Ădito TUNISIE, ET MAINTENANT ? par Zyad Limam
Au pays des bĂątisseurs
Un maxi-Découverte de 28 pages spécial grands travaux
FORĂTS : LâAFRIQUE, FORĂTS : LâAFRIQUE, DERNIER POUMON DERNIER DE LA PLANĂTE ? DE LA
?
Juge
CĂTE DâIVOIRE +
Lâusine dâeau potable de la MĂ©.
danser le monde
EnquĂȘte sur lâun des ultimes patrimoines verts de lâhumanitĂ©. Un bien commun menacĂ©.
(2)
Yasmina Khadra «
Beata Umubyeyi Mairesse « JâAI TROUVĂ MA PLACE DANS LA LITTĂRATURE »
»
Zembra
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MOBILISER plus POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX
GrĂące Ă des pratiques vertueuses et par lâinnovation, BollorĂ© Transport & Logistics se mobilise pour prĂ©server lâenvironnement. Des solutions sont mises en place pour rĂ©duire lâimpact de nos activitĂ©s. Nous sommes engagĂ©s dans des dĂ©marches de certifications pointues, Ă lâimage du Green Terminal dĂ©ployĂ© sur tous nos terminaux portuaires.
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PAR ZYAD LIMAM
LA TUNISIE, SUITE ET SUITEâŠ
VoilĂ , les jeux sont (provisoirement) faits. KaĂŻs SaĂŻed a fait adopter sa nouvelle constitution. La participation aura Ă©tĂ© faible, le dĂ©bat largement tronquĂ©. Mais il aura eu gain de cause. La Tunisie entre dans un nouveau rĂ©gime, marquĂ© par un pouvoir prĂ©sidentiel fort, des contre-pouvoirs limitĂ©s. On peut reconnaĂźtre au prĂ©sident de lâobstination, et suffisamment de sens politique pour sâimposer. Il a fait tomber la deuxiĂšme RĂ©publique sans coup fĂ©rir, il est soutenu visiblement par lâappareil dâĂtat. Que la deuxiĂšme RĂ©publique ait Ă©tĂ© un Ă©chec, personne vĂ©ritablement ne le remet en cause, sauf ceux qui ont profitĂ© de ce modĂšle hybride pour prospĂ©rer. Et gouverner. Et sâenrichir. Difficile aussi de passer de plus dâun demi-siĂšcle dâautoritarisme (Bourguiba, 1957-1987, et Ben Ali, 1987-2011) Ă une dĂ©mocratie opĂ©rationnelle en un clin dâĆil historique. Et puis, la rĂ©volution Ă©tait multiple dans sa nature. Elle mobilisait des Ă©lites avant tout soucieuses de modernisation politique. Mais aussi des couches plus populaires, moins « politiques », qui aspiraient surtout Ă la dignitĂ©, Ă lâĂ©galitĂ©, Ă la promotion Ă©conomique.
Pourtant, le renouveau ne pourra pas venir en « relativisant » les acquis de la rĂ©volution. La Tunisie a besoin de centralitĂ©, dâautoritĂ©, dâune forme de discipline, mais pas aux dĂ©pens des idĂ©es dĂ©mocratiques, du principe de justice Ă©quitable, de la libertĂ© dâexpression et du pluralisme. La Tunisie a besoin dâautoritĂ©, mais pas de lâautoritĂ© dâun seul homme, une sorte de raĂŻs prodigieux et infaillible. Ce modĂšle-lĂ a Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©, et on connaĂźt ses limites. Et la Tunisie a changĂ©. Elle sâest complexifiĂ©e, politisĂ©e justement.
On peut aussi essayer de « limiter » la Tunisie Ă sa nature musulmane et arabe. Ăvidemment oui, mais pas seulement. Ce qui fait la richesse de la Tunisie, sa diffĂ©rence, son apport au monde, y compris au monde arabo-musulman, câest sa diversitĂ©. Ses identitĂ©s multiples. La Tunisie est arabo-musulmane, elle est mĂ©diterranĂ©enne, africaine, elle est berbĂšre, elle a une histoire juive et mĂȘme chrĂ©tienne, elle fut Carthage, un empire, elle fut Rome aussi⊠Si lâon rejette cette fusion, on Ă©trique la nation, on lâaffaiblit.
En lâassumant, on sâouvre des portes sur le grand large. On se positionne comme une nation multiple, ouverte au dialogue, nĂ©cessaire et sĂ©duisante. On peut souligner la souverainetĂ©. Le nationalisme. Câest important. Chaque pays a droit au respect. Mais chaque pays doit mesurer sa marge de manĆuvre. La Tunisie est fragile, Ă©puisĂ©e par une dĂ©cennie de dĂ©sordre. Elle est endettĂ©e, elle est divisĂ©e. Le rĂ©alisme compte. Rompre avec les uns ou les autres, avec les Ătats-Unis ou avec lâEurope (principaux marchĂ©s, principales sources de financement), relĂšve de lâillusion dangereuse. La Tunisie est bordĂ©e de puissants voisins, lâAlgĂ©rie, la Libye (avec le chaos permanent) et, au-delĂ de la Libye, par lâĂgypte et les pays du Golfe. De puissants voisins qui cherchent Ă la rendre « compatible » avec leurs propres intĂ©rĂȘts. La souverainetĂ©, dans ce contexte, câest lâagilitĂ©, la souplesse, en Ă©tant capable de dialoguer avec tous, de conforter cette place de nation ouverte, de nation carrefour.
Et puis, il y a un enjeu central, celui qui relie la rĂ©volution, les Ă©lites et le peuple. La Tunisie sâappauvrit. Son modĂšle social (santĂ©, Ă©ducation, formation) se dĂ©grade. Le pays sâendette, sans crĂ©er de valeur ajoutĂ©e. Le systĂšme est ancien, verrouillĂ© par les monopoles de fait, le poids du secteur public, de lâĂtat, des syndicats. La rĂ©forme Ă©conomique est urgente pour sortir de cette spirale descendante. Et pour crĂ©er des emplois et de la richesse pour le peuple. La constitution, dans ce domaine, nâoffre pas de solutions magiques. La lutte contre les corrupteurs ne dĂ©finit pas un modĂšle nouveau, efficace, innovateur. Cette remise en cause, cette remise Ă niveau est la plus complexe, la plus exigeante. Parce que, disons-le, la Tunisie, idĂ©alement placĂ©e, pourrait ĂȘtre riche.
Lâhistoire nâest pas Ă©crite dâavance. La rĂ©volution continue son chemin. Dans ce chapitre, KaĂŻs SaĂŻed cherche Ă parler au nom de ce peuple. Il est lui-mĂȘme « peuple ». Il se sent lĂ©gitime pour gouverner quasi seul. En Ă©tant ainsi au centre du jeu, le prĂ©sident assume une immense responsabilitĂ©. â
3 ĂDITO
La Tunisie, suite et suite⊠par Zyad Limam
6 ON EN PARLE
CâEST DE LâART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN
De lâAfrique au FinistĂšre, une ferveur sacrĂ©e
22 CE QUE JâAI APPRIS
Nadia Hathroubi-Safsaf par Astrid Krivian
25 CâEST COMMENT ?
Chapeau mossi et baguette de mil par Emmanuelle Pontié
94 PORTFOLIO
La force de lâobjectif par Catherine Faye
122 VINGT QUESTIONS ĂâŠ
RĂ©becca MâBoungou par Astrid Krivian
TEMPS FORTS
26 ForĂȘts : lâAfrique, dernier poumon de la planĂšte ? par Thibaut Cabrera
40 « Justice Thomas », lâhomme qui veut figer lâAmĂ©rique par CĂ©dric Gouverneur
76 DJ Snake, ce Franco-Algérien qui fait danser le monde par Luisa Nannipieri
82 Malek Lakhal : « Il est essentiel de politiser lâintime » par Catherine Faye
86 Yasmina Khadra : « LâĂ©criture, ce voyage initiatique » par Astrid Krivian
90 Beata Umubyeyi Mairesse : « Jâai trouvĂ© ma place dans la littĂ©rature » par Sophie Rosemont
100 La Tunisie au gré des ßles par Frida Dahmani
47 CĂTE DâIVOIRE
Le futur est en travaux ! par Zyad Limam et Francine Yao
Un dossier de 28 pages
Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă exercer une mesure de censure dâun autre temps Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays sâengage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com
BUSINESS
108 Alimentation : le grand désordre mondial
112 Nicolas Bricas : « LâinterdĂ©pendance est devenue une dĂ©pendance »
114 Le streaming sâimpose en Afrique
115 La Gambie sâengage contre la dĂ©forestation
116 Monaco sâintĂ©resse de plus en plus Ă son sud
117 OCP ouvre des perspectives au Niger par Cédric Gouverneur
VIVRE MIEUX
118 Forme : de nouvelles gyms pour la rentrée
119 Nâabusez pas du sel
120 Vitiligo, une maladie mal connue
121 Lâarthrose du pouce : douloureux, mais cela se soigne ! par Annick Beaucousin et Julie Gilles
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ON EN PARLE
Câest maintenant, et câest de lâart, de la culture, de la mode, du design et du voyage
« AFRIQUE : LES RELIGIONS DE LâEXTASE », Abbaye de Daoulas, (France), jusquâau 4 dĂ©cembre. cdp29.fr
Holy 1, sĂ©rie « Vues de lâesprit », Fabrice Monteiro, 2014.
SPIRITUALITĂ
DE LâAFRIQUE AU FINISTĂRE, UNE FERVEUR SACRĂE
Lâabbaye de Daoulas, en Bretagne, plonge les visiteurs
dans une ATMOSPHĂRE MYSTIQUE trĂšs particuliĂšre.
ORGANISĂE PAR LE MUSĂE dâethnographie de GenĂšve, cette exposition invite Ă dĂ©couvrir les cultures religieuses du continent et la ferveur des croyants dans leur recherche dâune communion avec le divin. De nombreux objets de culte et dâĆuvres dâart (plus de 300 piĂšces) rĂ©vĂšlent la richesse et la pluralitĂ© des pratiques en Afrique et dans la diaspora. Les rituels et la notion du sacrĂ© sont mis en avant Ă travers les tĂ©moignages des adeptes eux-mĂȘmes : des guĂ©risseurs, des devins, des danseurs de masques, des chrĂ©tiens ainsi que des pratiquants du vaudou. Cinq installations vidĂ©o
et de fascinantes images de neuf photographes poussent Ă rĂ©flĂ©chir aux pratiques contemporaines et Ă lâexpression de lâĂ©motion religieuse, comme la sĂ©rie « Train Church », de Santu Mofokeng, datant de 1986, qui immortalise des trains de banlieue sud-africains transformĂ©s en Ă©glises sur la ligne Soweto-Johannesbourg. Pour prolonger lâexpĂ©rience, direction les jardins remarquables de lâabbaye et les ruelles de la commune, investis par trois artistes afro-descendants : MaĂŻmouna Guerresi, Ayana V. Jackson et Omar Victor Diop. â Luisa Nannipieri
Série « Kimbanguiste », Christian Lutz, 2018.
MONTPELLIER
CĂLĂBRE LES ARTS DU MONDE ARABE
Depuis 2006, Arabesques sâest imposĂ© comme un RENDEZ-VOUS MULTIDISCIPLINAIRE incontournable.
MUSIQUE, DANSE, THĂĂTRE, cinĂ©ma, humour, arts visuels⊠La programmation multidisciplinaire et Ă©clectique du festival Arabesques met en lumiĂšre tant la jeune garde des scĂšnes contemporaines que les artistes consacrĂ©s, les esthĂ©tiques alternatives comme les traditionnelles. DĂ©fricheur de talents et soutien aux artistes Ă©mergents, cet Ă©vĂ©nement, qui jette un pont entre Orient et Occident, investit diffĂ©rents lieux de Montpellier. Au sein de la pinĂšde du domaine dâO, une mĂ©dina plante son dĂ©cor Ă lâombre des arbres et devient un cĆur palpitant oĂč se croisent ateliers de dĂ©couverte culinaire ou de calligraphie, tables rondes, rencontres littĂ©raires⊠Parmi les nombreux musiciens qui enchanteront cette 17e Ă©dition, on trouvera Dhafer Youssef accompagnĂ© de BallakĂ© Sissoko et Eivind Aarset pour leur projet Digital Africa, le duo folk Ćžuma, la transe hypnotique de Bedouin Burger, le groupe fĂ©minin originaire de la Saoura algĂ©rienne Lemma, lâillustre oudiste Marcel KhalifĂ© et son fils Bachar, Anouar Brahem ou encore Kabareh Cheikhats â des artistes masculins explorant le rĂ©pertoire sĂ©culaire des cheikhates (chanteuses et danseuses marocaines). CĂŽtĂ© humour, le jeune AZ rĂ©galera le public avec son regard dĂ©calĂ© et ses punchlines hilarantes. â Astrid Krivian FESTIVAL ARABESQUES, Montpellier(France), du 6 au 18 septembre. festivalarabesques.fr
SOUNDS
à écouter maintenant !
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Ferkat Al Ard
Oghneya, Habibi Funk
Merci au label Habibi Funk qui, aprĂšs avoir rééditĂ© le superbe album du Libanais Issam Hajali, dĂ©terre les compositions de son groupe, Ferkat Al Ard, quâil formait avec Toufic Farroukh et Elia Saba. Se nourrissant de la poĂ©sie palestinienne, notamment celle de Mahmoud Darwich, Oghneya bĂ©nĂ©ficie des arrangements du fils de Fairouz, Ziad Rahbani. Il explore le folk psychĂ©, les musiques traditionnelles orientales et brĂ©siliennes, lâexotica⊠Sublime.
â· Moonchild
Sanelly
Phases, Transgressive Records/Pias
« Undumpable », chante
Sanelisiwe Twisha (de son vrai nom) dĂšs lâouverture de son deuxiĂšme album. On nâen doute pas une seconde, au vu de lâĂ©nergie de la figure de proue du gqom sud-africain. Ayant collaborĂ© avec des pointures de la pop music, telles que BeyoncĂ© ou Gorillaz, elle prend ici la parole au nom de toutes les femmes que lâon oublie : les travailleuses du sexe, les strip-teaseuses ou encore les twerkeuses, mais aussi les mĂšres, les filles et les sĆurs⊠Le tout avec un groove effarant !
Ysee
Tony Allen Makes Me High, Ysee
Le nom de cet EP nâest pas volĂ© : le regrettĂ© batteur nigĂ©rian Ă©tait en effet lâun des complices de cette chanteuse et actrice française dâorigine bĂ©ninoise, qui tourne actuellement aux cĂŽtĂ©s de Noel Gallagher. Câest sur scĂšne quâYsee sâest liĂ©e dâamitiĂ© avec le roi de lâafrobeat, qui sâĂ©coute ici via plusieurs titres dâune belle Ă©lĂ©gance sonique. Une superbe voix Ă dĂ©couvrir de toute urgence ! â Sophie Rosemont
LĂGENDE
CALYPSO ROSE FOREVER !
Dans son nouvel album, la chanteuse de TrinitĂ©-et-Tobago clame la JOIE DâĂTRE SOI, libre et ouverte sur le monde.
POUR LES RARES qui ne la connaĂźtraient pas encore, rappelons que Calypso Rose, nĂ©e McArtha Lewis sur lâĂźle caribĂ©enne de Tobago, au sein dâune famille de 13 enfants, a vĂ©cu un premier dĂ©chirement Ă lâĂąge de 9 ans. Sans le sou, ses parents doivent la confier Ă un couple de lâĂźle de TrinitĂ©. Celle qui devient, dĂšs lâadolescence, Calypso Rose, sây Ă©panouit nĂ©anmoins. Forte dâun mental en acier et dâune voix mĂ©morable, elle fait ses armes dans les calypso tents, oĂč lâon doit, face Ă une sacrĂ©e concurrence, imposer son bagout. En 1978, elle est la premiĂšre femme Ă remporter la couronne de « Calypso Queen » â alors que personne nây croyait dans le circuit trĂšs machiste du carnaval. FĂ©ministe ? Et pas quâun peu ! 800 chansons plus tard, dĂ©sormais basĂ©e Ă New York, celle qui a fĂȘtĂ© ses 82 ans ne compte pas lĂącher le micro. Pour ce nouveau disque, engagĂ© et Ă lâĂ©nergie contagieuse, elle reste fidĂšle Ă ses compagnons de musique. Lâobjectif Ă©tant de rester authentique sans se priver


des sonoritĂ©s Ă©lectroniques. En premier lieu, le producteur bĂ©lizien Ivan Duran, qui la suit depuis plus de quinze ans et fait intervenir son groupe The Garifuna Collective. Ăgalement de la partie, Manu Chao, qui a rĂ©alisĂ© en 2016 son Far From Home, devenu disque de platine, des musiciens trinidadiens (Machel Montano, Kobo Town), jamaĂŻcains (Mr Vegas), mais aussi Oli, du duo français Bigflo & Oli â car Calypso Rose est toujours attentive aux propositions de la nouvelle gĂ©nĂ©ration⊠Sans oublier des pointures du mĂȘme calibre quâelle. Ainsi, le guitariste Santana transcende de ses riffs lâouverture de lâalbum, « Watina »., une reprise dâAndy Palacio en 2007, qui rappelle la mise en esclavage et la dĂ©portation du peuple des Garifunas. Un discours qui sâinscrit dans les convictions dĂ©fendues par lâartiste depuis ses dĂ©buts, dont lâĂ©galitĂ© de toutes et tous, quels que soient la couleur de peau, le sexe et les origines sociales. En 2019, elle est dâailleurs rentrĂ©e Ă lâIcons of Tobago Museum, qui nâa pas oubliĂ©, comme elle, dâoĂč McArtha-Calypso venait. â S.R.
CALYPSO ROSE, Forever, Because Music.
LA VIE (AU BLED) EST UN ROMAN
Un Ă©crivain franco-algĂ©rien tout juste nobĂ©lisĂ© est accueilli en hĂ©ros dans le village natal quâil avait fui⊠Une COMĂDIE POLITIQUE douce-amĂšre.
SAMIR AMIN, Ă©crivain français nĂ© en AlgĂ©rie, reçoit le prix Nobel de littĂ©rature. Le summum de la reconnaissance, mais qui ne guĂ©rit pas son Ă©tat dĂ©pressif : il refuse toutes les sollicitations⊠sauf celle du village oĂč il a grandi, qui veut lui dĂ©cerner le titre de « citoyen dâhonneur ». Il finit par sauter dans un avion dâAir AlgĂ©rie pour rejoindre les contreforts de lâAtlas et ce pays dont il a fui la guerre civile trente ans plus tĂŽt. Le romancier va alors se confronter aux personnages rĂ©els qui lui ont inspirĂ© la plupart de ses livres⊠Kad Merad est parfait dans la peau de cet auteur neurasthĂ©nique de retour au bled. Ă ses cĂŽtĂ©s, Fatsah Bouyahmed, lâun des clowns les plus attachants de la comĂ©die francophone, donne son tempo doucement comique au film en lâaccompagnant Ă tous ses rendez-vous. Un trĂšs beau village marocain fait illusion, le tournage nâayant pu avoir lieu en AlgĂ©rie, mais le rĂ©alisateur Mohamed Hamidi (La Vache, NĂ© quelque part) â qui est aussi directeur


artistique du Marrakech du rire â a su trouver lâendroit idĂ©al. Ses producteurs lui avaient proposĂ© dâadapter un film argentin oĂč un Ă©crivain nobĂ©lisĂ© quittait Barcelone pour retrouver son village dans la pampa. Il en a fait un film sur lâAlgĂ©rie dâaujourdâhui, avec le personnage de la jeune Ă©tudiante impliquĂ©e dans les manifestations du Hirak (Oulaya Amamra, la rĂ©vĂ©lation de Divines).
Le rythme nâest pas toujours au rendez-vous, malgrĂ© la belle musique dâIbrahim Maalouf et quelques surprises (dont une apparition de Jamel Debbouze). Et lâon peut sâĂ©tonner de voir la langue française triompher dans un pays oĂč elle reste une question politique sensible. Mais cette nouvelle dĂ©clinaison dâun retour au pays natal se laisse voir avec plaisir, et parvient mĂȘme Ă nous toucher. â Jean-Marie Chazeau CITOYEN DâHONNEUR (France), de Mohamed Hamidi. Avec Kad Merad, Fatsah Bouyahmed, Oulaya Amamra. En salles.
LES CINĂMAS ORIENTAUX Ă LA MAISON
Yema est la premiĂšre plate-forme française VOD de films dâAfrique du Nord et du Moyen-Orient. BURNING CASABLANCA ou Une histoire dâamour et de dĂ©sir Ă lâaffiche chez soi, quand on nâa pas pu les voir en salles : câest ce que propose la plate-forme Yema, lancĂ©e en juin, qui sĂ©lectionne les meilleures productions actuelles ou de patrimoine, et dont le catalogue sâenrichit dâune dizaine de titres par mois. Les films sont accessibles Ă un prix raisonnable (entre 2,99 et 4,99 euros selon la qualitĂ© HD ou la date de sortie), mais une formule dâabonnement est Ă lâĂ©tude. Pour les visionner, il faut habiter en France, les droits dâauteur devant encore ĂȘtre nĂ©gociĂ©s pour un accĂšs depuis le Maghreb. Fictions, documentaires, courts-mĂ©trages (qui eux sont gratuits) couvrent le monde oriental au sens (trĂšs) large, de lâAlgĂ©rie Ă la Turquie, en passant par IsraĂ«l, la Palestine et lâIran. Chaque mois, un invitĂ© prĂ©sente une sĂ©lection autour dâune thĂ©matique : pour septembre, câest LeĂŻla Slimani qui a choisi cinq Ćuvres sur la place des femmes dans les sociĂ©tĂ©s orientales. Avec en bonus, une interview affĂ»tĂ©e de lâĂ©crivaine franco-marocaine, qui explique comment le regard fĂ©minin est dâabord universel. â J.-M.C. yema-vod.com
Kad Merad et Fatsah Bouyahmed.
INSTITUTION
ALBUM DE VOYAGE
Plus de quarante ans de créations de Lecoanet
Hemant, alliant lâART DE LA HAUTE
COUTURE
française Ă lâesprit de lâOrient.
ROBES DES MILLE ET UNE NUITS, drapĂ©s somptueux, manteaux opulents ou tailleurs structurĂ©s⊠Lâunivers exubĂ©rant du duo de couturiers globe-trotters illumine les galeries du musĂ©e de rĂ©fĂ©rence de la dentelle tissĂ©e, Ă Calais. Il faut dire que Didier Lecoanet et Hemant Sagar, crĂ©ateurs de leur griffe Ă©ponyme en 1981, lâune des plus inventives de lâĂ©poque, sont des prestidigitateurs de la mode. Leurs modĂšles chatoyants et raffinĂ©s explorent le mĂ©tissage subtil des textiles et des cultures. PrĂ©sente dĂšs leurs dĂ©buts, la dĂ©clinaison autour du sari indien marque lâensemble de lâĆuvre de la maison. Tout comme le thĂšme de la nature, Ă travers des vĂȘtements rĂ©alisĂ©s Ă partir de matiĂšres vĂ©gĂ©tales, minĂ©rales ou animales : raphia, bois, coquillages, papier de riz⊠Cette pĂąte inventive a valu aux deux crĂ©ateurs dâĂȘtre considĂ©rĂ©s comme les orientalistes de la haute couture. Et la rĂ©trospective calaisienne, de plus de 80 piĂšces, retrace la magie de lâalliance des matiĂšres et des styles de lâOccident et de lâOrient. â Catherine Faye
« LECOANET HEMANT : LES ORIENTALISTES
DE LA HAUTE COUTURE », CitĂ© de la dentelle et de la mode, Calais (France), jusquâau 31 dĂ©cembre. cite-dentelle.fr
LâAFRIQUE
AU SOMMET DâHOLLYWOOD !
Les combattantes du futuriste Wakanda dans la suite de Black Panther, mais aussi des guerriĂšres du Dahomey au xixe siĂšcle : les FEMMES SONT AU CĆUR de deux grosses productions amĂ©ricaines trĂšs attendues Ă la rentrĂ©e.
SI LâON EN CROIT une coiffeuse du staff de Black Panther: Wakanda Forever, le tournage de la suite du premier blockbuster afro-amĂ©ricain (1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde en 2018) aura durĂ© presque 30 jours de plus que prĂ©vu : 117 au lieu de 88. AprĂšs avoir tardĂ© Ă dĂ©marrer pour cause de réécriture du scĂ©nario Ă la suite du dĂ©cĂšs en 2020 de Chadwick Boseman (qui incarnait TâChalla, la PanthĂšre noire), la production a ensuite dĂ» faire face Ă des interruptions pour cause de Covid-19 (jusquâĂ Lupita Nyongâo, positive en janvier dernier). Une cascade qui a mal tournĂ© (et une fracture de lâĂ©paule) a Ă©galement immobilisĂ© plusieurs semaines Letitia Wright. Or, son rĂŽle de Churi, la sĆur de TâChalla, sâannonce central dans ce nouvel Ă©pisode. Ira-t-elle jusquâĂ prendre la succession de son frĂšre ? En tout cas, Disney sâest refusĂ© Ă remplacer son hĂ©ros par un autre acteur, voire Ă recourir Ă des images de synthĂšse. Et mise tout sur le Wakanda et ses combattantes dans ce nouvel opus. Ce puissant pays africain imaginaire, cachĂ© entre lâĂthiopie et le Kenya, allie toujours haute technologie et sens aigu de lâesthĂ©tique. Deux nouveaux personnages de la galaxie Marvel devraient faire leur apparition : le mĂ©chant Namor, prince des mers, oreilles pointues et slip vert, jouĂ© par lâacteur mexicain Tenoch Huerta, et lâĂ©tudiante Riri Williams et son armure Ironheart, qui aura les traits de lâAmĂ©ricaine Dominique Thorne. Pour le reste, toujours devant la camĂ©ra de Ryan Coogler, on retrouvera la mĂȘme distribution, trĂšs black power, les femmes en tĂȘte, dont Danai Gurira, qui incarne Okoye, la gĂ©nĂ©rale du Wakanda, appelĂ©e Ă ĂȘtre au cĆur dâune sĂ©rie dĂ©rivĂ©e pour Disney+. Sortie prĂ©vue pour novembre.
Dâautres guerriĂšres noires vont dĂ©barquer dĂšs septembre devant la camĂ©ra dâun autre cinĂ©aste afro-amĂ©ricain, en lâoccurrence une rĂ©alisatrice : Gina Prince-Bythewood. The Woman King plonge au cĆur du royaume, rĂ©el celui-lĂ , du Dahomey au XIXe siĂšcle. InspirĂ© des amazones du futur BĂ©nin, le film (tournĂ© en Afrique du Sud) met en scĂšne les faits dâarmes de la gĂ©nĂ©rale Nanisca, incarnĂ©e par Viola Davis, qui entraĂźne une nouvelle gĂ©nĂ©ration de recrues au sein de lâAgoledjiĂ©, le corps des femmes de guerre du roi. Elle va les prĂ©parer Ă la bataille contre un ennemi dĂ©terminĂ© Ă dĂ©truire leur mode de vie. « Il y a des valeurs qui mĂ©ritent dâĂȘtre dĂ©fendues », souligne le synopsis de Sony Pictures. Entre les guerriĂšres historiques du royaume du Dahomey et les superhĂ©roĂŻnes du Wakanda, le systĂšme hollywoodien a dĂ©cidĂ© cette annĂ©e de mettre en avant celles quâil ne montre que trop rarement⊠â J.-M.C.

Dans The Woman King, Viola Davis forme les Amazones de Dahomey.
Chadwick Boseman (en costume noir) incarnait TâChalla, la PanthĂšre noire, dans le premier opus. AprĂšs son dĂ©cĂšs en 2020, le scĂ©nario du second volet a dĂ» ĂȘtre réécrit, et le rĂŽle de Churi, sa sĆur, sâannonce dĂ©sormais central.
8 E ART
EN ARLES, ROYAUME DE LâIMAGE
Câest un retour en grand format, de vĂ©ritables retrouvailles, pour la 53e édition des RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE.
CâEST UN PEU comme si nous avions enfin tournĂ©, dâune maniĂšre ou dâune autre, la page de lâĂ©preuve, celle de la pandĂ©mie de Covid-19. Arles accueille Ă nouveau, Ă bras ouverts, le monde de la photo. On peut, enfin, se concentrer sur les Ćuvres, les images, en flĂąnant dâune ruelle Ă une autre, sous les voĂ»tes dâune Ă©glise, dans une friche, dans une maison faite dâhistoire. Cette annĂ©e, les rencontres accordent une place importante au fĂ©minin, Ă la fĂ©minitĂ© et au fĂ©minisme. Avec des expositions qui naviguent entre le radical, le subversif, le mouvement. Les rencontres ouvrent Ă©galement un large espace aux artistes Ă©mergents, dont le Marocain Seif Kousmate. Et Ă lâhistoire. Avec, en particulier, une exposition Ă©mouvante sur la vie et lâĆuvre de lâAmĂ©ricaine Lee Miller, mannequin devenue photographe au cĆur de la Seconde Guerre mondiale. â Zyad Limam
Lee Miller, Chapeaux Pidoux (avec marque de recadrage originale de Vogue Studio), Londres, Angleterre, 1939.
LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE, Arles (France), jusquâau 25Â septembre. rencontres-arles.com
MUSIQUE
AFRODELIC LA GLOIRE DU PĂRE
Avec son majestueux premier album, câest un VIBRANT HOMMAGE que nous livre le musicien et producteur lituano-malien Victor Diawara.
DUSUNKUN HAKILI signifie « la mĂ©moire du cĆur »⊠Et câest bien de cela quâil sâagit tout au long de ce disque imaginĂ©, conçu et enregistrĂ© entre Bamako et Vilnius par Victor Diawara pour honorer le corpus de son pĂšre, le poĂšte malien Gaoussou Diawara, disparu en 2018. Plusieurs invitĂ©s au programme, parmi lesquels la chanteuse Hawa KassĂ© Mady Diabaté⊠Le folk traditionnel est organique, entrelacĂ© des cordes maĂźtrisĂ©es par Diawara fils, qui nâhĂ©site guĂšre Ă faire appel Ă lâĂ©lectrique, Ă des sonoritĂ©s rap ou des technologies plus rĂ©centes pour apporter de lâair frais Ă ces mĂ©lopĂ©es entĂȘtantes, comme sur « Je nâaime pas les fĂȘtes » ou « Le temps est venu », Ă la superbe ouverture gospel. Ici se mĂȘlent poĂ©sie, engagement et dĂ©sir sincĂšre de rassembler grĂące Ă la musique. â S.R.
AFRODELIC, Dusunkun Hakili, Ankata.
La chanteuse malienne Oumou Sangaré.
LâART DE LA JOIE
LâAFRIQUE FESTIVAL fait son grand retour Ă Strasbourg avec une programmation en grande partie fĂ©minine.
IL ĂTAIT TEMPS. AprĂšs deux saisons troublĂ©es par la crise sanitaire, la 4e Ă©dition de lâĂ©vĂ©nement sâannonce volcanique. Créé en 2003 Ă Newcastle, au Royaume-Uni, par ManoutĂ© Seri, un promoteur culturel dâorigine ivoirienne dĂ©sormais installĂ© en Alsace, le festival a vu passer outre-Manche des stars telles que Manu Dibango, Alpha Blondy et Tony Allen. ImportĂ© dâAngleterre, le concept strasbourgeois est le mĂȘme. Ainsi, au bord du Rhin se cĂŽtoieront cette annĂ©e de grands noms de la scĂšne internationale fĂ©minine. Sur la Grande ScĂšne, dĂ©diĂ©e Ă la programmation musicale africaine, se succĂ©deront la diva malienne Oumou SangarĂ©, artiste engagĂ©e et femme de dĂ©fis, la chanteuse, danseuse et percussionniste ivoirienne Dobet GnahorĂ©, mais aussi la Gambienne Sona Jobarteh, premiĂšre femme joueuse professionnelle de kora, ainsi que la chanteuse, musicienne et auteure-compositrice camerounaise Charlotte Dipanda. Leurs voix et leurs musiques se mĂȘleront pendant trois jours Ă celles dâartistes locaux comme Boni GnahorĂ©, Redlights Dream, Lisa, The One Armed Man, et bien dâautres. Une renaissance attendue pour ce festival, dont la vocation est de mettre en valeur les cultures africaines et de redynamiser les vertus de la convivialitĂ© et de la tolĂ©rance. â C.F. LâAFRIQUE FESTIVAL, Ostwald(France), du 16 au 18 septembre. lafriquefestival.com
QUĂTE
CARTE AU TRĂSOR
RĂ©cit dâune trajectoire : des motivations de lâexil Ă la construction de soi.
QUI EST-ON et dâoĂč vient-on ?
Câest ce double questionnement, Ă la fois banal et fondamental, quâexplore la primo-romanciĂšre, partie sur la terre natale de ses ascendants. Un voyage tout en subtilitĂ©, qui emmĂšne le lecteur dans les labyrinthes de lâĂ©migration, des choix et des contraintes, de la transmission et de lâidentitĂ©. Car que signifie lâexil volontaire ou involontaire, Ă lâaune dâune vie, dâune lignĂ©e, ou plus simplement au regard de lâhistoire de lâhumanitĂ© ?


« Je ne comprends pas comment tu as pu commencer ta vie Ă Ajar, dĂ©cider un jour de tout quitter, traverser la Mauritanie puis la MĂ©diterranĂ©e, arriver en France et enfin rejoindre Paris alors que, moi, je ne vais mĂȘme pas dans le 77 », sâenquiert celle qui, au moment de la mort de sa grand-mĂšre, choisit lâĂ©criture pour explorer le canevas des origines et de lâineffaçable hĂ©ritage de son histoire. Une quĂȘte sensible et universelle, inspirĂ©e du parcours de son pĂšre. â C.F. FANTA DRAMĂ, Ajar-Paris, Plon, 208 pages, 19 âŹ.
ROMAN
FUITE DU TEMPS
Trois personnages, trois histoires, un village. Une grande fresque de lâAlgĂ©rie, sur prĂšs dâun siĂšcle.
CE NâEST PAS UN HASARD, si le titre de son nouveau roman fait rĂ©fĂ©rence au poĂšme Chanson dâautomne, de Paul Verlaine : « Et je mâen vais / Au vent mauvais / Qui mâemporte / Deçà , delĂ / Pareil Ă la feuille morte. » Conçu Ă la villa MĂ©dicis, Ă Rome, oĂč Kaouther Adimi a Ă©tĂ© pensionnaire (promotion 2021-2022), ce texte nous emporte dans les tourments et les tournants de lâhistoire, de la colonisation Ă la lutte pour lâindĂ©pendance, jusquâĂ lâĂ©tĂ© 1992, au moment oĂč lâAlgĂ©rie bascule dans la guerre civile. Au cĆur de ces remous, trois personnages : Tarek, LeĂŻla et SaĂŻd. Au fil du temps qui passe et des alĂ©as â de la guerre, des espoirs, des dĂ©ceptions â, chacun dĂ©roule son propre chemin, se transforme. Et tandis que lâhistoire sâĂ©crit, entre eux, les liens se font, se dĂ©font. Encore une fois, la sĂ©millante auteure de Nos richesses, prix Renaudot des lycĂ©ens 2017, nous entraĂźne dans les rĂ©cits oubliĂ©s et les destins croisĂ©s, les blessures et les embellies, la rĂ©alitĂ© et lâimaginaire. Captivant. â C.F. KAOUTHER ADIMI, Au vent mauvais, Seuil, 272 pages, 19 âŹ.



KOKOROKO, FIĂVRE COLLECTIVE
Ils sont huit et DYNAMISENT LA SCĂNE LONDONIENNE depuis quelques saisons.
CâEST AUTOUR de la trompettiste Sheila Maurice-Grey que sâactive ce groupe aux larges latitudes, devenu lâun des nouveaux grands espoirs de la scĂšne londonienne grĂące au single « Abusey Junction », paru en 2018. Ce premier album rĂ©sume tout ce que lâon attendait de Kokoroko : un mĂ©lange Ă fois subtil et foisonnant de jazz, de highlife et de soul tendance seventies. Rajoutons-y une touche dâafrobeat, et le tour est jouĂ© : Could
We Be More nâa pas besoin de grands discours pour raconter une multitude dâhistoires, des CaraĂŻbes Ă lâAngleterre, sans oublier le terreau artistique et fondateur de lâAfrique de lâOuest. Aux percussions, Onome Edgeworth garde la cadence et varie les rythmes, tout comme le batteur Ayo Salawu ou la saxophoniste Cassie Kinoshi. Quant Ă la pochette, elle mĂ©rite dâĂȘtre encadrĂ©e, pendant que le vinyle tourne en boucle sur nos platines⊠â S.R.
KOKOROKO, Could We Be More, Brownswood Recordings/Bigwax.
VICKY GROUTDR
JAZZ
CONVERGENCE DES LUTTES
Dans une narration originale, JENNIFER RICHARD revient avec une odyssĂ©e historique, doublĂ©e dâun roman politique.
LE LIVRE SâOUVRE avec un carton dâinvitation. Ota Benga convie ses invitĂ©s Ă la rĂ©union de lâAmicale des insurgĂ©s, une sorte de confĂ©rence-dĂ©bat, dans une dimension parallĂšle. Mais qui est cet hĂŽte mystĂ©rieux ? Et que font tous ses convives rĂ©unis autour dâune convocation pour le moins surprenante : « Mort suspecte ? Mort prĂ©coce ou violente ? Vous pensez avoir Ă©tĂ© assassinĂ© ? Le cas Ă©chĂ©ant, vous estimez lâavoir Ă©tĂ© pour vos idĂ©es ? Sortez de lâombre ! » Ota Benga nâest pas un personnage fictif. La romanciĂšre franco-amĂ©ricaine, dâorigine guadeloupĂ©enne, et documentaliste pour la tĂ©lĂ©vision, en a entendu parler dans un guide de New York. Un encart sur le zoo du Bronx y indiquait quâil y avait Ă©tĂ© enfermĂ© dans la cage des singes, en 1906⊠à la fin du XIXe siĂšcle, ce PygmĂ©e voit sa famille et sa tribu dĂ©cimĂ©es lors dâatrocitĂ©s perpĂ©trĂ©es par le systĂšme colonial Ă©tabli par le roi des Belges, LĂ©opold II, dans lâĂtat indĂ©pendant du Congo. RĂ©cupĂ©rĂ© par un pasteur, qui lâamĂšne aux Ătats-Unis pour devenir une attraction majeure de lâexposition universelle de Saint-Louis, il se donnera la mort en 1916. Cette destinĂ©e poignante est au cĆur de ce nouveau texte sans concessions, aux allures de farce macabre, politique et polĂ©mique. AprĂšs le trĂšs remarquĂ© Il est Ă toi ce beau pays (2018) sur la colonisation en Afrique, puis Le Diable parle toutes les langues (2021) et les mĂ©moires fictives de Basil Zaharoff, un marchand dâarmes qui fit fortune lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, ce troisiĂšme volet poursuit le contre-rĂ©cit de lâhistoire officielle. Construit en deux temps, on y dĂ©couvre Ota Benga qui raconte son histoire, et ce monde parallĂšle, bizarrement frĂ©quentĂ©, auquel il nous convie et oĂč lâon retrouve Jean JaurĂšs, Che Guevara, Thomas Sankara, Martin Luther King, Rosa Luxemburg, ou encore Patrice Lumumba⊠Tous assassinĂ©s pour leurs idĂ©es et tous liĂ©s Ă son destin. Des rĂ©volutionnaires, des idĂ©alistes, engagĂ©s pour leur cause, en sachant trĂšs bien quâils mourraient, que leur « royaume nâest pas de ce monde » et que leur rĂ©compense⊠ils lâauraient plus tard. Puissant. â C.F.

JENNIFER RICHARD, Notre royaume nâest pas de ce monde, Albin Michel, 736 pages, 24,90 âŹ.
PASSION ZELLIGE
LâAtelier Maloukti revisite les CĂRAMIQUES MAROCAINES pour crĂ©er des objets entre tradition et contemporain.
LâART DU ZELLIGE, ces morceaux de terre cuite Ă©maillĂ©s, dĂ©coupĂ©s un Ă un et assemblĂ©s pour crĂ©er des motifs gĂ©omĂ©triques, a donnĂ© vie Ă des Ćuvres dâart millĂ©naires. Avec lâAtelier Maloukti, lâarchitecte dâintĂ©rieur Nicolas Pascolini rend hommage Ă cette tradition marocaine revisitant des objets de tous les jours. Il fait arriver dans son atelier de Marrakech les carreaux bruts de FĂšs, ville renommĂ©e pour la qualitĂ© de sa terre argileuse, avant de procĂ©der Ă la dĂ©coupe en bĂątonnets, losanges ou Ă©toiles pour crĂ©er des tesselles qui recouvriront des tables, des plateaux en bois ou fabriquĂ©s Ă partir dâanciens tamis Ă couscous, ou encore des miroirs. Chaque piĂšce apporte une touche crĂ©ative dans un appartement contemporain mais a aussi sa place dans une maison traditionnelle marocaine, comme les magnifiques riads et villas que lâAtelier a redessinĂ©s depuis son ouverture, en 2020. Pour souligner lâesprit moderne de ses crĂ©ations, Nicolas Pascolini a travaillĂ© avec les couleurs, introduisant des nouvelles teintes et des nuances pastel, comme le rose et le vert, mais aussi avec les lignes. Les structures des tables, en mĂ©tal, ont Ă©tĂ© conçues pour obtenir des profils plus fins, qui valorisent les motifs en cĂ©ramique. â  L.N. ateliermaloukti.com
Les motifs des vĂȘtements sont cousus et sĂ©rigraphiĂ©s Ă la main, faisant de chaque piĂšce une Ćuvre dâart Ă part entiĂšre.
MODE
KATUSH, ĂTHIQUE ET MODERNE
Le style unisexe de ce label kĂ©nyan restitue des IDENTITĂS CULTURELLES
UNIQUES dans des tenues pour le quotidien.
La designeuse
Katungulu Mwendwa.
LA DESIGNEUSE Katungulu Mwendwa a lancĂ© sa propre griffe, Katush, en 2014 et en a fait lâune de ces jeunes marques qui conjuguent durabilitĂ©, culture africaine et qualitĂ© artisanale. Katush est un surnom assez commun chez les enfants dont le nom commence par « Kat », dans la communautĂ© de Nairobi oĂč la styliste a grandi. Des jeunes qui, comme elle, aiment un style dĂ©contractĂ© et Ă©vocateur en mĂȘme temps, pensĂ© pour vivre au quotidien dans un monde globalisĂ©, sans oublier leur identitĂ© ni leur hĂ©ritage. Les huit collections quâelle a créées jusquâici sâinspirent aussi bien des corsets perlĂ©s du Sud-Soudan que des robes recherchĂ©es portĂ©es par les Wodaabe, un sous-groupe du peuple peul, pour ensuite les dĂ©cliner en tenues confortables. Avec « One Manjano », sa derniĂšre collection en date, qui a Ă©tĂ© influencĂ©e par une carte postale reprĂ©sentant une femme au dĂ©but des annĂ©es 1900 Ă Zanzibar, la styliste cĂ©lĂšbre les savoirfaire des artisans du continent. Son nom (« un jaune ») est une expression swahilie pour dire que chaque piĂšce est unique.

En observant les robes traditionnelles swahilies et la versatilitĂ© du caftan, portĂ© Ă travers les siĂšcles par les hommes et les femmes, Katungulu Mwendwa a dessinĂ© des silhouettes fonctionnelles, adaptĂ©es Ă la vie frĂ©nĂ©tique dâune ville en plein essor comme la capitale kenyane. Tel un clin dâĆil graphique Ă la carte postale, les motifs organiques en noir, blanc ou ocre qui dĂ©corent les piĂšces rappellent les travaux de lâartiste italien Giuseppe Capogrossi, lâun des prĂ©curseurs de la peinture abstraite. Ils ont tous Ă©tĂ© cousus et sĂ©rigraphiĂ©s Ă la main, faisant de chaque vĂȘtement une Ćuvre dâart Ă part entiĂšre.
Dans le but de soutenir une mode locale, responsable et Ă©thique, Katush travaille avec plusieurs partenaires qui lui permettent, par exemple, dâimporter le coton filĂ© Ă la main du Burkina Faso et de la CĂŽte dâIvoire ou le jersey de la Tanzanie. Le cuir est sourcĂ© et traitĂ© au Kenya, et les boutons et les boucles sont rĂ©alisĂ©s Ă partir de corne de vache ou de cuivre recyclĂ©. â L.N. katushnairobi.com
La terrasse de lâĂ©tablissement accueille cinq restaurants durant lâĂ©vĂ©nement.
Chez Afro Jojo, le chef relÚve les plats avec des marinades spéciales et des sauces originales.
GROUND CONTROL MET Ă LâHONNEUR
LA FOOD AFRO
JusquâĂ fin octobre, le continent investit les extĂ©rieurs de lâICONIQUE LIEU DE VIE CULTUREL PARISIEN.
CINQ RESTAURANTS AFRO en un seul lieu : la terrasse du Ground Control, prĂšs de la gare de Lyon. Lâancienne halle de la SNCF, transformĂ©e depuis 2017 en lieu de vie et de culture, donne carte blanche Ă une nouvelle gĂ©nĂ©ration de chefs afro-descendants avec le projet Ground Africa. Parmi les Ă©quipes installĂ©es dans les vieux bus amĂ©nagĂ©s en cuisines, on retrouve celle du BMK Paris-Bamako, qui nâa plus besoin dâĂȘtre prĂ©sentĂ©e, ou du New Soul Food, avec sa street-food afropĂ©enne et ses grillades au charbon de bois. Mais aussi de nouveaux visages afro-parisiens : Boukan est le pari rĂ©ussi de trois GuadeloupĂ©ens, qui ont créé leur premiĂšre carte pour ce projet. Ils proposent une cuisine du terroir caribĂ©en avec des plats de viande, des crustacĂ©s ou des poissons boucanĂ©s (marinĂ©s et fumĂ©s
Ă lâĂ©touffĂ©e), accompagnĂ©s de fluffy rice au lait du coco ou de houmous de banane plantain. Chez Afro Jojo, le chef, adepte dâune cuisine dĂ©structurĂ©e, relĂšve plats et sandwichs avec des marinades spĂ©ciales et des sauces originales Ă base de poivre vert de Penja ou dâĂ©pices du Nigeria : le Jojolof Rice Bowl, avec poulet frit maison, ragoĂ»t de haricots rouges et sauce maison Ă base de piment antillais, Ă©tonnera vos papilles. Et si chaque resto a des options vĂ©gĂ©, LâEmbuscade propose une cuisine totalement afro-vĂ©gane : les fĂȘtards parisiens connaissent dĂ©jĂ le club (Ă Pigalle) et sa cantine inaugurĂ©e en 2019, les autres apprĂ©cieront les portions gĂ©nĂ©reuses et gourmandes dâune cuisine mĂ©tissĂ©e, dĂ©clinĂ©e en bowls et buns pour lâoccasion. â L.N. groundcontrolparis.com
LâALLIANCE ENTRE INDUSTRIE ET CULTURE
Senestudio a créé un écrin aux volumes fluides pour accueillir LA MAISON EIFFAGE, prÚs du port autonome de Dakar.
TERMINĂE Ă TEMPS pour accueillir les premiĂšres expositions Ă lâoccasion de la biennale, la Maison Eiffage est un nouvel espace culturel implantĂ© dans la zone industrielle du port de Dakar. Le projet a Ă©tĂ© conçu par lâagence Senestudio, basĂ©e au SĂ©nĂ©gal depuis 2007, comme une sĂ©rie de volumes imbriquĂ©s et superposĂ©s qui crĂ©ent des espaces polyfonctionnels ouverts et transparents. Les piĂšces, distribuĂ©es sur trois Ă©tages, sont Ă©clairĂ©es par la lumiĂšre indirecte qui rentre par les grandes verriĂšres, orientĂ©es de façon Ă garantir le confort thermique intĂ©rieur et Ă offrir une connexion visuelle constante avec lâextĂ©rieur. Les trois grands arbres dĂ©jĂ prĂ©sents sur le terrain ont Ă©tĂ© conservĂ©s et intĂ©grĂ©s dans lâarchitecture, ce qui
contribue Ă crĂ©er un microclimat et participe dâun effet de dĂ©paysement dans le contexte industriel du site. Tout le projet se caractĂ©rise par cette volontĂ© dâassocier Ă une esthĂ©tique soignĂ©e des dispositifs techniques qui assurent le confort des visiteurs et lâĂ©coresponsabilitĂ© du bĂątiment, Ă©quipĂ© de panneaux solaires. Les plafonds en double hauteur permettent notamment dâaccrocher de trĂšs grandes Ćuvres dâart de la collection du constructeur français, tout en favorisant la ventilation naturelle et contrĂŽlĂ©e. Le bĂ©ton brut de dĂ©coffrage, rouge et gris, donne une allure moderne et Ă©purĂ©e Ă la structure, en amĂ©liorant en mĂȘme temps lâisolation acoustique et thermique. â L.N. senestudio.net
CE QUE JâAI
Nadia Hathroubi-Safsaf
LA JOURNALISTE DâORIGINE TUNISIENNE,
rĂ©dactrice en chef du mensuel Le Courrier de lâAtlas, signe une enquĂȘte bouleversante sur les enfants des rues Ă Paris et alerte sur lâurgence de les prendre en charge. propos recueillis par Astrid Krivian
Mes parents mâont donnĂ© une belle Ă©ducation, en mâinculquant la gĂ©nĂ©rositĂ©.
Ma mĂšre Ă©tait femme de mĂ©nage, mon pĂšre commis de cuisine, ils travaillaient dur mais ont toujours partagĂ©. Ils envoyaient de lâargent en Tunisie pour aider un voisin, accueillaient des personnes sans toit⊠Ăa mâa structurĂ©e.
Un jour, alors que jâĂ©tais enfant, ma mĂšre faisait part de sa prĂ©occupation concernant mon avenir professionnel Ă celle dâun camarade. Elle lui a rĂ©pondu : « Ne vous inquiĂ©tez pas, on aura toujours besoin de femmes de mĂ©nage ! » Cette phrase violente, pleine de mĂ©pris social, mâa marquĂ©e au fer rouge. En mon for intĂ©rieur, je me suis dit que jamais je ne ferai ce mĂ©tier.
Au lycĂ©e, une professeure nous a parlĂ© du dĂ©terminisme social : environ 6 % des enfants dâouvriers obtenaient le bac. Je devais absolument en faire partie. Comme jâĂ©tais lâaĂźnĂ©e, ma mĂšre mâavait attribuĂ© le rĂŽle de locomotive : si je rĂ©ussissais Ă lâĂ©cole, mes frĂšres et sĆurs suivraient. Jâavais cette pression sur les Ă©paules, mais ça a marchĂ© (et aussi pour ma fratrie). De pigiste Ă rĂ©dactrice en chef, jâai gravi les Ă©chelons, sans carnet dâadresses. Câest une fiertĂ©.
Je nâai pas connu mes grands-pĂšres. Je suis amputĂ©e dâune partie de mes racines. DâoĂč mon besoin de trouver un ancrage Ă travers mes romans, câest une façon de mâapproprier mon histoire. Mon grand-pĂšre paternel est mort enseveli en effectuant des travaux de terrassement, commandĂ©s par lâadministration coloniale. Quâil ait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme indigĂšne de sa naissance Ă sa mort est une douleur pour moi. Je vis dans le pays qui a colonisĂ© le sien. MĂȘme si jâaime la France et me sens pleinement citoyenne, une bipolaritĂ© demeure. Jâai créé ma maison dâĂ©dition, Bande organisĂ©e, pour transmettre nos histoires. Et que mes aĂŻeux ne tombent pas dans lâoubli.

Mon livre FrĂšres de lâombre raconte le sacrifice des tirailleurs sĂ©nĂ©galais durant les deux guerres mondiales. Ils ont versĂ© un lourd tribut Ă la France, « lâamĂšre patrie », mais ont sombrĂ© dans lâoubli : peu de gens connaissent le naufrage du paquebot Afrique, en 1920, ou le massacre de Chasseley, en 1940, et leurs droits ont Ă©tĂ© minorĂ©s. La citoyennetĂ©, câest redonner Ă chacun sa place dans le roman national, combler ces vides mĂ©moriels. Et dire Ă ces descendants de soldats : vos aĂŻeux ont participĂ© Ă cette histoire, vous lui appartenez.
Enfances abandonnĂ©es, JC LattĂšs, 192 pages, 18 âŹ.
Enfances abandonnĂ©es est nĂ©e de la rencontre avec Fatiha de Gouraya, prĂ©sidente de lâassociation SOS Migrants mineurs. Face Ă la dĂ©faillance des institutions, elle se bat pour la prise en charge des enfants non accompagnĂ©s qui vivent dans les rues du quartier BarbĂšs, Ă Paris. Issus de situations familiales complexes ou sâestimant sans avenir dans leur pays, ils viennent essentiellement du Maroc et dâAlgĂ©rie. Alors que lâĂtat pourrait rĂ©quisitionner des places, comme il lâa fait pour les rĂ©fugiĂ©s ukrainiens. Il faut absolument les protĂ©ger de la violence de la rue. En France, septiĂšme puissance mondiale, des gosses dorment dehors, et on trouve ça normal ? â
« MĂȘme si jâaime la France et me sens pleinement citoyenne, unedemeurebipolaritĂ© . »
274 rue Saint-Honoré 75001 Paris ⹠26 rue des Mathurins 75009 Paris
191 Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris ⹠107 rue de Rennes 75006 Paris
Créateur de chemises originales depuis 1993
PAR EMMANUELLE PONTIĂ
CHAPEAU MOSSI ET BAGUETTE DE MIL
Juillet, aoĂ»t. Chacun, dâune maniĂšre ou dâune autre, va prendre un peu de repos, faire une pause, les pieds en Ă©ventail quelque part. Sur sa terrasse ou dans son jardin, Ă lâĂ©tranger, au village. Justement, au village⊠Lâoccasion de frĂ©quenter un peu les anciens, de se remĂ©morer leurs habitudes alimentaires, par exemple. Et pourquoi pas, de rĂȘver un peu. En ces temps trĂšs alarmistes concernant lâapprovisionnement en pain du continent, et sa dĂ©pendance assez surrĂ©aliste au blĂ© ukrainien (ou russe), dont lâexportation pĂątit de la guerre, on peut se demander comment on est passĂ©s de la galette de mil au petit dĂ©j ou de lâigname bouillie en accompagnement dâun repas, que nos grands-mĂšres continuent Ă privilĂ©gier aujourdâhui, au pain blanc fabriquĂ© Ă base de blĂ©. Bien entendu, la rĂ©ponse est dans la bouche de nâimporte quel BĂ©otien : le Nord a imposĂ© sa cĂ©rĂ©ale reine au Sud, et la mondialisation aidant, la baguette « parisienne » est devenue incontournable au pays du mil et du sorgho. Câest ballot⊠Alors, en ces temps de villĂ©giature, on peut se mettre Ă rĂȘver quâune sĂ©rie de boulangers africains, amateurs de sensations gustatives novatrices et branchĂ©es, lancent la mode de la baguette de mil, des croissants dâigname ou des petits pains de fonio. AprĂšs tout, la vague healthy food qui sâest abattue en Occident a bien mis la galette de maĂŻs, la miche dâĂ©peautre et les croĂ»tes sĂ©same dans les corbeilles. Le comble du chic chez les « bobo-bread » qui boudent leur pain blanc, accusĂ© de tous les maux contre la santĂ©. On trouve mĂȘme des baguettes aux neuf cĂ©rĂ©ales, que vous conseillent des vendeurs bien incapables de vous donner leurs noms⊠Bref, si lâAfrique a dĂ©cidĂ© que le pain Ă©tait incontournable sur sa table, autant en fabriquer du local, doper les cultures, crĂ©er de lâemploi et lancer la mode. AprĂšs les Français « bĂ©ret basque et baguette de pain », on pourra dire dâun BurkinabĂ© : « chapeau Mossi et baguette de mil » ! On peut rĂȘver plus loin et imaginer dĂ©jeuner Ă Paris avec un pain au sorgho importĂ© du continentâŠ

En tous les cas, depuis le Covid-19, on a dit et redit quâil fallait privilĂ©gier les circuits courts. Une rĂšgle confirmĂ©e en partie par la guerre en Ukraine et ses retombĂ©es.
Et si lâon ajoute le rĂ©chauffement climatique, il nâest pas exclu que lâOccident se mette Ă cultiver du mil Ă la place du blĂ© dans quelques temps. Il est plus rĂ©sistant Ă la chaleur.
Et tout aussi goĂ»teux. Si, si⊠On a le droit de rĂȘver que la baguette de mil devienne la baguette magique de demain ! â
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