AM 418 FREE

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ÉDITO

Une nouvelle indépendance par Zyad Limam

Un soldat français sur la base opérationnelle de Gao.

Maghreb

LE MALI FACE À SON DESTIN Géopolitique

La Tunisie côté lumières

Éléments positifs et réjouissants malgré une crise multiforme

TRANSFORMONS L’AFRIQUE !

La pandémie de Covid-19 doit ouvrir la voie à des changements profonds, à une rupture

avec les modèles anciens, à une renaissance tournée vers le progrès et la jeunesse.

Angélique

Kidjo

« J’aime la vie simple »

Yamina Benguigui

« Réaliser un film, c’est lever un tabou »

Dalila Dalléas

Bouzar « L’art a toujours fait partie de ma vie »

+ LE DOCUMENT

« Noir ou blanc. Choisis ton camp »

UNE NOUVELLE INDÉPENDANCE édito

La lutte contre le Covid-19 est loin d’être finie, et dans le monde, et tout particulièrement en Afrique. Le continent, qui a su faire preuve de résilience et de responsabilité depuis mars 2020, reste phénoménalement fragile devant la pandémie. L’économie a été touchée de plein fouet. Une troisième vague, alimentée par le variant Delta, est en cours, notamment en Afrique australe et en Afrique de l’Est. De nouveaux variants « africains » peuvent émerger. Le taux de vaccination reste désespérément bas : moins d e 2 % d es Africains auront été vaccinés à la date de cet édito. La lutte contre la pandémie, la lutte pour vacciner au plus vite le plus grand nombre, la lutte pour sécuriser les approvisionnements, mobiliser les ressources internes et externes restent essentielles, primordiales. Le pire danger serait une forme de complaisance, d’un « finalement ce n’est pas si grave », de toute façon « c’est une maladie de riches, ou de Blancs… ».

Une Afrique avec un Covid durablement endémique se retrouverait sur le côté de l’humanité, en marge des formidables mutations qui se dessinent.

Tout événement de cette ampleur, guerre massive ou épidémie globale, a toujours eu un effet profondément transformateur sur l’humanité. Le Covid bouleversera nos habitudes de vivre, de vivre ensemble, de travail et de production. Des milliards d’êtres humains ont accepté et acceptent encore de formidables contraintes dans leur vie quotidienne et intime. De nouveaux modes de communication émergent. La numérisation va prendre une ampleur encore plus envahissante, pour le meilleur et pour le pire. Psychiquement, notre faiblesse d’êtres humains, la vanité des frontières, les limites du modèle « capitalistico-technologique » sont apparues, béantes, déstabilisatrices. Quelque chose de plus encourageant, qui relève d’une forme encore « fœtale » de conscience humaine collective, apparaît. Nous sommes tous dans la même barque planétaire…

L’Afrique doit s’inscrire dans ce mouvement de changement, de renouvellement. Le Covid a souligné à quel point le modèle « postcolonial » était rapiécé, usé. À quel point nous avons besoin de modernité. À quel

point nos débats politico-politiciens sont dépassés par le vertige des défis auxquels nous devons faire face. Et à quel point nous devons construire une véritable indépendance basée sur la croissance, le développement, l’accroissement des richesses collectives, l’inclusivité sociale, le développement massif des nouvelles technologies, de l’éducation, la formation… À quel point nous devons trouver la clé de notre indépendance financière, en proposant d’abord les bons projets, en pesant plus lourds sur les débats stratégiques, en aidant nos entrepreneurs à créer des richesses, en diversifiant nos productions, en ouvrant le marché intérieur continental, en générant des ressources domestiques (avec une imposition juste, voir pages 76-79). Et en luttant contre la fraude, l’évasion des capitaux, en investissant nous-mêmes, chez nous dans notre avenir.

L’Afrique doit aussi prendre le leadership sur le débat essentiel, celui du développement durable et de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons un formidable capital naturel, un trésor (eau, soleil, forêts, terres arables, espace…) qu’il nous faut à la fois protéger et mettre en valeur. Nous avons un rôle à prendre dans cette bataille essentielle pour le futur de l’humanité. Une carte à jouer. Une proximité avec notre environnement, sur lequel nous pourrions nous appuyer. Et les sources de financement dans ce domaine sont multiples. Il faut sortir cette question des ministères à peine dotés, des discours convenus, et la placer au cœur de nos stratégies de développement.

Cet effort historique, cette nouvelle indépendance, cette « renaissance » (pour reprendre un terme à la mode il y a déjà une bonne vingtaine d’années), ce dépassement collectif, nous le devons à cette formidable jeunesse montante, à ces centaines de millions de nouveaux Africains, premières victimes sociales du Covid, en recherche d’une perspective, d’un élan, pour investir leur énergie, leur créativité. Les tentations destructrices sont toujours possibles. Alors qu’ils sont la force de l’Afrique en devenir [à lire pages 28-35, notre dossier « Transformons l’Afrique »] ■

N°418 JUILLET 2021

3 ÉDITO

Une nouvelle indépendance par Zyad Limam

6 ON EN PARLE

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE, DE LA MODE ET DU DESIGN El Anatsui en sa Conciergerie

24 PARCOURS

Jean d’Amérique par Astrid Krivian

27 C’EST COMMENT ? Tourisme à domicile par Emmanuelle Pontié

72 LE DOCUMENT

« Noir ou blanc. Choisis ton camp » par Alexandra Fisch

90 VINGT QUESTIONS À…

Yousra Mansour par Astrid Krivian

TEMPS FORTS

28 Transformons l’Afrique ! par Cédric Gouverneur et Zyad Limam

36 La Tunisie côté lumières par Frida Dahmani

46 Le Mali face à son destin par Cédric Gouverneur

56 Yamina Benguigui : « Réaliser un film, c’est lever un tabou » par Astrid Krivian

62 Angélique Kidjo : « J’aime la vie simple » par Sophie Rosemont

68 Dalila Dalléas Bouzar : « L’art a toujours fait partie de ma vie » par Fouzia Marouf

P.28

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com

76 Les Africains n’échapperont pas à l’impôt

80 Nigeria Air va en fi n pouvoir décoller

81 Le Cameroun sous tension

82 Le Maroc en quête d’un nouveau souffle

84 Côte d’Ivoire : vers la fi n des délestages ? par Jean-Michel Meyer

VIVRE MIEUX

86 Vitamines : démêler le vrai du faux

87 De la propolis contre le Covid-19

88 Comment bien choisir sa brosse à dents électrique

89 Prise de poids : les impacts sur l’organisme par Annick Beaucousin et Julie Gilles

FONDÉ EN 1983 (37e ANNÉE)

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ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO

Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani, Catherine Faye, Alexandra Fisch, Glez, Cédric Gouverneur, Dominique Jouenne, Astrid Krivian, Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer, Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont, Arnaud Salvat.

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Danielle Ben Yahmed RÉDACTRICE EN CHEF avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.

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ON EN PARLE

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage

EL ANATSUI EN SA CONCIERGERIE

Après quarante-cinq ans de carrière, l’ARTISTE GHANÉEN investit pour la première fois Paris avec une exposition personnelle.

IL AURA FALLU ATTENDRE la Saison Africa2020 pour qu’El Anatsui, mondialement respecté et connu, ait sa première exposition personnelle en France. Mais son installation au cœur de l’un des monuments les plus beaux et symboliques de Paris, la Conciergerie, sur invitation du Centre des monuments nationaux, fait presque oublier l’attente. « En quête de liberté » est une exposition poétique et intime créée sur mesure pour ce lieu historique. Ses éléments entrent en résonance avec les voûtes médiévales et les grandes cheminées du lieu, jouant avec la lumière naturelle et l’éclairage artificiel pour donner vie à une atmosphère tamisée et onirique. Notre regard se pose sur les six sculptures métalliques, composées de capsules de bouteilles et de canettes de soda, ou sur les deux rivières qui mêlent textile et projection vidéo, clin d’œil à la Seine. Une installation à arpenter et à s’approprier, qui invite à méditer sur le temps qui s’écoule, ou simplement un lieu dans lequel s’immerger pour se sentir bien et apaisés. Libres. ■ Luisa Nannipieri

« EN QUÊTE DE LIBERTÉ », Conciergerie, Paris (France), jusqu’au 14 novembre. paris-conciergerie.fr

Les cheminées de l’immense salle accueillent les sculptures du plasticien.

Ousmane Sembène, à gauche, et Samba Gadjigo, à droite.

CLASSIQUE

SOUNDS

À écouter maintenant !

Cedric Burnside

I Be Trying, Single Lock Records

SEMBÈNE INTERNATIONAL !

Le CINÉASTE SÉNÉGALAIS est l’objet d’un documentaire richement illustré qui sort en même temps que la version restaurée de son chef-d’œuvre, Le Mandat.

QUATORZE ANS APRÈS SA DISPARITION, Ousmane Sembène reste plus que jamais « le père du cinéma africain », expression qu’il réfutait par ailleurs. En 2015, un documentaire sénégalo-américain lui rendait hommage, mais sa diffusion était restée cantonnée aux festivals. Le voici enfin en salles, à l’occasion de la ressortie en version restaurée de son classique, Le Mandat, qui nous plonge au cœur du Dakar de 1968 : dans cette fable tragi-comique, un homme tente d’obtenir auprès de l’administration le droit de toucher un mandat envoyé par son neveu balayeur à Paris – de quoi l’aider à nourrir ses sept enfants et ses deux épouses, qu’il prend pour ses domestiques. Un bonheur de mise en scène, aux couleurs flamboyantes. Le documentaire soigne lui aussi sa forme avec d’élégantes transitions animées qui introduisent chaque chapitre retraçant la carrière et l’impact international de celui qui disait : « Si les Africains ne racontent pas leurs propres histoires, l’Afrique va bientôt disparaître. » Les deux réalisateurs (sénégalais et américain) mêlent archives et témoignages dans un salutaire et passionnant rappel des faits d’armes du cinéaste : il était contre la colonisation, le racisme, l’excision, ou les dérives de la religion musulmane. Sans pour autant oublier les zones d’ombre de cet homme au caractère ombrageux… Père du cinéma africain peut-être, mais absent pour ses enfants – même si son fils Alain confie finalement devant la caméra qu’il avait fini par devenir comme un ami. ■ Jean-Marie Chazeau SEMBÈNE ! (Sénégal, États-Unis), de Samba Gadjigo et Jason Silverman. En salles (et en DVD/Blu-ray pour Le Mandat).

D’abord connu pour son impressionnant jeu de batterie, Cedric Burnside, petit-fils du légendaire bluesman R. L. Burnside et fils du batteur Calvin Jackson, réinvente le Mississippi hill country blues depuis son premier album solo, paru il y a trois ans. Nouvelle démonstration ici, qui remonte aux racines africaines tout en cultivant des riffs typiquement sudistes… Bref, du rythme, de l’élégance et une authenticité palpable !

Fixi & Nicolas Giraud

Tempo Tempo ! A Tony Allen Celebration, La Familia/L’Autre Distribution/Idol

Si le petit-fils de Tony Allen, Tunji, s’est joint à l’enregistrement de ce disque hommage, c’est qu’il connaissait la loyauté de Fixi et de Nicolas Giraud, compagnons du légendaire batteur pendant près de vingt-cinq ans. C’est lui qui les a formés, et s’ils ont chacun œuvré avec d’autres, de Keziah Jones à Manu Dibango, ils ont continué à suivre son tempo. Après sa mort brutale, en avril 2020, ils ont composé autour des enregistrements de ses batteries et invité Fatai Rolling Dollar, Maïa Barouh ou encore Ayo Nefretiti. Une véritable célébration.

Dobet Gnahoré

Couleur, Cumbancha

Enregistré durant la pandémie sanitaire de 2020, ce bien nommé Couleur témoigne de l’énergie de la chanteuse ivoirienne, couronnée d’un Grammy Award en 2010, et qui, une fois encore, défend la cause des femmes comme celle de la terre africaine. Rythmes relevés, instrumentation gracieuse, exploration afropop : Dobet Gnahoré n’oublie pas d’où elle vient, mais sait renouveler sa grammaire musicale. Une réussite. ■ Sophie Rosemont

INTERVIEW

ANTHONY JOSEPH Le pouvoir des mots

Le poète et musicien originaire de TRINIDAD revient avec un album aussi groovy qu’engagé.

AM : En quoi la mort de George Floyd a influencé votre opus ?

Anthony Joseph : Si la mort d’un homme noir aux États-Unis était chose banale, sa diffusion, massive, ne l’était pas. Nuit après nuit, des gens descendaient dans la rue, et le mouvement Black Lives Matter a pris une ampleur inattendue et réconfortante. Pour affronter un système aussi oppressif, il ne faut pas avoir peur d’être vindicatif. On ne peut pas négocier avec les racistes, qui se nourrissent d’une lutte de pouvoir. Là où j’ai grandi, à Trinidad, tout le monde était noir, je n’ai donc pas subi le racisme comme d’autres. Au Royaume-Uni, en revanche, j’ai découvert un racisme institutionnalisé, du système financier à celui des classes. C’est la part la plus violente du capitalisme, et donc de l’individualisme. Sur « Swing Praxis », vous mettez en lumière la pluralité de la musique noire, qui a pu aussi bien être un refuge qu’un outil politique… Oui, depuis longtemps. Quand on regarde un tableau, on réfléchit. Mais une chanson te chope immédiatement, c’est une forme d’art très directe… La musique a ce pouvoir de fédérer les gens. Pas besoin d’être noir pour aimer Fela Kuti, par exemple ! Son impact

a été musical mais aussi politique, sur le sol américain comme en Afrique. Beaucoup de jeunes artistes apprennent de personnalités comme lui, qui brisent les frontières. En quoi votre œuvre témoigne à la fois de l’influence du spoken word, façon Gil Scott-Heron, et de la poésie caribéenne ?

ANTHONY JOSEPH, The Rich Are Only Defeated When Running For Their Lives, Heavenly Sweetness.

Bien que révolutionnaire, Scott-Heron possédait une vulnérabilité, une sentimentalité qui a inspiré tout le monde, des poètes aux rappeurs. Moi compris, mais je ne l’ai découvert qu’autour de mes 20 ans. Et j’ai commencé à écrire à 12 ! Dans les Caraïbes, nous bénéficions d’une grande tradition orale. Parmi ceux qui m’ont influencé, il y a Mighty Sparrow, Lord Kitchener, Linton Kwesi Johnson, Mighty Shadow, et beaucoup de reggae men des années 1970 comme Big Youth et Leroy Sibbles. J’ai toujours été marqué par un personnage griot du carnaval de Trinidad, le Midnight Robber, qui se lance chaque soir dans de complexes et élégants discours… « Language » rend, elle, hommage au poète jamaïcain Anthony McNeill… Comme Edward Kamau Brathwaite, il a essayé de forger une esthétique panafricaine expérimentale hors des carcans européens. Le principe était de décrire ce qu’était sa vie dans les Caraïbes, de mettre en valeur la culture noire.

De Frantz Fanon à Aimé Césaire, le langage est un outil précieux… Comme dans votre musique, finalement ?

Absolument. Kamau, qui s’était fixé pour mission d’élaborer un néo-créole, disait : « Où est-on plus esclave que dans le langage ? » On a voulu contrôler la manière dont on parlait, dont nous étions nommés, et aujourd’hui, nous devons pleinement le maîtriser. ■

Propos recueillis par Sophie Rosemont

ON EN PARLE

MUSIQUE

Mehdi Haddab et Hamdi Benani

La perpétuelle expérimentation

Nuba Nova est l’occasion de célébrer le talent du maître du MALOUF ALGÉRIEN récemment disparu.

LE 21 SEPTEMBRE 2020, l’un des plus grands représentants du malouf, Hamdi Benani, nous quittait, emporté par le Covid-19. En plus de cinq décennies de carrière, il avait réinventé les codes de cette musique classique algérienne, notamment en l’habillant de basse, de batterie et même de guitare électrique ! Peu avant son décès, il avait rencontré et sympathisé avec l’un de ses compatriotes, le virtuose du oud électrique Mehdi Haddab. Ensemble, ils ont enregistré Nuba Nova, riche de 10 morceaux qui cultivent le patrimoine arabo-andalou tout en lui insufflant une fraîcheur contemporaine. Quand le malouf visite pop et blues, ressuscitant la dextérité des musiciens d’antan, de Constantine à Cordoue… c’est forcément très beau. ■ S.R. HAMDI BENANI ET MEHDI HADDAB (AVEC SPEED CARAVAN), Nuba Nova, Buda Musique/Believe/Socadisc.

HISTOIRE

D’UNE POIGNE DE FER

Après plus de 30 romans sur le Moyen-Orient, Gilbert Sinoué nous emmène au Maroc au XVIIe siècle. ON LE SURNOMME LE ROI-SOLEIL MAROCAIN. Durant son demi-siècle de règne, cet homme hors du commun a réussi l’impossible : unifier son royaume et étendre son territoire. Pourtant, en plus de luttes internes, Moulay Ismaïl, sultan et commandeur des croyants, a dû faire face à l’hégémonie de pays européens, tels l’Espagne, le Portugal ou l’Angleterre, prêts à s’approprier cette terre. En arabe, on appelle la région « Jzirat al maghreb ». Et en français, l’« île du Couchant ». D’où le titre du nouvel ouvrage de l’écrivain et scénariste franco-égyptien, dont le talent de conteur ne cesse de mettre en lumière les héros de l’histoire. Ce premier volume d’une trilogie – qui se terminera en 1912, à l’heure du protectorat – débute avec l’intronisation de Moulay Ismaïl le 10 avril 1672. L’histoire nous est contée à travers le regard d’un Français, Casimir Giordano, médecin personnel du sultan. Une mise à distance efficace. ■ C.F. GILBERT SINOUÉ, L’Île du couchant, Gallimard, 304 pages, 20 €

LITTÉRATURE

L’Égyptien Naguib Mahfouz (1911-2006) était un écrivain prolifique.

FEU SACRÉ

Paru en arabe en 1983, ce roman initiatique de NAGUIB MAHFOUZ interroge le sens de

la vie.

LE TITRE DE SON OUVRAGE rappelle le célèbre voyage d’Ibn Battûta (1304-1368/1377). Mais contrairement à l’audacieux explorateur marocain, Naguib Mahfouz n’a pas bougé du Caire. Le Voyage d’Ibn Fattouma est un voyage intérieur, dans le temps, à travers les pérégrinations de son héros fictif, depuis les premières civilisations jusqu’à l’époque contemporaine. Musulman révolté par la corruption qui règne dans son pays et encouragé par son précepteur et maître spirituel, Ibn Fattouma décide de partir à la recherche d’une cité lointaine réputée vertueuse, Dâr al-Gabal, la Demeure de la Montagne. Personne ne l’a encore visitée. Dès lors, embarqué dans une caravane de commerçants, il entreprend un long périple à travers cinq pays. Chaque État traversé figurant une étape de l’histoire de l’humanité, en même temps qu’un système social, et symbolisant la liberté, le capitalisme ou encore l’oppression. « Que cherches-tu voyageur ? Quels sentiments bouillonnent-ils en toi ? », écrit l’auteur de plus de 50 romans et recueils de nouvelles et prix Nobel de littérature en 1988. Au-delà de l’identification et du dédoublement de l’être, il y a indéniablement une intention de conférer à ce court roman non seulement une dimension didactique, philosophique et religieuse, mais également une portée sociologique. Sans oublier d’interroger les rêves que chacun porte en soi. « Que cherche l’être humain ? Est-ce le même rêve ou y a-t-il autant de rêves que de contrées et de patries ? La perfection se trouve-t-elle vraiment à Dâr al-Gabal ? » Il est passionnant de cheminer dans les contrées intimes de l’enfant de Khân al-Khalili, quartier populaire du vieux Caire, devenu monstre sacré de la littérature. Ici, l’écrivain aux lunettes noires, auteur des mémorables Impasse des deux palais, Le Jardin du passé ou encore La Belle du Caire, propose une fable existentielle. Loin des descriptions de la vie cairote, truffées de satire politique et de personnages truculents, il nous mène sur le chemin d’une réflexion sans fin. ■ C.F. NAGUIB MAHFOUZ, Le Voyage d’Ibn Fattouma, Actes Sud, 144 pages, 16 €

D’HOMME À HOMME

Le destin hors du commun d’un individu a priori ordinaire, plongé dans la tourmente de l’histoire contemporaine. QUI SAVAIT que le commandant Massoud avait eu un garde du corps russe ? L’histoire est suffisamment surprenante pour que Jean-Pierre Pécau nous entraîne sur les traces de ce soldat de l’ex-URSS en pleine guerre d’Afghanistan. Nikolaï Bystrov, réquisitionné en 1983, à 19 ans, intègre les forces spéciales et devient un redoutable tireur d’élite. Lors d’une patrouille dans un village, il tombe dans une embuscade, est fait prisonnier par les moudjahidines, puis vendu aux hommes de Massoud. Au fil des jours, il épouse la cause afghane et gagne la confiance du chef, au point de devenir l’un de ses fidèles et son garde du corps dévoué, lui sauvant la vie à plusieurs reprises. Une aventure humaine hors du commun, portée par un récit documenté. Où l’âpreté des paysages et les atrocités de la guérilla renforcent la singularité de deux personnalités que tout semble opposer. En apparence. ■ C.F.

JEAN-PIERRE PÉCAU ET RENATO ARLEM, Le Garde du corps de Massoud, Delcourt, 60 pages, 15,50 €

BEAU LIVRE

JARDIN DES MERVEILLES

Une ode aux agrumes, pour célébrer l’été et l’impétuosité d’un horticulteur amateur. TOUT COMMENCE avec J. C. Volkamer (1644-1720), marchand de Nuremberg fou d’agrumes. Il fait ainsi venir des plants d’Italie, d’Afrique du Nord et du Cap de Bonne-Espérance. Citrons, cédrats, bergamotes, rien ne manque à ce festival botanique. Il ne s’arrête pas là et commande à une équipe de graveurs sur cuivre 256 planches de 170 espèces pour illustrer un traité en deux volumes. Trois siècles plus tard, Taschen livre un ouvrage à couper le souffle, publié à 5 000 exemplaires. Sous la couverture en tissu imprimé, gravures éclatantes, reproductions rares colorées à la main et narration captivante ravivent une époque où ces fruits doux-amers étaient vraiment exotiques. Un témoignage sensuel et historique sur leur arrivée dans le nord des Alpes. ■ C.F. J. C. VOLKAMER, The Book of Citrus Fruits, Taschen, 384 pages, 125 €

OARLEM LGd
JEANPIERREPÉC

night-club,

Le premier numéro, avec en couverture les Lutteurs, du sculpteur sénégalais Ousmane Sow.

« REVUE NOIRE : UNE HISTOIRE D’ARTS CONTEMPORAINS AFRICAINS », Les Abattoirs, Toulouse (France), jusqu’au 29 août. lesabattoirs.org

EXPO

TOUT UN ART

Une sélection d’œuvres et un panorama de 300 photographies, en écho aux 34 numéros de l’audacieuse REVUE NOIRE, publiée de 1991 à 2000.

DÈS LE PREMIER NUMÉRO, paru le 1er mai 1991, avec en couverture les Lutteurs, du sculpteur Ousmane Sow, le trimestriel audacieux Revue noire, publié en français et en anglais, et diffusé en Europe, en Afrique, en Amérique et en Asie, crée le buzz. Un pari fou pour rendre compte de la modernité et de la créativité du continent et dépasser les notions de post-colonialisme. C’est cette même sculpture de l’artiste sénégalais qui accueille trente ans plus tard les visiteurs à l’entrée des Abattoirs. L’objectif de l’exposition ? Faire (re)découvrir une scène artistique foisonnante, riche et pluridisciplinaire, d’Alex Agbaglo Acolatse à Hervé Yamguen, en passant par Samuel Fosso ou Seydou Keïta. En mixant des créations signées de plasticiens connus du grand public et d’autres d’artistes plus confidentiels, comme le Mauricien Ennri Kums. Une manière de prendre le relais de la revue iconique, disparue en 2000. Car, bien plus qu’une publication, celle-ci révéla une représentation artistique peu connue en Occident et touchant toutes les formes d’expressions. ■ C.F.

La Petite Danse, Mustapha Dimé, 1995.
Fétiche, Pascale Marthine Tayou, 2014.
Au
Philippe Koudjina, Niamey, vers 1970.

PORTRAIT

MEHDI KERKOUCHE Le casseur de codes

À 35 ans, cet artiste

PLURIDISCIPLINAIRE redonne du souffle à la création.

LES CONFINEMENTS successifs n’auront pas eu raison de lui. Jamais il n’a cessé de se répéter la maxime de la prodigieuse chorégraphe Pina Bausch : « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus. » Porté par cette énergie, en pleine pandémie, le jeune metteur en scène a posté sur Instagram une vidéo, devenue virale, montrant des danseurs en mouvement, chacun depuis chez soi. Il ne s’attendait pas à ce que cette publication l’amène si loin.

Joint par la directrice de la danse de l’Opéra national de Paris, Aurélie

Dupont, Mehdi Kerkouche, venu du monde du hip-hop, a été invité à signer une pièce pour la compagnie légendaire. Un rêve d’enfant. Qui a germé en banlieue parisienne, dans une famille algérienne, où sa mère, voyant en lui une volonté singulière, lui a donné les moyens de se réaliser. Son parcours est fulgurant. Du cinéma aux défilés, en passant par la publicité, il coache des artistes de tous horizons, comme Christine and the Queens. Et gère les mises en scène de grands événements culturels. En 2017, il monte la compagnie EMKA, pour laquelle il chorégraphie Dabkeh, du nom d’une danse traditionnelle au Moyen-Orient, qu’il déstructure en mode hip-hop. Aujourd’hui, que ce soit à l’opéra ou sur les réseaux sociaux, ce passeur, influencé par ses origines berbères, crée des ponts entre danse contemporaine et ballet classique. ■ C.F.

FILM UNE FEMME DEBOUT

Dans son deuxième long-métrage, HAFSIA HERZI fait le portrait lumineux d’une mère maghrébine des quartiers nord de Marseille.

« LES ENFANTS, ils nous bouffent notre vie », confie Nora, qui abrite sa famille dans une cité HLM marseillaise déglinguée. Plus de mari, un grand fils en prison, un autre collé à ses jeux vidéo, une fille avec un enfant, une belle-fille et son ado… Pour nourrir tout ce petit monde, Nora part à l’aube à l’aéroport pour nettoyer des avions, puis s’occupe d’une vieille dame et de sa maison. Mais la chronique n’est pas misérabiliste. Derrière la caméra, Hafsia Herzi est en immersion dans un milieu qu’elle connaît bien. Comme dans son premier film en tant que réalisatrice (Tu mérites un amour, en 2019) et ceux d’Abdellatif Kechiche (qui l’a fait jouer dans La Graine et le Mulet, en 2007), les dialogues assurent le spectacle. Accent marseillais, embrouilles : ça se coupe la parole, ça rit, ça s’engueule… Avec au centre, cette femme droite et bienveillante

FESTIVAL

Derrière la caméra, l’actrice est en immersion dans un milieu qu’elle connaît bien.

qui, comme pour les autres personnages, n’est pas incarnée par une comédienne professionnelle. Authentique, sa douceur mélancolique mais déterminée rayonne. Un superbe hommage à bien des mamans. ■ J.-M.C.

BONNE MÈRE (France), d’Hafsia Herzi. Avec Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Justine Grégory. En salles.

UNE PALME D’OR POUR L’AFRIQUE ?

Deux chances (sur 24) pour le continent cette année, sous le regard du jury de Spike Lee ! HUIT ANS après Grigris, le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun retrouve la compétition officielle avec Lingui, et Nabil Ayouch concourt pour la première fois pour la Palme d’or avec Haut et fort – le dernier film marocain en compétition remontant à 1962 ! Cannes se donne aussi une touche écolo avec le docu d’Aïssa Maïga réalisé au Niger : Marcher sur l’eau. À noter dans les sélections parallèles, La Femme du fossoyeur, tourné à Djibouti par le Finlandais Khadar Ayderus Ahmed (né à Mogadiscio) est sélectionné dans la Semaine de la critique, laquelle sera clôturée par le nouveau film de la Tunisienne Leyla Bouzid : Une histoire d’amour et de désir. Comme une définition du cinéma. ■ J.-M.C.

74E FESTIVAL DE CANNES (France), du 6 au 17 juillet. festival-cannes.com

BLUES

R’N’B

CAUTIOUS CLAY Le Soul Brother

Son premier album, Deadpan Love, démontre UN TALENT qui sait jongler entre musique et comédie, scène indie et mainstream. À suivre !

CE N’EST QUE SON PREMIER ALBUM studio, et pourtant il est déjà très attendu. À son compteur, plus de 100 000 disques vendus et 200 millions de streams. Not bad… Né Joshua Karpeh il y a vingt-huit ans dans l’Ohio, ce chanteur à la voix haut perchée et multi-instrumentiste accompli (d’abord flûtiste) s’est fait remarquer sur la scène de Brooklyn avec une poignée d’EP. Ils ont attiré l’attention de Taylor Swift ou de John Mayer, qui lui ont demandé de l’aide. Sur ce très réussi Deadpan Love, Cautious Clay collabore avec la crème des songwriters anglo-saxons, de Tobias Jesso Jr. à Daniel Nigro, en passant par Ammar Malik, et propose un duo au rappeur de Chicago Saba. De « High Risk Travel » à « Bump Stock », les 14 titres cultivent un R’n’B dont les échos hip-hop ne dérangent guère la richesse instrumentale et sa recherche sonore. ■ S.R. CAUTIOUS CLAY, Deadpan Love, The Orchard.

NINA SIMONE ET ETTA JAMES Divas sur scène

Le MONTREUX JAZZ FESTIVAL édite des live emblématiques de sa programmation. Honneur aux dames avec deux reines de la musique noire américaine.

C’EST AVEC LE LABEL BMG que le célèbre festival suisse lance la collection de disques « The Montreux Years », afin de faire valoir un corpus exceptionnel de performances scéniques. Nina Simone y a joué cinq fois entre 1968 et 1990, et y a repris « Ne me quitte pas » ou « No Woman No Cry », incarné avec l’engagement qu’on lui connaît. C’est également sur trois décennies qu’Etta James est montée sur la scène de Montreux : son premier passage, en 1975, était aussi sa première apparition européenne. Des frissons dans le dos quand on écoute « I’d Rather Go Blind »… Nina et Etta : deux voix de diamant, des énergies électriques et des idoles pour les générations de chanteuses qui ont suivi. ■ S.R.

Nina Simone : The Montreux Years et Etta James : The Montreux Years, BMG/Montreux Jazz Festival.

Ci-contre, Au bord du réel, Jean-Christian Bourcart.

Ci-dessous, Vigne, Ketuta Alexi-Meskhishvili, 2021 (série Ornements géorgiens).

« LES RENCONTRES

D’ARLES » (France), jusqu’au 26 septembre. rencontres-arles.com/fr

Ci-dessus, Nyadhour, Elevated, Dana Scruggs, Vallée de la Mo rt, Californie, 2019.

Ci-contre, Shaun Oliver, Pieter Hugo, Le Cap, 2011 (série Kin)

PHOTOS

IDENTITÉS MOUVANTES À ARLES

Une INVITATION AU VOYAGE et un rendez-vous incontournable, qui s’inscrit dans le cadre de la Saison Africa2020.

SI L’ÉDITION 2020 des Rencontres d’Arles n’a pu se tenir, cet observatoire privilégié de la création photographique sera, en 2021, composé d’une vingtaine d’expositions dans la ville et plusieurs lieux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Reflet des évolutions sociétales que cet art n’a de cesse de documenter, il met en lumière, cette année, les questions de genres et d’identités. Une réflexion sur la représentation est abordée par l’exposition « The New Black Vanguard », qui célèbre celle des corps noirs dans leur diversité, à la croisée de l’hybridation des disciplines entre art, mode et culture. Expressions et constructions individuelles et collectives, regards multiples sur le monde trouvent également un écho dans l’introspection à laquelle se livre le Sud-Africain Pieter Hugo dans l’expo « Être présent ». Des regards venus d’Afrique, mais aussi du Soudan, du Chili, et d’ailleurs. ■ C.F.

Tahar Rahim est très juste dans ce rôle éprouvant.

THRILLER

LE SOURIRE DE GUANTÁNAMO

Un film grand public qui rend justice à un Mauritanien torturé et enfermé à tort durant quatorze ans dans les GEÔLES DE L’ARMÉE AMÉRICAINE à Cuba.

THE MAURITANIAN (titre original de ce thriller très politique), c’est Mohamedou Ould Salahi. Deux mois après le 11 septembre 2001, soupçonné d’appartenir à Al-Qaïda et d’avoir commandité l’attentat contre le World Trade Center, il est arrêté dans sa famille (les scènes ont réellement été tournées à Nouakchott), puis transféré en Jordanie, en Afghanistan, et au camp de Guantánamo, à Cuba. Il n’a aucun lien avec les islamistes mais sera torturé à tel point qu’il avouera tout ce qu’on lui dira… Tahar Rahim, dans ce rôle éprouvant, donne toute la mesure de la sensibilité, l’humilité et l’humour de cet homme, dont on découvre le vrai visage lors du générique de fin, souriant et chantant en écoutant du Bob Dylan ! Car Mohamedou Ould Salahi, innocent, est sorti de cette épreuve de quatorze ans sans perdre son humanité, quand, face à lui, tout était fait pour la nier. Grâce à sa force de caractère, sa foi, son recours à l’écriture et l’aide d’une avocate américaine

(Jodie Foster, implacable), déterminée à dénoncer une détention illégitime. Côté Pentagone, c’est un militaire chrétien conservateur qui va peu à peu comprendre que ses aveux ont été obtenus sous la torture et ne valent rien. Mais George W. Bush et Donald Rumsfeld veulent un coupable. L’armée ne reconnaîtra jamais son erreur, même sous Barack Obama. On pénètre ainsi au cœur d’une justice d’exception, dans la base américaine de Guantánamo (reconstituée en Afrique du Sud).

Réalisé par le Britannique Kevin Macdonald – dont le biopic sur le dictateur ougandais Idi Amin Dada, Le Dernier Roi d’Écosse, avait valu un oscar à Forest Whitaker –, ce film dénonce efficacement les reniements de la démocratie américaine. Pour mieux souligner l’extraordinaire personnalité d’un Mauritanien qui a tout pardonné. ■ J.-M.C. DÉSIGNÉ COUPABLE (Royaume-Uni), de Kevin Macdonald. Avec Tahar Rahim, Jodie Foster, Benedict Cumberbatch. En salles.

INTERVIEW

Mamadou Dia, cinéaste du réel

Ce journaliste sénégalais sort son premier film, Le Père de Nafi, qui raconte l’affront entre deux frères dans un village en proie à l’extrémisme religieux. Un regard empreint de justesse sur la complexité des liens familiaux, l’instrumentalisation de la foi, les aspirations de la jeunesse.

AM : Comment avez-vous imaginé cette histoire familiale, au sein d’un village menacé par le fondamentalisme ?

Mamadou Dia : En tant que journaliste, j’ai fait face à l’extrémisme religieux lors de mes reportages au Mali, au Burkina Faso, au Nigeria… Tous ces pays ont été pris de court. Pourtant, en regardant de plus près, on observait des signes avant-coureurs, mais ils n’ont pas été relayés, considérés : des institutions religieuses au financement opaque sortaient de terre, le comportement et le langage des personnes changeaient, l’interdiction de la musique, du football… Mais tant que les extrémistes ne nous atteignent pas directement, on se croit à l’abri. Au Sénégal, les mariages dits communautaires, qui unissent deux familles, ont encore cours. Le clan familial joue un rôle très important, la communauté doit se souder. Donc quand elle est touchée, tout change dans le pays. Je me suis demandé quelle serait l’issue si un extrémiste essayait de corrompre ce lien. Pour imposer sa doctrine, mon personnage, Ousmane, profite du manque d’action de l’État dans l’intérieur du pays, de son discrédit auprès de la population. Il n’est jamais filmé comme un danger. Souvent, on pense que la menace vient de l’extérieur, des étrangers, des migrants… Or, ici, il est au cœur de la famille. La violence n’est pas seulement visible, graphique : elle est aussi dans ces plans où les protagonistes sont cernés, leurs visages emprisonnés dans un cercle vicieux. Vous venez du journalisme. Pourquoi avoir choisi la fiction pour aborder ce thème ?

la liberté de se projeter, de dépeindre une menace qui n’est pas encore tangible dans le réel. Elle voyage beaucoup plus que les actualités et ouvre des débats. C’était important d’ancrer l’histoire à Matam, mon village natal. Après la projection là-bas, nous avons longuement échangé avec le public. Où avez-vous appris le métier de réalisateur ?

J’ai étudié à la Tisch School of the Arts, à New York. J’ai appris qu’un cinéaste doit maîtriser la technique, savoir quel objectif utiliser, quelle valeur de plan, quel grain d’image… J’adore ! Ma classe réunissait plus de 20 nationalités différentes : tant d’histoires, d’expériences à raconter ! Ces divers regards sur mes productions étaient très constructifs. Je me suis constitué ma bande d’amis, avec qui je travaille depuis : mon chef opérateur, mon monteur, mon producteur. Être dans un lieu où les gens rêvent de cinéma est essentiel. C’est ce qui manque parfois. Le Sénégal regorge de talents, mais il est très difficile d’obtenir les financements, le soutien. Même si plusieurs projets voient le jour, tel le Centre Yennenga, dédié au cinéma, créé par le réalisateur Alain Gomis. Que vous a conseillé Spike Lee, l’un de vos professeurs ?

En général, les médias jouent sur les attentes du public. J’ai travaillé pour des agences de presse : certaines ne s’intéressent qu’aux sujets négatifs (coups d’État, épidémies…), d’autres aux success-stories uniquement. Or, les choses sont plus nuancées, et la fiction permet cet angle. Elle donne

De ne jamais puiser dans mes économies pour produire un film. Mais même s’il a raison, je n’ai pas le luxe de suivre cette règle ! Malcolm X est le premier film que j’ai vu, enfant, sur grand écran – un drap blanc accroché au mur de l’école. J’ai alors pris conscience de l’existence du réalisateur derrière la toile. Je lui ai raconté cette anecdote, et il m’a donné l’autorisation d’utiliser les voix et l’affiche de son œuvre pour mon court-métrage

Samedi Cinéma. Nous avons des affinités, il est très gentil, entier, direct. Un jour, découragé, je lui ai dit : « C’est très difficile de faire des films ! » Il m’a répondu : « Mais qu’est-ce qui est facile ? » ■ Propos recueillis par Astrid Krivian

Le Père de Nafi est sorti en salles le 9 juin.

FOLK SHUNGUDZO Chanteuse aux mille vies

À 31 ans, l’Américano-Zimbabwéenne sort son premier ALBUM au titre éloquent.

C’EST ALICIA KEYS qui l’a remarquée lorsqu’elle était étudiante à l’université Stanford. Puis Jessie Ware ou Yuna ont fait appel à ses talents de songwriteuse. Aujourd’hui, Alexandra Govere, alias Shungudzo, sort un premier album remarquablement orchestré et chanté, et s’impose comme une folkeuse contemporaine : « Et pourtant, à cause de la couleur de ma peau, j’ai dû me battre pour que l’on l’accepte ! Ma mère, qui a grandi en Amérique, adore la musique folk. Des artistes comme Bob Dylan, Crosby, Stills, Nash and Young ou encore Tracy Chapman ont été mes premiers amours, pour leur engagement lié à leur poésie. » Ainsi, sa musique est « sociopolitique », singulière et engagée : « Qu’ils soient contre le gouvernement, la météo, leurs partenaires amoureux, leurs corps qui se détériorent dans le miroir, les humains sont intrinsèquement des protestataires, explique-t-elle. La plupart d’entre nous sont même nés en pleurant ! Cela effraie presque les gens de s’affirmer activistes, alors que c’est l’une des choses les plus naturelles que nous puissions faire. » D’où I’m Not A Mother, But I Have Children, un album nourri de protest songs, qui rappelle à quel point nos vies valent plus que ce que nous proposent nos gouvernements. Née à Hawaii en 1990, Shungudzo a grandi entre deux continents, l’Afrique et l’Amérique du Nord, et a cofondé jeune adolescente une association venant en aide aux enfants orphelins à cause du sida. En 1999, elle a été la première gymnaste noire à représenter le Zimbabwe aux All-Africa Games. Une expérience qui l’influence encore en tant qu’artiste : « J’y ai vécu la concurrence et le racisme, mais le sport m’a appris la discipline et la volonté de persister malgré les échecs. À la fois dans l’art et dans la vie, j’en ai gardé l’idée que chaque obstacle est une opportunité. Je pleure beaucoup quand je me plante. Mais je me lève et réessaye ! » Bien qu’installée à Los Angeles, elle n’a pas oublié ses racines africaines : « Les années que j’ai passées au Zimbabwe m’ont permis de développer mes boussoles morales, spirituelles et créatives, mes guides les plus fiables tout au long de ma vie. Même quand je les ai ignorées, elles ne se sont jamais trompées. » ■ S.R.

SHUNGUDZO, I’m Not A Mother, But I Have Children, BMG.

Les bandes tissées qui rehaussent certains kimonos de la ligne « Humaine » ont été confectionnées par des artisanes béninoises.

MODE

Les étoffes s’intègrent discrètement à des pièces modernes e n  lin, soie ou coton.

TOUCOULOR, L’ÉTHIQUE AVANT TOUT

Une marque ÉCORESPONSABLE ET ENGAGÉE à destination des femmes déterminées.

LANCÉE EN 2019 par la Parisienne Amy Lee

Djougari, Toucoulor est une marque éthique et engagée, pensée pour les citadines modernes qui aiment les coupes travaillées et affichent leur style dans les détails. Le nom de la marque rend hommage aux Toucouleurs, un peuple d’Afrique de l’Ouest, connus pour leur mixité et leur ouverture d’esprit. Mais aussi aux origines de la styliste et notamment à sa grand-mère peule, qu’elle n’a connue qu’à travers les récits de son père. La découverte de cette femme forte et indépendante, loin des clichés, a été pour elle une révélation qui l’a poussée à entreprendre un voyage initiatique au Mali et au Sénégal.

C’est là qu’est née l’idée de Toucoulor. Depuis, Amy Lee Djougari, qui vient de signer sa cinquième collection, baptisée « Humaine », travaille entre Paris et le continent pour réhabiliter les savoir-faire en perdition et les tissus traditionnels. Teints, tissés

et cousus par des artisans africains, ceux-ci s’intègrent discrètement à des pièces modernes et confortables. « Je travaille avec des matières naturelles ou nobles, à partir de chutes de créateurs parisiens, comme Balenciaga ou Yves Saint Laurent », précise la designeuse. Une démarche écoresponsable qui valorise d’autant plus les insertions en bogolan ou en lépi.

Les bandes tissées qui rehaussent certains kimonos ont par exemple été confectionnées par des artisanes béninoises. Dans sa variante à manches longues, en lin blanc et coton, ou en tant que surchemise, déclinée en version marine ou ocra, le kimono est l’une des pièces phares de la collection été. Dans laquelle on retrouve aussi des robes et des chemises aux manches bouffantes. Sans oublier des tailleurs et des vestes souples aux coupes larges et résolues. En somme, la garde-robe idéale d’une femme affranchie et résiliente. toucoulor.com ■ L.N.

Jacquie Créations, la joie de vivre

Toute la VARIÉTÉ DU SAVOIR-FAIRE de l’Afrique de l’Ouest en un label.

NÉE EN 2004 à Lomé sous le nom de Jacquie Bijoux, la marque de la designeuse togolaise Jacquie Atandji a connu un succès retentissant. En quelques années, celle qui a commencé par créer des bijoux originaux et des sacs en wax à partir de chutes de tissus a tellement élargi ses collections qu’elle a dû changer le nom de l’entreprise. Aujourd’hui, elle vend sur Internet et dans deux boutiques vêtements, accessoires et petits meubles uniques, réalisés à partir d’une grande variété de matériaux, sous le nom de Jacquie Créations au Togo, et depuis 2017, sous celui d’Ethnic Chic au Sénégal. Passionnée par son travail, la styliste dessine elle-même la plupart de ses produits, notamment les bijoux en corne et os ciselés par un ébéniste à Lomé, puis s’appuie sur le travail d’une vingtaine d’artisans spécialisés pour les réaliser. Les objets en bronze sont par exemple forgés au Burkina, la maroquinerie vient du Sénégal et les batiks sont imprimés au Ghana. À peu près tous les deux mois, cette incorrigible voyageuse fait le tour des ateliers afin de veiller au processus de production. Et de trouver de nouvelles idées pour ses créations, colorées et joyeuses comme l’Afrique. jacquiecreations.com ■ L.N.

RETOUR À LA NORMALE, ENFIN !

Mabrouk s’est spécialisé dans la cuisine juive tunisienne contemporaine.

Réserver une table est un petit plaisir qui a encore plus de saveur depuis la fin des restrictions sanitaires parisiennes. DEUX ADRESSES pour se régaler.

DEPUIS LA RÉOUVERTURE des restaurants, chez Mabrouk, un spot en plein Paris dédié à la cuisine juive tunisienne contemporaine, l’équipe a lancé un brunch coloré composé de pancakes à la fleur d’oranger, merguez grillées, halla perdue à la pistache, briques au thon ou au bœuf, et même une salade de kale pour les plus tendance. L’adresse idéale

pour bien commencer le dimanche en sirotant une infusion à base de miel, jus de citron, gingembre et menthe fraîche, que l’on soit attablés à la terrasse de couleur bleu ciel, comme la médina de Sousse, ou assis à l’intérieur sur les banquettes en tissu gratté, entourés de tapis d’Orient suspendus et de mosaïques murales turquoises, comme la faïence artisanale.

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africain le p lus grand de la capitale.

On quitte l’ambiance solaire du Mabrouk pour plonger dans l’atmosphère sophistiquée du restaurant africain le plus grand de la capitale, au cœur du 2e arrondissement.

La célèbre Villa Maasai peut compter sur un bar lounge et un délicieux bar à cocktails et, surtout, sur une carte gastronomique panafricaine très séduisante. De grands classiques tels que le mafé, le yassa, le ndolé ou le thiéboudienne sont à savourer dans un décor qui mélange architecture néoclassique et habillage ethnique. Chaque soir, l’établissement sort le grand jeu avec des spectacles et concerts en live, qui animent l’ambiance et égayent le public. Une expérience qui séduit tous les sens. ■ L.N. Mabrouk, 64 rue Réaumur, 75003 Paris. mabrouk-paris.fr Villa Maasai, 9 boulevard des Italiens, 75002 Paris. villamaasai.fr

Villa Maasai

HASHIM SARKIS, COMMISSAIRE DE LA 17E BIENNALE DE VENISE

« Les projets africains OUVRENT LES YEUX au public »

JUSQU’AU 21 NOVEMBRE, Venise accueille la 17e Biennale d’architecture. Une édition intitulée « How Will We Live Together? », qui interroge sur les problèmes de notre société. Parmi les 112 participants de 46 pays, on retrouve beaucoup de jeunes cabinets africains, comme Atelier Masomi (Niger) ou Cave_Bureau (Kenya). Nous avons rencontré le commissaire de l’événement, Hashim Sarkis, architecte libanais et professeur au MIT.

AM : Mis à part l’Égypte, les pays africains n’ont pas de pavillons nationaux cette année. Quelle est la place du continent ?

Hashim Sarkis : Le problème des financements a pesé énormément, et en effet, malheureusement, beaucoup de pays n’ont pas pu participer. Mais je tenais à ce que l’Afrique ait une place importante, parce qu’on y retrouve toutes les problématiques dont l’on parle : le climat, les migrations, les polarisations politiques et économiques… Les sections « Among Diverse Beings » et « As One Planet » s’ouvrent avec deux projets du continent, car je pense vraiment qu’ils ouvrent les yeux du public sur le passé et le futur. Mais on parle aussi d’Addis-Abeba dans la série d’études hors concours « Co-Habitat », et pas mal d’autres projets abordent la question des migrations sur le continent. Étant moi-même réfugié, je crois que vivre en transition aujourd’hui est devenu

une condition normale. C’est la nouvelle citoyenneté, et il faut reconcevoir les espaces sous ce jour. Les invités ne sont pas forcément très connus et beaucoup sont jeunes. Comment les avez-vous sélectionnés ?

Cette édition part d’un questionnement, mais on voulait surtout présenter des solutions, des idées innovantes. Et ce sont les citoyens qui vont les trouver, nous proposer de nouvelles façons de vivre ensemble. C’est ce que je cherchais quand j’ai choisi les participants, et j’ai trouvé beaucoup de jeunes avec des idées formidables, qui mélangent artisanat et nouvelles technologies. Ils ont apporté des projets inattendus. Peju Alatise (Niger) est plasticienne et poète, Paula Nascimento (Angola) et Mpho Matsipa (Afrique du Sud) effectuent des recherches dans les domaines de l’urbanisme et de la mobilité… C’est une biennale très artistique, et il se trouve que la plupart des invités africains sont des femmes. Est-ce un choix ou un hasard ?

Les deux [rires] ! On a veillé à ce que tous les ateliers soient menés ou coanimés par une femme, et environ les deux tiers des invités sont des femmes. On ne voit pas encore une majorité de femmes à la tête des cabinets, mais ça avance tout doucement. Mon but était de présenter des idées qui parlent d’un futur différent, et il se trouve tout simplement que les Africaines ont beaucoup d’idées innovantes. ■ Propos recueillis par Luisa Nannipieri

Alasiri: Doors for Concealment or Revelation, Peju Alatise, 2020.

Jean d’Amérique

JEUNE ÉTOILE DES LETTRES HAÏTIENNES,

le poète publie son premier roman, un récit foudroyant qui raconte la vie d’une ado dans les bas-fonds de Port-au-Prince. par Astrid Krivian

«M

e voici, récit des abysses en quête d’un asile au bout des lettres. [...] Un alphabet de volcans, de mots rouges, de mots blessés par le feu des violences. » Ainsi parle Tête Fêlée, héroïne de Soleil à coudre, qui « remue le ciel du verbe » pour écrire des lettres à son amoureuse. Dans un quartier défavorisé de la capitale haïtienne, l’adolescente affronte l’adversité et tente de survivre dans un environnement pétri de violence et de cruauté. L’écriture est ici un souffle salutaire, une quête de lumière, métaphore de la démarche de l’auteur. Ce qui ne nous tue pas, nous rend peut-être plus poète, avance-t-il : « Je viens des bas-fonds. C’est grâce à la poésie que j’existe. Elle m’a sorti d’une spirale de violence. À travers elle, je cherche une fenêtre, un espoir où je peux agir contre les ombres, les ténèbres. Un espace où je peux faire entendre le chant blessé du monde. » Dans ce roman, cartographie sociale et politique d’Haïti, la voix de son personnage fait résonner celle de son peuple. « Malgré la pauvreté, la précarité, l’absence totale de l’État, les Haïtiens ont toujours trouvé un moyen de construire leur vie. »

Cet orfèvre des mots, qui taille ses puissants « stupéfiants images », pour citer Aragon, dans la brutalité du monde, écrit dans un français irrigué par l’imaginaire et la musique du créole. Sa boussole ? Une citation de Sony Labou Tansi : « On n’est écrivain qu’à condition d’être poète. »

Né en Haïti à Côtes-de-Fer en 1994, il découvre le rap à 11 ans, à son arrivée à Port-au-Prince. Fasciné par cette musique au verbe brut, qui fait écho à sa réalité sociale, il jette ses premiers textes sur le papier et les déclame sur scène. Au lycée, grâce à ses professeurs, il entre véritablement dans « le bain des mots », bouleversé par ses lectures de Frankétienne, Mahmoud Darwich, Kateb Yacine, René Depestre…

Mais sa famille ne voit pas d’un bon œil ses choix de vie, de ses dreadlocks à ses études : philosophie à l’École normale supérieure, ethnologie et psychologie à la faculté. « Mes parents sont des chrétiens très conservateurs. Je ne me reconnaissais pas dans ces dogmes. Les mouvements sociaux de gauche étant fréquents à l’université, ils me disaient que j’allais finir dans la rue avec une balle dans le crâne. » Ils le mettent à la porte à ses 18 ans. Cette rupture difficile nourrit son écriture. « Je voulais me battre contre ces situations extrêmes. Une voix souterraine, qui cherche à contrer les discriminations, les injustices, traverse mon œuvre. »

Dans un acte de naissance artistique, Jean se choisit un patronyme : « d’Amérique ». « Un symbole d’ouverture, de voyage. » Ses trois recueils (il signe le premier, Petite fleur du ghetto, en 2015) et sa pièce de théâtre Cathédrale des cochons seront presque tous primés. Dédiée « aux accusés de poésie », cette dernière est le long cri d’un poète détenu par un régime autoritaire, porté par la force de son art qui brise les barreaux. Dans un pays où la poésie, « veine qui fait respirer la littérature », est très estimée, il a fondé le festival Transe Poétique à Port-au-Prince, pour faire entendre les nouveaux talents. Aujourd’hui, il partage sa vie entre son île natale, Paris et Bruxelles : « Je garde une branche de mon arbre dans ces différents lieux ». ■

Soleil à coudre, Actes Sud.

«Une voix souterraine, qui cherche à contrer les injustices, traverse mon œuvre.»

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TOURISME À DOMICILE

Alors voilà, les vacances arrivent ! Chouette ! Je vois déjà les Africains fortunés rêver de leurs destinations habituelles : Dubaï, Paris, New York, Marrakech… Et se réjouir à l’idée de ne rien faire, loin des tracasseries locales du quotidien, des sollicitations incessantes de la famille proche ou éloignée, des réunions politiques interminables ou des chéries toujours plus capricieuses. Eh bien, justement, et si cette année, on changeait de braquet ?

En 2021, malgré quelques efforts réalisés par les pays touristiques qui allègent un peu les restrictions dues à la pandémie mondiale que l’on n’a plus besoin de nommer, globalement, le voyage restera un vaste casse-tête chinois ! La valse des tests PCR et des quarantaines continue de s’imposer, notamment pour les Africains voyageurs, qu’ils aient envie de quitter leur continent ou même de se déplacer dans un pays voisin. Du coup, pourquoi ne pas vous essayer cette année à la découverte de votre propre pays et aller enfin visiter en masse les richesses culturelles ou naturelles, dont vos contrées regorgent, et que vous ne connaissez finalement qu’à travers les récits que vous entendez quand vous échangez avec un étranger qui paye cher pour venir voir les chutes de la Lobé, lézarder sur la plage de la Somone, s’enfoncer en pays pygmée, ou remonter vos fleuves en pirogue géante ?

Bref, un peu de tourisme intérieur, à la conquête des joyaux nationaux, risquerait de plus vous épater que de dormir dans une chambre d’hôtel au 18e étage d’un building quelconque. Accessoirement, ça coûte moins cher. Mieux, ça donne un coup de fouet géant aux industries locales de locations de bungalows, de véhicules tout-terrain, de guides formés et de bien d’autres secteurs exsangues depuis l’avènement du Covid-19.

On parle bien de découvrir d’autres régions, d’autres cultures, d’autres ethnies que la vôtre. Car aller au sempiternel village où vous avez construit une maison secondaire ne vous coupera pas du harcèlement familial et des centaines de soucis à résoudre qui vous y attendent. Cette année, allez, un peu de curiosité sur votre pays et les cultures de vos congénères. Ça changera. Et paradoxalement, ça vous reposera encore plus l’esprit. On prend le pari ? Essayez. ■

AM vous a offert les premières pages de notre parution de Juillet

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