Extrait "Faites vos jeux !"

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Faites vos jeux !

La vie musicale dans les casinos français (XIXe-XXe siècle) sous la direction de Martin Guerpin et Étienne Jardin

ACTES SUD / PALAZZETTO BRU ZANE

La vie musicale dans les casinos: un domaine d’étude à cartographier

Musique et casino: cette association stimule immanquablement l’ima gination. Les Ballets russes à Monte Carlo, les mégaconcerts de Johnny Hallyday (1996) et Céline Dion (2003‑2019) à Las Vegas, ou encore le fox‑trot et la musique caribéenne entendus au casino de Canto Bight dans Star Wars, Épisode viii, Les Derniers Jedi (2017) sont autant de références largement partagées. De vifs souvenirs peuvent conserver des lieux plus modestes : tous les habitants de Saint‑Valéry‑en‑Caux (Seine‑Maritime, 4000 habitants) se souviennent des concerts de Gilbert Bécaud ou de Sylvie Vartan qui ont eu lieu dans la salle de cinéma du casino de la ville. À 6km de là, toujours au bord de la Manche et au pied des falaises, tout le monde connaît Paul Noël (97ans), pianiste natif de Veules‑les‑Roses qui, au long de sa carrière, a animé le casino de la petite station balnéaire (500 habitants hors saison). On évoque souvent ces images saillantes, sans songer à regarder ce qu’elles montrent. Elles sont pourtant les parties émergées d’un iceberg: la vie musicale dans les casinos, dont on a peine aujourd’hui à se figurerla richesse et l’intensité entre la seconde moitié du xix e siècle et la findu xx e siècle.

La première originalité de Faites vos jeux ! consiste ainsi à lever le voile sur une réalité méconnue, dont la découverte suscite toujours la curio sité et l’intérêt des chercheurs ou des amateurs d’histoire du patrimoine. Du point de vue de l’historiographie, ce livre propose la première étude systématique de la vie musicale dans les casinos et, par extension, dans les stations balnéaires et thermales. Ce faisant, les différentesthématiques de ce projet apportent une contribution importante à plusieurs domaines d’étude.

Introduction
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FAITES VOS JEUX!

Définition

Il est cependant nécessaire, avant de considérer les casinos français comme des lieux de musique, de préciser la définitionque nous gardons de cet objet. Le terme casino est un italianisme qui apparaît dans la langue fran‑ çaise au milieu du xviii e siècle pour parler d’une maison de plaisance. Signifint littéralement “petite maison”, le mot italien désigne depuis le xvi e siècle une maison de campagne, un lieu de prostitution, puis, au siècle suivant, également un établissement de jeux1. Cette dernière acception prime au xix e siècle, notamment lors des fièvresthermales des années 1860 et1880 18902, qui correspondent à deux vagues de construction de casinos. L’apparition du mot dans le Dictionnaire de l’Académie française advient en 1878. On l’emploie alors pour un “établissement de jeu, de lecture, de conversation,etc.3”. Six ans auparavant, casino a également fait son entrée dans un dictionnaire musical. La 5e édition de celui dirigé par les frères Escudier en donne cette définitio: “Casino . Mot italien. Se dit d’un lieu où l’on se rassemble pour se livrer au plaisir de la musique, de la danse et du jeu4.”

Au début de la Troisième République, ce type d’espace promet donc des divertissements pluriels. Non pas seulement des jeux d’argent – quand ceux‑ci sont autorisés ou simplement tolérés5 –, mais aussi des spectacles ou diverses activités chargées d’occuper ou de faciliter la socialisation dans un lieu donné. L’implantation de ces établissements dans les villes thermales ou balnéaires tient à la législation du jeu en France: le décret napoléonien du 24juin 1806 autorise des exceptions à l’interdiction générale des jeux d’argent pour ce type de ville. Alors que de premières

1. Voir les informations rassemblées sur le site du Centre national de ressources tex tuelles et lexicales, en ligne: cnrtl.fr.

2. Paul Gerbod , “Les «fièvresthermales» en France au xix e siècle”, Revue historique 277/2 (1987), p. 309‑334.

3. Dictionnaire de l’Académie française, 1878, vol.1, p.260. Les exemples d’usage du mot sont les suivants : “Il passe toutes ses soirées au casino. On trouve des casinos dans plusieurs villes d’eaux. ”

4. Léon et Marie Escudier, Dictionnaire de musique théorique et historique, Paris : Dentu, 1872 [5e édition], p. 96.

5. Voir Jean Louis Harouel , “De François I er au pari en ligne, histoire du jeu en France”, Pouvoirs 139/4 (2011), p. 5‑14.

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structures voient le jour dans les années 1820 – en 1822 à Dieppe ou en 1825 à Boulogne sur Mer –, il faut néanmoins constater que la période la plus faste des casinos débute au tournant du xx e siècle. La fréquence même du terme dans les écrits français connaît un pic significatifentre les premières heures de la Belle Époque et la findes Années folles, ce qui corrobore les bornes chronologiques d’un âge d’or de l’activité artistique de ces établissements identifiéesdans de précédents travaux1.

Gallicagram pour le terme “casino” entre 1800 et 19502

Depuis la loi du 15juin 1907 relative aux casinos, leur définitions’est stabilisée : le terme désigne légalement “un établissement comportant trois activités distinctes: le spectacle, la restauration et le jeu [d’argent], réunis sous une direction unique3”. En se basant sur cette description, le présent

1.Martin Guerpin , “L’âge d’or de la vie lyrique dans les casinos français (1900‑1939)”, Histoire de l’opéra français. De la Belle Époque au monde globalisé, sous la direction d’Hervé Lacombe , Paris: Fayard, 2022, p. 469‑480.

2.Benjamin Azoulay et Benoît deCourson, Gallicagram : un outil de lexicométrie pour la recherche, 2021, en ligne.

3. “Arrêté du 23décembre 1959, portant réglementation des jeux dans les casinos”, Journal officielois et décrets, 29 décembre 1959, p. 12490.

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ouvrage exclut de son périmètre les lieux de concert –tels que le Casino de Paris ou le Casino d’Arras–, qui ne proposent pas de jeux d’argent. Faites vos jeux ! s’intéresse à des établissements polyvalents qui, en plus des tables de jeu, disposent d’espaces dédiés aux attractions artistiques. Si musique, danse et théâtre y sont privilégiés, c’est sans doute parce que les curistes –le premier public des stations où les casinos sont implantés –forment un groupe de gens aisés, familiers à la pratique de ces arts (en spectateur ou en amateur) et à la recherche de divertissements. Il s’agit de tromper l’ennui au cours d’un traitement que l’on suit loin de son cercle de sociabilité habituel. Afinde répondre à cette demande, tout un environnement doit se mettre en place. On peut ainsi observer la lente structuration de la vie musicale de Boulogne sur Mer, sous la monarchie de Juillet, comme une réponse aux besoins des curistes venant toujours plus nombreux tester les bains de mer dans cette ville, étape entre Paris et Londres1. Attirer des musiciens compétents, constituer des orchestres complets, recruter des danseurs, disposer de lieux propices à l’exécution des œuvres (en salle ou en plein air): tout ceci ne se produit certainement pas du jour au lendemain. La période faste 1880‑1940 –qui sera la plus abordée au cours de ce livre– est précédée d’un temps de gestation au cours duquel l’émergence des casinos n’est que l’une des composantes du développement artistique des villes françaises.

Puisqu’elle ne s’exprime que durant une saison de l’année (l’été ou l’hi‑ ver, selon les implantations d’établissement), l’activité des casinos pourrait n’avoir qu’une faible empreinte sur la vie artistique locale permanente. Spectateurs et interprètes, comme des oiseaux de passage, quitteraient les lieux une fois la période des cures terminée, sans laisser de traces. Mais ce serait compter sans les bâtiments qui les accueillent. Ceux‑ci, loin d’avoir un caractère éphémère, s’inscrivent durablement dans le paysage urbain et peuvent, au gré des modes et des capacités financièresdu moment, servir des arts et des genres très divers. En choisissant d’aborder leur étude sur le temps long, on souhaite ainsi montrer comment ils permettent de mener – au delà de leur usage commercial premier– de véritables politiques artistiques ou culturelles.

1. Voir Étienne Jardin , “Une étape entre Paris et Londres. La vie musicale à Boulogne sur‑Mer (1823‑1848)”, Bru Zane Mediabase (2012), en ligne.

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État des lieux historiographique

Ce livre se situe à l’intersection de deux champs de recherche: les études sur le concert et les autres dispositifs de présentation de la musique; et les études sur le thermalisme et le balnéarisme.

Les casinos: un parent pauvre des études sur les lieux de musique et de spectacles

L’idée d’aborder l’histoire de la musique par les lieux où elle prend vie plutôt que par un genre, un artiste, un instrument ou une période, s’inscrit dans un courant de la recherche qui a déjà donné de précieux résultats1. Prolongeant le spatial turn entamé par les sciences sociales à la findes années 1990, un séminaire dirigé par Michael Werner et Patrice Veit – intitulé “Lieux et espaces de la musique2” – s’est particulièrement penché sur ces questions entre 2002 et 2014 en mobilisant plusieurs disciplines : histoire, musicologie, architecture, sociologie, géographie et histoire de l’art. Faites vos jeux ! s’inscrit dans le sillage de ces travaux, aux côtés de livres tels qu’Espaces et lieux de concert en Europe, 1700-1920 dirigé par Hans Erich Bödecker, Patrice Veit et Michael Werner3 ou, plus récem ment, L’Église comme lieu de concert de Fanny Gribenski4.

Toutefois, histoire du concert et “vie musicale” ne sont pas synonymes. La première est loin d’épuiser la seconde. Par “vie musicale”, nous enten‑ dons l’ensemble des événements dans lesquels la musique joue un rôle. Or, dans les casinos, ces activités ne se limitent pas aux concerts. Elles concernent aussi les représentations lyriques ou chorégraphiques dans des salles de spectacle. Dans les kiosques, l’exécution musicale peut être

1. Parmi les travaux pionniers dans le domaine français, voir par exemple Nicole Wild, Dictionnaire des théâtres parisiens au xixe siècle : les théâtres et la musique, Paris : Aux Amateurs de livres, 1989; et Marie‑Claire Mussat, La Belle Époque des kiosques à musique, Paris: Éditions du May, 1992.

2. Voir Michael Werner , “Lieux et espaces de la musique. Retour sur un séminaire”, Transposition hors série 1 (2018), en ligne.

3. Hans Erich Bödecker , Patrice Veit et Michael Werner, Espaces et lieux de concert en Europe, 1700-1920. Architecture, musique, société, Berlin: Berliner Wissenschafts Verlag, 2008.

4.Fanny Gribenski, L’Église comme lieu de concert, Arles: Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2019.

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l’objet d’une écoute attentive pour des auditeurs assis, en même temps qu’un fond sonore agrémentant une promenade dans un parc ou sur le front de mer1. La musique apparaît encore dans les salles de bal (puis dancings, boîtes de nuit et clubs) aménagées à l’intérieur des casinos, dans les restaurants et les bars: autant de lieux à sonoriser pour y attirer une clientèle en quête de divertissements. La raison d’être des casinos – de nombreuses cartes postales en témoignent– consiste bien à tromper l’ennui des curistes ou des villégiateurs.

La notion de “vie musicale” incite à interroger le répertoire programmé, révélateur des goûts d’un public dont il s’agit d’analyser également la structure sociologique. Elle demande donc que l’on se penche aussi sur les acteurs qui la rendent possible: du directeur de casino au musicien du rang en passant par les programmateurs ou directeurs artistiques, les chanteurs vedettes, les danseuses étoiles et les chefs d’orchestre. La tempo ralité des phénomènes doit, de plus, attirer notre attention. Étudier la “vie musicale” d’un casino, c’est se demander à quelle période de l’année on y organise des manifestations artistiques, s’interroger sur la manière dont elles s’articulent les unes aux autres à l’échelle d’une saison, d’une semaine ou d’une journée, mais aussi questionner leur place et leur rôle dans le calendrier d’une station. Nous partons ici de l’hypothèse selon laquelle le casino ne fonctionne pas en vase clos au sein d’une station balnéaire ou thermale. Il fait partie d’un système qui englobe les établissements thermaux ou de bain, parfois gérés par des médecins qui exercent une influence importante sur le mode de vie des curistes, les grands hôtels ainsi que les différents commerces de la ville. Pas d’étude sur la vie musicale de établissements de jeux, en somme, sans prise en compte des spécificités des stations thermales et balnéaires qui les accueillent.

La musique: un parent pauvre des études sur le thermalisme et le balnéarisme

C’est la raison pour laquelle l’étude de la vie musicale dans les casinos s’inscrit également dans le champ des études sur le thermalisme et le balnéarisme

1.Marie Claire Mussat , “Musique et vie mondaine sur la Côte d’Émeraude dans le dernier quart du xix e siècle”, Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne 71 (1994), p. 253‑277.

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français, qui s’est développé dès les années1980, grâce à des historiens de l’art et de l’architecture. Après une première monographie consacrée à une station thermale1, deux synthèses sur l’architecture et l’urbanisme de ces stations2, les recherches sur le thermalisme et le balnéarisme ont pu bénéficie de l’impulsion de Dominique Jarrassé et Bernard Toulier. Le premier s’est intéressé à la naissance et au développement de l’économie et des pratiques du thermalisme et de la villégiature3, au moment où ils se sont développés dans leur forme moderne, mais aussi sur le temps long4. Une dynamique collective s’est alors développée dans ce domaine. Elle s’est traduite par la publication de plusieurs ouvrages5 et reste entretenue aujourd’hui à travers des programmes de recherche comme celui piloté par Nicolas Meynen et Steve Hagimont (“Thermalisme,Culture et Villégiature dans les Pyré nées”, 2017‑2022) ou encore “BALNEOMAR, production de l’espace balnéaire dans les villes littorales: circulation des expériences” en France et au Brésil (2018‑2021), dirigé par Paulo Cesar daCosta Gomes et Laurent Vidal. Signe supplémentaire de cette dynamique: le séminaire “Thermalism et Politique (xvii e xix e siècle)”, animé à l’École normale supérieure de Lyon par Samuel Cuisinier Delorme, Sophie Vasset et François Zanetti.

1.Marie HélèneContal, Vittel 1854-1936 : création d’une ville thermale, Paris : Éditions du Moniteur, 1982.

2.LiseGrenier (dir.), Villes d’eaux en France [exposition, École nationale supérieure des Beaux-Arts (Paris), 16 janvier-24 mars 1985], Paris: Institut français d’architecture, 1984 ; et Dominique Rouillard, Le Site balnéaire, Liège: Mardaga, 1984. Voir aussi Armand Wallon, La Vie quotidienne dans les villes d’eau (1850-1914), Paris: Hachette, 1981.

3. Dominique Jarrassé, Les Thermesromantiques: bains et villégiatures en France de 1800 à 1850, Clermont‑Ferrand : Centre d’histoire des entreprises et communautés de l’Institut d’études du Massif central, 1992.

4. Dominique Jarrassé (dir.), 2000 ans de thermalisme. Économie, patrimoine, rites et pratiques, Clermont Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1996.

5. Voir par exemple Paul Gerbod, Loisirs et santé. Le thermalisme en Europe des origines à nos jours, Paris: Honoré Champion, 2004; Jérôme Penez, Histoire du thermalisme en France au xixe siècle, Paris : Economica, 2005; John Scheid , Marilyn Nicoud , DidierBoisseuil et Joël Coste (dir.), Le Thermalism: approches historiques et archéologiques d’un phénomène culturel et médical, Paris: CNRS, 2015 ; Viviane Delpech(dir.), Numéro “Thermalisme,montagne et politique”, Cahiers d’Histoire Immédiate 54 (2020) ; et Esteban CastañerMuñoz , Laurent Jalabert et Nicolas Meynen (dir.), Thermalisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxie siècle, Pau: Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour, 2020.

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Quant à Bernard Toulier, historien de l’architecture, il a consacré de nombreux travaux à l’urbanisme des stations thermales et balnéaires ainsi qu’à une typologie des bâtiments caractéristiques du thermalisme1. Égale‑ ment chercheur au service de l’Inventaire général de la Région Centre, il a participé à rendre les villes d’eaux objets de politiques de patrimonialisation. Ici, recherche et politiques culturelles publiques2 deviennent un enjeu l’une pour l’autre. Bernard Toulier illustre bien ce croisement puisqu’en plus de ses recherches, il a joué un rôle important dans l’inventaire du patrimoine de la villégiature (balnéaire, thermale, montagnarde), développé au sein de l’Inventaire général du Patrimoine à partir des années 19803. Que cette date coïncide avec les premières publications scientifiques sur le sujet vien sans doute d’une prise de conscience, il y a aujourd’hui quarante ans, de l’importance de l’architecture balnéaire et thermale dans un contexte de déclin de la villégiature et de destruction de certains bâtiments à des fins de modernisation. Ce mouvement, qui s’institutionnalise en 1989 grâce à la création d’une UMR au sein du Centre André Chastel, a encouragé le développement d’approches privilégiant souvent la dimension régionale4, voire locale5.

Cette bibliographie a également été enrichie par des travaux érudits réalisés au sein d’associations perpétuant le modèle des sociétés savantes

1.Toulier, Villes d’eaux ; Bernard Toulier (dir.), Numéro spécial “Les réseaux de la villégiature”, InSitu 4 (2004), en ligne; Toulier (dir.), Architecture et urbanisme ; et Bernard Toulier (dir.), Tous à la plage !, Paris: Liénart éditions/Cité de l’architecture et du patrimoine, 2016.

2. Les entreprises gérant les casinos, quant à elles, ont rarement le souci de préserver ou de mettre en avant leur histoire (elles le font bien plus volontiers quand cette histoire devient un argument commercial susceptible d’attirer une clientèle nouvelle).

3.Hervier , “La villégiature dans les publications de l’inventaire général: 1964‑2014”.

4.MarcBoyer, Le Thermalismedans le grand Sud-Est de la France, Grenoble: Presses uni versitaires de Grenoble, 2005 ; Richard Bucaille , Jeanne Virieux , Olivier Meunier etal., Thermalismeet architecture thermale en Puy-de-Dôme, xixe -xxie siècle, Clermont‑Ferrand : Un, deux, quatre éditions, 2013; Agathe Aoustin, Urbanisme et architecture balnéaire de la Côte de Jade: 1820-1975, thèse de doctorat en Histoire de l’art, sous la direc tion d’Alexandre Gady , Université Paris‑Sorbonne, 2013. Voir également Dominique Jarrassé (dir.) Villes d’eaux des Pyrénées Occidentales, actes du colloque d’avril 1994, Clermont Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1996, et le récent colloque “The malisme et patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviii e au xxi e siècle”.

5.AlicedeLaTaille, Petite histoire de Bagnères-de-Luchon, Pau: éditions du Cairn, 2021.

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locales. Souvent tenues en lisière des milieux académiques “profession nels”, ces publications peuvent s’avérer précieuses pour la recherche actuelle. Elles rendent en effetdisponibles des connaissances précises concernant la chronologie d’une station, la localisation d’un fonds d’ar‑ chives ou encore l’existence de collectionneurs et de témoins directs de la vie musicale d’un casino. Des sociétés comme celle des “Amis du Musée de Trouville et du passé régional” ont ainsi mis à notre disposi‑ tion de précieuses connaissances, grâce à leur revue Athéna sur la Touques1. Dans le paysage des travaux sur le balnéarisme et le thermalisme, ce type de publications joue un rôle important, car il est le seul, ou presque, à s’intéresser aux casinos et à la musique qui s’y joue. En effet parmi les nombreux écrits cités jusqu’à présent, un seul ouvrage accorde une attention particulière à la musique : Water Music de Ian Bradley2. L’historien anglais y présente sept stations thermales au Royaume Uni (Bath et Buxton), en Autriche (Baden bei Wein, Bad Ischl), en Alle magne (Baden Baden) et aux États Unis (Saratoga Springs), et signale l’importance qu’y joue la musique dans la vie quotidienne des curistes. L’ouvrage de Bradley montre également que ces stations furent des lieux de vie, de travail et de sociabilité pour les compositeurs. Ce faisant, il ouvre la voie à des travaux beaucoup plus fouillés, tels que le beau livre de Rémy Campos sur les villégiatures de Claude Debussy à Houlgate3. L’une des originalités de ce livre repose sur l’utilisation de photo graphies et de cartes postales, dont l’importance en tant que source pour l’histoire fut signalée dès 19474.

1. Voir, entre autres, Yves Aublet (dir.), Numéro “Les créateurs du casino de Deauville et leurs successeurs”, Athéna sur la Touques 155 (2003); Jean Moisy (dir.), Numéro “Villerville, son casino et la baleine de Simon Max”, Athéna sur la Touques 176 (2008) ; ou encore Claude Baumann , “La première saison théâtrale du Casino de Deauville”, Athéna sur la Touques 203 (2015), p. 17‑30. Voir également des publications du Centre havrais de recherches historiques, par exemple Alexandre Boucher‑Baudard, “Le casino Marie Christine entre faste et tragédie (1882‑1962)”, Cahiers havrais de recherches historiques 76 (2018).

2. Ian Bradley, Water Music: Music Making in the Spas of Europe and North America, Oxford : Oxford University Press, 2010.

3. Rémy Campos, Debussy à la plage, Paris: Gallimard, 2018.

4. Georges Guyonnet, La Carte postale illustrée, son histoire, sa valeur documentaire, Paris : Chambre syndicale de la carte postale illustrée, 1947.

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Développer les premiers travaux sur la musique et les spectacles dans les casinos

L’absence globale de la musique dans le champ des études balnéaires et thermales développé par des historiens de l’architecture et de l’urba‑ nisme, puis dans le domaine de l’histoire culturelle, ne signifiepas que les travaux sur la vie musicale des casinos français sont inexistants. Les premiers d’entre eux se sont développés au cours des années1990, dans le milieu musicologique, grâce à Yves Ferraton, François Lesure ou encore Marie‑Claire Mussat1. Le lieu de publication de ces travaux –une revue de société savante locale, un volume de mélanges hommages – témoigne de leur relative marginalité à l’époque de leur publication.

Cette situation a commencé à évoluer en 2017 sous l’impulsion de Sarah Di Bella, spécialiste de l’histoire du théâtre, dans le cadre d’un numéro thématique de la Revue d’histoire du théâtre2. Au delà de la nou veauté de son sujet, l’un des mérites de cet ouvrage consiste à accorder une place équivalente à la musique et aux autres genres spectaculaires. Le projet Faites vos jeux ! est né à la faveur d’un article programmatique sur la vie musicale des casinos publié dans ce numéro3, suivi par deux autres portant sur des sujets plus ciblés: la programmation lyrique à Vichy et la vie musicale dans cette station pendant la Seconde Guerre mondiale4. Ces textes jetaient déjà quelques éclairages sur un vaste continent encore

1.Mussat , “Musique et vie mondaine sur la Côte d’Émeraude dans le dernier quart du xix e siècle” ; François Lesure , “La Villégiature lyrique ou la musique dans les casi‑ nos au xix e siècle”, D’un Opéra l’autre. Hommage à Jean Mongrédien, sous la direction de Jean Gribenski , Marie‑Claire Mussat et Herbert Schneider , Paris: PUPS, 1996, p. 389‑398 ; Yves Ferraton , “L’Art lyrique à Vittel et le rôle de Charles Garnier”, même référence, p. 399‑404.

2. Sarah Di Bella (dir.), Dossier “Casinos et spectacles aux xix e et xx e siècles”, Revue d’histoire du théâtre 275 (2017): voir les articles de Rémy Campos (“Le « boulevard prolongé » : les casinos de la côte normande autour de 1910”), de Florence Poudru (“Le ballet au théâtre du Grand Casino de Vichy, 1900‑1925”) et de Philippe Normand (“Les grandes heures de la danse au casino de Deauville”).

3.Martin Guerpin , “La vie musicale dans les stations balnéaires et thermales (1880 1960). Jalons pour une histoire de la musique dans les casinos”, Revue d’histoire du théâtre 275 (2017).

4. Martin Guerpin , “Vichy sous Vichy, une nouvelle capitale lyrique (1900‑1944) ?”, Histoire de l’opéra français. De la Belle Époque au monde globalisé, sous la direction

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inexploré, d’où l’idée d’un projet collectif rassemblant une équipe de chercheurs (musicologues, historiens, historiens de la danse, spécialistes de l’architecture), grâce à un financementde la MSH Paris‑Saclay et du Palazzetto Bru Zane –Centre de musique romantique française.

En amont de la publication de cet ouvrage, un travail collectif aura permis de partager de précieuses informations sur la localisation des sources relatives à la vie musicale des casinos. Leur dispersion ainsi que leur caractère souvent lacunaire constituent, en effet,une difficultmajeure de cette entreprise. Pour documenter la vie musicale des casinos, le chercheur doit se partager entre la Bibliothèque nationale de France, des Archives départementales ou municipales, des fonds patrimoniaux de bibliothèques, des collections privées, ou encore des musées municipaux. Les plus remarquables d’entre eux sont le Musée de l’Opéra de Vichy, doté d’un centre de recherche actif, et le musée de Trouville – Villa Montebello. Le premier a accueilli un atelier sur les fonds d’archives des casinos1. Le second devait être l’hôte d’un colloque préparatoire à cet ouvrage, en collaboration avec le Casino municipal de Trouville sur Mer, avant que la Covid 19 ne nous oblige à opter pour une formule en distanciel2.

Objectifs

Ce livre s’appuie donc sur les contributions d’une équipe, ainsi que sur tous les travaux qui ont été cités précédemment. Ses objectifs découlent du triple constat qui ressort de leur passage en revue: l’absence de travaux consacrés aux casinos comme lieux de concert et de pratiques musicales ; la sous‑représentation de la musique dans les études sur le balnéaire; et la rareté des travaux consacrés à la programmation musicale des casinos.

Le premier de ces objectifs consiste à cartographier un champ de recherche qui, à mesure qu’on le défriche, semble s’élargir. Chacune des parties et chacun des chapitres abordent, à partir d’études volontairement précises d’Hervé Lacombe , Paris: Fayard, 2022, p. 262‑277 ; et Martin Guerpin , “L’âge d’or de la vie lyrique dans les casinos français (1900‑1939)”, même référence, p. 469‑480.

1. Atelier “Documenter la vie musicale des Casinos” (5février 2020).

2.Colloque Faites vos jeux. La Vie musicale dans les casinos (France, xixe -xxie siècle), Villa Montebello (Trouville‑sur‑Mer), puis à distance (28‑29 mai 2021).

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et fouillées, les principaux terrains d’investigation à explorer de manière systématique dans le domaine des études sur la vie musicale dans les casi nos et les villes d’eaux. Faites vos jeux ! n’a donc de synthétique que son ambition de présenter les multiples facettes d’un domaine d’étude émer‑ gent. Il peut être lu à la manière d’un “compagnon de recherche” (sur le modèle anglophone du Companion to…) qui pourrait être consulté un peu partout pour fournir les questions intéressantes à se poser, mais aussi pour présenter des sources, ainsi que la manière dont on peut les interroger.

Le second objectif de l’ouvrage concerne son contenu. Il met en évi‑ dence l’importance de la vie musicale dans les casinos et sa place dans l’expérience musicale quotidienne d’une grande partie du public français. Ce faisant, il vise à connecter, tout en y apportant une contribution, les domaines déjà évoqués de la musicologie (l’histoire du concert en particulier) et les études sur le thermalisme et le balnéarisme, ces deux champs demeurant relativement cloisonnés jusqu’à aujourd’hui, à de rares et ponctuelles exceptions près1.

Faites vos jeux entend aussi contribuer à une histoire de la musique en France qui ne soit pas (dans les faits) uniquement une histoire de la musique à Paris. Ce livre s’inscrit ainsi dans le sillage des récents travaux de Katharine Ellis –notamment son livre French Musical Life2 – qui abordent différentesformes de décentralisation et de régionalisme en s’intéressant à des villes telles que Montpellier, Strasbourg, Lyon ou encore Bordeaux. La vie musicale des casinos concerne en effetprès de 200 villes françaises, qu’il s’agisse de capitales régionales comme Nice, Vichy ou Tunis (de nombreux casinos furent actifs dans l’Empire colonial), ou de petites bourgades, telles que Pougues‑les‑Eaux (Nièvre), Yport (Seine‑Maritime) ou Ault (Somme). Et ce pendant plusieurs mois par an: le temps de

1. Voir Marie Claire Mussat , “Les kiosques à musique dans les villes d’eau: un mode de vie”, 2000 ans de thermalisme. Économie, patrimoine, rites et pratiques, sous la direction de Dominique Jarrassé , Clermont‑Ferrand : Institut d’études du Massif central, 1996, p. 231‑251 ; et Théophile Bonjour , “La musique dans les stations thermales savoyardes au xix e siècle : un patrimoine industriel à redécouvrir”, Thermalismeet patrimoines dans les zones de montagne en Europe du xviiie au xxie siècles, sous la direction d’Esteban Castaner , Laurent Jalabert et Nicolas Meynen , Pau: Presses universitaires de Pau, 2020, p. 115‑129.

2. Katharine, Ellis French Musical Life: Local Dynamics in the Century to World War II, Oxford, Oxford University Press, 2022.

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saisons estivales (qui s’étendent généralement du mois de juin à la findu mois de septembre) ou, dans le cas de la Côte d’Azur, de saisons hiver nales (de décembre à mars ou avril). En résulte une grande variété des rôles de la musique dans les casinos, de la fréquence des concerts ou des bals, des répertoires interprétés, du nombre et de l’importance des lieux artistiques, de la taille et de la qualité des orchestres qui s’y produisent et, le cas échéant, des troupes lyriques et chorégraphiques embauchées.

Plan et présentation des chapitres

Afinde répondre à ces différentsobjectifs, les chapitres ont été organisés en sept grandes parties, chacune illustrée par une affichtouristique de la Belle Époque, montrant à quel point les casinos sont des éléments récur rents dans les discours publicitaires des stations thermales et balnéaires. “L’organisation des loisirs” pose plusieurs cadres, valables pour l’ensemble des études rassemblées dans ce livre, et offredes éléments de contexte. Rémy Campos s’intéresse aux modalités d’exécution et d’écoute proposées dans les stations et invite à considérer la porosité des frontières entre les établissements de jeux et la ville qui les abrite. De la même manière qu’il semble aisé de circuler à l’intérieur d’un casino –depuis les tables de jeu jusqu’aux espaces de spectacles–, leur ouverture “à tous vents” fait de leurs abords des prolongements du bâtiment. C’est donc l’ensemble des espaces qui les entourent –promenades et kiosques– qui doivent être pris en compte quand on se penche sur le paysage sonore d’une station comme Deauville. Gilles Demonet passe ensuite en revue la législation française relative aux jeux et aux salles de spectacle situées dans les casinos. Il montre comment, au cours du xx e siècle, ces dernières sont devenues des instruments d’aménagement du territoire en matière culturelle. Entre, d’une part, l’obligation de rendre un service public lié aux subventions qu’elles touchent et, d’autre part, la nécessité de connaître une certaine réussite commerciale pour subsister, leur situation paraît délicate. Enfin Sandrine Dubouilh pose les premières pierres d’une histoire architecturale des salles de spectacle des casinos qui reste encore largement à construire. Comme de nombreux terrains d’étude abordant l’activité artistique fran çaise en dehors de Paris, une approche globale se heurte en effetà la dispersion des sources dans les fonds départementaux oumunicipaux.

INTRODUCTION 33

La typologie desespaces qu’elle propose dans ce chapitre devrait néan moins permettre, à l’avenir, de rassembler les chercheurs autour d’un terrain savamment balisé.

Avec “La programmation musicale des casinos”, le livre quitte les consi ‑ dérations générales pour s’intéresser à des exemples particuliers. L’échelle des monographies présentées varie: un pays (la Tunisie, pour Jann Pasler), un segment régional (la Côte d’Émeraude, pour Marie‑Claire Mussat; la côte normande pour Christophe Pécout) ou une ville (Vichy, pour Martin Guerpin et Yannick Simon). La durée de la période étudiée aussi. Quatre chapitres analysent des phénomènes qui se déroulent sur plusieurs décen‑ nies, ce qui leur permet d’aborder l’évolution à la fois du répertoire joué et des artistes en présence. En revanche, Yannick Simon s’intéresse à un moment précis de l’histoire du casino de Vichy: la Tétralogie wagnérienne que celui ci propose en 1935, dans le contexte politique de la montée du nazisme. La plupart des textes montrent que des villes de petite ou moyenne envergure parviennent – via les casinos– à programmer des ouvrages parfois ambitieux (comme le grand opéra ou des œuvres symphoniques sérieuses) et des genres innovants (tels le jazz ou le rock) sans pour autant renoncer aux genres plébiscités par le public (tels l’opéra comique, l’opérette ou les variétés). Attirer les clients par la musique ne revient pas à viser un seul segment des mélomanes, mais bien à diversifierconstamment l’offreafi d’élargir la notoriété de sa station balnéaire ou thermale.

“Les acteurs de la vie musicale des casinos” répond à la partie précédente en adoptant un changement de perspective. Il s’agit désormais de suivre l’activité de chef d’orchestre d’Alexandre Guilmant à Boulogne‑sur‑Mer (à la findu Second Empire), puis les parcours de deux musiciens ordi‑ naires au cours du xx e siècle : Janvier Lovreglio et Johny Bert. Ces trois portraits mobilisent des sources différentes.La presse locale pour Guil mant (notamment La Saison) ; les mémoires de Lovreglio; et les archives familiales de Bert. Denis Tchorek montre comment un musicien peut utiliser sa place auprès d’un casino pour défendre une vision esthétique, tandis que les chapitres de Patrick Péronnet et de Claire Paolacci nous analysent davantage la manière dont ces établissements donnent aux artistes des opportunités d’emploi et, dans le cas de Johny Bert, la possibilité d’évoluer de simple animateur à directeur artistique.

Peut on donner une explication rationnelle aux sommes exorbitantes dépensées pour maintenir à flot l’activité artistique des casinos au cours de

FAITES VOS JEUX! 34

xix e et xx e siècles ? La partie suivante scrute particulièrement le contexte économique de notre objet d’étude. ThéophileBonjour et Guillemette Prévot traitent cette question dans un chapitre très documenté et s’ap‑ puyant sur des exemples choisis sur tout le territoire. Étienne Jardin complète leur analyse en présentant les registres de paie du Casino de Cannes entre les deux guerres mondiales. À l’instar de la première partie de l’ouvrage, ces deux chapitres nous montrent que la musique dans les casinos ne peut être séparée de son contexte. Quasiment constamment à perte, l’investissement artistique ne peut être expliqué que par la publicité qu’il offreà sa station et aux échanges socio‑économiques que la musique occasionne à l’intérieur de la ville.

Une large place devait être faite à la danse dans ce livre, tant cet art se trouve intimement lié à la musique dans les casinos. Les trois chapitres de la partie “De l’exercice hygiénique au divertissement” la couvrent en allant du bal au ballet, des activités que l’on mène aux spectacles auxquels on assiste. Chloé d’Arcy pose d’abord la question de la conformité de la pratique dansante avec le suivi d’une cure thermale. Qu’en disent les médecins du xix e siècle et du début du xx e siècle ? Souvent eux mêmes intéressés à la réussite commerciale de leur station, ils s’interdisent d’être trop catégoriques et préfèrent le contrôle et l’encadrement à l’interdiction stricte. Hélène Marquié étudie ensuite la place de la danse aux Sables‑ d’Olonne, une station réputée conservatrice. Plutôt que d’investir dans une troupe de ballet, peu conforme à la morale locale, la ville mise sur le patrimoine en promouvant des spectacles ancrés dans les traditions du territoire : les bals des Sablaises qui mettent en lumière de jeunes femmes de la région et répondent au goût du xx e siècle naissant pour l’exotisme folklorique. Enfin,Florence Poudru détaille la prestigieuse programma‑ tion de ballet au Casino du Grand Cercle d’Aix les Bains. Dans une surenchère de luxe, les artistes y sont recrutés dans les grandes maisons d’opéra européennes et les créations de ballets nouveaux se multiplient au tournant du siècle.

La partie suivante s’intéresse à l’après Seconde Guerre mondiale, qui voit peu à peu l’activité musicale des casinos se réduire, surtout pour ce qui concerne la musique classique. Deux chapitres se préoccupent de deux festivals de musique qui ont vu le jour dans des casinos, à Royan et à Aix en Provence. Bien que motivés par le rayonnement artistique de leur ville, les deux événements internationaux font des choix de programmation

INTRODUCTION 35

diamétralement opposés. L’un parie sur la création contemporaine ; l’autre “mise sur Mozart” et le classicisme. La lecture parallèle des chapitres de Jean‑Sébastien Noël et d’Apolline Gouzi révèle pourtant des situations parfois similaires et des questionnements communs. Face à la place centrale occupée par Paris dans la politique culturelle française, comment penser des pôles d’excellence de programmation alternatifs? Quelle place donner à l’identité régionale ou au public local? Sur qui doit peser la pression financièrede tels rassemblements ?

Le livre se clôt sur des représentations de la vie musicale dans les casi‑ nos. Cécile Leblanc suit d’abord Marcel Proust à Cabourg et remarque à quel point les concerts sur la plage qui “éclat[ent] sous [s]es fenêtres” l’amènent à écouter autrement. Jérôme Rossi piste ensuite les filmsfran çais qui comportent une scène de casino et s’intéresse aux musiques qui les illustrent. Enfin,le chapitre de Fabien Noble interroge, au travers du parcours de Josette Alviset, la conservation des archives laissées par les activités étudiées au cours de ce livre.

*

“Faites vos jeux !” L’expression est traditionnellement utilisée par les croupiers au début de chaque partie de roulette. Elle convient à un livre conçu comme un point de départ. De nombreuses pistes envisageables ne sont ici qu’esquissées: l’étude systématique de la vie musicale d’un casino donné; celle de pratiques particulières, comme les bals d’enfant, ou encore, plus récemment, la vogue des karaokés et du piano‑bar dans les établissements de jeux; la mise en relation de la programmation des établissements de jeux et de la vie musicale de toute une station thermale ou balnéaire (jusqu’aux concerts privés donnés dans des villas, sur le modèle des salons des grandes villes); les réseaux établis entre un casino et une salle de théâtre (comme le Grand Casino de Vichy et le Grand Théâtrede Bordeaux, sous la direction de René Chauvet) et leur influence(ainsi que celle des agents et agences de concerts et de spectacles) dans la programmation; les relations de complémentarité ou de concurrence entre différentscasinos d’une même station (à Nice, à Vichy, ou encore à Deauville/Trouville), ou même, plus vaste projet encore, la comparaison de la vie musicale des casinos à l’échelle euro péenne ou mondiale, les échanges internationaux que ces établissements

FAITES VOS JEUX! 36

rendent possible1 et l’identification d’éventuels modèles nationaux en Allemagne et en Autriche, où le genre spécifiquede la Kurmusik est encore en vogue2, mais aussi en Angleterre, en Italie, aux États‑Unis ou à Hong Kong.

La bille est lancée et la partie ne fait que commencer. Espérons qu’elle attirera d’autres joueurs avant que le croupier n’indique que rien ne va plus.

Remerciements

Faites vos jeux! La vie musicale dans les casinos français (xixe -xxe siècle) n’aurait pu voir le jour sans le soutien précieux de la Maison des Sciences de l’Homme Paris Saclay, du Palazzetto Bru Zane –Centre de musique romantique française et du laboratoire RASM CHCSC (Université Paris Saclay Évry).

Que soient également remerciés, pour leur généreuse participation à ce projet, le Musée de l’Opéra de Vichy (tout particulièrement son direc teur, Fabien Noble) ainsi que leMusée de Trouville –Villa Montebello (tout particulièrement son responsable, Karl Laurent) et l’association des Amisdu Musée de Trouville et du passé régional (avec une pensée par ticulière pour son ancien président, Jean Moisy, qui nous a récemment quittés).

Enfin,nous souhaitons exprimer toute notre reconnaissance à Jean‑ Claude Yon, sans qui ce projet n’aurait pu voir le jour, ainsi qu’à Ber‑ nard Toulier et Katharine Ellis, qui ont bien voulu signer la préface et la postface de ce livre.

1. Pour une présentation de cet enjeu, voir Jill Steward , “TheRole of Inland Spas as Sites of Transational Cultural Exchange in the Production of European Leisure Culture (1750‑1850)”, Leisure Cities in Urban Europe c. 1700-1870, sous la direction de Peter Borsay et Jan Hein Furnée , Manchester: Manchester University Press, 2016, p. 234‑259.

2. Voir, à ce sujet, Siegrun Lorenz “Kurmusik: Fur wen?”, Zur Situation der Musiker inÖsterreich, sous la direction de Paul Water Furst , Vienne: Institut für Wiener Klangstil, 1994, p. 431‑434 ; Wolfgang Preisinger , “Das Kurorchester aus der Sicht des Erhaltersé”, même reference, p. 435‑438 ; et Ulrich Steskal , “Kurmusik: Therapie nach Noten?”, même référence, p. 449‑454.

INTRODUCTION

On joue beaucoup au casino, mais pas seulement de l’argent : pour attirer le public, les établissements de jeux ne lésinent pas sur les moyens et offrent aux musiciens de nombreux espaces d’expression. Apparaissant au milieu du  XIXe siècle dans les stations balnéaires et thermales, les casinos français ont joué un rôle important – et pourtant ignoré – dans le développement artistique du territoire français jusqu’à la fin du XXe siècle. Ce livre collectif aborde la vie musicale de ces établissements sur le temps long, et en propose des approches très diverses.

Des études sur un lieu précis y côtoient l’analyse de parcours individuels d’instrumentistes et la programmation de certains genres (comme le jazz, le ballet, l’opéra, la musique contemporaine ou le rock) ou d’œuvres spécifiques (notamment celles de Mozart ou de Wagner). Certains chapitres permettent également de faire le point sur la législation des spectacles dans les établissements de jeux, l’architecture des bâtiments et leur fonctionnement économique. L’imaginaire des musiques de casino (chez Marcel Proust ou au cinéma) se voit aussi ausculté. La compilation de ces recherches inédites offre un large panorama du phénomène. En s’appuyant sur les exemples de Deauville, Cabourg, Vichy, Saint-Malo, Cannes, Boulogne-surMer, Aix-les-Bains, Les Sables-d’Olonne, Royan, Cauterets ou encore Aixen-Provence, ce livre propose une histoire de la musique en France qui ne reste pas obnubilée par Paris.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm et du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Martin Guerpin est maître de conférences en musicologie à l’Université Paris-Saclay. Ses travaux portent sur l’histoire française et européenne du jazz et des musiques populaires, sur les processus d’américanisation par les arts, et plus généralement sur les relations entre musique et identité (XIXe-XXIe siècle).

Étienne Jardin est directeur de la recherche et des publications du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française (Venise). Docteur en Histoire de l’École des Hautes Études en Sciences sociales, ses travaux portent sur la vie musicale au  XIXe siècle. Il a dirigé plusieurs ouvrages collectifs (parus chez Actes Sud, Brepols et Peter Lang) et publié  Exposer la musique. Le festival du Trocadéro (Paris 1878) en 2022.

ISBN 978-2-330-18919-8

XX € TTC France www.bru-zane.com

DÉP. LÉG. : AVR. 2022
www.actes-sud.fr
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