Extrait de "Scénographes en France "

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André Acquart Gilles Aillaud René Allio Michel Raffaelli

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INTRODUCTION

INTRODUCTION

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André Acquart Gilles Aillaud René Allio Michel Raffaelli

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INTRODUCTION

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André Acquart 1922, Vincennes scénographe créateur de costumes

“ Après plus d’un demi-siècle d’exercice de ma pratique, je conserve le même enthousiasme et le même plaisir à contribuer à la représentation d’une œuvre dramatique ou lyrique. Ma relation s’élabore à partir de la lecture d’un texte suscitant – parfois de manière instinctive – esquisses, croquis, dessins, qui engagent ma conception scénographique. Sa finalité prend aussi en compte le jeu et la circulation des comédiens. Si je reste fidèle à mes options fondamentales, je ne me contente pas d’exploiter mes acquis, mais reste toujours ouvert à de nouvelles recherches. En cultivant l’esprit artisanal du théâtre auquel je demeure très attaché. ”

à la suite des aléas d’un exil familial, andré acquart arrive par hasard à Alger en 1930. Quelques années plus tard, une formation à la peinture et à la sculpture à l’école des beaux-arts lui ouvre ses premières créations de décor dans le théâtre universitaire. De retour en France en 1955, il collabore avec

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LES DÉFRICHEURS 1975 / 1985

de très nombreux metteurs en scène pour le théâtre et l’opéra, parmi lesquels Roger Blin, Roger Planchon, Jean Vilar, Jean-Claude Fall, Louis Erlo ou Laurent Terzieff. Sa création scénographique compte aujourd’hui près de trois cent cinquante décors, le plus souvent accompagnés de la conception de costumes.

Elle témoigne d’une recherche attentive de formes et de matières à même d’instaurer une dialectique avec une œuvre et une dramaturgie. Ses réalisations ont largement contribué aux évolutions de la scénographie contemporaine.

La singularité romantique et la fantasmagorie de l’œuvre engagent, tout au long des trois actes, des climats changeants, traduits dans ce décor par une déclinaison de formes abstraites dont les reflets et les colorations varient sous les jeux de lumière. Les arbres de la forêt sont réalisés en tubes pvc laqués noir, et le marais évoqué par des tubes incolores. Sur cour et jardin, des panneaux-miroirs accentuent reflets et perspectives et contribuent à l’expression d’une virtuosité des images produites, en fusion avec la partition musicale. Avec en contre-point des costumes dont les formes épurées sont signifiantes de la condition des personnages.

ondine

d’après la pièce de Jean Giraudoux, livret et musique Daniel Lesur, mise en scène de Jean-Claude Fall, scénographie d’André Acquart, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, 1982 Photo © André Acquart

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André Acquart 1922, Vincennes scénographe créateur de costumes

“ Après plus d’un demi-siècle d’exercice de ma pratique, je conserve le même enthousiasme et le même plaisir à contribuer à la représentation d’une œuvre dramatique ou lyrique. Ma relation s’élabore à partir de la lecture d’un texte suscitant – parfois de manière instinctive – esquisses, croquis, dessins, qui engagent ma conception scénographique. Sa finalité prend aussi en compte le jeu et la circulation des comédiens. Si je reste fidèle à mes options fondamentales, je ne me contente pas d’exploiter mes acquis, mais reste toujours ouvert à de nouvelles recherches. En cultivant l’esprit artisanal du théâtre auquel je demeure très attaché. ”

à la suite des aléas d’un exil familial, andré acquart arrive par hasard à Alger en 1930. Quelques années plus tard, une formation à la peinture et à la sculpture à l’école des beaux-arts lui ouvre ses premières créations de décor dans le théâtre universitaire. De retour en France en 1955, il collabore avec

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de très nombreux metteurs en scène pour le théâtre et l’opéra, parmi lesquels Roger Blin, Roger Planchon, Jean Vilar, Jean-Claude Fall, Louis Erlo ou Laurent Terzieff. Sa création scénographique compte aujourd’hui près de trois cent cinquante décors, le plus souvent accompagnés de la conception de costumes.

Elle témoigne d’une recherche attentive de formes et de matières à même d’instaurer une dialectique avec une œuvre et une dramaturgie. Ses réalisations ont largement contribué aux évolutions de la scénographie contemporaine.

La singularité romantique et la fantasmagorie de l’œuvre engagent, tout au long des trois actes, des climats changeants, traduits dans ce décor par une déclinaison de formes abstraites dont les reflets et les colorations varient sous les jeux de lumière. Les arbres de la forêt sont réalisés en tubes pvc laqués noir, et le marais évoqué par des tubes incolores. Sur cour et jardin, des panneaux-miroirs accentuent reflets et perspectives et contribuent à l’expression d’une virtuosité des images produites, en fusion avec la partition musicale. Avec en contre-point des costumes dont les formes épurées sont signifiantes de la condition des personnages.

ondine

d’après la pièce de Jean Giraudoux, livret et musique Daniel Lesur, mise en scène de Jean-Claude Fall, scénographie d’André Acquart, Théâtre des Champs-Élysées, Paris, 1982 Photo © André Acquart

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le bonnet de fou

le petit maître corrigé de Marivaux,

de Luigi Pirandello, mise en scène de Laurent Terzieff, scénographie d’André Acquart, Printemps des arts de Monaco et Théâtre de l’Atelier, Paris, 1997 Photo © André Acquart

mise en scène de Frédéric Tokarz, scénographie d’André Acquart, Théâtre Silvia-Montfort, Paris et Théâtre de l’Atelier, Paris, 1997 Photo © archives Nicolas Treatt

Ce drame situé dans une petite ville de Sicile au début du xxe siècle aborde les hypocrisies et les codes d’une société archaïque. Le décor unique évoque un salon bourgeois, clos latéralement jusqu’à l’avantscène par deux murs qui se referment de manière symbolique à la fin de la pièce. Au lointain, un couloir vitré introduit dans sa transparence les entrées et sorties des personnages. En surplomb, une large baie laisse apparaître le haut des façades des maisons environnantes, soulignant le climat oppressant qui règne dans la cité. Sans illustration superflue et avec une distorsion du réel, la temporalité de la pièce se manifeste surtout à travers le mobilier et les costumes inspirés des années 1920.

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La localisation de cette comédie sur les jeux de l’amour suscite un espace construit très architecturé aux lignes géométriques. Il ménage des vides et des zones d’apparition ou de dissimulation des personnages nécessitées par les actions de la pièce. En offrant un aspect de labyrinthe aux multiples entrées, dans une relation métaphorique avec les cheminements du cœur et des épousailles portés par cette satire sociale. De part et d’autre à l’avant du plateau, deux zones permettent un cadrage de scènes en alternance ou en simultanéité. L’une composée de mobilier utilitaire, l’autre d’un support de bois circulaire, dont l’aspect symbolique prolonge d’une certain façon l’esprit du texte.

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le bonnet de fou

le petit maître corrigé de Marivaux,

de Luigi Pirandello, mise en scène de Laurent Terzieff, scénographie d’André Acquart, Printemps des arts de Monaco et Théâtre de l’Atelier, Paris, 1997 Photo © André Acquart

mise en scène de Frédéric Tokarz, scénographie d’André Acquart, Théâtre Silvia-Montfort, Paris et Théâtre de l’Atelier, Paris, 1997 Photo © archives Nicolas Treatt

Ce drame situé dans une petite ville de Sicile au début du xxe siècle aborde les hypocrisies et les codes d’une société archaïque. Le décor unique évoque un salon bourgeois, clos latéralement jusqu’à l’avantscène par deux murs qui se referment de manière symbolique à la fin de la pièce. Au lointain, un couloir vitré introduit dans sa transparence les entrées et sorties des personnages. En surplomb, une large baie laisse apparaître le haut des façades des maisons environnantes, soulignant le climat oppressant qui règne dans la cité. Sans illustration superflue et avec une distorsion du réel, la temporalité de la pièce se manifeste surtout à travers le mobilier et les costumes inspirés des années 1920.

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La localisation de cette comédie sur les jeux de l’amour suscite un espace construit très architecturé aux lignes géométriques. Il ménage des vides et des zones d’apparition ou de dissimulation des personnages nécessitées par les actions de la pièce. En offrant un aspect de labyrinthe aux multiples entrées, dans une relation métaphorique avec les cheminements du cœur et des épousailles portés par cette satire sociale. De part et d’autre à l’avant du plateau, deux zones permettent un cadrage de scènes en alternance ou en simultanéité. L’une composée de mobilier utilitaire, l’autre d’un support de bois circulaire, dont l’aspect symbolique prolonge d’une certain façon l’esprit du texte.

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1985 1995

Gilone Brun Jean-Paul Chambas Alain Chambon Françoise Darne Gérard Didier Guy-Claude François Jean Haas Yannis Kokkos Michel Launay Jean-Guy Lecat Claude Lemaire

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LES DÉFRICHEURS 1975 / 1985

Christine Marest Philippe Marioge Chloé Obolensky Agostino Pace Richard Peduzzi Roberto Platé Nicky Rieti Danièle Rozier Jean-Marc Stehlé Jean-Pierre Vergier

LES DÉFRICHEURS 1975 / 1985

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1985 1995

Gilone Brun Jean-Paul Chambas Alain Chambon Françoise Darne Gérard Didier Guy-Claude François Jean Haas Yannis Kokkos Michel Launay Jean-Guy Lecat Claude Lemaire

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LES DÉFRICHEURS 1975 / 1985

Christine Marest Philippe Marioge Chloé Obolensky Agostino Pace Richard Peduzzi Roberto Platé Nicky Rieti Danièle Rozier Jean-Marc Stehlé Jean-Pierre Vergier

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Richard Peduzzi 1943, Argentan peintre scénographe architecte

“ Les inventeurs de la Renaissance et les chercheurs d’aujourd’hui de toute évidence partagent la même urgence et se posent la même question : comment éclairer différemment le monde qui les entoure ? Giotto, Paul Klee, Joseph Beuys, Léonard de Vinci, Charles Mingus, Federico Fellini et Jean-Luc Godard pourraient être assis à la terrasse d’un café au bord de la mer, silencieux, et regarder de la même façon, avec la même intensité, l’horizon qui s’ouvre devant leurs yeux. ”

Après avoir étudié le dessin à l’Académie Malebranche avec le sculpteur Charles Auffret, en 1967 richard peduzzi rencontre Patrice Chéreau et choisit le décor de théâtre comme forme d’expression et moyen de construire sa peinture. Leur collaboration n’a pas cessé, au théâtre, à l’opéra et au cinéma. Il travaille également avec Luc Bondy ( Le Temps et la Chambre de Botho Strauss, 1989 ). Pour le Mobilier national, il dessine de nombreux

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prototypes de meubles. En 1991, on lui confie la restauration et la scénographie de la bibliothèquemusée de l’Opéra national de Paris. Il met en scène la partie historique de l’Exposition universelle de Séville ( “ Le Paris du savoir ”, 1992 ), participe avec Henri Loyrette à de nombreuses expositions au musée du Louvre et au musée d’Orsay. Pour le Louvre, il réalise les espaces permanents de l’histoire du palais. Il a dirigé l’ensad à Paris ( 1990-2002 ) avant

d’être nommé directeur de l’Académie de France à Rome ( 2002-2008 ). Il conçoit l’architecture extérieure et intérieure du nouveau cuvier au château Mouton-Rothschild pour juin 2013. Il prépare aussi pour 2013 Tartuffe de Molière avec Luc Bondy, et avec Patrice Chéreau Elektra de Richard Strauss pour le Festival d’Aix-en-Provence et Comme il vous plaira de Shakespeare pour l’OdéonThéâtre de l’Europe en 2014.

Il fixe pour Le Massacre à Paris son horizon et son regard, perspective à la fois fermée et ouverte qui reflète son paysage intérieur. S’y confondent les souvenirs de son enfance au Havre au milieu des ruines et des décombres jonchant le port, des entrepôts industriels aux façades de brique, des buildings modernes d’Auguste Perret en construction entre l’océan, la terre et le ciel, et les architectures et les peintures des palais de la Renaissance italienne que lui faisait découvrir son père. Tout cela donne le cadre de la tragédie du Massacre, où les personnages pataugent dans l’eau comme dans le sang et la mort. S’exprime là cette symbiose allégorique qui est sa marque entre onirisme et “ réalisme maniaque ”, selon les mots de Patrice Chéreau, abstraction et figuration, théâtralité et réalité, peinture et architecture, qui dessine au-delà de toute reconstitution historique l’univers qui lui est propre. Le metteur en scène s’empare de l’eau, des grandes maisons mouvantes, des ciels peints et les fait vivre à la manière de personnages, témoins silencieux de l’action.

Le Massacre à Paris

de Christopher Marlowe, mise en scène de Patrice Chéreau, scénographie de Richard Peduzzi, Théâtre national populaire, Villeurbanne, 1972 Photo de l’esquisse © Béatrice Hatala

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Richard Peduzzi 1943, Argentan peintre scénographe architecte

“ Les inventeurs de la Renaissance et les chercheurs d’aujourd’hui de toute évidence partagent la même urgence et se posent la même question : comment éclairer différemment le monde qui les entoure ? Giotto, Paul Klee, Joseph Beuys, Léonard de Vinci, Charles Mingus, Federico Fellini et Jean-Luc Godard pourraient être assis à la terrasse d’un café au bord de la mer, silencieux, et regarder de la même façon, avec la même intensité, l’horizon qui s’ouvre devant leurs yeux. ”

Après avoir étudié le dessin à l’Académie Malebranche avec le sculpteur Charles Auffret, en 1967 richard peduzzi rencontre Patrice Chéreau et choisit le décor de théâtre comme forme d’expression et moyen de construire sa peinture. Leur collaboration n’a pas cessé, au théâtre, à l’opéra et au cinéma. Il travaille également avec Luc Bondy ( Le Temps et la Chambre de Botho Strauss, 1989 ). Pour le Mobilier national, il dessine de nombreux

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prototypes de meubles. En 1991, on lui confie la restauration et la scénographie de la bibliothèquemusée de l’Opéra national de Paris. Il met en scène la partie historique de l’Exposition universelle de Séville ( “ Le Paris du savoir ”, 1992 ), participe avec Henri Loyrette à de nombreuses expositions au musée du Louvre et au musée d’Orsay. Pour le Louvre, il réalise les espaces permanents de l’histoire du palais. Il a dirigé l’ensad à Paris ( 1990-2002 ) avant

d’être nommé directeur de l’Académie de France à Rome ( 2002-2008 ). Il conçoit l’architecture extérieure et intérieure du nouveau cuvier au château Mouton-Rothschild pour juin 2013. Il prépare aussi pour 2013 Tartuffe de Molière avec Luc Bondy, et avec Patrice Chéreau Elektra de Richard Strauss pour le Festival d’Aix-en-Provence et Comme il vous plaira de Shakespeare pour l’OdéonThéâtre de l’Europe en 2014.

Il fixe pour Le Massacre à Paris son horizon et son regard, perspective à la fois fermée et ouverte qui reflète son paysage intérieur. S’y confondent les souvenirs de son enfance au Havre au milieu des ruines et des décombres jonchant le port, des entrepôts industriels aux façades de brique, des buildings modernes d’Auguste Perret en construction entre l’océan, la terre et le ciel, et les architectures et les peintures des palais de la Renaissance italienne que lui faisait découvrir son père. Tout cela donne le cadre de la tragédie du Massacre, où les personnages pataugent dans l’eau comme dans le sang et la mort. S’exprime là cette symbiose allégorique qui est sa marque entre onirisme et “ réalisme maniaque ”, selon les mots de Patrice Chéreau, abstraction et figuration, théâtralité et réalité, peinture et architecture, qui dessine au-delà de toute reconstitution historique l’univers qui lui est propre. Le metteur en scène s’empare de l’eau, des grandes maisons mouvantes, des ciels peints et les fait vivre à la manière de personnages, témoins silencieux de l’action.

Le Massacre à Paris

de Christopher Marlowe, mise en scène de Patrice Chéreau, scénographie de Richard Peduzzi, Théâtre national populaire, Villeurbanne, 1972 Photo de l’esquisse © Béatrice Hatala

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L’idée du décor de Hamlet lui est venue très vite. Il s’agissait de faire naître des espaces différents à partir d’un seul décor, principe déjà exploré pour l’opéra de Mozart Lucio Silla où se dressait frontalement une façade de mur aveugle, qui se servait d’éléments composites glissant pour modeler l’espace, produire des formes positives et négatives et faire vivre le mur. Avec Hamlet, il a eu cette vision de façade palladienne renversée comme un ventre gigantesque qui respirerait avec des entrailles actives. En un sens toute la tragédie de Hamlet repose sur la mort d’un père, le passage d’une génération à une autre, la fin du Moyen Âge qui s’ouvre sur la Renaissance. Au pied de la façade médiévale de la cour d’honneur à Avignon, le décor de Hamlet, façade renaissante posée à même le sol, était comme une page de livre tournée vers l’avenir.

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L'ENVOLÉE 1985 / 1995

Hamlet

de William Shakespeare, mise en scène de Patrice Chéreau, scénographie de Richard Peduzzi, Festival d’Avignon, 1988 Maquette pour le décor. Marqueterie de bois. Photo de la maquette © Béatrice Hatala

Le Tour d’écrou

musique de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper inspiré d’une nouvelle de Henry James, mise en scène de Luc Bondy, scénographie de Richard Peduzzi, Festival d’Aix-en-Provence, 2011 Photo © Élisabeth Carecchio

Une jeune gouvernante tente d’arracher deux orphelins à l’influence des spectres des domestiques hantant le manoir où ils servaient de leur vivant. Le Tour d’écrou comporte quinze tableaux différents. Il a été créé au Théâtre du Jeu de paume d’Aixen-Provence, huit mètres d’ouverture de scène sans aucun dégagement. À l’aide d’un vocabulaire d’architectures mobiles épurées s’imbriquant les unes dans les autres, il reconstitue l’espace inquiétant d’un château perdu, dressé au centre d’un plan d’eau. Un mobilier raréfié caractérise chaque lieu, salle de classe, chambre d’enfant, berges, bord du lac. La scène donne à imaginer un au-delà étrange et troublant, une immensité masquant au spectateur l’exiguïté du lieu et du cadre dans lequel se déroule le drame. L’illusion d’immensité se transforme peu à peu, se resserre sur les enfants et les spectateurs et l’on se retrouve pris au piège au fond d’un cachot obscur.

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L’idée du décor de Hamlet lui est venue très vite. Il s’agissait de faire naître des espaces différents à partir d’un seul décor, principe déjà exploré pour l’opéra de Mozart Lucio Silla où se dressait frontalement une façade de mur aveugle, qui se servait d’éléments composites glissant pour modeler l’espace, produire des formes positives et négatives et faire vivre le mur. Avec Hamlet, il a eu cette vision de façade palladienne renversée comme un ventre gigantesque qui respirerait avec des entrailles actives. En un sens toute la tragédie de Hamlet repose sur la mort d’un père, le passage d’une génération à une autre, la fin du Moyen Âge qui s’ouvre sur la Renaissance. Au pied de la façade médiévale de la cour d’honneur à Avignon, le décor de Hamlet, façade renaissante posée à même le sol, était comme une page de livre tournée vers l’avenir.

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Hamlet

de William Shakespeare, mise en scène de Patrice Chéreau, scénographie de Richard Peduzzi, Festival d’Avignon, 1988 Maquette pour le décor. Marqueterie de bois. Photo de la maquette © Béatrice Hatala

Le Tour d’écrou

musique de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper inspiré d’une nouvelle de Henry James, mise en scène de Luc Bondy, scénographie de Richard Peduzzi, Festival d’Aix-en-Provence, 2011 Photo © Élisabeth Carecchio

Une jeune gouvernante tente d’arracher deux orphelins à l’influence des spectres des domestiques hantant le manoir où ils servaient de leur vivant. Le Tour d’écrou comporte quinze tableaux différents. Il a été créé au Théâtre du Jeu de paume d’Aixen-Provence, huit mètres d’ouverture de scène sans aucun dégagement. À l’aide d’un vocabulaire d’architectures mobiles épurées s’imbriquant les unes dans les autres, il reconstitue l’espace inquiétant d’un château perdu, dressé au centre d’un plan d’eau. Un mobilier raréfié caractérise chaque lieu, salle de classe, chambre d’enfant, berges, bord du lac. La scène donne à imaginer un au-delà étrange et troublant, une immensité masquant au spectateur l’exiguïté du lieu et du cadre dans lequel se déroule le drame. L’illusion d’immensité se transforme peu à peu, se resserre sur les enfants et les spectateurs et l’on se retrouve pris au piège au fond d’un cachot obscur.

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