AM 437 Free

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DJIBOUTI

LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ?

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – GrĂšce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 € Royaume-Uni 5,50 ÂŁ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0 L 13888 - 437 S - F: 4,90 € - RD N°437 - FÉVRIER 2023
RD CONGO
KATUMBI SE VEUT PROPHÈTE EN SON
◗ Djamel Tatah ◗ Yamen Manai ◗ Tahar Ben Jelloun +
MOÏSE
PAYS NOS INTERVIEWS
Les liens sont anciens, profonds, marquĂ©s par une longue histoire commune parfois douloureuse, comme lors de l’époque coloniale. Aujourd’hui, cette relation multiforme est en crise, alors qu’un partenariat renouvelĂ© s’imposerait comme une Ă©vidence. VEILLE D’ÉCHÉANCES BUSINESS LA MENACE DE LA DETTE

LA BOMBE DÉMOGRAPHIQUE

Les chiffres peuvent donner le vertige. L’Afrique vit une rĂ©volution dĂ©mographique majeure. Sa population globale a Ă©tĂ© multipliĂ©e par cinq en soixante ans, entre 1960 et 2020. Aujourd’hui, elle compte plus de 1,2 milliard d’habitants, soit 15 % de la population mondiale, contre 7 % en 1960. À quelques rares exceptions prĂšs, au Maghreb, et tout particuliĂšrement en Tunisie, la transition dĂ©mographique du continent est Ă  peine entamĂ©e. Nous continuons Ă  croĂźtre sur une cadence trop Ă©levĂ©e, de plus de 2,7 % par an. Une femme française a en moyenne 1,8 enfant. Une Africaine en a 4,4, et mĂȘme 6,8 si elle vit au Niger. Au rythme actuel, en 2050, dans un peu moins de trente ans, la population du continent aura doublĂ© pour atteindre 2 milliards d’ĂȘtres humains. Le Nigeria aura dĂ©trĂŽnĂ© les États-Unis comme troisiĂšme pays le plus peuplĂ© de la planĂšte (derriĂšre la Chine et l’Inde), avec prĂšs de 450 millions d’habitants. Et la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo pourrait devenir le huitiĂšme, avec prĂšs de 215 millions d’habitants. Juste devant l’Éthiopie (213 millions). Les pays du Sahel sont particuliĂšrement concernĂ©s. Le Niger pourrait compter 70 millions d’habitants (concentrĂ©s largement dans sa bande sud), et le Mali pourrait dĂ©passer la barre des 50 millions. MĂȘme lĂ  oĂč les situations sont relativement sous contrĂŽle, on parle facilement de doublement de la population. 50 millions d’habitants en CĂŽte d’Ivoire. 30 millions au SĂ©nĂ©gal
 Ces prĂ©visions restent Ă©videmment des prĂ©visions. Mais la tendance de fond est lĂ . C’est une situation d’urgence existentielle.

On connaßt les arguments du relativisme démographique. Oui, effectivement, les enfants sont une richesse, mais une richesse humaine, pas une force de travail. Oui, il faut tenir compte du poids des traditions, du religieux, mais pas au point de sacrifier la nation. Oui, la densité humaine moyenne du continent reste relativement faible (disons 46 habitants au kilomÚtre carré), mais ce chiffre cache des disparités majeures (trÚs forte concentration cÎtiÚre, dépeuplement des hinterlands, exode rural massif
).

La rĂ©alitĂ©, incontournable, c’est que ces niveaux de croissance dĂ©mographique ne sont pas

soutenables. Ils handicapent le dĂ©veloppement et l’émergence du continent. Le prĂ©sident nigĂ©rien Mohamed Bazoum, en pointe sur le sujet malgrĂ© les risques politiques, l’a dit : « Aussi longtemps que nous ferons des enfants sans avoir l’intention de vraiment bien les nourrir et les Ă©duquer, nous serons exposĂ©s Ă  l’extrĂȘme pauvretĂ©, et notre orgueil national sera toujours affectĂ© par notre rang de dernier pays du monde en matiĂšre d’indice de dĂ©veloppement humain
 »

Oui, la rĂ©alitĂ©, c’est que l’Afrique doit maĂźtriser sa fĂ©conditĂ©, quels que soient les tabous, les a priori, les environnements religieux. Et que la clĂ© de cette maĂźtrise se trouve chez les femmes et les filles, leur Ă©ducation, leur protection, leur intĂ©gration dans le marchĂ© du travail, l’égalitĂ© des droits (nous y reviendrons).

Du nord au sud, les taux de croissance Ă©conomique moyens de 5 % sont largement avalĂ©s par l’accroissement des populations. La sĂ©curitĂ© alimentaire, la sĂ©curitĂ© en eau, les sources d’énergie vont devenir des paramĂštres de survie (on pense Ă  l’Égypte avec une population estimĂ©e Ă  160 millions d’habitants Ă  mi-siĂšcle
). La dynamique favorise l’émergence de mĂ©ga-citĂ©s dont la maĂźtrise va devenir incroyablement complexe. La dĂ©mographie impose aux États de fortes pressions, en matiĂšre d’investissements sociaux, en particulier dans l’éducation, la santĂ©, alors que la situation actuelle est dĂ©jĂ  dĂ©gradĂ©e. Les populations trĂšs jeunes sont « rĂ©volutionnaires » par nature, exigeantes. Elles ont besoin d’emplois, de pouvoir se dessiner un avenir. Comment crĂ©er ces centaines de millions de jobs urbains dans les dĂ©cennies Ă  venir ? Comment « turbocharger » la production agricole pour nourrir ces centaines de millions de jeunes ? Comment financer un tel effort Ă  l’échelle d’un continent ? Comment mobiliser les opinions internationales sur l’impact planĂ©taire de ce qui se passe aujourd’hui en Afrique ?

Ce dĂ©bat est central pour nous, Africains. Parce que la rĂ©alitĂ©, c’est que notre continent va devenir le centre du monde. Par sa population, il sera au cƓur des enjeux, Ă©conomiques, sociĂ©taux, climatiques. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 3
édito

N°437 FÉVRIER 2023

3 ÉDITO

La bombe démographique par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

Zanele Muholi, la voix engagée de la photo

28 PARCOURS

Shaïn Boumédine par Astrid Krivian

31 C’EST COMMENT ? Et nos anciens ? par Emmanuelle PontiĂ© 50 CE QUE J’AI APPRIS Youssou Ndour par Astrid Krivian et CĂ©dric Bouvier

78 VIVRE MIEUX

Les belles avancĂ©es de la mĂ©decine par Annick Beaucousin 90 VINGT QUESTIONS À
 Khady Diallo par Astrid Krivian P.06

TEMPS FORTS

32 La fin de la France en Afrique ? par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié

42 Moïse Katumbi se veut prophÚte en son pays par Cédric Gouverneur

52 Djibouti, veille d’échĂ©ances par Thibaut Cabrera

60 Tahar Ben Jelloun : « Aller vers la lumiÚre » par Catherine Faye

66 Djamel Tatah : Conjuguer le « je » et le « nous » par Astrid Krivian

72 Yamen Manai, au bord de l’abüme par Astrid Krivian

P.32

P.42

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps

Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

4 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
JOHANNA DE TESSIÈRESZANELE MUHOLIFINBARR O’REILLY/THE NYT/RÉDUX/RÉA

P.66

P.62

FONDÉ EN 1983 (39e ANNÉE)

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

TĂ©l. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93 redaction@afriquemagazine.com

Zyad Limam

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

CĂ©dric Bouvier, Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye, CĂ©dric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Élise Lejeune, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

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AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 5 80 La dette menace l’Afrique 84 Carlos Lopes : « La rĂ©forme du systĂšme financier international est inĂ©vitable » 86 Le Cameroun veut lancer son « biochar » 87 La Namibie protĂšge ses nappes phrĂ©atiques 88 La faillite de FTX impacte le continent 89 Vaste projet ferroviaire en Tanzanie par CĂ©dric Gouverneur BUSINESS PATRICK ROBERTCÉCILE MARSON/MONTPELLIER 3MSHUTTERSTOCK – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – AlgĂ©rie 320 DA – Allemagne 6,90 Canada 9,99 $C États-Unis 8,99 GrĂšce 6,90 Royaume-Uni 5,50 Suisse 8,90 TOM 990 CFP Tunisie 7,50 DT Zone CFA 000 FCFA ISSN 0998-9307X0 L 13888 F: 4,90 € N°437 FÉVRIER 2023 LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ? RD CONGO MOÏSE KATUMBI SE VEUT PROPHÈTE EN SON PAYS NOS INTERVIEWS Djamel Tatah Yamen Manai Tahar Ben Jelloun + Les liens sont anciens, profonds, marquĂ©s par une longue histoire commune parfois douloureuse, comme lors de l’époque coloniale. Aujourd’hui, cette relation multiforme est en crise, alors qu’un partenariat renouvelĂ© s’imposerait comme une Ă©vidence. DJIBOUTI VEILLE D’ÉCHÉANCES BUSINESS LA MENACE DE LA DETTE NEW AM 437 COUV.indd 06/02/2023 20:42 PHOTOS DE COUVERTURE : ALAMY - SHUTTERSTOCK - THIERRY STEFANOPOULOS/ RÉA
P.52

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

ÉVÉNEMENT

ZANELE MUHOLI La voix engagée de la photo

Aprùs Londres et Berlin, c’est au tour de Paris d’accueillir la SUPERBE RÉTROSPECTIVE sur l’artiste d’Afrique du Sud.

LA MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE (MEP) prĂ©sente la premiĂšre rĂ©trospective en France de l’activiste visuel·le non-binaire [personne ne se sentant ni femme ni homme, ndlr] Zanele Muholi. À travers plus de 200 photographies, vidĂ©os et installations créées depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000 et de nombreux documents d’archives, l’exposition met en lumiĂšre sa capacitĂ© Ă  rendre visible les personnes LGBT+ et racisĂ©es ainsi que son combat contre les injustices. Dans ses portraits individuels et collectifs qui ont fait le tour du monde, l'artiste questionne les stĂ©rĂ©otypes, montre la diversitĂ© et la singularitĂ© des membres de cette communautĂ©, et rend hommage Ă  leur courage et leur dignitĂ© face aux discriminations. Ses Ɠuvres ne sont jamais neutres : elles interrogent le spectateur et le poids de l’hĂ©ritage culturel colonialiste et patriarcal dans sa vision du monde. Muholi, qui rĂ©flĂ©chit aussi Ă  l’image des femmes noires dans l’histoire Ă  travers ses autoportraits, collabore toujours avec ses modĂšles. Ce ne sont pas des sujets passifs devant l’appareil. Au contraire, ils font entendre leur voix : leur participation active Ă  l’Ɠuvre contribue Ă  dĂ©terminer le lieu, les vĂȘtements, ou la pose de chaque prise de vue. Les clichĂ©s pris dans les moments d’intimitĂ© ou les espaces publics – dont certains ont marquĂ© l’histoire de l’Afrique du Sud – donnent Ă  voir autant d’images fortes et positives d’une communautĂ© souvent cachĂ©e et marginalisĂ©e, tout en promouvant le respect des individus qui la composent. ■ Luisa

6 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
« ZANELE MUHOLI », Maison europĂ©enne de la photographie, Paris (France), jusqu’au 21 mai. mep-fr.org
ZANELE MUHOLIDR
Miss D’vine I, 2007.
Lulamile, Room 107 Day Inn Hotel, Burlington, 2017. ZANELE MUHOLI

Rien ne semble pouvoir arrĂȘter la jeune hĂ©roĂŻne, interprĂ©tĂ©e par Sania Halifa.

SOUNDS

À Ă©couter maintenant !

Batida Neon Colonialismo, Cram 316

Depuis quelques annĂ©es, on suit avec attention le travail (passionnant) de Pedro Coqueñao, artiste pluridisciplinaire, maĂźtrisant autant la danse que l’image et le son, nĂ© en Angola et Ă©levĂ© Ă  Lisbonne. Avec ce nouvel album oĂč sont conviĂ©s ses fidĂšles complices, tel Ikonoklasta, il cultive un propos aussi poĂ©tique que groovy autour de la grande question du colonialisme. Bonus : un superbe duo avec Mayra Andrade, « Bom Bom ».

MICHELLE OBAMA, ADOPTEZ-MOI !

APRÈS LE SUCCÈS INTERNATIONAL de Mignonnes (2020) au cinĂ©ma, la jeune rĂ©alisatrice franco-sĂ©nĂ©galaise MaĂŻmouna DoucourĂ© frappe fort sur la plate-forme d’Amazon avec un film oĂč la chanteuse Yseult et l’astronaute Thomas Pesquet croisent la route d’une adolescente trĂšs particuliĂšre. Hawa vit prĂšs de Paris avec Maminata, sa grand-mĂšre et seule parente, une griotte qui va bientĂŽt mourir, drĂŽlement bien incarnĂ©e par Oumou SangarĂ©. L’adolescente de 15 ans n’a alors qu’un but : remplacer Maminata par
 Michelle Obama, rien que ça ! L’ex-first lady est en France pour la promotion de son livre, et Hawa va tout faire pour la rencontrer et lui demander de l’adopter. Rien ne semble arrĂȘter la petite hĂ©roĂŻne, jeune fille albinos Ă  la coupe afro et aux lunettes en cul de bouteille, taiseuse et butĂ©e. Un conte parfois bancal, mais dont l’originalitĂ© est assumĂ©e jusqu’au bout. ■ Jean-Marie Chazeau HAWA (France),de MaĂŻmouna DoucourĂ©. Avec Sania Halifa, Oumou SangarĂ©. Sur Amazon Prime Video.

Souvenez-vous : au milieu des annĂ©es 1980, ce jeune rappeur fondait Assassin aux cĂŽtĂ©s de Solo, ouvrant la voie Ă  NTM et autres IAM. AprĂšs des hauts et des bas, il reste toujours trĂšs actif, en tĂ©moigne ce troisiĂšme projet en trois ans, PP+. Les featurings sont efficaces (« Monde meilleur » avec la chanteuse soul Robin, « Retweet » avec Doc GynĂ©co), et le flow frappe toujours juste, entre « Pixel » et « Nouvelle dose », qui questionnent l’absurditĂ© de nos sociĂ©tĂ©s actuelles.

Lafropop Mélange des genres, Because Music

Vegedream, Ronisia, Ya Levis, JoĂ© DwĂšt FilĂ©, Minissia, Alibi Montana, Lartiste
 Tous font partie du paysage hip-hop français, mais c’est du cĂŽtĂ© de Papa Wemba qu’il faut chercher leurs origines sonores. Quelque part entre rumba congolaise, highlife ghanĂ©en, afrobeat nigĂ©rian, gĂ©nĂ©reusement nourrie de rap amĂ©ricain, l’afropop est gĂ©nĂ©reuse en rythmiques et en punchlines qui balancent. En tĂ©moigne cette compilation riche de 16 titres taillĂ©s spĂ©cialement pour l’occasion. ■ Sophie Rosemont

ON EN PARLE 8 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
Dans ce CONTE ORIGINAL, une adolescente se met en tĂȘte de remplacer sa grand-mĂšre mourante par l’ex-first lady
STREAMING


Rockin’ Squat PP+, Livin’Astro
❶ ❷ ❞ d ñ
DR

DRAME

LE PRIX DE L’IDENTITÉ

L’histoire vraie d’un jeune MILITAIRE FRANCO-ALGÉRIEN mort noyĂ© lors d’un bizutage Ă  la prestigieuse Ă©cole de Saint-Cyr.

DES APPRENTIS MILITAIRES chantent Ă  plein poumon « Commando d’Afrique », hommage aux Africains qui ont participĂ© Ă  la libĂ©ration de la France, avant de se lancer dans une reconstitution bancale et nocturne du dĂ©barquement de Provence. Nous sommes Ă  Saint-Cyr, prĂšs de Paris, et ce bizutage plus ou moins tolĂ©rĂ© sera fatal Ă  l’un d’entre eux, AĂŻssa, seul arabe de la promotion, qui se noie dans des eaux glacĂ©es. C’est la scĂšne d’ouverture de ce film inspirĂ© de faits rĂ©els, puisque c’est l’histoire du frĂšre du cinĂ©aste. L’école va ensuite proposer une cĂ©rĂ©monie aux Invalides, mais le reste de la hiĂ©rarchie militaire va s’y opposer, le jeune homme qui s’était pourtant prĂ©parĂ© Ă  mourir pour la France n’étant pas tombĂ© au combat
 La lutte de la famille pour obtenir une rĂ©paration est le moteur du rĂ©cit. Et tout passe par le regard de son grand frĂšre IsmaĂ«l (Karim Leklou), qui va d’abord se souvenir de leur enfance en AlgĂ©rie : pays que sa mĂšre (impĂ©riale Lubna Azabal) a fui avec eux en 1992 durant la guerre civile, laissant derriĂšre elle son mari gendarme (Samir Guesmi, particuliĂšrement Ă©mouvant). Ils vont grandir en banlieue parisienne et voir leurs chemins se sĂ©parer : pendant qu’IsmaĂ«l accumule les mauvais

plans, AĂŻssa (ShaĂŻn Boumedine, voir son parcours en pp. 28-29) poursuit de brillantes Ă©tudes Ă  Sciences Po, le conduisant jusqu’à TaĂŻwan. Cette Ă©chappĂ©e n’est pas la moindre originalitĂ© de ce film qui met Ă  mal bien des images ressassĂ©es par le cinĂ©ma français sur les familles maghrĂ©bines en banlieue. La fresque intime cĂŽtoie le message politique sans l’appuyer, chaque membre ayant ses dĂ©fauts et ses qualitĂ©s, de mĂȘme que l’armĂ©e française n’est pas vue comme un bloc raciste et colonial. Des nuances portĂ©es par une camĂ©ra toujours Ă  bonne distance, qui soulĂšve bien des questions sans donner de rĂ©ponses toutes faites. Dans une note d’intention, Rachid Hami (dont le double Ă  l’écran est incarnĂ© avec une grande justesse par Karim Leclou) rĂ©sume parfaitement sa dĂ©marche : « Ni lamentation victimaire et encore moins dĂ©nonciation stĂ©rile de la chose militaire, ce film propose un pĂ©riple houleux dans l’intimitĂ© de deux frĂšres que la vie a sĂ©parĂ©s, sous-tendu par une mĂ©ditation plus large sur le dĂ©racinement. Faut-il payer de sa vie le rĂȘve d’appartenir Ă  un pays ? » ■

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 9
POUR LA FRANCE (France), de Rachid Hami. Avec Karim Leklou, ShaĂŻn Boumedine, Lubna Azabal. En salles.
2022/GOPHOTO/MIZAR FILMS
Karim Leklou et Shaïn Boumedine jouent deux frÚres que la vie a séparés.

« SENGHOR ET LES ARTS : RÉINVENTER L’UNIVERSEL », musĂ©e du quai Branly, Paris (France), jusqu’au 19 novembre. quaibranly.fr

L’ART SELON SENGHOR

Illustration de Marc Chagall pour le recueil de poĂ©sie Lettres d’hivernage, de LĂ©opold SĂ©dar Senghor.

Portrait de l’ÉCRIVAIN, POÈTE et homme d’État sĂ©nĂ©galais, Ă  travers sa politique culturelle.

L’intellectuel (au centre), alors prĂ©sident de la RĂ©publique, au premier Festival mondial des arts nĂšgres, Ă  Dakar, en 1966.

AU PRINTEMPS 1966 s’est tenu Ă  Dakar le Festival mondial des arts nĂšgres, organisĂ© par l’État sĂ©nĂ©galais et son premier prĂ©sident de la RĂ©publique (1960-1980), LĂ©opold SĂ©dar Senghor. RĂ©unissant des cĂ©lĂ©britĂ©s du monde noir des arts et de la culture, cet Ă©vĂ©nement cĂ©lĂšbre, pour la premiĂšre fois en Afrique, la crĂ©ativitĂ© et la diversitĂ© dans l’art et la culture du continent. En parallĂšle, l’homme d’État, pionnier de la nĂ©gritude et premier Africain Ă  siĂ©ger Ă  l’AcadĂ©mie française, en appelle Ă  « l’élaboration d’un nouvel humanisme qui comprendra cette fois la totalitĂ© des hommes sur la totalitĂ© de notre planĂšte ». L’exposition qui lui est consacrĂ©e revient sur le parcours de ce fervent dĂ©fenseur de l’idĂ©e d’une civilisation de l’universel, façonnĂ©e par le « rendez-vous du donner et du recevoir ». On y dĂ©couvre la politique et la diplomatie culturelles qu’il a mises en place au lendemain de l’indĂ©pendance, le 20 aoĂ»t 1960, ainsi que ses rĂ©alisations majeures dans le domaine des arts. Ses limites aussi. Car, au fil des relectures, la pensĂ©e de Senghor n’a pas fini d’ĂȘtre dĂ©battue. ■ Catherine Faye

ON EN PARLE 10 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
AGENDA
DRPITOT MARSEYEDR (2)
Homme fusil, NDary Lo.

DHAFER YOUSSEF DE L’OUD ET DE LA VOIX

L’artiste tunisien revient avec un superbe album, Street of Minarets, qui CONDENSE SES INFLUENCES.

HERBIE HANCOCK, Marcus Miller, Dave Holland, Vinnie Colaiuta
 Jamais Dhafer Youssef n’aurait imaginĂ© pouvoir un jour enregistrer avec ces grands noms de la scĂšne jazz actuelle. Mais il a suffi de quelques messages pour que tous rĂ©pondent prĂ©sents, avec enthousiasme. « Être en studio avec eux, c’était comme si j’étais Ă  table avec JĂ©sus, Mohammed, MoĂŻse, et mĂȘme Bouddha ! Ils sont plus humains que des humains, tout en Ă©tant des prophĂštes du point de vue artistique. Ce qui compte, c’est uniquement ce que l’on joue ensemble. Ils Ă©taient tous lĂ  au service de la musique. C’est un rĂȘve Ă©veillĂ© que je vis encore », se rĂ©jouit-il. Un rĂȘve (et un projet) qui aurait pu ne pas se rĂ©aliser


En 2016, le natif de TĂ©boulba publie Diwan of Beauty and Odd, puis en 2018, Sounds of Mirrors. Mais en pleine pandĂ©mie, il perd sa voix, subit en urgence une opĂ©ration cruciale, dont il sort plus fort. « J’ai compris que ma voix Ă©tait ce qui me connectait avec cette planĂšte, mon oxygĂšne, l’avenir que je voyais au loin, commente-t-il. Soudain, je ne pouvais plus respirer, ni recevoir cette lumiĂšre. Aujourd’hui, je dĂ©guste chaque moment oĂč je chante, oĂč je suis sur scĂšne, oĂč je parle
 Ma voix est un cadeau de la nature et de tous les dieux de cette planĂšte. » Il planche alors de nouveau sur un projet au long cours, qui va devenir Street of Minarets : sur une trame sonore d’une grande richesse et d’une intense spiritualitĂ© rĂ©sonne tout son charisme.

C’est enfant, dans des rĂ©unions de famille en Tunisie, que Youssef a commencĂ© Ă  chanter, tout en pratiquant l’oud avec ferveur. Il y a trente ans, il est parti tenter sa chance Ă  Vienne, dans le froid et la prĂ©caritĂ©, et a rĂ©ussi, Ă  force de persĂ©vĂ©rance, Ă  vivre de son talent. Ce voyage dont il sort aujourd’hui plus heureux que jamais se ressent Ă  l’écoute des 12 morceaux de l’album : « Street of Minarets reprĂ©sente mon enfance, mais aussi tous les sentiments qui m’ont traversĂ© depuis durant cette expĂ©rience musicale. » ■

SABINE HAUSWIRTH
MUSIQUE

3 QUESTIONS À


Riad Fakhri

La maison de haute couture

Chanel lui a confié la programmation de la GALERIE

DU 19M DAKAR, espace temporaire et hors les murs de son centre culturel parisien.

AM : La maison Chanel et le centre culturel 19M ont choisi Dakar pour réaliser leur premier programme culturel international. Comment est né ce projet ?

Riad Fakhri : La galerie du 19M Dakar s’inscrit naturellement dans le sillage du dĂ©filĂ© de la collection « MĂ©tiers d’art » de Chanel de dĂ©cembre dernier. Je crois que pour la maison, et pour le 19M, c’est une façon de s’intĂ©resser et de vivre la dynamique qu’il y a Ă  Dakar. Le projet reflĂšte la personnalitĂ© de Camille Hutin, la directrice gĂ©nĂ©rale du 19M. Elle a voulu le faire le plus inclusif possible, et implantĂ© au SĂ©nĂ©gal, en lien Ă©troit avec Paris. Comment avez-vous dĂ©fini la programmation du lieu, qui est en accĂšs libre et gratuit ?

Le comitĂ© Ă©ditorial, dont je fais partie, a eu une Ă©norme libertĂ©. Nous voulions proposer un tour d’horizon artistique le plus large possible, en soutenant la production des Ɠuvres et en assurant le suivi artistique. Nous avons mis Dakar Ă  l’honneur, en veillant Ă  ce que tous les artistes, peu importe leur nationalitĂ©, aient un lien avec la ville ou soient installĂ©s au SĂ©nĂ©gal. Ce qui a permis de crĂ©er une programmation vraiment dakaroise et ouest-africaine. IntitulĂ©e « Sur le fil », l’expo rĂ©unit artistes et artisans autour des mĂ©tiers de la broderie et du tissage. Avec quel objectif ?

Faire intervenir des professionnels de ces mĂ©tiers Ă  cĂŽtĂ© d’artistes contemporains donne vie Ă  un environnement formidable. C’est un projet trĂšs riche, qui peut impacter profondĂ©ment le pays. Ce n’est pas que de l’art plastique :

À gauche, le musĂ©e ThĂ©odore-Monod d’art africain, qui accueille le projet. Ci-dessous, une tapisserie commandĂ©e aux Manufactures sĂ©nĂ©galaises des arts dĂ©coratifs de ThiĂšs pour le projet.

il y aura des confĂ©rences, des ateliers, des workshops
 On prĂ©voit des productions Ă©volutives et la participation du public, qui va ĂȘtre formĂ©. Nous avons aussi dĂ©veloppĂ© un programme de mĂ©diation culturelle et pĂ©dagogique qui veut solliciter les nouvelles gĂ©nĂ©rations, et mis en place des navettes avec les Ă©coles de Dakar et de sa rĂ©gion. Parce que notre but est de crĂ©er, d’exposer, et surtout de transmettre, pour revaloriser les mĂ©tiers de la main. ■ Propos recueillis par Luisa Nannipieri

GALERIE DU 19M DAKAR, musĂ©e ThĂ©odore-Monod d’art africain, Dakar (SĂ©nĂ©gal), jusqu’au 31 mars. le19m.fr

ON EN PARLE 12 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
CORNELIUEVA DIALLO/CHANELKHALIFA HUSSEIN

ADRESSE THE SOCIAL HOUSE NAIROBI, OU L’HOSPITALITÉ À LA KÉNYANE

Ce nouveau CITY HÔTEL promet un sĂ©jour douillet et surprenant.

SOUS LES FLEURSMAUVES des jacarandas, dans la banlieue rĂ©sidentielle de Lavington, Juliet et Francis Njogu ont inaugurĂ© il y a deux ans la Social House Nairobi. Avec 83 chambres, quatre restaurants et sept grands salons Ă  la dĂ©co unique, ce city hĂŽtel est l’un des hubs culturels et sociaux de la ville. Qu’il s’agisse d’art, de musique, de mode ou de spectacle vivant, ici les mots d’ordre sont melting-pot et convivialitĂ©. Dans les chambres au style simple et moderne, tous les articles Ă  disposition, du cafĂ© aux produits de beautĂ©, sont sourcĂ©s localement. Les visiteurs (kĂ©nyans et internationaux) peuvent goĂ»ter Ă  des cuisines inspirĂ©es des quatre coins du globe, comme au restaurant pĂ©ruvien installĂ© sur le rooftop. Ou profiter des Ɠuvres d’art Ă©parpillĂ©es sur la propriĂ©tĂ©, tel le MaasaĂŻ grandeur nature, en ferraille, Ă  califourchon sur une Harley Davidson suspendue dans le hall. Parce que l’accueil kĂ©nyan passe surtout par l’envie d’épater et d’amuser constamment les hĂŽtes. ■ L.N. THE SOCIAL HOUSE, 154 James Gichuru Road, Lavington (Kenya), chambres doubles Ă  partir de 170 $ la nuit. thesocialhouse.ke

REGARDS

VIBRATIONS À DAKAR

MALIKA SLAOUI est une Ă©ditrice de talent et qui a de la suite dans les idĂ©es. InstallĂ©e Ă  Casablanca, son entreprise, Malika Éditions, créée en 1998, s’est spĂ©cialisĂ©e dans le beau livre d’art, le patrimoine historique et artistique du Maroc. Avec prĂšs d’une centaine de titres en catalogue, dont certains en coĂ©dition avec de grandes maisons françaises, comme Actes Sud, Gallimard, ou avec l’Imprimerie nationale. Plus rĂ©cemment, Malika Slaoui s’est lancĂ©e dans une collection dĂ©diĂ©e Ă  la scĂšne contemporaine culturelle africaine. Celle liĂ©e aux grandes villes, Ă  l’énergie urbaine. C’est le concept de « Nid d’artistes ». AprĂšs Casablanca en 2018, Dakar vient de sortir sous la direction et l’écriture d’Aisha DĂšme, militante, activiste et entrepreneure culturelle. Le livre offre un voyage dense et Ă©motionnel dans la capitale sĂ©nĂ©galaise, une Ă©chappĂ©e lumineuse, Ă  la rencontre de plusieurs dizaines d’artistes et d’auteurs : Youssou Ndour, Omar Victor Diop, Baba Maal, Soly CissĂ©, Alain Gomis, Germaine Acogny, et bien d’autres
 Entre les textes, les images, la mise en scĂšne des Ɠuvres, le dialogue est permanent, comme pour nous faire partager la vibration et les ambivalences de la ville. Parmi les prochaines Ă©tapes prĂ©vues de la collection « Nid d’artistes », une descente un peu plus au sud, Ă  Abidjan, la Perle des lagunes. On s’impatiente
 ■ Zyad Limam AISHA DÈME, Dakar, nid d’artistes, Malika Éditions, 368 pages, 45 €.

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 13
Un hommage aux ARTISTES de la capitale sénégalaise.
DR

DOUNIA ET LA PRINCESSE D’ALEP (Canada-France),de

Marya Zarif et André Kadi. Avec les voix de Rahaf Ataya, Elsa Mardirossian, Raïa Haidar. En salles.

ANIMATION LA PETITE FILLE ET L’EXIL

La POÉSIECONTRE LA GUERRE : un dessin animĂ© tout public et joyeux malgrĂ© la tragĂ©die


UNE FILLETTE DE 6 ANS, Ă  la coiffure brune imposante, va bientĂŽt devoir quitter Alep, en Syrie, oĂč elle vit une enfance harmonieuse, malgrĂ© le dĂ©cĂšs de sa maman. Dans sa main, des graines de nigelle qui vont aider sa famille sur le chemin de l’exil
 RĂ©aliste tout en Ă©tant poĂ©tique (comme cette scĂšne au clair de lune oĂč s’ouvrent les pistaches dans les arbres), graphiquement superbe, ce film d’animation est Ă  la fois dĂ©licieux et tragique. L’originalitĂ© et la simplicitĂ© du trait accompagnent un parcours semĂ© d’embĂ»che pour cette famille et ses voisins qui fuient les bombes. Les voix des personnages sont assurĂ©es par des comĂ©diens exilĂ©s au QuĂ©bec, dont le français mĂątinĂ© d’accent moyen-oriental alterne avec de l’arabe, pas

EXPOSITION

toujours traduit, ce qui ajoute Ă  l’authenticitĂ© du rĂ©cit mais aussi Ă  sa magie : un arabe levantin complĂ©tĂ© par des mĂ©lodies Ă©chappĂ©es de l’oud et des flĂ»tes de la bande-son, et aux effluves qu’on devine des Ă©pices et des gĂąteaux de semoule. La corĂ©alisatrice, « nĂ©e en Syrie dans une famille chrĂ©tienne cosmopolite trilingue qui voyageait beaucoup », comme elle le dit elle-mĂȘme, a choisi d’appeler son hĂ©roĂŻne Dounia, c’est-Ă -dire « le monde », « la vie terrestre » en arabe. Et de l’entourer de femmes au caractĂšre bien trempĂ© et d’hommes bienveillants, qui rĂ©sistent comme ils peuvent Ă  la guerre. Il se dĂ©gage de ce conte chaleureux, rondement menĂ©, une musicalitĂ© et une harmonie inattendue pour un tel sujet. Un enchantement. ■ J.-M.C.

INSOLITE IMMORTALITÉ

Un parcours Ă  la croisĂ©e du divin, de l’éthique et du scientifique. RÉSURRECTION, rĂ©incarnation, postĂ©rité  Évoquer les momies plonge dans une double fascination, celle de la mort et celle de la prĂ©servation des corps. La question de l’éternitĂ© y est centrale, Ă  la fois mĂ©taphysique et matĂ©rielle. C’est ce rapport au temps et Ă  la mort que propose d’explorer le musĂ©um d’histoire naturelle de Toulouse, deuxiĂšme plus grand de France, aprĂšs celui de Paris. Si l’annĂ©e passĂ©e a Ă©tĂ© marquĂ©e par le bicentenaire du dĂ©chiffrement des hiĂ©roglyphes par Jean-François Champollion et le centenaire de la dĂ©couverte du tombeau de ToutĂąnkhamon, cette exposition choisit de mettre en lumiĂšre le processus de momification, qu’il soit artificiel ou ait Ă©tĂ© naturellement induit par des actions physico-chimiques ou climatiques. Loin de concerner essentiellement les pratiques des Égyptiens de l’AntiquitĂ©, ce thĂšme fait Ă©cho aux croyances en un au-delĂ , aux rituels symboliques, sociĂ©taux ou religieux dans de nombreuses cultures et civilisations. Plus encore, il invite Ă  se poser la question des avatars actuels ou Ă  venir, de la cryogĂ©nisation, et autres procĂ©dĂ©s d’immortalisation. Captivant. ■ C.F.

« MOMIES : CORPS PRÉSERVÉS, CORPS ÉTERNELS », MusĂ©um de Toulouse, Toulouse (France), jusqu’au 2 juillet. museum.toulouse.fr DR

ON EN PARLE 14 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023

PORTRAIT

ANNABELLE LENGRONNE ENTRE PETIT ET GRAND ÉCRAN

C’est l’une des ACTRICES FRANCOPHONES les plus enthousiasmantes. Dans le superbe Un petit frĂšre, de LĂ©onor SĂ©raille, elle s’affirme dans un jeu tout en nuances.

« JE SUIS UNE INTERPRÈTE encore et toujours en train de dĂ©couvrir des choses Ă  jouer », nous confie Annabelle Lengronne, avant de prĂ©ciser : « Vivre quelques mois dans la peau de quelqu’un d’autre, c’est un bel exutoire
 » On la croit volontiers au vu de la multitude de rĂŽles dans lesquels elle s’est investie depuis ses dĂ©buts sur grand Ă©cran, au dĂ©but des annĂ©es 2010. ÉlevĂ©e en Martinique, elle s’est lancĂ©e dans le théùtre pour conjurer le trauma d’un harcĂšlement scolaire. La suite, elle s’est (joliment) faite dans des sĂ©ries et tĂ©lĂ©films, ainsi que chez les cinĂ©astes Denis Thybaud, CĂ©dric Kahn, Audrey Dana, Julien Rambaldi et, aujourd’hui, LĂ©onor SĂ©raille. Dans Un petit frĂšre, qui lui a dĂ©jĂ  valu le prix d’interprĂ©tation fĂ©minin aux Arcs Film Festival, l’actrice incarne Rose sur deux dĂ©cennies. On voit cette derniĂšre dĂ©barquer Ă  Paris avec ses deux fils cadets et essayer de se construire une nouvelle vie, tant professionnelle que sentimentale. Mais la prĂ©caritĂ© la guette sans cesse
 Pour investir ce rĂŽle, Annabelle est allĂ©e fouiller dans son propre vĂ©cu : elle est nĂ©e Ă  Paris d’une femme sĂ©nĂ©galaise avant d’ĂȘtre adoptĂ©e. « Ce qui est arrivĂ© Ă  Rose, c’est peut-ĂȘtre la vie que ma mĂšre biologique aurait eue en restant en France, commente-t-elle. Mon personnage s’adapte et avance. Rose sait d’oĂč elle vient, et son africanitĂ© se trouve dans son rapport au temps. » Il y a quelques saisons, la comĂ©dienne est allĂ©e pour la premiĂšre fois au SĂ©nĂ©gal, qu’elle a trouvĂ© « d’une beautĂ© majestueuse ». Cette Ă©lĂ©gance, elle en a sans aucun doute hĂ©rité  ■ S.R.

UN PETIT FRÈRE (France), de Léonor Séraille. Avec Annabelle Lengronne, Stéphane Bak, Kenzo Sambin. En salles.

AUDOIN DESFORGES/PASCO

AFRO-JAZZ

JULIA SARR Wolof soul

Pour son TROISIÈME ALBUM, la SĂ©nĂ©galaise cultive toujours un jardin d’une grande beautĂ© tant SÉMANTIQUE QUE MÉLODIQUE, tout en explorant des thĂ©matiques cruciales.

ON VOUS PRÉVIENT : la proposition musicale est aussi belle que la pochette Ă  l’aquarelle
 Native de Dakar, d’origines toucouleur et peule, Julia Sarr a dĂ©butĂ© comme choriste mezzo-soprano de Fela Kuti, avant d’accompagner les plus grands (Youssou N’Dour, qui intervient d’ailleurs sur ce nouveau disque, Mano Solo, Alpha Blondy, Jean-Jacques Goldman), tout en construisant un corpus solo d’une grande Ă©lĂ©gance. Sur Njaboot, son chant en wolof ressuscite les contes griots en variant les tempos et les rĂ©cits, autour de la foi, de l’enfance ou encore du mariage forcĂ©. Le tout sur une trame sonore jazz, Ă©purĂ©e, accompagnĂ©e du piano de Fred Soul, avec lequel la chanteuse a composĂ© cet album, qui est sans doute le plus accompli Ă  ce jour. ■ S.R.

JULIA SARR, Njaboot, Barkhane.

FESTIVAL DU LIVRE AFRICAIN DE MARRAKECH, Centre Les Étoiles de JemaĂą El Fna, Marrakech (Maroc), du 9 au 12 fĂ©vrier.

CÉLÉBRER TOUTES LES ÉCRITURES

Le Festival du livre africain de Marrakechest le nouveau RENDEZ-VOUS INCONTOURNABLE des lettres du continent.

POUR SA PREMIÈRE ÉDITION, baptisĂ©e « L’Afrique en toutes lettres », cet Ă©vĂ©nement ambitieux entend vivifier les liens et les Ă©changes entre les littĂ©ratures des pays africains comme des diasporas, et dĂ©mocratiser l’accĂšs Ă  la culture. Créé par l’écrivain et plasticien Mahi Binebine et l’association WE ART AFRICA//NS, il rassemblera autrices et auteurs, notamment Sami Tchak, DjaĂŻli Amadou Amal, Achille Mbembe, Yasmine Chami, J.M.G. Le ClĂ©zio, Lilian Thuram, Abdourahman Waberi ou encore Ken Bugul. Pendant quatre jours, le centre culturel Les Étoiles de JemaĂą El Fna sera un vrai carrefour de rencontres, un forum d’intelligence collective et de partage d’idĂ©es, pour valoriser les diffĂ©rents hĂ©ritages, la pluralitĂ© des Ă©critures, dĂ©battre sur l’industrie du livre, penser l’Afrique et le monde de demain
 CafĂ©s littĂ©raires, palabres, grands entretiens, nocturnes – rythmĂ©s par d’autres disciplines, comme la musique, la gastronomie, l’art Ă©questre – ponctueront cette fĂȘte des imaginaires. Sans oublier les activitĂ©s pĂ©dagogiques auprĂšs de la jeunesse. ■ Astrid Krivian

ON EN PARLE 16 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
IMAGINAIRES IM AG IN AI RE S
DR

JOSÉ EDUARDO AGUALUSA CRÉATURES ET CRÉATEURS

SEPT JOURS. Comme la crĂ©ation du monde. Six pour Ɠuvrer. Un pour se reposer. Le nouveau roman de l’auteur de La Reine Ginga : Et comment les Africains ont inventĂ© le monde et de La SociĂ©tĂ© des rĂȘveurs involontaires se dĂ©roule tout le long d’une semaine, oĂč chaque jour rythme une parenthĂšse Ă©trange. Car sur l’üle de Mozambique, Ă  l’entrĂ©e de la baie de Mossuril, dans l’ocĂ©an Indien, oĂč des Ă©crivains sont rĂ©unis pour un festival littĂ©raire, rien ne se passe comme prĂ©vu. Les voilĂ  coupĂ©s du monde, sur un bout de terre enveloppĂ© de brouillard. Sans connexion. Ni Ă  Internet, ni au continent. « C’est ainsi que tout commence : un Ă©norme Ă©clair dĂ©chire la nuit, l’üle se dĂ©tache du monde. Un temps s’achĂšve, un autre commence. » ConfinĂ©s sur ce rĂ©cif corallien calcaire au passĂ© glorieux, l’un des principaux comptoirs commerciaux entre l’Afrique et l’Orient, dĂ©couvert en 1498 par l’explorateur portugais Vasco de Gama, les auteurs vivent alors l’impensable : les personnages de leurs Ɠuvres

se mĂȘlent Ă  eux et leur demandent des comptes. La confrontation devient alors le théùtre d’échanges singuliers et palpitants sur la littĂ©rature, l’écriture, la lĂ©gitimitĂ©, le processus crĂ©atif. « Je suis bien plus nue dans mes livres que lorsque je me dĂ©shabille », ou « – Vous Ă©crivez ? – Parfois. Quand j’oublie qui je suis », ou bien encore « Je crois, moi, que j’écris pour essayer de pardonner » : chacun s’interroge sur ce qui sous-tend sa vocation. Mais la fin du monde est-elle proche sur cette Ăźle situĂ©e sur la trajectoire de nombreux cyclones ? Ou bien quelque chose est-il en train d’advenir, Ă  l’aune d’une des protagonistes de ce rĂ©cit Ă  la fois original et profond, une jeune femme sur le point d’accoucher ? JosĂ© Eduardo Agualusa, qui revendique sa filiation littĂ©raire avec des auteurs latino-amĂ©ricains tels que Jorge Amado, Jorge Luis Borges ou encore Gabriel Garcia MĂĄrquez, n’a pas fini de nous surprendre. InspirĂ© par sa propre vie, l’écrivain angolais distille excentricitĂ©, onirisme et pragmatisme dans un microcosme fortuit, encerclĂ© par la mer. Entre ciel et terre. ■ C.F.

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 17
Un entre-deux-mondes insolite, par L’UN DES PILIERS de la littĂ©rature angolaise.
LIVRE
ROSA CUNHADR
JOSÉ EDUARDO AGUALUSA, Les Vivants et les Autres, MĂ©tailiĂ©, 224 pages, 21,50 €.

RYTHMES SEUN KUTI & BLACK THOUGHT AFROBEAT VS HIP-HOP

Le NigĂ©rian invite l’une des valeurs sĂ»res du rap amĂ©ricainĂ  REVISITER trois de ses morceaux.

ALORS QUE L’EXPOSITION consacrĂ©e au grand Fela Kuti bat toujours son plein Ă  la Philharmonie de Paris, son fils Seun rĂ©invente trois morceaux de son album Black Times aux cĂŽtĂ©s du fabuleux MC des Roots, Black Thought – qui a brillĂ© en 2022 avec une autre collaboration, Danger Mouse sur l’excellent album Cheat Codes. En rĂ©sultent ces « rĂȘves africains », du nom de l’un des titres, partagĂ©s entre rap, jazz et, bon sang ne saurait mentir, bien sĂ»r afrobeat. Coup de cƓur pour le sĂ©millant « Bad Man Lighter », qui fait danser tout en restant conscient du chaos ambiant, et « Kuku Kee Me », sur lequel les deux artistes appellent le peuple Ă  prendre le pouvoir. L’EP, en tout cas, est taillĂ© pour ! ■ S.R. SEUN KUTI & BLACK THOUGHT, African Dreams, Skebo LLC.

POLICIER

Page turner

Colson Whitehead obtiendrat-il un troisiĂšme prix Pulitzer pour ce nouveau roman ?

POURQUOI PAS
 En effet, celui-ci renoue avec la grande littĂ©rature afro-policiĂšre de Chester Himes, vivifiante, parfois absurde, souvent ironique, et franchement prenante. On y suit les mĂ©saventures d’un respectable vendeur new-yorkais de meubles et d’électromĂ©nager, Ray Carney. Il n’a rien Ă  se reprocher et veille sur sa famille
 Jusqu’au jour oĂč son cousin, Freddie, une mauvaise frĂ©quentation toute dĂ©signĂ©e, lui propose de participer au casse de l’hĂŽtel

HYBRIDE

Secrets de fabrication

Une plongée passionnante dans les carnets intimes de Orhan Pamuk.

L’OUVRAGE s’ouvre sur des montagnes qui dĂ©gringolent dans l’ocĂ©an, sur des mots qui pleuvent du ciel. Un Ă  un. Nous voici dans les labyrinthes de la pensĂ©e d’un crĂ©ateur. À la fois Ă©crivain et dessinateur. « Entre 7 et 22 ans, j’ai cru que je serais peintre. Puis, le peintre en moi est mort, et j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire des romans », confie l’auteur du Livre noir. Pourtant, en 2008, il ressort d’un marchand de couleurs avec crayons, gouaches et pinceaux. DĂšs lors, ses carnets de notes se couvrent de dessins. Son Ă©criture, Ă  la

COLSON WHITEHEAD, Harlem Shuffle, Albin Michel, 420 pages, 22,90 €.

Teresa, si frĂ©quentĂ© par les stars noires qu’on l’appelle le Waldorf. Bien entendu, rien ne va se passer comme prĂ©vu, et Ray va malgrĂ© lui goĂ»ter au goĂ»t doux-amer des magouilles
 Avec sa galerie de personnages aux surnoms truculents et ses moult rebondissements, Harlem Shuffle prouve que Whitehead, tout en questionnant l’identitĂ© noire, est l’un des plus grands Ă©crivains amĂ©ricains de sa gĂ©nĂ©ration. ■ S.R.

fois Ă©nigmatique et poĂ©tique, devenant, Ă  son tour, un paysage de lettres, de courbes, de cheminements de la pensĂ©e. C’est une chance de pouvoir se promener dans les calepins d’un conteur engagĂ©, observateur du monde qui l’entoure et cartographe de l’intime. Toujours Ă  la croisĂ©e des mondes. De son Istanbul natal aux territoires rĂȘvĂ©s. ■ C.F.

ON EN PARLE 18 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
ALEXIS MARYONDR (3)
ORHAN PAMUK, Souvenirs des montagnes au loin : Carnets dessinĂ©s, Gallimard, 396 pages, 39,50 €.

LE LYNCHAGE DU JEUNE EMMETT

En 1955, un adolescent noir est battu Ă  mort dans le Sud

ségrégationniste sur la base de fausses accusations. Un épisode

FONDATEUR MAIS MÉCONNU de l’histoire des Afro-AmĂ©ricains.

LORSQUE LE PRÉSIDENT Joe Biden signe en mars 2022 une loi interdisant – enfin ! – tout acte de lynchage au niveau fĂ©dĂ©ral, le texte porte le nom d’Emmett Till, et beaucoup dĂ©couvrent alors une histoire vieille de soixante-sept ans, aujourd’hui mise en images par la rĂ©alisatrice nigĂ©riano-amĂ©ricaine Chinonye Chukwu. En 1955, un jeune garçon noir de 14 ans en vacances chez ses cousins du Mississippi, regarde un peu trop longtemps une Ă©piciĂšre blanche, qu’il voit comme une star de cinĂ©ma : se sentant « salie », elle l’accuse de l’avoir violĂ©e, et pour la venger, son mari et deux autres hommes torturent Ă  mort l’adolescent. La mĂšre d’Emmett, qui Ă©levait seule son fils unique

Ă  Chicago, loin de la sĂ©grĂ©gation contre les Noirs, va alors sortir de sa rĂ©serve naturelle le jour des obsĂšques. Et demande que soit exposĂ© le corps atrocement tumĂ©fiĂ© de son fils Ă  la vue du public et des photographes. Un acte fondateur, prĂ©cĂ©dant Rosa Parks et Martin Luther King. Dans le film, la violence du drame et l’attitude des Blancs sont laissĂ©es volontairement Ă  distance, pour mieux mettre en valeur le courage de cette mĂšre de famille, dont les pressentiments sont nĂ©anmoins un peu trop appuyĂ©s. AcadĂ©mique, mais Ă©difiant. ■ J.-M.C. EMMETT TILL (États-Unis),de Chinonye Chukwu. Avec Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, Whoopi Goldberg. En salles.

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 19 DRAME
DR
Danielle Deadwyler incarne une mĂšre qui va tout faire pour obtenir justice pour son fils (Jalyn Hall).

RIAD SATTOUF, L’Arabe du futur 6 : Une jeunesse au MoyenOrient (1994-2011), Allary Éditions, 184 pages, 24,90 €.

UN MONDE EN MARCHE

Les aventures de Riad, de GisĂšle et d’Aya
 Trois bandes dessinĂ©es pour Ă©voquer L’ENGAGEMENT ET LA DIVERSITÉ.

‱ LA SAGA AUTOBIOGRAPHIQUE de Riad Sattouf, L’Arabe du futur (plus de 3 millions d’exemplaires, traduits en 23 langues), se termine avec un 6e tome poignant. Dans ce dernier opus, l’action se dĂ©roule entre 1994 et 2011, jusqu’au Printemps arabe et au dĂ©but de la guerre civile en Syrie. AprĂšs son histoire familiale douloureuse, de la rencontre entre son pĂšre, syrien, et sa mĂšre, française, Ă  son enfance passĂ©e entre la Libye, la Syrie et la France, l’auteur – l’un des rares Ă  avoir remportĂ© Ă  deux reprises le Fauve d’or du meilleur album au festival d’AngoulĂȘme – nous invite cette fois-ci Ă  plonger dans son intimitĂ©, de ses sĂ©ances de psy Ă  ses relations complexes avec son pĂšre : en tuant la figure paternelle, il finit par se libĂ©rer. Le goĂ»t de l’histoire vraie et son style faussement naĂŻf, soutenu par un usage subtil et Ă©conome de la couleur, lui valent Ă  juste titre un succĂšs mondial.

‱ C’est en Tunisie, Ă  la Goulette, que GisĂšle Halimi voit le jour. D’un pĂšre berbĂšre et d’une mĂšre juive, elle naĂźt sous le nom de Zeiza GisĂšle Elise TaĂŻeb. TrĂšs tĂŽt confrontĂ©e au racisme et aux inĂ©galitĂ©s, la future militante

DANIELE MASSE ET SYLVAIN DORANGE, Gisùle Halimi : Une jeunesse tunisienne, Delcourt, 136 pages, 17,95 €.

MARGUERITE ABOUET ET CLÉMENT OUBRERIE, Aya de Yopougon 7, Gallimard, 128 pages, 18 €.

fĂ©ministe, avocate, femmes de lettres et personnalitĂ© politique comprend que seules les Ă©tudes la sauveront d’un destin tout tracĂ©. DĂšs lors, elle ne cesse d’ĂȘtre guidĂ©e par les droits des peuples et les libertĂ©s fondamentales. GisĂšle Halimi : Une jeunesse tunisienne est le rĂ©cit de sa rĂ©sistance face aux diktats tant familiaux que politiques et de l’éclosion de ses engagements futurs. PortĂ© par le « Ne vous rĂ©signez jamais » d’une combattante d’exception.

‱ Dix ans qu’on attendait ce 7e tome d’Aya de Yopougon. Traduites en 15 langues et adaptĂ©es en film d’animation en 2013, les aventures d’Aya, Bintou et Adjoua convoquent vitalitĂ©, amitiĂ© et sujets brĂ»lants d’actualitĂ©. Nous sommes en 1981, pĂ©riode de fort dĂ©veloppement Ă©conomique en CĂŽte d’Ivoire. Mais les problĂšmes vont bon train. Injustice sociale, sexisme et inĂ©galitĂ©s demandent aux personnages une bonne dose de dĂ©termination et de rĂ©silience. Les voilĂ  en marche, engagĂ©s dans la lutte pour les droits des Ă©tudiants de l’universitĂ© de Cocody et la dĂ©fense des sans-papiers et des homosexuels. Un album empreint d’invention verbale et de situations cocasses. ■ C.F.

ON EN PARLE 20 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
BD
DR

HAMZA, ROI DU RAP

L’artiste belge d’origine marocaine dĂ©voile ses failles et ses espoirs dans son NOUVEL ALBUM.

LORSQU’ON appelle son album SincĂšrement, Hamza, c’est qu’on ne compte pas faire appel Ă  des faux-semblants. Et en effet, le rappeur belge a le don de partager ses Ă©tats d’ñme, sans pathos, ce qu’on entend dans « Ma rĂ©alitĂ© », « Plus jamais la mĂȘme » ou encore « Tsunami », qui sont instantanĂ©ment mĂ©morables. Parmi ses influences, les sonoritĂ©s synthĂ©tiques de Drake. Ainsi, le rap est autotunĂ©, habitĂ©, aussi bien mĂ©lancolique que dansant, comme en tĂ©moigne « Nocif », portĂ© par un sample de « Lady » du groupe Modjo ! « Je fonctionne au feeling. Quand j’ai envie de faire la fĂȘte, ça vient, quand j’ai envie de vivre mes Ă©motions plus mĂ©lancoliques, pareil », commente celui qui affirme qu’il faut garder son Ăąme d’enfant. Il avait pour mission d’ĂȘtre entiĂšrement sincĂšre avec lui-mĂȘme comme avec son public : « Cet album, c’est juste moi, que je parle d’amour, m’amuse ou traite des relations humaines. À une Ă©poque, j’avais beaucoup plus de personnes autour de moi, mais j’ai rĂ©duit le cercle. On peut vite se faire dĂ©vorer par des gens qui sont motivĂ©s par des mauvaises raisons. Si je vois que la relation n’est pas authentique, c’est terminĂ©. » En bonus : un duo avec le rappeur amĂ©ricain Offset, du trio Migos. « C’était une expĂ©rience

galvanisante de travailler avec lui en studio. » S’il fait dĂ©sormais partie des figures les plus populaires du rap francophone actuel, Hamza a encore des rĂȘves Ă  rĂ©aliser. Comme se produire au Maroc : « Depuis qu’il y a des plates-formes dans la plupart des pays africains, je sens que plus de gens m’écoutent. Et ça me fait plaisir car je rĂȘve de rencontrer mon public marocain, d’aller jouer dans ce magnifique pays. Et mĂȘme partout en Afrique. Le marchĂ© musical est en train de devenir trĂšs important, Ă  bien des Ă©gards. » D’ailleurs, loin de n’écouter que du hip-hop, il aime la pop amĂ©ricaine des annĂ©es 1980 autant que les productions nigĂ©rianes et l’afrobeat : « C’est par curiositĂ© que je pars Ă  la dĂ©couverte de ce qui se fait
 La musique, je ne cesse de l’explorer, c’est un besoin vital. » ■ S.R. HAMZA, SincĂšrement, Hamza, Trez Records.

URBAIN BEN
DORADO

UKANDANZ Crush éthiopien

Dans ce BOUILLONNANT Kemeken, le groupe explore avec force cuivres jazzy et rock progressif.

IL ÉTAIT UNE FOIS quatre jazzmen français amoureux de la musique Ă©thiopienne, qu’ils mĂȘlaient de plus en plus Ă  leurs aventures sonores, jusqu’à vivre une sorte d’épiphanie en partageant, en 2010, la scĂšne du Festival international des musiques Ă©thiopiennes avec le chanteur Asnake Guebreyes. C’est le coup de foudre musical. Et il dure ! Aujourd’hui, Ukandanz livre un superbe Kemekem cuivrĂ©, Ă©lectrique, rythmique, et parfois mĂȘme psychĂ©dĂ©lique, comme sur le morceau-titre. Le timbre de Guebreyes habite des mĂ©lopĂ©es d’obĂ©dience folklorique ou prog rock, qui nous emmĂšnent bien loin d’un quotidien morose, rĂ©conciliant les cƓurs comme les continents. ■ S.R.

UKANDANZ, Kemekem, Compagnie 4000/InOuĂŻe.

COUP DE PROJECTEUR LE BÉNIN S’INVITE AU MAROC

Une SCÈNE ARTISTIQUE contemporaine en pleine mutation.

PEINTURE, SCULPTURE, installation, vidĂ©o, art numĂ©rique, dessin
 À Rabat, les Ɠuvres de 34 artistes, majeurs et Ă©mergents, du BĂ©nin et de ses diasporas, cĂ©lĂšbrent la vitalitĂ© et la vivacitĂ© de l’art contemporain de l’ancien Royaume du Dahomey. Cette prĂ©sentation fait suite Ă  l’exposition organisĂ©e l’annĂ©e derniĂšre au palais de la Marina, Ă  Cotonou, qui mettait, de façon simultanĂ©e, un coup de projecteur sur les 26 trĂ©sors royaux restituĂ©s par le musĂ©e du quai Branly. Si les thĂšmes abordĂ©s ici mĂȘlent visible et invisible, mythes et lĂ©gendes, introspection, quĂȘte identitaire et problĂ©matiques contemporaines, le voyage se fait multiple, alliant passĂ© et prĂ©sent, individualitĂ© et universalisme. EngagĂ©e dans la valorisation de sa crĂ©ation contemporaine, la RĂ©publique du BĂ©nin compte ainsi non seulement faire dĂ©couvrir sa scĂšne artistique par-delĂ  ses frontiĂšres, mais aussi doter son territoire de quatre nouveaux musĂ©es d’importance internationale. Notamment le MusĂ©e de l’épopĂ©e des amazones et des rois du DanxomĂš (MEARD), Ă  Abomey, et le MusĂ©e d’art contemporain de Cotonou (MACC). À suivre. ■ C.F.

« ART DU BÉNIN D’HIER ET D’AUJOURD’HUI : DE LA RESTITUTION À LA RÉVÉLATION (VOLET CONTEMPORAIN) », MusĂ©e Mohammed VI d’art moderne et contemporain, Rabat (Maroc), jusqu’au 15 mai. expoartbenin.bj

ON EN PARLE 22 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
ALLIANCE
BERTRAND GAUDILLERE/ITEMDR (2)

BEAU LIVRE UN ART ANCESTRAL ET MULTIPLE

Cet ouvrage précieux rend HOMMAGE AUX TISSUS du continent sous toutes leurs facettes.

DÉDIÉ AUX ARTS TEXTILES AFRICAINS, ce beau livre nous est proposĂ© par deux chercheurs et une conservatrice. ReliĂ© sous Ă©tui et habillĂ© de toile imprimĂ©e, ce prĂ©cieux ouvrage plonge le lecteur dans un panorama de crĂ©ations Ă©blouissantes, provenant du Cap Vert, du Ghana, du Cameroun, du Mali ou encore de Madagascar. Comme le rappelle la collectionneuse de textiles MabatNgoup Ly Dumas dans la prĂ©face, la plupart des tissus prĂ©sents dans ces pages ne sont plus produits, mais nombre de techniques dont ils sont nĂ©s perdurent, s’adaptent et continuent d’inspirer artisans et artistes Ă  travers le monde. Ainsi, au fil des 200 notices et 400 images, on dĂ©couvre des piĂšces uniques conservĂ©es par les plus importants musĂ©es du monde. Indissolublement liĂ© Ă  la culture, l’histoire et la vie des artisans, l’art du tissage tĂ©moigne, dans sa variĂ©tĂ©, de la richesse et de l’inventivitĂ© qui imprĂšgnent le continent. ■ L.N.

DUNCAN CLARKE, VANESSA DRAKE

MORAGA ET SARAH FEE , Textiles africains, Citadelles & Mazenod, 448 pages, 165 €.

ÉLECTRO

COUP TRIPLE

Le nouvel opus d’ACID

ARAB confirme son propos fédérateur et dansant.

DEPUIS LEUR ALBUM RÉVÉLATION Musique de France en 2016, Pierre-Yves Casanova, Nicolas Borne, HervĂ© Carvalho, Guido Minisky et Kenzi Bourras n’ont pas chĂŽmĂ©, publiant des compilations et crĂ©ant leur propre label. Leur volontĂ© de rĂ©inventer la musique traditionnelle arabe avec force boĂźtes Ă  rythmes et synthĂ©tiseurs n’a pas faibli, comme l’atteste ce trĂšs rĂ©ussi Trois, qui s’ouvre sur le superbe « Leila », partagĂ© avec Sofiane Saidi. Il n’est pas seul Ă  intervenir : ici, on entend Wael Alkak, Cem Yildiz, Ghizlane Melih, Khnafer Lazhar, Fella Soltana, Cheb Halim et, surtout, le regrettĂ© Rachid Taha. NĂ© d’une improvisation nocturne sur un morceau techno, « Rachid Trip » rappelle toute l’intensitĂ© et l’authenticitĂ© de la rock’n’roll attitude du musicien algĂ©rien. ■ S.R. ACID ARAB, Trois, Crammed Discs/L’Autre Distribution/Pias. En tournĂ©e mondiale.

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 23
DRPHILIPPE LEVY

AWA MEITÉ, « STYLISTE PEINTRE »

« DALI », signifiant « fait main » en bambara, est le nom de la derniĂšre collection d’Awa MeitĂ©, l’une des plus talentueuses designeuses maliennes. Ses crĂ©ations, entre le boubou et l’habit moderne, sont pensĂ©es pour les hommes et les femmes qui aiment se sentir Ă  l’aise au quotidien, tout en osant des tenues visuellement percutantes et de haute qualitĂ©. VĂ©ritable « styliste peintre », elle travaille ses silhouettes en coton et fibres naturelles comme des toiles. L’agencement des couleurs, la superposition des palettes et des matiĂšres, crĂ©ent des reliefs et des motifs qui rappellent la nature – l’une de ses sources d’inspiration – et donnent du mouvement aux piĂšces. Pour cette collection, elle a notamment employĂ© des chutes de fils pour crĂ©er des franges ou dĂ©corer les magnifiques plastrons en cuir touareg, et a jouĂ© avec les tonalitĂ©s fluo, comme le rose ou le bleu clair, Ă©tonnante variation d’indigo. Le recours Ă  des formes amples et souples et Ă  de simples encolures bateau ou danseuse, au lieu de cols plus ou moins

ornementaux, est dictĂ© par la portabilitĂ© des vĂȘtements, qui n’ont ni boutons ni zips (ou presque). Chaque piĂšce est unique. Parce que, pour celle qui promeut depuis plus de vingt ans une mode durable, centrĂ©e sur les savoirs sĂ©culaires des communautĂ©s, la fabrication artisanale n’est pas une valeur ajoutĂ©e. Le tissage, le filage et la couture Ă  la main sont au cƓur mĂȘme d’un mĂ©tier qui a un impact socio-Ă©conomique rĂ©el dans la rĂ©gion Bambara. Pendant sa carriĂšre, qui l’a amenĂ©e Ă  innover dans les compositions et les motifs tout en gardant une identitĂ© artistique reconnaissable, elle a toujours travaillĂ© en Ă©troite collaboration avec les diffĂ©rents artisans, qu’elle aime faire interagir les uns avec les autres. Au sein du centre de formation des mĂ©tiers Ă  tisser de Koulikoro, qu’elle a créé, comme dans son atelier, le partage de l’espace stimule la crĂ©ativitĂ© et nourrit les liens sociaux, donnant vie Ă  des piĂšces qui possĂšdent toujours une touche extraordinaire. ■ L.N.

ON EN PARLE 24 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
La designeuse s’amuse avec les couleurs flashy et propose des tenues durables valorisant le FAIT-MAIN MALIEN.
MODE

 et joue avec des tonalités vives, comme le rose ou le bleu. Elle utilise des chutes de fils pour créer des franges

BIZENGABIZ (3)ANTOINE TEMPÉ
Awa Meité.

DESIGN MOYO BY BIBI PLEIN LES YEUX

SI ELLE LE POUVAIT, elle couvrirait de perles colorĂ©es le monde. Pour l’instant, et depuis la naissance de Moyo By BiBi en 2016, Bibi Ahmed se contente (et c’est dĂ©jĂ  beaucoup !) de dĂ©corer des accessoires de caractĂšre dans son atelier au Kenya, avec une quinzaine d’artisanes. Manchettes, corsets, tours de cou, gants, couvre-chefs ou pochettes, tous sont soigneusement parĂ©s Ă  la main de perles aux couleurs chatoyantes. MĂȘme si elle a Ă©voluĂ© vers un style un peu plus classique pour ses derniĂšres collections, dĂ©clinĂ©es en noir et or. Chaque piĂšce arbore des formes complexes ou des motifs Ă©tonnants.

La designeuse les imagine avec humour, inspirĂ©e par ce qui l’entoure, comme les craquelures des maisons en boue d’un village kĂ©nyan ou un certain style british
 NĂ©e Ă  Mombasa et arrivĂ©e outre-Manche Ă  12 ans, elle garde les deux cultures dans son cƓur (« moyo » en swahili), et ce mĂ©lange alimente depuis toujours sa crĂ©ativitĂ©. L’idĂ©e de lancer son label lui est venue lors de l’enterrement de sa grand-mĂšre adorĂ©e, au Kenya, en voyant les sandales Ă  perles massaĂŻs de sa tante. Aujourd’hui, ses crĂ©ations se vendent partout dans le monde, et Bibi, qui n’est pas prĂšs de s’arrĂȘter, envisage dĂ©jĂ  de nouvelles collabs avec des stylistes africains. ■ L.N. moyobybibi.com

DR
Avec ses crĂ©ations vives et perlĂ©es par des ARTISANES KÉNYANES, la marque a su sĂ©duire fashionistas et Afropolitains.

SPOTS

PLACE AUX CHEFFES MAROCAINES

EN NOVEMBRE DERNIER, une nouvelle adresse a vu le jour dans le quartier marrakchi de GuĂ©liz. Le Sahbi Sahbi, « Ăąmes sƓurs » en darija, met Ă  l’honneur tant les cheffes que la cuisine marocaine. Tenu exclusivement par des femmes, le lieu a Ă©tĂ© dessinĂ© comme un espace chaleureux et convivial, oĂč le paradigme d’une tradition culinaire secrĂšte, qui se transmet de mĂšre en fille, est renversĂ©. La cuisine ouverte devient l’épicentre du restaurant, et on assiste au ballet des cheffes, pendant qu’elles concoctent et racontent les plats traditionnels. À la carte : tagines, pastillas, et l’immanquable couscous (proposĂ© tous les vendredis midi en trois versions diffĂ©rentes, comme celle au maĂŻs). La dĂ©co artisanale participe Ă  l’univers intimiste, jouant avec la lumiĂšre, les matĂ©riaux et les tonalitĂ©s naturelles. sahbisahbi.com

L’emmenant du Maroc Ă  la Suisse, la vie de la talentueuse Zizi Hattab l’a poussĂ©e Ă  crĂ©er le premier restaurant suisse Ă©toilĂ© 100 % vĂ©gan, Kle, oĂč elle conçoit des plats sans oublier la tradition gastronomique de son pays d’origine. Le nom

du lieu fait rĂ©fĂ©rence au « sauerklee » (le terme allemand pour l’oxalis), une plante consommĂ©e depuis des millĂ©naires. Dans ce petit restaurant de quartier plein de charme, on sert des menus dĂ©gustation qui changent suivant les saisons et mĂ©langent les saveurs. Cet hiver est proposĂ© du cĂ©leri-rave lĂ©gĂšrement caramĂ©lisĂ©, servi avec une version maison de la sauce mexicaine aguachile. Ou un baba au sirop de rhum avec mousse au chocolat, Ă©pices chai, amandes caramĂ©lisĂ©es et gianduja. restaurantkle.com ■ L.N.

ON EN PARLE 26 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
Qu’elles renouvellent la tradition culinaire Ă  MARRAKECH ou ouvrent un restaurant vĂ©gan Ă©toilĂ© Ă  ZURICH, elles sont Ă  suivre de prĂšs.
Le Kle propose des plats oĂč rĂšgnent les lĂ©gumes.
ERNA DRION (2)PASCAL MONTARY (2)
Ci-dessous, le couscous est le plat phare du Sahbi Sahbi, tenu par des femmes.

Tiskmoudine, ou le « tourisme régénératif »

EST-CE QUE LA RÉNOVATION raisonnĂ©e

d’un ksar (ancien village fortifiĂ©), en lisiĂšre du dĂ©sert et en dehors des tracĂ©s touristiques, peut engendrer la rĂ©gĂ©nĂ©ration de toute une communautĂ© ? C’est en tout cas avec cet objectif sur le long terme que Thierry Teyssier, dĂ©jĂ  derriĂšre le luxueux Dar Ahlam et l’hĂŽtel itinĂ©rant 700 000 heures, a investi Tiskmoudine, dans le Sud marocain. Son idĂ©e est d’en faire un modĂšle de « tourisme rĂ©gĂ©nĂ©ratif », rĂ©plicable ailleurs en Afrique. Au dĂ©part, l’organisation

Global Heritage Fund (GHF) a rĂ©novĂ© un ancien grenier collectif avec l’aide d’une association locale. Mais les villageois ont ensuite souhaitĂ© valoriser le minutieux travail de l’architecte Salima Naji, adepte de la restauration par des techniques vernaculaires. Sur commande de Teyssier et du GHF, elle a donc poursuivi la rĂ©novation d’une dizaine de maisons, y compris le four Ă  pain et les locaux destinĂ©s Ă  la nouvelle coopĂ©rative de tisserandes, afin d’accueillir des voyageurs (six au maximum). Tout a Ă©tĂ© pensĂ©

pour minimiser l’empreinte humaine et laisser la parole Ă  l’histoire : ici, pas de tuyauteries pour l’eau courante ni de cĂąbles Ă©lectriques, mais des porteurs d’eau et des maĂźtres des lanternes. MĂȘme le chauffage, Ă  bois, est rĂ©versible. Une part des recettes touristiques sont rĂ©investies dans le village, et les services sont fournis par les habitants. Un vĂ©ritable cercle vertueux qui devrait permettre de dĂ©velopper d’autres projets et de relancer une Ă©conomie qui s’étend au-delĂ  du tourisme. ■ L.N.

ARCHI
Dans le sud du Maroc, la rĂ©novation d’un KSAR RECONVERTI EN AUBERGE a permis de relancer l’économie de maniĂšre profonde.
DR

Shaïn Boumédine

PARMI LES DOUÉS DE SA GÉNÉRATION,

le comĂ©dien, rĂ©vĂ©lĂ© dans Mektoub, my Love, d’Abdellatif Kechiche, est ce mois-ci Ă  l’affiche de Pour la France, qui dĂ©peint un lien fraternel complexe, Ă©voquant le dĂ©racinement, l’assimilation. par Astrid Krivian

C’est l’histoire d’AĂŻssa, un jeune homme ayant fui la guerre civile des annĂ©es 1990 en AlgĂ©rie, avec sa mĂšre (Lubna Azabal) et son frĂšre, IsmaĂ«l (Karim Leklou). RĂȘvant de devenir officier de l’armĂ©e française, il intĂšgre la prestigieuse Ă©cole militaire de Saint-Cyr. Lors d’un bizutage, il perd la vie, Ă  23 ans. IsmaĂ«l va alors batailler pour connaĂźtre la vĂ©ritĂ© et obtenir des funĂ©railles dignes de son engagement, faisant ainsi ressurgir le passĂ©. Dans ce film fort, poignant, ShaĂŻn BoumĂ©dine offre un jeu plein de densitĂ©, de prĂ©sence, et compose un protagoniste tout en nuances, explorant ses failles, entre intĂ©rioritĂ© et rĂ©volte viscĂ©rale. L’acteur de 26 ans partage avec lui ce dĂ©sir de servir les autres, puisqu’il souhaite intĂ©grer les pompiers volontaires. NĂ© Ă  Montpellier d’une mĂšre d’origine marocaine et d’un pĂšre d’origine algĂ©rienne, le jeune homme pratique trĂšs tĂŽt le football ; il aspire d’abord Ă  une carriĂšre de sportif professionnel, puis d’architecte, Ă  la suite d’une blessure. Jusqu’à sa rencontre avec le 7e art. Adolescent, il accompagne un ami Ă  une audition pour la tĂ©lĂ©vision, et laisse ses coordonnĂ©es. Deux ans plus tard, la directrice de casting de Mektoub, my Love : Canto uno, d’Abdellatif Kechiche, le contacte. Le rĂ©alisateur franco-tunisien lui propose le premier rĂŽle masculin, Amin, un passionnĂ© d’écriture et de photographie. Solaire, sensuel, le film suit la circulation du dĂ©sir au sein d’une bande d’adolescents le temps d’un Ă©tĂ© Ă  SĂšte. ShaĂŻn abandonne alors ses Ă©tudes en travaux publics et fait ses gammes sous la houlette d’un cinĂ©aste exigeant, trĂšs attentif aux dĂ©tails, qui demande un engagement total Ă  ses comĂ©diens. « Intense, constant et prĂ©cis, le travail avec Abdellatif a Ă©tĂ© mon Ă©cole. Il m’a appris Ă  dĂ©cortiquer le personnage jusque dans ses moindres recoins. C’était une composition trĂšs dĂ©licate, sur le fil, qui jouait sur les silences : il fallait exprimer beaucoup de sentiments, d’idĂ©es, avec trĂšs peu de mots. » Il enchaĂźne les suites de ce premier volet, Intermezzo et Canto due (dont la sortie en salles est toujours attendue), ainsi que L’ÉtĂ© nuclĂ©aire, de GaĂ«l LĂ©pingle, PlacĂ©s, de Nessim Chikhaoui, et la sĂ©rie tĂ©lĂ© Les Sauvages. CinĂ©phile Ă©clectique, des comĂ©dies d’Alain Chabat aux Ɠuvres du maestro Martin Scorsese, admirateur de la « carriĂšre exemplaire » de Tahar Rahim, ShaĂŻn aborde chaque rĂŽle comme un dĂ©fi. Pour lui, le mĂ©tier de comĂ©dien passe d’abord par l’art de l’observation : « C’est ainsi que l’on peut retranscrire une rĂ©alitĂ©. Puis, on puise en nous des Ă©motions proches de celles du personnage. » Passer des auditions est loin d’ĂȘtre une partie de plaisir, mais le MontpelliĂ©rain le prend avec philosophie : « L’acteur est Ă  la merci du dĂ©sir des autres : cinĂ©astes, public, directeurs de casting
 Il faut l’accepter ! » PassionnĂ© de sport, de mode et d’automobile, il rĂȘve de camper un pilote de Formule 1 Ă  l’écran. AttachĂ© Ă  ses racines, il vit toujours sous le soleil du Midi, entre mer et montagne. Et frĂ©quente les mĂȘmes amis depuis la maternelle : « Ils pensent que j’étais nommĂ© pour un Oscar ! »

Un Oscar, pas encore, mais un CĂ©sar du meilleur espoir masculin, un jour peut-ĂȘtre : ShaĂŻn a en effet fait partie des RĂ©vĂ©lations de l’annĂ©e – une prĂ©sĂ©lection pour ce CĂ©sar – pour son rĂŽle dans PlacĂ©s. Et c’était la deuxiĂšme fois ■

PARCOURS 28 AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023
DR
Pour la France, de Rachid Hami, sortie en France le 8 février.
PHILIPPE QUAISSE/PASCO & CO
«L’acteur est Ă  la merci du dĂ©sir des autres: cinĂ©astes, public, directeurs de casting
 Il faut l’accepter!»

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ET NOS ANCIENS

Ces derniers jours, l’Hexagone s’enflamme au sujet des retraites. La population est vent debout contre l’allongement des cotisations et le report de 62 Ă  64 ans de l’ñge lĂ©gal de dĂ©part au repos. Vus d’Europe, oĂč la plupart des pays ont dĂ©jĂ  repoussĂ© la date fatidique bien plus loin et depuis longtemps, les Français font un peu figure de flemmards. Vus d’Afrique, c’est trĂšs diffĂ©rent. On pense, Ă  juste titre, que c’est vraiment un problĂšme de riches. Car le continent connaĂźt une rĂ©alitĂ© bien diffĂ©rente. Dans la majeure partie des pays, dotĂ©s d’une pyramide des Ăąges inversĂ©e, le vrai casse-tĂȘte du moment, c’est pas les vieux, ce sont les jeunes ! Depuis des dĂ©cennies, l’espĂ©rance de vie trĂšs basse des populations a motivĂ© des politiques de dĂ©part Ă  la retraite trĂšs tĂŽt, autour de 55 ans pour la plupart des fonctionnaires et autres cotiseurs. Au grand dam de ces derniers (l’inverse de chez nous !), car les pensions sont minables et rarement versĂ©es en temps et en heure, les caisses Ă©tant la plupart du temps exsangues. MoralitĂ©, on prĂ©fĂšre travailler plus longtemps pour vivre mieux. Les quelques derniĂšres mesures qui ont dĂ©calĂ© l’ñge de dĂ©part Ă  60 ans ont Ă©tĂ© applaudies !

Cela dit, elles ne concernent qu’une infime partie de privilĂ©giĂ©s, car les Ă©conomies tournent en gĂ©nĂ©ral Ă  80 % dans l’informel, donc les cotisations pour toucher une pension, 80 % des Africains ne savent pas ce que c’est. Partout, l’assurance vieillesse, selon l’adage qui a la vie dure, ce sont les enfants ! Pourtant, au-delĂ  du problĂšme d’agrandir l’assiette des cotisations, les gouvernements devraient commencer Ă  se pencher sĂ©rieusement sur le sujet. Car selon les projections les plus sĂ©rieuses, et tant mieux, l’espĂ©rance de vie progresse. Lentement, mais sĂ»rement. Le nombre de personnes de plus de 60 ans sur le continent est ainsi passĂ© de 12 millions en 1950 Ă  53 millions en 2005, et devrait atteindre, selon les estimations des Nations unies, 200 millions en 2050. Certains pays, un peu plus visionnaires que d’autres, ont dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  rĂ©former leurs caisses de retraite pour faire face Ă  l’allongement de la pĂ©riode de versement, comme le Maroc ou la CĂŽte d’Ivoire. Car on peut aussi supposer que le dĂ©veloppement du continent passera par la diminution du monde de l’informel et que l’urbanisation changera peu Ă  peu les mentalitĂ©s dans la gestion des vieux, des veuves et des orphelins par les familles. Bref, un vaste chantier Ă  ciel ouvert pour demain. ■

AFRIQUE MAGAZINE I 437 – FÉVRIER 2023 31
DOM
? PAR EMMANUELLE PONTIÉ C’EST COMMENT ?

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