Chapitre IV – Approche entropologique de la théorie des catégories Mais enfin, pourquoi situer ce chapitre après une première intrusion dans le domaine de la physique et non avant ? N’aurait-il pas été plus logique d’aborder le langage de la physique en premier, afin d’en parler plus clairement ? Non, parce qu’il me fallait au préalable développer une première représentation du temps, au plus près de notre expérience, et remonter jusqu’à Galilée qui introduisit le concept dans le domaine de la physique, comme nous l'avons vu. Ensuite viendra l'utilisation des mathématiques pour exprimer une variation dans le temps, que ce soit le mouvement d’un corps dans l’espace, ou même son évolution entropique. Soit, repartons de là. Mais, si j’ai bien compris ta démarche, lorsque j’écris que la distance parcourue est égale au produit de la vitesse par le temps : d = v.t, j’exprime une relation tautologique, à un niveau donné de mon Imaginaire. Tu as bien insisté sur le fait qu’en écrivant ceci, je réifie le concept de temps, et que le signe égal abolit toute dissymétrie d’ordre diachronique, à ce niveau Imaginaire, entre, par exemple : d = v.t et t.v = d. Dès lors, la question du temps reste proprement une affaire de physicien, que le mathématicien évacue en « spatialisant » le concept. C’est précisément pour cela qu’il nous faut revenir à ce hiatus entre l’expérience et son expression. Dès les débuts de la physique classique, c’est-à-dire avec le calcul différentiel dont Leibniz et Newton, se disputèrent la paternité, on n’a cessé de rechercher un hypothétique continu à partir du discontinu. Dès lors, le geste de Galilée rapportant l’oscillation d’un lustre à la fréquence de son pouls est dénaturé, amputé du principe d’incertitude et d’une vitesse limite qu’il porte en lui, comme nous l’avons vu. Tout ceci est enseveli sous les développements de la physique analytique. C’est le sort commun à toute fondation de disparaître au regard, non ? Certes, et il faudra que le Réel nous réveille sèchement, avec l’expérience de Michelson & Morley ou la catastrophe ultraviolette à la fin du XIXe siècle pour les remettre à nu. Ce séisme dans la physique, j’en vois le contrecoup tardif au niveau de son langage, dans le passage de la théorie des ensembles à celle des catégories, entre 1942 et 19451. Avec la théorie des ensembles, jusqu’à Bourbaki, on s’intéresse aux structures des objets que l’on manipule, pour les caractériser, puis les regrouper et en organiser l’architecture. Un peu comme le ferait un entomologiste2. Or, la théorie des catégories marque un changement de paradigme, en ce sens que l’on s’y intéresse aux relations entre les objets du discours plus qu’à leur structure. C’est une rupture qui recoupe celle qu’inaugure Saussure avec sa différence synchronie / diachronie. C’est du moins la thèse que je vais défendre ici. Es-tu sérieux ? De quelle façon pourrais-tu t’inviter ainsi dans un domaine qui dépasse complètement tes compétences ? Comprends-moi bien : je suis parfaitement conscient de mes limites en ce domaine, comme en bien d’autres. Aussi n’abordé-je cette théorie, que pour en tirer quelque leçon quant à notre façon d’articuler notre pensée, et tu verras combien la pêche est fructueuse de ce 1Cette théorie a été mise en place par Samuel Eilenberg et Saunders Mac Lane en 1942-1945, en lien avec la topologie algébrique, et propagée dans les années 1960-1970 en France par Alexandre Grothendieck, qui en fit une étude systématique. À la suite des travaux de William Lawvere, la théorie des catégories est utilisée depuis 1969 pour définir la logique et la théorie des ensembles ; la théorie des catégories peut donc, comme la théorie des ensembles, être considérée comme fondement des mathématiques. 2J’emprunte cette métaphore à Albert Burroni qui l’utilise pour présenter « le concept mathématique de catégorie » lors d’un congrès.
© Alain SIMON
22/09/2017
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