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flávio da silva nogueira

A partir de múltiplos olhares e dos trabalhos repletos de camadas, Lhola Amira rompe a membrana de um espaço predominantemente branco e rico. Amira, mulher jovem, negra, queer e africana, penetra em um ambiente de poder ao marcar presença em diversas residências artísticas pelo mundo. Nas exposições coletivas, participou da 22ª Bienal de Sydney (2020- Austrália); em 2019, na Noruega, integrou a mostra Kubatana, uma exposição composta apenas por artistas africanos; na Suécia, foi convidada para participar do painel de discussão Part of the Labyrinth e, na Ásia, suas obras fizeram parte de uma exposição na galeria Osage, em Hong Kong. Na Europa, participou da Subvision Kunst, na Alemanha (2009), e da Artissima, na Itália, em 2017. Além de diversas participações pela África do Sul, Gana (Acra) e Zimbábue (Harare).

Seu universo estético e contemporâneo mostra existências pluriversais. Ela mergulha nos processos de cura, aborda questões atuais, observando o passado e o futuro; subverte o olhar colocado sobre os corpos negros e expõe uma profunda observação sobre a colonização.

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Flávio da Silva Nogueira Jornalista e especialista em Cultura, Educação e Relações Étnico-Raciais pela Universidade de São Paulo – CELACC USP.

WHERE I END AND YOU BEGIN 1 . Bojana Nikcevic 62x60x250 cm., feutre, couture, collage, laine, soie, fibres siliconées, 2019-2020 Photographie de Daniel Cluzel©

– 55 – V PORTRAITS

la pensée itinérante

BOJANA NIKCEVIC

Le textile, pour la plupart d’entre nous, êtres sans gloire ni pouvoir, à longtemps été relégué à une simple fonction : nous couvrir, de notre naissance à notre mort. Le feutre particulièrement. Du vieux français filtir, ce qui fut durant des millénaires une étoffe grossière, non tissée, faite de poils ou de brins végétaux maniés au foulage pour aider l’homme à traverser les routes et les saisons, prend pourtant aujourd’hui ses quartiers dans des salons d’art contemporain. Le feutre n’est plus exclusivement un textile prosaïque qui habille et protège, le feutre s’expose, le feutre raconte des métamorphoses et des hybridations nouvelles. Il ne recouvre plus, il dévoile.

Délaissant la photo et la vidéo, ces médiums d’expression qui ont forgé ses premières expériences sensibles, la rencontre fortuite et encore récente de Bojana Nikcevik avec le textile est issu d’un hasard intuitif qu’elle ne pouvait pas prendre pour une simple coïncidence. Au contact des

micro-écailles enchevêtrées, elle a senti aux premiers effleurements et palpations des fibres sous ses doigts que “c’était ça”. Que quelque chose d’archaïque lui soufflait son futur.

Le feutre n’est pas seulement action sur la matière, il est création de la matière, transfiguration d’une animalité originelle perdue. En le travaillant, l’artiste essaie de se souvenir et de recueillir les récits des temps anciens cachés dans les fonds marins et les neiges éternelles. L’origine de la vie. La vie des origines. Parce que chaque jour, en ce presque premier quart du XXIème siècle, notre environnement nous rappelle à la crainte de sa disparition, il est question dans le langage tactile et feutré de l’artiste de survie et de mémoire. Constatant les filaments neurofibrillaires en déclin de la condition humaine, l’urgence lucide est d’anticiper, de réparer et de préserver ce qui peut l’être. Du feutre, rien ne peut mourir. Tout se régule. Froidure et chaleur. Usure et régénérescence. La pensée itinérante de Bojana Nikcevic où son corps se meut dans le tissage d’un texte tactile repense peut-être à l’évènement déterminant le parcours de Joseph Beuys, aviateur survivant de la Luftwaffe accueilli par des nomades tartares, qui interrogera sa quête métaphorique après sa résurrection. Le feutre lui avait sauvé la vie.

Les œuvres de Bojana Nikcevic sont le fruit d’une réflexion qui conjugue archéologie, anthropologie, géographie, ethnographie, architecture low poly, topographie. Sous les doigts de l’artiste-fileuse, le tissu manufacturé naît tout d’abord d’une contemplation des fibres isolées d’où elle opérera une renaissance organique. On pense à la figure tutélaire que fut Magdalena Abakanowicz qui déclarait en 1978 : «Je vois la fibre comme l’élément premier constituant le monde organique de notre planète, comme le plus grand mystère de notre environnement ; c’est de la fibre que sont issus tous les organismes vivants – la composition des plantes et nousmêmes, notre système nerveux, notre code génétique, les canaux de nos veines, nos muscles.» Des fibres désaccordées sur le plan de travail, la transformation opère. Les étapes alchimiques de l’humidité, de la friction, de la pression et de la chaleur, petit à petit, transforment la masse informe. La présence d’écailles sur le brin de laine facilite la cohésion des poils et des filaments entre elles. Un souvenir de flux et reflux conduisent ses doigts dans les stries de la laine dans un enchevêtrement mémoriel. Laborieuse d’un texte tactile devenant textile, texture d’impressions, visions narratives sur un fil, surgissent des compositions en volume débridées de frontière, sans carte routière, ni routes droites, ni nœuds.

La face cachée du textile est exactement identique à sa moitié visible. L’une et l’autre participent d’une homogénéité patiente que l’artiste, sous son apparence humaine et sa condition terrestre, ressent encore comme une apesanteur archaïque d’avoir remué sous les mers préhistoriques. De mémoire, ses doigts tissent des mandibules, des tentacules. Et on se souvient que le toucher est le premier des sens quand l’obscurité est totale et qu’il s’agit de survivre.

En contemplant ses œuvres, on s’interroge : qui prolonge qui entre l’artiste et la forme anthropomorphe ? Est-ce le corps humain qui s’est greffé à la figure animale ? Est-ce l’être aquatique qui revient secourir sa lointaine lignée cellulaire asphyxiée ?

Dans l’isolement du nouveau territoire qui est le nôtre, «en Pandémie», pour reprendre les mots de Barbara Stiegler, Bojana Nikcevic a ressenti une réelle difficulté à ne pas se déplacer librement tous ces derniers mois. Originaire des Balkans, les voyages sont pour elle une seconde peau, à la fois vitaux à sa respiration créatrice et nécessaires pour retrouver les siens. Ne pouvant plus voyager et retrouver ses paysages ou en découvrir de nouveaux, elle les a déplacés jusqu’à elle

◀ WHERE I END AND YOU BEGIN 2 Bojana Nikcevic 54x27x125 et 130 cm., feutre, couture, collage, laine, soie, fibres siliconées, 2020 Photographie de Daniel Cluzel©

◀ WHERE I END AND YOU BEGIN 2 Bojana Nikcevic 54x27x125 et 130 cm., feutre, couture, collage, laine, soie, fibres siliconées, 2020 Photographie de Daniel Cluzel©

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