DJIBOUTI
LA FIN DE LA FRANCE EN AFRIQUE ?







LA BOMBE DĂMOGRAPHIQUE
Les chiffres peuvent donner le vertige. LâAfrique vit une rĂ©volution dĂ©mographique majeure. Sa population globale a Ă©tĂ© multipliĂ©e par cinq en soixante ans, entre 1960 et 2020. Aujourdâhui, elle compte plus de 1,2 milliard dâhabitants, soit 15 % de la population mondiale, contre 7 % en 1960. Ă quelques rares exceptions prĂšs, au Maghreb, et tout particuliĂšrement en Tunisie, la transition dĂ©mographique du continent est Ă peine entamĂ©e. Nous continuons Ă croĂźtre sur une cadence trop Ă©levĂ©e, de plus de 2,7 % par an. Une femme française a en moyenne 1,8 enfant. Une Africaine en a 4,4, et mĂȘme 6,8 si elle vit au Niger. Au rythme actuel, en 2050, dans un peu moins de trente ans, la population du continent aura doublĂ© pour atteindre 2 milliards dâĂȘtres humains. Le Nigeria aura dĂ©trĂŽnĂ© les Ătats-Unis comme troisiĂšme pays le plus peuplĂ© de la planĂšte (derriĂšre la Chine et lâInde), avec prĂšs de 450 millions dâhabitants. Et la RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo pourrait devenir le huitiĂšme, avec prĂšs de 215 millions dâhabitants. Juste devant lâĂthiopie (213 millions). Les pays du Sahel sont particuliĂšrement concernĂ©s. Le Niger pourrait compter 70 millions dâhabitants (concentrĂ©s largement dans sa bande sud), et le Mali pourrait dĂ©passer la barre des 50 millions. MĂȘme lĂ oĂč les situations sont relativement sous contrĂŽle, on parle facilement de doublement de la population. 50 millions dâhabitants en CĂŽte dâIvoire. 30 millions au SĂ©nĂ©gal⊠Ces prĂ©visions restent Ă©videmment des prĂ©visions. Mais la tendance de fond est lĂ . Câest une situation dâurgence existentielle.
On connaĂźt les arguments du relativisme dĂ©mographique. Oui, effectivement, les enfants sont une richesse, mais une richesse humaine, pas une force de travail. Oui, il faut tenir compte du poids des traditions, du religieux, mais pas au point de sacrifier la nation. Oui, la densitĂ© humaine moyenne du continent reste relativement faible (disons 46 habitants au kilomĂštre carrĂ©), mais ce chiffre cache des disparitĂ©s majeures (trĂšs forte concentration cĂŽtiĂšre, dĂ©peuplement des hinterlands, exode rural massifâŠ).
La rĂ©alitĂ©, incontournable, câest que ces niveaux de croissance dĂ©mographique ne sont pas

soutenables. Ils handicapent le dĂ©veloppement et lâĂ©mergence du continent. Le prĂ©sident nigĂ©rien Mohamed Bazoum, en pointe sur le sujet malgrĂ© les risques politiques, lâa dit : « Aussi longtemps que nous ferons des enfants sans avoir lâintention de vraiment bien les nourrir et les Ă©duquer, nous serons exposĂ©s Ă lâextrĂȘme pauvretĂ©, et notre orgueil national sera toujours affectĂ© par notre rang de dernier pays du monde en matiĂšre dâindice de dĂ©veloppement humain⊠»
Oui, la rĂ©alitĂ©, câest que lâAfrique doit maĂźtriser sa fĂ©conditĂ©, quels que soient les tabous, les a priori, les environnements religieux. Et que la clĂ© de cette maĂźtrise se trouve chez les femmes et les filles, leur Ă©ducation, leur protection, leur intĂ©gration dans le marchĂ© du travail, lâĂ©galitĂ© des droits (nous y reviendrons).
Du nord au sud, les taux de croissance Ă©conomique moyens de 5 % sont largement avalĂ©s par lâaccroissement des populations. La sĂ©curitĂ© alimentaire, la sĂ©curitĂ© en eau, les sources dâĂ©nergie vont devenir des paramĂštres de survie (on pense Ă lâĂgypte avec une population estimĂ©e Ă 160 millions dâhabitants Ă mi-siĂšcleâŠ). La dynamique favorise lâĂ©mergence de mĂ©ga-citĂ©s dont la maĂźtrise va devenir incroyablement complexe. La dĂ©mographie impose aux Ătats de fortes pressions, en matiĂšre dâinvestissements sociaux, en particulier dans lâĂ©ducation, la santĂ©, alors que la situation actuelle est dĂ©jĂ dĂ©gradĂ©e. Les populations trĂšs jeunes sont « rĂ©volutionnaires » par nature, exigeantes. Elles ont besoin dâemplois, de pouvoir se dessiner un avenir. Comment crĂ©er ces centaines de millions de jobs urbains dans les dĂ©cennies Ă venir ? Comment « turbocharger » la production agricole pour nourrir ces centaines de millions de jeunes ? Comment financer un tel effort Ă lâĂ©chelle dâun continent ? Comment mobiliser les opinions internationales sur lâimpact planĂ©taire de ce qui se passe aujourdâhui en Afrique ?
Ce dĂ©bat est central pour nous, Africains. Parce que la rĂ©alitĂ©, câest que notre continent va devenir le centre du monde. Par sa population, il sera au cĆur des enjeux, Ă©conomiques, sociĂ©taux, climatiques. â
N°437 FĂVRIER 2023
3 ĂDITO
La bombe démographique par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
CâEST DE LâART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
Zanele Muholi, la voix engagée de la photo

28 PARCOURS
Shaïn Boumédine par Astrid Krivian
31 CâEST COMMENT ? Et nos anciens ? par Emmanuelle PontiĂ© 50 CE QUE JâAI APPRIS Youssou Ndour par Astrid Krivian et CĂ©dric Bouvier
78 VIVRE MIEUX
Les belles avancĂ©es de la mĂ©decine par Annick Beaucousin 90 VINGT QUESTIONS Ă⊠Khady Diallo par Astrid Krivian P.06
TEMPS FORTS
32 La fin de la France en Afrique ? par Zyad Limam et Emmanuelle Pontié
42 Moïse Katumbi se veut prophÚte en son pays par Cédric Gouverneur

52 Djibouti, veille dâĂ©chĂ©ances par Thibaut Cabrera
60 Tahar Ben Jelloun : « Aller vers la lumiÚre » par Catherine Faye
66 Djamel Tatah : Conjuguer le « je » et le « nous » par Astrid Krivian
72 Yamen Manai, au bord de lâabĂźme par Astrid Krivian
P.32
P.42
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ON EN PARLE
Câest maintenant, et câest de lâart, de la culture, de la mode, du design et du voyage
ĂVĂNEMENT
ZANELE MUHOLI La voix engagée de la photo
AprĂšs Londres et Berlin, câest au tour de Paris dâaccueillir la SUPERBE RĂTROSPECTIVE sur lâartiste dâAfrique du Sud.
LA MAISON EUROPĂENNE DE LA PHOTOGRAPHIE (MEP) prĂ©sente la premiĂšre rĂ©trospective en France de lâactiviste visuel·le non-binaire [personne ne se sentant ni femme ni homme, ndlr] Zanele Muholi. Ă travers plus de 200 photographies, vidĂ©os et installations créées depuis le dĂ©but des annĂ©es 2000 et de nombreux documents dâarchives, lâexposition met en lumiĂšre sa capacitĂ© Ă rendre visible les personnes LGBT+ et racisĂ©es ainsi que son combat contre les injustices. Dans ses portraits individuels et collectifs qui ont fait le tour du monde, l'artiste questionne les stĂ©rĂ©otypes, montre la diversitĂ© et la singularitĂ© des membres de cette communautĂ©, et rend hommage Ă leur courage et leur dignitĂ© face aux discriminations. Ses Ćuvres ne sont jamais neutres : elles interrogent le spectateur et le poids de lâhĂ©ritage culturel colonialiste et patriarcal dans sa vision du monde. Muholi, qui rĂ©flĂ©chit aussi Ă lâimage des femmes noires dans lâhistoire Ă travers ses autoportraits, collabore toujours avec ses modĂšles. Ce ne sont pas des sujets passifs devant lâappareil. Au contraire, ils font entendre leur voix : leur participation active Ă lâĆuvre contribue Ă dĂ©terminer le lieu, les vĂȘtements, ou la pose de chaque prise de vue. Les clichĂ©s pris dans les moments dâintimitĂ© ou les espaces publics â dont certains ont marquĂ© lâhistoire de lâAfrique du Sud â donnent Ă voir autant dâimages fortes et positives dâune communautĂ© souvent cachĂ©e et marginalisĂ©e, tout en promouvant le respect des individus qui la composent. â Luisa



Rien ne semble pouvoir arrĂȘter la jeune hĂ©roĂŻne, interprĂ©tĂ©e par Sania Halifa.

SOUNDS
à écouter maintenant !
Batida Neon Colonialismo, Cram 316




Depuis quelques annĂ©es, on suit avec attention le travail (passionnant) de Pedro Coqueñao, artiste pluridisciplinaire, maĂźtrisant autant la danse que lâimage et le son, nĂ© en Angola et Ă©levĂ© Ă Lisbonne. Avec ce nouvel album oĂč sont conviĂ©s ses fidĂšles complices, tel Ikonoklasta, il cultive un propos aussi poĂ©tique que groovy autour de la grande question du colonialisme. Bonus : un superbe duo avec Mayra Andrade, « Bom Bom ».

MICHELLE OBAMA, ADOPTEZ-MOI !
APRĂS LE SUCCĂS INTERNATIONAL de Mignonnes (2020) au cinĂ©ma, la jeune rĂ©alisatrice franco-sĂ©nĂ©galaise MaĂŻmouna DoucourĂ© frappe fort sur la plate-forme dâAmazon avec un film oĂč la chanteuse Yseult et lâastronaute Thomas Pesquet croisent la route dâune adolescente trĂšs particuliĂšre. Hawa vit prĂšs de Paris avec Maminata, sa grand-mĂšre et seule parente, une griotte qui va bientĂŽt mourir, drĂŽlement bien incarnĂ©e par Oumou SangarĂ©. Lâadolescente de 15 ans nâa alors quâun but : remplacer Maminata par⊠Michelle Obama, rien que ça ! Lâex-first lady est en France pour la promotion de son livre, et Hawa va tout faire pour la rencontrer et lui demander de lâadopter. Rien ne semble arrĂȘter la petite hĂ©roĂŻne, jeune fille albinos Ă la coupe afro et aux lunettes en cul de bouteille, taiseuse et butĂ©e. Un conte parfois bancal, mais dont lâoriginalitĂ© est assumĂ©e jusquâau bout. â Jean-Marie Chazeau HAWA (France),de MaĂŻmouna DoucourĂ©. Avec Sania Halifa, Oumou SangarĂ©. Sur Amazon Prime Video.

Souvenez-vous : au milieu des annĂ©es 1980, ce jeune rappeur fondait Assassin aux cĂŽtĂ©s de Solo, ouvrant la voie Ă NTM et autres IAM. AprĂšs des hauts et des bas, il reste toujours trĂšs actif, en tĂ©moigne ce troisiĂšme projet en trois ans, PP+. Les featurings sont efficaces (« Monde meilleur » avec la chanteuse soul Robin, « Retweet » avec Doc GynĂ©co), et le flow frappe toujours juste, entre « Pixel » et « Nouvelle dose », qui questionnent lâabsurditĂ© de nos sociĂ©tĂ©s actuelles.
Lafropop Mélange des genres, Because Music


Vegedream, Ronisia, Ya Levis, JoĂ© DwĂšt FilĂ©, Minissia, Alibi Montana, Lartiste⊠Tous font partie du paysage hip-hop français, mais câest du cĂŽtĂ© de Papa Wemba quâil faut chercher leurs origines sonores. Quelque part entre rumba congolaise, highlife ghanĂ©en, afrobeat nigĂ©rian, gĂ©nĂ©reusement nourrie de rap amĂ©ricain, lâafropop est gĂ©nĂ©reuse en rythmiques et en punchlines qui balancent. En tĂ©moigne cette compilation riche de 16 titres taillĂ©s spĂ©cialement pour lâoccasion. â Sophie Rosemont

Dans ce CONTE ORIGINAL, une adolescente se met en tĂȘte de remplacer sa grand-mĂšre mourante par lâex-first lady
âŠRockinâ Squat PP+, LivinâAstro
DRAME
LE PRIX DE LâIDENTITĂ
Lâhistoire vraie dâun jeune MILITAIRE FRANCO-ALGĂRIEN mort noyĂ© lors dâun bizutage Ă la prestigieuse Ă©cole de Saint-Cyr.
DES APPRENTIS MILITAIRES chantent Ă plein poumon « Commando dâAfrique », hommage aux Africains qui ont participĂ© Ă la libĂ©ration de la France, avant de se lancer dans une reconstitution bancale et nocturne du dĂ©barquement de Provence. Nous sommes Ă Saint-Cyr, prĂšs de Paris, et ce bizutage plus ou moins tolĂ©rĂ© sera fatal Ă lâun dâentre eux, AĂŻssa, seul arabe de la promotion, qui se noie dans des eaux glacĂ©es. Câest la scĂšne dâouverture de ce film inspirĂ© de faits rĂ©els, puisque câest lâhistoire du frĂšre du cinĂ©aste. LâĂ©cole va ensuite proposer une cĂ©rĂ©monie aux Invalides, mais le reste de la hiĂ©rarchie militaire va sây opposer, le jeune homme qui sâĂ©tait pourtant prĂ©parĂ© Ă mourir pour la France nâĂ©tant pas tombĂ© au combat⊠La lutte de la famille pour obtenir une rĂ©paration est le moteur du rĂ©cit. Et tout passe par le regard de son grand frĂšre IsmaĂ«l (Karim Leklou), qui va dâabord se souvenir de leur enfance en AlgĂ©rie : pays que sa mĂšre (impĂ©riale Lubna Azabal) a fui avec eux en 1992 durant la guerre civile, laissant derriĂšre elle son mari gendarme (Samir Guesmi, particuliĂšrement Ă©mouvant). Ils vont grandir en banlieue parisienne et voir leurs chemins se sĂ©parer : pendant quâIsmaĂ«l accumule les mauvais
plans, AĂŻssa (ShaĂŻn Boumedine, voir son parcours en pp. 28-29) poursuit de brillantes Ă©tudes Ă Sciences Po, le conduisant jusquâĂ TaĂŻwan. Cette Ă©chappĂ©e nâest pas la moindre originalitĂ© de ce film qui met Ă mal bien des images ressassĂ©es par le cinĂ©ma français sur les familles maghrĂ©bines en banlieue. La fresque intime cĂŽtoie le message politique sans lâappuyer, chaque membre ayant ses dĂ©fauts et ses qualitĂ©s, de mĂȘme que lâarmĂ©e française nâest pas vue comme un bloc raciste et colonial. Des nuances portĂ©es par une camĂ©ra toujours Ă bonne distance, qui soulĂšve bien des questions sans donner de rĂ©ponses toutes faites. Dans une note dâintention, Rachid Hami (dont le double Ă lâĂ©cran est incarnĂ© avec une grande justesse par Karim Leclou) rĂ©sume parfaitement sa dĂ©marche : « Ni lamentation victimaire et encore moins dĂ©nonciation stĂ©rile de la chose militaire, ce film propose un pĂ©riple houleux dans lâintimitĂ© de deux frĂšres que la vie a sĂ©parĂ©s, sous-tendu par une mĂ©ditation plus large sur le dĂ©racinement. Faut-il payer de sa vie le rĂȘve dâappartenir Ă un pays ? » â

« SENGHOR ET LES ARTS : RĂINVENTER LâUNIVERSEL », musĂ©e du quai Branly, Paris (France), jusquâau 19 novembre. quaibranly.fr


LâART SELON SENGHOR
Illustration de Marc Chagall pour le recueil de poĂ©sie Lettres dâhivernage, de LĂ©opold SĂ©dar Senghor.

Portrait de lâĂCRIVAIN, POĂTE et homme dâĂtat sĂ©nĂ©galais, Ă travers sa politique culturelle.
Lâintellectuel (au centre), alors prĂ©sident de la RĂ©publique, au premier Festival mondial des arts nĂšgres, Ă Dakar, en 1966.
AU PRINTEMPS 1966 sâest tenu Ă Dakar le Festival mondial des arts nĂšgres, organisĂ© par lâĂtat sĂ©nĂ©galais et son premier prĂ©sident de la RĂ©publique (1960-1980), LĂ©opold SĂ©dar Senghor. RĂ©unissant des cĂ©lĂ©britĂ©s du monde noir des arts et de la culture, cet Ă©vĂ©nement cĂ©lĂšbre, pour la premiĂšre fois en Afrique, la crĂ©ativitĂ© et la diversitĂ© dans lâart et la culture du continent. En parallĂšle, lâhomme dâĂtat, pionnier de la nĂ©gritude et premier Africain Ă siĂ©ger Ă lâAcadĂ©mie française, en appelle à « lâĂ©laboration dâun nouvel humanisme qui comprendra cette fois la totalitĂ© des hommes sur la totalitĂ© de notre planĂšte ». Lâexposition qui lui est consacrĂ©e revient sur le parcours de ce fervent dĂ©fenseur de lâidĂ©e dâune civilisation de lâuniversel, façonnĂ©e par le « rendez-vous du donner et du recevoir ». On y dĂ©couvre la politique et la diplomatie culturelles quâil a mises en place au lendemain de lâindĂ©pendance, le 20 aoĂ»t 1960, ainsi que ses rĂ©alisations majeures dans le domaine des arts. Ses limites aussi. Car, au fil des relectures, la pensĂ©e de Senghor nâa pas fini dâĂȘtre dĂ©battue. â Catherine Faye

DHAFER YOUSSEF DE LâOUD ET DE LA VOIX
Lâartiste tunisien revient avec un superbe album, Street of Minarets, qui CONDENSE SES INFLUENCES.
HERBIE HANCOCK, Marcus Miller, Dave Holland, Vinnie Colaiuta⊠Jamais Dhafer Youssef nâaurait imaginĂ© pouvoir un jour enregistrer avec ces grands noms de la scĂšne jazz actuelle. Mais il a suffi de quelques messages pour que tous rĂ©pondent prĂ©sents, avec enthousiasme. « Ătre en studio avec eux, câĂ©tait comme si jâĂ©tais Ă table avec JĂ©sus, Mohammed, MoĂŻse, et mĂȘme Bouddha ! Ils sont plus humains que des humains, tout en Ă©tant des prophĂštes du point de vue artistique. Ce qui compte, câest uniquement ce que lâon joue ensemble. Ils Ă©taient tous lĂ au service de la musique. Câest un rĂȘve Ă©veillĂ© que je vis encore », se rĂ©jouit-il. Un rĂȘve (et un projet) qui aurait pu ne pas se rĂ©aliserâŠ

En 2016, le natif de TĂ©boulba publie Diwan of Beauty and Odd, puis en 2018, Sounds of Mirrors. Mais en pleine pandĂ©mie, il perd sa voix, subit en urgence une opĂ©ration cruciale, dont il sort plus fort. « Jâai compris que ma voix Ă©tait ce qui me connectait avec cette planĂšte, mon oxygĂšne, lâavenir que je voyais au loin, commente-t-il. Soudain, je ne pouvais plus respirer, ni recevoir cette lumiĂšre. Aujourdâhui, je dĂ©guste chaque moment oĂč je chante, oĂč je suis sur scĂšne, oĂč je parle⊠Ma voix est un cadeau de la nature et de tous les dieux de cette planĂšte. » Il planche alors de nouveau sur un projet au long cours, qui va devenir Street of Minarets : sur une trame sonore dâune grande richesse et dâune intense spiritualitĂ© rĂ©sonne tout son charisme.
Câest enfant, dans des rĂ©unions de famille en Tunisie, que Youssef a commencĂ© Ă chanter, tout en pratiquant lâoud avec ferveur. Il y a trente ans, il est parti tenter sa chance Ă Vienne, dans le froid et la prĂ©caritĂ©, et a rĂ©ussi, Ă force de persĂ©vĂ©rance, Ă vivre de son talent. Ce voyage dont il sort aujourdâhui plus heureux que jamais se ressent Ă lâĂ©coute des 12 morceaux de lâalbum : « Street of Minarets reprĂ©sente mon enfance, mais aussi tous les sentiments qui mâont traversĂ© depuis durant cette expĂ©rience musicale. » â
S.R. DHAFER YOUSSEF, Street of Minarets, Black Beat Edition.3 QUESTIONS ĂâŠ
Riad Fakhri
La maison de haute couture
Chanel lui a confié la programmation de la GALERIE
DU 19M DAKAR, espace temporaire et hors les murs de son centre culturel parisien.
AM : La maison Chanel et le centre culturel 19M ont choisi Dakar pour réaliser leur premier programme culturel international. Comment est né ce projet ?

Riad Fakhri : La galerie du 19M Dakar sâinscrit naturellement dans le sillage du dĂ©filĂ© de la collection « MĂ©tiers dâart » de Chanel de dĂ©cembre dernier. Je crois que pour la maison, et pour le 19M, câest une façon de sâintĂ©resser et de vivre la dynamique quâil y a Ă Dakar. Le projet reflĂšte la personnalitĂ© de Camille Hutin, la directrice gĂ©nĂ©rale du 19M. Elle a voulu le faire le plus inclusif possible, et implantĂ© au SĂ©nĂ©gal, en lien Ă©troit avec Paris. Comment avez-vous dĂ©fini la programmation du lieu, qui est en accĂšs libre et gratuit ?

Le comitĂ© Ă©ditorial, dont je fais partie, a eu une Ă©norme libertĂ©. Nous voulions proposer un tour dâhorizon artistique le plus large possible, en soutenant la production des Ćuvres et en assurant le suivi artistique. Nous avons mis Dakar Ă lâhonneur, en veillant Ă ce que tous les artistes, peu importe leur nationalitĂ©, aient un lien avec la ville ou soient installĂ©s au SĂ©nĂ©gal. Ce qui a permis de crĂ©er une programmation vraiment dakaroise et ouest-africaine. IntitulĂ©e « Sur le fil », lâexpo rĂ©unit artistes et artisans autour des mĂ©tiers de la broderie et du tissage. Avec quel objectif ?
Faire intervenir des professionnels de ces mĂ©tiers Ă cĂŽtĂ© dâartistes contemporains donne vie Ă un environnement formidable. Câest un projet trĂšs riche, qui peut impacter profondĂ©ment le pays. Ce nâest pas que de lâart plastique :

Ă gauche, le musĂ©e ThĂ©odore-Monod dâart africain, qui accueille le projet. Ci-dessous, une tapisserie commandĂ©e aux Manufactures sĂ©nĂ©galaises des arts dĂ©coratifs de ThiĂšs pour le projet.
il y aura des confĂ©rences, des ateliers, des workshops⊠On prĂ©voit des productions Ă©volutives et la participation du public, qui va ĂȘtre formĂ©. Nous avons aussi dĂ©veloppĂ© un programme de mĂ©diation culturelle et pĂ©dagogique qui veut solliciter les nouvelles gĂ©nĂ©rations, et mis en place des navettes avec les Ă©coles de Dakar et de sa rĂ©gion. Parce que notre but est de crĂ©er, dâexposer, et surtout de transmettre, pour revaloriser les mĂ©tiers de la main. â Propos recueillis par Luisa Nannipieri
GALERIE DU 19M DAKAR, musĂ©e ThĂ©odore-Monod dâart africain, Dakar (SĂ©nĂ©gal), jusquâau 31 mars. le19m.fr
ADRESSE THE SOCIAL HOUSE NAIROBI, OU LâHOSPITALITĂ Ă LA KĂNYANE




Ce nouveau CITY HĂTEL promet un sĂ©jour douillet et surprenant.
SOUS LES FLEURSMAUVES des jacarandas, dans la banlieue rĂ©sidentielle de Lavington, Juliet et Francis Njogu ont inaugurĂ© il y a deux ans la Social House Nairobi. Avec 83 chambres, quatre restaurants et sept grands salons Ă la dĂ©co unique, ce city hĂŽtel est lâun des hubs culturels et sociaux de la ville. Quâil sâagisse dâart, de musique, de mode ou de spectacle vivant, ici les mots dâordre sont melting-pot et convivialitĂ©. Dans les chambres au style simple et moderne, tous les articles Ă disposition, du cafĂ© aux produits de beautĂ©, sont sourcĂ©s localement. Les visiteurs (kĂ©nyans et internationaux) peuvent goĂ»ter Ă des cuisines inspirĂ©es des quatre coins du globe, comme au restaurant pĂ©ruvien installĂ© sur le rooftop. Ou profiter des Ćuvres dâart Ă©parpillĂ©es sur la propriĂ©tĂ©, tel le MaasaĂŻ grandeur nature, en ferraille, Ă califourchon sur une Harley Davidson suspendue dans le hall. Parce que lâaccueil kĂ©nyan passe surtout par lâenvie dâĂ©pater et dâamuser constamment les hĂŽtes. â L.N. THE SOCIAL HOUSE, 154 James Gichuru Road, Lavington (Kenya), chambres doubles Ă partir de 170 $ la nuit. thesocialhouse.ke
REGARDS

VIBRATIONS Ă DAKAR



MALIKA SLAOUI est une Ă©ditrice de talent et qui a de la suite dans les idĂ©es. InstallĂ©e Ă Casablanca, son entreprise, Malika Ăditions, créée en 1998, sâest spĂ©cialisĂ©e dans le beau livre dâart, le patrimoine historique et artistique du Maroc. Avec prĂšs dâune centaine de titres en catalogue, dont certains en coĂ©dition avec de grandes maisons françaises, comme Actes Sud, Gallimard, ou avec lâImprimerie nationale. Plus rĂ©cemment, Malika Slaoui sâest lancĂ©e dans une collection dĂ©diĂ©e Ă la scĂšne contemporaine culturelle africaine. Celle liĂ©e aux grandes villes, Ă lâĂ©nergie urbaine. Câest le concept de « Nid dâartistes ». AprĂšs Casablanca en 2018, Dakar vient de sortir sous la direction et lâĂ©criture dâAisha DĂšme, militante, activiste et entrepreneure culturelle. Le livre offre un voyage dense et Ă©motionnel dans la capitale sĂ©nĂ©galaise, une Ă©chappĂ©e lumineuse, Ă la rencontre de plusieurs dizaines dâartistes et dâauteurs : Youssou Ndour, Omar Victor Diop, Baba Maal, Soly CissĂ©, Alain Gomis, Germaine Acogny, et bien dâautres⊠Entre les textes, les images, la mise en scĂšne des Ćuvres, le dialogue est permanent, comme pour nous faire partager la vibration et les ambivalences de la ville. Parmi les prochaines Ă©tapes prĂ©vues de la collection « Nid dâartistes », une descente un peu plus au sud, Ă Abidjan, la Perle des lagunes. On sâimpatiente⊠â Zyad Limam AISHA DĂME, Dakar, nid dâartistes, Malika Ăditions, 368 pages, 45 âŹ.



Un hommage aux ARTISTES de la capitale sénégalaise.
DOUNIA ET LA PRINCESSE DâALEP (Canada-France),de

Marya Zarif et André Kadi. Avec les voix de Rahaf Ataya, Elsa Mardirossian, Raïa Haidar. En salles.

ANIMATION LA PETITE FILLE ET LâEXIL
La POĂSIECONTRE LA GUERRE : un dessin animĂ© tout public et joyeux malgrĂ© la tragĂ©dieâŠ
UNE FILLETTE DE 6 ANS, Ă la coiffure brune imposante, va bientĂŽt devoir quitter Alep, en Syrie, oĂč elle vit une enfance harmonieuse, malgrĂ© le dĂ©cĂšs de sa maman. Dans sa main, des graines de nigelle qui vont aider sa famille sur le chemin de lâexil⊠RĂ©aliste tout en Ă©tant poĂ©tique (comme cette scĂšne au clair de lune oĂč sâouvrent les pistaches dans les arbres), graphiquement superbe, ce film dâanimation est Ă la fois dĂ©licieux et tragique. LâoriginalitĂ© et la simplicitĂ© du trait accompagnent un parcours semĂ© dâembĂ»che pour cette famille et ses voisins qui fuient les bombes. Les voix des personnages sont assurĂ©es par des comĂ©diens exilĂ©s au QuĂ©bec, dont le français mĂątinĂ© dâaccent moyen-oriental alterne avec de lâarabe, pas
EXPOSITION
toujours traduit, ce qui ajoute Ă lâauthenticitĂ© du rĂ©cit mais aussi Ă sa magie : un arabe levantin complĂ©tĂ© par des mĂ©lodies Ă©chappĂ©es de lâoud et des flĂ»tes de la bande-son, et aux effluves quâon devine des Ă©pices et des gĂąteaux de semoule. La corĂ©alisatrice, « nĂ©e en Syrie dans une famille chrĂ©tienne cosmopolite trilingue qui voyageait beaucoup », comme elle le dit elle-mĂȘme, a choisi dâappeler son hĂ©roĂŻne Dounia, câest-Ă -dire « le monde », « la vie terrestre » en arabe. Et de lâentourer de femmes au caractĂšre bien trempĂ© et dâhommes bienveillants, qui rĂ©sistent comme ils peuvent Ă la guerre. Il se dĂ©gage de ce conte chaleureux, rondement menĂ©, une musicalitĂ© et une harmonie inattendue pour un tel sujet. Un enchantement. â J.-M.C.



INSOLITE IMMORTALITĂ
Un parcours Ă la croisĂ©e du divin, de lâĂ©thique et du scientifique. RĂSURRECTION, rĂ©incarnation, postĂ©rité⊠Ăvoquer les momies plonge dans une double fascination, celle de la mort et celle de la prĂ©servation des corps. La question de lâĂ©ternitĂ© y est centrale, Ă la fois mĂ©taphysique et matĂ©rielle. Câest ce rapport au temps et Ă la mort que propose dâexplorer le musĂ©um dâhistoire naturelle de Toulouse, deuxiĂšme plus grand de France, aprĂšs celui de Paris. Si lâannĂ©e passĂ©e a Ă©tĂ© marquĂ©e par le bicentenaire du dĂ©chiffrement des hiĂ©roglyphes par Jean-François Champollion et le centenaire de la dĂ©couverte du tombeau de ToutĂąnkhamon, cette exposition choisit de mettre en lumiĂšre le processus de momification, quâil soit artificiel ou ait Ă©tĂ© naturellement induit par des actions physico-chimiques ou climatiques. Loin de concerner essentiellement les pratiques des Ăgyptiens de lâAntiquitĂ©, ce thĂšme fait Ă©cho aux croyances en un au-delĂ , aux rituels symboliques, sociĂ©taux ou religieux dans de nombreuses cultures et civilisations. Plus encore, il invite Ă se poser la question des avatars actuels ou Ă venir, de la cryogĂ©nisation, et autres procĂ©dĂ©s dâimmortalisation. Captivant. â C.F.
« MOMIES : CORPS PRĂSERVĂS, CORPS ĂTERNELS », MusĂ©um de Toulouse, Toulouse (France), jusquâau 2 juillet. museum.toulouse.fr DR

PORTRAIT
ANNABELLE LENGRONNE ENTRE PETIT ET GRAND ĂCRAN
Câest lâune des ACTRICES FRANCOPHONES les plus enthousiasmantes. Dans le superbe Un petit frĂšre, de LĂ©onor SĂ©raille, elle sâaffirme dans un jeu tout en nuances.
« JE SUIS UNE INTERPRĂTE encore et toujours en train de dĂ©couvrir des choses Ă jouer », nous confie Annabelle Lengronne, avant de prĂ©ciser : « Vivre quelques mois dans la peau de quelquâun dâautre, câest un bel exutoire⊠» On la croit volontiers au vu de la multitude de rĂŽles dans lesquels elle sâest investie depuis ses dĂ©buts sur grand Ă©cran, au dĂ©but des annĂ©es 2010. ĂlevĂ©e en Martinique, elle sâest lancĂ©e dans le théùtre pour conjurer le trauma dâun harcĂšlement scolaire. La suite, elle sâest (joliment) faite dans des sĂ©ries et tĂ©lĂ©films, ainsi que chez les cinĂ©astes Denis Thybaud, CĂ©dric Kahn, Audrey Dana, Julien Rambaldi et, aujourdâhui, LĂ©onor SĂ©raille. Dans Un petit frĂšre, qui lui a dĂ©jĂ valu le prix dâinterprĂ©tation fĂ©minin aux Arcs Film Festival, lâactrice incarne Rose sur deux dĂ©cennies. On voit cette derniĂšre dĂ©barquer Ă Paris avec ses deux fils cadets et essayer de se construire une nouvelle vie, tant professionnelle que sentimentale. Mais la prĂ©caritĂ© la guette sans cesse⊠Pour investir ce rĂŽle, Annabelle est allĂ©e fouiller dans son propre vĂ©cu : elle est nĂ©e Ă Paris dâune femme sĂ©nĂ©galaise avant dâĂȘtre adoptĂ©e. « Ce qui est arrivĂ© Ă Rose, câest peut-ĂȘtre la vie que ma mĂšre biologique aurait eue en restant en France, commente-t-elle. Mon personnage sâadapte et avance. Rose sait dâoĂč elle vient, et son africanitĂ© se trouve dans son rapport au temps. » Il y a quelques saisons, la comĂ©dienne est allĂ©e pour la premiĂšre fois au SĂ©nĂ©gal, quâelle a trouvĂ© « dâune beautĂ© majestueuse ». Cette Ă©lĂ©gance, elle en a sans aucun doute hĂ©rité⊠â S.R.
UN PETIT FRĂRE (France), de LĂ©onor SĂ©raille. Avec Annabelle Lengronne, StĂ©phane Bak, Kenzo Sambin. En salles.


AFRO-JAZZ

JULIA SARR Wolof soul

Pour son TROISIĂME ALBUM, la SĂ©nĂ©galaise cultive toujours un jardin dâune grande beautĂ© tant SĂMANTIQUE QUE MĂLODIQUE, tout en explorant des thĂ©matiques cruciales.
ON VOUS PRĂVIENT : la proposition musicale est aussi belle que la pochette Ă lâaquarelle⊠Native de Dakar, dâorigines toucouleur et peule, Julia Sarr a dĂ©butĂ© comme choriste mezzo-soprano de Fela Kuti, avant dâaccompagner les plus grands (Youssou NâDour, qui intervient dâailleurs sur ce nouveau disque, Mano Solo, Alpha Blondy, Jean-Jacques Goldman), tout en construisant un corpus solo dâune grande Ă©lĂ©gance. Sur Njaboot, son chant en wolof ressuscite les contes griots en variant les tempos et les rĂ©cits, autour de la foi, de lâenfance ou encore du mariage forcĂ©. Le tout sur une trame sonore jazz, Ă©purĂ©e, accompagnĂ©e du piano de Fred Soul, avec lequel la chanteuse a composĂ© cet album, qui est sans doute le plus accompli Ă ce jour. â S.R.

JULIA SARR, Njaboot, Barkhane.
FESTIVAL DU LIVRE AFRICAIN DE MARRAKECH, Centre Les Ătoiles de JemaĂą El Fna, Marrakech (Maroc), du 9 au 12 fĂ©vrier.
CĂLĂBRER TOUTES LES ĂCRITURES
Le Festival du livre africain de Marrakechest le nouveau RENDEZ-VOUS INCONTOURNABLE des lettres du continent.
POUR SA PREMIĂRE ĂDITION, baptisĂ©e « LâAfrique en toutes lettres », cet Ă©vĂ©nement ambitieux entend vivifier les liens et les Ă©changes entre les littĂ©ratures des pays africains comme des diasporas, et dĂ©mocratiser lâaccĂšs Ă la culture. Créé par lâĂ©crivain et plasticien Mahi Binebine et lâassociation WE ART AFRICA//NS, il rassemblera autrices et auteurs, notamment Sami Tchak, DjaĂŻli Amadou Amal, Achille Mbembe, Yasmine Chami, J.M.G. Le ClĂ©zio, Lilian Thuram, Abdourahman Waberi ou encore Ken Bugul. Pendant quatre jours, le centre culturel Les Ătoiles de JemaĂą El Fna sera un vrai carrefour de rencontres, un forum dâintelligence collective et de partage dâidĂ©es, pour valoriser les diffĂ©rents hĂ©ritages, la pluralitĂ© des Ă©critures, dĂ©battre sur lâindustrie du livre, penser lâAfrique et le monde de demain⊠CafĂ©s littĂ©raires, palabres, grands entretiens, nocturnes â rythmĂ©s par dâautres disciplines, comme la musique, la gastronomie, lâart Ă©questre â ponctueront cette fĂȘte des imaginaires. Sans oublier les activitĂ©s pĂ©dagogiques auprĂšs de la jeunesse. â Astrid Krivian

JOSĂ EDUARDO AGUALUSA CRĂATURES ET CRĂATEURS

SEPT JOURS. Comme la crĂ©ation du monde. Six pour Ćuvrer. Un pour se reposer. Le nouveau roman de lâauteur de La Reine Ginga : Et comment les Africains ont inventĂ© le monde et de La SociĂ©tĂ© des rĂȘveurs involontaires se dĂ©roule tout le long dâune semaine, oĂč chaque jour rythme une parenthĂšse Ă©trange. Car sur lâĂźle de Mozambique, Ă lâentrĂ©e de la baie de Mossuril, dans lâocĂ©an Indien, oĂč des Ă©crivains sont rĂ©unis pour un festival littĂ©raire, rien ne se passe comme prĂ©vu. Les voilĂ coupĂ©s du monde, sur un bout de terre enveloppĂ© de brouillard. Sans connexion. Ni Ă Internet, ni au continent. « Câest ainsi que tout commence : un Ă©norme Ă©clair dĂ©chire la nuit, lâĂźle se dĂ©tache du monde. Un temps sâachĂšve, un autre commence. » ConfinĂ©s sur ce rĂ©cif corallien calcaire au passĂ© glorieux, lâun des principaux comptoirs commerciaux entre lâAfrique et lâOrient, dĂ©couvert en 1498 par lâexplorateur portugais Vasco de Gama, les auteurs vivent alors lâimpensable : les personnages de leurs Ćuvres
se mĂȘlent Ă eux et leur demandent des comptes. La confrontation devient alors le théùtre dâĂ©changes singuliers et palpitants sur la littĂ©rature, lâĂ©criture, la lĂ©gitimitĂ©, le processus crĂ©atif. « Je suis bien plus nue dans mes livres que lorsque je me dĂ©shabille », ou « â Vous Ă©crivez ? â Parfois. Quand jâoublie qui je suis », ou bien encore « Je crois, moi, que jâĂ©cris pour essayer de pardonner » : chacun sâinterroge sur ce qui sous-tend sa vocation. Mais la fin du monde est-elle proche sur cette Ăźle situĂ©e sur la trajectoire de nombreux cyclones ? Ou bien quelque chose est-il en train dâadvenir, Ă lâaune dâune des protagonistes de ce rĂ©cit Ă la fois original et profond, une jeune femme sur le point dâaccoucher ? JosĂ© Eduardo Agualusa, qui revendique sa filiation littĂ©raire avec des auteurs latino-amĂ©ricains tels que Jorge Amado, Jorge Luis Borges ou encore Gabriel Garcia MĂĄrquez, nâa pas fini de nous surprendre. InspirĂ© par sa propre vie, lâĂ©crivain angolais distille excentricitĂ©, onirisme et pragmatisme dans un microcosme fortuit, encerclĂ© par la mer. Entre ciel et terre. â C.F.

Un entre-deux-mondes insolite, par LâUN DES PILIERS de la littĂ©rature angolaise.
RYTHMES SEUN KUTI & BLACK THOUGHT AFROBEAT VS HIP-HOP

Le NigĂ©rian invite lâune des valeurs sĂ»res du rap amĂ©ricainĂ REVISITER trois de ses morceaux.
ALORS QUE LâEXPOSITION consacrĂ©e au grand Fela Kuti bat toujours son plein Ă la Philharmonie de Paris, son fils Seun rĂ©invente trois morceaux de son album Black Times aux cĂŽtĂ©s du fabuleux MC des Roots, Black Thought â qui a brillĂ© en 2022 avec une autre collaboration, Danger Mouse sur lâexcellent album Cheat Codes. En rĂ©sultent ces « rĂȘves africains », du nom de lâun des titres, partagĂ©s entre rap, jazz et, bon sang ne saurait mentir, bien sĂ»r afrobeat. Coup de cĆur pour le sĂ©millant « Bad Man Lighter », qui fait danser tout en restant conscient du chaos ambiant, et « Kuku Kee Me », sur lequel les deux artistes appellent le peuple Ă prendre le pouvoir. LâEP, en tout cas, est taillĂ© pour ! â S.R. SEUN KUTI & BLACK THOUGHT, African Dreams, Skebo LLC.

POLICIER
Page turner
Colson Whitehead obtiendrat-il un troisiĂšme prix Pulitzer pour ce nouveau roman ?
POURQUOI PAS⊠En effet, celui-ci renoue avec la grande littĂ©rature afro-policiĂšre de Chester Himes, vivifiante, parfois absurde, souvent ironique, et franchement prenante. On y suit les mĂ©saventures dâun respectable vendeur new-yorkais de meubles et dâĂ©lectromĂ©nager, Ray Carney. Il nâa rien Ă se reprocher et veille sur sa famille⊠Jusquâau jour oĂč son cousin, Freddie, une mauvaise frĂ©quentation toute dĂ©signĂ©e, lui propose de participer au casse de lâhĂŽtel
HYBRIDE
Secrets de fabrication
Une plongée passionnante dans les carnets intimes de Orhan Pamuk.

LâOUVRAGE sâouvre sur des montagnes qui dĂ©gringolent dans lâocĂ©an, sur des mots qui pleuvent du ciel. Un Ă un. Nous voici dans les labyrinthes de la pensĂ©e dâun crĂ©ateur. Ă la fois Ă©crivain et dessinateur. « Entre 7 et 22 ans, jâai cru que je serais peintre. Puis, le peintre en moi est mort, et jâai commencĂ© Ă Ă©crire des romans », confie lâauteur du Livre noir. Pourtant, en 2008, il ressort dâun marchand de couleurs avec crayons, gouaches et pinceaux. DĂšs lors, ses carnets de notes se couvrent de dessins. Son Ă©criture, Ă la
COLSON WHITEHEAD, Harlem Shuffle, Albin Michel, 420 pages, 22,90 âŹ.



Teresa, si frĂ©quentĂ© par les stars noires quâon lâappelle le Waldorf. Bien entendu, rien ne va se passer comme prĂ©vu, et Ray va malgrĂ© lui goĂ»ter au goĂ»t doux-amer des magouilles⊠Avec sa galerie de personnages aux surnoms truculents et ses moult rebondissements, Harlem Shuffle prouve que Whitehead, tout en questionnant lâidentitĂ© noire, est lâun des plus grands Ă©crivains amĂ©ricains de sa gĂ©nĂ©ration. â S.R.
fois Ă©nigmatique et poĂ©tique, devenant, Ă son tour, un paysage de lettres, de courbes, de cheminements de la pensĂ©e. Câest une chance de pouvoir se promener dans les calepins dâun conteur engagĂ©, observateur du monde qui lâentoure et cartographe de lâintime. Toujours Ă la croisĂ©e des mondes. De son Istanbul natal aux territoires rĂȘvĂ©s. â C.F.
LE LYNCHAGE DU JEUNE EMMETT

En 1955, un adolescent noir est battu Ă mort dans le Sud
ségrégationniste sur la base de fausses accusations. Un épisode

FONDATEUR MAIS MĂCONNU de lâhistoire des Afro-AmĂ©ricains.
LORSQUE LE PRĂSIDENT Joe Biden signe en mars 2022 une loi interdisant â enfin ! â tout acte de lynchage au niveau fĂ©dĂ©ral, le texte porte le nom dâEmmett Till, et beaucoup dĂ©couvrent alors une histoire vieille de soixante-sept ans, aujourdâhui mise en images par la rĂ©alisatrice nigĂ©riano-amĂ©ricaine Chinonye Chukwu. En 1955, un jeune garçon noir de 14 ans en vacances chez ses cousins du Mississippi, regarde un peu trop longtemps une Ă©piciĂšre blanche, quâil voit comme une star de cinĂ©ma : se sentant « salie », elle lâaccuse de lâavoir violĂ©e, et pour la venger, son mari et deux autres hommes torturent Ă mort lâadolescent. La mĂšre dâEmmett, qui Ă©levait seule son fils unique
Ă Chicago, loin de la sĂ©grĂ©gation contre les Noirs, va alors sortir de sa rĂ©serve naturelle le jour des obsĂšques. Et demande que soit exposĂ© le corps atrocement tumĂ©fiĂ© de son fils Ă la vue du public et des photographes. Un acte fondateur, prĂ©cĂ©dant Rosa Parks et Martin Luther King. Dans le film, la violence du drame et lâattitude des Blancs sont laissĂ©es volontairement Ă distance, pour mieux mettre en valeur le courage de cette mĂšre de famille, dont les pressentiments sont nĂ©anmoins un peu trop appuyĂ©s. AcadĂ©mique, mais Ă©difiant. â J.-M.C. EMMETT TILL (Ătats-Unis),de Chinonye Chukwu. Avec Danielle Deadwyler, Jalyn Hall, Whoopi Goldberg. En salles.

RIAD SATTOUF, LâArabe du futur 6 : Une jeunesse au MoyenOrient (1994-2011), Allary Ăditions, 184 pages, 24,90 âŹ.

UN MONDE EN MARCHE
Les aventures de Riad, de GisĂšle et dâAya⊠Trois bandes dessinĂ©es pour Ă©voquer LâENGAGEMENT ET LA DIVERSITĂ.



âą LA SAGA AUTOBIOGRAPHIQUE de Riad Sattouf, LâArabe du futur (plus de 3 millions dâexemplaires, traduits en 23 langues), se termine avec un 6e tome poignant. Dans ce dernier opus, lâaction se dĂ©roule entre 1994 et 2011, jusquâau Printemps arabe et au dĂ©but de la guerre civile en Syrie. AprĂšs son histoire familiale douloureuse, de la rencontre entre son pĂšre, syrien, et sa mĂšre, française, Ă son enfance passĂ©e entre la Libye, la Syrie et la France, lâauteur â lâun des rares Ă avoir remportĂ© Ă deux reprises le Fauve dâor du meilleur album au festival dâAngoulĂȘme â nous invite cette fois-ci Ă plonger dans son intimitĂ©, de ses sĂ©ances de psy Ă ses relations complexes avec son pĂšre : en tuant la figure paternelle, il finit par se libĂ©rer. Le goĂ»t de lâhistoire vraie et son style faussement naĂŻf, soutenu par un usage subtil et Ă©conome de la couleur, lui valent Ă juste titre un succĂšs mondial.
âą Câest en Tunisie, Ă la Goulette, que GisĂšle Halimi voit le jour. Dâun pĂšre berbĂšre et dâune mĂšre juive, elle naĂźt sous le nom de Zeiza GisĂšle Elise TaĂŻeb. TrĂšs tĂŽt confrontĂ©e au racisme et aux inĂ©galitĂ©s, la future militante
DANIELE MASSE ET SYLVAIN DORANGE, GisĂšle Halimi : Une jeunesse tunisienne, Delcourt, 136 pages, 17,95 âŹ.
MARGUERITE ABOUET ET CLĂMENT OUBRERIE, Aya de Yopougon 7, Gallimard, 128 pages, 18 âŹ.
fĂ©ministe, avocate, femmes de lettres et personnalitĂ© politique comprend que seules les Ă©tudes la sauveront dâun destin tout tracĂ©. DĂšs lors, elle ne cesse dâĂȘtre guidĂ©e par les droits des peuples et les libertĂ©s fondamentales. GisĂšle Halimi : Une jeunesse tunisienne est le rĂ©cit de sa rĂ©sistance face aux diktats tant familiaux que politiques et de lâĂ©closion de ses engagements futurs. PortĂ© par le « Ne vous rĂ©signez jamais » dâune combattante dâexception.
âą Dix ans quâon attendait ce 7e tome dâAya de Yopougon. Traduites en 15 langues et adaptĂ©es en film dâanimation en 2013, les aventures dâAya, Bintou et Adjoua convoquent vitalitĂ©, amitiĂ© et sujets brĂ»lants dâactualitĂ©. Nous sommes en 1981, pĂ©riode de fort dĂ©veloppement Ă©conomique en CĂŽte dâIvoire. Mais les problĂšmes vont bon train. Injustice sociale, sexisme et inĂ©galitĂ©s demandent aux personnages une bonne dose de dĂ©termination et de rĂ©silience. Les voilĂ en marche, engagĂ©s dans la lutte pour les droits des Ă©tudiants de lâuniversitĂ© de Cocody et la dĂ©fense des sans-papiers et des homosexuels. Un album empreint dâinvention verbale et de situations cocasses. â C.F.

HAMZA, ROI DU RAP

Lâartiste belge dâorigine marocaine dĂ©voile ses failles et ses espoirs dans son NOUVEL ALBUM.
LORSQUâON appelle son album SincĂšrement, Hamza, câest quâon ne compte pas faire appel Ă des faux-semblants. Et en effet, le rappeur belge a le don de partager ses Ă©tats dâĂąme, sans pathos, ce quâon entend dans « Ma rĂ©alitĂ© », « Plus jamais la mĂȘme » ou encore « Tsunami », qui sont instantanĂ©ment mĂ©morables. Parmi ses influences, les sonoritĂ©s synthĂ©tiques de Drake. Ainsi, le rap est autotunĂ©, habitĂ©, aussi bien mĂ©lancolique que dansant, comme en tĂ©moigne « Nocif », portĂ© par un sample de « Lady » du groupe Modjo ! « Je fonctionne au feeling. Quand jâai envie de faire la fĂȘte, ça vient, quand jâai envie de vivre mes Ă©motions plus mĂ©lancoliques, pareil », commente celui qui affirme quâil faut garder son Ăąme dâenfant. Il avait pour mission dâĂȘtre entiĂšrement sincĂšre avec lui-mĂȘme comme avec son public : « Cet album, câest juste moi, que je parle dâamour, mâamuse ou traite des relations humaines. Ă une Ă©poque, jâavais beaucoup plus de personnes autour de moi, mais jâai rĂ©duit le cercle. On peut vite se faire dĂ©vorer par des gens qui sont motivĂ©s par des mauvaises raisons. Si je vois que la relation nâest pas authentique, câest terminĂ©. » En bonus : un duo avec le rappeur amĂ©ricain Offset, du trio Migos. « CâĂ©tait une expĂ©rience
galvanisante de travailler avec lui en studio. » Sâil fait dĂ©sormais partie des figures les plus populaires du rap francophone actuel, Hamza a encore des rĂȘves Ă rĂ©aliser. Comme se produire au Maroc : « Depuis quâil y a des plates-formes dans la plupart des pays africains, je sens que plus de gens mâĂ©coutent. Et ça me fait plaisir car je rĂȘve de rencontrer mon public marocain, dâaller jouer dans ce magnifique pays. Et mĂȘme partout en Afrique. Le marchĂ© musical est en train de devenir trĂšs important, Ă bien des Ă©gards. » Dâailleurs, loin de nâĂ©couter que du hip-hop, il aime la pop amĂ©ricaine des annĂ©es 1980 autant que les productions nigĂ©rianes et lâafrobeat : « Câest par curiositĂ© que je pars Ă la dĂ©couverte de ce qui se fait⊠La musique, je ne cesse de lâexplorer, câest un besoin vital. » â S.R. HAMZA, SincĂšrement, Hamza, Trez Records.
UKANDANZ Crush éthiopien
Dans ce BOUILLONNANT Kemeken, le groupe explore avec force cuivres jazzy et rock progressif.


IL ĂTAIT UNE FOIS quatre jazzmen français amoureux de la musique Ă©thiopienne, quâils mĂȘlaient de plus en plus Ă leurs aventures sonores, jusquâĂ vivre une sorte dâĂ©piphanie en partageant, en 2010, la scĂšne du Festival international des musiques Ă©thiopiennes avec le chanteur Asnake Guebreyes. Câest le coup de foudre musical. Et il dure ! Aujourdâhui, Ukandanz livre un superbe Kemekem cuivrĂ©, Ă©lectrique, rythmique, et parfois mĂȘme psychĂ©dĂ©lique, comme sur le morceau-titre. Le timbre de Guebreyes habite des mĂ©lopĂ©es dâobĂ©dience folklorique ou prog rock, qui nous emmĂšnent bien loin dâun quotidien morose, rĂ©conciliant les cĆurs comme les continents. â S.R.
UKANDANZ, Kemekem, Compagnie 4000/InOuĂŻe.
COUP DE PROJECTEUR LE BĂNIN SâINVITE AU MAROC
Une SCĂNE ARTISTIQUE contemporaine en pleine mutation.
PEINTURE, SCULPTURE, installation, vidĂ©o, art numĂ©rique, dessin⊠à Rabat, les Ćuvres de 34 artistes, majeurs et Ă©mergents, du BĂ©nin et de ses diasporas, cĂ©lĂšbrent la vitalitĂ© et la vivacitĂ© de lâart contemporain de lâancien Royaume du Dahomey. Cette prĂ©sentation fait suite Ă lâexposition organisĂ©e lâannĂ©e derniĂšre au palais de la Marina, Ă Cotonou, qui mettait, de façon simultanĂ©e, un coup de projecteur sur les 26 trĂ©sors royaux restituĂ©s par le musĂ©e du quai Branly. Si les thĂšmes abordĂ©s ici mĂȘlent visible et invisible, mythes et lĂ©gendes, introspection, quĂȘte identitaire et problĂ©matiques contemporaines, le voyage se fait multiple, alliant passĂ© et prĂ©sent, individualitĂ© et universalisme. EngagĂ©e dans la valorisation de sa crĂ©ation contemporaine, la RĂ©publique du BĂ©nin compte ainsi non seulement faire dĂ©couvrir sa scĂšne artistique par-delĂ ses frontiĂšres, mais aussi doter son territoire de quatre nouveaux musĂ©es dâimportance internationale. Notamment le MusĂ©e de lâĂ©popĂ©e des amazones et des rois du DanxomĂš (MEARD), Ă Abomey, et le MusĂ©e dâart contemporain de Cotonou (MACC). Ă suivre. â C.F.
« ART DU BĂNIN DâHIER ET DâAUJOURDâHUI : DE LA RESTITUTION Ă LA RĂVĂLATION (VOLET CONTEMPORAIN) », MusĂ©e Mohammed VI dâart moderne et contemporain, Rabat (Maroc), jusquâau 15 mai. expoartbenin.bj

BEAU LIVRE UN ART ANCESTRAL ET MULTIPLE
Cet ouvrage précieux rend HOMMAGE AUX TISSUS du continent sous toutes leurs facettes.
DĂDIĂ AUX ARTS TEXTILES AFRICAINS, ce beau livre nous est proposĂ© par deux chercheurs et une conservatrice. ReliĂ© sous Ă©tui et habillĂ© de toile imprimĂ©e, ce prĂ©cieux ouvrage plonge le lecteur dans un panorama de crĂ©ations Ă©blouissantes, provenant du Cap Vert, du Ghana, du Cameroun, du Mali ou encore de Madagascar. Comme le rappelle la collectionneuse de textiles MabatNgoup Ly Dumas dans la prĂ©face, la plupart des tissus prĂ©sents dans ces pages ne sont plus produits, mais nombre de techniques dont ils sont nĂ©s perdurent, sâadaptent et continuent dâinspirer artisans et artistes Ă travers le monde. Ainsi, au fil des 200 notices et 400 images, on dĂ©couvre des piĂšces uniques conservĂ©es par les plus importants musĂ©es du monde. Indissolublement liĂ© Ă la culture, lâhistoire et la vie des artisans, lâart du tissage tĂ©moigne, dans sa variĂ©tĂ©, de la richesse et de lâinventivitĂ© qui imprĂšgnent le continent. â L.N.
DUNCAN CLARKE, VANESSA DRAKE
MORAGA ET SARAH FEE , Textiles africains, Citadelles & Mazenod, 448 pages, 165 âŹ.

ĂLECTRO
COUP TRIPLE
Le nouvel opus dâACID
ARAB confirme son propos fédérateur et dansant.
DEPUIS LEUR ALBUM RĂVĂLATION Musique de France en 2016, Pierre-Yves Casanova, Nicolas Borne, HervĂ© Carvalho, Guido Minisky et Kenzi Bourras nâont pas chĂŽmĂ©, publiant des compilations et crĂ©ant leur propre label. Leur volontĂ© de rĂ©inventer la musique traditionnelle arabe avec force boĂźtes Ă rythmes et synthĂ©tiseurs nâa pas faibli, comme lâatteste ce trĂšs rĂ©ussi Trois, qui sâouvre sur le superbe « Leila », partagĂ© avec Sofiane Saidi. Il nâest pas seul Ă intervenir : ici, on entend Wael Alkak, Cem Yildiz, Ghizlane Melih, Khnafer Lazhar, Fella Soltana, Cheb Halim et, surtout, le regrettĂ© Rachid Taha. NĂ© dâune improvisation nocturne sur un morceau techno, « Rachid Trip » rappelle toute lâintensitĂ© et lâauthenticitĂ© de la rockânâroll attitude du musicien algĂ©rien. â S.R. ACID ARAB, Trois, Crammed Discs/LâAutre Distribution/Pias. En tournĂ©e mondiale.

AWA MEITĂ, « STYLISTE PEINTRE »

« DALI », signifiant « fait main » en bambara, est le nom de la derniĂšre collection dâAwa MeitĂ©, lâune des plus talentueuses designeuses maliennes. Ses crĂ©ations, entre le boubou et lâhabit moderne, sont pensĂ©es pour les hommes et les femmes qui aiment se sentir Ă lâaise au quotidien, tout en osant des tenues visuellement percutantes et de haute qualitĂ©. VĂ©ritable « styliste peintre », elle travaille ses silhouettes en coton et fibres naturelles comme des toiles. Lâagencement des couleurs, la superposition des palettes et des matiĂšres, crĂ©ent des reliefs et des motifs qui rappellent la nature â lâune de ses sources dâinspiration â et donnent du mouvement aux piĂšces. Pour cette collection, elle a notamment employĂ© des chutes de fils pour crĂ©er des franges ou dĂ©corer les magnifiques plastrons en cuir touareg, et a jouĂ© avec les tonalitĂ©s fluo, comme le rose ou le bleu clair, Ă©tonnante variation dâindigo. Le recours Ă des formes amples et souples et Ă de simples encolures bateau ou danseuse, au lieu de cols plus ou moins


ornementaux, est dictĂ© par la portabilitĂ© des vĂȘtements, qui nâont ni boutons ni zips (ou presque). Chaque piĂšce est unique. Parce que, pour celle qui promeut depuis plus de vingt ans une mode durable, centrĂ©e sur les savoirs sĂ©culaires des communautĂ©s, la fabrication artisanale nâest pas une valeur ajoutĂ©e. Le tissage, le filage et la couture Ă la main sont au cĆur mĂȘme dâun mĂ©tier qui a un impact socio-Ă©conomique rĂ©el dans la rĂ©gion Bambara. Pendant sa carriĂšre, qui lâa amenĂ©e Ă innover dans les compositions et les motifs tout en gardant une identitĂ© artistique reconnaissable, elle a toujours travaillĂ© en Ă©troite collaboration avec les diffĂ©rents artisans, quâelle aime faire interagir les uns avec les autres. Au sein du centre de formation des mĂ©tiers Ă tisser de Koulikoro, quâelle a créé, comme dans son atelier, le partage de lâespace stimule la crĂ©ativitĂ© et nourrit les liens sociaux, donnant vie Ă des piĂšces qui possĂšdent toujours une touche extraordinaire. â L.N.

La designeuse sâamuse avec les couleurs flashy et propose des tenues durables valorisant le FAIT-MAIN MALIEN.
DESIGN MOYO BY BIBI PLEIN LES YEUX
SI ELLE LE POUVAIT, elle couvrirait de perles colorĂ©es le monde. Pour lâinstant, et depuis la naissance de Moyo By BiBi en 2016, Bibi Ahmed se contente (et câest dĂ©jĂ beaucoup !) de dĂ©corer des accessoires de caractĂšre dans son atelier au Kenya, avec une quinzaine dâartisanes. Manchettes, corsets, tours de cou, gants, couvre-chefs ou pochettes, tous sont soigneusement parĂ©s Ă la main de perles aux couleurs chatoyantes. MĂȘme si elle a Ă©voluĂ© vers un style un peu plus classique pour ses derniĂšres collections, dĂ©clinĂ©es en noir et or. Chaque piĂšce arbore des formes complexes ou des motifs Ă©tonnants.
La designeuse les imagine avec humour, inspirĂ©e par ce qui lâentoure, comme les craquelures des maisons en boue dâun village kĂ©nyan ou un certain style british⊠NĂ©e Ă Mombasa et arrivĂ©e outre-Manche Ă 12 ans, elle garde les deux cultures dans son cĆur (« moyo » en swahili), et ce mĂ©lange alimente depuis toujours sa crĂ©ativitĂ©. LâidĂ©e de lancer son label lui est venue lors de lâenterrement de sa grand-mĂšre adorĂ©e, au Kenya, en voyant les sandales Ă perles massaĂŻs de sa tante. Aujourdâhui, ses crĂ©ations se vendent partout dans le monde, et Bibi, qui nâest pas prĂšs de sâarrĂȘter, envisage dĂ©jĂ de nouvelles collabs avec des stylistes africains. â L.N. moyobybibi.com

Avec ses crĂ©ations vives et perlĂ©es par des ARTISANES KĂNYANES, la marque a su sĂ©duire fashionistas et Afropolitains.
SPOTS
PLACE AUX CHEFFES MAROCAINES
EN NOVEMBRE DERNIER, une nouvelle adresse a vu le jour dans le quartier marrakchi de GuĂ©liz. Le Sahbi Sahbi, « Ăąmes sĆurs » en darija, met Ă lâhonneur tant les cheffes que la cuisine marocaine. Tenu exclusivement par des femmes, le lieu a Ă©tĂ© dessinĂ© comme un espace chaleureux et convivial, oĂč le paradigme dâune tradition culinaire secrĂšte, qui se transmet de mĂšre en fille, est renversĂ©. La cuisine ouverte devient lâĂ©picentre du restaurant, et on assiste au ballet des cheffes, pendant quâelles concoctent et racontent les plats traditionnels. Ă la carte : tagines, pastillas, et lâimmanquable couscous (proposĂ© tous les vendredis midi en trois versions diffĂ©rentes, comme celle au maĂŻs). La dĂ©co artisanale participe Ă lâunivers intimiste, jouant avec la lumiĂšre, les matĂ©riaux et les tonalitĂ©s naturelles. sahbisahbi.com

Lâemmenant du Maroc Ă la Suisse, la vie de la talentueuse Zizi Hattab lâa poussĂ©e Ă crĂ©er le premier restaurant suisse Ă©toilĂ© 100 % vĂ©gan, Kle, oĂč elle conçoit des plats sans oublier la tradition gastronomique de son pays dâorigine. Le nom


du lieu fait rĂ©fĂ©rence au « sauerklee » (le terme allemand pour lâoxalis), une plante consommĂ©e depuis des millĂ©naires. Dans ce petit restaurant de quartier plein de charme, on sert des menus dĂ©gustation qui changent suivant les saisons et mĂ©langent les saveurs. Cet hiver est proposĂ© du cĂ©leri-rave lĂ©gĂšrement caramĂ©lisĂ©, servi avec une version maison de la sauce mexicaine aguachile. Ou un baba au sirop de rhum avec mousse au chocolat, Ă©pices chai, amandes caramĂ©lisĂ©es et gianduja. restaurantkle.com â L.N.

Quâelles renouvellent la tradition culinaire Ă MARRAKECH ou ouvrent un restaurant vĂ©gan Ă©toilĂ© Ă ZURICH, elles sont Ă suivre de prĂšs.Le Kle propose des plats oĂč rĂšgnent les lĂ©gumes.
Tiskmoudine, ou le « tourisme régénératif »
EST-CE QUE LA RĂNOVATION raisonnĂ©e
dâun ksar (ancien village fortifiĂ©), en lisiĂšre du dĂ©sert et en dehors des tracĂ©s touristiques, peut engendrer la rĂ©gĂ©nĂ©ration de toute une communautĂ© ? Câest en tout cas avec cet objectif sur le long terme que Thierry Teyssier, dĂ©jĂ derriĂšre le luxueux Dar Ahlam et lâhĂŽtel itinĂ©rant 700 000 heures, a investi Tiskmoudine, dans le Sud marocain. Son idĂ©e est dâen faire un modĂšle de « tourisme rĂ©gĂ©nĂ©ratif », rĂ©plicable ailleurs en Afrique. Au dĂ©part, lâorganisation
Global Heritage Fund (GHF) a rĂ©novĂ© un ancien grenier collectif avec lâaide dâune association locale. Mais les villageois ont ensuite souhaitĂ© valoriser le minutieux travail de lâarchitecte Salima Naji, adepte de la restauration par des techniques vernaculaires. Sur commande de Teyssier et du GHF, elle a donc poursuivi la rĂ©novation dâune dizaine de maisons, y compris le four Ă pain et les locaux destinĂ©s Ă la nouvelle coopĂ©rative de tisserandes, afin dâaccueillir des voyageurs (six au maximum). Tout a Ă©tĂ© pensĂ©
pour minimiser lâempreinte humaine et laisser la parole Ă lâhistoire : ici, pas de tuyauteries pour lâeau courante ni de cĂąbles Ă©lectriques, mais des porteurs dâeau et des maĂźtres des lanternes. MĂȘme le chauffage, Ă bois, est rĂ©versible. Une part des recettes touristiques sont rĂ©investies dans le village, et les services sont fournis par les habitants. Un vĂ©ritable cercle vertueux qui devrait permettre de dĂ©velopper dâautres projets et de relancer une Ă©conomie qui sâĂ©tend au-delĂ du tourisme. â L.N.

Dans le sud du Maroc, la rĂ©novation dâun KSAR RECONVERTI EN AUBERGE a permis de relancer lâĂ©conomie de maniĂšre profonde.
Shaïn Boumédine
PARMI LES DOUĂS DE SA GĂNĂRATION,
le comĂ©dien, rĂ©vĂ©lĂ© dans Mektoub, my Love, dâAbdellatif Kechiche, est ce mois-ci Ă lâaffiche de Pour la France, qui dĂ©peint un lien fraternel complexe, Ă©voquant le dĂ©racinement, lâassimilation. par Astrid Krivian

Câest lâhistoire dâAĂŻssa, un jeune homme ayant fui la guerre civile des annĂ©es 1990 en AlgĂ©rie, avec sa mĂšre (Lubna Azabal) et son frĂšre, IsmaĂ«l (Karim Leklou). RĂȘvant de devenir officier de lâarmĂ©e française, il intĂšgre la prestigieuse Ă©cole militaire de Saint-Cyr. Lors dâun bizutage, il perd la vie, Ă 23 ans. IsmaĂ«l va alors batailler pour connaĂźtre la vĂ©ritĂ© et obtenir des funĂ©railles dignes de son engagement, faisant ainsi ressurgir le passĂ©. Dans ce film fort, poignant, ShaĂŻn BoumĂ©dine offre un jeu plein de densitĂ©, de prĂ©sence, et compose un protagoniste tout en nuances, explorant ses failles, entre intĂ©rioritĂ© et rĂ©volte viscĂ©rale. Lâacteur de 26 ans partage avec lui ce dĂ©sir de servir les autres, puisquâil souhaite intĂ©grer les pompiers volontaires. NĂ© Ă Montpellier dâune mĂšre dâorigine marocaine et dâun pĂšre dâorigine algĂ©rienne, le jeune homme pratique trĂšs tĂŽt le football ; il aspire dâabord Ă une carriĂšre de sportif professionnel, puis dâarchitecte, Ă la suite dâune blessure. JusquâĂ sa rencontre avec le 7e art. Adolescent, il accompagne un ami Ă une audition pour la tĂ©lĂ©vision, et laisse ses coordonnĂ©es. Deux ans plus tard, la directrice de casting de Mektoub, my Love : Canto uno, dâAbdellatif Kechiche, le contacte. Le rĂ©alisateur franco-tunisien lui propose le premier rĂŽle masculin, Amin, un passionnĂ© dâĂ©criture et de photographie. Solaire, sensuel, le film suit la circulation du dĂ©sir au sein dâune bande dâadolescents le temps dâun Ă©tĂ© Ă SĂšte. ShaĂŻn abandonne alors ses Ă©tudes en travaux publics et fait ses gammes sous la houlette dâun cinĂ©aste exigeant, trĂšs attentif aux dĂ©tails, qui demande un engagement total Ă ses comĂ©diens. « Intense, constant et prĂ©cis, le travail avec Abdellatif a Ă©tĂ© mon Ă©cole. Il mâa appris Ă dĂ©cortiquer le personnage jusque dans ses moindres recoins. CâĂ©tait une composition trĂšs dĂ©licate, sur le fil, qui jouait sur les silences : il fallait exprimer beaucoup de sentiments, dâidĂ©es, avec trĂšs peu de mots. » Il enchaĂźne les suites de ce premier volet, Intermezzo et Canto due (dont la sortie en salles est toujours attendue), ainsi que LâĂtĂ© nuclĂ©aire, de GaĂ«l LĂ©pingle, PlacĂ©s, de Nessim Chikhaoui, et la sĂ©rie tĂ©lĂ© Les Sauvages. CinĂ©phile Ă©clectique, des comĂ©dies dâAlain Chabat aux Ćuvres du maestro Martin Scorsese, admirateur de la « carriĂšre exemplaire » de Tahar Rahim, ShaĂŻn aborde chaque rĂŽle comme un dĂ©fi. Pour lui, le mĂ©tier de comĂ©dien passe dâabord par lâart de lâobservation : « Câest ainsi que lâon peut retranscrire une rĂ©alitĂ©. Puis, on puise en nous des Ă©motions proches de celles du personnage. » Passer des auditions est loin dâĂȘtre une partie de plaisir, mais le MontpelliĂ©rain le prend avec philosophie : « Lâacteur est Ă la merci du dĂ©sir des autres : cinĂ©astes, public, directeurs de casting⊠Il faut lâaccepter ! » PassionnĂ© de sport, de mode et dâautomobile, il rĂȘve de camper un pilote de Formule 1 Ă lâĂ©cran. AttachĂ© Ă ses racines, il vit toujours sous le soleil du Midi, entre mer et montagne. Et frĂ©quente les mĂȘmes amis depuis la maternelle : « Ils pensent que jâĂ©tais nommĂ© pour un Oscar ! »
Un Oscar, pas encore, mais un CĂ©sar du meilleur espoir masculin, un jour peut-ĂȘtre : ShaĂŻn a en effet fait partie des RĂ©vĂ©lations de lâannĂ©e â une prĂ©sĂ©lection pour ce CĂ©sar â pour son rĂŽle dans PlacĂ©s. Et câĂ©tait la deuxiĂšme fois â

«Lâacteur est Ă la merci du dĂ©sir des autres: cinĂ©astes, public, directeurs de casting⊠Il faut lâaccepter!»
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ET NOS ANCIENS
Ces derniers jours, lâHexagone sâenflamme au sujet des retraites. La population est vent debout contre lâallongement des cotisations et le report de 62 Ă 64 ans de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part au repos. Vus dâEurope, oĂč la plupart des pays ont dĂ©jĂ repoussĂ© la date fatidique bien plus loin et depuis longtemps, les Français font un peu figure de flemmards. Vus dâAfrique, câest trĂšs diffĂ©rent. On pense, Ă juste titre, que câest vraiment un problĂšme de riches. Car le continent connaĂźt une rĂ©alitĂ© bien diffĂ©rente. Dans la majeure partie des pays, dotĂ©s dâune pyramide des Ăąges inversĂ©e, le vrai casse-tĂȘte du moment, câest pas les vieux, ce sont les jeunes ! Depuis des dĂ©cennies, lâespĂ©rance de vie trĂšs basse des populations a motivĂ© des politiques de dĂ©part Ă la retraite trĂšs tĂŽt, autour de 55 ans pour la plupart des fonctionnaires et autres cotiseurs. Au grand dam de ces derniers (lâinverse de chez nous !), car les pensions sont minables et rarement versĂ©es en temps et en heure, les caisses Ă©tant la plupart du temps exsangues. MoralitĂ©, on prĂ©fĂšre travailler plus longtemps pour vivre mieux. Les quelques derniĂšres mesures qui ont dĂ©calĂ© lâĂąge de dĂ©part Ă 60 ans ont Ă©tĂ© applaudies !

Cela dit, elles ne concernent quâune infime partie de privilĂ©giĂ©s, car les Ă©conomies tournent en gĂ©nĂ©ral Ă 80 % dans lâinformel, donc les cotisations pour toucher une pension, 80 % des Africains ne savent pas ce que câest. Partout, lâassurance vieillesse, selon lâadage qui a la vie dure, ce sont les enfants ! Pourtant, au-delĂ du problĂšme dâagrandir lâassiette des cotisations, les gouvernements devraient commencer Ă se pencher sĂ©rieusement sur le sujet. Car selon les projections les plus sĂ©rieuses, et tant mieux, lâespĂ©rance de vie progresse. Lentement, mais sĂ»rement. Le nombre de personnes de plus de 60 ans sur le continent est ainsi passĂ© de 12 millions en 1950 Ă 53 millions en 2005, et devrait atteindre, selon les estimations des Nations unies, 200 millions en 2050. Certains pays, un peu plus visionnaires que dâautres, ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă rĂ©former leurs caisses de retraite pour faire face Ă lâallongement de la pĂ©riode de versement, comme le Maroc ou la CĂŽte dâIvoire. Car on peut aussi supposer que le dĂ©veloppement du continent passera par la diminution du monde de lâinformel et que lâurbanisation changera peu Ă peu les mentalitĂ©s dans la gestion des vieux, des veuves et des orphelins par les familles. Bref, un vaste chantier Ă ciel ouvert pour demain. â

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