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Édito TUNISIE, ET MAINTENANT ? par Zyad Limam

Au pays des bĂątisseurs

Un maxi-Découverte de 28 pages spécial grands travaux

FORÊTS : L’AFRIQUE, FORÊTS : L’AFRIQUE, DERNIER POUMON DERNIER DE LA PLANÈTE ? DE LA

?

Juge

CÔTE D’IVOIRE +

L’usine d’eau potable de la MĂ©.

danser le monde

EnquĂȘte sur l’un des ultimes patrimoines verts de l’humanitĂ©. Un bien commun menacĂ©.

(2)

Yasmina Khadra «

Beata Umubyeyi Mairesse « J’AI TROUVÉ MA PLACE DANS LA LITTÉRATURE »

»

Zembra

Je conjugue efficacité et durabilité.

MOBILISER plus POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

GrĂące Ă  des pratiques vertueuses et par l’innovation, BollorĂ© Transport & Logistics se mobilise pour prĂ©server l’environnement. Des solutions sont mises en place pour rĂ©duire l’impact de nos activitĂ©s. Nous sommes engagĂ©s dans des dĂ©marches de certifications pointues, Ă  l’image du Green Terminal dĂ©ployĂ© sur tous nos terminaux portuaires.

NOUS FAISONS BIEN plus QUE DU TRANSPORT ET DE LA LOGISTIQUE

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LA TUNISIE, SUITE ET SUITE


VoilĂ , les jeux sont (provisoirement) faits. KaĂŻs SaĂŻed a fait adopter sa nouvelle constitution. La participation aura Ă©tĂ© faible, le dĂ©bat largement tronquĂ©. Mais il aura eu gain de cause. La Tunisie entre dans un nouveau rĂ©gime, marquĂ© par un pouvoir prĂ©sidentiel fort, des contre-pouvoirs limitĂ©s. On peut reconnaĂźtre au prĂ©sident de l’obstination, et suffisamment de sens politique pour s’imposer. Il a fait tomber la deuxiĂšme RĂ©publique sans coup fĂ©rir, il est soutenu visiblement par l’appareil d’État. Que la deuxiĂšme RĂ©publique ait Ă©tĂ© un Ă©chec, personne vĂ©ritablement ne le remet en cause, sauf ceux qui ont profitĂ© de ce modĂšle hybride pour prospĂ©rer. Et gouverner. Et s’enrichir. Difficile aussi de passer de plus d’un demi-siĂšcle d’autoritarisme (Bourguiba, 1957-1987, et Ben Ali, 1987-2011) Ă  une dĂ©mocratie opĂ©rationnelle en un clin d’Ɠil historique. Et puis, la rĂ©volution Ă©tait multiple dans sa nature. Elle mobilisait des Ă©lites avant tout soucieuses de modernisation politique. Mais aussi des couches plus populaires, moins « politiques », qui aspiraient surtout Ă  la dignitĂ©, Ă  l’égalitĂ©, Ă  la promotion Ă©conomique.

Pourtant, le renouveau ne pourra pas venir en « relativisant » les acquis de la rĂ©volution. La Tunisie a besoin de centralitĂ©, d’autoritĂ©, d’une forme de discipline, mais pas aux dĂ©pens des idĂ©es dĂ©mocratiques, du principe de justice Ă©quitable, de la libertĂ© d’expression et du pluralisme. La Tunisie a besoin d’autoritĂ©, mais pas de l’autoritĂ© d’un seul homme, une sorte de raĂŻs prodigieux et infaillible. Ce modĂšle-lĂ  a Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©, et on connaĂźt ses limites. Et la Tunisie a changĂ©. Elle s’est complexifiĂ©e, politisĂ©e justement.

On peut aussi essayer de « limiter » la Tunisie Ă  sa nature musulmane et arabe. Évidemment oui, mais pas seulement. Ce qui fait la richesse de la Tunisie, sa diffĂ©rence, son apport au monde, y compris au monde arabo-musulman, c’est sa diversitĂ©. Ses identitĂ©s multiples. La Tunisie est arabo-musulmane, elle est mĂ©diterranĂ©enne, africaine, elle est berbĂšre, elle a une histoire juive et mĂȘme chrĂ©tienne, elle fut Carthage, un empire, elle fut Rome aussi
 Si l’on rejette cette fusion, on Ă©trique la nation, on l’affaiblit.

En l’assumant, on s’ouvre des portes sur le grand large. On se positionne comme une nation multiple, ouverte au dialogue, nĂ©cessaire et sĂ©duisante. On peut souligner la souverainetĂ©. Le nationalisme. C’est important. Chaque pays a droit au respect. Mais chaque pays doit mesurer sa marge de manƓuvre. La Tunisie est fragile, Ă©puisĂ©e par une dĂ©cennie de dĂ©sordre. Elle est endettĂ©e, elle est divisĂ©e. Le rĂ©alisme compte. Rompre avec les uns ou les autres, avec les États-Unis ou avec l’Europe (principaux marchĂ©s, principales sources de financement), relĂšve de l’illusion dangereuse. La Tunisie est bordĂ©e de puissants voisins, l’AlgĂ©rie, la Libye (avec le chaos permanent) et, au-delĂ  de la Libye, par l’Égypte et les pays du Golfe. De puissants voisins qui cherchent Ă  la rendre « compatible » avec leurs propres intĂ©rĂȘts. La souverainetĂ©, dans ce contexte, c’est l’agilitĂ©, la souplesse, en Ă©tant capable de dialoguer avec tous, de conforter cette place de nation ouverte, de nation carrefour.

Et puis, il y a un enjeu central, celui qui relie la rĂ©volution, les Ă©lites et le peuple. La Tunisie s’appauvrit. Son modĂšle social (santĂ©, Ă©ducation, formation) se dĂ©grade. Le pays s’endette, sans crĂ©er de valeur ajoutĂ©e. Le systĂšme est ancien, verrouillĂ© par les monopoles de fait, le poids du secteur public, de l’État, des syndicats. La rĂ©forme Ă©conomique est urgente pour sortir de cette spirale descendante. Et pour crĂ©er des emplois et de la richesse pour le peuple. La constitution, dans ce domaine, n’offre pas de solutions magiques. La lutte contre les corrupteurs ne dĂ©finit pas un modĂšle nouveau, efficace, innovateur. Cette remise en cause, cette remise Ă  niveau est la plus complexe, la plus exigeante. Parce que, disons-le, la Tunisie, idĂ©alement placĂ©e, pourrait ĂȘtre riche.

L’histoire n’est pas Ă©crite d’avance. La rĂ©volution continue son chemin. Dans ce chapitre, KaĂŻs SaĂŻed cherche Ă  parler au nom de ce peuple. Il est lui-mĂȘme « peuple ». Il se sent lĂ©gitime pour gouverner quasi seul. En Ă©tant ainsi au centre du jeu, le prĂ©sident assume une immense responsabilitĂ©. ■

3 ÉDITO

La Tunisie, suite et suite
 par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN

De l’Afrique au FinistĂšre, une ferveur sacrĂ©e

22 CE QUE J’AI APPRIS

Nadia Hathroubi-Safsaf par Astrid Krivian

25 C’EST COMMENT ?

Chapeau mossi et baguette de mil par Emmanuelle Pontié

94 PORTFOLIO

La force de l’objectif par Catherine Faye

122 VINGT QUESTIONS À


RĂ©becca M’Boungou par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

26 ForĂȘts : l’Afrique, dernier poumon de la planĂšte ? par Thibaut Cabrera

40 « Justice Thomas », l’homme qui veut figer l’AmĂ©rique par CĂ©dric Gouverneur

76 DJ Snake, ce Franco-Algérien qui fait danser le monde par Luisa Nannipieri

82 Malek Lakhal : « Il est essentiel de politiser l’intime » par Catherine Faye

86 Yasmina Khadra : « L’écriture, ce voyage initiatique » par Astrid Krivian

90 Beata Umubyeyi Mairesse : « J’ai trouvĂ© ma place dans la littĂ©rature » par Sophie Rosemont

100 La Tunisie au gré des ßles par Frida Dahmani

47 CÔTE D’IVOIRE

Le futur est en travaux ! par Zyad Limam et Francine Yao

Un dossier de 28 pages

Afrique Magazine est interdit de diffusion en AlgĂ©rie depuis mai 2018. Une dĂ©cision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) Ă  exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pĂ©nalise nos lecteurs algĂ©riens avant tout, au moment oĂč le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algĂ©riens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

BUSINESS

108 Alimentation : le grand désordre mondial

112 Nicolas Bricas : « L’interdĂ©pendance est devenue une dĂ©pendance »

114 Le streaming s’impose en Afrique

115 La Gambie s’engage contre la dĂ©forestation

116 Monaco s’intĂ©resse de plus en plus Ă  son sud

117 OCP ouvre des perspectives au Niger par Cédric Gouverneur

VIVRE MIEUX

118 Forme : de nouvelles gyms pour la rentrée

119 N’abusez pas du sel

120 Vitiligo, une maladie mal connue

121 L’arthrose du pouce : douloureux, mais cela se soigne ! par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ EN 1983 (38e ANNÉE)

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE

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Assisté de Laurence Limousin llimousin@afriquemagazine.com

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Amanda Rougier PHOTO arougier@afriquemagazine.com

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Thibaut Cabrera, Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Virginie Gazon, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.

VIVRE MIEUX

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RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles. VENTES

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La rĂ©daction n’est pas responsable des textes et des photos reçus. Les indications de marque et les adresses figurant dans les pages rĂ©dactionnelles sont donnĂ©es Ă  titre d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction, mĂȘme partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rĂ©daction. © Afrique Magazine 2022.

ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

« AFRIQUE : LES RELIGIONS DE L’EXTASE », Abbaye de Daoulas, (France), jusqu’au 4 dĂ©cembre. cdp29.fr

Holy 1, sĂ©rie « Vues de l’esprit », Fabrice Monteiro, 2014.

SPIRITUALITÉ

DE L’AFRIQUE AU FINISTÈRE, UNE FERVEUR SACRÉE

L’abbaye de Daoulas, en Bretagne, plonge les visiteurs

dans une ATMOSPHÈRE MYSTIQUE trÚs particuliÚre.

ORGANISÉE PAR LE MUSÉE d’ethnographie de GenĂšve, cette exposition invite Ă  dĂ©couvrir les cultures religieuses du continent et la ferveur des croyants dans leur recherche d’une communion avec le divin. De nombreux objets de culte et d’Ɠuvres d’art (plus de 300 piĂšces) rĂ©vĂšlent la richesse et la pluralitĂ© des pratiques en Afrique et dans la diaspora. Les rituels et la notion du sacrĂ© sont mis en avant Ă  travers les tĂ©moignages des adeptes eux-mĂȘmes : des guĂ©risseurs, des devins, des danseurs de masques, des chrĂ©tiens ainsi que des pratiquants du vaudou. Cinq installations vidĂ©o

et de fascinantes images de neuf photographes poussent Ă  rĂ©flĂ©chir aux pratiques contemporaines et Ă  l’expression de l’émotion religieuse, comme la sĂ©rie « Train Church », de Santu Mofokeng, datant de 1986, qui immortalise des trains de banlieue sud-africains transformĂ©s en Ă©glises sur la ligne Soweto-Johannesbourg. Pour prolonger l’expĂ©rience, direction les jardins remarquables de l’abbaye et les ruelles de la commune, investis par trois artistes afro-descendants : MaĂŻmouna Guerresi, Ayana V. Jackson et Omar Victor Diop. ■ Luisa Nannipieri

Série « Kimbanguiste », Christian Lutz, 2018.

MONTPELLIER

CÉLÈBRE LES ARTS DU MONDE ARABE

Depuis 2006, Arabesques s’est imposĂ© comme un RENDEZ-VOUS MULTIDISCIPLINAIRE incontournable.

MUSIQUE, DANSE, THÉÂTRE, cinĂ©ma, humour, arts visuels
 La programmation multidisciplinaire et Ă©clectique du festival Arabesques met en lumiĂšre tant la jeune garde des scĂšnes contemporaines que les artistes consacrĂ©s, les esthĂ©tiques alternatives comme les traditionnelles. DĂ©fricheur de talents et soutien aux artistes Ă©mergents, cet Ă©vĂ©nement, qui jette un pont entre Orient et Occident, investit diffĂ©rents lieux de Montpellier. Au sein de la pinĂšde du domaine d’O, une mĂ©dina plante son dĂ©cor Ă  l’ombre des arbres et devient un cƓur palpitant oĂč se croisent ateliers de dĂ©couverte culinaire ou de calligraphie, tables rondes, rencontres littĂ©raires
 Parmi les nombreux musiciens qui enchanteront cette 17e Ă©dition, on trouvera Dhafer Youssef accompagnĂ© de BallakĂ© Sissoko et Eivind Aarset pour leur projet Digital Africa, le duo folk Ćžuma, la transe hypnotique de Bedouin Burger, le groupe fĂ©minin originaire de la Saoura algĂ©rienne Lemma, l’illustre oudiste Marcel KhalifĂ© et son fils Bachar, Anouar Brahem ou encore Kabareh Cheikhats – des artistes masculins explorant le rĂ©pertoire sĂ©culaire des cheikhates (chanteuses et danseuses marocaines). CĂŽtĂ© humour, le jeune AZ rĂ©galera le public avec son regard dĂ©calĂ© et ses punchlines hilarantes. ■ Astrid Krivian FESTIVAL ARABESQUES, Montpellier(France), du 6 au 18 septembre. festivalarabesques.fr

SOUNDS

À Ă©couter maintenant !

❶

Ferkat Al Ard

Oghneya, Habibi Funk

Merci au label Habibi Funk qui, aprĂšs avoir rééditĂ© le superbe album du Libanais Issam Hajali, dĂ©terre les compositions de son groupe, Ferkat Al Ard, qu’il formait avec Toufic Farroukh et Elia Saba. Se nourrissant de la poĂ©sie palestinienne, notamment celle de Mahmoud Darwich, Oghneya bĂ©nĂ©ficie des arrangements du fils de Fairouz, Ziad Rahbani. Il explore le folk psychĂ©, les musiques traditionnelles orientales et brĂ©siliennes, l’exotica
 Sublime.

❷ Moonchild

Sanelly

Phases, Transgressive Records/Pias

« Undumpable », chante

Sanelisiwe Twisha (de son vrai nom) dĂšs l’ouverture de son deuxiĂšme album. On n’en doute pas une seconde, au vu de l’énergie de la figure de proue du gqom sud-africain. Ayant collaborĂ© avec des pointures de la pop music, telles que BeyoncĂ© ou Gorillaz, elle prend ici la parole au nom de toutes les femmes que l’on oublie : les travailleuses du sexe, les strip-teaseuses ou encore les twerkeuses, mais aussi les mĂšres, les filles et les sƓurs
 Le tout avec un groove effarant !

Ysee

Tony Allen Makes Me High, Ysee

Le nom de cet EP n’est pas volĂ© : le regrettĂ© batteur nigĂ©rian Ă©tait en effet l’un des complices de cette chanteuse et actrice française d’origine bĂ©ninoise, qui tourne actuellement aux cĂŽtĂ©s de Noel Gallagher. C’est sur scĂšne qu’Ysee s’est liĂ©e d’amitiĂ© avec le roi de l’afrobeat, qui s’écoute ici via plusieurs titres d’une belle Ă©lĂ©gance sonique. Une superbe voix Ă  dĂ©couvrir de toute urgence ! ■ Sophie Rosemont

LÉGENDE

CALYPSO ROSE FOREVER !

Dans son nouvel album, la chanteuse de TrinitĂ©-et-Tobago clame la JOIE D’ÊTRE SOI, libre et ouverte sur le monde.

POUR LES RARES qui ne la connaĂźtraient pas encore, rappelons que Calypso Rose, nĂ©e McArtha Lewis sur l’üle caribĂ©enne de Tobago, au sein d’une famille de 13 enfants, a vĂ©cu un premier dĂ©chirement Ă  l’ñge de 9 ans. Sans le sou, ses parents doivent la confier Ă  un couple de l’üle de TrinitĂ©. Celle qui devient, dĂšs l’adolescence, Calypso Rose, s’y Ă©panouit nĂ©anmoins. Forte d’un mental en acier et d’une voix mĂ©morable, elle fait ses armes dans les calypso tents, oĂč l’on doit, face Ă  une sacrĂ©e concurrence, imposer son bagout. En 1978, elle est la premiĂšre femme Ă  remporter la couronne de « Calypso Queen » – alors que personne n’y croyait dans le circuit trĂšs machiste du carnaval. FĂ©ministe ? Et pas qu’un peu ! 800 chansons plus tard, dĂ©sormais basĂ©e Ă  New York, celle qui a fĂȘtĂ© ses 82 ans ne compte pas lĂącher le micro. Pour ce nouveau disque, engagĂ© et Ă  l’énergie contagieuse, elle reste fidĂšle Ă  ses compagnons de musique. L’objectif Ă©tant de rester authentique sans se priver

des sonoritĂ©s Ă©lectroniques. En premier lieu, le producteur bĂ©lizien Ivan Duran, qui la suit depuis plus de quinze ans et fait intervenir son groupe The Garifuna Collective. Également de la partie, Manu Chao, qui a rĂ©alisĂ© en 2016 son Far From Home, devenu disque de platine, des musiciens trinidadiens (Machel Montano, Kobo Town), jamaĂŻcains (Mr Vegas), mais aussi Oli, du duo français Bigflo & Oli – car Calypso Rose est toujours attentive aux propositions de la nouvelle gĂ©nĂ©ration
 Sans oublier des pointures du mĂȘme calibre qu’elle. Ainsi, le guitariste Santana transcende de ses riffs l’ouverture de l’album, « Watina »., une reprise d’Andy Palacio en 2007, qui rappelle la mise en esclavage et la dĂ©portation du peuple des Garifunas. Un discours qui s’inscrit dans les convictions dĂ©fendues par l’artiste depuis ses dĂ©buts, dont l’égalitĂ© de toutes et tous, quels que soient la couleur de peau, le sexe et les origines sociales. En 2019, elle est d’ailleurs rentrĂ©e Ă  l’Icons of Tobago Museum, qui n’a pas oubliĂ©, comme elle, d’oĂč McArtha-Calypso venait. ■ S.R.

CALYPSO ROSE, Forever, Because Music.

LA VIE (AU BLED) EST UN ROMAN

Un Ă©crivain franco-algĂ©rien tout juste nobĂ©lisĂ© est accueilli en hĂ©ros dans le village natal qu’il avait fui
 Une COMÉDIE POLITIQUE douce-amĂšre.

SAMIR AMIN, Ă©crivain français nĂ© en AlgĂ©rie, reçoit le prix Nobel de littĂ©rature. Le summum de la reconnaissance, mais qui ne guĂ©rit pas son Ă©tat dĂ©pressif : il refuse toutes les sollicitations
 sauf celle du village oĂč il a grandi, qui veut lui dĂ©cerner le titre de « citoyen d’honneur ». Il finit par sauter dans un avion d’Air AlgĂ©rie pour rejoindre les contreforts de l’Atlas et ce pays dont il a fui la guerre civile trente ans plus tĂŽt. Le romancier va alors se confronter aux personnages rĂ©els qui lui ont inspirĂ© la plupart de ses livres
 Kad Merad est parfait dans la peau de cet auteur neurasthĂ©nique de retour au bled. À ses cĂŽtĂ©s, Fatsah Bouyahmed, l’un des clowns les plus attachants de la comĂ©die francophone, donne son tempo doucement comique au film en l’accompagnant Ă  tous ses rendez-vous. Un trĂšs beau village marocain fait illusion, le tournage n’ayant pu avoir lieu en AlgĂ©rie, mais le rĂ©alisateur Mohamed Hamidi (La Vache, NĂ© quelque part) – qui est aussi directeur

artistique du Marrakech du rire – a su trouver l’endroit idĂ©al. Ses producteurs lui avaient proposĂ© d’adapter un film argentin oĂč un Ă©crivain nobĂ©lisĂ© quittait Barcelone pour retrouver son village dans la pampa. Il en a fait un film sur l’AlgĂ©rie d’aujourd’hui, avec le personnage de la jeune Ă©tudiante impliquĂ©e dans les manifestations du Hirak (Oulaya Amamra, la rĂ©vĂ©lation de Divines).

Le rythme n’est pas toujours au rendez-vous, malgrĂ© la belle musique d’Ibrahim Maalouf et quelques surprises (dont une apparition de Jamel Debbouze). Et l’on peut s’étonner de voir la langue française triompher dans un pays oĂč elle reste une question politique sensible. Mais cette nouvelle dĂ©clinaison d’un retour au pays natal se laisse voir avec plaisir, et parvient mĂȘme Ă  nous toucher. ■ Jean-Marie Chazeau CITOYEN D’HONNEUR (France), de Mohamed Hamidi. Avec Kad Merad, Fatsah Bouyahmed, Oulaya Amamra. En salles.

LES CINÉMAS ORIENTAUX À LA MAISON

Yema est la premiĂšre plate-forme française VOD de films d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. BURNING CASABLANCA ou Une histoire d’amour et de dĂ©sir Ă  l’affiche chez soi, quand on n’a pas pu les voir en salles : c’est ce que propose la plate-forme Yema, lancĂ©e en juin, qui sĂ©lectionne les meilleures productions actuelles ou de patrimoine, et dont le catalogue s’enrichit d’une dizaine de titres par mois. Les films sont accessibles Ă  un prix raisonnable (entre 2,99 et 4,99 euros selon la qualitĂ© HD ou la date de sortie), mais une formule d’abonnement est Ă  l’étude. Pour les visionner, il faut habiter en France, les droits d’auteur devant encore ĂȘtre nĂ©gociĂ©s pour un accĂšs depuis le Maghreb. Fictions, documentaires, courts-mĂ©trages (qui eux sont gratuits) couvrent le monde oriental au sens (trĂšs) large, de l’AlgĂ©rie Ă  la Turquie, en passant par IsraĂ«l, la Palestine et l’Iran. Chaque mois, un invitĂ© prĂ©sente une sĂ©lection autour d’une thĂ©matique : pour septembre, c’est LeĂŻla Slimani qui a choisi cinq Ɠuvres sur la place des femmes dans les sociĂ©tĂ©s orientales. Avec en bonus, une interview affĂ»tĂ©e de l’écrivaine franco-marocaine, qui explique comment le regard fĂ©minin est d’abord universel. ■ J.-M.C. yema-vod.com

Kad Merad et Fatsah Bouyahmed.

INSTITUTION

ALBUM DE VOYAGE

Plus de quarante ans de créations de Lecoanet

Hemant, alliant l’ART DE LA HAUTE

COUTURE

française à l’esprit de l’Orient.

ROBES DES MILLE ET UNE NUITS, drapĂ©s somptueux, manteaux opulents ou tailleurs structurĂ©s
 L’univers exubĂ©rant du duo de couturiers globe-trotters illumine les galeries du musĂ©e de rĂ©fĂ©rence de la dentelle tissĂ©e, Ă  Calais. Il faut dire que Didier Lecoanet et Hemant Sagar, crĂ©ateurs de leur griffe Ă©ponyme en 1981, l’une des plus inventives de l’époque, sont des prestidigitateurs de la mode. Leurs modĂšles chatoyants et raffinĂ©s explorent le mĂ©tissage subtil des textiles et des cultures. PrĂ©sente dĂšs leurs dĂ©buts, la dĂ©clinaison autour du sari indien marque l’ensemble de l’Ɠuvre de la maison. Tout comme le thĂšme de la nature, Ă  travers des vĂȘtements rĂ©alisĂ©s Ă  partir de matiĂšres vĂ©gĂ©tales, minĂ©rales ou animales : raphia, bois, coquillages, papier de riz
 Cette pĂąte inventive a valu aux deux crĂ©ateurs d’ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme les orientalistes de la haute couture. Et la rĂ©trospective calaisienne, de plus de 80 piĂšces, retrace la magie de l’alliance des matiĂšres et des styles de l’Occident et de l’Orient. ■ Catherine Faye

« LECOANET HEMANT : LES ORIENTALISTES

DE LA HAUTE COUTURE », CitĂ© de la dentelle et de la mode, Calais (France), jusqu’au 31 dĂ©cembre. cite-dentelle.fr

L’AFRIQUE

AU SOMMET D’HOLLYWOOD !

Les combattantes du futuriste Wakanda dans la suite de Black Panther, mais aussi des guerriĂšres du Dahomey au xixe siĂšcle : les FEMMES SONT AU CƒUR de deux grosses productions amĂ©ricaines trĂšs attendues Ă  la rentrĂ©e.

SI L’ON EN CROIT une coiffeuse du staff de Black Panther: Wakanda Forever, le tournage de la suite du premier blockbuster afro-amĂ©ricain (1,3 milliard de dollars de recettes dans le monde en 2018) aura durĂ© presque 30 jours de plus que prĂ©vu : 117 au lieu de 88. AprĂšs avoir tardĂ© Ă  dĂ©marrer pour cause de réécriture du scĂ©nario Ă  la suite du dĂ©cĂšs en 2020 de Chadwick Boseman (qui incarnait T’Challa, la PanthĂšre noire), la production a ensuite dĂ» faire face Ă  des interruptions pour cause de Covid-19 (jusqu’à Lupita Nyong’o, positive en janvier dernier). Une cascade qui a mal tournĂ© (et une fracture de l’épaule) a Ă©galement immobilisĂ© plusieurs semaines Letitia Wright. Or, son rĂŽle de Churi, la sƓur de T’Challa, s’annonce central dans ce nouvel Ă©pisode. Ira-t-elle jusqu’à prendre la succession de son frĂšre ? En tout cas, Disney s’est refusĂ© Ă  remplacer son hĂ©ros par un autre acteur, voire Ă  recourir Ă  des images de synthĂšse. Et mise tout sur le Wakanda et ses combattantes dans ce nouvel opus. Ce puissant pays africain imaginaire, cachĂ© entre l’Éthiopie et le Kenya, allie toujours haute technologie et sens aigu de l’esthĂ©tique. Deux nouveaux personnages de la galaxie Marvel devraient faire leur apparition : le mĂ©chant Namor, prince des mers, oreilles pointues et slip vert, jouĂ© par l’acteur mexicain Tenoch Huerta, et l’étudiante Riri Williams et son armure Ironheart, qui aura les traits de l’AmĂ©ricaine Dominique Thorne. Pour le reste, toujours devant la camĂ©ra de Ryan Coogler, on retrouvera la mĂȘme distribution, trĂšs black power, les femmes en tĂȘte, dont Danai Gurira, qui incarne Okoye, la gĂ©nĂ©rale du Wakanda, appelĂ©e Ă  ĂȘtre au cƓur d’une sĂ©rie dĂ©rivĂ©e pour Disney+. Sortie prĂ©vue pour novembre.

D’autres guerriĂšres noires vont dĂ©barquer dĂšs septembre devant la camĂ©ra d’un autre cinĂ©aste afro-amĂ©ricain, en l’occurrence une rĂ©alisatrice : Gina Prince-Bythewood. The Woman King plonge au cƓur du royaume, rĂ©el celui-lĂ , du Dahomey au XIXe siĂšcle. InspirĂ© des amazones du futur BĂ©nin, le film (tournĂ© en Afrique du Sud) met en scĂšne les faits d’armes de la gĂ©nĂ©rale Nanisca, incarnĂ©e par Viola Davis, qui entraĂźne une nouvelle gĂ©nĂ©ration de recrues au sein de l’AgoledjiĂ©, le corps des femmes de guerre du roi. Elle va les prĂ©parer Ă  la bataille contre un ennemi dĂ©terminĂ© Ă  dĂ©truire leur mode de vie. « Il y a des valeurs qui mĂ©ritent d’ĂȘtre dĂ©fendues », souligne le synopsis de Sony Pictures. Entre les guerriĂšres historiques du royaume du Dahomey et les superhĂ©roĂŻnes du Wakanda, le systĂšme hollywoodien a dĂ©cidĂ© cette annĂ©e de mettre en avant celles qu’il ne montre que trop rarement
 ■ J.-M.C.

Dans The Woman King, Viola Davis forme les Amazones de Dahomey.
Chadwick Boseman (en costume noir) incarnait T’Challa, la PanthĂšre noire, dans le premier opus. AprĂšs son dĂ©cĂšs en 2020, le scĂ©nario du second volet a dĂ» ĂȘtre réécrit, et le rĂŽle de Churi, sa sƓur, s’annonce dĂ©sormais central.

8 E ART

EN ARLES, ROYAUME DE L’IMAGE

C’est un retour en grand format, de vĂ©ritables retrouvailles, pour la 53e édition des RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE.

C’EST UN PEU comme si nous avions enfin tournĂ©, d’une maniĂšre ou d’une autre, la page de l’épreuve, celle de la pandĂ©mie de Covid-19. Arles accueille Ă  nouveau, Ă  bras ouverts, le monde de la photo. On peut, enfin, se concentrer sur les Ɠuvres, les images, en flĂąnant d’une ruelle Ă  une autre, sous les voĂ»tes d’une Ă©glise, dans une friche, dans une maison faite d’histoire. Cette annĂ©e, les rencontres accordent une place importante au fĂ©minin, Ă  la fĂ©minitĂ© et au fĂ©minisme. Avec des expositions qui naviguent entre le radical, le subversif, le mouvement. Les rencontres ouvrent Ă©galement un large espace aux artistes Ă©mergents, dont le Marocain Seif Kousmate. Et Ă  l’histoire. Avec, en particulier, une exposition Ă©mouvante sur la vie et l’Ɠuvre de l’AmĂ©ricaine Lee Miller, mannequin devenue photographe au cƓur de la Seconde Guerre mondiale. ■ Zyad Limam

Lee Miller, Chapeaux Pidoux (avec marque de recadrage originale de Vogue Studio), Londres, Angleterre, 1939.

LES RENCONTRES DE LA PHOTOGRAPHIE, Arles (France), jusqu’au 25 septembre. rencontres-arles.com

MUSIQUE

AFRODELIC LA GLOIRE DU PÈRE

Avec son majestueux premier album, c’est un VIBRANT HOMMAGE que nous livre le musicien et producteur lituano-malien Victor Diawara.

DUSUNKUN HAKILI signifie « la mĂ©moire du cƓur »  Et c’est bien de cela qu’il s’agit tout au long de ce disque imaginĂ©, conçu et enregistrĂ© entre Bamako et Vilnius par Victor Diawara pour honorer le corpus de son pĂšre, le poĂšte malien Gaoussou Diawara, disparu en 2018. Plusieurs invitĂ©s au programme, parmi lesquels la chanteuse Hawa KassĂ© Mady Diabaté  Le folk traditionnel est organique, entrelacĂ© des cordes maĂźtrisĂ©es par Diawara fils, qui n’hĂ©site guĂšre Ă  faire appel Ă  l’électrique, Ă  des sonoritĂ©s rap ou des technologies plus rĂ©centes pour apporter de l’air frais Ă  ces mĂ©lopĂ©es entĂȘtantes, comme sur « Je n’aime pas les fĂȘtes » ou « Le temps est venu », Ă  la superbe ouverture gospel. Ici se mĂȘlent poĂ©sie, engagement et dĂ©sir sincĂšre de rassembler grĂące Ă  la musique. ■ S.R.

AFRODELIC, Dusunkun Hakili, Ankata.

La chanteuse malienne Oumou Sangaré.

L’ART DE LA JOIE

L’AFRIQUE FESTIVAL fait son grand retour Ă  Strasbourg avec une programmation en grande partie fĂ©minine.

IL ÉTAIT TEMPS. AprĂšs deux saisons troublĂ©es par la crise sanitaire, la 4e Ă©dition de l’évĂ©nement s’annonce volcanique. Créé en 2003 Ă  Newcastle, au Royaume-Uni, par ManoutĂ© Seri, un promoteur culturel d’origine ivoirienne dĂ©sormais installĂ© en Alsace, le festival a vu passer outre-Manche des stars telles que Manu Dibango, Alpha Blondy et Tony Allen. ImportĂ© d’Angleterre, le concept strasbourgeois est le mĂȘme. Ainsi, au bord du Rhin se cĂŽtoieront cette annĂ©e de grands noms de la scĂšne internationale fĂ©minine. Sur la Grande ScĂšne, dĂ©diĂ©e Ă  la programmation musicale africaine, se succĂ©deront la diva malienne Oumou SangarĂ©, artiste engagĂ©e et femme de dĂ©fis, la chanteuse, danseuse et percussionniste ivoirienne Dobet GnahorĂ©, mais aussi la Gambienne Sona Jobarteh, premiĂšre femme joueuse professionnelle de kora, ainsi que la chanteuse, musicienne et auteure-compositrice camerounaise Charlotte Dipanda. Leurs voix et leurs musiques se mĂȘleront pendant trois jours Ă  celles d’artistes locaux comme Boni GnahorĂ©, Redlights Dream, Lisa, The One Armed Man, et bien d’autres. Une renaissance attendue pour ce festival, dont la vocation est de mettre en valeur les cultures africaines et de redynamiser les vertus de la convivialitĂ© et de la tolĂ©rance. ■ C.F. L’AFRIQUE FESTIVAL, Ostwald(France), du 16 au 18 septembre. lafriquefestival.com

QUÊTE

CARTE AU TRÉSOR

RĂ©cit d’une trajectoire : des motivations de l’exil Ă  la construction de soi.

QUI EST-ON et d’oĂč vient-on ?

C’est ce double questionnement, Ă  la fois banal et fondamental, qu’explore la primo-romanciĂšre, partie sur la terre natale de ses ascendants. Un voyage tout en subtilitĂ©, qui emmĂšne le lecteur dans les labyrinthes de l’émigration, des choix et des contraintes, de la transmission et de l’identitĂ©. Car que signifie l’exil volontaire ou involontaire, Ă  l’aune d’une vie, d’une lignĂ©e, ou plus simplement au regard de l’histoire de l’humanitĂ© ?

« Je ne comprends pas comment tu as pu commencer ta vie Ă  Ajar, dĂ©cider un jour de tout quitter, traverser la Mauritanie puis la MĂ©diterranĂ©e, arriver en France et enfin rejoindre Paris alors que, moi, je ne vais mĂȘme pas dans le 77 », s’enquiert celle qui, au moment de la mort de sa grand-mĂšre, choisit l’écriture pour explorer le canevas des origines et de l’ineffaçable hĂ©ritage de son histoire. Une quĂȘte sensible et universelle, inspirĂ©e du parcours de son pĂšre. ■ C.F. FANTA DRAMÉ, Ajar-Paris, Plon, 208 pages, 19 €.

ROMAN

FUITE DU TEMPS

Trois personnages, trois histoires, un village. Une grande fresque de l’AlgĂ©rie, sur prĂšs d’un siĂšcle.

CE N’EST PAS UN HASARD, si le titre de son nouveau roman fait rĂ©fĂ©rence au poĂšme Chanson d’automne, de Paul Verlaine : « Et je m’en vais / Au vent mauvais / Qui m’emporte / Deçà, delĂ  / Pareil Ă  la feuille morte. » Conçu Ă  la villa MĂ©dicis, Ă  Rome, oĂč Kaouther Adimi a Ă©tĂ© pensionnaire (promotion 2021-2022), ce texte nous emporte dans les tourments et les tournants de l’histoire, de la colonisation Ă  la lutte pour l’indĂ©pendance, jusqu’à l’étĂ© 1992, au moment oĂč l’AlgĂ©rie bascule dans la guerre civile. Au cƓur de ces remous, trois personnages : Tarek, LeĂŻla et SaĂŻd. Au fil du temps qui passe et des alĂ©as – de la guerre, des espoirs, des dĂ©ceptions –, chacun dĂ©roule son propre chemin, se transforme. Et tandis que l’histoire s’écrit, entre eux, les liens se font, se dĂ©font. Encore une fois, la sĂ©millante auteure de Nos richesses, prix Renaudot des lycĂ©ens 2017, nous entraĂźne dans les rĂ©cits oubliĂ©s et les destins croisĂ©s, les blessures et les embellies, la rĂ©alitĂ© et l’imaginaire. Captivant. ■ C.F. KAOUTHER ADIMI, Au vent mauvais, Seuil, 272 pages, 19 €.

KOKOROKO, FIÈVRE COLLECTIVE

Ils sont huit et DYNAMISENT LA SCÈNE LONDONIENNE depuis quelques saisons.

C’EST AUTOUR de la trompettiste Sheila Maurice-Grey que s’active ce groupe aux larges latitudes, devenu l’un des nouveaux grands espoirs de la scĂšne londonienne grĂące au single « Abusey Junction », paru en 2018. Ce premier album rĂ©sume tout ce que l’on attendait de Kokoroko : un mĂ©lange Ă  fois subtil et foisonnant de jazz, de highlife et de soul tendance seventies. Rajoutons-y une touche d’afrobeat, et le tour est jouĂ© : Could

We Be More n’a pas besoin de grands discours pour raconter une multitude d’histoires, des CaraĂŻbes Ă  l’Angleterre, sans oublier le terreau artistique et fondateur de l’Afrique de l’Ouest. Aux percussions, Onome Edgeworth garde la cadence et varie les rythmes, tout comme le batteur Ayo Salawu ou la saxophoniste Cassie Kinoshi. Quant Ă  la pochette, elle mĂ©rite d’ĂȘtre encadrĂ©e, pendant que le vinyle tourne en boucle sur nos platines
 ■ S.R.

KOKOROKO, Could We Be More, Brownswood Recordings/Bigwax.

VICKY GROUTDR

JAZZ

CONVERGENCE DES LUTTES

Dans une narration originale, JENNIFER RICHARD revient avec une odyssĂ©e historique, doublĂ©e d’un roman politique.

LE LIVRE S’OUVRE avec un carton d’invitation. Ota Benga convie ses invitĂ©s Ă  la rĂ©union de l’Amicale des insurgĂ©s, une sorte de confĂ©rence-dĂ©bat, dans une dimension parallĂšle. Mais qui est cet hĂŽte mystĂ©rieux ? Et que font tous ses convives rĂ©unis autour d’une convocation pour le moins surprenante : « Mort suspecte ? Mort prĂ©coce ou violente ? Vous pensez avoir Ă©tĂ© assassinĂ© ? Le cas Ă©chĂ©ant, vous estimez l’avoir Ă©tĂ© pour vos idĂ©es ? Sortez de l’ombre ! » Ota Benga n’est pas un personnage fictif. La romanciĂšre franco-amĂ©ricaine, d’origine guadeloupĂ©enne, et documentaliste pour la tĂ©lĂ©vision, en a entendu parler dans un guide de New York. Un encart sur le zoo du Bronx y indiquait qu’il y avait Ă©tĂ© enfermĂ© dans la cage des singes, en 1906
 À la fin du XIXe siĂšcle, ce PygmĂ©e voit sa famille et sa tribu dĂ©cimĂ©es lors d’atrocitĂ©s perpĂ©trĂ©es par le systĂšme colonial Ă©tabli par le roi des Belges, LĂ©opold II, dans l’État indĂ©pendant du Congo. RĂ©cupĂ©rĂ© par un pasteur, qui l’amĂšne aux États-Unis pour devenir une attraction majeure de l’exposition universelle de Saint-Louis, il se donnera la mort en 1916. Cette destinĂ©e poignante est au cƓur de ce nouveau texte sans concessions, aux allures de farce macabre, politique et polĂ©mique. AprĂšs le trĂšs remarquĂ© Il est Ă  toi ce beau pays (2018) sur la colonisation en Afrique, puis Le Diable parle toutes les langues (2021) et les mĂ©moires fictives de Basil Zaharoff, un marchand d’armes qui fit fortune lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, ce troisiĂšme volet poursuit le contre-rĂ©cit de l’histoire officielle. Construit en deux temps, on y dĂ©couvre Ota Benga qui raconte son histoire, et ce monde parallĂšle, bizarrement frĂ©quentĂ©, auquel il nous convie et oĂč l’on retrouve Jean JaurĂšs, Che Guevara, Thomas Sankara, Martin Luther King, Rosa Luxemburg, ou encore Patrice Lumumba
 Tous assassinĂ©s pour leurs idĂ©es et tous liĂ©s Ă  son destin. Des rĂ©volutionnaires, des idĂ©alistes, engagĂ©s pour leur cause, en sachant trĂšs bien qu’ils mourraient, que leur « royaume n’est pas de ce monde » et que leur rĂ©compense
 ils l’auraient plus tard. Puissant. ■ C.F.

JENNIFER RICHARD, Notre royaume n’est pas de ce monde, Albin Michel, 736 pages, 24,90 €.

PASSION ZELLIGE

L’Atelier Maloukti revisite les CÉRAMIQUES MAROCAINES pour crĂ©er des objets entre tradition et contemporain.

L’ART DU ZELLIGE, ces morceaux de terre cuite Ă©maillĂ©s, dĂ©coupĂ©s un Ă  un et assemblĂ©s pour crĂ©er des motifs gĂ©omĂ©triques, a donnĂ© vie Ă  des Ɠuvres d’art millĂ©naires. Avec l’Atelier Maloukti, l’architecte d’intĂ©rieur Nicolas Pascolini rend hommage Ă  cette tradition marocaine revisitant des objets de tous les jours. Il fait arriver dans son atelier de Marrakech les carreaux bruts de FĂšs, ville renommĂ©e pour la qualitĂ© de sa terre argileuse, avant de procĂ©der Ă  la dĂ©coupe en bĂątonnets, losanges ou Ă©toiles pour crĂ©er des tesselles qui recouvriront des tables, des plateaux en bois ou fabriquĂ©s Ă  partir d’anciens tamis Ă  couscous, ou encore des miroirs. Chaque piĂšce apporte une touche crĂ©ative dans un appartement contemporain mais a aussi sa place dans une maison traditionnelle marocaine, comme les magnifiques riads et villas que l’Atelier a redessinĂ©s depuis son ouverture, en 2020. Pour souligner l’esprit moderne de ses crĂ©ations, Nicolas Pascolini a travaillĂ© avec les couleurs, introduisant des nouvelles teintes et des nuances pastel, comme le rose et le vert, mais aussi avec les lignes. Les structures des tables, en mĂ©tal, ont Ă©tĂ© conçues pour obtenir des profils plus fins, qui valorisent les motifs en cĂ©ramique. ■ L.N. ateliermaloukti.com

Les motifs des vĂȘtements sont cousus et sĂ©rigraphiĂ©s Ă  la main, faisant de chaque piĂšce une Ɠuvre d’art Ă  part entiĂšre.

MODE

KATUSH, ÉTHIQUE ET MODERNE

Le style unisexe de ce label kĂ©nyan restitue des IDENTITÉS CULTURELLES

UNIQUES dans des tenues pour le quotidien.

La designeuse

Katungulu Mwendwa.

LA DESIGNEUSE Katungulu Mwendwa a lancĂ© sa propre griffe, Katush, en 2014 et en a fait l’une de ces jeunes marques qui conjuguent durabilitĂ©, culture africaine et qualitĂ© artisanale. Katush est un surnom assez commun chez les enfants dont le nom commence par « Kat », dans la communautĂ© de Nairobi oĂč la styliste a grandi. Des jeunes qui, comme elle, aiment un style dĂ©contractĂ© et Ă©vocateur en mĂȘme temps, pensĂ© pour vivre au quotidien dans un monde globalisĂ©, sans oublier leur identitĂ© ni leur hĂ©ritage. Les huit collections qu’elle a créées jusqu’ici s’inspirent aussi bien des corsets perlĂ©s du Sud-Soudan que des robes recherchĂ©es portĂ©es par les Wodaabe, un sous-groupe du peuple peul, pour ensuite les dĂ©cliner en tenues confortables. Avec « One Manjano », sa derniĂšre collection en date, qui a Ă©tĂ© influencĂ©e par une carte postale reprĂ©sentant une femme au dĂ©but des annĂ©es 1900 Ă  Zanzibar, la styliste cĂ©lĂšbre les savoirfaire des artisans du continent. Son nom (« un jaune ») est une expression swahilie pour dire que chaque piĂšce est unique.

En observant les robes traditionnelles swahilies et la versatilitĂ© du caftan, portĂ© Ă  travers les siĂšcles par les hommes et les femmes, Katungulu Mwendwa a dessinĂ© des silhouettes fonctionnelles, adaptĂ©es Ă  la vie frĂ©nĂ©tique d’une ville en plein essor comme la capitale kenyane. Tel un clin d’Ɠil graphique Ă  la carte postale, les motifs organiques en noir, blanc ou ocre qui dĂ©corent les piĂšces rappellent les travaux de l’artiste italien Giuseppe Capogrossi, l’un des prĂ©curseurs de la peinture abstraite. Ils ont tous Ă©tĂ© cousus et sĂ©rigraphiĂ©s Ă  la main, faisant de chaque vĂȘtement une Ɠuvre d’art Ă  part entiĂšre.

Dans le but de soutenir une mode locale, responsable et Ă©thique, Katush travaille avec plusieurs partenaires qui lui permettent, par exemple, d’importer le coton filĂ© Ă  la main du Burkina Faso et de la CĂŽte d’Ivoire ou le jersey de la Tanzanie. Le cuir est sourcĂ© et traitĂ© au Kenya, et les boutons et les boucles sont rĂ©alisĂ©s Ă  partir de corne de vache ou de cuivre recyclĂ©. ■ L.N. katushnairobi.com

La terrasse de l’établissement accueille cinq restaurants durant l’évĂ©nement.

Chez Afro Jojo, le chef relÚve les plats avec des marinades spéciales et des sauces originales.

GROUND CONTROL MET À L’HONNEUR

LA FOOD AFRO

Jusqu’à fin octobre, le continent investit les extĂ©rieurs de l’ICONIQUE LIEU DE VIE CULTUREL PARISIEN.

CINQ RESTAURANTS AFRO en un seul lieu : la terrasse du Ground Control, prĂšs de la gare de Lyon. L’ancienne halle de la SNCF, transformĂ©e depuis 2017 en lieu de vie et de culture, donne carte blanche Ă  une nouvelle gĂ©nĂ©ration de chefs afro-descendants avec le projet Ground Africa. Parmi les Ă©quipes installĂ©es dans les vieux bus amĂ©nagĂ©s en cuisines, on retrouve celle du BMK Paris-Bamako, qui n’a plus besoin d’ĂȘtre prĂ©sentĂ©e, ou du New Soul Food, avec sa street-food afropĂ©enne et ses grillades au charbon de bois. Mais aussi de nouveaux visages afro-parisiens : Boukan est le pari rĂ©ussi de trois GuadeloupĂ©ens, qui ont créé leur premiĂšre carte pour ce projet. Ils proposent une cuisine du terroir caribĂ©en avec des plats de viande, des crustacĂ©s ou des poissons boucanĂ©s (marinĂ©s et fumĂ©s

Ă  l’étouffĂ©e), accompagnĂ©s de fluffy rice au lait du coco ou de houmous de banane plantain. Chez Afro Jojo, le chef, adepte d’une cuisine dĂ©structurĂ©e, relĂšve plats et sandwichs avec des marinades spĂ©ciales et des sauces originales Ă  base de poivre vert de Penja ou d’épices du Nigeria : le Jojolof Rice Bowl, avec poulet frit maison, ragoĂ»t de haricots rouges et sauce maison Ă  base de piment antillais, Ă©tonnera vos papilles. Et si chaque resto a des options vĂ©gĂ©, L’Embuscade propose une cuisine totalement afro-vĂ©gane : les fĂȘtards parisiens connaissent dĂ©jĂ  le club (Ă  Pigalle) et sa cantine inaugurĂ©e en 2019, les autres apprĂ©cieront les portions gĂ©nĂ©reuses et gourmandes d’une cuisine mĂ©tissĂ©e, dĂ©clinĂ©e en bowls et buns pour l’occasion. ■ L.N. groundcontrolparis.com

L’ALLIANCE ENTRE INDUSTRIE ET CULTURE

Senestudio a créé un écrin aux volumes fluides pour accueillir LA MAISON EIFFAGE, prÚs du port autonome de Dakar.

TERMINÉE À TEMPS pour accueillir les premiĂšres expositions Ă  l’occasion de la biennale, la Maison Eiffage est un nouvel espace culturel implantĂ© dans la zone industrielle du port de Dakar. Le projet a Ă©tĂ© conçu par l’agence Senestudio, basĂ©e au SĂ©nĂ©gal depuis 2007, comme une sĂ©rie de volumes imbriquĂ©s et superposĂ©s qui crĂ©ent des espaces polyfonctionnels ouverts et transparents. Les piĂšces, distribuĂ©es sur trois Ă©tages, sont Ă©clairĂ©es par la lumiĂšre indirecte qui rentre par les grandes verriĂšres, orientĂ©es de façon Ă  garantir le confort thermique intĂ©rieur et Ă  offrir une connexion visuelle constante avec l’extĂ©rieur. Les trois grands arbres dĂ©jĂ  prĂ©sents sur le terrain ont Ă©tĂ© conservĂ©s et intĂ©grĂ©s dans l’architecture, ce qui

contribue Ă  crĂ©er un microclimat et participe d’un effet de dĂ©paysement dans le contexte industriel du site. Tout le projet se caractĂ©rise par cette volontĂ© d’associer Ă  une esthĂ©tique soignĂ©e des dispositifs techniques qui assurent le confort des visiteurs et l’écoresponsabilitĂ© du bĂątiment, Ă©quipĂ© de panneaux solaires. Les plafonds en double hauteur permettent notamment d’accrocher de trĂšs grandes Ɠuvres d’art de la collection du constructeur français, tout en favorisant la ventilation naturelle et contrĂŽlĂ©e. Le bĂ©ton brut de dĂ©coffrage, rouge et gris, donne une allure moderne et Ă©purĂ©e Ă  la structure, en amĂ©liorant en mĂȘme temps l’isolation acoustique et thermique. ■ L.N. senestudio.net

CE QUE J’AI

Nadia Hathroubi-Safsaf

LA JOURNALISTE D’ORIGINE TUNISIENNE,

rĂ©dactrice en chef du mensuel Le Courrier de l’Atlas, signe une enquĂȘte bouleversante sur les enfants des rues Ă  Paris et alerte sur l’urgence de les prendre en charge. propos recueillis par Astrid Krivian

Mes parents m’ont donnĂ© une belle Ă©ducation, en m’inculquant la gĂ©nĂ©rositĂ©.

Ma mĂšre Ă©tait femme de mĂ©nage, mon pĂšre commis de cuisine, ils travaillaient dur mais ont toujours partagĂ©. Ils envoyaient de l’argent en Tunisie pour aider un voisin, accueillaient des personnes sans toit
 Ça m’a structurĂ©e.

Un jour, alors que j’étais enfant, ma mĂšre faisait part de sa prĂ©occupation concernant mon avenir professionnel Ă  celle d’un camarade. Elle lui a rĂ©pondu : « Ne vous inquiĂ©tez pas, on aura toujours besoin de femmes de mĂ©nage ! » Cette phrase violente, pleine de mĂ©pris social, m’a marquĂ©e au fer rouge. En mon for intĂ©rieur, je me suis dit que jamais je ne ferai ce mĂ©tier.

Au lycĂ©e, une professeure nous a parlĂ© du dĂ©terminisme social : environ 6 % des enfants d’ouvriers obtenaient le bac. Je devais absolument en faire partie. Comme j’étais l’aĂźnĂ©e, ma mĂšre m’avait attribuĂ© le rĂŽle de locomotive : si je rĂ©ussissais Ă  l’école, mes frĂšres et sƓurs suivraient. J’avais cette pression sur les Ă©paules, mais ça a marchĂ© (et aussi pour ma fratrie). De pigiste Ă  rĂ©dactrice en chef, j’ai gravi les Ă©chelons, sans carnet d’adresses. C’est une fiertĂ©.

Je n’ai pas connu mes grands-pĂšres. Je suis amputĂ©e d’une partie de mes racines. D’oĂč mon besoin de trouver un ancrage Ă  travers mes romans, c’est une façon de m’approprier mon histoire. Mon grand-pĂšre paternel est mort enseveli en effectuant des travaux de terrassement, commandĂ©s par l’administration coloniale. Qu’il ait Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme indigĂšne de sa naissance Ă  sa mort est une douleur pour moi. Je vis dans le pays qui a colonisĂ© le sien. MĂȘme si j’aime la France et me sens pleinement citoyenne, une bipolaritĂ© demeure. J’ai créé ma maison d’édition, Bande organisĂ©e, pour transmettre nos histoires. Et que mes aĂŻeux ne tombent pas dans l’oubli.

Mon livre FrĂšres de l’ombre raconte le sacrifice des tirailleurs sĂ©nĂ©galais durant les deux guerres mondiales. Ils ont versĂ© un lourd tribut Ă  la France, « l’amĂšre patrie », mais ont sombrĂ© dans l’oubli : peu de gens connaissent le naufrage du paquebot Afrique, en 1920, ou le massacre de Chasseley, en 1940, et leurs droits ont Ă©tĂ© minorĂ©s. La citoyennetĂ©, c’est redonner Ă  chacun sa place dans le roman national, combler ces vides mĂ©moriels. Et dire Ă  ces descendants de soldats : vos aĂŻeux ont participĂ© Ă  cette histoire, vous lui appartenez.

Enfances abandonnĂ©es, JC LattĂšs, 192 pages, 18 €.

Enfances abandonnĂ©es est nĂ©e de la rencontre avec Fatiha de Gouraya, prĂ©sidente de l’association SOS Migrants mineurs. Face Ă  la dĂ©faillance des institutions, elle se bat pour la prise en charge des enfants non accompagnĂ©s qui vivent dans les rues du quartier BarbĂšs, Ă  Paris. Issus de situations familiales complexes ou s’estimant sans avenir dans leur pays, ils viennent essentiellement du Maroc et d’AlgĂ©rie. Alors que l’État pourrait rĂ©quisitionner des places, comme il l’a fait pour les rĂ©fugiĂ©s ukrainiens. Il faut absolument les protĂ©ger de la violence de la rue. En France, septiĂšme puissance mondiale, des gosses dorment dehors, et on trouve ça normal ? ■

« MĂȘme si j’aime la France et me sens pleinement citoyenne, unedemeurebipolaritĂ© . »

274 rue Saint-HonorĂ© 75001 Paris ‱ 26 rue des Mathurins 75009 Paris

191 Faubourg Saint-HonorĂ© 75008 Paris ‱ 107 rue de Rennes 75006 Paris

Créateur de chemises originales depuis 1993

CHAPEAU MOSSI ET BAGUETTE DE MIL

Juillet, aoĂ»t. Chacun, d’une maniĂšre ou d’une autre, va prendre un peu de repos, faire une pause, les pieds en Ă©ventail quelque part. Sur sa terrasse ou dans son jardin, Ă  l’étranger, au village. Justement, au village
 L’occasion de frĂ©quenter un peu les anciens, de se remĂ©morer leurs habitudes alimentaires, par exemple. Et pourquoi pas, de rĂȘver un peu. En ces temps trĂšs alarmistes concernant l’approvisionnement en pain du continent, et sa dĂ©pendance assez surrĂ©aliste au blĂ© ukrainien (ou russe), dont l’exportation pĂątit de la guerre, on peut se demander comment on est passĂ©s de la galette de mil au petit dĂ©j ou de l’igname bouillie en accompagnement d’un repas, que nos grands-mĂšres continuent Ă  privilĂ©gier aujourd’hui, au pain blanc fabriquĂ© Ă  base de blĂ©. Bien entendu, la rĂ©ponse est dans la bouche de n’importe quel BĂ©otien : le Nord a imposĂ© sa cĂ©rĂ©ale reine au Sud, et la mondialisation aidant, la baguette « parisienne » est devenue incontournable au pays du mil et du sorgho. C’est ballot
 Alors, en ces temps de villĂ©giature, on peut se mettre Ă  rĂȘver qu’une sĂ©rie de boulangers africains, amateurs de sensations gustatives novatrices et branchĂ©es, lancent la mode de la baguette de mil, des croissants d’igname ou des petits pains de fonio. AprĂšs tout, la vague healthy food qui s’est abattue en Occident a bien mis la galette de maĂŻs, la miche d’épeautre et les croĂ»tes sĂ©same dans les corbeilles. Le comble du chic chez les « bobo-bread  » qui boudent leur pain blanc, accusĂ© de tous les maux contre la santĂ©. On trouve mĂȘme des baguettes aux neuf cĂ©rĂ©ales, que vous conseillent des vendeurs bien incapables de vous donner leurs noms
 Bref, si l’Afrique a dĂ©cidĂ© que le pain Ă©tait incontournable sur sa table, autant en fabriquer du local, doper les cultures, crĂ©er de l’emploi et lancer la mode. AprĂšs les Français « bĂ©ret basque et baguette de pain », on pourra dire d’un BurkinabĂ© : « chapeau Mossi et baguette de mil » ! On peut rĂȘver plus loin et imaginer dĂ©jeuner Ă  Paris avec un pain au sorgho importĂ© du continent


En tous les cas, depuis le Covid-19, on a dit et redit qu’il fallait privilĂ©gier les circuits courts. Une rĂšgle confirmĂ©e en partie par la guerre en Ukraine et ses retombĂ©es.

Et si l’on ajoute le rĂ©chauffement climatique, il n’est pas exclu que l’Occident se mette Ă  cultiver du mil Ă  la place du blĂ© dans quelques temps. Il est plus rĂ©sistant Ă  la chaleur.

Et tout aussi goĂ»teux. Si, si
 On a le droit de rĂȘver que la baguette de mil devienne la baguette magique de demain ! ■

AM vous a offert les premiĂšres pages de notre parution

d’AoĂ»t-Septembre

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