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« Plus que le métissage, c’est la rencontre interculturelle qui m’attire : qu’est-ce qu’on en fait, quel impact sur l’identité d’une personne, son évolution… »

Le couple de mes parents, puis ma naissance, celle de mon frère et de ma sœur, sont le résultat de ces rencontres culturelles. Partagée entre deux pays, votre double culture vous a-t-elle donné le goût du voyage, de la découverte de l’autre ?

Oui. C’est une recherche de soi à travers les voyages, mais aussi un enrichissement à travers la rencontre de l’autre, qui transforme votre vie. Plus que le métissage, c’est la rencontre interculturelle qui m’attire : qu’est-ce qu’on en fait, quel impact sur l’identité d’une personne, son évolution… J’ai la bougeotte, et je m’interroge sur « le même et l’autre », être pareil et différent. Très jeune, j’ai eu envie d’aller découvrir l’ailleurs. J’aime partir en voyage avec mon sac à dos, mais c’est aussi important de s’ancrer dans un pays quelque temps, pour en saisir en profondeur la culture, les mœurs, la façon de vivre. Mon premier pays d’expatriation fut la France, où je suis arrivée à 18 ans pour mes études. Un ailleurs qui était déjà en moi. J’ai vécu treize ans à Paris, une ville-monde riche en possibilités pour s’évader très vite, avec les quartiers indiens, africains… toute l’offre culturelle. Pendant mes études, j’ai fait un stage en Inde pour enseigner le français à l’Alliance française, pendant six mois, à Bombay et à Chennai. Puis j’ai enseigné trois mois en Équateur, et étudié un an à Londres avec le programme Erasmus. D’où vient votre passion pour l’Inde ?

C’est un pays fascinant qui m’a énormément nourrie. C’est là que j’ai eu le sentiment d’être à la fois la même et l’autre. J’ai trouvé une ressemblance, des similitudes culturelles avec la Tunisie. Cet héritage de la religion musulmane, les vêtements très colorés, chargés, ornés de paillettes, la présence du jasmin… Ma recherche de DEA [diplôme d’études approfondies, ndlr] comparait l’héritage culturel et cultuel dans la littérature de la diaspora indienne des Antilles anglophones et francophones (Trinidad, Guadeloupe, Martinique). Les pays d’Afrique de l’Ouest sont votre deuxième culture de cœur…

En effet. À Paris, je faisais de la danse guinéenne, je jouais des percussions. J’ai effectué plusieurs voyages de danse et de musique en immersion en Guinée. Et j’ai eu un coup de cœur pour le Sénégal, lors d’un séjour touristique. Dakar est la jumelle de Tunis : une ville balnéaire avec une corniche, une atmosphère proche mais en version Afrique de l’Ouest… Je me suis sentie très vite chez moi. J’y ai retrouvé des pans de ma culture tunisienne, car il y a des Mauritaniens, des Tunisiens expatriés, des Libanais… Et des Sénégalais se rendent aussi en Tunisie pour étudier ou travailler. J’ai donc candidaté pour un poste de professeur de lettres au lycée français Jean-Mermoz de Dakar et j’y suis restée trois ans. Vous êtes actuellement en poste à Madagascar, à Antananarivo. Comment vivez-vous cette expérience ?

Pour la première fois, je me sens autre, j’ai du mal à trouver le « même ». J’y ai beaucoup moins de repères, et ça m’interroge, me passionne, sur un plan identitaire. Pour quelles raisons ? ParAFRIQUE MAGAZINE

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fois, on retrouve des détails, des odeurs, des habits, des énergies, des façons d’être. Depuis peu, je découvre des croyances ancestrales similaires à celles de mon pays natal. C’est en passant du temps dans un endroit que l’on apprend ces choses, parfois ça va très vite, pour d’autres pays il faut creuser, chercher. En plus de l’enseignement, je suis formatrice d’enseignants dans les lycées français de la zone océan Indien. Donc je passe ma vie à bouger, entre Maurice, les Comores, les Seychelles. J’aime beaucoup La Réunion également, une île-monde, une mosaïque identitaire composée d’héritages africain, indien, du monde arabe… Elle concentre tout ce que j’aime : la montagne et la mer, les danses africaines et indiennes, le mélange des cultures, une facilité de parole… Comment transmettez-vous le goût de lire à vos élèves ?

Ma vision s’oppose à la notion de programme de littérature, classée par genre ou par âge. Car on peut relire des œuvres à différentes périodes du cursus. Plutôt que cette codification qui peut repousser certains élèves, je préfère y entrer par le concret, avec des thèmes comme « regarder le monde », « recherche de soi », « l’humanité et sa violence », etc. Ce réel nous amène à redécouvrir les classiques, et c’est alors intéressant de les mettre en regard avec des œuvres contemporaines. Je me passionne pour le sujet lecteur : comment permettre à un élève de parler d’un livre d’une manière créative, autrement que par une fiche de lecture standard ? Et je les fais beaucoup écrire. Les contraintes techniques peuvent être données comme indicatives, mais ne doivent pas constituer une entrave. Pour citer Marguerite Duras dans son essai Écrire, l’écriture est un mouvement. ■

407-408 – AOÛT-SEPTEMBRE 2020

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