des exemples où le choix du Sujet consiste à actualiser un état parmi un ensemble de potentialités déjà là. Nos auteurs peuvent ainsi illustrer la différence entre problèmes de détermination et de choix, en comparant les préoccupations de l'herboriste et du gardien de musée. •

L'herboriste, lorsqu'il cueille une plante, cherche à savoir à quelle espèce elle appartient : il se réfère à un dictionnaire et compare son spécimen (A) aux caractéristiques de l'espèce (B) à laquelle il pense pouvoir la rattacher. C'est un problème de détermination.

Le gardien de musée de son côté doit choisir un spécimen particulier dans une collection pour représenter la classe qu'il symbolise. Il faut que les visiteurs en voyant le spécimen (A) pensent à l'espèce (B). C'est un problème de choix.

Les exemples de nos auteurs me semblent bien plus simples que toutes tes considérations précédentes ! Sans doute parce qu'en nous enfonçant dans l'Imaginaire, nous perdons de vu ses rivages Réel / Symbolique ! Lorsque l'herboriste fait sa recherche, dans pratiquement tous les cas, il va finir par trouver l'étiquette qui colle à son spécimen, quoique l'expérience puisse révéler une faille dans son système de classement. Autrement dit chaque fois qu'il arrive à classer sa plante, il confirme la validité du classement. L'objet final est ici appréhendé d'emblée, et la pertinence du classement est remise en cause à chaque test. La confrontation au Réel questionne l'Imaginaire. Par contre, notre gardien de musée limite son choix à ce qu'il possède en collection. Ici, les animaux sont déjà répertoriés et classés d'avance ; il est donc coupé d'un Réel hors des murs, et reste enfermé dans un musée, forcément Imaginaire. L'immense apport de la théorie des Catégories est sans doute de ramener l'infinie variété des problèmes qui nous assaillent à quelques processus extrêmement simples : un problème de choix ou de détermination. Les schémas suivants résument ce qui précède et fixent le vocabulaire :

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Fig.iii Tri et empilement

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